CHAPITRE VII

Fidelma, qui venait de se laver et de s’habiller, était en train de se coiffer quand on frappa à sa porte.

C’était le second, Gurvan de Bretagne.

— Excusez-moi, lady...

Fidelma retint un soupir. Sa parenté avec le roi de Muman avait à l’évidence fait le tour du bateau !

— ... Je vérifiais si vous vous étiez remise de la tempête.

— Je vais bien, je vous remercie, Gurvan.

Elle se souvenait vaguement d’avoir été dérangée à l’aube, quand la tourmente s’était calmée. Quelqu’un avait ouvert sa porte et l’avait refermée. Trop épuisée pour ouvrir les yeux, elle s’était aussitôt rendormie.

— N’êtes-vous pas venu jeter un coup d’oeil dans ma cabine un peu plus tôt ?

— Non, lady. Les autres s’apprêtent à rompre leur jeûne de la nuit. Voulez-vous vous joindre à eux ?

— Volontiers.

Il allait sortir quand il se retourna.

— J’espère que je ne vous ai pas choquée quand je vous ai ordonné de rentrer dans votre cabine pendant la tempête ?

Donc c’était Gurvan qui lui avait enjoint de ne pas bouger.

— Du tout. Votre intervention était pleinement justifiée.

Gurvan eut un sourire timide et porta le poing à son Iront.

— On vous attend pour le déjeuner.

Fidelma comprit qu’elle s’était réveillée tard.

— J’arrive tout de suite.

Le second se retira et elle l’entendit s’enfermer dans sa cabine, en face de la sienne.

En s’avançant sur le pont, elle eut l’impression de pénétrer dans un nuage. Une brume épaisse entourait l’Oie bernache. Fidelma distinguait à peine le haut du mât et la poupe se fondait dans la brume. Elle avait déjà été confrontée au brouillard en montagne, qui vous tombait dessus sans prévenir. Le mieux, dans ces cas-là, était de s’arrêter et d’attendre qu’il se dissipe, à moins qu’un montagnard ne vous guide par la bonne route pour redescendre dans la vallée.

Dans le silence ouaté, on entendait le souffle de la mer clapotant contre la coque. Le brouillard tournoyait et tourbillonnait comme la fumée d’un feu, et Fidelma eut le désir absurde de tenter de le disperser. Elle agita la main et, à sa grande surprise, des volutes se formèrent.

Gurvan émergea à nouveau de sa cabine.

— Une réaction de l’air froid sur l’eau plus chaude expliqua-t-il. Il n’y a pas de quoi s’inquiéter.

— J’ai déjà rencontré de tels phénomènes, répondit Fidelma, mais c’est inattendu après la tempête de cette nuit.

— Le soleil dispersera bientôt ces brumes.

Puis il alla parler à deux ombres indistinctes assises en tailleur sur le pont : des hommes d’équipage occupés à ravauder des pièces de tissu.

En s’avançant vers la poupe Fidelma sentit une brise légère sur sa joue, jouant avec la voile qui ondulait, languide, battant de l’aile comme un oiseau dans ce silence plein d’échos. Sous ses pieds, le navire était stable, la mer calme, et le navire ne semblait pas avoir subi de dommages importants.

À cet instant de ses réflexions, Fidelma se heurta à une silhouette qui poussa une exclamation de surprise. Elle était enveloppée d’une cape avec une capuche rabattue sur les yeux.

— Désolée, ma soeur, dit Fidelma en réalisant qu’il s’agissait d’une des religieuses.

À sa grande surprise, l’autre poursuivit son chemin en détournant la tête et disparut.

Fidelma, qui n’avait pas eu le temps de distinguer ses traits, n’en revenait pas d’une telle désinvolture. La courtoisie n’était pas le fort de ses nouveaux compagnons.

Puis ce fut au tour du capitaine Murchad de se matérialiser sous ses yeux. Il descendait les marches qui menaient du pont principal au pont de poupe. En la reconnaissant, il s’arrêta et leva la main pour la saluer.

— Drôle de temps ! s’exclama-t-il d’un air irrité. Aviez-vous déjà vu un tel phénomène ?

— En montagne.

— Dieu merci, le soleil aura tôt fait de dissiper cette purée de pois.

Il ne semblait guère pressé.

— Comment avez-vous supporté ce coup de chien ? demanda-t-il soudain.

