PRÉSIDENT NARMONOV :
JE VOUS ENVOIE CE MESSAGE, À VOUS OU À VOTRE SUCCESSEUR, À TITRE D’AVERTISSEMENT.
NOUS VENONS D’ÊTRE INFORMÉS QU’UN SOUS-MAJRIN SOVIÉTIQUE ATTAQUE EN CE MOMENT MÊME UN SOUS-MARIN LANCE-MISSILES AMÉRICAIN. UNE AGRESSION CONTRE NOS MOYENS STRATÉGIQUES NE SERA PAS TOLÉRÉE, ET SERA INTERPRÉTÉE COMME LA PRÉPARATION D’UNE ATTAQUE CONTRE LES ÉTATS-UNIS.
JE DOIS EN OUTRE VOUS INFORMER QUE NOS FORCES STRATÉGIQUES SONT À LEUR STADE D’ALERTE MAXIMUM. NOUS SOMMES PRÊTS À NOUS DÉFENDRE.
SI VOS PROTESTATIONS D’INNOCENCE SONT RÉELLES, JE VOUS DEMANDE INSTAMMENT DE CESSER TOUTE ACTION AGRESSIVE TANT QU’IL EN EST ENCORE TEMPS.
— Successeur ? Mais que diable entend-il par là ?
Narmonov détourna son regard un instant, puis revint à Golovko.
— Qu’est-ce qu’il se passe là-bas ? Fowler est malade ? Il est devenu fou ? Qu’est-ce qui leur arrive ? Qu’est-ce que cette histoire de sous-marin ?
Il s’arrêta de parler, et resta là, bouche bée, comme un poisson qui vient de se faire prendre. Le président soviétique essayait péniblement de déglutir.
— Nous savons qu’il y a un SNLE américain désemparé dans le Pacifique Est, et nous avons envoyé un sous-marin investiguer, mais il n’a pas l’autorisation d’attaquer, déclara le ministre de la Défense.
— Pourrait-il le faire dans certaines circonstances ?
— Non. Sans autorisation de Moscou, il n’a droit qu’à des actes d’autodéfense. Le ministre de la Défense regardait dans le vague, incapable de soutenir le regard de son président. Il n’avait pas envie de parler, mais il lui était impossible de faire autrement.
— Je crois que la situation est devenue incontrôlable.
* * *
— Monsieur le président.
C’était un adjudant-chef. Il ouvrit sa mallette et en sortit un gros classeur. Le premier intercalaire était bordé de rouge. Fowler y alla directement. On lisait :
POI
OPTION ATTAQUE MAJEURE
* * SKYFALL * *
* * *
— Mais, bon sang, qu’est-ce que ça veut dire, ce Snapcount ?
— C’est le plus élevé des niveaux d’alerte, Ben. Ça veut dire que le revolver est armé et pointé, et que le doigt est sur la détente.
— Mais comment avons-nous pu...
— Laissez tomber, Ben ! Peu importe comment on s’est foutus dans ce merdier, on y est.
Ryan se mit debout et laissa son regard errer.
— Les mecs, on ferait mieux de se remuer les méninges, et vite.
L’officier de suppléance prit la parole.
— Il faut que nous fassions comprendre à Fowler...
— Il ne peut pas comprendre, dit durement Goodley. Il ne risque pas de comprendre, puisqu’il n’écoute pas.
— Les secrétaires d’État et à la Défense ont disparu — ils sont morts, observa Ryan.
— Le vice-président — le Rotule.
— Très bonne idée, Ben... Quel est le bon bouton ? voilà !
Ryan appuya dessus.
— Rotule.
— Ici la CIA, DDCI Ryan à l’appareil. J’ai besoin de parler au vice-président.
— Une seconde, monsieur.
Ce fut très court.
— Ici Roger Durling. Salut, Ryan.
— Bonjour, monsieur le vice-président. Nous avons un gros problème, monsieur.
— Qu’est-ce qui a foiré ? J’ai tous les messages échangés sur la ligne rouge. Il y a vingt minutes, c’était tendu, mais ça pouvait encore aller. Qu’est-ce qui a bien pu merder ?
— Monsieur, le président est convaincu qu’il y a eu un coup d’État en Union soviétique.
— Quoi ? Mais c’est la faute à qui ?
— C’est la mienne, monsieur, reconnut Ryan. Je suis le con qui lui a donné cette information. Mais peu importe, le président ne m’écoute plus.
À sa grande surprise, Jack entendit un éclat de rire amer.
— Ouais, et Bob ne m’écoute pas beaucoup non plus.
— Monsieur, il faut absolument que nous parvenions à nous faire entendre. Nous avons des informations selon lesquelles il pourrait s’agir d’un acte terroriste.
— C’est quoi, ces informations ?
Jack le lui raconta en une minute.
— C’est assez mince, remarqua Durling.
— C’est peut-être mince, monsieur, mais c’est tout ce dont nous disposons, et ça vaut beaucoup mieux que tout ce que nous avions jusqu’à maintenant.
— OK, attendez une minute. Pour le moment, donnez-moi votre évaluation de la situation.
— Monsieur, je crois que le président se trompe, et que c’est bien Andrei Ilitch Narmonov qui est à l’autre bout. A Moscou, c’est bientôt l’aube, et le président Narmonov souffre du manque de sommeil, il a peur autant que nous et, à en croire son dernier message, il se demande si le président Fowler n’est pas devenu cinglé. Tout cela ne me dit rien de bon. D’après nos renseignements, il y a eu des incidents isolés entre forces américaines et soviétiques. Dieu seul sait ce qui s’est vraiment passé, mais les deux côtés l’interprètent comme une agression. Ce qui se produit en fait certainement, ce sont des actions chaotiques, les avant-gardes qui se rencontrent et qui se tirent dessus parce qu’on les a placées à un niveau d’alerte élevé. L’escalade s’entretient d’elle-même.
— Je suis d’accord. Continuez.
— Il faut que quelqu’un reprenne les choses en main, et vite. Monsieur, vous avez le devoir de parler au président. Il ne prend même plus le téléphone quand je l’appelle. Talbot et Bunker sont morts, il n’écoute plus personne.
— Et Arnie Van Damm ?
— Bordel ! s’écria Ryan. — Comment avait-il pu ne pas penser à Arnie ? — Où est-il ?
— Je n’en sais rien, mais je pourrais demander aux services secrets de le trouver. Et Liz ?
— C’est elle qui a eu cette brillante idée, que Narmonov n’était plus là.
— Quelle putain ! fit Durling.
Il avait travaillé dur et gaspillé son capital politique pour mettre Charlie Alden à ce poste.
— OK, je vais essayer de l’appeler. Restez en ligne.
— D’accord.
* * *
— Le vice-président, monsieur, sur la ligne six.
Fowler appuya sur le bouton.
— Faites vite, Roger.
— Bob, il faut reprendre les choses en main.
— Et qu’est-ce que vous croyez, je me tue à ça !
Durling était installé dans un fauteuil de cuir à haut dossier. Il ferma les yeux. Tout était dans le ton de la réponse.
— Bob, vous faites empirer les choses au lieu de les améliorer. Il faut s’arrêter. Respirez un grand coup, marchez un peu, réfléchissez ! Nous n’avons aucune raison de croire que les Russes aient pu faire ça. Bon, je viens de discuter avec la CIA, et ils disent...
— Ryan, vous voulez dire ?
— Oui, il m’a informé d’un certain nombre de choses, et...
— Ryan m’a menti.
— Conneries que tout ça, Bob.
Durling essayait de garder un ton calme. Il appelait ça sa voix de médecin de campagne.
