CHAPITRE III

LES DEUX AMIS VRAIS


Alban, arrivé d’assez bonne heure, trouva le docteur Allday attablé devant son lunch.

 

« Il est trop tard pour que vous puissiez voir mistress Ellmother, mon bon ami. Asseyez-vous et prenez quelque chose.

 

« N’a-t-elle pas laissé de commission pour moi ?

 

– La commission, mon pauvre garçon, ne résonnera pas agréablement à vos oreilles. Ce matin même elle est partie, avec sa maîtresse, dans l’intention de faire une longue visite à la sœur de M. Mirabel.

 

– Que me dites-vous-là ? Est-ce qu’il les accompagne ?

 

– Non, mais il les suit par un autre train.

 

– Mistress Ellmother a-t-elle au moins laissé leur adresse ?

 

– La voici, écrite de sa propre main. »

 

Alban lut le papier que le docteur lui tendait :

 

« Mistress Delvin, Le Clink, Belford, Northumberland. »

 

« Retournez la feuille, dit le docteur, mistress Ellmother a griffonné quelque chose au dos. »

 

Ce griffonnage était fort bref.

 

« Jusqu’ici M. Mirabel n’a rien découvert du tout. Sir Jervis Redwood est mort. On croit les Rook en Écosse. Miss Émily, avec l’aide du pasteur, tâchera de les dénicher. Pas de nouvelles de miss Jethro. »

 

« Maintenant que vous avez avalé cette pilule, reprit le docteur, laissez-moi vous examiner. D’abord vous n’avez pas eu d’accès de rage, c’est bon signe.

 

– Je suis calme ; je n’en suis pas moins très résolu.

 

– À ramener Émily à la raison ?

 

– À faire ce que Mirabel ne fait pas. Après quoi, elle choisira entre nous.

 

– Ouais ! l’opinion flatteuse que vous entretenez de cette petite personne ne s’est donc pas altérée, malgré son ingratitude ?

 

– Mes opinions sont généralement assez fermes, et, dans le cas présent, je sais faire la part du trouble où se débattait l’esprit de ma pauvre bien-aimée. Elle ne veut plus être mon Émily, elle le redeviendra. Je lui ai dit autrefois qu’elle finirait par accepter mon dévouement, et j’en suis plus convaincu que jamais. L’avez-vous vue pendant que j’étais à Netherwoods ?

 

– Oui, et elle est aussi irritée contre moi que contre vous.

 

– Pour le même motif ?

 

– Non, non. J’étais sur mes gardes, moi ; j’ai tenu ma langue. Mais je lui ai refusé mon aide ; c’est là mon grief. Vous êtes un homme, vous, Alban. Vous pouviez affronter des risques dont l’idée seule est inadmissible pour une jeune fille.

 

– Et je le ferai, je vous en réponds !

 

– Soit. Vous rappelez-vous que je vous ai prié, pour l’amour d’Émily, de renoncer à toute recherche au sujet du meurtre ?

 

– Oui, et je ne vous ai que trop obéi.

 

– Aujourd’hui, les circonstances ne sont plus du tout les mêmes. Puis-je vous être utile en quelque chose ?

 

– Extrêmement utile, si vous voulez bien me donner l’adresse de miss Jethro.

 

– Oui-dà ? Vous comptez commencer par là ?

 

– Certainement. Vous savez que miss Jethro est venue me voir à Netherwoods ?

 

– Allez toujours.

 

– Elle m’a fait lire votre réponse à une lettre qu’elle vous avait écrite. Avez-vous gardé cette lettre ?

 

– Je vais vous la chercher. »

 

La date et le timbre de la poste indiquaient une ville située sur le bord de la mer, dans le sud de l’Angleterre.

 

Alban prit note de ces indications. En relevant les yeux, il surprit le regard du docteur attaché sur lui avec une expression mêlée de sympathie et d’incertitude.

 

« À quoi songez-vous, docteur ? demanda-t-il.

 

– À ceci : vous ne tirerez rien de miss Jethro. À moins que… »

 

Il hésita et n’acheva pas sa phrase.

 

« À moins que… répéta Alban.

 

– À moins que vous ne parveniez à lui faire peur.

 

– Comment cela ?

 

– Écoutez-moi. »

 

Le docteur lui raconta sa dernière visite à Émily.

 

« Au cours de notre entretien, dit-il, elle a fait une remarque que j’ai trouvée fort raisonnable, sans doute parce que je l’avais déjà faite moi-même. Nous avons tous notre petite dose de suffisance. Elle soupçonne miss Jethro d’en savoir plus long sur ce damné meurtre que miss Jethro ne veut l’avouer. Si vous voulez la frapper à l’endroit sensible… »

 

Le docteur s’interrompit de nouveau.

 

« Eh bien, que dois-je faire ?

 

– Dites-lui que vous soupçonnez quel peut être le véritable meurtrier.

 

– Mais c’est que je n’en ai pas la moindre idée.

 

– Moi, si !

 

– Grand Dieu ! que voulez-vous dire ?

 

– Oh ! n’allez pas trop vite ! je n’en ai pas une idée non plus. J’ai… j’ai une certaine impression, voilà tout. Traitez-la de lubie, de chimère, d’imagination, il n’importe. Seulement, je crois qu’avec un peu d’habileté et de hardiesse on pourrait en tirer parti. Venez plus près de moi ; ma femme de charge est une excellente créature, mais je l’ai surprise deux ou trois fois derrière ma porte. Je préfère parler bas. »

 

Il parla bas, en effet, et Alban, qui retenait son souffle, apprit quel doute étrange s’était éveillé dans l’esprit du docteur en rencontrant pour la première fois Mirabel.

 

« Vous paraissez incrédule ? dit le docteur quand il eut fini.

 

– Je pense à Émily et, à cause d’elle, je souhaite que vous vous trompiez. Ne devrais-je pas aller la trouver, la prévenir ? Je ne sais que résoudre.

 

– Assurez-vous premièrement si j’ai tort ou raison, mon bon ami. Et pour cela voyez miss Jethro ! voyez miss Jethro ! »

 

Alban avait repris son sang-froid. Sans répondre, il tira de sa poche l’indicateur des chemins de fer. Il le consulta, puis regarda à sa montre.

 

« Si miss Jethro est chez elle, dit-il, je tenterai l’expérience avant même que le soleil soit couché.

 

– Bravo ! » fit le docteur en se levant.

 

Il reconduisit Alban jusqu’au seuil.

 

« Vous m’écrirez, n’est-ce pas ?

 

– Sans faute. Adieu et merci ! »

 

Je dis non
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