On réexamina leurs dossiers, les enquêtes fouillées préalables à leur entrée au gouvernement et à l'obtention de leur visa de sécurité
tout était normal, excepté, pour Cook, cet achat récent d'une maison et d'une voiture. En insistant, ils finiraient bien par tomber sur un chèque annulé servant de justificatif de domicile pour une demande de prêt immobilier. C'était l'avantage des banques. Elles archivaient tout, c'était toujours sur un papier quelconque, et cela laissait toujours une trace.
" Bien, on va donc faire comme si c'était notre gars. " Le sousdirecteur adjoint embrassa du regard sa troupe de brillants éléments qui, tout comme lui, avaient oublié d'envisager la possibilité que Barbara Linders ait pris un médicament susceptible de réagir avec le cognac qu'à une certaine époque, Ed Kealty gardait toujours à portée de main. Leur embarras collectif valait bien le sien. Et ce n'était pas si mal, estimait Dan. On se démenait toujours pour rétablir sa crédibilité après une boulette.
Jackson sentit le choc violent de l'appontage, puis la brusque décélération du brin d'arrêt, qui l'écrasa contre le dossier de son siège installé à
contresens. Encore une expérience détestable derrière lui. Il préférait de loin tenir lui-même les commandes pour se poser sur un porte-avions, et appréciait modérément de confier son existence à quelque enseigne de vaisseau boutonneux - en tout cas, c'est ainsi que les voyait tous l'amiral. Il sentit l'appareil virer sur la droite, rouler vers une portion inoccupée du pont d'envol, puis une porte s'ouvrit et il descendit en h‚te.
Un équipier de pont le salua et l'invita à gagner une porte ouverte au pied de l'îlot. Il avisa la cloche d'annonce et, sitôt qu'il fut entré, uri Marine salua au garde-à-vous, tandis qu'un quartier-maître de deuxième classe actionnait le carillon, tout en annonçant dans l'interphone : " Le chef de l'escadre soixante-dix-sept sur le pont.
- Bienvenue à bord, amiral, dit Bud Sanchez, tout sourire, très chic dans sa combinaison de vol. Le commandant est sur la passerelle.
- Eh bien, dans ce cas, au boulot.
- Comment va la jambe, Robby ? demanda le CAG, à mihauteur de la troisième échelle.
Raide comme du bois, depuis le temps que je suis assis. " «a avait pris un bout de temps. Le briefing à Pearl Harbor, l'avion de l'Air Force jusqu'à
Eniwetok, o˘ il avait attendu que le C-2A daigne bien venir le prendre pour le déposer sur son navireamiral. Jackson ne ressentait même plus le décalage horaire, pressé qu'il était d'agir enfin - c'est qu'il ne devait pas être loin de midi, à voir la hauteur du soleil.
" Est-ce que notre bidonnage tient toujours ? s'inquiéta Sanchez.
- Impossible à dire, Bud. Tant qu'on ne sera pas sur zone. "Jackson laissa un Marine ouvrir la porte de la timonerie. C'est vrai qu'il avait la jambe raide, comme pour lui rappeler que les opérations aériennes étaient bel et bien finies pour lui.
" Bienvenue à bord, amiral ", dit le commandant en levant les yeux d'une liasse de dépêches.
Des grondements de post-combustion trahissaient que le Johnnie Reb procédait à des opérations de catapultage : effectivement, un coup d'oeil vers l'avant lui montra un Tomcat, propulsé vers le ciel par la catapulte b
‚bord. Le porte-avions se trouvait environ à mi-distance des Carolines et de Wake. Cette dernière île était plus près des Mariannes, raison pour laquelle on ne l'utilisait pas. Wake possédait un excellent aérodrome, toujours entretenu par l'Air Force. Eniwetok n'était en revanche qu'un terrain de dégagement, connu comme tel, et par conséquent plus apte à
accueillir discrètement une escadrille, même s'il était bien moins pratique pour la maintenance.
" Bien, alors quoi de neuf depuis que j'ai quitté Pearl? demanda Jackson.
- De bonnes nouvelles. " Le commandant lui tendit l'une des dépêches.
" C'est parfaitement net, dit Jones, penché sur les relevés du sonar.
- S˚r qu'ils doivent être pressés ", reconnut Mancuso, évaluant d'un coup d'oeil la vitesse et la distance ; ce qu'il voyait ne lui plaisait pas du tout, ce qui confirma les expectations de Jones.
" qui doit les attendre ?
- Ron, je n'ai pas le droit...
- Monsieur, je ne pourrai guère vous aider si je ne sais rien, argumenta Jones. Vous trouvez que je suis un risque pour la sécurité ou quoi ? "
Mancuso réfléchit plusieurs secondes avant de répondre. " Le Tennessee se trouve juste à la verticale de la dorsale méridionale de Honshu, en soutien logistique à une opération spéciale qui doit être lancée dans les prochaines vingt-quatre heures.
- Et le reste des Ohio ?
- Ils viennent de doubler l'atoll d'Ulithi, et poursuivent vers le nord, un peu moins vite à présent. La force de SSN ouvrira la route au porte-avions.
Les Ohio ont pour mission de pénétrer en éclaireurs. " Ce qui se tenait, estima Jones. Les sous-marins nucléaires étaient trop lents pour opérer en parallèle avec un porte-avions et son escadre - qu'il avait également suivis gr‚ce au réseau SOSUS -, en revanche, ils étaient parfaits pour s'insérer au milieu d'une ligne de patrouille de sous-marins d'attaque... à
condition que leurs skippers sachent y faire. Un point qu'il fallait toujours prendre en considération.
" Les destroyers japonais arriveront sur le Tennessee à peu près au moment o˘...
- Je sais.
- qu'est-ce que vous avez d'autre pour moi ? " demanda brusquement le ComSubPac.
Jones le conduisit devant la carte murale. Il y avait désormais sept silhouettes de SSK marquées d'un cercle sur le tableau, et une seule était assortie d'un " ? ". Celle-ci correspondait à une position dans le passage entre la plus septentrionale des Mariannés, qui était Maug, et l'archipel des Bonin, dont la plus célèbre était Iwo-Jima.
" Nous avons essayé de nous concentrer dessus, expliqua Jones. J'ai bien détecté quelques signaux faibles, mais rien de suffisamment concret pour définir une trajectoire. Si j'étais eux, je couvrirais ce secteur.
- Moi de même ", confirma Chambers. Un mouvement possible pour les Américains serait de former un barrage de sousmarins en travers du détroit de Luçon, afin d'interdire tout trafic pétrolier vers les iles nippones.
C'était toutefois une décision politique. La flotte du Pacifique n'avait pas encore reçu l'autorisation d'attaquer les navires de commerce japonais, et le Renseignement indiquait que, pour le moment, la majeure partie du trafic pétrolier était assurée par des navires battant pavillon de complaisance : les attaquer e˚t été risquer toutes sortes de complications politiques. On peut pas se permettre d'offenser le Liberia, n est-ce pas ?
songea Mancuso avec une grimace.
" Pourquoi ce retour précipité de leurs destroyers ? " demanda Jones. Cela ne paraissait pas très logique.
" On a bousillé leurs défenses aéroportées, hier soir.
- D'accord, ils filent à l'ouest des Bonin... ce qui veut dire que je ne vais pas tarder à les perdre. quoi qu'il en soit, ils avancent à trente-deux noeuds, et même si leur route est encore mal définie, ils rentrent au bercail, pas de doute. " Jones marqua un temps. " On commence à bien leur prendre la tête, hein ? "
Pour une fois, Mancuso se permit un sourire. " Toujours. "
44
Par qui connaît la musique.
L faut absolument en passer par là ? demanda Durling.