— Il ne ferait pas une chose pareille.
— Roger, je crois vous connaître assez bien, mais je n’ai pas le temps de faire de psychanalyse. Il est possible que nous soyons sur le point de subir une attaque nucléaire. Mais vous, au moins, vous risquez de survivre. Je vous souhaite bonne chance, Roger. Attendez : un message arrive sur la ligne rouge.
* * *
PRÉSIDENT FOWLER :
ICI ANDREI ILITCH NARMONOV QUI VOUS
PARLE.
L’UNION SOVIÉTIQUE N’A MENÉ AUCUNE ACTION AGRESSIVE CONTRE LES
ÉTATS-UNIS, AUCUNE. NOUS N’AVONS AUCUN INTÉRÊT À TOUCHER À VOTRE
PAYS. NOUS VOULONS QU’ON NOUS LAISSE TRANQUILLES ET POUVOIR VIVRE
EN PAIX.
JE N’AI AUTORISÉ AUCUNE ACTION CONTRE QUELQUE FORCE AMÉRICAINE OU QUELQUE CITOYEN AMÉRICAIN QUE CE SOIT. SI VOUS NOUS ATTAQUEZ, NOUS SERONS OBLIGÉS DE VOUS ATTAQUER À NOTRE TOUR, ET DES MILLIONS DE PERSONNES VONT MOURIR. ALLONS-NOUS FAIRE ÇA POUR UN ACCIDENT ?
LE CHOIX VOUS APPARTIENT. JE NE PEUX PAS VOUS EMPÊCHER D’AGIR DE MANIÈRE IRRATIONNELLE. J’ESPÈRE QUE VOUS ALLEZ REPRENDRE LE CONTRÔLE DE VOUS-MÊME. TROP DE VIES SONT EN JEU POUR QUE VOUS OU MOI NOUS PERMETTIONS D’AGIR SANS RÉFLÉCHIR.
— Au moins, on a déjà ça, nota Goodley.
— Ouais, ça rend la situation légèrement meilleure. Ça va peut-être le calmer un peu, dit Ryan. Ce message va dans le bon sens. Vous ne pouvez pas dire à quelqu’un qui agit n’importe comment qu’il a perdu son...
— Ryan, ici Durling.
Ryan appuya sur le bouton.
— Oui, monsieur le vice-président.
— Il n’a pas voulu, il n’a pas voulu m’écouter, et puis il y a eu ce nouveau message, et il l’a plutôt mal pris.
— Monsieur, vous pouvez ouvrir une ligne avec le SAC ?
— Non, j’ai bien peur que non. Ils sont en conférence avec le NORAD et Camp David. C’est une bonne partie du problème, Jack, le président sait qu’il est vulnérable là-bas et il a peur... eh bien...
— Ouais, tout le monde a peur, non ?
Il y eut un long silence, et Jack se demanda si Durling ne se sentait pas coupable d’être relativement à l’abri.
* * *
À Rocky Flats, les échantillons furent placés dans un spectromètre gamma. Cela avait pris plus longtemps que prévu, à la suite d’une série de problèmes mineurs. Les opérateurs étaient protégés par un blindage et portaient des gants de caoutchouc au plomb, ainsi que des pantoufles spéciales pour sortir les échantillons des conteneurs plombés. Ils attendirent que le technicien mette en route la machine.
— OK, c’est assez chaud, tout ça.
La machine avait deux sorties, un écran cathodique et une imprimante. Elle mesurait l’énergie des photoélectrons générés par les rayonnements gamma. Quand on connaissait précisément le niveau d’énergie de ces électrons, il était possible d’identifier simultanément le nom de l’élément et de son isotope. Le spectre apparaissait sous forme d’une série de traits verticaux à l’écran, et leur hauteur relative indiquait la composition de l’échantillon en pourcentage. Pour avoir une mesure plus précise, il faudrait introduire l’échantillon dans un petit réacteur pour l’activer, mais ce système suffisait amplement pour l’instant.
— Ouh là là, regarde ce pic de tritium ! Tu dirais quoi pour la puissance ?
— Moins de quinze.
— Il y a un sacré paquet de tritium, regarde ça !
Le technicien — il était étudiant en maîtrise — nota quelque chose sur son bloc et changea de gamme.
— OK, le plutonium, nous avons pas mal de 239, du 240, du neptunium, de l’américium, du gadolinium, du curium, du prométhéum. L’uranium, du 235 et pas mal de 238... c’était un engin assez sophistiqué, les mecs.
— Un raté, dit l’un des membres de l’équipe d’intervention nucléaire en lisant les chiffres. Nous sommes en présence des restes d’un long-feu. Ce n’était pas la réalisation d’un amateur. Tout ce tritium... putain, ce devait être un engin à deux étages, c’est trop pour une arme à fission dopée — c’est une merde de bombe H, oui !
Le technicien peaufina ses réglages.
— Regardez la proportion de 239/240...
— Va chercher le bouquin !
Sur l’étagère en face du spectromètre était posé un épais classeur recouvert de plastique rouge.
— Savannah River, dit le technicien. Ils ont toujours eu des problèmes avec leur gadolinium... Hanford le fabrique d’une autre façon... eux, ils ont davantage de prométhéum...
— Tu es fou ou quoi ?
— Tu peux me croire, répliqua le technicien. Je fais mon mémoire sur les problèmes de contamination dans les usines de production de plutonium. Voilà, j’ai les chiffres.
Il les lut à haute voix L’homme de l’équipe nucléaire chercha la bonne page.
— On y est presque ! Redis-moi le chiffre !
— Sainte Marie Mère de Dieu !
L’homme se replongea dans le bouquin.
— Savannah River... Ce n’est pas possible...
— 1968, un bon cru. Ça vient de chez nous, c’est du plutonium de chez nous.
Le chef d’équipe fut bien obligé de laisser tomber ses derniers doutes.
— OK, j’appelle Washington.
— On ne peut pas, fit le technicien en reprenant ses réglages. Les lignes interurbaines sont coupées.
— Où est Larry ?
— À l’hôpital presbytérien d’Aurora, il travaille avec les mecs du FBI. J’ai écrit son numéro sur un bout de papier, près du téléphone. Je pense qu’il peut prévenir Washington en passant par leur intermédiaire.
* * *
— Murray.
— Hoskins, je viens d’avoir Rocky Flats. Dan, ça paraît dingue : l’équipe d’intervention dit que l’arme contenait du plutonium d’origine américaine.
Je lui ai demandé de me confirmer, il l’a fait, en me disant qu’il avait aussi du mal y croire. Le plutonium est sorti de Savannah River, en 1968, le réacteur K. Ils ont tous les détails, il dit qu’il peut même savoir de quelle partie du réacteur K ça sort. Je n’y comprends rien, mais lui, c’est un expert.
— Walt, comment veux-tu que j’arrive à faire croire ça à quelqu’un ?
— Dan, c’est ce que m’a dit ce type.
— Il faut que je lui parle.
— Les lignes téléphoniques sont coupées, rappelle-toi. Je peux le faire venir ici en quelques minutes.
— Vas-y, et vite.
* * *
— Ouais, Dan ?
— Jack, l’équipe d’intervention vient de nous appeler depuis notre bureau de Denver. Les matières nucléaires de la bombe étaient d’origine américaine.
— Quoi ?
— Écoute, Jack, c’est ce qu’on a tous dit. L’équipe a ramassé des échantillons et les a analysés, et ils disent que l’uranium — non, le plutonium — vient de Savannah River, 1968. Leur chef arrive au bureau du FBI de Denver. Les lignes interurbaines sont coupées, mais je peux te le passer par notre réseau et tu pourras lui parler directement.
