Chapitre 5
Mara achevait les derniers montages de son tableau de communication. Elle déclara à Karrde sur le ton de la conversation :
— Pardonnez-moi, mais s’il s’agit vraiment d’une planque, elle ne sent pas bon.
Karrde haussa les épaules avant d’extraire un senseur de sa boîte et de l’installer sur la table de côté avec divers matériels.
— Je dois reconnaître que ça n’est pas Myrkr. D’un autre côté, ça offre quelques compensations. Qui irait chercher le repaire d’un contrebandier au milieu d’un marécage ?
Elle glissa la main sous la manche bouffante de sa tunique afin de réajuster l’étui du minuscule blaster fixé sur son bras gauche.
— Je ne parle pas de l’odeur qui monte du vaisseau, mais de cet endroit, dit-elle.
— Ah… Cet endroit. (Karrde se tourna vers une fenêtre.) Je ne sais pas. Il est sans doute un peu fréquenté, mais cela offre aussi des compensations.
— Un peu fréquenté ? fit Mara en écho.
Elle observait l’alignement des grandes bâtisses beiges, à moins de cinq mètres de là, et la cohue d’humains et d’étrangers aux tenues bigarrées.
— Vous appelez ça « un peu fréquenté » ?
— Calmez-vous, Mara. Sur une planète où les seuls lieux habitables sont quelques vallées encaissées, il est évident qu’il y a risque de surpopulation. Les gens d’ici s’y sont habitués et ils ont appris à respecter l’intimité des autres. Et, de toute manière, si les autres venaient renifler par ici, ça ne leur apporterait pas grand-chose.
— Ce n’est pas une carapace de verre miroir qui arrêtera un bon senseur, rétorqua Mara. Et la foule est une couverture idéale pour les espions de l’Empire.
— Les Impériaux ne savent pas où nous trouver. (Karrde s’interrompit et lui décocha un regard étrange.) À moins que vous n’en sachiez plus.
Mara se détourna. Ce serait donc comme ça, cette fois. Ses précédents employeurs avaient réagi par la peur à ses bizarres intuitions, ou par la colère, ou encore la haine à l’état pur. Karrde, lui, optait pour une honnête exploitation.
— Je ne peux pas activer ou éteindre ça comme un bloc senseur, dit-elle enfin. Je ne peux plus.
— Ah… (Cette simple interjection signifiait qu’il comprenait. Mais pas le ton qu’il avait employé.) Intéressant. Est-ce une séquelle de quelque formation Jedi ?
Elle se retourna pour le fixer.
— Parlez-moi des vaisseaux.
Il fronça les sourcils.
— Pardon ?
— Les vaisseaux, répéta-t-elle. Ces bâtiments de ligne que vous avez pris grand soin de ne pas mentionner devant le Grand Amiral Thrawn quand il nous a rendu visite sur Myrkr. Vous aviez promis de m’en parler en détail plus tard. Nous sommes plus tard.
Il la dévisagea avec un léger sourire.
— D’accord. Avez-vous jamais entendu parler de la flotte Katana ?
Elle dut chercher un instant dans sa mémoire.
— C’était ce groupe que l’on appelait également la Force Sombre, n’est-ce pas ? Deux cents cuirassés lourds qui ont été perdus dix ans avant que les Guerres Cloniques n’éclatent. Tous ces vaisseaux étaient équipés d’un circuit d’asservissement absolu d’un nouveau type. Dès qu’il y a eu une anomalie dans le système, la flotte tout entière est partie en luminique et a disparu.
— C’est presque ça, dit Karrde. Les cuirassés, précisément à cette époque, avaient des équipages extravagants de seize mille hommes. Le circuit d’asservissement absolu des vaisseaux de la flotte Katana avait ramené ce chiffre à deux mille environ.
Mara repensa aux quelques rares cuirassés qu’elle avait vus.
— C’est le genre de conversion qui a dû coûter cher, dit-elle enfin.