- On a rejoué la simulation à vingt reprises, dit Ryan, parcourant une fois encore la liasse de données. C'est une certitude, monsieur le président. Il faut les éliminer, toutes. "
Le Président examina de nouveau les photos satellite. " On n'a toujours pas de certitude à cent pour cent, n'est-ce pas ? "
Jack secoua la tête. " Cent pour cent, non, c'est toujours impossible. Nos données paraissent de bonne qualité - les vues aériennes, s'entend. Les Russes ont recueilli des informations similaires, et ils n'ont pas plus envie que nous de se tromper. Il y a bien dix missiles sur cet emplacement, enterrés à grande profondeur. Le site a semble-t-il était choisi délibérément parce qu'il est relativement protégé des attaques. Tous les indices convergent. Ce n'est pas une opération d'intox. La question maintenant est de s'assurer qu'on pourra les détruire. Et il faudra faire vite.
- Pourquoi ?
- Parce qu'ils sont en train de rapatrier vers leurs côtes des b‚timents capables, jusqu'à un certain point, de détecter les forces aériennes.
- Pas d'autre solution ?
- Non, monsieur le président. Si ça doit se faire, c'est cette nuit. " Et, nota Ryan en consultant sa montre, la nuit était déjà tombée à l'autre bout du monde.
" Nous protestons avec la plus extrême vigueur contre cette attaque américaine sur notre pays, commença l'ambassadeur. Nous nous sommes, depuis le début, toujours refusés à employer de tels moyens, et nous escomptions une courtoisie similaire de la part des …tats-Unis.
- Monsieur l'ambassadeur, je ne suis pas consulté pour les opérations militaires. Des forces américaines ont-elles frappé votre territoire ?
demanda Adler, en guise de réponse.
- Vous le savez fort bien, et vous devez également savoir que c'est en prévision d'une attaque de grande envergure. Vous devez bien comprendre, poursuivit le diplomate, qu'une telle attaque pourrait entraîner les plus graves conséquences. " Il laissa sa phrase en suspens, tel un nuage de gaz toxique. Adler prit son temps pour répondre.
" je vous rappellerai tout d'abord que ce n'est pas nous qui avons déclenché ce conflit. Je vous rappellerai également que c'est votre pays qui a mené une attaque délibérée pour paralyser notre économie...
- Comme vous l'avez fait vous-même ! rétorqua l'ambassadeur, dont la colère pouvait bien servir à masquer autre chose.
- Excusez-moi, monsieur l'ambassadeur, mais je crois que c'est à mon tour de parler. " Adler attendit patiemment que le diplomate ait retrouvé son calme ; à l'évidence, ni l'un ni l'autre n'avait eu son compte de sommeil, la nuit précédente. " je vous rappellerai par ailleurs que votre pays a tué
des soldats américains, et que si vous espériez nous voir nous abstenir d'une riposte correspondante, alors vous avez commis sans doute une méprise.
- Jamais nous n'avons attaqué d'intérêts vitaux américains.
- La liberté et la sécurité des citoyens américains, tel est en dernière analyse le seul et unique intérêt vital de mon pays, monsieur l'ambassadeur. "
Le changement brutal de climat était aussi manifeste que les raisons qui le justifiaient. L'Amérique s'apprêtait à avancer un pion, et ce mouvement n'aurait sans doute rien de subtil. La réunion se tenait une fois encore au dernier étage du ministère américain des Affaires étrangères, et les participants, assis de chaque côté de la table, semblaient figés comme des statues de pierre. Nul ne voulait révéler quoi que ce soit, pas même un battement de cils, lors des séances officielles. quelques têtes se tournaient imperceptiblement quand les chefs de chaque délégation s'exprimaient tour à tour, mais sans plus.
Cette absence de toute expression aurait fait l'orgueil de joueurs professionnels -mais c'était précisément le but de la partie en cours, même si elle se jouait sans dés ni cartes. Jusqu'à la première suspension de séance, les discussions continuèrent d'achopper sur le préalable de la restitution des Mariannes.
" Bon Dieu, Scott ", dit Chris en passant la porte-fenêtre de la terrasse.
A voir les cernes sous ses yeux, le chef de délégation avait d˚ veiller une partie de la nuit, sans doute à la Maison Blanche. Il fallait y voir la conséquence de l'entrée dans la saison des primaires. Les médias faisaient des gorges chaudes des deux b‚timents de guerre immobilisés à Pearl Harbor, et des reportages télévisés arrivaient maintenant de Saipan et de Guam, livrant les témoignages (visages masqués, voix maquillées) d'insulaires expliquant d'un côté leur profond désir de rester des citoyens américains, et de l'autre exprimant leurs craintes réelles à rester sur les îles en cas de contre-attaque. Cette ambivalence était de nature à entretenir la perplexité de l'opinion, et les sondages étaient partagés : même s'ils révélaient un fort pourcentage de gens scandalisés par les événements récents, une majorité presque aussi forte réclamait une solution négociée.
Si possible. Et une forte minorité de quarante-six pour cent, d'après le sondage Washington Post/ABC publié le matin même, ne manifestait guère d'optimisme. Restait un joker, toutefois : la détention d'armes nucléaires par le Japon, qu'aucun des deux pays n'avait osé annoncer jusqu'ici, par peur de déclencher la panique dans sa population. Chacun, depuis le début des pourparlers, avait espéré un règlement pacifique, mais cet espoir venait quasiment de s'évaporer en l'espace d'à peine deux heures.
" L'affaire est désormais aux mains des politiques, expliqua Adler, détournant les yeux pour laisser échapper sa tension avec un grand soupir.
On n'a pas le choix, Chris.
- Mais leurs bombes atomiques ? "
Le secrétaire d'…tat haussa les épaules, gêné. " On ne pense pas qu'ils sont fous à ce point.
- Vous ne pensez pas ? Et quel génie est parvenu à cette conclusion ?
- Ryan, qui d'autre ? " Adler marqua un temps. " C'est lui qui mène la danse. Il pense que la meilleure option désormais serait le blocus - tout du moins, l'instauration d'une zone d'exclusion maritime, comme les Anglais l'avaient fait aux Malouines. Pour leur couper le pétrole, expliqua Adler.
- 1941 bis, c'est ça ? Je croyais que cet abruti était historien ! C'est quand même ce qui a déclenché une guerre mondiale, au cas o˘ tout le monde l'aurait oublié!
- La simple menace... Si Koga a le cran de faire entendre sa voix, on pense que leur coalition gouvernementale pourrait éclater. Aussi, t‚chez de voir ce que l'autre camp... enfin, quel est le poids réel de l'opposition chez eux.
- On est en train de jouer un jeu dangereux...
- Absolument ", admit Adler en le fixant sans ciller.
Cook se détourna pour gagner l'autre bout de la terrasse. Jusqu'ici, Adler avait toujours estimé que cela faisait partie du processus normal de négociations sérieuses - non sans trouver stupide que les vraies discussions doivent se mener derrière une tasse de thé ou de café avec des petits fours, sous prétexte que les véritables négociateurs ne voulaient pas prendre le risque de déclarations susceptibles de... enfin, bon, c'était la règle. Et le camp d'en face en usait avec une adresse extrême.
Il regarda discuter les deux hommes. L'ambassadeur nippon semblait bien plus mal à l'aise que son principal conseiller. que pensent-ils réellement ? Adler aurait tué pour le savoir. Il était désormais facile de voir en cet homme un ennemi personnel, ce qui e˚t été une erreur. C'était un professionnel qui servait son pays comme il était payé et assermenté
pour le faire. Leurs regards se croisèrent fugitivement - l'un et l'autre faisaient mine d'ignorer Nagumo et Cook -, et le mur de leur impassibilité
professionnelle se brisa un bref, un très bref instant, comme si l'un et l'autre se rendaient compte soudain que le vrai sujet du débat concernait la guerre, la vie et la mort, et que la réponse à ces questions leur était imposée de l'extérieur. Ce fut un étrange moment de camaraderie que celui o˘ ces deux hommes se demandèrent comment la situation avait pu dégénérer ainsi, et comment on pouvait g‚cher ainsi leurs qualités professionnelles.
