Chapitre 14
L’une des vérités mineures concernant le vol interstellaire est que tout observateur apprend très vite qu’une planète vue de l’espace ne ressemble en rien à toutes les cartographies qui ont pu en être dressées. La couverture nuageuse, les ombres des montagnes, les effets de contraste des régions à végétation dense, les jeux de lumière tout contribue à déformer les tracés impeccables effectués par les ordinateurs de cartographie. Ce qui avait sans doute alimenté les innombrables plaisanteries à propos des navigateurs néophytes.
Luke fut donc particulièrement surpris, en abordant la planète Jomark, de découvrir que le continent principal correspondait exactement à la carte. Mais, il fallait bien l’avouer, il était plutôt petit.
Et là en bas, quelque part sur ce continent-carte parfait, songea-t-il, il y avait un Maître Jedi.
Sans quitter des yeux le territoire brun et vert qui se déployait sous l’aile X, Luke tapota sa console. Il sentait la présence de l’autre – en fait, il l’avait sentie depuis qu’il avait quitté l’hyperespace. Mais, jusqu’à présent, il n’avait pas établi de contact direct.
Maître C’baoth ? appela-t-il silencieusement. Je suis Luke Skywalker. M’entendez-vous ?
Aucune réponse. Ou bien il s’y prenait mal, ou C’baoth était dans l’incapacité de lui répondre… ou bien encore, il testait délibérément les dons de Luke. Il était d’accord.
— D2, dit-il, tu veux faire un balayage de senseur sur le continent principal ? Cherche les signes de technologie et les principaux centres de population. D2 émit quelques légers sifflements tout en filtrant les données de l’aile dans son programme algorithmique. Il lança quelques bips, et, dans le même temps, un réseau de points se surimposa à l’image.
— Merci, fit Luke en l’examinant.
Rien de surprenant : la population se concentrait sur le littoral. Mais quelques agglomérations étaient également visibles dans l’intérieur. Y compris un essaim de bourgades à proximité de la berge méridionale d’un lac presque parfaitement annulaire.
Il demanda un schéma de contour. Oui, ça n’était pas un lac ordinaire : il s’était apparemment formé au centre d’une montagne conique, qui avait laissé une île de vastes dimensions au centre. Probablement volcanique, si l’on considérait le terrain environnant.
Une région sauvage entourée de montagnes où un Maître Jedi avait pu vivre à l’abri depuis longtemps. Et des villages dispersés alentour, où il avait pu se manifester quand il était sorti de son isolement.
Un endroit idéal.
— D’accord, D2, on va se poser ici, dit-il en marquant la cible. Je pilote, tu surveilles les senseurs, et tu me préviens dès que tu détectes quelque chose d’intéressant.
D2 bippa une question inquiète.
— Oui, ou quoi que ce soit de suspect, acquiesça Luke.
D2 n’avait jamais admis que la dernière attaque de l’Empire ait été l’effet d’une pure coïncidence.
Ils plongèrent dans l’atmosphère et déclenchèrent les répulseurs à mi-chemin, juste en dessous des plus hauts pics des montagnes. À basse altitude, la région apparaissait comme assez tourmentée mais pas aussi désolée que Luke l’avait redouté. Dans les vallées, la végétation paraissait assez riche. Il discerna des maisons nichées dans les failles et, çà et là, des hameaux qui avaient échappé aux senseurs de l’aile X.
Ils approchaient du lac en venant du sud-ouest lorsque D2 repéra le manoir perché sur la crête.
— Je n’ai encore jamais vu une architecture pareille, commenta Luke. Tu as décelé des traces de vie ?
D2 pépia un instant : non – pas de conclusion.
— Bien, on va faire un premier essai, décida Luke en pianotant sur le clavier d’atterrissage. Si nous nous sommes trompés, ça nous vaudra tout au plus une bonne marche jusque dans la vallée. Le manoir se dressait dans une cour cernée par une clôture qui était visiblement plus faite pour la décoration que pour la protection. Luke se posa à quelques mètres du portail. Il était occupé à couper les systèmes lorsque D2 trilla un avertissement.
Une silhouette venait d’apparaître.
Luke sentit les battements de son cœur s’accélérer. L’homme, apparemment, était âgé. Il avait les cheveux gris et le vent soufflait dans sa longue barbe. Mais il était fermement campé, le regard vif, et les rafales de vent révélaient une poitrine aux muscles fermes.
