Chapitre 1
Droit au-dessus, l’étoile était une agate jaune orangée, dont l’éclat était modéré par la distance et par les filtres automatiques des baies. Et autour d’elle, autour du vaisseau, il y avait toutes les autres étoiles de la galaxie, projetées comme autant de points ardents sur le fond noir de l’espace. Et, immédiatement sous le vaisseau, l’aube se levait sur la partie occidentale de la Grande Forêt Nordique de la planète Myrkr.
La dernière aube que cette forêt connaîtrait.
Debout devant l’une des baies de la passerelle du superdestroyer impérial Chimaera, le commandant Pellaeon observait la ligne floue du terminateur qui se dirigeait vers la cible. Dix minutes auparavant, les forces au sol, regroupées autour du point d’impact, avaient annoncé qu’elles étaient prêtes. Le Chimaera lui-même était en position stationnaire depuis près d’une heure. Il n’attendait plus que l’ordre d’attaquer.
Lentement, furtivement, Pellaeon tourna la tête de quelques centimètres. Sur sa droite, le Grand Amiral Thrawn était assis au poste de commandement. Son visage bleu était inexpressif et ses yeux rouges étaient fixés sur les voyants. Depuis le dernier rapport des forces au sol, il n’avait pas quitté cette position, et Pellaeon pouvait sentir monter la tension des hommes de passerelle.
Pellaeon, quant à lui, avait depuis longtemps renoncé à deviner les arrières-pensées de Thrawn. Si le dernier Empereur avait jugé digne de nommer Thrawn au titre de douzième Grand Amiral, cela prouvait qu’il avait confiance en l’homme – d’autant que Thrawn n’était pas de souche humaine et que l’Empereur était bien connu pour avoir des préjugés à cet égard. Plus encore, durant la première année où Thrawn avait commandé le Chimaera et entrepris de reconstituer la Flotte Impériale, Pellaeon avait eu de nombreuses preuves du génie militaire du Grand Amiral. Et s’il avait une raison de retarder l’attaque, elle devait être justifiée.
Toujours aussi lentement, il revint à la baie. Mais, apparemment, ses mouvements n’étaient pas passés inaperçus, et Thrawn demanda de sa voix douce et modulée dans le bourdonnement étouffé des conversations :
— Une question, capitaine ?
— Non, amiral, fit Pellaeon en s’efforçant de le regarder en face.
Un instant, les yeux de braise l’étudièrent, et Pellaeon s’attendit à une réprimande, ou pis encore. Mais Thrawn, et Pellaeon avait tendance à trop souvent l’oublier, n’avait pas le caractère vindicatif du légendaire Dark Vador.
— Vous vous demandez sans doute pourquoi nous n’avons pas encore attaqué ?
Le Grand Amiral haussa les épaules.
— Oui, je dois l’admettre, amiral. Toutes nos forces semblent en position.
— Nos forces militaires, certes, mais pas les observateurs que j’ai envoyés à Hyllyard City.
Pellaeon cilla.
— Hyllyard City ?
— Oui. Je me suis dit qu’il était improbable qu’un homme aussi rusé que Talon Karrde implante une base au milieu d’une forêt sans assurer des contacts avec d’autres à distance. Hyllyard City est trop éloignée de la base de Karrde pour que quiconque puisse être directement témoin de notre attaque ; par conséquent, tout surcroît d’activité en ville signifierait qu’il existe un moyen de communication plus subtil. À partir de la, nous serons en mesure d’identifier les contacts de Karrde et de les placer sous surveillance à long terme. Et ils finiront bien par nous conduire jusqu’à lui.
— Oui, amiral, fit Pellaeon. Donc, vous ne vous attendez pas à capturer vivants les hommes de Karrde.
Le sourire du Grand Amiral se fit plus caustique.
— Au contraire. Je compte bien que nos troupes ne trouveront qu’une base abandonnée et vide.
Pellaeon risqua un regard vers la baie et entrevit le croissant lumineux de la planète.
— En ce cas, amiral… pourquoi attaquons-nous ?
— Pour trois raisons, capitaine. Premièrement, même des personnages tels que Talon Karrde commettent des erreurs. Il se pourrait bien que dans la précipitation de la fuite, il laisse derrière lui des informations capitales. Deuxièmement, comme je l’ai déjà mentionné, une attaque de sa base pourrait nous conduire à ses contacts de Hyllyard City. Et, troisièmement, c’est une occasion pour nos troupes au sol d’acquérir une expérience qui leur manque fortement.
Les yeux rouges s’appesantissaient sur Pellaeon.
— Capitaine, n’oubliez jamais que notre stratégie n’est plus ce pitoyable harcèlement d’arrière-garde que nous avons pratiqué ces cinq dernières années. Avec le Mont Tantiss et la collection de cylindres spaarti de notre ex-Empereur entre nos mains, l’initiative nous revient. Bientôt, nous entamerons le processus de reconquête des planètes prises par la Rébellion, et pour ça, nous aurons besoin d’une armée aussi bien entraînée que les équipages et les officiers de la Flotte.
— Je comprends, amiral, dit Pellaeon.
— Parfait. (Thrawn se tourna vers les écrans.) Il est l’heure. Signalez au général Covell qu’il peut commencer.
