Chapitre 21

Mara souilla un juron et passa les surfaces de contrôle du Skipray en mode planeur avant de demander un scanning de contour de la falaise qui se dressait derrière le bâtiment. Il n’était plus question désormais de se poser sur la crête : elle pourrait y arriver sans ses répulseurs, mais pas avec un Maître Jedi. Elle pouvait essayer l’île obscure immédiatement en dessous, où elle aurait plus d’espace pour opérer, mais cela lui posait le problème de regagner la rive. Donc, elle devait essayer de trouver une zone d’atterrissage suffisamment grande quelque part au pied des montagnes.

À moins de s’admettre vaincue, de relancer le moteur principal et de regagner l’espace pour tenter seule d’aller à la rescousse de Karrde.

Elle étudia le contour. La grêle de rochers avait cessé après le quatrième impact – Le Maître Jedi attendait sans doute qu’elle s’écrase sans autre encouragement. Avec un peu de chance, elle arriverait peut-être à le convaincre sans totalement détruire l’appareil. Si elle parvenait à trouver un creux dans cette falaise… Oui. À un tiers du sommet, elle venait de repérer une cavité grossièrement hémisphérique creusée par l’érosion. Le surplomb était relativement plat et le Skipray pourrait vraisemblablement se loger là confortablement.

Elle diminua encore sa vitesse et redressa.

Le jet de propulsion dessina brièvement la mosaïque dansante des ombres et des lumières des montagnes. Mara reprit un peu d’altitude, stabilisa le Skipray qui menaça un instant de basculer, recula, et se positionna. Si C’baoth soupçonnait ce qu’elle essayait de faire, il n’aurait guère besoin d’efforts pour en finir avec elle.

Les mâchoires bloquées, son regard allant du scope d’approche à l’indicateur de poussée, elle s’avança vers la cavité.

Elle faillit échouer. Le Skipray était à moins de dix mètres du surplomb lorsque le jet de propulsion toucha la paroi rocheuse. Sous l’effet de la chaleur, le roc se mit à fondre et, la seconde d’après, l’appareil baignait dans un jaillissement de couleurs. Mara maintint son cap, sans se soucier des sirènes d’alarme. Il ne restait plus que cinq mètres et la température, dans le cockpit, commençait à monter sérieusement. Trois, un…

L’aileron ventral laboura le rocher dans un crissement atroce. Mara coupa le moteur, sentit tous ses muscles se crisper, et l’appareil tomba d’un mètre de haut sur la saillie. Une seconde, il parut hésiter, puis, avec une certaine grâce, il bascula vers l’avant et se bloqua sur ses patins.

Mara essuya la sueur de ses yeux et demanda une lecture de statut.

Elle avait eu de la chance : les patins d’atterrissage et l’aileron ventral étaient bousillés, mais les moteurs, l’hyperdrive, les systèmes vitaux et le cockpit n’avaient pas souffert. Elle passa tous les circuits en standby, hissa l’ysalamir sur ses épaules et se dirigea vers l’arrière.

L’écoutille principale était inutilisable, car elle s’ouvrait dans le vide. Mais il en existait une autre derrière la tourelle du canon laser dorsal. Gagner l’échelle d’accès avec l’ysalamir sur le dos ne fut pas une partie de plaisir, mais, après quelques essais ratés, elle ouvrit enfin l’écoutille, laissa l’air frais de la planète affluer dans l’habitacle surchauffé, et leva les yeux.

Et découvrit qu’elle avait mal calculé ses distances. Elle n’était pas à dix ou quinze mètres du cratère, comme elle l’avait estimé, mais à près de cinquante mètres plus bas. Les dimensions de l’anneau montagneux et ses conditions d’approche en catastrophe avaient altéré sa perception.