Luke sauta hors du cockpit.
Le vieil homme n’avait pas bougé.
— Maître C’baoth, fit Luke en s’inclinant légèrement. Je suis Luke Skywalker.
L’autre eut un faible sourire.
— Oui, je sais. Bienvenue sur Jomark.
— Je vous remercie.
— Je vous attendais plus tôt, fit C’baoth comme s’il lisait dans ses souvenirs.
— Oui, j’en suis désolé. Depuis quelque temps, les événements semblent échapper à mon contrôle.
— Et pourquoi ?
La question surprit Luke.
— Je l’ignore.
Les yeux du Jedi se rétrécirent.
— Comment, vous l’ignorez ? Êtes-vous un Jedi, oui ou non ?…
— Eh bien… oui…
— Alors, vous devriez garder votre contrôle. Sur vous, et sur les autres, ainsi que sur les événements. Toujours.
— Oui, Maître, fit Luke avec prudence, en s’efforçant de dissimuler sa gêne. Les seuls autres Maîtres Jedi qu’il avait connus Obi-wan Kenobi et Yoda… mais jamais ils ne lui avaient parlé ainsi.
Durant un moment, C’baoth parut l’étudier. Puis, brusquement, son expression se fit moins dure.
— Mais vous êtes enfin là, dit-il. C’est le plus important. Ils n’ont pas pu vous arrêter.
— Non, ils ont essayé, cependant. J’ai bien dû essuyer quatre attaques des Impériaux depuis que je me suis mis en route.
C’baoth lui adressa un regard aigu. – Et elles étaient spécifiquement dirigées contre vous ?
— L’une d’elles. Quant aux autres, je me suis trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Ou peut-être au bon endroit au bon moment.
Le regard de C’baoth se fit lointain.
— Oui, murmura-t-il. Oui… Le mauvais endroit au mauvais moment. Telle est l’épitaphe de nombreux Jedi. C’est l’Empire qui les a détruits, savez-vous ?…
— Oui, je le sais, fit Luke. Dark Vador et l’Empereur les ont traqués.
— Et ils avaient avec eux un ou deux Jedi Sombres, fit C’baoth d’un ton sinistre et songeur. Comme Vador. J’ai affronté les derniers d’entre eux sur… (Il secoua lentement la tête.) Il y a si longtemps.
Luke acquiesça, mal à l’aise, comme s’il venait de poser le pied dans des sables mouvants. Il lui était difficile de suivre les changements d’humeur du Jedi et ses préoccupations bizarres. Était-ce le résultat de l’isolement de C’baoth ? Ou bien voulait-il mettre sa patience à l’épreuve ?
— Il y a longtemps, acquiesça-t-il. Mais les Jedi peuvent revivre. Et nous avons toujours une chance de tout reconstruire.
C’baoth reporta son attention sur lui.
— Oui, votre sœur, dit-il. Elle va donner le jour à des jumeaux Jedi, bientôt.
— Potentiellement Jedi, rectifia Luke, quelque peu surpris de savoir que C’baoth était au courant de la grossesse de Leia.
Les informateurs de la Nouvelle République avaient répandu la nouvelle, mais il avait cru que Jomark était bien trop à l’écart des grandes voies stellaires.
— À dire vrai, ajouta-t-il, les jumeaux sont la raison pour laquelle je suis là.
— Non. Vous êtes là parce que je vous ai appelé.
— Eh bien… Oui, peut-être, mais…
— Il n’y a pas de mais, Jedi Skywalker, fit C’baoth d’un ton sec. Être Jedi, c’est servir la Force. C’est par la Force que je vous ai appelé, et quand la Force vous appelle, vous devez obéir.
— Je comprends.
Mais Luke aurait aimé vraiment comprendre. C’baoth avait-il employé une image ? Ou bien était-ce encore un détail qui lui avait échappé durant son éducation de Jedi ? Un « appel » ?…
— Maître C’baoth, quand vous parlez d’un appel de la Force, que voulez-vous dire ?…
— Je vous ai appelé pour deux motifs. D’abord, afin de compléter votre éducation. Ensuite… parce que j’ai besoin de votre aide.
C’baoth esquissa un sourire. Il y avait de la lassitude dans ses yeux.
— J’approche du terme de ma vie, Jedi Skywalker. Bientôt, je vais accomplir le long voyage qui conduit de cette vie à ce qui trouve par-delà.
