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MISE EN PLACE

Jack fut tout surpris de constater que la neige tombait toujours. La margelle à l’extérieur de sa fenêtre, au dernier étage, était recouverte de près de soixante centimètres, et les équipes de déblaiement avaient été dépassées par les événements pendant la nuit. Le vent qui soufflait en tempête balayait la neige sur les routes et le parking plus vite qu’on ne pouvait l’enlever. Même la neige qu’ils avaient réussi à dégager se déposait ailleurs. Cela faisait des années qu’on n’avait pas vu une tempête pareille à Washington. La fièvre des réserves avait dû commencer chez les habitants, et il ne serait pas facile de refaire le plein de denrées alimentaires. Des maris et des femmes devaient déjà regarder leur conjoint d’un oeil intéressé, en se demandant s’il ne serait pas trop dur à faire cuire... Jack rigola un bon coup en allant faire le plein d’eau pour sa machine à café. En sortant de son bureau, il tapa sur l’épaule de Ben.

— Secouez-vous, Ben.

Il avait du mal à ouvrir les yeux.

— Quelle heure est-il ?

— Sept heures et demie. Vous venez de quel coin, en Nouvelle-Angleterre ?

— Tout en haut du New Hampshire, ça s’appelle Litdeton.

— Eh bien, allez voir par la fenêtre, ça vous rappellera votre pays.

Quand Jack revint avec son eau, le jeune homme s’était levé et se tenait près de la fenêtre.

— On dirait qu’il y en a cinquante centimètres, peut-être un peu plus. Alors, c’est le grand jeu ? Là d’où je viens, on appelle ça une petite bourrasque.

— Et à Washington, on appelle ça l’ère glaciaire. Le café sera prêt dans quelques minutes.

Ryan décida d’appeler le bureau sécurité dans le hall.

— Quelle est la situation ?

— Les gens appellent pour dire qu’ils ne peuvent pas venir. Mais bon sang, ceux qui étaient de service de nuit ne peuvent pas rentrer non plus. George Washington Parkway est fermée, comme le périphérique côté Maryland. Et le pont Wilson, une fois de plus.

— Incroyable. OK, j’ai quelque chose d’important à vous dire. Ceci signifie que les seuls types qui risquent d’arriver sont des gens recrutés par le KGB. Tirez-les à vue.

Goodley, à trois mètres de là, entendit le type éclater de rire au téléphone.

— Tenez-moi au courant de la météo, et mettez-moi de côté un quatre-quatre, le GMC, au cas où j’aurais besoin d’aller quelque part.

Jack raccrocha et regarda Goodley.

— Les responsables ont leurs privilèges, et en plus, on en a deux.

— Comment vont faire les gens pour venir ?

Jack regardait le café qui commençait à couler de la machine.

— Si le périphérique et George-Washington sont fermés, ça veut dire que les deux tiers des gens seront bloqués chez eux. Vous comprenez pourquoi les Russes ont tellement travaillé sur les modifications climatiques.

— Mais il n’y a personne ici qui...

— Non, les habitants des lieux prétendent que la neige ne se manifeste que sur les pentes des pistes de ski. Si ça ne s’arrête pas bientôt, il faudra attendre mercredi avant que les choses recommencent à fonctionner dans cette ville.

— C’est à ce point ?

— Vous verrez par vous-même, Ben.

— Et dire que j’ai laissé mes skis de randonnée à Boston.

* * *

— On n’a quand même pas cogné à ce point, objecta le commandant.

— Mon commandant, le tableau d’alimentation n’est pas du même avis, répondit le chef mécano.

Il essaya d’enclencher un disjoncteur. Le petit morceau de plastique noir hésita un instant avant de rebondir en position ouvert.

— Plus de radio à cause de celui-ci, et plus de pression hydraulique à cause de celui-là. J’ai peur que vous soyez coincé au sol pour une paie, mon commandant.

Les goupilles du train d’atterrissage étaient arrivées à deux heures du matin, à la deuxième tentative. Le premier essai d’envoi, par voiture, avait échoué et il avait fallu faire appel à un véhicule militaire. Les pièces étaient arrivées par un HMMWV, et il avait eu du mal, à cause de tous les véhicules en panne sur l’autoroute entre Washington et Camp David. Les réparations auraient dû être effectuées rapidement — ce n’était pas sorcier —, mais tout d’un coup, les choses se compliquaient sérieusement.

— Alors ? demanda le commandant.

— Il y a sans doute un ou deux fils qui se sont détachés là-dedans. Je vais démonter le coffret et tout vérifier. Ça représente une journée de boulot dans le meilleur des cas. Feriez mieux de leur dire de préparer un autre appareil.

Le commandant regarda ce qui se passait dehors. De toute façon, ce n’était pas un jour à vous donner envie de voler.

— On ne devait pas repartir avant demain matin. Ça sera réparé quand ?

— Si j’m’y mets maintenant... disons minuit.

— Commençons par aller prendre un petit déjeuner. Je m’occupe de trouver un autre hélico.

— Comme vous voudrez, commandant.

— Je vais leur demander de sortir un groupe pour le chauffage et la radio.

Il savait que le mécano était originaire de San Diego.

Le commandant se hissa péniblement jusqu’au chalet. L’héliport était situé sur un point haut, et le vent balayait la neige, si bien qu’il n’y en avait guère plus de vingt centimètres. Plus bas, les congères faisaient un mètre. Les biffins qui arpentaient les bois devaient s’amuser.

— C’est grave ? demanda le pilote, qui se rasait.

— Le panneau électrique déconne. Le chef dit qu’il lui faut la journée pour réparer.

— On ne s’est pourtant pas posé dur à ce point, objecta le colonel.

— C’est ce que je lui ai dit. Vous voulez que j’appelle la base ?

— Ouais, allez-y.

— Mettez le numéro deux à chauffer. On a des problèmes électriques sur le numéro un... non, on peut réparer ici. Ça devrait être prêt vers minuit. OK, salut.

Le commandant raccrocha au moment où Pete Connor entrait dans leur chalet.

— Alors ?

— On a cassé le coucou, répondit le colonel.

— Je ne pensais pas qu’on avait cogné si fort, fit Connor.

— Eh bien, comme ça, c’est officiel. Le seul à trouver qu’on s’est posé trop durement, c’est l’hélico.

— L’appareil de remplacement est en alerte, dit le colonel en terminant de se raser. Désolé, Pete. On a un problème d’alimentation électrique, ça n’a peut-être rien à voir avec l’atterrissage. L’appareil de secours peut être là en trente-cinq minutes.

— Je peux le faire venir, mais ça veut dire qu’on lui fait courir des risques avec le mauvais temps. Il vaut encore mieux le laisser à Anacostia. C’est à vous de décider, mon colonel.

— Laissez-le là-bas.

— Le patron veut regarder le match ici, non ?

— Oui, on a la journée devant nous. On décollera pour Washington à six heures et demie à peu près. Pas de problème ?

— Non, on devrait avoir réparé.

— OK.

Connor les quitta pour retourner dans son chalet.

— Ça ressemble à quoi dehors ? lui demanda Daga.

— Exactement ce que tu vois d’ici, fit Pete. L’hélico est cassé.

— Ils auraient pu faire gaffe, dit l’agent spécial d’Agustino en se brossant les cheveux.

— Ce n’est pas leur faute.

Connor décrocha le téléphone pour appeler son QG, à quelques rues de la Maison-Blanche.

— Connor. L’hélico est cloué au sol, un problème mécanique. Le rechange reste à Anacostia à cause du temps. Rien à me dire ?

— Non monsieur, répondit l’agent.

Sur son panneau, des diodes indiquaient que le président des États-Unis se trouvait à Camp David. Le vice-président était à sa résidence officielle, à l’Observatoire naval, près de Massachusetts Avenue, avec sa famille.

— Tout est calme, pour autant qu’on sache.

— Comment sont les routes chez vous ? demanda Pete.

— Pas brillant. Tous les Carryall sont dehors pour récupérer les gens.

— Grâces soient rendues à Chevrolet.

Comme le FBI, le service secret utilisait de grosses quatre-quatre Chevrolet pour ses déplacements. C’étaient des camionnettes blindées dont le réservoir avait à peu près la capacité de ceux des chars. La Carryall était d’ailleurs capable des mêmes choses qu’un blindé.

— OK, ici on est parés, tout va bien.

— Je parie que les marines sont en train de se geler les cojones.

— Et à Dulles ?

— Le premier ministre est attendu à dix-huit heures. Les mecs disent qu’il y a encore une piste ouverte là-bas. Ils pensent que tout sera rentré dans l’ordre au cours de l’après-midi. La tempête se calme un peu, c’est pas trop tôt ! Et tu ne sais pas le plus drôle...

— Ouais.

Connor n’avait pas besoin qu’on lui fasse un dessin. Le plus drôle, c’était qu’un temps comme ça facilitait grandement la tâche des services secrets.

— OK, tu sais où nous joindre.

— Oui, à demain, Pete.

Connor regardait dehors quand il entendit du bruit. Un marine conduisait un chasse-neige pour essayer de dégager les chemins entre les chalets. Il y en avait deux autres sur les routes. C’était un spectacle assez étrange : le matériel était peint aux couleurs du Pentagone, un camouflage de verts et de marrons, mais les marines étaient en tenue alpine. Même leurs fusils M-16A2 étaient recouverts d’une gaine blanche. Si quelqu’un essayait de s’infiltrer dans l’enceinte, il s’apercevrait, mais trop tard, que le camp était gardé par des forces parfaitement invisibles, et ces marines étaient tous des vétérans. Dans ces conditions, même les services secrets pouvaient se détendre, et ce n’était pas si fréquent. Quelqu’un frappa à la porte, et Daga alla ouvrir.