" Ce serait une initiative bien stupide, dit aimablement Nagumo, avec un sourire forcé.
- Si vous avez un moyen d'accéder à Koga, vous feriez bien d'en profiter.
- Je l'ai, mais il est encore trop tôt, Christopher. Il nous faut une contrepartie. Est-ce donc si difficile à comprendre ?
- Il est hors de question que Durling soit réélu s'il brade l'existence de quelque trente mille citoyens américains. Ce n'est pas plus compliqué. S'il faut pour cela tuer quelques milliers de vos compatriotes, il n'hésitera pas. Et sans doute estime-t-il qu'une menace directe sur votre économie est encore un moindre mal.
- Cela changerait si vos concitoyens savaient...
- Et comment réagiront les vôtres quand ils l'apprendront ? " Cook connaissait assez bien le Japon pour savoir que là-bas, l'homme de la rue considérait avec horrreur les armes nucléaires. Fait intéressant, les Américains étaient parvenus à la même opinion. Peut-être la logique allait-elle finir par triompher, estima le diplomate, mais pas assez vite, et pas dans ce contexte.
" Ils comprendront bien que ces armes sont vitales pour nos nouveaux intérêts, répondit rapidement Nagumo, surprenant son interlocuteur. Mais vous avez raison, il est également vital qu'elles ne soient jamais utilisées, aussi devons-nous prendre les devants pour contrer vos efforts visant à étrangler notre économie. Des gens mourront, sinon.
- Des gens meurent déjà, Seiji, d'après ce qu'a révélé votre patron, tout à
l'heure. " Sur ces mots, chacun des hommes revint auprès de son supérieur.
" Eh bien ? demanda Adler.
- Il dit qu'il a été en contact avec Koga. "
Cette partie du plan était si évidente que le FBI n'y avait même pas pensé
- ils avaient même failli piquer une crise quand il la leur avait suggérée
- mais Adler connaissait bien Cook. Il aimait cette phase du processus diplomatique, il l'appréciait même un peu trop, il jouissait de l'importance qu'il avait acquise. Même maintenant, Cook ignorait ce qu'il venait de laisser échapper, tout simplement. La malveillance n'était pas encore nettement établie, mais cela suffisait à persuader Adler que Cook était sans doute à l'origine des fuites, or il venait justement de transmettre un nouvel élément d'information, même s'il s'agissait d'un artifice élaboré par Ryan. Adler se remémora les années passées, quand Ryan était un des consultants chargés d'évaluer les procédures de la CIA, et qu'il s'était fait remarquer des hautes sphères du pouvoir en inventant un piège analogue. Eh bien, le piège avait fonctionné de nouveau.
Le temps ce matin était si froid que les délégations réintégrèrent prématurément les salons pour reprendre la séance. Peutêtre que celle-ci allait finalement aboutir, se dit Adler.
Le colonel Michael Zacharias se chargea des dernières instructions avant le vol. C'était une réunion de routine, même si les B-2 n'avaient jusqu'ici jamais été engagés au combat - plus exactement, n'avaient jamais largué de bombe - mais le principe était le même. Le 59e groupe de bombardement datait de 1944, formé à l'époque sous le commandement du colonel Paul Tibbets, de l'armée de l'air des …tats-Unis, et basé dans une ville de l'Utah - le colonel y avait vu un signe - d'o˘ sa famille était originaire.
Le commandant de l'escadre aérienne, un général de brigade, serait aux commandes de l'avion de tête. Le second piloterait le numéro deux. En tant que chef-adjoint des opérations, il prendrait le numéro trois. C'était la phase la plus déplaisante du boulot, mais elle était suffisamment importante pour qu'il ait pris la peine d'étudier les règles d'éthique en temps de guerre et décidé que les paramètres de la mission entraient dans le cadre défini par les juristes et les philosophes pour les combattants.
II faisait un froid mordant à Elmendorf et c'est en camionnette qu'ils gagnèrent leurs bombardiers. Cette nuit, il y aurait trois hommes à bord de chaque appareil. Le B-2 avait été conçu pour être piloté à deux, mais on avait prévu la place d'un opérateur pour les systèmes de défense, même si le constructeur affirmait que le copilote pouvait tout à fait s'en charger.
Mais en situation réelle de combat, on avait toujours besoin d'une marge de sécurité, et avant même que les Spirit n'aient quitté le Missouri, on leur avait ajouté cent cinquante kilos de matériel, en sus des quatre-vingts et quelques de l'opérateur de systèmes de guerre électronique.
Ce n'étaient pas les paradoxes qui manquaient avec cet appareil.
Traditionnellement, les zincs de l'Air Force portaient un numéro sur la dérive de queue, mais le B-2 n'avait pas de dérive, aussi l'avait-on peint sur la trappe du train avant. C'était un bombardier de pénétration mais qui volait très haut, comme un avion de ligne, pour économiser le carburant -
même si le contrat avait été modifié en cours de définition du prototype pour y rajouter des capacités de pénétration à basse altitude. C'était l'un des appareils les plus co˚teux jamais construits, qui alliait l'envergure d'un DC-10 avec une invisibilité quasi parfaite. Bien que peint en gris ardoise pour se fondre dans le ciel nocturne, il brillait maintenant de l'espoir de mettre fin à une guerre. Et bien qu'il s'agisse d'un bombardier, chacun espérait que sa mission se déroulerait le plus paisiblement possible. Tout en se harnachant, Zacharias estimait malgré
tout plus facile de l'envisager comme une véritable mission de bombardement.
Les quatre réacteurs Général Electric s'allumèrent successivement, les jauges linéaires des compte-tours montèrent jusqu'au régime de ralenti haut
- déjà l'appareil biberonnait allégrement le kérosène, au même rythme que s'il volait à peine puissance àson altitude de croisière. Dans le même temps, le copilote et l'opérateur de contre-mesures électroniques vérifiaient leurs systèmes embarqués, vérification qu'ils jugèrent positive. Et puis, en file indienne, les trois bombardiers se mirent à
rouler pour gagner la piste d'envol.
" Ils nous facilitent la t‚che ", commenta Jackson, qui avait rejoint le PC
de combat, sous le pont d'envol. Il avait certes envisagé une telle éventualité dans son plan de bataille général, mais sans se permettre de l'espérer. Son plus dangereux adversaire était l'escadre de quatre destroyers Aegis que les Japonais avaient expédiés pour protéger les Mariannes. La Navy n'avait pas encore appris à déjouer la combinaison radar-missiles, et il s'attendait àperdre des avions et des hommes, mais une chose restait s˚re, l'Amérique avait désormais l'initiative. L'autre camp se portait au-devant de lui pour contrer ses actions éventuelles, et c'était àcoup s˚r jouer perdant.
Robby le sentait maintenant. Le John Stennis filait en avant toute à trente noeuds, cap au nord-ouest. Il consulta sa montre et se demanda si le reste des opérations qu'il avait préparées au Pentagone se déroulait comme prévu.
Cette fois, c'était un peu différent. Comme la nuit précédente, Richter lança les turbines de son Comanche, en se demandant s'il allait toujours s'en tirer aussi bien ; c'est qu'il n'oubliait pas cet axiome des opérations militaires : la même action réussissait rarement deux fois de suite. Dommage que le type qui avait concocté ce plan l'ait sans doute oublié, lui. …tait-ce ce pilote de chasse de l'aéronavale qu'il avait rencontré à Nellis, plusieurs mois auparavant ? Sans doute pas, estima-t-il. Le mec était trop pro pour ça.