Luke sentit sa gorge se nouer.
— Je suis désolé.
— C’est le sort de toute vie, fit C’baoth avec un haussement d’épaules. Pour les Jedi comme pour les êtres inférieurs.
— Et comment puis-je vous aider ? demanda Luke.
— En apprenant avec moi. En vous ouvrant à moi. En absorbant ma sagesse, mon expérience et mon pouvoir. C’est ainsi que vous prolongerez mon existence et mon œuvre.
— Je vois, fit Luke, tout en se demandant à quoi l’autre faisait référence. Mais vous comprenez aussi que j’ai un travail à poursuivre…
— Et êtes-vous préparé ? Pleinement préparé ? Ou bien êtes-vous venu ici sans avoir rien à me demander ?
— En fait, oui. Je suis envoyé par la Nouvelle République pour requérir votre assistance dans le combat contre l’Empire.
— À quelle fin ?
Luke se renfrogna : il avait cru que les raisons étaient explicites.
— L’élimination de la tyrannie. Le rétablissement de la liberté et de la justice pour tous les êtres de la galaxie.
— La justice, grimaça C’baoth. N’allez pas chercher la justice chez les êtres inférieurs, Jedi Skywalker. (C’baoth le frappa deux fois du bout des doigts, au creux de la poitrine.) Nous sommes la véritable justice de cette galaxie. Nous deux, et le nouvel héritage Jedi qui nous suivra. Laissez les batailles mesquines aux autres, et préparez-vous pour l’avenir…
— Mais je… balbutia Luke. – De quoi ont donc besoin les jumeaux de votre sœur ?
— Ils ont besoin de… Eh bien, il leur faudra un jour un professeur, fit Luke avec une certaine réticence.
Il ne fallait pas toujours se fier aux premières impressions, il le savait. Mais il n’était pas du tout certain que le personnage qu’il avait devant lui fût le genre d’humain auquel il confierait l’éducation de sa nièce et de son neveu. C’baoth était trop imprévisible, à la limite de l’instabilité.
— Il est entendu que je serai chargé de leur éducation quand ils en auront l’âge, tout comme j’éduque Leia. Le fait d’être un Jedi ne signifie pas forcément que vous ferez un bon professeur. C’est le problème. (Il hésita.) Obi-wan Kenobi se faisait le reproche d’être responsable du fait que Dark Vador se soit tourné vers le côté sombre. Je ne voudrai pas que cela se répète avec les enfants de Leia. Je m’étais dit que vous pourriez peut-être m’enseigner les méthodes d’instructions Jedi appropriées…
— Ce serait du temps perdu, fit C’baoth avec une certaine violence. Amenez-les. Je les éduquerai.
— Oui, Maître. (Luke choisit ses paroles avec prudence.) J’apprécie votre offre. Mais, ainsi que je vous l’ai dit, j’ai du travail. Tout ce que je désire, ce sont certaines indications…
— Mais vous, Jedi Skywalker ? l’interrompit C’baoth. N’avez-vous donc pas besoin d’un complément d’éducation ? Dans le domaine du jugement, peut-être ?…
Luke serra les dents. Cette conversation le rendait beaucoup trop transparent, et ça ne lui plaisait guère.
— Oui, il est certain que j’ai encore à apprendre dans ce domaine, concéda-t-il. Je me dis parfois que le Maître Jedi qui m’a éduqué espérait que je saurais trouver le reste de moi-même.
— Il suffit simplement d’écouter la Force. (Un instant, le regard de C’baoth se fit vague.) Mais venez. Nous allons visiter les villages et je vous montrerai.
— Tout de suite ?
— Pourquoi pas ? J’ai demandé un véhicule. Il nous attend sur la route. (Le regard du Jedi se fixa un peu au-dessus de l’épaule de Luke.) Non, restez là !
Luke tourna la tête. D2 avait réussi à s’extraire de l’aile X et s’avançait sur la coque.
— Ce n’est que mon droïd, fit-il. – Je veux qu’il reste là où il est, insista C’baoth. Les droïds sont des abominations – des créations douées de raison mais qui ne font pas authentiquement partie de la Force.
Luke ne dit rien : si les droïds étaient uniques, il n’existait aucune raison de les qualifier d’abominations. Mais ce n’était ni le lieu ni l’heure pour en discuter.
