III. – Rencontre de Mirabel et de miss Jethro.

 

» – Il y a quatre ans, dit-elle, j’habitais près de Cowes, dans l’Île de Wight, un petit cottage que m’avait loué un vieil ami de mon père, un ancien marin, qui avait en sa possession un yacht de plaisance. Un jour, – il venait de me ramener d’une de ces croisières où se plaisait le vieil homme de mer, et le bateau devait repartir pour Cherbourg à l’heure de la marée – je me promenais dans mon jardin. Tout à coup je vois surgir devant moi un homme – évidemment un gentleman – qui paraissait en proie à une terreur folle. – « Sauvez-moi la vie ! s’écria-t-il ; sauvez-moi l’honneur ! » Je l’interrogeai. Il me raconta alors, en phrases entrecoupées, cette terrible histoire de l’auberge de Zeeland, la mort affreuse d’un homme qu’il ne connaissait pas, l’épouvante dont il avait été saisi, sa fuite… Zeeland, ce nom me frappa. Je le questionnai sur la date, sur l’heure du tragique événement ; je lui demandai de me dépeindre son compagnon de chambre. À la description, je reconnus M. James Brown ! Je ne veux rien dire de mon émotion, ce n’est pas de mes sentiments intimes que vous avez souci. Qu’avais-je à faire ? Il ne me restait littéralement qu’une minute pour me décider. Avant tout je devais mettre le fugitif à l’abri. Je me portai son garant auprès de mon vieil ami, le maître du yacht. On l’installa à bord dès que la police eut le dos tourné, et il débarqua tranquillement à Cherbourg. Vous paraissez surpris ? me dit miss Jethro à ce moment de son récit.

 

» – J’avoue, lui dis-je, que je ne comprends pas bien cet empressement à protéger la fuite d’un homme étranger pour vous, accusé d’un assassinat.

 

» – Dans un instant, dit-elle, vous aurez l’explication de ma conduite. Finissons-en d’abord avec M. Mirabel. Nous échangeâmes quelques lettres pendant qu’il résidait sur le continent, mais sans jamais, à son instante prière, faire la moindre allusion à la catastrophe de l’auberge. Sa dernière lettre me parvint alors qu’il venait de s’établir à Vale Régis. Il me parlait de la société du voisinage, de sa présentation à miss Wyvil et de l’invitation qu’il en avait reçue de se rencontrer à Monksmoor avec sa meilleure amie. Je savais miss Émily en possession du signalement de M. Mirabel. Si par hasard, en se trouvant journellement en contact avec lui, quelque trait de la description venait à se réveiller dans sa mémoire, il y avait de quoi exciter tout au moins en elle le doute et la surprise. La crainte d’un tel hasard s’empara de moi. C’était une crainte instinctive, en quelque sorte morbide, et tout à fait dénuée de fondement, ainsi que la suite l’a bien prouvé. Mais je ne pouvais la dominer. N’ayant pas réussi à vous émouvoir, je partis pour Vale Régis, où je tentai vainement de décider M. Mirabel à s’excuser auprès de ses futurs hôtes de Monksmoor. Comme vous, il désirait connaître les raisons de mon intervention. Mais vous comprendrez, j’imagine, qu’il m’était difficile de les lui dire.

 

» Miss Jethro, je le comprenais, pouvait redouter qu’une allusion à la terrible mort de M. Brown parvînt aux oreilles de sa fille. Mais cette crainte témoignait d’une sollicitude vraiment extraordinaire pour le repos d’une jeune fille qu’elle connaissait à peine. Je lui exprimai sur ce point ma surprise et mes doutes.

 

» – Attendez ! me dit-elle ; je vous ai parlé de la fille ; maintenant je vais vous parler du père. »

 

À cet endroit de sa lecture, Émily leva les yeux de dessus le manuscrit ; elle avait senti le bras de Cécilia lui entourer tendrement les épaules.

 

– Ma pauvre chérie, disait la douce voix, votre courage va être mis à l’épreuve. J’ai peur de ce que vous lirez en tournant le feuillet, et cependant…

 

– Et cependant, reprit bravement Émily, il faut que je poursuive. N’ayez pas peur, Cécilia, je commence à apprendre la rude leçon que donne la vie à quelques-uns d’entre nous. »

 

Je dis non
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