— Oui, amiral.
Pellaeon regagna son poste. Il lut rapidement les données, et appuya sur la touche de son intercom, conscient que Thrawn faisait de même. Un message privé à l’intention de ses espions d’Hyllyard City ?…
— Ici le Chimaera. Déclenchez l’attaque.
— Bien reçu, Chimaera, dit le général Covell dans son comlink.
Il ravalait son mépris. Typique de la Flotte – mais prévisible et écœurant. Ils s’étaient tous agités comme des démons pour débarquer troupes et véhicules, on leur avait dit de se tenir prêts d’urgence… et ils attendaient depuis que les gens de la Flotte, avec leurs uniformes impeccables, dans leurs grands vaisseaux tout propres, veuillent bien finir leur tasse de thé pour donner enfin l’ordre d’entrer en action.
C’est ça, installez-vous bien confortablement, pensa-t-il, sardonique, en levant les yeux dans la direction du superdestroyer. Que le Grand Amiral Thrawn fût intéressé par des résultats concrets ou uniquement par un bon spectacle, il allait en avoir pour son argent. Le général se pencha sur sa console et appela plusieurs fréquences de commandement.
— Général Covell à toutes les unités : on a le feu vert. Allons-y.
Le plancher métallique vibra, et l’énorme bipode AT-AT s’avança de son pas pesant et trompeusement maladroit à travers la forêt, en direction du camp situé à un kilomètre de là. En avant de l’AT-AT, parfois visibles à travers la baie de transparacier blindé, deux bipodes éclaireurs AT-ST progressaient en parallèle sur la piste, afin de détecter les pièges et les positions ennemis.
Mais des défenses aussi futiles n’apporteraient guère à Karrde. Covell avait commandé des centaines de campagnes d’attaque au service de l’Empire, et il connaissait parfaitement bien les capacités de ses machines de combat.
Sous la baie, l’hologramme de la projection tactique était illuminé comme un disque décoratif : les points rouges, blancs et verts clignotants indiquaient les positions du cercle des AT-AT et AT-ST de Covell, ainsi que de ses hoverscouts d’attaque, qui tous se rabattaient en bon ordre sur le camp de Karrde.
C’était bien, mais pas parfait. Le flanc nord des AT-AT et les véhicules de soutien traînaient de façon perceptible derrière le nœud coulant.
— Unité Deux, recollez, lança Covell dans son comlink.
— Nous essayons, mon général. (La voix était métallique, lointaine, à cause des brouillages étranges de la flore de Myrkr, riche en métaux.) Nous rencontrons des vrilles denses qui ralentissent nos éclaireurs bipodes.
— Vos AT-AT également ?
— Non, mon général, mais je voulais maintenir la cohésion du flanc…
— Major, la cohésion est certainement une valeur appréciable durant des manœuvres, le coupa Covell, mais on ne peut risquer tout un plan de bataille pour ça. Et si vos AT-ST n’arrivent pas à suivre, laissez-les en arrière.
— Bien, mon général.
Covell coupa la communication. Le Grand Amiral avait raison sur un point : ses troupes avaient besoin d’un entraînement au feu avant de parvenir au niveau impérial. Mais, quand même, le potentiel brut était là. Il vit que le flanc nord se regroupait, les hoverscouts revenaient sur les positions initiales des AT-ST pendant que les AT-ST eux-mêmes se déployaient en formation d’arrière-garde.
Le senseur d’énergie émit un bip : ils étaient tout près du camp.
— Statut ? demanda Covell.
— Armement chargé et paré, répondit l’artilleur, le regard fixé sur les cibles.
— Aucun signe de résistance, active ou passive, ajouta le pilote.
— Restez en état d’alerte, ordonna Covell tout en passant sur la fréquence de commandement.
« À toutes les unités : attaquez.
Dans un dernier fracas d’arbres écrasés, l’AT-AT pénétra dans la clairière.
Le spectacle était impressionnant. Comme à la parade, les autres unités AT-AT surgirent simultanément des quatre autres côtés de la clairière, entourées des hoverscouts qui encerclèrent instantanément les bâtiments.
Covell jeta un regard acéré sur les senseurs. Deux sources d’énergie fonctionnaient encore, une dans le bâtiment central, l’autre dans un des casernements extérieurs. Il n’y avait aucun signe de la présence de senseurs activés, d’armes ou de champs d’énergie. L’analyseur de formes de vie déploya ses calculs algorithmiques complexes et donna sa conclusion : il n’y avait pas trace de vie dans les bâtiments désertés.
Mais dans le grand bâtiment principal, par contre…
Le commandant de l’AT-AT quatre transmit son rapport.
— Général, je détecte au moins vingt signaux émanant de formes de vie dans le bâtiment principal. Tous dans la section centrale.
— Mais l’analyse ne confirme pas qu’ils sont humains, murmura le pilote de Covell.
— Ils ont peut-être un bouclier, grommela Covell en jetant un regard au-dehors : toujours aucun signe de mouvement dans le camp.
— Il faut aller y voir. Escouades d’assaut : en avant !