Un caporal de marines lui tendit un paquet de journaux.

— Les journaux du matin, madame.

— Tu sais, dit d’Agustino après avoir refermé la porte, je me dis que les types qui distribuent les journaux sont les seuls gens vraiment utiles.

— Et les marines ? demanda Pete en riant.

— Ah oui, je les oubliais, ceux-là.

* * *

— Changement d’inclinaison sur Sierra-16, annonça l’opérateur sonar. Le but vient sur la gauche.

— Très bien, répondit Dutch Claggett. Monsieur Pitney, prenez la manoeuvre.

— Bien, commandant, je prends la manoeuvre, répondit l’officier de navigation tandis que le second allait au local sonar.

L’équipe de table traçante se réveilla, il allait falloir lancer un nouveau calcul.

— Juste ici, commandant, et l’opérateur sonar montra un point de l’écran du bout de son crayon. — On dirait qu’il vient en inclinaison nulle. CO de sonar, relèvement unité-sept-zéro, le but vient sur la gauche. Niveau de bruit stable, vitesse estimée inchangée.

— Très bien, merci.

C’était le troisième changement de cap qu’ils observaient. L’hypothèse de Claggett était apparemment correcte. Le Russe menait une recherche parfaitement méthodique, systématique — et très astucieuse — dans sa zone de patrouille, comme l’aurait fait un 688 pour chercher un sous-marin russe. L’intervalle entre les passes était estimé à environ quarante mille yards.

— Commandant, leur nouvelle pompe primaire est une vraie petite merveille, reprit l’opérateur sonar. Leur bruit a sacrément diminué, et cet enfoiré est à dix noeuds, à ce que dit la table traçante.

— Il y a seulement deux ans, on ne se serait même pas occupé de ces mecs.

— Transitoire, transitoire, transitoire mécanique sur Sierra-16, le relèvement est au unité-six-quatre, il vient toujours à gauche. Vitesse constante.

L’officier marinier entoura la pointe de bruit sur l’écran.

— Peut-être, commandant, mais ils ont encore beaucoup à apprendre.

— Distance du but, quarante-huit mille yards.

— Monsieur Pitney, gardez-le à cette distance. Mettez-le sur tribord, ordonna le commandant en second.

— Bien. A gauche cinq, venir au deux-zéro-quatre.

— Il entame une nouvelle branche ? demanda le capitaine de vaisseau Ricks en pénétrant dans le local sonar.

— Ouais, les espacements sont très réguliers, commandant.

— Il est méthodique, ce salaud, pas vrai ?

— Il a viré deux minutes avant ce qu’on avait prévu, répondit Claggett. Je viens d’ordonner de le garder à bonne distance.

— Parfait.

Ricks aimait bien ce petit jeu. Il n’avait pas embarqué sur SNA depuis qu’il était ingénieur adjoint, et cela faisait quinze ans qu’il n’avait pas joué au chat et à la souris avec un sous-marin russe. Les rares fois où il en avait entendu parler, la manoeuvre avait toujours été la même : pister assez longtemps pour déterminer la route de l’adversaire, puis virer à quatre-vingt-dix degrés de lui et continuer comme ça jusqu’à ce qu’on soit noyé dans le bruit de fond.

Mais les règles du jeu avaient passablement changé. Ce n’était plus aussi facile que dans le temps : les sous-marins russes étaient plus silencieux, et ce qui, voilà trente ans, n’était qu’une petite gêne, devenait quelque chose de très préoccupant. Il allait peut-être falloir changer totalement de comportement...

— Vous savez, second, si ça devenait une tactique habituelle ?

— Que voulez-vous dire, commandant ?

— Je veux dire, même si ces types deviennent de plus en plus discrets, peut-être est-ce la bonne méthode...

— Quoi ?

Claggett était complètement décontenancé.

— Si on piste ce mec, on sait déjà où il est. On peut même larguer une bouée radio et appeler des renforts. Réfléchissez une seconde. Ils sont de plus en plus silencieux. Si on dégage dès qu’on le détecte, on risque de rentrer dedans par hasard. Alors, il vaut mieux le pister à bonne distance, et le surveiller du coin de l’oeil.

— Ouais, commandant, c’est bien tant que ça marche, mais qu’est-ce qui se passe s’il se rend compte qu’il y a quelqu’un dans le coin, ou s’il change de route et revient dessus plein pot ?

— Bonne remarque. Alors, on se met sur l’arrière du travers plutôt qu’en plein derrière... il lui sera plus difficile de nous revenir dessus sans prévenir. Revenir sur le pisteur est une tactique défensive assez logique, mais il ne peut pas passer son temps à faire des trous dans l’eau, non ?

« Bordel, ce mec est en train d’inventer une nouvelle tactique... »

— Commandant, prévenez-moi si vous arrivez à vendre ça à OP-02.

— Plutôt que de me mettre sur son arrière, je vais rester dans son quart nord. Les conditions d’écoute seront meilleures, en prime. Et c’est plus sûr.

Voilà au moins qui avait un sens, se dit Claggett.

— Comme vous voulez, commandant. On le garde à cinquante mille yards ?

— Oui, il faut rester prudent.

* * *

Ghosn put se rendre compte que la seconde tempête était moins forte, comme prévu. Les véhicules garés sur le parking semblaient entourés d’un halo de lumière. Cela lui rappelait tout de même les hivers les plus rudes qu’il ait connus au Liban.

— Que dirais-tu d’un petit déjeuner ? lui demanda Marvin. J’ai horreur de travailler le ventre creux.

Ce type était incroyable, songeait Ibrahim. Il ignorait la trouille. Ou bien il était d’un courage invraisemblable, ou bien il s’agissait d’autre chose... Ghosn réfléchit à cela un instant. Il avait tué un policier grec sans sourciller, collé une raclée à un instructeur de l’organisation, montré ses talents de tireur, et, lorsqu’ils avaient déterré cette bombe israélienne, il avait eu l’air d’ignorer totalement le danger. Il avait une case manquante. Il n’avait peur de rien, et les individus de ce genre étaient des anormaux. On apprend aux soldats à dominer leur peur, mais lui n’était pas comme ça. Il n’éprouvait tout simplement pas la peur. Essayait-il d’impressionner les gens ? Ou bien était-ce vrai ? Dans ce cas, ce mec était complètement cinglé, et par conséquent, plus dangereux qu’utile. Finalement, il préférait cette solution.

Le motel ne possédait pas de restaurant. Les trois hommes allèrent à pied dans le froid prendre leur petit déjeuner ailleurs. En chemin, Russell acheta un journal pour lire les commentaires sportifs sur le match.

Qati et Ghosn n’eurent besoin que d’un bref échange de regards pour trouver une raison supplémentaire de haïr les Américains. Ils mangeaient des oeufs au bacon ou au jambon, des crêpes avec des saucisses, bref, dans tous les cas, des sous-produits de l’animal le plus répugnant qui soit, le porc. Tous deux trouvaient la vue et l’odeur de la charcuterie insupportables. Marvin ne les avait pas aidés en commandant tous ces mets aussi naturellement qu’il avait demandé du café. Ghosn remarqua que le commandant avait pris des flocons d’avoine, mais après en avoir avalé la moitié, il devint soudain très pâle et quitta la table.

— Qu’est-ce qui lui arrive ? Il ne se sent pas bien ? demanda Russell.

— Oui, Marvin, il est très malade.

Ghosn regardait le bacon dégoulinant de graisse dans l’assiette de Russell, et il savait que l’odeur avait retourné l’estomac de Qati.

— J’espère qu’il pourra tout de même conduire.

— Pas de problème.

Mais Ghosn n’était pas bien sûr que ce soit vrai. Il allait y arriver, le commandant avait connu des moments beaucoup plus difficiles, même si ce genre de fanfaronnade était destiné aux autres et pas du tout adapté aux circonstances présentes. Non, ils vivaient des moments uniques, et le commandant ferait son devoir. Russell paya le petit déjeuner en espèces, en laissant un gros pourboire : la serveuse avait l’air d’être indienne.

Quand ils rentrèrent dans leurs chambres, Qati était très pâle et s’essuyait le visage. Il avait longuement vomi.

— Je peux vous apporter quelque chose ? lui demanda Russell. Du lait, quelque chose qui fait du bien à l’estomac ?

— Pas maintenant, Marvin, merci.

— Comme vous voudrez.

Russell ouvrit son journal. Pendant les quelques heures à venir, il n’y avait rien d’autre à faire qu’attendre. Le pronostic gagnant pour le match était l’équipe du Minnesota, par six points et demi. Il se dit que si on lui demandait son avis, il parierait sur les Vikings.