— Après un long voyage, rien de tel qu’un peu d’exercice, marmonna-t-elle en sortant le bâton lumineux de son ceinturon. L’escalade n’allait pas être facile, surtout avec le poids supplémentaire du support de l’ysalamir, mais c’était possible. Elle attacha le bâton lumineux à son épaule, repéra ses premières prises, et s’élança. Elle s’était hissée de deux mètres, guère plus, quand un faisceau lumineux intense se posa sur le rocher, juste devant elle.

Sous l’effet du choc, elle redévala la pente pour atterrir brutalement sur le Skipray. Mais elle avait déjà son blaster au poing. Deux phares étaient braqués sur elle. Elle tira rapidement et éteignit le premier. L’autre s’éteignit rapidement de lui-même. C’est alors qu’elle entendit un bruit très faible mais qu’elle ne pouvait pas ne pas reconnaître.

Le gazouillis d’un droïd R2.

— Hé ! appela-t-elle doucement. Hé, toi, le droïd. Tu es l’unité astromécano de Skywalker ? Dans ce cas, tu sais qui je suis. On s’est rencontrés sur Myrkr – tu te souviens ?

Apparemment, le droïd n’avait pas oublié. Mais, à en juger par le ton indigné de sa réponse, il n’était pas particulièrement fier de ce souvenir.

— Bon, oublions tout ça, fit-elle d’une voix acerbe. Ton maître est en danger. Je suis venue le prévenir.

Une autre trille électronique, franchement marquée par le sarcasme.

— Mais c’est vrai, insista Mara.

Sa vision redevenait nette et elle discernait la silhouette sombre de l’aile X soutenue par ses champs répulseurs à cinq mètres de là. Les deux canons laser de tribord étaient pointés droit sur elle.

— Il faut que je lui parle immédiatement. Avant que ce Maître Jedi s’aperçoive que je suis encore en vie et n’essaie de corriger la situation.

Elle s’était attendue à un autre sarcasme, mais le droïd ne dit rien. Peut-être avait-il été témoin de la brève bataille entre le Skipray et les rafales de cailloux de C’baoth.

— Oui, il essayait de me tuer, ajouta-t-elle. Discrètement, sans histoire, afin que ton maître ne s’aperçoive de rien et ne lui pose des questions embarrassantes.

Le droïd bipa une question. Mara en devina le sens.

— Je suis venue ici parce que j’ai besoin de l’aide de Skywalker. Karrde a été capturé par les Impériaux et je ne pourrai jamais le libérer seule. Karrde, au cas où tu l’aurais oublié, est celui qui a aidé tes amis à monter une embuscade contre ces troupes d’assaut qui vous avaient chassés de Myrkr. Tu lui dois cela. Le droïd eut un reniflement de dédain.

— D’accord, lança-t-elle. Ne le fais pas pour Karrde, ni pour moi. Mais conduis-moi là-haut, sinon ton maître adoré ne saura pas avant qu’il soit trop tard que son nouvel éducateur, C’baoth, travaille pour l’Empire.

Le droïd réfléchit. Puis, lentement, l’aile X se mit en rotation, détourna ses lasers et vint se placer près du Skipray. Mara rengaina son blaster et se prépara, tout en se demandant comment elle allait pouvoir se hisser dans l’habitacle avec son attirail.

Mais elle s’inquiétait en vain. Au lieu de manœuvrer pour lui présenter le cockpit de l’aile, le droïd stabilisa l’un des patins de l’aile à sa hauteur.

— Tu plaisantes, protesta-t-elle, en pensant à la hauteur à laquelle ils se trouvaient.

Mais le droïd était sérieux et, après un instant, elle se hissa sur le patin et assura sa prise du mieux possible.

— Allons-y. Et attention aux cailloux volants.

L’aile X commença son ascension. Mara se tenait sur ses gardes, s’attendant d’une seconde à l’autre à ce que C’baoth reprenne l’attaque là où il l’avait interrompue. Mais ils atteignirent le faîte sans incident et, à la seconde où le droïd posait doucement l’aile X, Mara découvrit la silhouette d’un homme en cape qui attendait en silence près de la clôture de la maison.