— Absolument. (Karrde hocha la tête.) Tout particulièrement parce qu’ils étaient utilisés autant pour les relations publiques que pour des actions militaires. On redécorait les intérieurs à chaque occasion, l’équipement, le mobilier, tout, jusqu’à l’émail gris sombre des coques. C’est ce qui a été à l’origine de ce surnom : « La Force Sombre », d’ailleurs. Quoique certains prétendent que c’est à cause de l’éclairage intérieur qui était devenu nettement plus discret avec des équipages de deux mille hommes. En tout cas, l’Ancienne République a démontré de manière éclatante l’inefficacité d’une flotte sous circuit d’asservissement absolu.
— Ça, on peut le dire, fit Mara.
— Je suis d’accord. Mais le problème ne résidait pas dans le circuit d’asservissement. Les archives sont floues – elles ont été coupées par les responsables de l’époque – mais il semble que quelques membres d’équipage aient été attaqués par un virus en relâchant dans un port lors de leur première croisière. Les deux cents vaisseaux auraient été atteints par le virus à l’état latent, ce qui explique que presque tous aient été touchés en même temps quand l’épidémie s’est déclenchée.
Mara frissonna. Elle avait entendu parler de planètes dont les populations avaient été dévastées par des épidémies virales avant les Guerres Cloniques, avant que la science de l’Ancienne République, puis l’Empire, plus tard, aient appris à lutter contre ces fléaux.
— Les équipages, dit-elle, ont donc été décimés avant de pouvoir être secourus.
— En quelques heures apparemment, quoique ce ne soit qu’une supposition scientifique. Mais le désastre s’est transformé en débâcle, parce que ce virus avait la charmante particularité de rendre fous ses victimes avant qu’elles ne meurent. Les derniers survivants ont tenu assez longtemps pour asservir tous les vaisseaux de la flotte… ce qui signifie que lorsque l’équipage du vaisseau de commandement du Katana a sombré dans la folie, toute la flotte l’a suivi.
— Je m’en souviens maintenant, fit Mara en hochant lentement la tête. On suppose que cela serait à l’origine du grand mouvement vers la décentralisation des fonctions automatiques des vaisseaux. Les grands ordinateurs tout puissants ont été remplacés par des centaines de droïds.
— Ce mouvement était déjà amorcé, dit Karrde, mais le fiasco de la flotte Katana n’a fait que précipiter l’issue. Quoi qu’il en soit, la flotte entière a disparu quelque part dans l’espace interstellaire et nul n’en a plus jamais entendu parler. La catastrophe est restée un moment à la une des informations, et les médias ne se gênaient pas pour ironiser et faire des jeux de mots à propos de la « Force Sombre ». Pendant plusieurs années, les équipes de sauvetage se sont excitées avec plus d’enthousiasme que de bon sens. De toute façon, l’Ancienne République avait trop de problèmes à cette période.
— Bien, fit Mara, qui comprenait où Karrde voulait en venir. Et comment l’avez-vous retrouvée ?
— Par accident. Purement et simplement. À vrai dire, je n’ai compris ce que j’avais retrouvé que plusieurs jours après. Et je suppose qu’aucun membre de l’équipage n’en a jamais rien su.
Le regard de Karrde se perdit dans le souvenir.
— C’était il y a plus de quinze ans, fit-il en se frottant nerveusement les mains. Je travaillais en tant que navigateur/senseur pour un petit groupe de contrebande. On venait de manquer une récupération et, en revenant, on est tombés sur deux croiseurs Carrack. On s’en est tirés, mais comme je n’avais pas eu le temps d’effectuer un calcul luminique complet, nous sommes repassés en espace réel une demi-année-lumière plus loin pour revoir les données. Imaginez notre surprise quand nous avons découvert deux cuirassés lourds droit devant nous.
— Des épaves à la dérive.
Karrde secoua la tête.
— Pas exactement. Et c’est bien ce qui m’a tourmenté tous ces jours-ci. Apparemment, ils semblaient totalement opérationnels. Toutes les lumières brillaient à bord et il y avait un senseur qui fonctionnait. Mais, tout naturellement, nous en avons déduit qu’ils faisaient partie du groupe avec lequel nous avions eu un accrochage, et le commandant a décidé de sauter en urgence en luminique.
— Ça, ce n’était pas une très bonne idée, murmura Mara.