* * *

L’agent spécial Walter Hoskins, responsable adjoint (racket et corruption) au bureau de Denver, savait qu’il ne verrait pas le match, alors que sa femme lui avait offert une place à Noël. Il l’avait revendue deux cents dollars à son chef. Hoskins avait du travail. Un indic était allé à la soirée annuelle de la NFL la veille. Ce gala, comme tous ceux qui précèdent le derby du Kentucky, attirait des gens riches, puissants et importants. Cette soirée-là n’avait pas fait exception à la règle. Il y avait à peu près trois cents personnes, parmi lesquelles les sénateurs du Colorado et de Californie et les gouverneurs des deux États. L’indic était à table à côté du gouverneur du Colorado avec quelques sénateurs et la représentante de la troisième circonscription. Tout ce beau monde était soupçonné de corruption. L’alcool avait coulé à flots, un accord avait été conclu pendant le dîner. On construirait le barrage. Les intéressés s’étaient mis d’accord sur leurs commissions respectives. Même le responsable du Sierra Club local était dans le coup. En échange d’un don généreux de la part du constructeur et de l’autorisation du gouverneur pour construire un nouveau parc, les écologistes avaient décidé de taire leurs objections au projet. Le plus triste, pensait Hoskins, était que la région avait réellement besoin d’eau. Ce serait bon pour tout le monde, y compris les pêcheurs. Mais les pots-de-vin rendaient le projet contraire à la loi. Il pouvait s’appuyer au choix sur cinq textes fédéraux, dont le plus dur était la loi contre le racket et la corruption organisés. Cette loi avait été votée vingt ans plus tôt, sans qu’on en voie vraiment toute la portée. Elle avait déjà conduit un gouverneur au pénitencier, ainsi que quatre élus. Le scandale allait être énorme dans les milieux politiques du Colorado. L’indic n’était autre que l’assistante du gouverneur, une jeune femme idéaliste qui avait décidé huit mois auparavant que trop, c’était trop. Les femmes peuvent facilement porter un équipement d’écoute, surtout quand elles ont de gros seins, et c’était le cas. Le micro tenait parfaitement dans son soutien-gorge, et la géométrie de l’endroit autorisait une qualité de son exceptionnelle. C’était en outre un endroit très sûr : le gouverneur lui avait déjà mis la main au panier, et n’avait pas trouvé les choses à son goût. La vieille règle se vérifiait une fois de plus : il n’y a pas pire qu’une femme dédaignée.

— Alors ? demanda Murray, déjà pas très heureux de devoir être au bureau un dimanche.

Pour rentrer chez lui, il fallait qu’il prenne le métro, et le métro ne marchait plus. Il risquait d’être coincé là encore une journée.

— Dan, on a suffisamment de preuves pour engager des poursuites, mais je préfère attendre que les transferts de fonds aient eu lieu. Mon indic m’a tout raconté, je suis en train de transcrire la bande.

— Tu peux me l’envoyer par fax ?

— Dès que j’ai terminé. Dan, on les a pris la main dans le sac, on les tient tous.

— Walt, on devrait te dresser une statue, lui dit Murray, en oubliant sa mauvaise humeur.

Comme tous les flics de métier, il détestait la corruption à peu près autant que les kidnappeurs.

— Tu sais, Dan, mon transfert ici est la meilleure chose qui me soit jamais arrivée, dit en riant Hoskins au téléphone. Je pourrais tenter ma chance, il va y avoir un siège vacant au Sénat.

— Le Colorado pourrait faire un choix pire, répondit Dan.

« Tant que tu n’es pas armé », songea-t-il, mais ce n’était pas gentil. Il savait qu’il était injuste. Walt n’était pas fait pour les besognes musclées, mais son analyse de l’an passé s’était révélée juste. Hoskins était un enquêteur brillant, un joueur d’échecs aussi bon que Bill Shaw. Seulement, il ne fallait pas le mettre sur un coup dur. Dans le cas présent, les choses ne seraient pas trop difficiles. Les politiciens se cachent derrière des avocats ou des journalistes, pas derrière une arme.

— Que vaut le procureur fédéral ?

— C’est un type très bien, Dan. Il est avec nous. On aura le soutien du ministère de la Justice, sans problème, mais l’essentiel, c’est qu’il fasse ce qu’il a à faire.

— OK. Passe-moi ton compte rendu dès qu’il est prêt.

Murray appuya sur d’autres touches pour appeler Shaw chez lui, à Chevy Chase.

— Ouais.

— Bill, ici Dan, répondit Murray sur la ligne protégée. Hoskins a mis dans le mille hier soir, il dit qu’il a tout l’enregistrement — les principaux intéressés se sont mis d’accord entre la poire et le fromage.

— Tu te rends compte qu’il va peut-être falloir lui donner de l’avancement ? fit le directeur du FBI en rigolant.

— Tu n’as qu’à le nommer directeur adjoint, suggéra Dan.

— Ça ne t’empêchera pas d’être au turf. Tu veux que je vienne ?

— Non. C’est comment par chez toi ?

— Je me demande si je ne vais pas installer un tremplin de ski dans l’allée. Les routes ont l’air dans un sale état.

— J’ai pris le métro pour venir, mais ils l’ont fermé — de la glace sur les rails ou quelque chose dans ce goût-là.

— Washington, la ville qui panique, répondit Shaw. OK, j’ai l’intention de me reposer et de regarder le match, monsieur Murray.

— Et moi, Shaw, j’ai l’intention de renoncer à mes menus plaisirs et de travailler pour la plus grande gloire du Bureau.

— Parfait, j’aime que mes subordonnés fassent preuve de dévouement. En plus, j’ai mon petit-fils à la maison, raconta Shaw en regardant sa belle-fille donner le biberon.

— Comment va Kenny junior ?

— Oh, on réussira bien à en faire un agent. Dan, si tu n’as plus besoin de moi...

— Profite bien du gosse, Bill, et souviens-toi de le filer à quelqu’un d’autre quand sa couche sera pleine.

— Compris. Tiens-moi au courant. Il va falloir que j’en parle moi-même au président, tu sais.

— Tu crois qu’il y aura un problème ?

— Non, il est implacable dans les affaires de corruption.

— Je te rappellerai.

Murray sortit de son bureau pour aller au PC téléc. Il trouva en chemin l’inspecteur Pat O’Day qui s’y rendait lui aussi.

— C’est à vous, les chiens de traîneau que j’ai vus dans l’allée ?

— Nous sommes quelques-uns à posséder une voiture convenable.

O’Day avait un quatre-quatre.

— La barrière sur la 9e Rue est coincée en position haute, à propos. Je leur ai dit de laisser l’autre baissée.

— Vous êtes ici pour quoi ?

— Je suis de garde au PC. Celui qui me relève habite Frederick, et je pense qu’on ne le verra pas avant jeudi. J’imagine que la 1-120 est fermée jusqu’au printemps.

— Bon sang, c’est une ville morte dès qu’il neige.

— C’est bien vrai.

Avant d’arriver ici, O’Day était dans le Wyoming, et la chasse lui manquait.

Murray alla prévenir les gens des transmissions qu’il attendait un fax de Denver, et qu’il était chiffré. Pour le moment, personne d’autre que lui n’avait besoin d’en prendre connaissance.

* * *

— Là, ça ne colle pas, dit Goodley après le déjeuner.

— Où ça, là ?

— Le premier qui nous a mis la puce à l’oreille — non, excusez-moi, le second. Je n’arrive pas à rapprocher les agendas de Narmonov et Spinnaker.

— Ça ne veut pas forcément dire quelque chose.

— Je sais, mais il y a quand même un truc de bizarre. Vous vous souvenez de ce que je vous ai dit sur les différences de style d’un rapport à l’autre ?

— Ouais, mais rappelez-vous que mon russe est plutôt sommaire. Je ne saisis pas toutes les nuances comme vous.

— C’est la première fois qu’il y a une modification, et c’est aussi la première fois que je n’arrive pas à prouver qu’ils se sont réellement rencontrés.

Goodley se tut un instant.

— Je crois qu’il y a quelque chose là-dessous.

— Souvenez-vous que vous devez convaincre le département Russie.

— Ça ne va pas être facile.

— C’est vrai, convint Ryan. Essayez de trouver une autre preuve, Ben.

* * *

L’un des types de la sécurité aida Clark à transporter la caisse de bouteilles. Il refit le plein du bar, puis monta à l’étage au-dessus avec les quatre bouteilles de Chivas qui restaient. Chavez suivait avec les fleurs. Clark rangea les bouteilles et inspecta la cabine pour vérifier que tout était en place. Il rectifia quelques détails mineurs pour montrer qu’il avait bien fait son boulot. La bouteille qui contenait l’émetteur avait le goulot fendu ; comme ça, il était sûr que personne n’essaierait de l’ouvrir. « Malins, ces types de S & T, se dit-il. Ce sont souvent les trucs les plus simples qui marchent le mieux. »

Il fallut ensuite disposer les fleurs. Il y avait surtout des roses blanches, et magnifiques, se dit Chavez. Les petits bâtons verts qui les maintenaient en place collaient tout à fait, on aurait dit qu’ils en faisaient partie. Ding redescendit et alla faire un tour dans les toilettes à l’avant. Il déposa dans la poubelle un magnétophone miniature de fabrication japonaise après s’être assuré qu’il fonctionnait. Il rejoignit Clark au pied de l’escalier en colimaçon, et ils quittèrent l’appareil ensemble. Les hommes de la sécurité arrivaient au moment où ils disparurent au niveau bas du terminal.

Une fois là, ils trouvèrent une pièce qui fermait à clé et se changèrent. Ils ressortirent habillés en hommes d’affaires, recoiffés et avec des lunettes de soleil.

— C’est toujours aussi facile ?

— Non.

Ils se dirigèrent vers la façade opposée, ce qui les mettait à cinq cents mètres du 747 de la JAL, mais leur permettait de le voir. Ils apercevaient aussi un avion d’affaires, un Gulfstream IV maquillé en avion privé. Il devait décoller immédiatement après l’appareil japonais, mais suivre un autre cap. Clark sortit un walkman Sony de sa mallette, inséra une cassette et chaussa les écouteurs. Il entendait les murmures des hommes de la sécurité à bord de l’avion, et la bande enregistrait tout ce qu’ils disaient tandis qu’il parcourait distraitement les pages d’un livre de poche. Comme dans la plupart des opérations clandestines, il fallait se contenter d’attendre qu’il se passe quelque chose. Il leva les yeux, et vit qu’on déroulait le tapis rouge, les troupes se mettaient en place, on installait un pupitre. Il se dit que ça devait être une vraie corvée pour ceux qui en étaient chargés.