Ryan regarda le spécialiste du service Science et Technologie.
— Dites-moi ce que vous en pensez.
— Savannah River, ils ont eu des problèmes là-bas, à peu près cinq cents kilos de plutonium ont disparu. Envolés.
— Alors, ce sont bien des terroristes, dit Jack.
— Ça se confirme, convint l’homme de S & T.
— Mon Dieu, et dire qu’ils ne m’écoutent plus. Bon, il y a encore Roger Durling.
* * *
— C’est difficile à croire, déclara le vice-président.
— Monsieur, ce sont des renseignements en béton, vérifiés par l’équipe d’intervention de Rocky Flats. C’est du solide, c’est scientifique. Ça peut paraître dingue, mais c’est ainsi. J’espère que c’est le cas, mon Dieu, pourvu que ce soit vrai.
Durling entendait Ryan réfléchir.
— Monsieur, nous sommes absolument certains qu’il ne s’agit pas d’une arme russe — c’est là ce qui compte. Nous sommes certains que ce n’était pas une arme soviétique. Dites-le au président sur-le-champ !
— Je vais le faire.
Durling fit un signe au sergent télécom de l’armée de l’Air.
— Oui, Roger, dit le président.
— Monsieur, nous venons d’avoir une information importante.
— Quoi encore ?
Le président semblait épuisé.
— Cela m’a été transmis par la CIA, mais l’origine en est le FBI. L’équipe d’intervention nucléaire a pu établir que les matières fissiles de la bombe ne sont pas d’origine russe, mais américaine.
— Mais c’est complètement dingue ! s’exclama Borstein. Aucune de nos armes n’a disparu. Nous prenons le plus grand soin de ces foutus engins !
— Roger, c’est Ryan qui vous a raconté ça ?
— Oui, Bob.
Durling entendit un profond soupir.
— Merci.
La main du vice-président tremblait lorsqu’il reposa le téléphone.
— Il ne veut rien entendre.
* * *
— Il va bien falloir qu’il l’admette, monsieur, puisque c’est vrai !
— Je suis à court d’idées. Vous aviez raison, Jack, il n’écoute plus personne.
— Un message sur la ligne rouge, monsieur.
PRÉSIDENT NARMONOV :
VOUS M’ACCUSEZ D’AVOIR UNE CONDUITE IRRATIONNELLE. NOUS AVONS EU DEUX CENT MILLE MORTS, UNE ATTAQUE CONTRE NOS FORCES À BERLIN, UNE ATTAQUE CONTRE NOS FORCES NAVALES EN MÉDITERRANÉE ET DANS LE PACIFIQUE...
— Il est sur le point d’y aller. Bon Dieu ! Nous avons tous les renseignements nécessaires pour l’arrêter et...
— Je suis à court d’idées, répéta Durling. Ces conneries de messages sur la ligne rouge font empirer les choses au lieu de les améliorer, et...
— On dirait que c’est le problème clé, non ? — Ryan leva les yeux. — Ben, vous savez conduire dans la neige ?
— Ouais, mais...
— Venez !
Ryan se précipita hors de la pièce. Ils prirent l’ascenseur jusqu’au rez-de-chaussée, Jack entra en coup de vent au bureau de la sécurité.
— Les clés de la bagnole !
— Ici, monsieur
Un jeune homme complètement terrorisé les lui tendit. Les forces de sécurité de la CIA avaient leurs véhicules garés près du parking des VIP. Le quatre-quatre GMC bleu était ouvert.
— Où allons-nous ? demanda Goodley en ouvrant la portière côté conducteur.
— Au Pentagone, la porte de la Rivière, et faites vite.
* * *
— Qu’est-ce qui s’est passé ?
La torpille avait commencé à tracer des cercles, mais sans exploser, et s’était finalement arrêtée, à court d’énergie.
— La masse était trop faible pour la mise à feu magnétique — trop petite pour un impact... ça devait être un leurre, dit Dubinin. Où est le premier message que nous avons intercepté ?
Un matelot le lui tendit.
— Hélice endommagée suite collision. Bon Dieu ! Ce que nous pistions, c’était une machine en avarie, pas une hélice endommagée.
Le commandant tapa du poing sur la table si violemment qu’il se fit saigner.
— Venir au nord, émission sonar !
* * *
— Oh merde. CO de sonar, nous avons un sonar actif au unité-neuf-zéro.
— Préparez les armes !
— Commandant, si nous sortons le moteur hors-bord, nous ferons deux ou trois noeuds de mieux, dit Claggett.
— Trop bruyant ! répliqua sèchement Ricks.
— Commandant, nous sommes noyés dans le bruit de surface, et les hautes fréquences émises par le hors-bord n’ont pas grande importance. Il a un sonar actif basse fréquence, et il nous détectera de toute façon, que nous soyons bruyants ou pas. Il faut que nous augmentions la distance à tout prix ; s’il s’approche trop, l’Orion ne pourra pas l’attaquer.
— On va le renvoyer.
— Mauvaise idée, commandant. Snapcount est en vigueur, et notre mission prioritaire consiste à lancer les missiles. Remettre des bouées à l’eau nous indiquera au moins où nous devons surveiller. Commandant, nous devons rester hors de portée de son sonar actif, nous ne pouvons pas prendre le risque de tirer.
— Non ! ASM, continuez !
— Bien, commandant.
— Officier trans, dites à l’Orion de venir nous donner un coup de main !
— C’est le dernier, mon colonel.
— Eh bien, on est allés assez vite, dit le commandant du régiment.
— Les garçons commencent à être entraînés, répondit le major qui se tenait à côté de lui.
Ils regardaient le dixième et dernier corps de rentrée que l’on sortait d’un SS-18 à Aleysk.
— Faites attention, sergent.
C’était à cause de la glace. Quelques minutes plus tôt, de la neige était entrée dans le silo, les gens en bottes l’avaient écrasée et fait fondre, mais il faisait moins de zéro, et elle avait aussitôt regelé pour former une mince couche de glace invisible. Le sergent était en train de reculer sur la passerelle amovible lorsqu’il glissa et lâcha la clé qu’il tenait. Elle rebondit en tournoyant, le sergent essaya sans succès de la rattraper, et elle tomba dans le vide.
— Tirez-vous ! cria le colonel.
Le sergent n’avait pas besoin qu’on le lui dise deux fois. Le caporal qui conduisait la grue posa la tête et sauta de son véhicule. Ils savaient tous où se mettre à l’abri.
La clé tomba en chute libre presque jusqu’au fond, mais toucha un appendice et rebondit sur le côté. Elle perça en deux endroits la peau du premier étage, qui constituait également l’enveloppe des réservoirs de combustible et d’oxydant. Les deux composés commencèrent à fuir, sous forme de légères fumées — quelques grammes seulement —, mais ces produits étaient très réactifs, et ils prirent feu en entrant en contact. Il y avait alors deux minutes que la clé était tombée.
L’explosion fut très forte. À deux cents mètres du silo, le colonel fut jeté à terre. Instinctivement, il se laissa rouler derrière un gros sapin pour laisser passer l’onde de choc. Quand il se releva, le silo était surmonté d’une colonne de flammes. Ses hommes étaient tous sains et saufs — un vrai miracle. Sa première pensée, pleine de cet humour étrange que l’on ressent quand on vient d’échapper à la mort, fut : « Eh bien, ça fait toujours un missile de moins dont auront à se soucier les Américains ! »
* * *
Les caméras du satellite DSPS étaient pointées sur le site de missiles russes, il ne pouvait manquer la bouffée d’énergie. Le signal fut transmis à Alice Springs, Australie, puis de là vers un satellite de télécommunications de l’armée de l’Air américaine qui le relaya en Amérique du Nord. Le tout avait pris une demi-seconde.