Les écoutilles arrière de chacun des hoverscouts se relevèrent, et de chacune d’elles surgit une escouade de huit soldats, les fusils-lasers braqués, la crosse contre l’épaule de leur cuirasse. Dans chaque escouade, quatre soldats restèrent en position, couverts par le scout, tandis que les quatre autres progressaient au pas de charge vers les bâtiments. Là, ils s’arrêtèrent, se mirent en position, et leurs camarades restés à l’arrière progressèrent à leur tour. Cette tactique militaire était vieille de nombreux siècles, et elle était exécutée avec une détermination exagérée, typique de jeunes soldats non formés, se dit Covell.
Les hommes continuèrent leur progression par bonds, convergeant vers le bâtiment principal, tandis que de petits groupes se portaient vers les baraquements alentour. Les escouades de pointe firent sauter la porte du bâtiment et s’engouffrèrent à l’intérieur dans un semblant de cohue.
Puis, ce fut le silence.
Il persista quelques minutes, tandis que Covell restait penché sur les écrans des senseurs. Et il reçut enfin le rapport :
— Général Covell, ici le lieutenant Barse. La zone-cible a été neutralisée. Il n’y a personne ici.
Covell hocha la tête.
— Très bien, lieutenant. Et ça ressemble à quoi ?
— On dirait qu’ils se sont retirés rapidement, mon général. Ils ont laissé des tas de choses, mais ça m’a l’air sans valeur.
— C’est à l’équipe de scanning d’en décider. Aucun signe de pièges ou autres surprises désagréables ?
— Aucun, mon général. Oh… oui, ces formes de vie que nous avons détectées ne sont que de grands animaux à fourrure qui vivent dans l’arbre géant, qui pousse à travers le toit.
Covell hocha la tête. Il croyait se souvenir qu’on les appelait des ysalamiri. Thrawn avait passé un marché important à propos de ces créatures deux mois auparavant, quoique Covell ne parvînt pas à comprendre quel rôle ils pouvaient jouer dans le conflit. Il supposait que les gens de la Flotte lui livreraient un jour leur grand secret.
— Mettez en place une alvéole de défense, ordonna-t-il au lieutenant. Confirmez à l’équipe de scanning quand vous serez prêt. Et installez-vous tranquillement. Le Grand Amiral désire que nous préservions cet endroit, et c’est exactement ce que nous allons faire.
— Parfait, général. Procédez au démantèlement.
La voix était faible, même avec l’énorme amplification et le scrubbing de l’ordinateur.
Mara Jade, assise à la barre du Wild Karrde, se tourna à demi vers Talon Karrde, derrière elle.
— Je suppose que c’est fini.
Un instant, Talon Karrde parut ne pas l’avoir entendue. Il gardait les yeux fixés sur le lointain croissant blanc-bleu de la planète, visible au-delà de l’horizon déchiqueté de l’astéroïde contre lequel le Wild Karrde s’était abrité.
— Oui, dit-il enfin. Je le suppose.
Dans sa voix, il n’y avait pas la moindre trace de l’émotion qu’il devait ressentir.
Mara échangea un regard avec Aves, installé dans le poste de copilote, et demanda à Karrde :
— Est-ce que nous ne devrions pas y aller, maintenant ? Il inspira profondément, et elle devina brièvement dans son regard tout ce que la base de Myrkr avait représenté pour lui. Plus qu’une base, c’était sa maison.
Elle dut faire un effort pour chasser cette pensée. Karrde avait perdu sa maison. Et alors ?… Elle avait perdu bien plus durant sa vie, et elle avait très bien survécu. Il s’en tirerait aussi.
— Je vous ai demandé si nous pouvions y aller…
— J’ai bien entendu, fit Karrde, et l’ombre d’émotion s’effaça des plis sardoniques de son visage.
« Je crois que nous devrions quand même attendre encore un peu. Juste pour savoir si nous avons pu laisser derrière nous quoi que ce soit qui leur indique notre base de Rishi.
Une fois encore, Mara regarda Aves.
— Nous avons pris toutes les précautions, dit Aves. Je ne pense pas qu’il soit fait mention de Rishi où que ce soit, sinon dans les données du premier ordinateur, et il a été évacué en même temps que le premier groupe.
— Je suis d’accord, acquiesça Karrde. Mais êtes-vous prêt à parier votre vie là-dessus ?
— Pas vraiment, rétorqua Aves en plissant les lèvres.
— Moi non plus. C’est pour cela que nous attendons.
— Et s’ils nous repèrent ? insista Mara. Se cacher derrière des astéroïdes, tout l’univers connaît ça.
— Non, ils ne nous repéreront pas. À vrai dire, je doute même que cette possibilité leur vienne à l’esprit. N’importe quel être normal cherchant à échapper au Grand Amiral Thrawn est censé ne pas s’arrêter avant une sacrée distance.
Et vous êtes prêt à parier votre vie là-dessus ? se dit Mara avec aigreur. Mais elle se tut. Il avait sans doute raison. Et puis, si le Chimaera ou l’un de ses chasseurs Tie se dirigeaient vers eux, ils auraient tout le temps de passer en luminique avant d’être attaqués.
Pourtant, quelque chose la troublait. Elle serrait les dents tout en paramétrant les senseurs au plus haut niveau. Elle vérifia encore une fois que la séquence de prélancement était activée et s’installa pour attendre.