Puis tout alla très vite. Le président mexicain accompagna en personne le premier ministre jusqu’à son avion, et ils échangèrent une poignée de main chaleureuse au pied de l’échelle. Clark se dit que ce pouvait bien être la preuve de ce qu’ils soupçonnaient. Il était partagé entre la satisfaction du travail accompli, et le dégoût de voir que de telles choses arrivaient. La délégation monta les marches, on ferma la porte, on retira l’échelle, et le 747 fît démarrer ses réacteurs.

Clark entendait des conversations dans la salle à manger supérieure de l’appareil. Puis la qualité du son se détériora au fur et à mesure que les réacteurs montaient en régime. Clark vit le Gulfstream décoller, et le 747 commença à rouler deux minutes après. Ce n’était pas par hasard. Il est fortement déconseillé de faire décoller un avion juste après un jumbo. Les gros-porteurs laissent derrière eux un sillage de turbulences qui peut être dangereux. Les deux agents de la CIA restèrent dans la salle d’attente jusqu’à ce que l’appareil de la JAL ait décollé, mission accomplie.

Une fois en l’air, le Gulfstream grimpa jusqu’à son altitude de croisière de treize mille mètres, cap au zéro-deux-six, direction La Nouvelle-Orléans. Le pilote réduisit les gaz. Sur leur droite, le 747 venait au même niveau, cap zéro-trois-un. La prétendue bouteille de scotch était pointée sur un hublot, et l’émetteur EHF crachait en direction des récepteurs du Gulfstream. Le système avait une bande passante très large, ce qui garantissait la qualité du signal, et il n’y avait pas moins de dix magnétophones en route, deux par canal. Le pilote s’éloigna autant que possible vers l’est, jusqu’à ce que les deux appareils soient au-dessus de l’eau, puis il vira à gauche pour laisser le champ libre à un EC-135 qui avait péniblement décollé de la base aérienne de Tinker, dans l’Oklahoma. Le Gulfstream alla se mettre à poste trente nautiques plus à l’est et deux mille pieds plus bas que le gros Boeing.

Le premier avion atterrit à La Nouvelle-Orléans, déchargea les hommes et le matériel, et refit le plein avant de reprendre le chemin de Mexico.

Clark était à l’ambassade. Il avait fait venir un interprète de l’Agence qui parlait japonais. Il s’était dit que le petit essai qu’il avait fait dans l’aéroport pourrait servir à mesurer l’efficacité du système, et avait donc décidé qu’il vaudrait mieux traduire immédiatement ce qui s’était dit. Le linguiste prit tout son temps, et écouta trois fois la conversation avant de se mettre à écrire.

 

Il y en avait moins de deux pages, mais cela l’énervait de sentir Clark lire par-dessus son épaule.

— « J’aimerais qu’on ait aussi peu de peine à s’arranger avec l’opposition à la Diète, lut Clark à haute voix. Il ne faudra pas oublier ses associés. »

— Je crois qu’on a ce qu’on voulait, remarqua l’interprète.

— Où est le responsable des transmissions ? demanda Clark au chef de poste.

— Je peux m’en charger moi-même.

En fait, c’était très facile. Le chef de poste tapa les deux pages sur le clavier d’un ordinateur qui était relié à un petit appareil, une espèce de lecteur de vidéodisques. Le disque contenait des milliards de nombres aléatoires, et chaque lettre frappée était convertie avant d’être transmise au centre Mercury, à Langley. Arrivé là, le signal était enregistré. Un technicien sortit le bon disque de la bibliothèque protégée, et appuya sur un bouton. En quelques secondes, une imprimante laser cracha deux pages de texte en clair. Les feuillets furent placés dans une enveloppe scellée et confiés à un coursier, qui monta au sixième étage, dans le bureau du directeur adjoint.

— Monsieur Ryan, le message que vous attendiez...

— Merci.

Jack signa la décharge.

— Goodley, je vous demande de m’excuser un instant.

— Pas de problème.

Ben sortit avec une pile de documents.

Ryan retira le message de l’enveloppe et le lut attentivement à deux reprises. Puis il décrocha son téléphone et demanda la ligne protégée de Camp David.

— Centre de commandement, répondit une voix.

— Ici Ryan, à Langley. Il faut que je parle au patron.

— Attendez un instant, répondit le premier-maître.

Ryan alluma une cigarette.

— Ici le président, fit une autre voix.

— Monsieur le président, c’est Ryan. Nous avons quelques fragments des conversations à bord du 747.

— Déjà ?

— Ça a été enregistré avant le décollage, monsieur. Il y a une voix non identifiée — nous pensons qu’il s’agit du premier ministre  — qui dit avoir conclu un accord important.

Jack lui donna lecture de trois lignes.

— Quel fils de pute ! grogna Fowler. Vous savez, avec ça, je serais en mesure d’engager des poursuites.

— Je me suis dit que vous voudriez être au courant le plus rapidement possible, monsieur. Je vais vous transmettre tout le texte par fax. On aura le reste vers vingt et une heures.

— Ça me fera du bien d’avoir quelque chose à lire après le match. OK, envoyez-moi ça.

Il raccrocha.

— À votre service monsieur, dit Jack au téléphone.

* * *

— C’est l’heure, déclara Ghosn.

— OK.

Russell se leva et enfila son gros manteau. Il faisait un froid de gueux, dehors. On annonçait des températures de moins quinze. Un vent mordant soufflait du nord-est, venant du Nebraska, où il faisait encore plus froid. Seul avantage, le ciel était clair. Denver souffrait souvent du brouillard, mais aujourd’hui, le ciel était littéralement sans nuage, et Marvin apercevait à l’ouest de longues traînées de neige soufflées depuis les sommets du Front Range comme des bannières blanches. C’était sûrement de bon augure, et le temps clair signifiait que les avions qui décollaient de Stapleton n’auraient pas de retard, contrairement à ce qu’ils avaient craint quelques jours plus tôt. Il fit démarrer le camion, revoyant ce qu’il avait à faire dans sa tête tout en laissant le moteur chauffer. Il se retourna pour regarder la cargaison. Ibrahim lui avait dit qu’il y avait là près d’une tonne d’explosifs à haute performance. Ça allait bien faire chier les gens. Il se dirigea ensuite vers la voiture de location pour la faire démarrer à son tour, et mit le chauffage à fond. « Quel dommage que le commandant Qati se sente aussi mal ! C’est peut-être les nerfs », se dit Russell.

Ils sortirent quelques instants plus tard. Ghosn s’installa à côté de Marvin. Lui aussi paraissait nerveux.

— T’es prêt ?

— Oui.

— OK.

Russell passa la marche arrière et sortit du parking. Il enclencha ensuite la première, vérifia que la voiture louée suivait, et prit la direction de l’autoroute.

Il ne leur fallait que quelques minutes pour aller au stade. La police était en force, et il vit que Ghosn observait attentivement. Marvin s’en fichait : les flics étaient là pour régler la circulation, et ils se contentaient de faire acte de présence, car il n’y avait pas encore grand monde. Encore six heures avant le début du match. Il quitta la route pour entrer dans le parking par l’accès réservé aux médias. Il y avait un flic, il dut s’arrêter. Qati les avait quittés, et roulait sans but à quelque distance. Marvin baissa sa vitre.

— Comment va ? demanda-t-il au flic.

L’agent Pete Dawkins, de la police municipale, avait froid, bien que natif du Colorado. Il devait surveiller l’accès des médias et des VIP, et on l’avait collé là parce qu’il était encore jeune dans le métier. Les plus anciens s’étaient trouvé des endroits où il faisait meilleur.

— Qui êtes-vous ? demanda Dawkins.

— Equipe technique, répondit Russell. C’est l’entrée des médias, non ?

— Ouais, mais vous n’êtes pas sur ma liste.

Il n’y avait qu’un nombre limité de places dans le parking des VIP, et Dawkins ne pouvait pas laisser entrer n’importe qui.

— On a cassé un magnéto dans l’unité A, expliqua Russell en le lui montrant de la main. On apporte les rechanges.

— Personne ne m’a rien dit, répondit l’agent.

— On ne m’a prévenu qu’à six heures hier soir. On a dû ramener ce foutu machin depuis Omaha.

Russell montra vaguement sa planchette. Derrière, à l’abri des regards, Ghosn retenait sa respiration.

— Pourquoi ne l’ont-ils pas fait venir par avion ?

— Parce que Fédéral Express ne marche pas le dimanche, et ce foutu merdier ne passe pas la porte d’un Lear. Moi, je ne me plains pas, vous voyez. Je suis de Chicago, l’équipe d’intervention, OK ? Je travaille pour la chaîne, on me paie trois fois et demie plus que d’habitude pour faire cette connerie, loin de chez moi, manifestation spéciale, pendant le week-end.

— Ça semble normal, remarqua Dawkins.

— Ça fait plus qu’une semaine de travail normal, vous savez. Assez causé, monsieur l’agent. — Russell se mit à rire. — Ça coûte un dollar un quart la minute, pas mal, non ?

— Vous devez avoir un sacré syndicat.

— Sûr, fit Marvin en rigolant.

— Vous savez où c’est ?

— Pas de problème.

Russell démarra et Ghosn respira profondément quand il sentit le camion repartir. Il avait tout entendu, et il craignait que ça se termine par une catastrophe.