Elle supposa que « coup de chien » appartenait à l’argot des matelots.

— Oh, je me suis endormie d’épuisement !

Murchad poussa un profond soupir.

— Cette sacrée tempête nous a détournés de notre route et va rallonger la traversée d’une demi-journée.

Décidément, Fidelma lui trouvait l’air préoccupé.

— Vous avez un problème ? lui demanda-t-elle. À mon avis, les pèlerins ne seront pas vraiment contrariés de passer un jour ou deux de plus sur votre navire.

— Ce n’est pas ça...

Il hésita puis se lança :

— Je crains que nous ayons perdu un passager.

Fidelma ouvrit de grands yeux.

— Vous voulez dire un des pèlerins ?

— Oui, balayé par la mer.

Fidelma reçut un choc.

— Vous avez bien fait de ne pas bouger pendant la tourmente, lady. Par un temps pareil, il est interdit aux passagers de monter sur le pont. C’est la première fois qu’il m’arrive pareil accident.

— Qui est-ce ? Comment cela s’est-il passé ?

Murchad haussa les épaules.

— Personne n’a rien vu.

— Qui a suggéré que cette personne était tombée à l’eau ?

— Frère Cian.

Fidelma fronça les sourcils.

— En quoi est-il concerné ?

— Il est venu me trouver à l’aube. Apparemment, il estime être responsable du groupe et s’est présenté comme leur porte-parole.

Fidelma renifla d’un air méprisant.

— En ce qui me concerne, permettez-moi de préciser que je ne lui ai délégué aucune autorité de la sorte.

Murchad ignora cette dernière remarque et poursuivit :

— Après la tempête, il a pris sur lui d’effectuer une ronde afin de s’assurer que tout le monde allait bien. Il s’est même rendu dans votre cabine.

— Pas du tout.

— Permettez-moi de vous contredire. Il m’a assuré qu’il avait passé la tête par l’entrebâillement de votre porte et noté que vous étiez endormie.

Voilà donc le bruit qui l’avait réveillée ! Une bouffée de colère l’envahit. Comment Cian avait-il pu se permettre de faire intrusion chez elle et la regarder dormir ?

— Continuez.

À l’avenir, elle s’assurerait que Cian n’aurait plus accès à sa cabine !

— Eh bien, il a découvert qu’un pèlerin manquait. Quand il est venu me faire part de son anxiété, j’ai ordonné à Gurvan de mener une fouille approfondie du navire. Il n’a rien trouvé et je l’ai alors prié de recommencer.

Cela expliquait la curieuse visite de Gurvan il y avait quelques instants. Et en parlant du loup... ils virent Gurvan s’avancer vers eux de sa démarche chaloupée.

Murchad l’interrogea du regard et le second secoua la tête d’un air désolé.

— Rien, de l’étrave à l’arrière.

Gurvan n’était pas du genre à gaspiller ses paroles.

Quand Murchad se retourna vers Fidelma, il semblait accablé.

— J’espérais qu’effrayée par la tempête, elle s’était réfugiée dans un recoin du navire.

Le découragement envahit Fidelma. Ce pèlerinage commençait sous de bien tristes augures ! Une seule nuit loin d’Ardmore et une femme disparaît corps et bien !

— De qui s’agit-il ?

— Soeur Muirgel. Descendons retrouver les autres, il va falloir que je leur annonce la triste nouvelle et que je prenne des mesures.

Gurvan repartit vaquer à ses occupations tandis que Murchad rejoignait le poste d’équipage avec Fidelma.

Hier, se rappela la religieuse, soeur Muirgel était à peine capable de soulever la tête de sa couchette tellement elle était malade. Comment cette jeune femme au visage blême avait-elle trouvé l’énergie, en pleine tempête, de quitter sa cabine et de grimper sur le pont où elle avait été emportée par une lame ?

Au poste d’équipage, Wenbrit servait un repas composé de pain, de viandes froides et de fruits aux pèlerins réunis autour de la table. Fidelma, qui remarqua aussitôt la présence de frère Bairne, fut saluée par un murmure maussade. Murchad s’assit en bout de table et Fidelma gagna la place qu’elle occupait la veille. Apparemment, tout le monde avait été informé de la disparition de soeur Muirgel. Cian fut le premier à s’informer du résultat des recherches.