Encore une fois, les paras avaient préparé leurs petits extincteurs ridicules, et encore une fois, ceux-ci se révélèrent inutiles, car encore une fois, Richter décolla sans incident, pour remonter aussitôt le long des pentes du Shuraishi-san, à l'est de Tokyo, mais cette fois, deux autres appareils l'accompagnaient.
" Il veut voir Durling personnellement, expliqua Adler. Il l'a annoncé à
l'issue de la session matinale.
- quoi d'autre? " demanda Ryan. Comme à son habitude, le diplomate avait d'abord rendu compte de l'affaire en cours.
" C'est bien Cook, notre bonhomme. Il m'a révélé que son contact était en liaison avec Koga.
- Lui avez-vous...
- Oui, je lui ai dit ce que vous vouliez. Et pour l'ambassadeur ? "
Ryan jeta un oeil à sa montre. Le minutage était déjà serré, et il n'avait vraiment pas besoin de cette complication, mais il n'avait pas compté non plus sur une collaboration de l'adversaire. " Accordez-moi une heure et demie. Je règle ça avec le patron. "
L'opérateur de contre-mesures électroniques avait également la responsabilité de la vérification des systèmes d'armes. Bien que prévues pour quatre-vingts engins de deux cent cinquante kilos, les soutes à bombes ne pouvaient accueillir que huit exemplaires des pénétrateurs d'une tonne, et huit fois trois, ça faisait vingtquatre.
C'était une autre opération arithmétique qui rendait nécessaire la phase ultime de la mission, quand l'emport de charges nucléaires aurait pu définitivement régler le problème, mais les ordres d'en haut avaient formellement exclu cette éventualité, et le colonel Zacharias n'y voyait pas d'objection. Il voulait pouvoir vivre avec sa conscience.
" Tous les systèmes au vert, chef ", annonça l'OCE. Pas vraiment une surprise, vu que toutes les armes avaient été vérifiées successivement par un sergent-chef fourrier ainsi que par un ingénieur civil du fournisseur, et qu'elles avaient subi chacune une bonne douzaine de simulations, avant d'être transportées avec un luxe de précautions jusque dans la soute à
bombes. Il fallait bien, si l'on voulait bénéficier de la garantie de fiabilité àquatre-vingt-quinze pour cent du constructeur, même si ce n'était pas suffisant pour avoir une certitude absolue. Il leur aurait fallu davantage d'appareils pour cette mission, mais c'étaient les seuls disponibles, et guider trois Spirit en simultané n'était déjà pas une mince affaire.
" Je commence à détecter de la friture, au deux-deux-cinq ", annonça l'OCE.
Dix minutes plus tard, il était manifeste que tous les radars au sol du pays étaient allumés à pleine puissance. Enfin, c'était pour ça qu'ils avaient construit le réseau, après tout, se dirent les trois membres d'équipage.
" Parfait. Donne-moi un cap, ordonna Zacharias, tout en contrôlant son propre écran.
- Le un-neuf-zéro m'a l'air pas mal, pour l'instant. " Les instruments identifiaient tous les radars selon' leur type, et le mieux était de tirer parti des plus anciens - par chance, ils étaient de conception américaine et leurs caractéristiques n'avaient aucun secret pour eux.
A l'avant des B-2, les Lightning ne chômaient pas non plus cette fois, ils étaient seuls et discrets, approchant Hokkaido par l'est, tandis que les bombardiers derrière eux avaient choisi une route plus méridionale.
L'exercice désormais était plus mental que physique. L'un des 767 japonais était en vol, cette fois nettement en retrait au-dessus des terres, et sans doute gardé de près par des chasseurs, tandis que les E-2C, moins puissants, patrouillaient juste au large des côtes. Sans doute allaient-ils faire travailler la chasse au maximum, et effectivement, son détecteur de menaces indiquait que des Eagle étaient en train de balayer le ciel avec leurs radars APG-70. Bon, il était temps de leur faire payer ça. Les deux appareils de sa formation obliquèrent légèrement sur la droite pour se porter au-devant des deux Eagle les plus proches.
Deux appareils étaient encore au sol, dont un avec un échafaudage entourant le radôme. Sans doute celui qui était en réparation, estima Richter qui approchait précautionneusement par l'ouest. Il y avait encore des collines pour lui fournir un abri, même si l'une d'elles était surmontée d'un énorme radar, élément du système de défense aérienne. Son ordinateur de bord lui calcula un couloir de sécurité et il descendit pour s'y insérer. Cela le fit déboucher à cinq kilomètres du site du radar, mais en contrebas ; désormais, c'était au Comanche de faire ce pour quoi on l'avait conçu.
Richter passa la dernière crête, son radar Longbow balayant la zone devant lui. Son logiciel d'analyse sélectionna les deux E-767 dans sa bibliothèque de formes hostiles et les illumina sur l'écran de guidage des armes.
L'écran tactile placé contre le genou gauche de Richter les identifia en leur attribuant les icônes numéros un et deux. Le pilote sélectionna HAMPE
dans sa brève liste de choix de munitions, les trappes à missiles s'ouvrirent et il pressa deux fois le bouton. Les Hellfire s'élancèrent sur leur rail en grondant, filant au ras de la colline vers la base aérienne, à
huit kilomètres de là.
L'objectif numéro quatre correspondait à un appartement situé par chance au dernier étage. ZORRO-TROIS avait pénétré dans la ville par le sud et maintenant le pilote faisait progresser son hélico en crabe : il redoutait d'être repéré depuis le sol, mais tenait à découvrir une fenêtre avec la lumière allumée. Là. Non, pas une lampe, estima le pilote. Plutôt un poste de télé. Ce qui
ne changeait rien. Il passa en guidage manuel pour verrouiller le tir sur la tache de lumière bleue.
Kozo Matsuda se demandait à présent pourquoi diantre il s'était fourré dans un tel pétrin, mais les réponses étaient toujours les mêmes. Il avait par assez développé son entreprise et s'était retrouvé contraint à une alliance avec Yamata - mais o˘ était son ami, en ce moment ? A Saipan ? Pourquoi ?
Ils avaient besoin de lui ici. Le cabinet devenait nerveux, et même si Matsuda y avait placé son homme pour répercuter ses instructions, il avait pu constater quelques heures plus tôt que les ministres pensaient désormais tout seuls comme des grands, et ça, c'était très mauvais signe - tout comme d'ailleurs les événements récents. Les Américains, f‚cheuse surprise, avaient en partie réussi à percer les défenses de son pays. Ne comprenaient-ils donc pas qu'il fallait mettre fin à la guerre, garder définitivement la main sur les Mariannes et forcer l'Amérique à accepter ces changements ? Il semblait que la seule chose qu'ils sachent comprendre soit la force, mais si Matsuda et ses collègues s'étaient crus aptes à en faire usage, cela n'avait pas intimidé les Américains comme on l'avait prévu.
Et si... Et sils ne s'écrasai ent pas ? Yamata-san leur avait assuré qu'ils seraient obligés de céder, mais il leur avait également assuré qu'il pourrait engendrer le chaos dans leur système financier, or ces salauds avaient réussi, d'une manière ou de l'autre, à déjouer l'attaque encore plus adroitement que Mushashi dans le duel au sabre du film de ce soir. Il n'y avait plus d'autre issue désormais. Ils devaient aller jusqu'au bout, sinon ils connaîtraient une ruine pire encore que celle que son... erreur de jugement avait déjà infligée à ses entreprises. Erreur de jugement ?