— Je vais le ramener, fit-il avant de se ruer vers le vaisseau. Il fit appel à la Force et s’élança sur la coque.
— Désolé, D2, mais il va falloir que tu demeures ici. Viens : on rebrousse chemin.
D2 bipa d’un ton indigné.
— Je sais, et je suis désolé, fit Luke en replaçant le droïd dans son socle. Mais le Maître C’baoth ne veut pas te voir. Tu ferais aussi bien d’attendre ici – au moins, tu pourras toujours bavarder avec l’ordinateur de l’aile X.
Le droïd gazouilla en réponse, avec cette fois une note plaintive et inquiète.
— Mais non, je ne crois pas qu’il y ait le moindre danger, l’assura Luke. Si tu as quelque doute, tu peux toujours veiller sur moi avec les senseurs de l’aile X. (Il réduisit sa voix à un murmure.) Et à ce propos, je voudrais que tu me fasses un scanning complet du secteur. Essaie de voir si tu trouves de la végétation déformée. Comme ces arbres qui poussaient près de la grotte, sur Dagobah. D’accord ?
D2 lui répondit par un bip perplexe.
— Bien. À bientôt, fit Luke en se laissant retomber au sol.
« Je suis prêt, ajouta-t-il, à l’adresse de C’baoth.
Le Jedi acquiesça.
— Par ici, fit-il en s’avançant sur la pente.
Ils n’avaient pas parcouru plus de deux cents mètres lorsque le véhicule appelé par C’baoth arriva. C’était un vieux motospeeder SoroSuub qui tirait un char aux roues complexes. Le conducteur était un personnage de haute taille, efflanqué.
— Je crains que ce ne soit guère qu’un chariot de ferme amélioré, dit C’baoth en s’installant à côté de Luke. (Le véhicule était entièrement fait de bois mais les sièges étaient confortables,) Les artisans de Chynoo l’ont construit pour moi quand je suis arrivé ici. Le conducteur réussit à faire tourner l’attelage sur l’étroit sentier.
— Combien de temps avez-vous vécu seul auparavant ? demanda Luke.
— Je ne sais pas, fit C’baoth en secouant la tête. Le temps n’était pas mon grand souci. Je vivais, je méditais, je pensais. C’est tout.
— Mais vous vous souvenez de votre arrivée ici ? insista Luke. Après le Vol Extérieur, je veux dire…
Lentement, C’baoth se tourna vers lui, et son regard était de glace.
— Vos pensées vous trahissent, Jedi Skywalker. Vous cherchez à savoir si je n’étais pas un serviteur de l’Empereur.
Luke s’efforça d’affronter son regard.
— Le Maître qui m’a éduqué, m’a dit que j’étais le dernier Jedi. Il ne comptait pas Vador et l’Empereur dans sa liste.
— Et vous craignez que je sois un Jedi Sombre, n’est-ce pas ?
— Et l’êtes-vous ?
C’baoth sourit, et même, à la surprise de Luke, il se mit à rire. Cela faisait un effet étrange, dans ce visage tendu.
— Allons, Jedi Skywalker, dit-il enfin. Croyez-vous réellement que Joruus C’baoth – Joruus C’baoth – se tournerait vers le côté sombre.
Le sourire s’effaça.
— L’Empereur ne m’a pas détruit, Jedi Skywalker, pour la simple raison que durant la plus grande partie de son règne, j’étais hors de sa portée. Et après mon retour… (Il secoua la tête.) Il y en a un autre, savez-vous. En dehors de votre sœur. Ce n’est pas encore un Jedi. Mais j’ai senti des rides dans la Force. Des vaguelettes qui se formaient, puis retombaient.
— Oui, je sais à quoi vous faites allusion. Cette presque Jedi, je l’ai rencontrée.
C’baoth se tourna vers lui, le regard étincelant.
— Cette ?… souffla-t-il. Et vous l’avez rencontrée ?
— Je le crois, du moins, corrigea Luke. Je suppose qu’il est possible que quelqu’un d’autre puisse…
— Quel est son nom ?
Luke plissa le front, essayant de déchiffrer l’expression de C’baoth. Il sentait là quelque chose de déplaisant. – Elle déclare s’appeler Mara Jade.
C’baoth se laissa aller en arrière dans les coussins, le regard vague.
— Mara Jade, répéta-t-il doucement.