L’équipe de scanning fut rapide, efficace et consciencieuse. Il ne lui fallut que trente minutes pour revenir avec un rapport négatif.
— Bon, c’est fait, fit Pellaeon en observant son écran.
C’était peut-être un bon exercice pour les troupes au sol, mais l’ensemble de l’opération lui apparaissait comme inutile.
— À moins, ajouta-t-il, que vos observateurs d’Hyllyard City aient enregistré des réactions.
Il se tourna vers Thrawn.
Les yeux rouges du Grand Amiral restaient fixés sur les écrans.
— Il y a eu une réaction. Très faible, qui a disparu presque aussitôt. Mais je pense que les implications sont claires.
Ça, c’était un résultat.
— Bien, amiral. Faut-il que la Surveillance se prépare à envoyer une équipe au sol pour une mission à long terme ?
— Patience, capitaine. Ce ne sera peut-être pas nécessaire, après tout. Faites-moi un scan à moyenne portée et dites-moi ce que vous voyez.
Pellaeon pivota vers son pupitre de commandes et afficha les données. Il y avait Myrkr, bien sûr, et l’essaim des chasseurs Tie autour du Chimaera. Quant au seul autre objet qui fût à moyenne portée…
— Vous pensiez à ce petit astéroïde ? demanda-t-il.
— Oui, précisément, acquiesça Thrawn. (Et il ajouta, avant même que Pellaeon n’y eût pensé :) Il n’a rien de particulier, n’est-ce pas ? Non, ne pointez pas un senseur sur lui. Nous ne tenons pas à faire s’égailler prématurément notre gibier, n’est-ce pas ?
— Notre gibier ? répéta Pellaeon.
Il regarda le senseur en fronçant les sourcils. Le scanning de routine sur l’astéroïde qu’ils avaient fait trois heures auparavant avait été négatif, et rien n’aurait pu passer dans le champ sans être détecté ensuite.
— Avec tout le respect que je vous dois, amiral, je ne vois aucun signe de quoi que ce soit.
— Moi non plus. Mais c’est le seul refuge possible dans une sphère de dix millions de kilomètres autour de Myrkr. Il n’y a qu’à partir de là que Karrde peut observer notre opération.
Pellaeon plissa les lèvres.
— Avec votre permission, amiral, je me permets de douter que Karrde soit assez stupide pour attendre tranquillement notre arrivée.
Les yeux rouges s’étrécirent presque imperceptiblement.
— Capitaine, fit Thrawn d’une voix très douce, vous oubliez que j’ai rencontré cet homme. Plus encore, j’ai pu voir quel genre d’œuvres d’art il collectionnait. (Il se tourna vers les écrans.) Non, il est par-là, j’en suis certain. Talon Karrde n’est pas un simple contrebandier, voyez-vous. Il est même autre chose avant tout. Ce qu’il aime par-dessus tout, plus que l’argent ou ses biens, c’est l’information. Plus que tout autre dans cette galaxie, il veut savoir… Et savoir ce que nous avons ou non trouvé ici est aussi précieux qu’un trésor à ses yeux. Il ne saurait s’en passer.
Pellaeon observa le Grand Amiral. Pour lui, c’était une logique plutôt aventureuse, mais il avait vu tant de fois aboutir des raisonnements aussi risqués, qu’il se devait de prendre au sérieux celui-ci.
— Dois-je envoyer un escadron de chasseurs Tie, amiral ?
— Comme je vous l’ai déjà dit, capitaine, de la patience.
Même avec ses moteurs éteints, et en mode de senseur furtif, il a dû prévoir de réactiver son vaisseau afin de s’enfuir avant d’être au contact d’une force d’attaque. (Il sourit.) Du moins, d’une force d’attaque venant du Chimaera.
Et Pellaeon se souvint tout à coup de la réaction de Thrawn alors que lui, Pellaeon, lançait l’ordre d’attaque aux troupes au sol.
— Vous avez prévenu le reste de la Flotte, dit-il. En même temps que je donnais mes ordres, pour masquer la transmission.
Thrawn haussa légèrement ses sourcils bleu-noir.
— Excellent, capitaine. Excellent.
Pellaeon se sentit rougir. Les compliments du Grand Amiral étaient rares.
— Merci, amiral, dit-il.
Thrawn hocha la tête.
— Pour être précis, mon message était adressé à une seule unité, le Constrictor. Il sera sur place dans dix minutes approximativement. Et c’est alors… (ses yeux étincelaient) que nous pourrons vérifier si j’ai bien su lire dans les calculs de Karrde.
Les rapports des équipes de scanning se déversaient des enceintes de la passerelle du Wild Karrde.
— Il ne semble pas qu’ils aient trouvé quelque chose, commenta Aves.
— Comme vous l’avez dit, nous avons tout fait consciencieusement, dit Mara.
Mais elle s’était à peine entendu parler. Il y avait toujours cette chose sans nom qui s’agitait au fond de son esprit, de plus en plus fort.
— Est-ce que nous allons enfin partir ? ajouta-t-elle en regardant Karrde.
— Mara, essayez de vous calmer. Il est impossible qu’ils sachent que nous sommes ici. Ils n’ont envoyé aucune sonde vers l’astéroïde, et ils ne peuvent détecter notre présence.