Bon, peut-être, admit Matsuda, mais il l'avait tempérée en s'alliant avec Yamata, et si son collègue daignait simplement revenir à Tokyo pour l'aider à remettre au pas le gouvernement, alors peut-être que...
La télé changea de chaîne. Bizarre. Matsuda prit sa télécommande et remit le canal précédent. Mais il sauta de nouveau.
A quinze secondes de l'objectif, le pilote de ZORRO-TROIS activa le laser infrarouge pour guider le missile antichar en fin
de .trajectoire. Son Comanche était en vol autostable, ce qui lui pexméttait de guider manuellement le tir. Jamais il n'aurait pu imaginer que le faisceau infrarouge du laser travaillait sur la même fréquence que le boîtier dont se servaient ses gosses à la maison pour zapper de Nickelodeon à Disney Channel...
Putain de camelote! Matsuda appuya une troisième fois sur le bouton, mais le téléviseur revint imperturbablement sur une chaîne d'infos. Dire qu'il n'avait plus revu ce film depuis des années, qu'est-ce qu'elle avait à
déconner, cette saloperie de télé ? Même que c'était un modèle grand écran fabriqué par ses usines. L'industriel sortit du lit et s'approcha du poste, en braquant la télécommande droit sur la fenêtre du récepteur infrarouge.
Mais la télé zappa de nouveau.
" Bakayaro ! " grommela Matsuda et il s'agenouilla devant le poste pour changer de chaîne à la main. Rien à faire, il s'entêtait à revenir sur celle d'infos. Il n'y avait aucune lumière dans la chambre et, à la dernière seconde, Matsuda aperçut une lueur jaune sur la dalle de l'écran.
Un reflet ? Mais de quoi ? II se retourna et découvrit un demi-cercle de flammes qui approchait de sa fenêtre, une seconde peut-être avant que le missile Hellfire ne percute la poutrelle d'acier juste à côté de son lit.
ZoRto-TROIS nota l'explosion au dernier étage de l'immeuble d'habitations, vira sec sur la gauche et se dirigea vers l'objectif suivant. C'était vraiment quelque chose, se dit le pilote, encore mieux que son rôle mineur dans la force d'intervention NoRMANDY, six ans plus tôt. Il n'avait jamais vraiment voulu être un bouffeur de serpent, et pourtant, il était en train de faire leur boulot... Le deuxième tir fut semblable au premier. Il dut plisser les paupières pour ne pas être ébloui, mais il était certain que dans un rayon de vingt mètres autour de l'impact, aucun témoin n'avait survécu.
Le premier Hellfire atteignit l'appareil entouré de mécanos.
Miséricordieusement, il avait touché le E-767 en plein nez et Richter estima que l'explosion devait en avoir épargné quelquesuns. Le second missile, lui aussi guidé exclusivement par ordinateur, pulvérisa la queue du deuxième appareil. Le Japon n'en avait plus que deux à présent, sans doute quelque part dans les airs, à l'heure qu'il était : ceux-là, il ne pouvait rien contre eux. Ils ne reviendraient s˚rement pas se poser ici, mais pour plus de s˚reté, Richter vira, sélectionna le canon et arrosa le site du radar de défense aérienne en repartant.
Binichi Murakami venait de quitter l'immeuble après avoir longuement bavardé avec Tanzan Itagake. Demain, il devait retrouver ses amis au conseil de cabinet et leur suggérer d'arrêter cette folie avant qu'il ne soit trop tard. Oui, son pays avait des missiles nucléaires mais on les avait fabriqués dans l'espoir que leur seule existence suffirait à en interdire l'usage. Le simple fait
de
e r'vèler leur présence sur sa terre natale (terre qui se trouvait d'ailleurs être de la roche) menaçait de faire éclater la coalition politique mise en place par Goto, et il comprenait maintenant qu'on ne pouvait pas indéfiniment donner des ordres à des hommes politiques sans qu'ils s'avisent un jour qu'ils avaient également leur mot à dire.
Un mendiant dans la rue, telle était l'image qui ne cessait de le harceler.
Sans elle, peut-être qu'il ne se serait pas laissé ébranler par les arguments de Yamata. Peut-être... c'est ce qu'il voulait croire. Puis le ciel devint tout blanc au-dessus de sa tête. Le garde du corps de Murakami était à côté de lui et il le coucha par terre près de leur voiture, tandis que le verre brisé pleuvait tout autour d'eux. Le bruit de l'explosion s'était à peine éteint qu'il entendit les échos d'une autre à quelques kilomètres de là.
" qu'est-ce que c'était ? " voulut-il demander, mais quand il bougea, il sentit du liquide sur son visage : c'était le sang qui coulait du bras de son employé, tailladé par le verre. L'homme se mordait la lèvre et restait digne, mais il était sérieusement blessé. Murakami l'aida à monter en voiture, puis il ordonna au chauffeur de se rendre à l'hôpital le plus proche. Alors que ce dernier obtempérait avec un signe de tête, un troisième éclair apparut dans le ciel.
~" Encore deux bébés phoques ", murmura doucement le colonel. Il s'était approché à moins de huit kilomètres avant de leur expédier ses Slammer par l'arrière, et un seul des Eagle avait cherché à l'esquiver, mais trop tard, même si le pilote avait eu le temps d'actionner le siège éjectable - il voyait maintenant la
Il d cendre vers le sol. Pour l'heure, c'était suffisant. Il fit virer son Lig
g
1 5 Sa formation
de quatre appareils avait transpercé les défenses de Hokkaido, et derrière eux, l'aviation japonaise allait être obligée de transférer des appareils pour combler la faille, ce qui avait été le but de sa mission de nuit. Depuis des années, le colonel le clamait à qui voulait l'entendre : le combat équitable était une chimère, et il avait rigolé du cruel euphémisme décrivant l'engagement d'un appareil furtif contre un appareil classique : tuer des bébés pho ques. Mais ce n'étaient pas des bébés phoques, et l'acte était bien proche d'un meurtre, et l'officier enrageait d'y être contraint.
L'opérateur de contre-mesures électroniques les avait insérés entre deux radars de défense aérienne, et à moins de cent cinquante kilomètres d'un E-2C en survol. Il détectait toutes sortes d'échanges radio, tendus et excités, entre des stations au sol et des chasseurs, très loin au nord à
présent. Ils avaient abordé le continent audessus d'une ville qui s'appelait Arai. A quarante-trois mille pieds d'altitude, le B-2A croisait sans incident à un peu moins de six cents noeuds. Sous la première couche de sa peau tissée de fibre, une résille de cuivre absorbait la majeure partie du rayonnement électromagnétique qui était en train de l'arroser.
C'était une partie de la technologie furtive qu'on pouvait trouver dans n'importe quel manuel de physique de lycée. Les filaments de cuivre recueillaient l'essentiel de cette énergie, tout à fait comme une banale antenne de radio, et la convertissaient en chaleur qui se dissipait dans le froid de l'air nocturne. Le reste des signaux atteignait la structure interne qui le dispersait dans d'autres directions, enfin, c'était ce que tout le monde espérait.
Mach
coro e es
htnin au nord-est et fila à Mach 1,5
Ryan accueillit (ambassadeur et (escorta dans l'aile ouest, encadré bientôt par cinq agents du Service secret. Il régnait ce
qu'en termes diplomatiques on qualifiait un " climat de franchise ". Sans être ouvertement discourtoise, l'atmosphère était tendue, dépourvue des amabilités qui d'habitude émaillent ce genre de rencontres. On n'échangea aucune parole superflue, et lorsqu'ils pénétrèrent dans le Bureau Ovale, la préoccupation essentielle de Jack était la teneur de la menace qu'ils pourraient choisir d'émettre en ce moment particulièrement malvenu.