— Sur le moment, fit Karrde d’un air sombre, il fallait choisir entre deux périls. Mais, cette fois-là, l’erreur a bien failli nous êtes totalement fatale. Notre vaisseau a heurté la masse d’une grosse comète. Le moteur d’hyperdrive principal a sauté, et tout le reste du vaisseau a bien failli y rester. Cinq membres de notre équipage ont été tués, et trois autres sont morts plus tard de leurs blessures avant que nous ayons pu rallier la civilisation grâce à l’hyperdrive secondaire.
— Combien y a-t-il eu de survivants ? demanda Mara après un instant de silence.
Il la regarda avec son habituel sourire sardonique.
— Ah oui… Vous voulez dire : qui est au courant de ça ?
— Si vous tenez à formuler la question de cette manière…
— Nous étions six. Mais, comme je l’ai déjà dit, je ne pense pas que les autres aient compris ce que nous avions découvert. Ça n’est que lorsque j’ai repris les enregistrements du senseur et découvert qu’il y avait plus que deux cuirassés lourds dans ce secteur que j’ai commencé à avoir des soupçons.
— Et les enregistrements ? …
— Je les ai effacés. Après avoir mémorisé les coordonnées, bien entendu.
— Et vous dites que cela remonte à quinze années ?
— Exactement. J’ai souvent pensé à retourner là-bas, mais jamais je n’en ai eu le temps. Débarquer sur le marché libre avec deux cents cuirassés lourds, ça demande un peu de préparation. Et encore faut-il que le marché soit en mesure de les absorber, ce qui a toujours été assez problématique.
— Jusqu’à aujourd’hui.
Il haussa un sourcil.
— Êtes-vous en train de me suggérer de les vendre à l’Empire ?
— Ils cherchent activement des bâtiments de ligne, lui rappela Mara. Et ils en offrent vingt pour cent de plus que leur valeur réelle.
— Je croyais que vous n’aviez pas d’intérêt particulier pour l’Empire.
— C’est exact. Mais quelle autre option avons-nous : les offrir à la Nouvelle République ?
Il soutint son regard.
— À long terme, ce serait sans doute plus profitable.
Mara sentit ses doigts se crisper. Si les cuirassés lourds tombaient aux mains de la Nouvelle République, héritière de cette Alliance Rebelle qui avait détruit son existence… C’était là une pensée insupportable. Mais, d’un autre côté, l’Empire sans Empereur n’était plus qu’une pâle copie de ce qu’il avait été et méritait à peine son nom. Offrir les cuirassés de la Force Sombre aux Impériaux, ce serait donner des perles aux pourceaux.
À moins que ? … Avec un Grand Amiral à la tête de la Flotte Impériale, l’Empire avait peut-être une chance de retrouver sa gloire passée. Et si c’était le cas…
— Que comptez-vous faire ? demanda-t-elle à Karrde.
— Rien pour le moment. Après tout, nous avons affronté le même problème avec Skywalker : l’Empire, si nous prenons le parti de nous dresser contre lui, sera plus rapide et précis dans sa vengeance, mais, à terme, il paraît probable que la Nouvelle République triomphera. En offrant à Thrawn la flotte Katana, nous ne ferions que retarder l’inévitable. Non, l’attitude la plus prudente est de rester neutre.
— Mais si nous donnions les cuirassés lourds à Thrawn, nous ne l’aurions plus aux trousses. Ce qui peut être un marché intéressant.
Un sourire fugace passa sur le visage de Karrde.
— Voyons, Mara ! … Il est possible que le Grand Amiral soit un stratège génial, mais il n’a rien d’omniscient. Il ne sait pas où nous retrouver. Et il a sans doute mieux à faire qu’à lancer ses unités à notre recherche.
— Oui, je veux bien l’admettre, fit Mara avec réticence.
Mais elle ne pouvait s’empêcher de se rappeler comment l’Empereur, au faîte de son pouvoir, avec des milliers d’autres problèmes en face de lui, avait su, souvent, se venger très précisément de tel ou tel qui avait provoqué sa colère.
Son buzzer l’arracha à ses pensées et elle appuya sur la touche de contact.