— À moins que les senseurs d’un superdestroyer ne soient meilleurs que vous ne le croyez.
— Nous savons tout d’eux, fit Aves. Soyez tranquille, Mara, Karrde sait ce qu’il fait. Le Wild Karrde a sans doute le senseur furtif le plus sensible de…
Il s’interrompit à l’instant où deux des vornskrs de Karrde surgissaient en remorquant leur gardien.
— Mais qu’est-ce que tu fais ici, Chin ? lança Karrde Chin, haletant, se planta sur la passerelle, tirant de toutes ses forces sur les laisses. Sans succès évident, car les prédateurs le remorquèrent un peu plus avant.
— Navré, capitaine. Je n’ai pas pu les arrêter. Je me suis dit qu’ils avaient envie de vous voir, peut-être ?…
Karrde s’accroupit devant ses deux bêtes.
— Et vous ? Qu’est-ce qui vous arrive ? Vous ne voyez pas qu’on a du travail ?
Mais les vornskrs ne lui jetèrent même pas un regard. Ils ne semblaient même pas conscients de sa présence en cet instant. Ils avaient les yeux fixés droit devant eux, comme s’il n’était pas là.
Droit sur Mara.
Karrde tendit la main et tapota le mufle d’un des fauves.
— Sturm, je te parle. Qu’est-ce qui t’a traversé la tête ? Il s’interrompit en observant Mara.
— Mara, est-ce que vous faites quelque chose ?
Elle secoua la tête, et un frisson glacé lui traversa le dos. Elle avait déjà rencontré ce regard chez les vornskrs sauvages qu’elle avait affrontés durant ses trois jours de périple dans la forêt de Myrkr en compagnie de Luke Skywalker[1].
À une différence près : les vornskrs n’en avaient jamais eu après elle. Ils ne voulaient que Skywalker. Et, généralement, ils l’attaquaient peu après.
— Mais c’est Mara, Sturm, dit Karrde en parlant au monstre comme s’il s’agissait d’un enfant. Allez, ça suffit : tu l’as toujours vue à la maison…
Lentement, avec réticence, Sturm se tourna enfin vers son maître.
Karrde le regarda droit dans les yeux.
— Mara est une amie. (Il caressa le mufle de son autre vornskr :) Tu m’entends, Drang ? Une amie. Compris ?
Drang parut réfléchir. Puis, avec la même réticence que son copain, il baissa la tête et cessa de tirer sur sa laisse.
— Là, c’est mieux, fit Karrde en les grattant brièvement derrière les oreilles avant de se redresser.
« Chin, tu ferais bien de les remmener. Tu pourrais peut-être les promener un peu dans la soute principale pour qu’ils prennent de l’exercice.
— Si j’arrive à me frayer un chemin dans toutes ces piles, grommela Chin. Allez, venez mes mignons.
Le vornskrs n’eurent qu’une légère hésitation. Karrde resta une seconde le regard fixé sur la porte.
— Je me demande ce que ça signifiait, fit-il enfin en adressant un regard songeur à Mara.
— Je l’ignore.
Mais elle avait nettement lu la tension dans sa voix. L’incident terminé, l’étrange frayeur qu’elle avait éprouvée revenait en force. Elle pivota vers son pupitre, certaine de découvrir un escadron de chasseurs Tie en approche.
Mais non : il n’y avait rien. Le Chimaera était toujours seul et inoffensif au large de Myrkr. Il n’y avait aucune menace que les instruments du Wild Karrde ne soient en mesure de déceler. Mais, pourtant, au fond de son esprit, l’alerte montait, de plus en plus nette…
Et, soudain, elle ne put plus y tenir. Elle posa les doigts sur le tableau de commandes et activa les moteurs.
— Mara ! s’exclama Aves en bondissant de son siège. Mais qu’est-ce que vous… ?
— Ils arrivent, grinça-t-elle, consciente de l’afflux d’une dizaine d’émotions dans sa voix.
Ils avaient irrévocablement quitté le silence : le déclenchement des moteurs avait dû déchaîner tous les senseurs du Chimaera. À présent, ils n’avaient plus le choix.
Elle se tourna vers Karrde, soudain effrayée de ce qu’elle allait lire sur son visage. Mais il la dévisageait simplement, intrigué.
— Rien n’indique qu’ils approchent, remarqua-t-il calmement.
Elle secoua la tête : elle sentait l’urgence de la question dans son regard.
— Il faut me croire. Ils sont prêts à attaquer.
— Je vous crois, fit-il d’un ton apaisant. (À moins qu’il ne reconnût qu’ils n’avaient plus le choix.) Aves : donne-moi les données de luminique. Choisis n’importe quel cap qui ne nous rapproche pas de Rishi. Nous nous arrêterons et nous referons le point plus tard.
— Karrde…
— Mara commande en second, le coupa Karrde. Et, en tant que tel, elle a le droit et le devoir de prendre des décisions importantes.
— Oui, mais… (Aves s’interrompit, lança un regard brûlant à Mara et se tourna vers l’ordinateur de navigation en achevant, les dents serrées :) Oui…
— Mara, reprit Karrde en s’installant dans le siège de communications vacant, vous feriez bien de nous tirer d’ici. Et gardez l’astéroïde entre nous et le Chimaera aussi longtemps que vous le pourrez.