— Vous devez être C’baoth, dit-elle en se laissant glisser du patin d’atterrissage pour saisir son blaster.

« Vous accueillez toujours vos visiteurs de cette manière ?

Un instant, l’autre demeura silencieux. Mara fit un pas dans sa direction, avec une impression étrange de déjà vu. Elle essayait de discerner ses traits sous sa capuche. L’Empereur lui était apparu ainsi, cette nuit où il était venu la chercher chez elle…

— Je ne reçois pas de visiteurs, hormis les laquais du Grand Amiral Thrawn, dit enfin la silhouette. Tous les autres, par définition, sont des intrus.

— Qu’est-ce qui vous fait croire que je suis avec l’Empire ? Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, j’ai suivi la balise impériale jusqu’à cette île avant que vous me descendiez.

Sous la clarté des étoiles, elle eut l’impression que C’baoth souriait sous sa capuche. – Et qu’est-ce que ça prouve exactement ? demanda-t-il. Simplement que d’autres peuvent jouer avec les petits jouets du Grand Amiral.

— Et les autres peuvent-ils s’emparer aussi des ysalamari du Grand Amiral ? demanda-t-elle. Ça suffit. Le Grand Amiral…

— Le Grand Amiral est votre ennemi ! trancha C’baoth. Ne m’insultez pas avec vos dénégations enfantines, Mara Jade. J’ai tout lu dans votre esprit tandis que vous approchiez. Vous pensiez vraiment pouvoir me reprendre mon Jedi ?

Mara, la gorge serrée, frissonna dans le vent froid, et aussi parce qu’un froid plus intense montait en elle. Thrawn avait dit que C’baoth était dément, et elle avait perçu la trace vacillante de la folie dans sa voix. Mais il y avait plus que cela. Elle sentait l’acier derrière la voix, son esprit impitoyable et calculateur, et le sens du pouvoir suprême et de l’absolue confiance, tout au fond.

C’était comme si elle venait d’entendre à nouveau l’Empereur.

— J’ai besoin de l’aide de Skywalker, fit-elle en se maîtrisant. Tout ce que je veux, c’est vous l’emprunter quelque temps.

— Et vous me le restituerez après ? fit C’baoth, sardonique.

— Il va m’aider, C’baoth. Que ça vous plaise ou non.

Cette fois, sans aucun doute, le Maître Jedi avait souri. D’un sourire fantomatique.

— Oh, non, Mara Jade, murmura-t-il. Vous vous trompez. Vous croyez vraiment que parce que vous vous trouvez dans un espace vide à l’intérieur de la Force, je suis impuissant face à vous ?

— Il y aussi cela, dit Mara en pointant son blaster sur la poitrine de C’baoth.

Il ne fit pas un geste, mais elle sentit tout à coup une tension nouvelle dans l’air.

— Nul ne me menace d’une arme en toute impunité, fit-il sur un ton de menace tranquille. Vous allez payer cher.

— Je prends le risque.

Elle recula d’un pas afin de prendre appui contre l’aile de tribord. Au-dessus d’elle, elle entendit le droïd R2 qui gazouillait d’un ton perplexe. – Allez-vous vous écarter pour le laisser passer ou bien faudra-t-il que nous utilisions un moyen plus dur ?

Cbaoth parut la jauger.

— Je pourrais vous détruire, savez-vous. Sur place, avant même que vous en deviniez l’attaque. (La menace avait disparu de sa voix et il s’exprimait sur le simple ton de la conversation.) Mais je ne le ferai pas. Pas maintenant du moins. J’ai senti votre présence au fil des années, Mara Jade. Les mouvements de marée de votre pouvoir après la mort de l’Empereur ont épuisé la plus grande part de votre énergie. Et je vous ai vu méditer. Un jour, vous viendrez à moi, de votre plein gré.