— Oui ?…
— Lachton, dit une voix de femme. Est-ce que Karrde serait dans les parages ?
— Oui, je suis la, fit Karrde en s’avançant. Comment se comporte notre camouflage ?
— C’est presque terminé. Mais nous sommes un peu à court de filet-éclair. Est-ce qu’il en reste ?
— Oui, dans un des dépôts, fit Karrde. Je vais envoyer Mara. Est-ce que tu as quelqu’un pour le récupérer ?
— Bien sûr, pas de problème. Je mets Dankin sur ce coup. Il n’a pas grand-chose à faire ici.
— Bon. Le filet sera prêt quand il arrivera.
Sur un geste de Karrde, Mara coupa la communication.
— Vous savez où se trouve le dépôt Numéro Trois ? lui demanda-t-il.
Elle acquiesça.
— Oui. Au 412 de la rue Wozwashi. À trois blocs vers l’ouest, et deux au nord.
— Exact. Malheureusement, il est encore trop tôt pour que des véhicules antigrav s’aventurent dans les rues. Il va falloir y aller à pied.
— Ça me va, dit Mara. (Elle avait besoin d’un peu d’exercice, de toute façon,) Deux boîtes, ça suffira ?
— Si vous parvenez à les porter, dit-il en la toisant afin de vérifier qu’elle correspondait aux normes de propriété de Rishi.
Mais il n’avait pas à s’inquiéter : longtemps auparavant, l’Empereur avait enseigné jour après jour à Mara à savoir se fondre dans l’environnement.
— Sinon, Lachton pourrait en prendre une.
— D’accord. À plus tard.
Leur maison faisait partie d’un des blocs qui bordaient les centaines de petits marchés du fond de la vallée. Un instant, Mara s’arrêta dans l’entrée, à l’écart du flot des piétons, et regarda autour d’elle. Entre les immeubles les plus proches, elle distinguait les confins de la vallée. Tous les bâtiments avaient été construits avec la même pierre blanc crème, tellement appréciée des habitants. Elle apercevait quelques petites constructions accrochées de manière précaire sur les pics montagneux qui mordaient le ciel de tous côtés. Elle savait que, dans ces hauteurs sauvages, vivaient les tribus des Rishii. Sans nul doute, ces volatiles libres comme le vent devaient-ils considérer avec une perplexité amusée ces créatures étranges qui avaient élu domicile dans les recoins les plus torrides et les plus humides de leur monde.
Rabaissant les yeux sur la rue, Mara examina rapidement les alentours immédiats. Le flot habituel de piétons multicolores qui allaient et venaient entre la rue et le marché, plus à l’est, la séparait des autres immeubles. Son regard courut sur les fenêtres. Toutes étaient en verre miroir et ne révélaient rien. Pensive, elle explora alors les étroites ruelles piétonnes entre les immeubles.
Tout au fond de l’une d’elles, à peine visible, il y avait une silhouette : celle d’un homme vêtu d’une tunique verte à motif avec une écharpe bleue.
Il regardait droit dans sa direction.
Mara laissa dériver son regard comme si elle ne l’avait pas remarqué, mais son cœur battait soudain plus fort. Elle quitta le porche et plongea dans la foule, se dirigeant vers le marché.
Elle n’y demeura pas longtemps. Dès qu’elle ne fut plus dans le champ visuel du mystérieux guetteur, elle se fraya un chemin dans la cohue et rebroussa chemin en direction des résidences. À trois immeubles de la ruelle où elle avait surpris le guetteur, elle plongea dans l’ombre d’une allée et se précipita vers l’arrière. Si l’autre surveillait l’appartement de Karrde, elle avait une chance de le surprendre…
Elle contourna les immeubles… pour découvrir que sa proie s’était envolée.
Un moment, elle resta là, en quête du moindre signe qui pourrait la mettre sur la piste de l’homme. Mais elle ne percevait plus ce picotement dans son esprit qui l’avait averti de fuir Myrkr à la dernière seconde. Mais, ainsi qu’elle l’avait dit à Karrde, ce n’était pas un talent que l’on déclenchait comme ça…
Elle observa le sol. À l’endroit où s’était tenu le guetteur, il y avait des traces de pas dans la fine couche de poussière : apparemment, l’homme était demeuré là suffisamment longtemps pour faire quelques pas afin de se détendre. Plus loin, la marque d’une semelle indiquait nettement l’ouest.