— Bien, capitaine, fit Mara.
La trame de ses émotions se dissolvait à présent, laissant un arrière-goût de colère trouble. Oui, elle avait recommencé : elle avait écouté ses sentiments profonds, tenté d’accomplir certaines choses dont elle se savait incapable. Et, comme auparavant, elle s’était retrouvée avec la lame et non le manche entre les mains.
Et c’était sans doute pour la dernière fois que Karrde l’avait nommée officier en second. Commander une unité devant Aves, c’était une chose, mais dès qu’ils seraient loin de Myrkr et qu’il se retrouverait seul avec elle, elle devrait le payer très cher. Elle pourrait même s’estimer heureuse s’il ne la renvoyait pas immédiatement de l’organisation. Elle enfonça quelques touches avec violence, fit pivoter le Wild Karrde, et le lança dans les profondeurs de l’espace.
En un semi-éclair, une masse énorme quitta la vitesse luminique et se matérialisa dans l’espace normal à moins de vingt kilomètres.
Un croiseur impérial de la classe Interdictor.
— On a de la compagnie ! cria Aves après avoir étouffé un juron.
— Je vois, fit Karrde, toujours aussi calme. (Mara, cependant, lut de la surprise dans sa voix.) Dans combien de temps le passage en luminique ?
— Une minute, fit Aves, tendu. Il y a des tas de débris à l’extérieur du système et l’ordinateur doit les prendre en compte.
— Donc, ça va être la course. Mara ?…
— Jusqu’à sept-trois, dit-elle, en s’efforçant de tirer un maximum d’énergie des moteurs encore lents.
Oui, il avait raison : ç’allait vraiment être une course. Les croiseurs de classe Interdictor, avec leurs quatre énormes générateurs d’ondes gravifiques étaient capables de simuler des masses planétaires. Ils constituaient l’arme idéale pour piéger un ennemi en espace normal pendant que les chasseurs Tie le taillaient en pièces. Mais, quittant à peine la vitesse luminique, l’Interdictor aurait besoin d’encore une minute pour charger ses générateurs. Et si elle parvenait à mettre le Wild Karrde hors de portée pendant ce bref délai…
— On a d’autres visiteurs, annonça Aves. Deux escadrons de Tie qui arrivent du Chimaera.
— Point huit-six, dit Mara. Nous serons prêts à passer en luminique dès que l’ordinateur de navigation me donnera un cap.
— Statut de l’Interdictor ?
— Les générateurs gravi sont en charge.
Sur l’écran tactique de Mara, un cône fantomatique se dessinait, révélant le champ d’altération qui serait bientôt en place. Elle dévia légèrement sa trajectoire vers le bord le plus rapproché, et jeta un coup d’œil au moniteur de navigation. Ils étaient sur le point d’être parés. Mais le cône brumeux du volume gravifique de l’Interdictor prenait rapidement de la substance…
Le scope de l’ordinateur émit un tintement. Mara empoigna les trois leviers de contrôle hyperspatial et les abaissa doucement. Le Wild Karrde frémit à peine, et, durant une seconde, l’Interdictor parut bien avoir gagné cette course mortelle. Puis, brusquement, les étoiles se changèrent en traits lumineux.
Ils avaient réussi.
Aves poussa un long soupir tandis que les traits de lumières cédaient la place au ciel diapré de l’hyperespace.
— C’était à un poil de coque près. Comment supposez-vous qu’ils nous soient tombés dessus ?
— Je n’en ai pas la moindre idée, fit Karrde d’un ton froid. Mara ?…
— Moi non plus, (Elle ne quittait pas ses écrans des yeux, n’osant affronter les regards des deux hommes.) Thrawn a peut-être suivi son intuition. Ça lui arrive.
— On a de la chance qu’il ne soit pas le seul à avoir des intuitions, fit Aves avec un écho étrange. C’était bien joué, Mara. Désolé de m’en être pris à vous.
— Oui, fit Karrde. Très bon travail.
— Merci, murmura-t-elle, en refoulant les larmes qui lui montaient aux yeux. Ainsi, ça recommençait. Elle avait espéré avec tant de ferveur que c’était par pur hasard qu’elle avait rencontré l’aile X de Skywalker. Plus à cause de lui que d’elle.
Mais non. Tout revenait, comme tant de fois durant ces cinq dernières années. Les intuitions, les avertissements sensoriels, les compulsions.
Ce qui signifiait que, très bientôt, les rêves allaient recommencer.
Elle passa la main sur ses yeux d’un geste irrité et s’efforça de desserrer ses mâchoires. Oui, le schéma était familier mais, cette fois-ci, les choses seraient différentes. Auparavant, elle n’avait jamais rien pu faire contre les voix et les pressions, si ce n’est souffrir tout au long du cycle. Souffrir, et se tenir prête à fuir vers le refuge qu’elle avait réussi à se creuser quand elle se trahissait aux yeux de ceux qui l’entouraient.
Mais, cette fois, elle n’était plus servante dans une taverne de Phorliss, elle n’était plus avec un gang sur Caprioril, ni même mécanicienne d’hyper-moteurs coincée dans les remous du Corridor d’Ison. Elle était l’assistante du contrebandier le plus puissant de la galaxie, et elle disposait de ressources et de moyens de déplacement que jamais elle n’avait eus depuis la mort de l’Empereur.