— Là aussi, je suis prête à prendre le risque, fit Mara.

— Vous ne me croyez pas, mais cela viendra. L’avenir est inscrit, ma jeune future Jedi, de même que votre destinée. Un jour, vous vous agenouillerez devant moi. Je l’ai vu.

— Je ne me fierais pas à une pareille vision de Jedi si j’étais vous. (Elle risqua un regard vers la demeure et se demanda ce que ferait Cbaoth si elle osait crier le nom de Skywalker.) L’Empereur lui aussi avait des visions. Mais à terme, elles ne l’ont guère aidé.

— Je suis peut-être plus sage que ne l’était l’Empereur. (Il tourna légèrement la tête.) Je vous avais dit de gagner vos appartements, lança-t-il.

— Oui, vous me l’avez dit, répondit une voix familière.

Et une silhouette s’avança dans la cour. Celle de Skywalker.

— Alors que faites-vous ici ? demanda C’baoth.

— J’ai senti une turbulence dans la Force, dit le jeune Jedi en s’avançant sous la clarté des étoiles, le regard fixé sur Mara.

« C’était comme si un combat se déroulait à proximité. Bonjour, Mara.

— Skywalker, parvint-elle à dire entre ses lèvres desséchées.

Après tout ce qui lui était arrivé dans le système de Jomark, elle commençait à entrevoir l’énormité de la tâche qu’elle s’était fixée. Elle, qui avait dit ouvertement à Skywalker qu’elle le tuerait un jour, elle était là maintenant pour le convaincre de lui faire confiance, à elle et non au Maître Jedi.

— Écoutez… Skywalker… – Est-ce que vous ne vous trompez pas de cible ? fit-il paisiblement. Je croyais que c’était moi que vous vouliez abattre ?

Elle avait presque oublié son blaster.

— Je ne suis pas venue pour vous tuer. (Même à ses propres oreilles, ces quelques mots sonnaient faux.) Karrde a des ennuis avec l’Empire. J’ai besoin de votre aide pour le libérer.

— Je vois. (Skywalker se tourna vers C’baoth.) Que s’est-il donc passé, Maître C’baoth ?

— Qu’importe ? En dépit de ce qu’elle vient de déclarer, elle est bel et bien venue afin de vous détruire. Vous auriez voulu que je ne l’arrête pas ?

— Skywalker… répéta Mara.

Il leva la main pour l’interrompre, les yeux toujours fixés sur C’baoth.

— Vous aurait-elle attaqué ? Ou menacé de quelque façon ?

Mara observa C’baoth… et sentit l’air se geler dans ses poumons. La confiance avait disparu du visage du Maître Jedi pour faire place à une expression mortellement froide. Dirigée contre Skywalker.

Et elle comprit soudain. Il serait inutile de persuader Skywalker de la traîtrise de C’baoth après cela. Il savait déjà.

— Qu’importent les actes qu’elle a pu commettre ? demanda le Maître Jedi. Qu’importe qu’elle soit l’exemple vivant du danger contre lequel je vous ai mis en garde dès votre arrivée. Le danger qui menace tout Jedi face à la haine d’une galaxie qui nous hait et nous craint.

— Non, Maître C’baoth, répliqua Skywalker d’un ton presque aimable. Vous devez certainement comprendre que les moyens sont aussi importants que la fin. Un Jedi se sert de la Force pour la connaissance et la défense, jamais pour attaquer.

— Une banalité pour les simples d’esprit, railla C’baoth. Ou pour ceux qui n’ont pas suffisamment de sagesse pour prendre leurs propres décisions. Je suis bien au-delà de tout cela, Jedi Skywalker. Tout comme vous le serez un jour. Si vous choisissez de rester.

Skywalker secoua la tête.

— Je suis désolé, mais je ne peux pas. Il se détourna et se dirigea vers Mara.