" Monsieur l'ambassadeur, veuillez prendre un siège, je vous prie, commença Durling.
- Merci, monsieur le président. "
Ryan choisit de s'asseoir entre le diplomate en visite et Roger Durling.
C'était un geste machinal pour protéger son Président, mais sans réelle utilité : deux des agents étaient entrés avec eux et ne quitteraient pas la pièce. Le premier s'était posté devant la porte. L'autre se tenait juste derrière l'ambassadeur.
" J'ai cru comprendre que vous souhaitiez me dire quelque chose ", observa Durling.
Le diplomate répondit à l'emporte-pièce : " Mon gouvernement désire vous informer que nous allons sous peu rendre publique notre détention d'armes stratégiques. Nous tenons àvous en prévenir honnêtement.
- Cela sera vu comme une menace délibérée contre notre pays, monsieur l'ambassadeur, intervint Ryan, jouant son rôle de bouclier pour éviter au Président la nécessité de parler directement.
- Ce n'est une menace que si vous le voulez bien.
- Vous avez bien conscience, nota Jack, que nous détenons nous aussi des armes nucléaires qui pourraient frapper votre pays.
- Comme vous l'avez déjà fait ", répondit l'ambassadeur du tac au tac. Ryan acquiesça.
" Oui, dans le cadre d'une autre guerre, également déclenchée par votre pays.
- Nous n'arrêtons pas de vous le répéter, ce n'est une guerre que si vous le voulez bien.
- Monsieur, attaquer un territoire américain et tuer des soldats américains, c'est cela qui en fait une guerre. "
Durling observait cet échange sans autre réaction qu'une inclinaison de la tête ; lui aussi jouait son rôle, comme son chef du Conseil national de sécurité jouait le sien. Il connaissait suffisamment son subordonné pour déceler les signes de tension chez lui cette façon de croiser les pieds sous sa chaise, de tenir les mains croisées discrètement sur les genoux, de se forcer à garder un ton aimable et posé
malgré la teneur de la conversation. Bob Fowler avait eu raison de bout en bout, encore plus même que ne l'avaient pressenti l'ancien et (d'ailleurs) l'actuel locataires de la Maison Blanche. Un homme précieux dans la tempête, se répéta Roger Durling, et même s'il avait son caractère, dans les moments de crise, Ryan retrouvait le calme d'un chirurgien en salle d'opération. …tait-ce sa femme qui avait déteint sur lui ? Ou bien avait-il appris cette attitude à la rude école de ces dix ou douze dernières années dans la fonction publique puis dans le privé ? De la cervelle, des réflexes, savoir garder la tête froide quand il le fallait. quel dommage qu'un tel homme ait fui la politique. Cette seule idée faillit faire sourire Durling, mais le lieu était mal choisi. Non, Ryan ne ferait pas un bon politique. Il était de ceux qui cherchent à aborder les problèmes directement. Même sa subtilité était acérée, et il était cruellement dépourvu de ce talent primordial qui est de savoir mentir efficacement, mais ce point mis à part, c'était l'homme idéal pour gérer une crise.
" Nous cherchons une issue pacifique à cette situation, disait maintenant l'ambassadeur. Nous sommes prêts à faire d'importantes concessions.
- Nous ne réclamons rien de plus que le retour au statu quo ante ", répondit Ryan, prenant un risque qui le mettait mal àl'aise. Il avait horreur de devoir en arriver là, mais il était bien obligé de proposer les idées dont il avait discuté avec le Président, et si jamais l'affaire devait tourner mal, c'est sur lui, non sur Roger Durling qu'on ferait porter la responsabilité de la gaffe. " Et l'élimination de vos armes nucléaires sous contrôle international.
- Vous nous forcez à jouer un jeu très dangereux.
- Il est de votre fait, monsieur. " Ryan s'obligea à se relaxer. Sa main droite était venue se poser sur son poignet gauche. Il sentait le contact de sa montre mais n'osait pas baisser les yeux, de peur de révéler qu'une course contre la montre était engagée. " Vous violez déjà le traité de non-dissémination des armes
nucléaires. Vous avez violé la charte des Nations unies, que votre gouvernement a pourtant signée. Vous violez également plusieurs accords diplomatiques avec les …tats-Unis d'Amérique, et vous avez déclenché une guerre d'agression. Croyez-vous vraiment que nous allons accepter tout cela, en plus de l'asservissement de citoyens américains ? Dites-moi, comment réagiront vos compatriotes en apprenant la nouvelle ? " Les événements survenus la nuit précédente au nord du japon n'avaient pas encore été rendus publics. Leur contrôle sur les médias était d'une autre envergure que la manipulation opérée par Ryan avec les grandes chaînes de télévision américaines, mais ce genre d'attitude soulevait un problème : la vérité finissait toujours par émerger. Ce n'était pas une mauvaise chose quand elle jouait en votre faveur, ça pouvait devenir catastrophique dans le cas inverse.
" Vous devez nous offrir quelque chose! " insistait l'ambassadeur, qui perdait visiblement sa contenance de diplomate. Derrière lui, l'agent du Service secret fit discrètement jouer ses doigts.
" Ce que nous vous offrons, c'est une chance de rétablir la paix dans des conditions honorables.
- Vétilles !
- C'est un sujet qui concerne plus le secrétaire Adler et sa délégation.
Vous connaissez notre position, dit Ryan. Nous ne pouvons pas vous empêcher de rendre publique l'existence de vos armes nucléaires. Mais je vous préviens qu'il s'agirait d'une dangereuse escalade psychologique dont ni votre pays ni le nôtre n'ont besoin. "
L'ambassadeur s'était tourné vers Durling, dans l'espoir d'une réaction quelconque. Les primaires de l'Iowa et du New Hampshire étaient proches, et l'homme avait intérêt à prendre un bon départ... était-ce la raison de cette fermeté ? L'ambassadeur était perplexe. Les ordres venus de Tokyo lui dictaient d'obtenir un minimum de marge de manceuvre pour son pays, mais les Américains se refusaient à jouer le jeu, et le coupable devait en être Ryan.
" Est-ce que le Dr Ryan parle au nom des …tats-Unis ? " Son coeur cessa de battre quand il vit le Président hocher imperceptiblement la tête.
" Non, monsieur l'ambassadeur. En vérité, c'est moi qui parle au nom de mon pays. " Durling observa, cruel, un temps d'arrêt avant de poursuivre. " Mais le Dr Ryan, en l'occurrence, parle pour moi.
Avez-vous autre chose à nous dire ?
- Non, monsieur le président.
- En ce cas, nous ne vous retiendrons pas plus longtemps. Nous espérons que votre gouvernement comprendra que nos propositions constituent le meilleur moyen pour lui de sortir d'une telle situation. Les autres hypothèses ne méritent pas l'examen. Monsieur, je vous salue. " Durling ne se leva pas, même si Ryan quitta son siège pour raccompagner dehors le diplomate.
Il était de retour au bout de deux minutes.
" quand ? demanda le Président.
- D'un instant à l'autre.
- «a a intérêt à marcher. "
Le ciel était limpide en dessous d'eux, en dehors des filaments de quelques cirrus à cinquante mille pieds. Malgré tout, le PI -ou point d'insertion -
était trop difficile à viser à l'oeil nu. Et pour compliquer le tout, les deux autres appareils de leur formation restaient quasiment invisibles, alors qu'ils ne devaient être qu'à cinq et dix kilomètres devant lui, respectivement. Mike Zacharias pensait à son père, à toutes ses missions de pénétration dans les défenses les plus perfectionnées existant à son époque ; une fois, une seule, il avait échoué, et c'est par miracle qu'il avait survécu à un camp dont on était censé ne jamais revenir'. Celleci était plus facile, en un sens, mais également plus délicate, car le B-2
était à peu près incapable de manceuvrer, sinon pour d'infimes ajustements par rapport aux vents.