Mara regarda dans cette direction avec un rictus. Il avait fait cette empreinte délibérément : elle était trop nette. Et elle ne se trompait pas. À une centaine de mètres, elle découvrit son homme qui arpentait avec désinvolture une ruelle orientée nord-sud. Oui, c’était bien lui, avec sa tunique verte et son écharpe bleue. Il l’invitait sans subtilité à le filer.
D’accord, l’ami, décida-t-elle. Tu veux jouer ? Eh bien, on va jouer.
Elle n’était plus qu’à quatre-vingt-dix mètres de lui peut-être quand il rejoignit le flot des passants et s’orienta vers le nord. Une autre invite évidente, afin qu’elle puisse se rapprocher.
Mais Mara n’avait pas l’intention de le suivre dans ce piège. Elle avait mémorisé la topographie de la ville durant leur première journée ici, et il était évident qu’il voulait l’attirer vers les zones industrielles moins peuplées, au nord, là où il pourrait l’agresser sans témoins. Si elle pouvait arriver sur les lieux avant lui, elle pourrait retourner les choses à son avantage. Elle vérifia encore une fois la position de son mini-blaster, enfila une ruelle sur sa droite, et courut droit vers le nord.
La vallée s’étirait sur près de cent cinquante kilomètres, orientée est-ouest, mais, dans ce secteur nord-sud, elle ne mesurait guère que quelques kilomètres. Mara allait d’un pas vif, évitant les groupes de passants et, peu à peu, les immeubles et les boutiques cédèrent la place à des industries légères. Finalement, elle décida qu’elle était à bonne distance. Si sa proie avait continué comme un homme qui ne tient pas à semer son suiveur, elle disposait de quelque temps pour lui préparer une petite réception.
Elle risqua un coup d’œil prudent dans la rue qu’il devait avoir suivie, et le découvrit accroupi derrière une pile de barriques. Il lui tournait le dos, son écharpe bleue rejetée en arrière, une main apparemment crispée sur une arme. Il attendait sans aucun doute qu’elle tombe dans son piège. Travail d’amateur, songea-t-elle avec un rictus de mépris. Sans le quitter des yeux, sans même se donner la peine de dégainer son blaster, elle s’avança en silence.
— Ça ira comme ça, lança une voix moqueuse dans son dos.
Elle se figea sur place. Le personnage à l’écharpe bleue, derrière les barriques, n’esquissa pas un geste. Elle réalisa alors qu’il resterait pour toujours immobile. En embuscade éternelle.
Elle se retourna lentement, les bras écartés des hanches. L’homme qu’elle découvrit était de taille moyenne, plutôt robuste, la peau sombre, le regard songeur.
Sous sa tunique, elle vit qu’il portait un gilet blindé léger. Il pointait un blaster sur elle.
— Eh bien, ricana-t-il, qui voilà donc ? C’était grand temps, je dois dire… Je commençais à me demander si vous ne vous étiez pas perdue quelque part.
— Qui êtes-vous ?
— Oh, non, ma belle rousse, c’est moi qui pose les questions. Quoique ce ne soit guère utile. Cette perruque que vous portez m’en dit suffisamment. Vous auriez dû vous en débarrasser. Ou alors la teindre. C’est un véritable phare.
Mara inspira à fond et laissa ses muscles se détendre.
— Qu’attendez-vous de moi ?
— Ce que n’importe quel homme désire, fit l’autre avec un sourire rusé. Un gros tas d’argent.
Elle secoua la tête.
— Dans ce cas, je crains que vous ne vous soyez trompé de personne. Je n’ai que cinquante crédits sur moi.
Le sourire de l’autre s’élargit.
— Comme c’est drôle, ma Rouquine. Mais tu perds ton temps. Je sais qui tu es. C’est tes copains qui vont me rendre riche. Allez… On y va.