Dawkins regarda le camion s’éloigner. Il consulta sa montre et nota l’heure sur son bloc-notes. Il ne savait pas pourquoi, mais le capitaine voulait qu’il garde une trace de tous les gens qui passaient. Il faut dire qu’il comprenait rarement les décisions de son capitaine. Au bout d’un certain temps, il réalisa que le camion avait des plaques du Colorado. Il se dit que c’était bizarre, mais à ce moment, une Lincoln s’arrêta devant lui. Au moins, celle-là était sur sa liste. C’était le commissaire de la NFL. Les VIP arrivaient avant tout le monde ; comme ça, ils pouvaient s’installer confortablement dans leurs loges et commencer à boire de bonne heure. Il était chargé de la sécurité à leur soirée, la veille, et il avait pu observer tous ces clowns de riches de la région, bourrés comme pas possible, avec des politiciens et d’autres VIP — tous des enfoirés, se dit le jeune flic. Ils venaient de tous les États-Unis. Après tout, F. Scott Fitzgerald avait bien raison.

À deux cents mètres de là, Russell gara le camion, serra le frein à main, mais laissa le moteur tourner. Ghosn resta à l’arrière. Le match devait commencer à seize heures vingt, heure locale, mais les événements importants ont toujours du retard, jugea Ibrahim. Il se dit qu’il était raisonnable de prévoir le commencement à seize heures trente, ajouter une demi-heure, ce qui mettait TO à dix-sept heures. Des semaines plus tôt, ils avaient fixé le moment idéal de l’explosion à environ une heure après le début du match.

L’engin ne possédait pas de dispositif anti-intrusion sophistiqué. Il y avait bien un verrou sommaire sur chaque tape d’accès, mais ils n’avaient pas eu le temps d’installer quelque chose de compliqué, et Ghosn trouvait que c’était plutôt une bonne chose. Le nordet secouait violemment le camion, et un dispositif trop sophistiqué n’aurait pas été une très bonne idée, après tout.

À propos, et il s’en rendait compte un peu tard, le simple fait de claquer la portière du camion risquait... « Qu’est-ce que tu as encore pu oublier ? » se demanda-t-il. Ghosn se rappela que c’était dans des moments pareils que l’on éprouvait les plus grandes frayeurs. Il repassa en revue méthodiquement tout ce qu’il avait fait jusqu’ici. Tout avait été vérifié des centaines de fois et davantage. Bien sûr, il était paré. Il avait préparé soigneusement cette opération pendant des mois, après tout.

L’ingénieur testa une dernière fois les circuits, tout était en ordre. Le gel n’avait pas trop affecté les batteries. Il relia les fils à la minuterie — enfin, il essaya. Le froid rendait ses mains malhabiles, et il tremblait sous le coup de l’émotion. Ghosn s’interrompit, mit un moment pour reprendre son calme et réussit au second essai. Il serra les vis qui tenaient le tout en place.

« Voilà, se dit-il, c’est fait. » Ghosn ferma la trappe qui donnait accès à l’interrupteur de mise en fonction, et s’écarta de l’engin. Mais désormais, ce n’était plus un « engin ».

— Ça y est ? demanda Russell.

— Oui, Marvin, répondit calmement Ghosn.

Il regagna le siège du passager à l’avant.

— Partons d’ici.

Marvin le regarda sortir, et se pencha pour verrouiller sa portière. Il sortit ensuite du camion et ferma la porte à clé. Ils se dirigèrent vers l’ouest, derrière les gros camions et leurs antennes gigantesques. Marvin se dit qu’ils coûtaient des millions pièce, et ils seraient tous détruits, avec ces imbéciles de la télé, les mêmes qui avaient filmé la mort de son frère. Le fait de les tuer ne lui faisait rien, mais alors strictement rien. La masse du stade finit par les abriter du vent. Ils traversèrent le parking derrière les voitures des derniers supporters qui arrivaient encore. La plupart venaient du Minnesota, ils étaient chaudement vêtus et portaient des chapeaux, quelquefois agrémentés de fourrure de cerf.

Qati était garé avec la voiture de location dans une rue pas très loin de là. Il se glissa hors du siège du conducteur et laissa Marvin prendre le volant. La circulation était plus dense à présent, et Russell emprunta un chemin détourné pour essayer d’éviter le plus gros.

— Vous savez, c’est quand même triste de foutre en l’air un match pareil.

— Que veux-tu dire ? lui demanda Qati.

— C’est la cinquième fois que les Vikings arrivent en finale, et cette fois, il est probable qu’ils vont gagner. Ce Wills qui joue dans leur équipe est le meilleur mec qu’on ait vu depuis Sayers, et à cause de nous, ils ne gagneront rien du tout. C’est vraiment trop con.

Russell hocha la tête et eut un petit rire amer. Ni Qati ni Ghosn ne se donnèrent la peine de répondre, mais Russell s’y attendait. Ils n’avaient aucun sens de l’humour, ces deux-là.

Le parking du motel était pratiquement vide, tous les hôtes étaient partis encourager une équipe ou l’autre, se dit Marvin en ouvrant la porte.

— Les valises sont prêtes ?

— Oui.

Ghosn échangea un regard avec le commandant. C’était dur, mais il le fallait.

La chambre n’avait pas encore été faite, mais ce n’était pas plus mal. Marvin entra dans la salle de bains et ferma la porte derrière lui. Quand il sortit, il vit les deux Arabes debout devant lui.

— On y va ?

— Oui, dit Qati. Tu pourrais prendre mon sac, Marvin ?

— Bien sûr.

Russell fit demi-tour et attrapa la valise posée sur l’étagère métallique. Il n’entendit pas le bruit de la barre de fer qui le heurta à la base du cou. Sa carcasse trapue et robuste s’écroula sur la moquette bon marché qui recouvrait le sol. Qati avait tapé fort, mais pas assez pour le tuer, il s’affaiblissait de jour en jour. Ghosn l’aida à traîner le corps dans la salle de bain, où ils le retournèrent sur le dos. Le motel était un établissement modique, et la salle de bain était toute petite, trop petite pour ce qu’ils voulaient faire. Ils avaient espéré le mettre dans la baignoire, mais il n’y avait pas assez de place pour tenir à deux à côté de lui. Qati s’agenouilla près de l’Américain, et Ghosn, avec un haussement d’épaules de dépit, prit une serviette de toilette.

Il l’enroula autour du cou de Russell, qui était plus sonné que réellement inconscient et dont les mains commençaient à remuer. Ghosn dut faire vite. Qati lui passa le couteau à steak qu’il avait dérobé la veille dans le restaurant où ils avaient dîné. Ghosn le prit et le planta profondément dans le cou de Russell, juste sous l’oreille droite. Le sang jaillit à flots, et Ibrahim plaqua la serviette sur la blessure pour éviter de tacher ses vêtements. Il fit ensuite la même chose avec la carotide gauche. Ils durent se mettre à deux pour maintenir la serviette en place, et réussirent à grand-peine à éponger l’hémorragie.

À ce moment, Russell ouvrit les yeux. Il ne comprenait visiblement pas ce qui lui arrivait, et il n’en avait plus le temps. Il essaya de bouger les bras, mais les deux autres s’appuyèrent de tout leur poids pour l’immobiliser et l’empêcher de faire quoi que ce soit. Sa bouche s’ouvrait, mais il ne pouvait pas parler. Il fixa Ghosn d’un regard plein de reproches, puis ses yeux devinrent vagues avant de se révulser. Qati et Ghosn reculèrent pour éviter de patauger dans le sang qui remplissait les rainures du carrelage. Ibrahim retira la serviette, le sang coulait plus faiblement, et ce n’était plus un problème. La serviette était complètement trempée, il la jeta dans la baignoire, et Qati lui en tendit une autre.

— Que Dieu le prenne en pitié, dit calmement Ghosn.

— Ce n’était qu’un païen.

Il était trop tard pour les regrets.

— Ce n’est pas sa faute s’il n’a jamais rencontré d’homme de Dieu.

— Lave-toi, répondit Qati.

Il y avait deux lavabos à l’extérieur de la salle de bain, ils se lavèrent soigneusement les mains et vérifièrent qu’il n’y avait aucune trace de sang sur leurs vêtements.

— Qu’est-ce qui va arriver à ce motel quand la bombe pétera ? demanda Qati.

Ghosn réfléchit à la chose.

— C’est tout près... ce sera en dehors de la boule de feu, mais... Il marcha jusqu’à la fenêtre et tira un peu les rideaux. On voyait le stade, et il était donc facile de deviner ce qui arriverait. — L’effet thermique va déclencher un incendie, puis le souffle détruira le bâtiment, tout va brûler.

— Tu en es sûr ?

— Absolument certain. Il est très facile de prévoir les effets d’une bombe.

— Bon.

Qati se débarrassa de tous les documents dont Ghosn et lui s’étaient servis pour voyager jusqu’ici. Il faudrait qu’ils repassent la douane, et ils avaient suffisamment tenté le sort. Il jeta les papiers dont ils n’avaient plus besoin dans la poubelle. Ghosn prit leurs deux sacs et les mit dans la voiture, puis ils inspectèrent la chambre une dernière fois. Qati monta en voiture, Ghosn ferma la porte de la chambre en laissant le panneau « Ne pas déranger » sur la poignée. L’aéroport n’était pas loin, et leur avion décollait dans deux heures.

* * *

Le parking se remplissait rapidement. Dawkins constata avec étonnement que, trois heures avant le début du match, celui des VIP était plein. Le spectacle commençait. Une équipe se baladait avec des mini caméras pour interviewer les supporters des Vikings, qui avaient transformé une bonne moitié du parking en kermesse. Une fumée blanche montait des barbecues. Dawkins savait bien que les supporters étaient passablement bêtes, mais là, ils étaient totalement ridicules. Ils auraient mieux fait d’aller directement au stade, où les attendait de quoi boire et manger et où ils auraient été au chaud, confortablement assis sur des sièges rembourrés.