— Dites m’en plus à propos du Vol Extérieur, demanda Luke, décidé à ne pas se laisser détourner du sujet.
« Je me souviens que vous êtes partis de Yaga Minor, et que vous vouliez aller à la découverte d’autres civilisations hors de la galaxie. Qu’est-il arrivé au vaisseau et aux autres Maîtres Jedi qui étaient à son bord ?
C’baoth avait un regard perdu.
— Ils sont morts, bien sûr. Tous. Moi seul ai survécu. (Il fixa Luke.) Cela m’a changé, vous savez.
— Je le comprends. (Ainsi, se dit-il, cela pouvait expliquer l’étrange comportement de C’baoth. Quelque chose lui était arrivé durant ce vol.)
« Racontez-moi.
Un long moment, C’baoth garda le silence. Luke attendait patiemment, dans les cahots de l’attelage.
— Non, fit enfin C’baoth. Pas maintenant. Plus tard peut-être. Nous sommes arrivés.
Luke découvrit une dizaine de maisons modestes, puis d’autres encore, tandis que l’attelage s’avançait. Cinquante en tout, peut-être : de petits cottages dans lesquels se mêlaient des matériaux anciens et des éléments de technologie moderne.
Une vingtaine de personnes étaient occupées à des tâches diverses qu’elles interrompirent à l’arrivée de la motospeeder et de l’attelage. Ils s’arrêtèrent devant une sorte de trône de bois poli protégé par un pavillon en dôme.
— Je l’ai fait apporter du Haut Château, fit C’baoth. Je suppose que, pour ceux qui l’ont sculpté, c’était un symbole d’autorité.
— Et il sert à quoi désormais ? demanda Luke.
Le trône semblait déplacé, dans ces lieux rustiques.
— C’est là que je rends la justice à mon peuple, déclara C’baoth en descendant. Mais aujourd’hui, nous ne serons pas aussi cérémonieux. Venez.
Tout en suivant C’baoth dans le public immobile, Luke lança la Force.
Tous semblaient être surpris, respectueux, et dans l’attente d’un événement. Il ne décela aucune trace de peur : rien que de l’affection. – Vous êtes là depuis combien de temps ? demanda-t-il à C’baoth.
— Moins d’une année. Ils ont accepté très lentement ma sagesse, mais j’ai fini par les convaincre.
Les villageois étaient retournés à leur travail, mais ils ne quittaient pas les visiteurs du regard.
— Que voulez-vous dire ? insista Luke.
— Je les ai persuadés qu’il était de leur intérêt de m’écouter. Projetez vos sens, Jedi. (Il désigna le cottage qui se trouvait devant eux.) Dites-moi ce qu’il y a dans cette demeure, parlez-moi de ceux qui l’habitent.
Sans avoir même à focaliser son attention, Luke perçut la colère, l’hostilité, qui couvaient à l’intérieur. Et comme une étincelle d’envie de meurtre…
— Bon, hon… fit-il. Il faut vraiment que nous… ?
— Bien sûr que oui. Suivez-moi.
C’baoth ouvrit la porte. Luke le suivit, la main sur la poignée de son sabrolaser.
Deux hommes se trouvaient au centre de la pièce. L’un menaçait l’autre avec un long couteau. Ils se tournèrent vers les intrus.
— Pose ton couteau, Tarm, fit C’baoth d’un ton sévère. Et toi aussi, Svan.
Lentement, l’homme au couteau posa son arme sur le plancher. L’autre regarda C’baoth avant de revenir à son adversaire impuissant.
— Je t’ai dit de poser ton arme ! fit le Jedi.
L’homme sortit un pistolet de sa poche et le jeta près du couteau.
— C’est mieux ainsi, fit C’baoth. Maintenant, expliquez-moi.
Il écouta avec une apparente attention les salves d’accusations et de démentis des deux hommes. Luke attendait, tout en se demandant s’il allait bien pouvoir démêler les faits. Pour autant qu’il pût deviner, les deux hommes semblaient avoir des arguments égaux.
Mais ils se turent enfin.
— Parfait, dit C’baoth. Le jugement de C’baoth est le suivant : Svan paiera à Tarm l’intégralité des gages demandés. Le jugement est exécutable immédiatement.
Luke regarda tour à tour les deux villageois, bien conscient que le fait de discuter devant eux risquait de miner l’autorité que C’baoth avait réussi à établir. – Je pensais que vous pourriez proposer un compromis, dit-il.