— Hélas, les nouvelles ne sont pas bonnes, annonça le capitaine. Je vous confirme que soeur Muirgel n’est plus à bord. Le bateau a été fouillé de fond en comble. Qu’elle ait été emportée par les flots demeure la seule explication à sa disparition.

Un silence pesant accueillit cette nouvelle. Soeur Crella, la religieuse au large visage, réprima un sanglot.

— C’est la première fois que je perds un passager, poursuivit Murchad d’une voix forte, et je vous jure que ce sera la dernière. Si nous subissons une nouvelle tourmente, vous devez, je le répète, rester sous le pont ou dans vos cabines. Vous serez libérés de cette obligation quand je vous le dirai. Par temps calme, vous pouvez bien sûr monter à l’air libre, mais uniquement sous la surveillance d’un de mes hommes.

Frère Adamrae fronça les sourcils sous ses cheveux roux.

— Nous sommes des adultes, capitaine, pas des enfants. Nous avons payé pour notre traversée et je trouve offensant que nous soyons confinés ici comme si nous étions des... des criminels.

Cian hocha la tête pour marquer son approbation.

— Frère Adamrae marque ici un point, capitaine.

— Vous n’êtes pas des marins aguerris, rétorqua Murchad d’un ton sans réplique, et pour les novices comme vous, le pont d’un bateau est dangereux par gros temps.

Cian s’empourpra.

— Nous n’avons pas tous passé notre vie enfermés derrière les murs d’une abbaye. J’ai autrefois fait une carrière dans l’armée et...

Il fut coupé par frère Tola à la longue figure.

— Ce n’est pas parce qu’une idiote, trop malade pour savoir ce qu’elle faisait, est passée par-dessus bord que nous devons tous en pâtir.

Soeur Crella poussa une exclamation de colère et sauta sur ses pieds.

— Excusez-vous pour ces paroles offensantes, frère Tola ! Si vous n’aviez porté la robe de bure, vous auriez été obligé de mettre le genou en terre devant n’importe lequel des membres de la famille de Muirgel, digne représentante d’une haute noblesse ! Comment osez-vous l’insulter ainsi ?

La voix de soeur Crella était montée dans les aigus et elle était au bord de la crise de nerfs.

Soeur Ainder se dressa de toute sa taille et, sans effort apparent, entraîna Crella hors du poste d’équipage tout en lui murmurant les paroles consolatrices qu’une mère adresserait à un enfant.

Frère Tola se rassit, mal à l’aise devant la réaction qu’il avait provoquée.

— Je voulais juste préciser que nous avions payé pour notre traversée, comme le rappelait très opportunément frère Adamrae. Que se passerait-il si nous contestions les ordres du capitaine ?

— Il aurait alors le droit de vous enfermer, déclara Fidelma d’une voix douce, et aux murmures succéda un lourd silence.

Frère Tola fronça les sourcils devant ce qu’il considérait comme une impertinence.

— D’où tirez-vous cela ? ironisa-t-il.

Fidelma se tourna vers Murchad.

— Êtes-vous le propriétaire de ce vaisseau ?

L’autre hocha la tête d’un air surpris.

— Et quel est votre port d’attache ?

— Ardmore.

— Donc ce navire est sous tous rapports soumis aux lois d’Éireann.

— Sans doute, acquiesça Murchad.

— Cela répond à la question de frère Tola, conclut Fidelma qui tournait le dos au religieux.

Frère Tola ne s’avoua pas vaincu pour autant.

— Nullement.

Fidelma pivota sur elle-même.

— Les Muirbretha, les lois de la mer, s’appliquent à l’Oie bernache.

Ahuri, frère Tolla la fixa, puis ses lèvres s’étirèrent en un sourire suffisant.

— Et que savez-vous de ces lois ?

Ce fut Cian qui répondit à la place de Fidelma.

— Cette jeune femme est dálaigh, avocate devant les cours de justice, et s’est vue accorder le titre d’anruth, lança-t-il d’un ton cinglant.

Tout le monde savait que ce titre d’anruth précédait la plus haute qualification accordée par les collèges séculiers et ecclésiastiques d’Éireann.

C’est à cet instant qu’Ainder réapparut, inconsciente des nouvelles tensions qui agitaient le petit groupe.

— Crella se repose, annonça-t-elle. En tant que parente et plus proche amie de Muirgel, elle a reçu un grand choc. Frère Tola, je pense que vous auriez pu vous abstenir de formuler des remarques aussi blessantes.