— Comment ça se passe, Pete ?

Dawkins se retourna.

— Pas de problème, sergent. Tous les gens que j’avais sur ma liste sont arrivés.

— Je vous remplace quelques minutes, allez vous mettre au chaud. Il y a du café dans la baraque de la sécurité, juste après l’entrée.

— Merci.

Dawkins se dit que ça lui ferait du bien. Il était condamné à rester dehors pour toute la durée du match et à patrouiller dans le parking pour s’assurer que personne ne vole quoi que ce soit. Des agents en tenue surveillaient les pickpockets et les voleurs de billets, mais la plupart d’entre eux seraient dans le stade et pourraient assister au match. Dawkins n’avait qu’une radio. C’était normal, il n’était dans la police que depuis trois ans, et c’était encore un novice. Le jeune agent descendit jusqu’au stade et passa tout près du camion ABC qu’il avait arrêté. Il regarda à l’intérieur et vit un magnétoscope Sony. Curieux, on aurait dit qu’il n’était relié à rien. Il se demanda où étaient passés les deux techniciens, mais le plus urgent était de trouver du café. Même avec des sous-vêtements en polypropylène, le froid le transperçait, et Dawkins ne se souvenait pas avoir autant gelé de toute sa vie.

* * *

Qati et Ghosn rendirent leur voiture à l’agence de location et prirent la navette de l’aéroport. Ils firent enregistrer leurs bagages, puis passèrent au contrôle des billets. On leur apprit que le MD-80 d’American pour Dallas-Fort Worth aurait du retard. L’hôtesse du guichet leur expliqua que c’était à cause de la météo au Texas. Il y avait de la glace sur les pistes, la même tempête que celle qui était passée sur Denver la nuit précédente.

— J’ai une correspondance à Mexico. Vous ne pouvez pas me faire passer par un autre endroit ? demanda Ghosn.

— On a un départ pour Miami, à la même heure que le vol de Dallas. Je peux vous trouver une correspondance là-bas... — L’hôtesse entra quelques instructions sur son terminal. — Vous avez une heure de battement, ça ne fait que quinze minutes de différence à Mexico.

— Vous pourriez faire ça, s’il vous plaît ? Il faut absolument que j’attrape ma correspondance.

— Les deux billets ?

— Oui, excusez-moi.

— Pas de problème.

La jeune femme souriait devant son écran. Ghosn se demanda si elle avait une chance de survivre. La grande baie vitrée faisait face au stade, et, même à cette distance... l’onde de choc... elle pouvait s’en sortir si elle plongeait assez vite. Mais le flash l’aurait déjà rendue aveugle. Quel dommage, elle avait de si beaux yeux sombres.

— Voilà. Je vais m’assurer qu’on transfère vos bagages, lui promit-elle.

— Merci.

— La porte d’embarquement est par là.

Elle la lui indiqua de la main.

— Merci encore.

L’hôtesse les regarda s’en aller. Le plus jeune avait l’air vif, se disait-elle, mais son grand frère — ou était-ce son patron ? — semblait préoccupé. Il n’aimait peut-être pas prendre l’avion ?

— Alors ? demanda Qati.

— On a un autre vol, avec à peu près les mêmes horaires. On aura un quart d’heure de moins à Mexico. Le temps n’est pas mauvais partout, je pense qu’il n’y aura pas d’autre problème.

Le terminal était pratiquement vide. Les gens qui souhaitaient quitter Denver attendaient visiblement les derniers vols, pour regarder le match à la télé. Il y avait à peine vingt personnes dans la salle d’embarquement.

* * *

— OK, il n’y a pas moyen de faire concorder leurs emplois du temps, annonça Goodley. L’arme du crime fume encore.

— Comment ça ? lui demanda Ryan.

— Narmonov n’a passé que deux jours à Moscou la semaine dernière, lundi et vendredi. Mardi, mercredi et jeudi, il est allé à Latvia, en Lituanie, et dans l’ouest de l’Ukraine. Puis il est passé à Volgograd pour une réunion politique locale. Vendredi ne compte pas, c’est le jour où nous avons reçu le message, n’est-ce pas ? Mais lundi, notre ami a passé pratiquement toute la journée au Palais du Congrès. Je pense donc qu’ils n’ont pas pu se voir la semaine dernière, alors que le message tend à faire croire le contraire. Donc, j’en déduis qu’il y a un mensonge là-dessous.

— Montrez-moi ça, lui dit Jack.

Goodley étala ses documents sur le bureau. Ils vérifièrent ensemble les dates et les itinéraires.

— Tout ça est très intéressant, dit enfin Jack. Quel fils de pute !

— Convaincant ?

Goodley avait envie de savoir ce qu’il en pensait vraiment.

— Totalement convaincant ? Non, fit le directeur adjoint en hochant négativement la tête.

— Pourquoi ?

— Il est possible que les données dont nous disposons soient incomplètes. Il est possible qu’ils se soient rencontrés en cachette, peut-être le dimanche, quand Andrei Ilitch était à sa datcha. Il faut reprendre toutes les vérifications avant de faire remonter tout ça plus haut, mais ce que vous avez découvert est très, très intéressant, Ben.

— Mais enfin, bon sang...

— Ben, il faut avancer avec précaution sur un sujet de cette importance, lui expliqua Jack. On ne peut pas mettre en cause le travail d’un agent de valeur sur la base de données assez floues, et celles-ci le sont, non ?

— Techniquement parlant. Vous pensez qu’il a pu être retourné ?

Ryan se mit à rire.

— Vous commencez à avoir le jargon du métier, Goodley. Vous avez déjà répondu à ma place.

— Eh bien, s’il essayait de nous doubler, il ne nous enverrait pas de choses comme celles-là. Ce n’est pas le genre de message qu’on nous ferait passer, sauf si des éléments du KGB...

— Repensez à tout ça, Ben, lui redit Jack.

— Ouais, ça les compromettrait aussi, non ? Vous avez raison, ça ne paraît pas très vraisemblable ; s’il avait été retourné, ses rapports seraient différents.

— Exactement. Si vous avez raison, et s’il essaie de nous faire faire fausse route, l’explication la plus probable est celle que vous donnez. Dans ce métier, il faut raisonner en flic. À qui profite le crime, quels sont les mobiles, voilà les questions à se poser. La meilleure pour reprendre tout ça, c’est Mary Pat.

— On la fait venir ? demanda Goodley.

— Un jour pareil ?

* * *

Qati et Ghosn embarquèrent au premier appel, s’installèrent en première classe et bouclèrent leur ceinture. L’appareil quitta le terminal dix minutes plus tard et gagna le bout de la piste. Ghosn se dit qu’ils avaient bien fait de prendre cette décision, on n’avait toujours pas appelé le vol de Dallas. L’avion décolla deux minutes après et mit cap au sud-est, vers la chaleur de la Floride.

* * *

La femme de chambre avait eu une dure journée. La plupart des pensionnaires étaient partis assez tard, et elle n’avait pas fait tout son travail. Elle constata avec dépit que le panneau « Ne pas déranger » était accroché à la poignée de la porte, mais il n’y en avait pas sur la porte de l’autre chambre, qui communiquait avec la première. Elle se dit que ce devait être une erreur. L’autre côté du carton indiquait sur fond vert : « Merci de faire la chambre », et les clients se trompaient souvent. Elle commença par celle qui ne portait pas d’indication. Il n’y avait pas grand-chose à faire, un seul lit avait servi. Elle enleva les draps et les remplaça par des propres à toute vitesse ; elle avait l’habitude, elle faisait cela plus de cinquante fois par jour. Puis elle passa à la salle de bain, remplaça les serviettes utilisées, mit un savon neuf dans le porte-savon et vida la poubelle dans le sac en plastique accroché à son chariot. Il fallait maintenant qu’elle décide si elle faisait ou non l’autre chambre. Le panneau accroché à la poignée disait que non, mais pourquoi n’avaient-ils pas accroché l’autre ? Ça valait au moins le coup de jeter un oeil. Si elle voyait qu’il restait des affaires, elle attendrait. La femme de chambre regarda par la porte de communication, et vit seulement les lits défaits. Il n’y avait pas de vêtements sur le sol. Elle avança un peu et regarda du côté de la salle d’eau, rien de particulier non plus. Elle décida de la nettoyer aussi. Elle fit le tour de son chariot et le poussa devant elle pour entrer. Elle fit les lits, une fois de plus, puis recula pour...

Comment ne l’avait-elle pas vu plus tôt ? Les jambes d’un homme. Elle s’avança et...

Le directeur mit une bonne minute à la calmer et à comprendre ce qu’elle disait. Grâce à Dieu, se dit-il, il n’y avait plus de clients de ce côté-ci, ils étaient tous au match. Il respira un bon coup, sortit, fit le tour de la salle et passa derrière le motel. La porte s’était refermée automatiquement, mais il avait un passe.

— Mon Dieu, fit-il seulement.

Il s’y était préparé : il ne toucha à rien, passa dans la chambre d’à côté et sortit. Les numéros d’urgence figuraient sur un petit carton, près du téléphone de son bureau. Il composa le second.

— Police.

— Il s’agit d’un meurtre, déclara le directeur, en essayant de rester calme.

* * *

Le président Fowler posa le fax sur une petite table et hocha la tête.

— C’est incroyable qu’il ait osé faire une chose pareille.

— Que vas-tu faire ? lui demanda Liz.

— Il faut d’abord qu’on vérifie si c’est bien vrai. Brent rentre ce soir du match. Je veux le voir demain très tôt pour lui demander son avis, mais je pense qu’on va simplement lui mettre ça sous les yeux. Si ça ne lui plaît pas, tant pis. On croirait la Mafia.