— Il n’en est pas question, fit C’baoth avec fermeté. Svan est en défaut et il va payer.
— Oui, mais…
Luke surprit l’intention un éclair de seconde avant que Svan tente de récupérer son pistolet. Il avait déjà dégagé son sabre et l’avait allumé. Mais C’baoth fut le plus rapide. À l’instant où la lame blanche grésillait, il leva la main. Et, de l’extrémité de ses doigts jaillit une salve d’éclairs bleutés.
Svan fut atteint de plein fouet à la tête et à la poitrine. Il bascula en arrière avec un cri de douleur. C’baoth tira une seconde fois et le pistolet jaillit de la main de Svan dans une aura blanc-bleu.
Durant un instant, il n’y eut plus que les plaintes de l’homme effondré dans l’odeur d’ozone. Luke le contemplait avec horreur.
— C’baoth… !
— Vous m’appellerez Maître, répliqua le Jedi avec calme.
Luke se maîtrisa. Il rengaina son sabre et s’agenouilla auprès du blessé. Svan semblait souffrir, il était brûlé aux bras et au torse, mais il n’était pas gravement atteint Luke posa la main sur les traces de brûlures les plus importantes et appela la Force pour essayer d’apaiser les souffrances de l’homme.
— Jedi Skywalker, fit C’baoth. Il n’est pas mort. Retirons-nous.
— Mais il souffre.
— Il avait besoin d’une leçon, et la souffrance est un excellent professeur. Allez. À moins que vous n’ayez préféré que ce fût Tarm qui meurt ?
— Il existait d’autres moyens de l’empêcher.
C’baoth le fixa.
— Aucun dont il ne puisse se souvenir longtemps. Rappelez-vous cela. Jedi Skywalker : si l’on oublie votre justice, vous serez obligé de répéter les mêmes leçons plusieurs fois. Nous en avons fini ici.
Les étoiles brillaient dans le ciel quand Luke ouvrit la porte du Haut Château et sortit de la cour. D2 avait décelé son approche et, à la seconde où il refermait le battant, le droïd alluma les feux d’atterrissage de l’aile X.
— Hello, D2, fit Luke en grimpant jusqu’au cockpit. Je voulais juste savoir comment tu allais… et le vaisseau aussi.
D2 bipa avec une note assurée.
— Bien, fit Luke en scrutant rapidement les écrans et en demandant une vérification du statut général de l’aile X.
« Le scanning que je t’avais demandé a donné quelque chose ?
Cette fois, la réponse fut un peu moins optimiste.
— À ce point ?… fit Luke en hochant la tête. C’est ce qui se passe toujours quand on grimpe dans les montagnes.
D2 grommela sans humour avant de gazouiller une question.
— Ça, je l’ignore. Il nous faudra encore quelques jours au moins. Peut-être plus. Je ne le sais pas à vrai dire, D2. Tout cela est inattendu. Je suis allé sur Dagobah dans l’espoir de rencontrer un grand guerrier, et j’y ai trouvé le Maître Yoda. Et ici, alors que je m’attendais à trouver un Maître Jedi… je tombe sur Maître C’baoth.
D2 émit un gargouillis peu flatteur et Luke, devant la traduction, ne put s’empêcher de sourire.
— Oui, mais n’oublie pas que Maître Yoda, lui aussi, t’avait donné du fil à retordre lors de cette première rencontre.
Il se souvint avec émotion qu’il avait eu droit, lui aussi, au même genre de traitement.
Et qu’il avait raté son examen de passage.
D2 émit une trille critique.
— Là, tu as raison, fit Luke. Même lorsqu’il nous éprouvait, Yoda n’avait jamais cette dureté que montre C’baoth. À vrai dire, je ne sais pas, D2. Aujourd’hui, il a blessé quelqu’un gravement. Et il a prononcé un jugement dans une querelle où il n’avait rien à faire. Je n’imagine pas Ben ou Yoda agissant de cette façon. Mais il est un Jedi, tout comme eux. Alors, quel exemple suis-je censé suivre ?
Le petit droïd parut digérer lentement cette question. Puis, comme à regret, il gazouilla quelques notes.