— Lancement possible, lancement possible à Aleysk !
En un éclair, tout changea pour le major général Joe Borstein. Ses yeux se concentrèrent sur l’écran temps réel, et sa première réaction fut que c’était arrivé, en dépit de tout, les changements, le progrès, les traités. C’était arrivé, il le voyait de ses yeux et il serait encore là à le regarder quand le SS-18 marqué de son nom atterrirait sur le mont Cheyenne... Ce n’était pas comme lancer des bombes sur le pont Paul-Doumer, ou poursuivre des chasseurs au-dessus de l’Allemagne, c’était la fin du monde.
Borstein avait la voix étranglée.
— Je n’en vois qu’un... où est le missile ?
— Pas de missile, pas de missile, pas de missile, annonça un capitaine féminin. L’éclair est trop violent, on dirait une explosion. Pas de missile, pas de missile. Il ne s’agit pas d’un lancement, je répète, il ne s’agit pas d’un lancement.
Borstein regardait ses mains trembler. Cela ne lui était pas arrivé quand il avait été abattu, lorsqu’il s’était écrasé à Edwards, ni quand il pilotait son avion par des temps de chien. Il regarda ses hommes tout autour de lui, et vit sur leurs visages qu’ils avaient ressenti la même chose que lui au creux de l’estomac. Jusqu’à maintenant, c’était un peu comme s’ils assistaient à un film d’horreur, mais là, ce n’était plus du cinéma. Il décrocha la ligne du SAC et coupa celle de Camp David.
— Pete, tu as assisté à ce qui vient de se passer ?
— Bien sûr, Joe.
— Nous, euh... il faudrait qu’on calme le jeu, Pete. Le président perd les pédales.
Le CINC-SAC attendit une fraction de seconde pour répondre.
— Moi aussi, j’ai perdu les pédales, mais maintenant, ça va.
— Ouais, je t’ai entendu, Pete.
— Bon Dieu, qu’est-ce que c’était ?
Borstein bascula son interrupteur.
— Monsieur le président, c’était une explosion sur le site de lancement de missiles d’Aleysk. Nous, euh... nous avons bien sûr eu peur un moment, mais il n’y a pas de missile en vol — je répète, monsieur le président, il n’y a pas de missile en vol à l’heure qu’il est. C’était une fausse alerte.
— Alors, qu’est-ce que ça signifie ?
— Monsieur, je n’en sais rien. Peut-être... ils faisaient peut-être de la maintenance sur les missiles, et ils ont eu un accident. C’est déjà arrivé nous avons eu le même problème avec le Titan-II.
— Le général Borstein a raison, confirma simplement CINC-SAC. C’est pour cela que nous nous sommes débarrassés du Titan-II... monsieur le président ?
— Oui, général ?
— Monsieur, je recommande que nous essayions de calmer les choses.
— Et comment allons-nous faire ?
Fowler aurait bien aimé qu’on le lui dise. Et si ça avait un rapport avec leur niveau d’alerte ?
* * *
La route le long de George-Washington Parkway se fit sans histoire. L’avenue était couverte de neige, mais Goodley réussit à mener son quatre-quatre à soixante à l’heure sans perdre un instant le contrôle de son véhicule, en slalomant parmi les voitures abandonnées comme un pilote de Formule un à Daytona. Il pénétra au Pentagone par la porte du Fleuve. Le garde civil habituel était maintenant doublé par un soldat en armes, dont le M-16 était indubitablement chargé.
— CIA ! fit Goodley.
— Attendez. — Ryan tendit son badge. — Mettez-le dans l’orifice, je crois que ça marche ici.
Goodley s’exécuta. Le badge de Ryan avait le bon code. La barrière se leva, et ils purent passer. Le soldat fit un signe de tête. Si le passe marchait, tout était OK, non ?
— Allez directement à la première porte.
— Je vais me garer ?
— Laissez la voiture ici et venez avec moi.
Les mesures de sécurité avaient également été renforcées à l’intérieur. Jack essaya de franchir le détecteur de métaux, mais fut stoppé net : de la monnaie dans sa poche. De rage, il la jeta par terre.
— Le NMCC ?
— Venez avec moi, monsieur.
L’entrée du Centre national de commandement était protégée par une épaisse vitre anti-balles, derrière laquelle se trouvait une femme sergent noire armée d’un revolver.
— CIA, il faut que j’entre.
Ryan posa son badge contre le lecteur, et cela marcha une fois encore.
— Qui êtes-vous, monsieur ? lui demanda un officier marinier.
— Le directeur adjoint de la CIA. Conduisez-moi au responsable.
— Suivez-moi, monsieur. Celui que vous voulez voir est le capitaine de vaisseau Rosselli.
— Capitaine de vaisseau ? Il n’y a pas d’officier général ?
— Le général Wilkes est perdu on ne sait où, monsieur. Nous ne savons pas où il est.
L’officier marinier franchit une porte. Ryan vit en entrant un capitaine de vaisseau et un lieutenant-colonel de l’armée de l’Air, un grand panneau de renseignements et une multitude de téléphones.
— C’est vous, Rosselli ?
— Oui, et qui êtes-vous ?
— Jack Ryan, directeur adjoint de la CIA.
— Vous n’avez pas choisi le meilleur endroit pour faire un tour, par les temps qui courent, remarqua le colonel Barnes.
— Il y a du nouveau ?
— Eh bien, nous venons de repérer ce qui pourrait bien être un lancement de missile chez les Russes.
— Putain !
— On n’a pas détecté de missile, il s’agit peut-être d’une explosion dans un silo. Vous avez d’autres informations ?
— Il faudrait que j’appelle le FBI, et ensuite, j’ai besoin de vous parler à tous les deux.
— C’est dingue, dit Rosselli, deux minutes plus tard.
— Pas impossible. — Ryan prit le téléphone. — Dan, ici Jack.
— Mais où diable es-tu, Jack ? Je viens d’appeler Langley.
— Au Pentagone. Tu as du nouveau, pour la bombe ?
— Attends, je suis en liaison avec Larry Parsons, le patron de l’équipe d’intervention. Il est en ligne.
— OK, ici Ryan, directeur adjoint de la CIA. Je vous écoute.
— La bombe contenait du plutonium d’origine américaine, nous en sommes sûrs. On a repris quatre fois les analyses de l’échantillon. L’usine de Savannah River, février 68, le réacteur K.
— Vous en êtes sûrs ? demanda Jack, en espérant de toutes ses forces que la réponse serait oui.
— Sûrs et certains, aussi fou que ça paraisse. Ça venait de chez nous.
— Quoi d’autre ?
— Murray me dit que vous avez eu des difficultés pour estimer la puissance. Je suis allé là-bas. C’était un engin de faible puissance, moins de quinze — je veux dire, unité-cinq kilotonnes. Il y avait des survivants sur les lieux — pas beaucoup, mais j’en ai vu de mes propres yeux. Je ne sais pas ce qui a foutu en l’air la première estimation, mais je suis allé là-bas et je puis vous affirmer que c’était une bombe de faible puissance. On dirait aussi qu’il y a eu long-feu. Nous essayons d’affiner ces résultats — mais je vous ai dit le plus important. Il est certain que la matière nucléaire était d’origine américaine. Sûr à cent pour cent.
Rosselli se pencha pour vérifier que la ligne du FBI était bien protégée.