Mara ne bougea pas.
— On pourrait peut-être conclure un marché, suggéra-t-elle.
Une gouttelette de sueur descendait entre ses omoplates. Elle savait qu’elle ne devait pas se laisser abuser par l’attitude et le langage désinvoltes du type : il savait très bien ce qu’il faisait.
D’un autre côté, à son avantage, elle avait son mini-blaster. Son adversaire devait être loin de penser qu’une arme aussi puissante pouvait avoir cette taille. Et, jusqu’à présent, il ne l’avait pas fouillée.
Mais, si elle devait prendre l’offensive, c’était maintenant, tout de suite, pendant qu’elle l’avait encore en face d’elle. Mais, malheureusement, avec les mains écartées, il lui était impossible d’esquisser un mouvement. Elle devait donc détourner son attention.
— Un marché, hein, vraiment ? fit-il d’un ton traînant. Et quel genre ?
— Qu’est-ce qui te conviendrait ? répliqua-t-elle.
Si seulement il y avait eu un emballage à proximité, elle aurait pu le cueillir avec son pied. Mais elle ne vit rien qui convenait. Ses bottines étaient serrées aux chevilles, et il lui serait impossible de s’en dégager sans qu’il le remarque. Elle fit rapidement l’inventaire des trucs qu’elle portait, sans rien trouver d’utilisable.
Mais le programme de formation intensive de l’Empereur avait prévu des manipulations directes de la Force en même temps que l’éducation de ses capacités de communication à longue distance qui l’avaient fait remarquer. Ces talents avaient disparu avec sa mort, pour revenir brièvement, et de façon aléatoire, des années plus tard.
Mais si ses intuitions et ses frémissements de l’esprit étaient revenus, la Force elle-même était peut-être de retour, elle aussi…
— Je suis certaine que nous pouvons t’offrir le double de ce qui t’a été proposé, fit-elle. Et même rajouter un bonus.
Le sourire de l’autre devint un rictus mauvais.
— Très généreux de ta part, la Rouquine. Vraiment très généreux. Je suis sûr qu’il y a des tas de types qui sauteraient sur cette proposition. Mais moi… (Il leva son blaster…) je préfère les choses sûres.
— Même avec la moitié de la somme ?
À deux mètres derrière lui, Mara avait repéré un entassement de pièces métalliques. Et tout particulièrement un bout de tubulure qui semblait en position précaire sur le bâti d’une cellule énergétique à batterie.
Elle éclaircit ses pensées au maximum, serra les dents, et lança son esprit vers le bout de métal.
— Je dirais que la moitié d’un machin sûr, ça vaut mieux que la moitié de rien. Mais, de toute manière, faut pas que tu comptes doubler l’Empire.
Mara sentit sa gorge se serrer. Elle l’avait deviné dès les premières secondes, mais elle ne put réprimer un frisson.
— Nous disposons de moyens qui pourraient bien vous surprendre, fit-elle.
Et, dans le même instant, le bout de tube oscilla et roula sur quelques millimètres…
— Faut oublier tout ça, dit l’autre. Allez, ma Rouqine : avance.
Mara tendit l’index vers l’homme à l’écharpe bleue.
— Ça ne vous ferait rien de m’expliquer ? …
L’autre haussa les épaules.
— Qu’est-ce que tu veux que je te raconte ? Il me fallait un appât. Il était là au mauvais moment et au mauvais endroit. C’est comme ça… (Son sourire disparut.) Bon, on a assez bavardé, hein ? Tourne-toi et marche… À moins que tu aies envie de me cracher dessus : comme ça, j’aurai qu’à te descendre.
— Non, murmura Mara.
Elle fit appel à toutes ses forces, sachant que c’était là sa dernière chance.
Et, derrière l’autre, le segment de tubulure tomba avec un claquement étouffé.
Il réagit avec une rapidité remarquable. Il était déjà sur un genou, se retournait et arrosait les environs sans chercher à savoir qui pouvait l’attaquer. En une seconde, il prit conscience de son erreur et se retourna.
Mais Mara avait exploité cette seconde. Il recommençait à peine à ouvrir le feu quand elle le frappa en pleine tête.