— Ainsi, vous tournez le dos à la galaxie ! s’exclama C’baoth, d’une voix nouvelle, sincère. Ce n’est qu’avec votre force et votre soutien que ces gens pourront espérer parvenir à la vraie maturité. Vous le savez aussi bien que moi.

Skywalker s’arrêta.

— Mais vous venez de dire qu’ils nous haïssaient ? Comment pouvons-nous enseigner à des gens qui refusent notre soutien ?

— Nous pouvons guérir cette galaxie, Luke. Ensemble, vous et moi. Sans nous, ils n’ont aucun espoir. Aucun.

— Peut-être y parviendra-t-il sans vous, lança Mara d’une voix forte, essayant de briser le sortilège des mots de C’baoth.

Elle avait vu l’effet de-ce genre de tour sur l’Empereur, et Skywalker avait déjà les paupières lourdes.

Trop lourdes, en fait. Comme les siennes, songea-t-elle, lorsqu’elle s’était approchée de Jomark.

Elle se détacha de l’aile X et se porta au devant de Skywalker. C’baoth esquissa un mouvement, comme s’il s’apprêtait à l’arrêter. Elle leva son blaster, et il parut oublier son idée.

Sans même regarder Skywalker, elle sut à quel instant précis il pénétra dans la zone neutralisante de l’ysalamir. Il inspira profondément. En détournant les yeux, elle le vit redresser les épaules et hocher la tête, comme si une dernière pièce de puzzle se mettait en place dans son esprit.

— Est-ce donc ainsi que vous voudriez guérir la galaxie, Maître C’baoth ? demanda-t-il. Par la cœrcition et la traîtrise ?

Brusquement, C’baoth éclata de rire. C’était la dernière réaction à laquelle Mara se serait attendue et, sous l’effet de la surprise, ses muscles furent momentanément tétanisés.

Dans ce bref instant, le Maître Jedi frappa.

Le caillou lancé de nulle part frappa la main de Mara avec une violence qui la laissa paralysée. Le blaster fut projeté dans l’obscurité et la douleur jaillit dans son bras.

— Attention ! cria-t-elle à Skywalker tout en se jetant au sol à la recherche de son arme, tandis qu’un autre caillou passait en sifflant près de son oreille. Il y eut un claquement, puis un grésillement, et l’éclat blanc vert du sabrolaser de Skywalker inonda la cour.

— Mettez-vous à l’abri derrière l’aile. Je vais le retenir.

Le souvenir de Myrkr traversa l’esprit de Mara. Mais, à l’instant où elle ouvrait la bouche pour le mettre en garde, il s’avança pour échapper à l’influence de l’ysalamir et retrouver l’usage de la Force. Il leva son sabre sur le côté et elle entendit deux chocs violents quand la lame de lumière intercepta deux cailloux volants.

C’baoth riait toujours. Il leva la main et projeta sur eux un éclair bleu.

Skywalker le bloqua avec son sabre et, une seconde, la lame blanc-vert fut entourée d’une couronne bleutée. Il bloqua encore deux autres décharges.

À tâtons, Mara sentit enfin sous ses doigts quelque chose de métallique : son blaster. Elle le saisit et le braqua sur C’baoth…

Et, dans une grande nappe de feu laser, la scène parut s’embraser sous ses yeux.

Elle avait oublié le droïd qui veillait dans l’aile X. Et C’baoth aussi, à ce qu’il semblait.

— Skywalker ? appela-t-elle dans la brume mauve et l’odeur piquante d’ozone. Où êtes-vous ?

— Là, près de C’baoth. Il vit encore.

— Ça, on peut s’en occuper, grommela-t-elle.

Elle se fraya un chemin entre les sillons bouillonnants que le tir du canon laser avait tracés dans le sol.

C’baoth gisait sur le dos. Il était inconscient mais respirait encore. Skywalker était penché sur lui.