— Tu lui en veux, hein ?

— Procureur un jour, procureur toujours. On ne quitte jamais la toge.

* * *

Le JAL 747 se posa à l’aéroport international de Dulles avec trois minutes d’avance. Compte tenu du temps, et avec l’accord de l’ambassadeur du Japon, la cérémonie fut abrégée. En outre, les visiteurs importants sont toujours accueillis à Washington de façon assez peu protocolaire, c’est l’une des curieuses coutumes locales que l’ambassadeur avait déjà expliquées au premier ministre précédent. Après un accueil bref, mais chaleureux du secrétaire d’État adjoint Scott Adler, la délégation officielle prit place dans les quatre-quatre que l’ambassade avait réussi à trouver et prit la route de l’hôtel Madison, à quelques pas de la Maison-Blanche. Le premier ministre apprit que le président était à Camp David, et ne rentrerait à Washington que le lendemain matin. Il ressentait encore les effets du décalage horaire, et décida de prendre quelques heures de repos.

Il n’avait pas ôté son manteau qu’une équipe d’entretien montait à bord du JAL. Un homme récupéra les bouteilles d’alcool inutilisées, dont l’une avait le goulot fêlé. Un autre vida les poubelles des toilettes dans un grand sac en plastique, et ils reprirent le chemin de Langley. Tous les avions d’accompagnement, sauf le premier, s’étaient posés à la base aérienne d’Andrews et les équipages étaient allés se reposer au club des officiers. Les enregistrements furent emportés à Langley par la route, et arrivèrent après le magnétophone qui venait de Dulles. L’enregistrement réalisé à bord se révéla être le meilleur, et les techniciens s’attaquèrent d’abord à cette bande.

* * *

Le Gulfstream s’était posé à Mexico, à l’heure prévue lui aussi. Il se dirigea vers le terminal réservé aux avions d’affaires, et les trois hommes d’équipage — un équipage de l’armée de l’Air, mais personne ne le savait — allèrent dîner. Même s’ils étaient militaires, il fallait bien qu’ils se reposent. Clark était toujours à l’ambassade, et se dit qu’il allait en profiter encore un peu avant de regagner Washington et sa neige de merde.

— Fais attention, tu vas t’endormir pendant le match, fit le conseiller à la Sécurité nationale.

— Mais ce n’est que ma seconde bière, Elizabeth, répondit Fowler.

Il y avait un radiateur près du sofa et un grand plateau rempli d’amuse-gueule. Elliot n’arrivait toujours pas à y croire. J. Robert Fowler, président des États-Unis, un homme si intelligent et vif, voilà qu’il s’était transformé en fan de football, et il était assis là comme Archie Bunker, à attendre le coup d’envoi.

* * *

— J’ai repéré un faux contact, mais y a rien à faire avec l’autre, fît le chef mécano. J’arrive pas à trouver, mon colonel.

— Entrez un moment et venez vous réchauffer, répondit le pilote. Ça fait trop longtemps que vous êtes dessus.

* * *

— Une histoire de drogue, je t’en fiche mon billet, dit le jeune inspecteur.

— Alors ce sont des amateurs, répondit son collègue.

Le photographe avait fait les photos habituelles, quatre rouleaux, et d’autres hommes mettaient le corps dans un sac en plastique pour le transporter à la morgue. La cause de la mort ne faisait pas de doute, et le meurtre avait été particulièrement brutal. On aurait dit que les assassins — il y en avait deux, pensait le chef — avaient assommé leur victime avant de lui trancher la gorge. Ils l’avaient ensuite regardé se vider de son sang, en utilisant une serviette-éponge pour éviter de souiller leurs vêtements. Il s’agissait peut-être d’une vengeance, mais certainement pas d’un crime passionnel, les choses avaient été soigneusement calculées et l’exécution d’une cruauté inouïe.

Mais les inspecteurs avaient eu de la chance ; le portefeuille de la victime était dans sa poche, ils possédaient tous ses papiers d’identité, et mieux encore, deux jeux complets de papiers différents. Ils examinaient le tout. La réception du motel avait enregistré les numéros d’immatriculation des deux véhicules correspondant aux chambres, et on vérifiait également le fichier des cartes grises.

— Ce type est indien, remarqua le type des services de l’instruction quand ils emmenèrent le corps. Je veux dire, indien d’Amérique.

« J’ai déjà vu cette tête », se disait le jeune inspecteur.

— Attendez une minute.

Les autres le regardèrent, il déboutonna la chemise de l’homme, et découvrit le haut d’un tatouage.

— Il a fait du temps, dit le plus vieux.

Le tatouage était assez mal fait, au crayon et à la salive, et c’était un motif qu’il avait déjà vu quelque part...

— Attendez... ça signifie quelque chose...

— La Société des Guerriers !

— Tu as raison. Les Fédéraux avaient quelque chose là-dessus — ouais, tu te souviens ? La fusillade dans le Nord-Dakota, l’an dernier ?

L’inspecteur le plus ancien réfléchit un instant.

— Quand on aura les résultats pour les permis, envoyez-les à Washington. OK, vous pouvez l’embarquer.

On emporta le cadavre.

— Faites venir la femme de ménage et le directeur.

* * *

L’inspecteur Pat O’Day avait la chance d’être de service au centre de commandement du FBI, pièce 505 de l’immeuble Hoover. Cette pièce avait une forme assez curieuse : elle était triangulaire ; les pupitres de contrôle occupaient un coin, et des écrans recouvraient le mur le plus grand. La journée promettait d’être tranquille — il faisait mauvais temps sur tout le pays, et la météo gêne les activités criminelles plus efficacement que n’importe quelle police. Sur l’un des écrans, on voyait les équipes se mettre en place à Denver. Au moment où les Vikings gagnaient la balle d’engagement, une jeune femme des télécommunications arriva avec deux fax de la police de Denver.

— Un meurtre, monsieur. Ils pensent que ça pourrait nous intéresser.

Les photos figurant sur les permis de conduire étaient assez médiocres, et le fax ne les avait pas arrangées. Il les examina pendant quelques secondes et il allait déclarer qu’il ne connaissait pas cette tête, quand il se souvint tout d’un coup de son affectation au Wyoming.

— J’ai déjà vu ce type... un Indien... Marvin Russell ?

Il se tourna vers l’autre agent.

— Stan, tu connais ce mec ?

— Non.

O’Day lut le reste des fax. Peu importe de qui il s’agissait, il était mort la gorge tranchée, d’après les flics de Denver. Ça s’expliquait assez bien, non ? John Russell avait trempé dans une histoire de drogue. Autres indices, il y avait d’autres papiers d’identité sur les lieux du crime, mais les permis étaient des faux — très bien faits, d’ailleurs, d’après les enquêteurs. Il y avait cependant un camion immatriculé au nom de la victime, l’une des voitures identifiées était un véhicule de location pris par un certain Robert Friend, encore le nom qui figurait sur le permis de la victime. La police de Denver recherchait ces véhicules, et voulait savoir si le Bureau avait quelque chose sur ce type et ses complices éventuels.

— Rappelez-les, et dites-leur de nous envoyer par fax les photos des autres papiers d’identité.

— Bien, monsieur.

Pat jeta un coup d’oeil aux deux équipes qui commençaient la partie, puis décrocha le téléphone.

— Dan ? Ici Pat. Tu ne voudrais pas venir ? Je crois qu’un de tes vieux copains vient de mourir... Non, pas cette sorte de copain.

Murray arriva juste à temps pour le début de la partie, avant les fax. Le Minnesota s’empara du ballon sur la ligne des vingt-quatre yards, et les attaquants se mirent à l’oeuvre. La chaîne s’empressa de couvrir l’écran de commentaires totalement inutiles, si bien qu’on ne voyait même plus les joueurs.

— Tu te rappelles Marvin Russell ? demanda Pat.

— Bien sûr que si. Où est-il ?

O’Day montra l’écran.

— Tu ne vas pas me croire : à Denver. On l’a retrouvé il y a une heure et demie, la gorge tranchée. Les flics du coin pensent qu’il s’agit d’une histoire de drogue.

— C’est comme ça que son frère a fini. Quoi d’autre ?

Murray prit les fax que O’Day lui tendait.

Tony Wills assura la première passe et prit la balle cinq mètres avant la ligne — réussissant presque à percer. Au deuxième rebond, les deux hommes le virent reprendre une passe de vingt mètres.

— Ce gosse est étonnant, fit Pat. Je me souviens d’un match avec Jimmy Brown...

* * *

Bob Fowler entamait tout juste sa troisième bière de l’après-midi, et il aurait préféré assister au match plutôt que de rester rivé là. Bien sûr, les services secrets auraient élevé des objections, et les mesures de sécurité auraient été telles que les spectateurs n’auraient pas pu entrer dans le stade. Politiquement, ce n’était pas fameux. Liz Elliot, assise à côté du président, passa sur une autre chaîne, HBO, pour regarder un film. Elle prit un casque pour ne pas déranger le commandant en chef. C’était complètement idiot, se disait-elle. Comment cet homme pouvait-il montrer autant d’enthousiasme en regardant ce qui n’était jamais qu’un jeu de petits garçons...