Un instant, il resta là, le souffle court, les muscles tremblant. Elle attendit, puis rengaina son arme et s’agenouilla près de lui.
Comme elle s’y était attendu, elle ne trouva pas grand-chose. Une pièce d’identité – sans doute fausse – au nom de Dengar Roth, des clips de recharges pour son blaster, un couteau vibrolame, un bloc de données avec une carte, et de l’argent en monnaie impériale. Elle glissa la pièce d’identité et la carte sous sa tunique, abandonnant l’argent et les armes, et se redressa.
— Voilà ta moitié de rien, marmonna-t-elle. Profites-en bien.
Elle porta son regard sur le bout de tubulure qui lui avait sauvé la vie. Elle ne s’était pas trompée. De même que les intuitions, les instants de Force étaient revenus. Ce qui signifiait que les rêves n’allaient pas tarder à suivre.
Elle jura en silence. Elle ne pourrait que les supporter. Pour l’heure, elle avait des problèmes plus urgents. Elle jeta un dernier regard sur la scène, et rebroussa chemin.
Quand elle regagna la résidence, Karrde et Dankin l’attendaient. Dankin arpentait nerveusement la pièce.
— Ah, vous
voilà ! lança-t-il dès qu’elle franchit la porte arrière. Par
tous les diables … ?
— On a des ennuis, coupa Mara en tendant
les papiers de Dengar Roth à Karrde avant de se diriger vers la
salle de communications encore inachevée. Elle repoussa une boîte
de câbles, trouva un bloc de données et y inséra la
carte.
— Quel genre d’ennuis ? demanda Karrde qui l’avait suivie.
— Du genre chasseur de primes, fit-elle en lui présentant le bloc.
Le portrait de Karrde apparaissait au centre de l’écran, sous un 20 000 en gros caractères.
— Ça nous concerne tous. Du moins, tous ceux que connaît le Grand Amiral Thrawn.
— Alors je vaux vingt mille, murmura Karrde en parcourant la carte. J’en suis très flatté.
— Et c’est tout ce que vous trouvez à dire ?
Il la dévisagea.
— Qu’est-ce que vous attendiez ? Que je vous dise que vous aviez raison à propos de l’Empire et que c’était moi qui étais dans l’erreur ?
— Ça ne m’intéresse pas de savoir qui est responsable, fit-elle d’un ton roide. Ce que je désire savoir, c’est ce que nous allons faire.
Karrde consulta à nouveau le bloc de données, et son visage se tendit brièvement.
— Nous allons faire la seule chose qui soit prudente. Je veux dire que nous allons battre en retraite. Dankin, passe en sécurité et dis à Lachton d’aller tout récupérer. Tu peux rester ici pour nous aider, Mara et moi. Je veux que nous ayons quitté Rishi à minuit si possible.
— Compris, fit Dankin, qui composait déjà les codes de cryptage sur le clavier de communication.
Karrde rendit le bloc de données à Mara.
— Nous ferions bien de nous y mettre tout de suite.
Elle lui posa la main sur le bras.
— Et que se passera-t-il quand nous n’aurons plus de base ?
Il riva son regard au sien.
— Nous ne lâcherons pas les cuirassés sous la contrainte, fit-il d’une voix qui était à peine un murmure. Pas à Thrawn, ni à quiconque.
— Il se pourrait que nous y soyons contraints.
Son regard se fit plus dur encore.
— Nous pouvons garder le choix, rectifia-t-il. Mais nous n’y serons jamais forcés. Est-ce clair ?
Elle esquissa une grimace.
— Oui.
Mara avait parié avec elle-même qu’ils ne pourraient pas rassembler le matériel en moins de vingt-quatre heures. Elle constata avec une certaine surprise que les équipes avaient tout fini d’emballer une heure après minuit. Moyennant quelques généreuses donations aux fonctionnaires de l’astroport, ils quittèrent Rishi pour passer en vitesse luminique moins d’une heure après.
Plus tard cette même nuit, tandis que le Wild Karrde plongeait dans le ciel diapré de l’hyperespace, Mara retrouva les rêves.