— Attendez une minute. Monsieur, je suis le capitaine de vaisseau Rosselli. J’ai une maîtrise en physique nucléaire. Juste pour vérifier ce que je viens d’entendre, je voudrais que vous me donniez la proportion de 239/240, d’accord ?
— Attendez, je vais... OK, il y a neuf-huit point neuf-trois pour cent de 239 et en 240, zéro point quatre-cinq. Vous voulez les éléments à l’état de traces ?
— Non, ça va. Merci, monsieur.
Rosselli se redressa et dit tranquillement :
— Ou il dit la vérité, ou il est sacrément doué pour mentir.
— Commandant, je suis content que vous soyez d’accord. J’ai besoin que vous fassiez quelque chose.
— Et quoi donc ?
— J’ai besoin d’accéder à la ligne rouge.
— Je ne peux pas vous y autoriser.
— Commandant, vous avez gardé une copie des messages ?
— Non, ni Rocky ni moi n’en avons eu le temps. Nous avions trois affaires chaudes en cours et...
— Allons jeter un coup d’oeil.
Ryan n’était encore jamais venu, ce qui lui parut tout d’un coup bizarre. Les copies de messages étaient archivées sur une planchette. Il y avait six personnes dans la salle, et elles étaient toutes pâles comme la mort.
— Putain, Ernie ! fît Rosselli.
— Rien d’autre depuis ? demanda Jack.
— Rien depuis celui qu’a envoyé le président il y a vingt minutes.
— Ça se passait plutôt bien quand je suis venu juste après...
— Oh, mon Dieu..., fit Rosselli quand il eut terminé sa lecture.
— Le président a perdu le nord, dit Jack. Il refuse de prendre en compte les renseignements que je lui donne, il refuse d’écouter le vice-président Durling. Maintenant, tout est très simple, n’est-ce pas ? Je connais le président Narmonov, il me connaît. Avec ce que vient de nous fournir le FBI, et que vous venez d’entendre à votre tour, commandant, je crois que je suis en mesure de réussir quelque chose. Sinon...
— Monsieur, ce n’est pas possible, répliqua Rosselli.
— Et pourquoi ? demanda Jack.
Son coeur battait à tout rompre, mais il se força à respirer régulièrement Il fallait qu’il garde son calme... qu’il garde son calme.
— Monsieur, sur cette liaison, seules deux personnes ont le droit de...
— L’une d’entre elles et peut-être les deux à l’heure qu’il est n’ont plus toute leur tête. Je ne peux pas vous obliger à le faire, mais je vous demande de réfléchir. Il y a un instant, vous avez utilisé votre tête, servez-vous-en encore une fois, dit calmement Ryan.
— Monsieur, on ira en taule si on fait ça, intervint le superviseur du réseau.
— Encore faudrait-il que vous soyez encore en vie, lui répondit Jack. Nous sommes sous le régime de Snapcount. Vous savez ce que ça veut dire. Commandant Rosselli, vous êtes l’officier présent le plus ancien, je vous demande d’appeler.
— Je veux voir tout ce que vous écrivez avant transmission.
— Ça me paraît normal. Je peux taper moi-même ?
— Oui. Vous tapez, c’est vérifié et chiffré avant transmission.
Un sergent de marines lui fît une petite place. Jack s’assit, alluma une cigarette, sans tenir compte des panneaux d’interdiction de fumer ANDREI ILITCH, tapa lentement Ryan, ICI JACK RYAN. ALLUMEZ-VOUS TOUJOURS DES FLAMBÉES DANS VOTRE DATCHA ?
— OK ?
Rosselli fît un signe d’approbation au sous-officier assis près de Ryan.
— Transmettez.
* * *
— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda le ministre de la Défense. Quatre hommes s’affairaient autour du terminal, un major de l’armée soviétique traduisait.
— Il y a quelque chose qui ne va pas, dit l’officier des transmissions. C’est...
— Répondez : « Vous souvenez-vous qui vous a bandé le genou ? »
— Quoi ?
— Envoyez ça ! dit Narmonov.
Ils attendirent encore deux minutes.
VOTRE GARDE DU CORPS ANATOLIY M’A PORTÉ SECOURS, MAIS MON PANTALON ÉTAIT FOUTU.
— C’est bien Ryan.
— Il faut que vous vous en assuriez, dit Golovko.
* * *
Le traducteur regardait l’écran.
— Il dit : « Et comment va notre ami ? »
Ryan tapa : IL A ÉTÉ ENTERRÉ AVEC LES HONNEURS À CAMP DAVID.
— Mais bon dieu ? demanda Rosselli.
— Il n’y a pas vingt personnes au monde qui soient au courant. Il s’assure que c’est bien moi, fit Jack.
Ses doigts étaient moites sur le clavier.
— Ça ressemble à un tas de conneries.
— OK, parfait, c’est des conneries, mais ça ne fait de mal à personne, non ? demanda Ryan.
— Transmettez.
* * *
— Mais qu’est-ce que c’est que ce merdier ? cria Fowler. Qui fait... ?
* * *
— Commandant, nous avons un message du président. Il nous donne l’ordre de...
— N’en tenez pas compte, dit froidement Jack.
— Mais bon dieu, je ne peux pas !
— Commandant, le président ne sait plus ce qu’il fait. Si vous le laissez me clouer le bec, votre famille, la mienne, et des tas de gens vont mourir. Commandant, vous avez prêté serment à la Constitution, pas au président. Maintenant, regardez ces messages et dites-moi que je fais quelque chose de mal !
— De Moscou, dit l’interprète : « Ryan, qu’est-ce qui se passe ? »
* * *
PRÉSIDENT NARMONOV :
NOUS AVONS ÉTÉ VICTIMES D’UN ACTE TERRORISTE. LA PLUS GRANDE CONFUSION A RÉGNÉ ICI, MAIS NOUS N’AVONS PAS DE PREUVE FORMELLE QUANT À LA PROVENANCE DE CETTE ARME. NOUS SOMMES CERTAINS QUE CETTE ARME N’EST PAS SOVIÉTIQUE. JE RÉPÈTE NOUS SOMMES CERTAINS QUE CETTE ARME N’EST PAS SOVIÉTIQUE.
NOUS ESSAYONS MAINTENANT D’ARRÊTER LES TERRORISTES. CE SERA SANS DOUTE FAIT DANS LES MINUTES QUI VIENNENT.
— Répondez : « Pourquoi votre président nous en a-t-il accusés ? »
Nouvelle attente de deux minutes.
PRÉSIDENT NARMONOV :
NOUS AVONS ÉTÉ VICTIMES D’UNE GRANDE CONFUSION. NOUS AVIONS EU DES RAPPORTS SELON LESQUELS DES REMOUS POLITIQUES SE PRODUISAIENT EN UNION SOVIÉTIQUE. CES RAPPORTS ÉTAIENT FAUX, MAIS ILS NOUS ONT INDUITS EN ERREUR. EN OUTRE, D’AUTRES INCIDENTS ONT MIS LE FEU AUX POUDRES DES DEUX CÔTÉS.
— Pete, allez là-bas le plus vite possible, et arrêtez cet homme !
* * *
— Il demande : « Que suggérez-vous ? »
JE VOUS DEMANDE DE NOUS FAIRE CONFIANCE, ET DE FAIRE EN SORTE QUE NOUS PUISSIONS VOUS FAIRE CONFIANCE. NOUS DEVONS TOUS DEUX SORTIR DE CETTE SITUATION. JE SUGGÈRE QUE VOUS ET NOUS RÉDUISIONS LE NIVEAU D’ALERTE DE NOS FORCES STRATÉGIQUES ET QUE NOUS DONNIONS L’ORDRE À NOS TROUPES DE RESTER SUR PLACE OU DE S’ÉLOIGNER DE L’UNITÉ AMÉRICAINE OU SOVIÉTIQUE LA PLUS PROCHE ET, SI POSSIBLE, DE CESSER IMMÉDIATEMENT LE FEU.
