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Cassiopée s’extirpa de dessous son assaillant et se mit à genoux. La chaleur du feu à quelques mètres était devenue insupportable, et les flammes progressaient vers le palier. Heureusement, les murs et le sol étaient en marbre. La fumée de plus en plus dense rendait la respiration quasi impossible. Il fallait qu’elle retrouve la lampe, mais l’homme en noir s’était relevé lestement et s’apprêtait à se jeter sur elle. Son cœur battait la chamade. Ses muscles avaient perdu de leur tonus. Deux journées de torture sans nourriture avaient laissé leurs traces.

L’homme se précipita sur elle.

Elle l’esquiva, saisit son bras et le lui tordit afin de le faire tomber. Mais il réussit à renverser la situation en la bourrant de redoutables coups de pied. Il parvint à la pousser jusqu’à la balustrade. Le vide en dessous était impressionnant, avec l’étage inférieur à une bonne dizaine de mètres.

Il la retourna et lui plaqua le dos contre la rambarde. Il la gifla. Puis il essaya de la soulever pour la faire basculer par-dessus la rampe. Elle avait le goût âcre du sang dans la bouche. Une bouffée d’adrénaline l’envahit. Elle releva brutalement sa jambe droite et lui planta le talon de sa botte dans l’entrejambe.

Il se plia en avant, les deux mains sur l’objet de sa douleur.

Elle lui donna un coup de genou dans le visage, le faisant tituber en arrière.

Puis elle s’avança, le poing serré.

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Malone enveloppa la lampe dans le pan de sa chemise et sentit la chaleur qu’elle avait accumulée avec le feu. Elle paraissait intacte, son unique ouverture se trouvant dans la tête du dragon. Dans la lumière vacillante, il distingua sur le bronze les restes de la cire qui avaient scellé son embouchure. Il sentit une odeur familière et rapprocha la lampe de son nez.

Du pétrole.

Il secoua le récipient. Il semblait à moitié plein.

Il remarqua les caractères chinois gravés dessus : peut-être était-ce ce qui rendait l’objet si important. Il avait déjà vu ça, des messages du passé, encore valables aujourd’hui. En tout cas, il fallait qu’il sorte de cet enfer pendant qu’il était encore temps.

Il se retourna.

Un des hommes se tenait à proximité, bloquant l’unique sortie. Il tenait un pistolet à hauteur de ceinture, braqué droit devant lui.

« Il doit faire chaud sous cette cagoule en laine, dit Malone.

– Donnez-moi la lampe. »

Malone fit un geste avec l’objet.

« Ça ? Je viens de le trouver dans le feu. Ce n’est rien.

– Donnez-moi la lampe. »

Il décela un accent asiatique. L’incendie, alimenté par les meubles, se répandait partout autour d’eux, pas trop violemment, mais sûrement. De nouvelles langues de feu gagnaient le parquet entre les deux hommes.

Il s’approcha.

Le pistolet se releva.

« La lampe. Jetez-la-moi.

– Je ne pense pas que ce serait…

– Jetez-la. »

Malone regarda la tête de dragon et les restes de cire qui coulaient de la bouche. Il sentait toujours le pétrole. Après tout, puisque cet homme voulait la lampe, il l’aurait !

Il lança l’objet en l’air, mais en le lâchant, il fit tourner la lampe, s’arrangeant pour que son assaillant soit obligé de s’avancer pour la rattraper.

Il vit la tête de dragon s’incliner et les premières traces de liquide s’échapper de sa bouche. Au contact de la chaleur venant d’en dessous, un sifflement se produisit, suivi d’un éclair, et le feu se propagea avec voracité.

Le pétrole continua à se répandre pendant que l’homme armé s’avançait et saisissait la lampe entre les ailes, à l’envers, la tête tournée vers le bas.

De nouvelles flammes gagnèrent le sol pendant que le pétrole se vaporisait.

Le feu ne demandait qu’à monter.

Quand il atteignit la lampe, une boule de chaleur et de lumière explosa entre les mains de l’homme.

Un hurlement transperça l’air torride quand ses vêtements prirent feu. Il laissa tomber la lampe et son pistolet, agitant les bras en tous sens pendant que ses habits se désintégraient.

Malone récupéra son Beretta par terre et tira deux coups dans la poitrine de l’homme.

Le corps en feu tomba au sol.

Il se rapprocha et lui tira un dernier coup dans la tête.

« Tu n’aurais même pas fait ça pour moi », murmura-t-il.

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Cassiopée frappa son adversaire au visage de toutes ses forces. Il était déjà sonné après le coup de pied qu’elle lui avait porté à l’entrejambe, assommé par la douleur, le souffle coupé. Il se mit à tousser, cherchant un peu d’air à travers la fumée.

Un dernier coup de poing et il s’effondra pour de bon.

Le feu embrasait le couloir sur sa gauche, du sol au plafond, et la fumée gagnait à toute vitesse. Elle se mit à tousser aussi, les poumons pleins de carbone.

Deux coups de feu retentirent au bout du couloir.

« Cotton ! » cria-t-elle.

Encore un tir.

« Cotton. Réponds-moi, nom de Dieu.

– Je suis là, cria-t-il.

– Peux-tu rejoindre l’escalier ?

– Non. Je vais sortir par une fenêtre. »

Elle aurait dû le rejoindre pour l’aider. Il était venu pour elle.

« Tu peux sortir ? cria-t-il au-dessus du vacarme des flammes.

– Ça va ici. »

Elle ne quittait pas des yeux le couloir du troisième étage, totalement englouti par le feu à présent. Ses articulations lui faisaient un mal de chien, et elle avait de la peine à respirer. La chaleur était accablante. Elle n’avait pas le choix. Il fallait qu’elle parte. Pourtant…

« Il me faut la lampe, cria-t-elle.

– Je l’ai.

– Alors, j’y vais, cria-t-elle.

– Rendez-vous dehors. »

Elle fit demi-tour et se dirigea vers l’escalier, mais quelque chose en dessous attira son attention. Sur le palier, un homme, le visage émacié, la fixait de ses yeux noirs. Il tenait un arc bandé avec une flèche, prêt à tirer.

Elle n’avait plus de pistolet. Et aucun endroit où se réfugier.

L’homme la visait toujours, et ses intentions ne faisaient aucun doute.

Il était venu pour la tuer.