" Batteries de Patriot, droit devant à deux heures, annonça le capitaine chargé de la surveillance électronique. Elle vient de s'éteindre. "
Puis Zacharias comprit pourquoi. Il aperçut les premiers éclairs au sol, quelques kilomètres devant lui. Donc les rapports du Renseignement étaient exacts. Les Japonais n'avaient pas un si grand nombre de missiles Patriot, et ils ne s'amuseraient pas à les sortir par plaisir. Et puis, alors qu'il baissait les yeux, il avisa les lumières d'un train àl'entrée de la vallée qu'il s'apprêtait à attaquer.
1. Voir Sara aucun remords, Albin Michel, 1994 (NdT).
" Interrogation un ", ordonna le pilote. C'est maintenant que ça devenait dangereux.
Le radar LPI situé sous le nez de l'appareil se braqua automatiquement sur la partie du sol indiquée par son système de navigation par satellite, recalant aussitôt la position du bombardier en fonction d'une référence terrestre connue. L'appareil décrivit alors un virage sur la droite et deux minutes plus tard, la même procédure se répétait...
" Alerte lancement de missile! Patriot en vol - attention, il y en a deux, avertit l'OCE.
- Deux, affirmatif. " Ils ont d˚ nous choper avec les trappes ouvertes. Le bombardier n'était plus furtif quand les soutes àbombes étaient ouvertes, mais cela n'avait pris que quelques secondes avant qu'elles ne...
Là. Il vit les Patriot surgir de derrière une crête, bien plus rapides que les SA-2 qu'avait esquivés son père : plus du tout comme des roquettes, mais bien plutôt comme des faisceaux d'énergie dirigés, si rapides que l'oeil pouvait à peine les suivre, si rapides qu'il n'avait guère le temps de réfléchir. Mais les deux missiles, séparés de quelques centaines de mètres, ne dévièrent pas d'un pouce de leur trajectoire, filant vers un point de l'espace, loin au-dessus de son bombardier, pour aller exploser comme un feu d'artifice aux alentours de soixante mille pieds. Parfait, ce bidule furtif marche effectivement contre les Patriot, comme l'affirmaient tous les tests. Les servants au sol devaient être furieux, se dit Zacharias.
" Top pour la première passe ", annonça-t-il.
Dix cibles avaient été définies - des silos de missiles, indiquaient les données du Renseignement, et ça ne déplaisait pas au colonel d'éliminer ces horreurs, même au prix de quelques vies. Ils n'étaient que trois, et son bombardier, comme les deux autres, n'emportait que huit armes. Vingt-quatre au total pour la mission
deux pour chaque silo, et les quatre dernières de Zacharias pour la dernière cible. Deux bombes par silo. Chaque bombe avait une probabilité de quatre-vingt-quinze pour cent d'atteindre l'objectif avec un écart circulaire probable de quatre mètres - des chiffres excellents en vérité, le seul problème étant que ce genre de mission ne tolérait aucune marge d'erreur. Même sur le papier, la probabilité d'un double échec était inférieure à un demi pour cent, mais
multiplié par dix cibles, cela faisait cinq pour cent de chances qu'un missile survive, et c'était absolument hors de question.
L'appareil était désormais contrôlé par ordinateur - le pilote pouvait bien s˚r reprendre la main, mais uniquement en cas de défaillance grave. Le colonel l‚cha les commandes, évitant de les toucher de peur d'entraver le processus qui exigeait une précision bien supérieure à celle qu'il pourrait assumer.
" Systèmes ? demanda-t-il dans l'interphone.
- Nominaux ", répondit l'OCE d'une voix tendue. Il avait les yeux rivés sur le système de navigation GPS, qui recueillait les signaux émis par quatre horloges atomiques en orbite et s'en servait pour définir précisément la position de l'appareil sur trois axes, en même temps que le cap, la vitesse au sol et le vent relatif étaient calculés par les systèmes embarqués du bombardier. L'information était répercutée sur les bombes, qu'on avait déjà
programmées avec la position exacte de leur cible. Le premier bombardier était chargé des objectifs 1 à 8. Le second, des 3 à 10. quant au sien, il s'occuperait de la deuxième passe sur les 1, 2, 9 et 10. Aucun appareil ne tirant par deux fois sur la même cible, on éliminait théoriquement le risque qu'une défaillance électronique permette la survie d'un des missiles dans son silo.
" Cette batterie de Patriot est toujours en recherche. Elle est apparemment installée à l'entrée de la vallée. "
Pas de veine pour eux, se dit Zacharias.
" Ouverture des soutes à bombes... top ! " annonça le copilote. La réaction du troisième équipier fut immédiate.
" Il nous a accrochés - le site de SAM nous tient ", annonça l'opérateur à
l'instant du largage de la première bombe. " Verrouillage, il nous a verrouillés... lancement lancement lancement!!!
- Faut quand même un petit bout de temps, n'oublie pas ", répondit Zacharias, sur un ton faussement dégagé. La seconde bombe venait d'être larguée à son tour. Puis il lui vint une nouvelle idée - et si le chef de batterie faisait travailler ses neurones ? S'il avait appris la leçon de sa dernière tentative de tir contre un bombardier ? Bon Dieu, toute la mission pourrait encore capoter, si jamais ils...
Deux secondes plus tard, la quatrième bombe était larguée, les trappes de la soute se refermaient, et le B-2 Spirit replongea dans son invisibilité électronique.
" C'est un bombardier furtif... obligé, s'écria le contrôleur d'interception. Tenez! "
L'écho intense et tentant qui était soudainement apparu à leur verticale venait de disparaître. Le gros radar d'acquisition à rideau de phase avait annoncé la présence de la cible à la fois visuellement et par un signal sonore, et voilà que l'écran était vide... non, pas entièrement. quatre objets descendaient à présent, tout comme il y en avait eu huit, à peine une minute plus tôt. Des bombes. Dans son véhicule de lancement, le commandant de la batterie avait senti puis entendu les impacts en haut de la vallée. Le coup d'avant, il avait cherché à atteindre les bombardiers, g
‚chant ainsi deux précieux missiles ; et les deux qu'il venait de tirer allaient également se perdre... oui mais...
" Réarmez! Tout de suite! " hurla-t-il à ses hommes.
" Ils ne pointent pas sur nous ", dit l'OCE, avec plus d'espoir que de conviction. Le radar de suivi était repassé en balayage, puis il se verrouilla, mais pas sur eux.
Pour réduire encore les risques, Zacharias fit tourner l'appareil, ce qui était de toute façon nécessaire pour la deuxième partie de la mission. Cela l'écarterait de la trajectoire programmée des missiles, en évitant le risque d'un contact toujours possible.
" Cause-moi ! ordonna le pilote.
- «a y est, ils nous ont dépassés, maintenant... " Ce qui fut confirmé par deux éclairs éblouissants qui illuminèrent coup sur coup les nuages audessus de leurs têtes. La lumière fit tressaillir les trois hommes mais il n'y eut pas un bruit, pas même une secousse, tant les explosions avaient d˚
se produire loin derrière eux.
Très bien... j espère que ça règle la question.
" II est encore... signal de verrouillage! hurla l'OCE. Mais...
- Sur nous ?
- Non, une autre cible... je ne sais pas...