— Il n’est même pas brûlé, murmura Mara. Très impressionnant.

— D2 n’a pas tiré pour le tuer, fit Skywalker en promenant les doigts sur le visage du vieillard. C’est probablement le choc sonique qui l’a assommé.

— Ou simplement parce qu’il est tombé sous l’effet de l’onde de choc, acquiesça Mara.

Elle pointa son blaster sur le corps immobile.

— Écartez-vous. Je vais l’achever.

Skywalker leva les yeux sur elle.

— Non, nous n’allons pas le tuer. Pas comme ça.

— Vous préférez qu’il se réveille et reprenne le combat ? – Nous n’avons pas besoin de le tuer. Nous serons loin de Jomark avant qu’il ne reprenne conscience.

— On ne laisse pas un ennemi derrière soi, dit-elle d’un ton roide. Pas quand on souhaite vivre.

— Mara, il n’est pas nécessairement un ennemi, insista Skywalker avec cette sincérité qui irritait tellement Mara. Il est malade. On pourra peut-être le guérir.

— Vous n’avez pas entendu ce qu’il disait avant que vous apparaissiez ? Il est complètement fou, d’accord, mais il y a plus que ça. Il est très puissant et plus dangereux que vous ne le croyez (Elle hésita.) Il a parlé comme l’Empereur et Vador.

Un muscle trembla sur le visage de Skywalker.

— Vador était loin dans le côté sombre, dit-il. Il a pourtant su briser ce lien pour revenir. C’baoth pourra peut-être faire de même.

— Je ne parierais pas là-dessus.

Mais elle rengaina son blaster : ils n’avaient pas le temps de poursuivre cet argument. Et puis, elle avait besoin de l’aide de Skywalker, ce qui lui donnait à lui le droit de veto pour ce genre de décision.

— Mais rappelez-vous : si vous vous trompez, c’est vous qui recevrez le premier coup de poignard dans le dos.

— Je sais. (Il jeta un dernier regard à C’baoth, puis se tourna vers elle.) Vous avez dit que Karrde avait des ennuis…

— Oui, acquiesça Mara, soulagée de changer de sujet.

Ils avaient évoqué l’Empereur et Vador, et elle venait de se rappeler son cauchemar récurrent.

— Le Grand Amiral l’a capturé. Il faut que nous le fassions évader.

Elle se prépara à ses protestations mais, à sa grande surprise, il se contenta d’acquiescer en se redressant.

— D’accord. On y va.

 

D2 annonça le décollage d’une dernière lugubre plainte électronique, et l’aile X disparut en un éclair.

— Je pense qu’il n’est pas content, dit Luke en coupant le communicateur. Mais je crois avoir réussi à le persuader de rentrer tout droit à la maison.

— Vous feriez bien d’en être certain, dit Mara, les yeux fixés sur l’écran de navigation. S’infiltrer dans un dépôt de l’Empire, c’est déjà assez dur comme ça, mais avec une aile X de la Nouvelle République en remorque.

— C’est vrai, fit-il en lui lançant un regard en biais.

Il se demanda si le fait de monter avec elle dans le Skipray était une des meilleures choses qu’il eût faites récemment.

Mara avait déposé l’ysalamir à l’arrière et il sentait sa haine en arrière-plan de sa conscience, comme un feu à demi éteint. Elle était imprégnée de souvenirs agréables de l’Empereur, celui qui avait éduqué Mara, et il se demanda brièvement s’il n’était pas pris dans quelque piège compliqué destiné à le supprimer.

Mais Mara semblait maîtriser sa haine, et il ne décelait pas de traîtrise en elle.

Mais il n’en avait pas décelée non plus chez C’baoth, jusqu’à ce qu’il soit presque trop tard.