Tola fronça les sourcils et se tourna vers Cian.

— Que disiez-vous au sujet de cette femme ?

— Que Fidelma est avocate. Sa réputation s’étend jusqu’à Tara et la cour du haut roi.

— C’est vrai ? insista Tola, toujours dubitatif.

— C’est exact, intervint Murchad. Et elle est aussi la soeur du roi de Muman.

Deux taches rouges apparurent sur les pommettes de Tola qui baissa la tête pour dissimuler sa confusion tout en feignant d’examiner la table devant lui.

Fidelma, gênée que son rang ait été révélé aux personnes présentes, jeta un coup d’oeil embarrassé autour d’elle.

— Je voulais juste souligner que, selon les Muirbretha, Murchad, en tant que capitaine de ce navire, est doté des mêmes prérogatives qu’un roi. Et vous devez ajouter à cela qu’il jouit de l’autorité d’un chef brehon. En d’autres termes, il règne sans partage sur son navire et sur ses passagers. Vous avez une autre question, frère Tola ?

— Non, répondit l’autre avec humeur.

— Dans ce cas, capitaine, je pense que vos ordres seront respectés, car chacun d’entre nous a compris que toute désobéissance entraînerait un châtiment.

Murchad lui adressa un sourire nerveux.

— J’agis au mieux pour protéger la vie de ceux dont j’ai la charge. Cet... accident avec soeur Muirgel n’aurait jamais dû advenir.

Il s’apprêtait à sortir quand la jeune soeur Gormán l’arrêta.

— Ne pourrions-nous au moins célébrer un court service pour le repos de l’âme de Muirgel ?

— Cela fait partie de nos devoirs de chrétiens, renchérit soeur Ainder.

— Bien sûr, grommela Murchad. Il aura lieu à midi, heure à laquelle j’espère que le soleil aura dissipé le brouillard.

— Merci, capitaine.

Murchad s’éclipsa tandis que Wenbrit faisait circuler des gobelets d’eau et de bière. Après un repas pris en silence, Fidelma fut soulagée de regagner le pont. À midi, le brouillard était toujours aussi épais.

La cérémonie fut très simple. Tout le monde se rassembla sur le pont à l’exception de Gurvan, d’un marin qui contrôlait la rame de gouverne et d’une vigie montée en haut du mât noyé de brume, chargée de surveiller le ciel pour repérer une éventuelle éclaircie. Murchad avait fait amener les voiles et jeter les ancres afin d’empêcher le navire d’être emporté par les courants, mais Fidelma sentait bien qu’il dérivait. D’ailleurs, le capitaine ne cessait de scruter les flots au cas où des ennuis surviendraient.

Au milieu des volutes de brouillard, les gens semblaient des apparitions d’un autre monde. Bizarrement, ce fut frère Tola qui prononça les prières pour le repos de l’âme de Muirgel. Sa belle voix résonnait comme dans un sépulcre. Brusquement, sans préambule, il entonna un verset du Livre de Jérémie :

« Il nous faut quitter le pays, on a démoli nos demeures. »

Femmes, écoutez donc la parole de Yahvé, que votre oreille reçoive sa parole ; apprenez à vos filles cette lamentation, enseignez-vous l’une à l’autre cette complainte :

« La mort a grimpé par nos fenêtres, elle est entrée dans nos palais, elle a fauché l’enfant dans la rue{4}... »

Ahurie, Fidelma contemplait ce prêtre redoutable qui citait des vers bien étranges et mal appropriés pour le repos d’une âme. Elle regarda autour d’elle et vit que soeur Gormán, les yeux brillants, hochait la tête en marquant le rythme des vers. Près d’elle, Cian affichait son ennui. Les autres, impassibles ou hypnotisés par les déclamations de frère Tola, ne bronchaient pas.

« Les cadavres des hommes gisent comme du fumier en plein champ, comme une gerbe derrière le moissonneur... »

Soudain, frère Bairne se racla bruyamment la gorge et tout le monde se tourna vers lui.

— J’aimerais citer un autre verset pour le repos de notre soeur défunte. Je crois que je la connaissais aussi bien que les personnes réunies ici.