— Oui, c’est évidemment la question qui se pose, fit Luke. Mais pour quelle raison un Jedi Sombre aussi fort que C’baoth s’amuserait-il à ce genre de jeu ? Pourquoi ne pas me tuer tout de suite et en finir ?… D2 poussa un horrible grognement électronique, et une liste de raisons se déroula sur l’écran. Il était évident qu’il avait consacré de longues secondes à réfléchir.
— D2, j’apprécie ta question, fit Luke avec l’espoir de le calmer. Mais je ne pense vraiment pas qu’il soit un Jedi Sombre. Il est capricieux et ombrageux, mais je ne sens pas autour de lui cette aura maléfique, comme chez Vador et l’Empereur. (Il hésita.) Je crois qu’il est plus probable que le Maître C’baoth est fou.
Pour la première fois, Luke découvrit que D2 pouvait rester sans voix. Il attendit une longue minute dans la plainte du vent sur les montagnes et le Haut Château.
Le droïd trilla enfin.
— Non, protesta Luke, je ne vois pas comment une pareille chose pourrait se passer. Mais j’ai mon idée… Après la mort de Ben, sur la première Étoile Noire… je me suis aperçu que je pouvais entendre sa voix, quelquefois, tout au fond de mon esprit. Et lorsque l’Alliance a dû évacuer Hoth, je l’ai vu.
D2 pépia.
— Oui, c’est avec lui que je parlais parfois sur Dagobah, admit Luke. Et ensuite, après la bataille d’Endor, j’ai revu non seulement Ben et Yoda, mais aussi mon père. Je n’ai pas parlé à Ben et Yoda, et je ne les reverrai sans doute jamais. Je crois que les Jedi, en mourant, sont capables de… Oh, comment dire ?… de s’ancrer à un autre Jedi ?…
D2 parut réfléchir sérieusement à cette hypothèse.
— Je n’ai jamais prétendu que c’était la théorie la plus solide de la galaxie, grogna Luke. Je suis peut-être complètement à côté de la question. Mais sinon, il est possible que les cinq autres Maîtres Jedi qui sont partis avec le Vol Extérieur aient pu s’ancrer en mourant à Maître C’baoth.
D2 sifflota d’un ton pensif.
— Oui, d’accord, fit Luke avec mélancolie, ça ne me gênait pas que Ben revienne – en fait, j’aurais aimé qu’il me parle plus souvent. Mais Maître C’baoth avait plus de pouvoir que moi. Et, avec lui, cela s’est peut-être passé différemment.
D2 poussa un bref gémissement et d’autres suggestions apparurent.
— D2, je ne peux pas le laisser comme ça. Pas quand je peux l’aider. Mais Dark Vador, se souvint-il, avait eu lui aussi besoin de son aide et il avait tenté de le sauver du côté sombre. Au prix de sa vie. Mais qu’est-ce que j’essaie de faire ? Je ne suis pas un guérisseur !
Luke ?
Il s’arracha à ses pensées.
— Il faut que je parte, dit-il en quittant son siège. Maître C’baoth m’appelle.
Il éteignit les écrans, non sans avoir lu celui de D2.
— Calme-toi, dit-il. Je reviendrai. Je suis un Jedi, tu ne l’as pas oublié, non ?… Veille bien sur tout. D’accord ?
Le droïd émit une trille grave, presque funèbre, tandis que Luke redescendait l’échelle.
Le droïd n’avait pas tort : les talents de Luke n’étaient nullement faits pour exploiter les pouvoirs de guérison de la Force. S’il apportait son aide à C’baoth, ce serait une épreuve longue et épuisante, sans la moindre garantie de succès à terme. Un Grand Amiral commandait l’Empire, il y avait des querelles politiques au sein de la Nouvelle République, le destin de la galaxie était en jeu… Et ne perdait-il pas son temps ici ?
Il leva les yeux vers les montagnes qui dominaient le sombre manoir et le lac. Certains sommets étaient couronnés de neige qui brillait faiblement sous les lunes de Jomark. Il se souvint des montagnes de Manarai, au sud de la cité impériale, sur Coruscant. Et il revit alors un certain Luke Skywalker, contemplant ces mêmes montagnes depuis la terrasse du Palais, expliquant avec une infinie sagesse à un certain 6PO qu’un Jedi responsable de la politique galactique pouvait perdre de vue le sort des individus.
Ce discours lui avait paru si noble à l’époque. Il avait maintenant une chance de prouver qu’il n’avait pas prononcé des paroles vides de sens.
Il inspira à fond et se dirigea vers le portail.