Il s’agita dans son siège, gêné à l’idée de l’aisance avec laquelle il s’était laissé abuser par la comédie de C’baoth. Mais après tout, se dit-il, cela n’avait pas été qu’une comédie. L’instabilité émotionnelle du Maître Jedi était authentique – il était au moins convaincu de ça. Et même si cette instabilité n’allait pas jusqu’à la folie que Mara avait évoquée, on pouvait considérer C’baoth comme un malade.

Et si elle disait vrai en prétendant que C’baoth travaillait avec l’Empire…

Je lui enseignerai des pouvoirs que vous ne sauriez imaginer, avait déclaré C’baoth en parlant de Leia. Sur Endor, quand il s’était adressé à Luke, Vador n’avait pas exactement prononcé ces paroles, mais leur sens obscur avait été le même. Quoi qu’ait pu être C’baoth dans le passé, il ne faisait aucun doute dans l’esprit de Luke que le Maître Jedi s’était engagé dans le chemin qui menait au côté sombre.

Pourtant, il avait été capable de faire rebrousser chemin à Vador. Était-ce de l’orgueil que de croire qu’il pouvait faire de même avec C’baoth ?

Il chassa cette idée. Même si le destin de C’baoth était mêlé au sien, de tels affrontements étaient encore trop loin dans l’avenir pour qu’il pût déjà dresser des plans. Pour l’immédiat, il devait se concentrer sur la tâche qui les attendait, et laisser le futur à la Force.

— Comment le Grand Amiral a-t-il réussi à trouver Karrde ? demanda-t-il. Elle avait les lèvres serrées et il devina le sentiment de culpabilité qu’elle éprouvait.

— Ils avaient mis une balise sur mon vaisseau. Et je les ai conduits tout droit jusqu’à son refuge.

Luke hocha la tête. Il repensait au sauvetage de Leia et de leur fuite désespérée de l’Étoile Noire à bord du Faucon.

— Ils nous ont fait le même coup, dit-il. C’est comme ça qu’ils ont trouvé la base de Yavin.

— Si l’on considère ce que ça leur a coûté, je ne pense pas que vous receviez des plaintes, fit Mara, sarcastique.

— Je ne pense pas que cela ait plu à l’Empereur, murmura Luke.

— Non, fit Mara, la voix chargée de souvenirs. Et Vador a bien failli mourir à cause de cette bévue. (Elle regarda délibérément les mains de Luke.) C’est là qu’il a perdu sa main droite, en fait.

Luke plia les doigts de sa main droite artificielle, et perçut comme un écho fantôme de la douleur déchirante qu’il avait ressentie quand le sabre de Vador avait tranché sa peau, ses muscles, puis les os. Un fragment d’un aphorisme de Tatooine lui traversa l’esprit : il y était question du mal que l’on transmettait d’une génération à la suivante…

— Et quel est notre plan ? demanda-t-il.

Mara inspira profondément et il devina l’effort qu’elle faisait pour rejeter le passé.

— Karrde est détenu à bord du vaisseau-amiral de Thrawn, le Chimaera. Selon leur plan de vol, ils vont se ravitailler dans le système de Wistril dans quatre jours. En forçant un peu, nous pourrons être sur place quelques heures avant eux. Nous planquerons le Skipray, nous prendrons l’une des navettes de ravitaillement, et nous suivrons les autres.

Luke réfléchit un instant. Cela semblait compliqué, mais pas si ridicule que ça.

— Et que se passera-t-il quand nous serons à bord ?

— La procédure impériale standard est d’interdire à tous les équipages des navettes de sortir pendant que les équipes du Chimaera procèdent au déchargement. Ou du moins, il en était ainsi il y a cinq ans. Ce qui implique une diversion si nous voulons quitter la navette. – Ça me semble risqué, fit Luke en secouant la tête. Nous n’avons pas intérêt à attirer l’attention.

— Vous avez une meilleure idée ?

Il haussa les épaules.

— Pas pour l’instant. Mais il nous reste encore quatre jours. On va bien trouver.