* * *

Pete Dawkins termina ce qu’il avait à faire avant le match et mit la chaîne en travers de l’entrée dont il était responsable. Les gens qui voudraient encore passer devraient emprunter les deux dernières portes ouvertes et gardées. Lors de la précédente finale, un gang particulièrement doué avait écumé le parking et était reparti avec deux cent mille dollars d’objets divers piqués dans les voitures — surtout des magnétophones et des autoradios —, mais cela n’arriverait pas à Denver. Il commença sa ronde avec trois autres agents. Il était convenu qu’ils patrouilleraient dans tout le parking au lieu de choisir telle ou telle zone. Il faisait trop froid. Le fait de bouger leur permettrait au moins de se réchauffer un peu. Dawkins se sentait les jambes dures comme du bois, et remuer ne lui ferait pas de mal. Il ne s’attendait pas à trouver beaucoup de malfaiteurs : quel voleur serait assez fou pour se balader par moins quinze ?

Il arriva bientôt dans la zone qu’avaient occupée les fans du Minnesota. Ils étaient remarquablement bien organisés : la fête s’était terminée à l’heure, les chaises étaient rangées, et ils avaient tout nettoyé. Il restait bien quelques packs de café gelé, mais on aurait eu du mal à croire que quelqu’un était passé par là. Après tout, ils n’étaient peut-être pas si bêtes que ça...

Dawkins écoutait sa radio portative. Suivre un match à la radio, c’était comme faire l’amour tout habillé, mais au moins, il savait pourquoi les gens applaudissaient. L’équipe du Minnesota marqua le premier point, Wills était venu de quinze yards. La première tentative des Vikings avait duré seulement sept jeux et quatre minutes cinquante secondes. Le Minnesota avait l’air particulièrement doué, ce jour-là.

* * *

— Mon Dieu, Dennis doit être malade, dit Fowler.

Liz se concentrait sur son film et ne l’entendit pas. Le secrétaire à la Défense avait de quoi se faire du souci. La première balle était tombée dans les cinq mètres et les arrières des Chargers réussirent à la remettre dans les quarante, mais ils se firent avoir, et les Vikings reprirent le ballon.

* * *

— Ils disent que ce Marvin était sacrément doué. Regarde les numéros des autres permis. À part les deux premiers chiffres, tous les autres sont identiques à ceux de son... Je pense qu’il a réussi à trouver — lui ou quelqu’un d’autre — une machine à faire des papiers, déclara Murray.

— Les passeports et le reste, répondit O’Day, qui regardait Tony Wills revenir dans les huit mètres. S’ils n’arrivent pas à bloquer ce gosse, ça va être un véritable massacre.

— Quel genre de passeports ?

— Ils ne me l’ont pas dit, je leur ai demandé des détails. Ils vont nous passer les photos par fax en rentrant au bureau.

* * *

Les ordinateurs tournaient à Denver. Ils avaient réussi à identifier la société qui avait loué la voiture, et l’examen du système de réservations indiquait que celle-ci avait été rendue à l’aéroport international de Stapleton, quelques heures plus tôt. La piste était encore chaude, et les enquêteurs s’y rendirent directement du motel, après avoir pris les déclarations des deux « témoins » initiaux. La description qu’ils donnaient des deux suspects collait assez bien avec les photos des passeports, qu’on avait expédiés au siège de la police. Cela ressemblait de plus en plus à une affaire de drogue, mais les deux inspecteurs se demandaient qui pouvait bien être la victime.

* * *

Dawkins terminait sa première ronde autour du stade au moment où le Minnesota marqua son second point. C’était encore Wills, une passe à quatre mètres de la ligne. Ce type avait déjà à son actif cinquante et un mètres et deux réceptions. Dawkins alla jeter un oeil au camion d’ABC qu’il avait vérifié. Pourquoi des plaques du Colorado ? Ils lui avaient expliqué qu’ils venaient de Chicago, et qu’ils avaient pris le matériel à Omaha. Pourtant, le camion était peint aux couleurs de la chaîne. Les stations locales n’appartenaient pas aux grands réseaux, elles leur étaient seulement affiliées et leurs camions portaient le logo de la station. Il fallait qu’il en parle au sergent. Dawkins entoura la référence du véhicule sur sa planchette et ajouta un point d’interrogation. Il pénétra dans le chalet de la police.

— Où est le sergent ?

— Il est sorti sur le parking, répondit l’agent de permanence. Ce con-là a mis vingt dollars sur les Chargers, je crois bien qu’il va les perdre.

— Je vais voir si je ne peux pas lui en faire perdre un peu plus, rigola Dawkins. Il est parti par où ?

— Par là, je pense.

— Merci.

* * *

La balle était aux Vikings, sur le score de quatorze à zéro. Le même homme intercepta la balle, cette fois à trois mètres dans la zone des buts. Il ne tint pas compte de ce que lui disait un copain, et dégagea en milieu de terrain. Le ballon franchit la marque des seize mètres, alla rebondir sur un panneau de publicité et resta en touche. Quinze mètres après, il était clair que le tireur avait encore une chance, mais il était trop lent. Avec cent trois mètres, c’était la plus longue passe de l’histoire de la coupe. Le point suivant fut bon, score quatorze à sept.

— Ça va mieux, Dennis ? demanda le secrétaire d’État au secrétaire à la Défense.

Bunker posa son café. Il avait décidé de ne rien boire, il fallait qu’il soit clair pour recevoir le trophée Lombardi des mains du commissaire.

— Ouais, on n’a plus qu’à trouver le moyen d’arrêter ton homme.

— Bonne chance.

— C’est un sacré joueur, Bruce, mais bon sang, s’il pouvait moins courir.

— Ce n’est pas un athlète, mais il en a là-dedans, et un coeur increvable.

— Bruce, si c’est toi qui l’as formé, je sais bien que c’est forcément un type remarquable, dit généreusement Bunker. Je préférerais tout de même le voir avec un boulet aux pieds.

* * *

Dawkins mit quelques minutes à retrouver le sergent.

— Y a un truc marrant là-bas.

— Quoi ?

— Ce camion — le petit camion blanc à l’extrémité est de la rangée, là où sont les gros véhicules satellites, celui qui porte les couleurs d’ABC. Il a des plaques du Colorado, mais il est censé venir de Chicago ou d’Omaha. Je l’ai vérifié à l’entrée, ils disaient qu’ils apportaient un magnétophone de rechange, mais quand je suis repassé il y a quelques minutes, il n’était pas branché et les deux types avaient disparu.

— Qu’est-ce que vous me racontez ? demanda le sergent.

— Je crois qu’on devrait l’examiner de plus près.

— OK, allons-y.

Le sergent regarda la planchette et nota le numéro.

— On m’a appelé pour aider un mec de la Wells Fargo dans la zone de chargement. Vous pouvez vous en occuper ?

— Bien, sergent, et Dawkins repartit.

Le sergent prit sa radio portative Motorola.

— Lieutenant Vernon, ici le sergent Yankevitch, pourriez-vous me rejoindre aux camions de la télé ?

Yankevitch rebroussa chemin vers le sud et fit le tour du stade. Il avait un appareil radio personnel, mais sans écouteurs. San Diego arrêta les Vikings, le Minnesota marqua — un coup difficile qui nécessitait une bonne reprise de ballon dans les trente mètres des Chargers. Parfait, son équipe allait peut-être finir par l’emporter. Mais il fallait absolument que quelqu’un arrive à stopper ce Wills.

Dawkins prit le chemin de l’extrémité nord du stade et vit le camion blindé de la Wells Fargo garé près de la plate-forme de chargement. Un type essayait de transporter des sacs de ce qui semblait être de la monnaie.

— Quel est votre problème ?

— Le chauffeur s’est esquinté le genou, il est allé se faire soigner. Vous pourriez me donner un coup de main ?

— Dedans ou dehors ? lui demanda Dawkins.

— Je préfère que vous les sortiez, OK ? Et faites attention, c’est lourd.

— J’y vais.

Dawkins grimpa dans le fourgon. L’intérieur du camion blindé était agencé avec des étagères qui contenaient un nombre incalculable de sacs, surtout des pièces de vingt-cinq cents, apparemment. IL en souleva un, qui était aussi lourd qu’on le lui avait dit. Le policier accrocha sa planchette à la ceinture et se mit à l’ouvrage. Il posait les sacs sur la plate-forme, où le garde les mettait sur un diable. On pouvait faire confiance au sergent pour lui refiler les sales boulots.

Yankevitch rejoignit le lieutenant à l’entrée réservée aux médias, et ils se dirigèrent vers le camion en question. Le lieutenant se pencha pour regarder à l’intérieur.

— Une grosse caisse avec « Sony » marqué dessus... attendez une minute. On dirait un magnétophone de professionnel.

Le sergent Yankevitch raconta à son chef ce que Dawkins lui avait dit.

— C’est probablement sans importance, mais...

— Ouais... il y a un mais. Allons voir le type d’ABC, et je vais appeler les démineurs. Restez ici et surveillez ce truc.

— J’ai un passe-partout dans ma voiture. Si vous voulez, je peux l’ouvrir sans difficulté. Tous les flics savent fracturer une voiture.

— Non, on va laisser les démineurs s’en occuper, et en plus, ce n’est sans doute pas que ce à quoi ça ressemble. S’ils sont venus apporter un magnétophone de rechange, c’est peut-être le premier qui est là-dedans, et ils se sont dit qu’ils n’en avaient pas besoin.

— Comme vous voudrez, lieutenant.

Yankevitch rentra boire un café pour se réchauffer, avant de retourner dehors. Le soleil se couchait derrière les Rocheuses, et même par ce froid et ce vent coupant, c’était un spectacle magnifique. Le sergent passa derrière les camions pour admirer la grosse boule orange qui se montrait derrière les nuages de neige. Il y avait des choses encore plus belles que le football. Quand le disque solaire disparut derrière la ligne de crête, il fit demi-tour et décida d’aller jeter encore un coup d’oeil à cette caisse, dans le camion. Il n’en eut pas le temps