Des ressources qui allaient lui permettre de retrouver Luke Skywalker. Et de le tuer.
Alors, les voix se tairaient peut-être.
Durant une longue minute, Thrawn demeura immobile devant la baie de la passerelle, le regard fixé sur l’astéroïde et sur le croiseur Interdictor désormais inutile. Il avait, se dit Pellaeon avec un certain malaise, la même posture que lorsque Luke Skywalker s’était échappé d’un piège identique. Il retenait son souffle en se demandant si le Grand Amiral n’allait pas encore exécuter un membre de l’équipage pour sa négligence.
Il se détourna enfin.
— Intéressant. Capitaine, avez-vous noté cette séquence d’événements ?
— Oui, amiral. La cible chargeait déjà ses moteurs avant que le Constrictor n’arrive.
— Oui. Ce qui implique trois possibilités. Ou bien Karrde était sur le point de s’enfuir de toute façon, ou alors il a paniqué pour une raison que nous ignorons… À moins que… il n’ait été prévenu.
Pellaeon sentit son dos se roidir.
— J’espère, amiral, que vous n’insinuez pas que l’un des nôtres ait pu le renseigner.
— Non, certes pas. Mis à part la loyauté de votre équipage, nul, à bord du Chimaera, ne savait que le Constrictor faisait route vers l’astéroïde. Et nul, à bord du Constrictor, n’aurait pu envoyer de messages sans que nous les détections. (Il revint à son poste de commandement et s’assit avec une expression songeuse.) Capitaine, voilà un puzzle assez passionnant. Il va falloir que j’y réfléchisse. Entretemps, des questions plus pressantes nous appellent D’abord, il nous faut disposer d’autres vaisseaux de guerre. Avons-nous reçu des réponses ?
— Rien de particulièrement intéressant, amiral, dit Pellaeon tout en ouvrant le dossier des communications pour se rafraîchir la mémoire.
« Huit des quinze groupes que j’ai contactés ont manifesté un certain intérêt, mais aucun n’avait de proposition précise à nous faire. Nous attendons les réactions des autres.
— Donnons-leur quelques semaines. Si nous n’avons pas de résultat, nous lancerons des offres plus… pressantes.
— Oui, amiral. Une autre communication a été également reçue de Jomark.
Thrawn posa sur son capitaine son regard brasillant.
— Capitaine, fit-il en détachant chaque mot, j’apprécierais beaucoup que vous fassiez comprendre à notre exalté de Maître Jedi C’baoth que s’il persiste dans ses communications, il met en danger tout le projet qui consiste à le débarquer sur Jomark. Car si les Rebelles se doutent qu’il existe le moindre rapport entre nous, il devra faire une croix sur son idée de retrouver Skywalker.
— Je le lui ai déjà expliqué, amiral, fit Pellaeon en grimaçant. Je ne sais combien de fois. Il répond obstinément que Skywalker est obligé de se montrer. Et il me demande régulièrement ensuite quand vous déciderez de lui livrer la sœur de Skywalker.
Thrawn demeura longtemps silencieux avant de répondre.
— Je suppose qu’il ne se taira pas avant qu’il ait obtenu ce qu’il veut. Et que nous ne tirerons rien de lui s’il n’est pas d’accord.
— Oui. Il a protesté contre cette coordination d’attaque que vous lui avez demandée. Il m’a averti à plusieurs reprises qu’il ne pouvait prévoir avec exactitude l’arrivée de Skywalker sur Jomark.
— Et il a laissé entendre qu’une vengeance épouvantable nous attendait s’il n’était pas là quand Skywalker se montrerait, grommela Thrawn. Je connais cette chanson. Et cela commence à me lasser. Très bien, capitaine. La prochaine fois que C’baoth vous appellera, annoncez-lui que l’opération sur Taanab sera la dernière dans l’avenir immédiat. Il est improbable que Skywalker atteigne Jomark avant deux semaines – la confusion politique que nous avons provoquée au plus haut niveau de la Rébellion devrait lui prendre au moins tout ce temps. Quant à Organa Solo et à ses Jedi en gestation… dites-lui que, à partir de maintenant, c’est une affaire que je prends personnellement en main.
Pellaeon risqua un regard en direction du garde du corps de Thrawn, Rukh, qui attendait en silence devant la porte d’accès au pont arrière.
— Cela signifie-t-il que le Noghri est relevé de ses fonctions, amiral ? demanda-t-il d’un ton calme.
— Cela vous pose problème, capitaine ?
— Non, amiral. Mais puis-je cependant vous faire remarquer que les Noghri détestent les missions non accomplies ?
— Les Noghri sont les serviteurs de l’Empire. Et j’ajouterai qu’ils me sont personnellement loyaux. Ils feront ce qu’on leur dit. Néanmoins, je réfléchirai à vos préoccupations, capitaine. En tout cas, nous en avons fini avec Myrkr. Donnez l’ordre au général Covell de rappeler ses forces.
— Oui, amiral, fit Pellaeon en adressant un signe à l’officier des communications.