— Alors ? demanda Ryan.
— Transmettez.
* * *
— Vous croyez que cela pourrait être un piège ? demanda le ministre de la Défense. Est-ce que ce n’est pas un piège ?
— Golovko ?
— Je crois qu’il s’agit bien de Ryan, et je le crois sincère. Mais peut-il convaincre son président ?
Narmonov fit quelques pas en silence, repensant à l’histoire, à Nicolas II.
— Si nous réduisons notre niveau d’alerte... ?
— Alors, ils pourront nous frapper, et notre aptitude à répliquer sera réduite de moitié !
— La moitié, est-ce suffisant ? demanda Narmonov, entrevoyant une porte de sortie, se penchant pour l’atteindre, priant pour que cette ouverture soit sérieuse. Avec la moitié, sommes-nous encore en mesure de les détruire ?
— Eh bien... — Le ministre de la Défense hocha la tête. — Certainement, nous aurions encore plus du double de ce qui serait nécessaire pour les détruire, c’est ce que nous appelons la surcapacité.
* * *
— Monsieur, voici la réponse des Soviétiques :
RYAN :
SUR MON ORDRE, QUI EST ENVOYÉ EN MÊME TEMPS QUE VOUS LISEZ CECI,
LES FORCES STRATÉGIQUES SOVIÉTIQUES RÉDUISENT LEUR NIVEAU D’ALERTE.
NOUS MAINTENONS NOS DISPOSITIONS DÉFENSIVES POUR LE MOMENT, MAIS
NOUS RÉDUIRONS LE NIVEAU DE NOS FORCES OFFENSIVES À UN NIVEAU MOINS
ÉLEVÉ, ENCORE SUPÉRIEUR CEPENDANT À CELUI DU TEMPS DE PAIX. SI VOUS
EN FAITES AUTANT, JE PROPOSE UN MOUVEMENT DE RETRAIT PROGRESSIF ET
BILATÉRAL AU COURS DES CINQ HEURES QUI VIENNENT.
Jack laissa tomber sa tête sur le clavier, et pianota ainsi quelques caractères qui apparurent sur l’écran.
— Je pourrais avoir un verre d’eau ? J’ai la gorge un peu sèche.
* * *
— Monsieur le président, dit Fremont.
— Oui, général ?
— Monsieur, peu importe comment cela s’est fait, je crois que c’est une bonne idée.
D’un côté, Fowler avait bien envie de balancer sa tasse de café contre le mur, mais il réussit à s’en empêcher.
— Que recommandez-vous ?
— Monsieur, rien que pour en être sûrs, nous attendons d’avoir la preuve d’une baisse de leur niveau d’alerte. Quand c’est fait, nous en faisons autant de notre côté. Pour commencer — immédiatement —, nous pouvons annuler Snapcount sans dégradation réelle de notre état de préparation.
— Général Borstein ?
— Monsieur, je partage cet avis, dit la voix du NORAD.
— Général Fremont, approuvé.
* * *
— Merci, monsieur le président. Nous prenons immédiatement les mesures nécessaires.
Le général Peter Fremont, de l’armée de l’Air des États-Unis, commandant en chef des Forces aériennes stratégiques, se retourna vers son chef d’état-major adjoint (opérations).
— Maintenez les avions en alerte, mais au sol. Ne changez rien pour les missiles.
* * *
— Contact... relèvement trois-cinq-zéro... distance sept mille six cents mètres.
Ils avaient dû attendre plusieurs minutes cette détection.
— Préparez-la. Pas de fil, distance d’activation quatre mille mètres après le lancement.
Dubinin regarda au-dessus de lui : il ne comprenait pas pourquoi l’avion n’avait pas exécuté une seconde attaque.
— Torpille parée ! dit l’officier ASM quelques instants plus tard.
— Message sur la VLF ! dit l’officier trans à l’interphone.
— C’est celui qui annonce la fin du monde, soupira le commandant. Eh bien, nous avons tiré nous aussi, non ?
Ç’aurait été réconfortant de penser que leur action allait sauver des vies, mais il savait bien que ce n’était pas le cas. Cela rendrait seulement les Soviétiques capables de tuer davantage d’Américains, ce qui n’était pas exactement la même chose. Les armes nucléaires étaient le mal absolu.
— On descend ?
Dubinin fit non de la tête.
— Non, le bruit de surface leur cause davantage de problèmes que je ne pensais. Nous sommes sans doute plus en sécurité ici. Venez par la droite au zéro-neuf-zéro. Cessez les émissions sonar, et montez à dix noeuds.
Une autre voix à l’interphone.
— Nous avons le message : « Cessez toutes les hostilités ! »
— Immersion d’écoute, vite !
* * *
La police mexicaine se montra très coopérative, et l’espagnol courant que parlaient Clark et Chavez n’avait pas fait de mal. Quatre inspecteurs en civil de la police fédérale se tenaient avec les agents de la CIA dans la salle d’attente, tandis que quatre autres en uniforme et armés d’automatiques légers attendaient un peu plus loin.
— Nous n’avons pas assez de monde, s’inquiéta celui qui commandait les fédéraux.
— Il vaudrait mieux faire ça à l’extérieur de l’avion, dit Clark.
— Muy bueno, señor. Vous pensez qu’ils sont armés ?
— Non, je ne crois pas. Les armes sont dangereuses quand on voyage.
— Ça a quelque chose à voir avec Denver ?
Clark se retourna et fit un signe de tête affirmatif.
— Oui, nous le pensons.
— Ce sera intéressant de voir à quoi peuvent bien ressembler de tels hommes.
L’inspecteur voulait naturellement parler de leurs yeux, il avait vu les photos.
Le DC-10 se rangea devant la passerelle d’accès et coupa ses trois réacteurs. La rampe se recala de quelques mètres pour se placer en face de la porte avant.
— Ils voyagent en première, dit John, mais la remarque était superflue.
— Si. La compagnie dit qu’il y a quinze passagers en première, et on leur a demandé de garder les autres à bord. Vous verrez, señor Clark, nous connaissons notre métier.
— Je n’en doute pas. Pardonnez-moi si j’ai pu vous donner une autre impression, Teniente.
— Vous appartenez à la CIA, n’est-ce pas ?
— Je n’ai pas le droit de le dire.
— Alors, vous en faites partie. Qu’allez-vous faire d’eux ?
— Nous parlerons, dit simplement Clark.
L’hôtesse ouvrit la porte de l’appareil, deux inspecteurs de la police fédérale prirent place à gauche et à droite, la veste ouverte. Clark priait pour qu’il n’y ait pas de fusillade. Les gens commencèrent à sortir, on entendait les habituels cris de joie des retrouvailles.
— Bingo, dit tranquillement Clark.
Le lieutenant de la police remonta sa cravate, c’était le signal convenu pour montrer les deux hommes à ses agents près de la porte. Ils facilitèrent bien les choses en sortant les derniers. Clark remarqua que Qati avait l’air pâle et malade, le vol avait peut-être été difficile. Il passa par-dessus la barrière de corde. Chavez en fit autant en souriant et appela un passager qui les regardait, complètement ébahi.
— Ernesto ! dit John, en courant vers lui.
— J’ai peur que vous fassiez erreur.
Clark se dirigea droit derrière lui.