Personne ne le contredit. Tendu et le visage crispé, il commença à réciter son texte tout en fixant quelqu’un dans le cercle des personnes présentes, mais, de sa place, Fidelma avait du mal à distinguer de qui il s’agissait. Soeur Crella, qui baissait les yeux, Cian qui regardait au loin d’un air accablé, ou alors la jeune soeur Gormán, près de Cian ?

Je ne châtierai pas vos filles pour leurs prostitutions, ni vos brus pour leurs adultères ; car eux-mêmes vont à l’écart avec les prostituées, ils sacrifient avec les hiérodules, et le peuple, sans discernement, va à sa perte{5}...

Soeur Crella releva brusquement la tête.

— En quoi ces paroles concernent-elles soeur Muirgel ? demanda-t-elle d’un ton menaçant. Vous ne la connaissiez pas du tout ! Vous étiez juste jaloux !

Elle apostropha soeur Ainder, figée sur place par l’incongruité de la situation.

— Qu’on en finisse avec cette farce ! Prononcez les bénédictions et ça suffira comme ça.

Les membres de l’équipage qui assistaient à la cérémonie s’éclipsèrent en silence, et Fidelma se demanda quelles passions inavouées se cachaient derrière cette scène étrange.

Soeur Ainder, qui était devenue toute rouge, psalmodia une rapide bénédiction et tout le monde se sépara. Seul frère Bairne demeura sur place. Il priait, la tête baissée.

Quand Fidelma se détourna, elle tomba sur Murchad.

— Voilà un groupe de religieux bien étrange, murmura-t-il.

Fidelma hocha la tête.

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire de prostituées ? poursuivit-il. Cette citation est-elle vraiment tirée de la Bible ?

— Oui, du Livre d’Osée. Frère Bairne citait le chapitre 4, d’où est également tiré le verset suivant :

Tous tant qu’ils sont, ils ont péché contre moi, je changerai leur gloire en ignominie.

Du péché de mon peuple, ils se nourrissent, de sa faute, ils sont avides.

Mais il en sera du prêtre comme du peuple ; je lui ferai expier sa conduite1.

Murchad lui jeta un regard admiratif.

— J’ai souvent ressenti cela au contact de certains religieux.

— Il semblerait que Dieu ait exprimé le premier vos réticences, capitaine.

— Comment faites-vous pour vous rappeler tout cela, lady ?

— Comment faites-vous pour vous rappeler les secrets de la navigation, pour connaître les vents, les marées, les signes qui protègent l’Oie bernache des dangers qui la menacent ? Il n’y a pas de secret, Murchad. On exerce sa mémoire. Ensuite, il ne reste plus qu’à appliquer ce que nous savons, ce qui n’est pas une tâche facile.

Elle descendit l’escalier qui menait au poste d’équipage pour aller y chercher un gobelet d’eau. Devant la porte, elle tomba sur Wenbrit, pâle et les traits tirés, qui n’était pas monté sur le pont pendant le service, car il avait du travail. Il sembla soulagé de la voir.

— Lady, il faut absolument...

Il s’arrêta et son regard se fixa sur un point au-dessus de la tête de la religieuse qui fronça les sourcils.

— Que se passe-t-il, Wenbrit ?

— Eh bien...

Il paraissait très troublé.

— Je voulais juste vous rappeler que le repas de midi sera bientôt servi.

En passant devant elle pour se diriger vers les cabines, le mousse lui murmura :

— Retrouvez-moi au plus tôt dans la cabine de la soeur défunte.

Quelqu’un toussa, elle se retourna et se retrouva face à Cian, perché quelques marches au-dessus d’elle.

— Il faut que je te parle, Fidelma.

Il arborait son sourire supérieur.

— Hier et par ta faute, notre discussion a tourné court.

Fidelma se détourna pour dissimuler sa colère. Il était évident que Wenbrit s’était interrompu à cause de la présence de Cian.

— Je suis occupée, répliqua-t-elle d’un ton agacé.

Il en fallait davantage pour arrêter Cian.

— Ne me dis pas que je te fais peur ?

Elle le fixa avec une évidente aversion. Impossible d’échapper à sa présence, tôt ou tard elle devrait l’affronter et mieux valait s’en débarrasser tout de suite. Ainsi, les longues journées qui suivraient se dérouleraient dans le calme. Elle décida donc que Wenbrit attendrait.

Déjà, les souvenirs se bousculaient dans sa tête.