— Je veux le rapport du général dans trois heures. Douze heures après, je désire qu’il me recommande ses trois meilleurs soldats d’infanterie ainsi que ses deux meilleurs opérateurs mécanisés ayant participé à l’assaut. Que ces cinq hommes soient assignés à l’opération du Mont Tantiss et acheminés immédiatement jusqu’à Wayland.
— Compris, acquiesça Pellaeon en introduisant les ordres dans le dossier de Covell.
De telles recommandations faisaient partie de la procédure impériale normale depuis plusieurs semaines, depuis que l’opération Mont Tantiss avait été montée. Mais Thrawn, depuis, en faisait régulièrement mention à ses officiers. Peut-être pour leur rappeler sans ménagement que ces choix lui étaient nécessaires pour balayer la Rébellion.
Thrawn, à nouveau, observait la planète Myrkr.
— En attendant le retour du général, dit-il, contactez la Surveillance à Hyllyard City. (Il sourit.) Cette galaxie est vaste, capitaine, mais même un homme tel que Talon Karrde devra se reposer à plus ou moins long terme.
Le Haut Château de Jomark ne méritait pas vraiment son nom. Pas pour C’baoth, en tout cas. Petit et sale, avec ses murailles bancales par endroits, aussi étranger que la race disparue qui l’avait édifié, il était blotti de façon précaire entre deux grandes failles du cône volcanique. Pourtant, avec l’horizon lointain, et les eaux bleues de l’Anneau-Lac, à quatre cents mètres et presque en à-pic, C’baoth se dit que les indigènes avaient quand même choisi un site attrayant pour édifier ce château, ce temple, ou quoi que ce fût d’autre. Pour un Maître Jedi, c’était le refuge idéal, respecté par les colonisateurs. Et l’île noire qui occupait le centre de l’Anneau-Lac constituait un terrain clandestin idéal pour les navettes bruyantes de Thrawn.
Pour l’heure, C’baoth se tenait sur la terrasse du château et observait le lac, et il ne pensait pas plus au paysage qu’à l’Empire ou à son pouvoir. Mais à cette étrange trémulation de la Force qu’il avait ressentie.
Ça n’était pas la première fois. Les liens avec le passé étaient si difficiles à suivre, ils se perdaient dans les brumes et les précipitations du présent. De son passé, il ne retrouvait que des scènes fugaces.
Mais la mémoire importait peu. C’était la concentration seule qui comptait. Il pouvait toujours faire appel à la Force quand il le voulait, pour apprendre ce qu’il voulait. Cela seul comptait. Aussi longtemps qu’il en serait capable, personne ne pourrait lui faire du mal ou lui prendre ce qu’il possédait.
Si ce n’est que le Grand Amiral Thrawn lui avait déjà tout pris. Était-ce vraiment possible ?
Il parcourut la terrasse du regard. Oui : ceci n’était pas le monde ni la cité qu’il avait choisis de façonner et de commander. Ce n’était pas Wayland, qu’il avait arrachée au Jedi Sombre désigné par l’Empereur pour monter la garde sur l’entrepôt du Mont Tantiss. Il était sur Jomark. Et il attendait… quelqu’un.
Il peigna de ses doigts sa longue barbe blanche en s’efforçant de se concentrer. Il attendait Luke Skywalker… Oui, c’était bien lui. Luke Skywalker allait tomber entre ses mains, ainsi que sa sœur et ses jumeaux non encore nés. Et ils seraient à sa merci. Le Grand Amiral Thrawn le lui avait promis, en échange de l’aide qu’il apportait à l’Empire.
Il sourcilla à cette pensée. C’était tellement dur d’aider le Grand Amiral. Il devait se concentrer au maximum pour obtenir ce qu’ils voulaient. Jamais, sur Wayland, il n’avait fait pareille chose, pas depuis qu’il avait affronté le Gardien de l’Empereur.
Il sourit. Ç’avait été un formidable combat. Il lutta pour s’en souvenir, mais les détails se dispersaient comme des fétus de paille dans le vent. Cela remontait à si longtemps.
À si longtemps… comme ces frémissements de la Force.
Les doigts de C’baoth glissèrent jusqu’à son médaillon. Il serra le métal tiède sur sa paume, luttant contre les brumes du passé pour tenter de voir au-delà. Oui, il ne se trompait pas. Ces mêmes frémissements s’étaient répétés trois fois durant les quelques dernières saisons. Comme si quelqu’un avait appris à se servir de la Force durant un temps, puis l’avait perdue.
Il ne comprenait pas. Mais il ne décelait aucune menace, et donc, cela était sans importance.
Le superdestroyer impérial se plaçait maintenant en orbite haute, loin au-dessus des nuages de Jomark, là où nul ne risquait de le surprendre. Quand ils entreraient dans la nuit, la navette arriverait pour l’emporter quelque part – jusqu’à Taanab, supposait-il – afin de coordonner encore une fois un des multiples assauts de l’Empire.
Il ne se réjouissait guère à cette perspective d’efforts et de souffrance. Mais il faisait cela pour obtenir son Jedi. Il le refaçonnerait alors à son image. Et ensuite, lui et ses successeurs lui appartiendraient pour tous les jours de leurs vies.
Et alors, même le Grand Amiral Thrawn devrait bien admettre que lui, Joruus C’baoth, avait découvert le sens véritable du pouvoir.