Ghosn mit du temps à réagir, un peu assommé par le vol, moins sur ses gardes depuis qu’il croyait s’en être tiré. Le temps de faire un geste, il était saisi par-derrière. Un policier lui enfonça le canon de son arme dans la nuque, on lui passa les menottes.
— Je veux bien être pendu, fit Chavez. C’est toi, le mec aux bouquins ! Nous nous sommes déjà rencontrés, chéri.
— Qati, dit John à l’autre.
On les avait déjà fouillés, ils n’étaient pas armés.
— Ça fait des années que j’avais envie de faire connaissance.
Clark prit leurs billets, la police allait s’occuper de leurs bagages. On les emmena rapidement. Les autres passagers de la classe touriste et affaires ne se douteraient pas de ce qui venait de se passer avant que leurs familles ne le leur racontent dans quelques minutes.
— Ça c’est passé en douceur, lieutenant, dit Jack à l’officier.
— Je vous l’ai dit, nous connaissons notre affaire.
— Pourriez-vous demander à l’un de vos hommes d’appeler l’ambassade et de leur dire que nous les avons pris vivants tous les deux ?
Les huit hommes allèrent attendre dans une petite pièce tandis qu’on ramassait les bagages. Il était possible qu’on y trouve des preuves, et il n’y avait pas le feu. Le lieutenant de la police mexicaine les observait soigneusement, mais il ne vit rien qu’il n’ait déjà vu sur le visage d’une centaine de meurtriers. C’était un peu décevant, même pour un flic expérimenté comme lui. On fouilla leurs bagages, mais, mis à part quelques médicaments — qui se révélèrent ne pas être des narcotiques —, ils ne contenaient rien de particulier. La police emprunta un minibus pour les conduire jusqu’au Gulfstream.
— J’espère que Mexico vous a plu, dit le lieutenant lorsqu’ils se séparèrent.
— Mais bon sang, qu’est-ce qui se passe ? demanda le pilote.
Elle portait des vêtements civils, mais c’était en fait un commandant de l’armée de l’Air.
— Je vais vous expliquer, répondit Clark. Vous allez conduire cet avion à Andrews. M. Chavez et moi-même allons nous installer à l’arrière pour nous entretenir avec ces deux messieurs. Vous n’avez rien vu, rien entendu, vous n’aurez même pas le droit de penser à ce qui se passera derrière.
— Mais...
— Vous voyez, mon commandant, vous commencez à penser. Je ne veux pas que vous pensiez à quoi que ce soit. Je me suis bien fait comprendre ?
— Oui, monsieur.
— Alors, foutons le camp d’ici.
Le pilote et le copilote regagnèrent le cockpit, les deux techniciens des transmissions s’assirent devant leurs consoles et tirèrent le rideau qui les séparait de la cabine principale.
Quand Clark se retourna, il vit ses deux invités échanger des regards. Cela ne lui plaisait guère. Il ôta sa cravate à Qati et s’en servit pour lui bander les yeux, Chavez en fit autant avec l’autre. Ils les bâillonnèrent, puis Clark alla chercher à l’avant des casques à leur mettre sur les oreilles. Pour terminer, ils les installèrent dans deux sièges aussi éloignés que possible. John attendit que l’avion ait décollé avant de passer à la suite. La torture lui répugnait, mais il avait besoin de savoir tout de suite, et il était prêt à faire ce qu’il fallait pour cela.
* * *
— Torpille à l’eau !
— Putain, il nous colle au train !
Ricks se retourna.
— Plus grande vitesse possible, venez par la gauche au deux-sept-zéro. Second, préparez la riposte !
— Bien, prêt à lancer d’urgence, dit Claggett. Unité-huit-zéro, début d’activation trois mille, immersion de recherche initiale deux cents.
— Paré !
— Vérifiez et lancez !
— Tube trois parti, commandant.
C’était une tactique classique. La torpille lancée en route inverse obligerait au minimum l’autre type à couper le fil de la sienne. Ricks était déjà au local sonar.
— On n’a pas eu le transitoire de lancement, commandant, et je n’ai pas repéré la torpille très tôt non plus. Le bruit de surface...
— On descend ? demanda Ricks à Claggett.
— Ce bruit de surface risque d’être notre meilleur allié.
— OK, Dutch... vous aviez raison, j’aurais dû descendre le hors-bord.
— Message VLF, commandant — Snapcount est annulé.
— Annulé ? demanda Ricks, qui n’en croyait pas ses oreilles.
— Oui, annulé, commandant.
— Mauvaise nouvelle, fit Claggett.
* * *
— Alors, c’est quoi maintenant ? demanda le Tacco. Le message qu’il tenait à la main était aberrant.
— On a fini par retrouver ce salopard.
— Gardez le même cap.
— Commandant, il a tiré sur le Maine ! — Je sais, mais je ne peux pas l’attaquer.
— Mais c’est dingue, commandant !
— Je sais bien, dut admettre le Tacco.
* * *
— Vitesse ?
— Six noeuds, commandant — la machine dit que les paliers sont dans un sale état.
— Si nous essayons de forcer l’allure..., gronda Ricks.
Claggett approuva de la tête.
— ... ça se déglingue de partout. Je crois qu’il est temps de lancer des leurres.
— Allez-y.
— Local leurres, lancez. — Claggett se retourna. — Nous n’allons pas assez vite pour que ça vaille le coup de virer de bord.
— Je crois que c’est du pareil au même.
— Ça pourrait être pire. Pourquoi diable croyez-vous qu’ils ont annulé Snapcount ? demanda le second qui regardait l’écran sonar.
— Second, je crois que le risque de guerre est écarté... Je me suis mal démerdé, hein ?
— Merde, commandant, qui pouvait le savoir ?
Ricks se retourna.
— Merci, second.
— La torpille est active, modes recherche et écoute alternés, relèvement unité-six-zéro.
* * *
— Torpille, Mark 48 américaine, relèvement trois-quatre-cinq, elle commence à émettre !
— Vapeur avant quatre, même cap ! ordonna Dubinin.
— Contre-mesures ? demanda le starpom.
Le commandant fit non de la tête.
— Non, nous sommes en limite de portée de détection... et ça lui donnerait une raison de virer. L’état de la mer va nous aider. Nous ne sommes pas supposés nous battre par gros temps, reprit Dubinin. C’est difficile pour les appareils de détection.
— Commandant, j’ai un message satellite : « À tous, dégagez et éloignez-vous de toutes forces hostiles, n’agissez que pour assurer votre autodéfense. »
— Je vais passer en cour martiale, fit tranquillement Valentin Borissovitch Dubinin.
— Mais vous n’avez rien fait de mal, vous avez réagi comme il fallait à chaque...
— Merci, j’espère que vous voudrez bien témoigner en ma faveur.
— Le signal change, changement d’incidence, la torpille s’éloigne de nous vers l’ouest, annonça le lieutenant de vaisseau Rykov. Le premier changement de route programmé a dû être à droite.
— Dieu soit loué, ce n’était pas à gauche. Je crois que nous allons en réchapper. Maintenant, si seulement notre torpille pouvait manquer son but...
* * *
— Commandant, elle se rapproche toujours. La torpille est probablement en mode acquisition, émission continue.
— Elle est à moins de deux mille yards, dit Ricks.
— Ouais, approuva Claggett.
— Essayez encore les leurres — putain, envoyez-les à courir.
La situation tactique empirait. Le Maine n’allait pas assez vite pour qu’une manoeuvre évasive ait des chances d’aboutir. Les leurres emplissaient la mer de bulles, et même s’ils arrivaient à tromper la torpille russe en virant — leur seul véritable espoir — il fallait bien se dire que, lorsqu’elle aurait traversé le nuage, son sonar retrouverait le Maine. Peut-être une succession continue de faux échos finirait-elle par saturer la tête chercheuse. C’était la seule carte à jouer pour l’instant.
— Remontons près de la surface, ajouta Ricks.
Claggett lui jeta un regard et fit signe qu’il avait compris.
— Ça ne marchera pas, commandant. Je l’ai perdue sur l’arrière, elle est dans le baffle.
— Surface ! ordonna Ricks. Chassez partout !
— On essaie de lui faire acquérir la surface ?
— Et après ça, je suis à court d’idées, second.
— Je viens à gauche, parallèle aux lames ?
— OK, allez-y.
Claggett retourna au central.
— Hissez le périscope !
Il fit un tour d’horizon rapide, et vérifia le cap.
— Venir par la droite au zéro-cinq-cinq !
L’USS Maine fit surface une dernière fois dans des creux de dix mètres. L’obscurité était presque totale. La coque ronde comme un tonneau dansait dans les rouleaux, le sous-marin avait du mal à venir au nouveau cap.
Ils avaient commis une erreur en lançant les leurres. La torpille russe était active, mais elle suivait essentiellement le sillage. Son sonar avait repéré les bulles, et la suite de leurres constituaient une trace parfaite qui s’interrompit soudain. Quand le Maine fît surface, il s écarta de cette chaîne de bulles. La physique reprit le dessus. Les turbulences gênèrent le logiciel de poursuite de sillage, et la torpille entama une recherche circulaire, juste sous la surface. Au troisième tour, elle trouva un écho particulièrement fort au milieu de toutes ces formes confuses. Elle se rapprocha et activa sa mise à feu magnétique. L’arme russe était moins sophistiquée que la Mark 50 américaine, elle ne pouvait remonter au-dessus de vingt mètres, et cela lui évita de se faire happer par la surface. Le champ magnétique se comportait comme une toile d’araignée invisible, et lorsqu’il fut perturbé par la présence d’une masse métallique...
La charge de mille kilos explosa à quinze mètres de l’arrière du Maine, déjà endommagé par la collision. Le sous-marin de douze mille tonnes trembla comme s’il avait été éperonné.
Les klaxons d’alarme retentirent aussitôt.
— Alarme voie d’eau, alarme voie d’eau machine !
Ricks décrocha le téléphone.
— C’est grave ?
— Faites évacuer tout le monde, commandant !
— Aux postes d’évacuation ! Larguez les radeaux de survie ! Transmettez ce message : « En avarie, nous coulons », et indiquez notre position !
* * *
— Commandant Rosselli ! Message flash.
Ryan leva les yeux. Il avait bu son verre d’eau, puis avait pris du bicarbonate. Peu importait ce message, l’officier de marine pouvait s’en occuper.
— Vous êtes M. Ryan ? lui demanda un homme en civil.
Il y en avait deux autres derrière lui.
— Oui, c’est moi.
— Services secrets, monsieur. Le président nous a donné l’ordre de vous arrêter.
Jack éclata de rire.
— Et pourquoi ?
L’agent se sentit soudain mal à l’aise.
— Il ne nous l’a pas dit, monsieur.
— Je ne suis pas flic, mais mon père l’était. Je ne pense pas que vous ayez le droit de m’arrêter sans raison. La loi, vous savez ? La Constitution. « Préserver, protéger, et défendre. »
L’agent eut un instant de flottement. Il avait reçu des ordres de quelqu’un à qui il devait obéissance, mais il connaissait trop bien son métier pour enfreindre la loi.
— Monsieur, le président m’a dit...
— Bon, je vais vous dire ce que vous devriez faire. Je suis assis là, et vous pouvez appeler le président, prenez le téléphone et essayez de savoir pourquoi. Je ne vais pas m’enfuir.
Jack alluma une cigarette et décrocha un autre appareil.
— Allô ?
— Salut, chérie.
— Jack ! Mais qu'est-ce qui se passe ?
— Ça va. L’ambiance est un peu tendue, mais nous avons les choses en main, Cath. J’ai bien peur d’être coincé ici pour un bon bout de temps, mais ça va, Cathy, je te promets.
— C’est bien vrai ?
— Occupe-toi seulement du bébé, et de rien d’autre. C’est un ordre.
— J’ai du retard, Jack. Rien qu’un jour, mais...
— Parfait.
Ryan se mit à l’aise dans son fauteuil, ferma les yeux, et sourit de bonheur.
— Tu aimerais que ce soit une fille, hein ?
— Oui.
— Moi aussi, je crois. Chérie, j’ai beaucoup à faire, mais, parole d’honneur, tu peux te détendre. Il faut que j’y aille. Salut. — Il raccrocha. « Heureusement que j’y ai pensé. »
— Monsieur, le président veut vous parler.
L’agent le plus ancien tendit le combiné à Ryan.
« Et qu’est-ce qui vous fait croire que j’ai envie de lui parler ? » faillit demander Jack. Mais ce ne serait pas sérieux. Il prit l’appareil.
— Ici Ryan, oui monsieur ?
— Dites-moi ce que vous savez, dit sèchement Fowler.
— Monsieur le président, si vous me laissez un quart d’heure, j’ai mieux à faire. Dan Murray, du FBI, est au courant de tout ce que je fais, et il faut que je prenne contact avec deux de mes hommes. Ça vous convient, monsieur ?
— Très bien.
— Merci, monsieur le président.
Ryan raccrocha et appela le centre opérations de la CIA.
— Ici Ryan. Clark a réussi ?
— Monsieur, la ligne n’est pas protégée.
— Je m’en fous, répondez à ma question.
— Oui, monsieur, ils arrivent. Nous n’avons pas de liaison avec l’appareil. C’est un avion de l’armée de l’Air, monsieur.
— Quel est le meilleur spécialiste qui pourrait analyser l’explosion ?
— Attendez.
L’officier de suppléance posa la question à l’expert du service Sciences et Technologie.
— Il me dit que ce serait le docteur Lowell, du Lawrence Livermore.
— Faites-le venir. La base aérienne la plus proche doit être Travis. Envoyez-lui un avion là-bas, et vite.
Ryan raccrocha et se tourna vers le superviseur de la ligne rouge.
— Un VC-20 vient de décoller de Mexico pour Andrews. J’ai deux hommes à bord et deux... deux autres personnes. J’ai besoin d’entrer en liaison avec l’avion. Essayez de trouver quelqu’un pour m’arranger ça, s’il vous plaît.
— C’est impossible d’ici, monsieur, mais on pourrait le faire depuis la salle de conférences, de l’autre côté.
Ryan se leva.
— Vous venez avec moi ? demanda-t-il aux agents des services secrets.
* * *
Les choses auraient difficilement pu être pires, songeait Qati, mais il finit par se dire que ce n’était pas vrai. Cela faisait maintenant un an qu’il faisait face à la mort, et, quelle que soit la manière, c’était toujours la mort.
— OK, on va causer.
— Je ne comprends pas, dit Qati en arabe.
— J’ai un peu de mal avec votre accent, répondit Clark, qui se trouvait très drôle. J’ai appris votre langue en Arabie Saoudite, merci de parler lentement.
Qati fut un peu troublé en entendant parler dans sa langue maternelle. Il décida de répondre en anglais pour montrer ses propres talents.
— Je ne vous dirai rien, jamais.
— Mais bien sûr que si.
Qati savait bien qu’il lui fallait résister le plus longtemps possible. Cela pouvait en valoir la peine.