- Les bombes! Nom de Dieu, jura Zacharias. Il est en train d'aligner les bombes! "
Il .y en avait quatre, les plus intelligentes parmi les bombes intelligentes, en descente rapide, mais pas aussi rapide qu'un chasseur tactique en piqué. Chacune connaissait sa position dans l'espace et le temps, ainsi que sa destination prévue. Les données transmises par les systèmes de navigation embarqué des B-2 leur avaient dit o˘ elles se trouvaient - coordonnées cartographiques, altitude, vitesse et cap de l'avion - et leurs propres ordinateurs les avaient corrélées avec les coordonnées de la cible programmée dans leur mémoire. Elles tombaient maintenant en reliant un à un cette série de points invisibles dans l'espace tridimensionnel, et il était quasiment impossible qu'elles manquent leur but. Mais les bombes n'étaient pas furtives, parce que personne n'avait songé à les construire ainsi, et en plus, elles constituaient des cibles de taille suffisante pour être accrochées.
La batterie de Patriot avait encore des missiles à tirer et un site à
défendre, et même si le bombardier avait disparu, il restait malgré tout quatre objets sur l'écran : le radar les voyait sans peine.
Automatiquement, les systèmes de guidage se verrouillèrent dessus, tandis que le chef de batterie pestait en se reprochant de ne pas y avoir pensé
plus tôt. Son servant obtempéra avec un signe de tête et tourna la clé de mise à feu qui permettait aux systèmes d'opérer de manière autonome. Peu importait pour l'ordinateur de guidage que les cibles en approche ne soient pas des avions. Elles évoluaient dans les airs, elles étaient dans son volume de responsabilité, et les opérateurs humains avaient dit Tue.
Le premier des quatre missiles jaillit de son conteneur parallélépipédique, convertissant le carburant solide de son propulseur en une traînée de vapeur blanche qui raya le ciel nocturne. Le système de guidage suivait la cible via le missile lui-même, et bien que complexe, il était également difficile à brouiller et d'une précision redoutable. Le premier engin fondit sur son objectif, relayant ses signaux au sol et recevant en retour les instructions de trajectoire calculées par les ordinateurs de la batterie. S'il avait été doté d'un cerveau, nul doute qu'il aurait éprouvé
une intense satisfaction à se porter vers la cible en chute libre, choisir un point dans l'espace et le temps o˘ tous deux allaient se croiser...
" Tue!" s'écria l'opérateur, et le jour emplit la nuit quand le second SAM
fondit sur la bombe suivante.
Les lumières en dessous d'eux étaient révélatrices : Zacharias aperçut les éclairs stroboscopiques reflétés sur les contreforts rocheux, bien trop tôt pour des impacts au sol. Donc, quels que soient les auteurs des paramètres de mission, ils n'avaient pas été assez paranoÔaques, en fin de compte.
" Voilà le PI deux, dit le copilote, ramenant le commandant à sa mission.
- Bonne visu au sol " , indiqua fOCE.
Zacharias voyait nettement l'objectif ce coup-ci, la large étendue plane de bleu intense, qui ressortait parmi les ombres déchiquetées de ce paysage montagneux, et le mur p‚le qui la retenait. On distinguait même les lumières de la centrale.
" Ouverture des trappes. "
L'appareil remonta de quelques décimètres quand les six engins furent libérés. Les commandes de vol compensèrent, et le bombardier vira de nouveau sur la droite pour repartir vers l'est, tandis que le pilote se sentait déjà rasséréné sur le déroulement de sa mission.
Le chef de batterie claqua du plat de la main son tableau de commande en poussant un cri de satisfaction. Il en avait eu trois sur quatre, et la dernière explosion, bien qu'à côté de la cible, avait d˚ dévier la bombe, même s'il sentit trembler le sol au moment de son impact. Il décrocha son téléphone de campagne pour avoir l'abri du PC de tir des missiles.
" Tout va bien ? demanda-t-il, inquiet.
- qu'est-ce qui nous a touchés, bordel ? " s'écria la voix lointaine de l'officier. Le chef de batterie ignora cette question idiote.
" Vos missiles ?
- Huit sont détruits.. mais je pense qu'il m'en reste deux. Il faut que j'appelle Tokyo pour avoir des instructions. " L'officier à l'autre bout du fil était abasourdi, et sa première pensée fut de rendre gr‚ce à ceux qui avaient choisi le site. Ses silos étaient
creusés à même la roche, qui avait constitué un excellent blindage pour ses ICBM, en fin de compte. quels ordres allait-il bien recevoir, maintenant que les Américains avaient tenté de les désarmer, lui et sa nation ?
J'espère qu'ils vont t'ordonner de les lancer, mais ça, le chef de batterie n'eut pas vraiment le courage de le dire tout haut.
Les quatre dernières bombes du troisième B-2 fondaient sur le barrage hydro-électrique à l'entrée de la vallée. Elles étaient programmées pour percuter de bas en haut la vo˚te de béton armé : le minutage et emplacement des impacts n'étaient pas moins cruciaux que ceux calculés pour les engins destinés aux silos de missiles. Invisibles et inaudibles, elles descendaient à la file, espacées d'une petite trentaine de mètres à peine.
Le barrage faisait cent trente mètres de haut, il était presque aussi épais à la base, mais la structure s'amincissait progressivement pour ne plus faire que dix mètres au niveau du déversoir. L'ouvrage robuste, afin de résister à la masse d'eau qu'il retenait comme aux nombreux séismes qui frappaient le Japon, produisait de l'électricité depuis plus de trente ans.
La première bombe le toucha soixante-dix mètres sous le déversoir. Arme lourde dotée d'une épaisse ogive d'acier cémenté, elle s'enfonça de quinze mètres dans la structure avant d'exploser, ouvrant d'abord une caverne miniature dans le béton, puis l'onde de choc se propagea dans toute l'épaisseur de l'immense vo˚te àl'instant même o˘ le second projectile frappait, cinq mètres environ au-dessus du premier.
Un gardien était là, réveillé de sa somnolence par le bruit montant du bas de la vallée, mais il avait raté le spectacle et se demandait de quoi il s'agissait quand il avisa le premier éclair atténué qui semblait émaner de l'intérieur même du barrage. Il entendit l'impact de la deuxième bombe, puis au bout d'une seconde environ, le choc le souleva presque de terre.
" Bon Dieu, est-ce qu'on les a tous eus ? " demanda Ryan. En dépit de la croyance populaire, et maintenant en dépit de ses voeux les plus fervents, le Service national de reconnaissance
n'avait jamais songé à raccorder la Maison Blanche à son réseau de communications en temps réel. Il devait compter sur d'autres sources, et c'est pourquoi il regardait la télévision dans un bureau du Pentagone.
" Pas certain, monsieur. Presque que des coups au but - presque, car apparemment certains impacts auraient été prématurés...
- Ce qui veut dire ?
- Il semble que les bombes auraient explosé en altitude... du moins, pour trois d'entre elles, toutes larguées par le dernier bombardier. Nous essayons d'isoler les renseignements sur chaque silo en particulier et...
- En reste-t-il d'intacts, oui ou non, merde ? " Leur pari avait-il échoué ?
" Un, peut-être deux. On n'a aucune certitude. On vous tient au courant, d'accord ? demanda l'analyste, sur un ton un rien plaintif. On doit avoir un nouveau survol d'ici quelques minutes. "
Le barrage aurait pu survivre à deux impacts, mais le troisième, à vingt mètres du déversoir, ouvrit une faille - plus précisément, il délogea un fragment de béton de forme triangulaire. Celui-ci avança avant de se bloquer, retenu par l'immense friction de cette roche conçue de main d'homme, et l'espace d'une seconde, le gardien se demanda si l'ouvrage n'allait pas résister en fin de compte. Mais le quatrième impact se produisit au centre même de cette section et la fit voler en éclats. Le temps que se dissipe le nuage de poussière, il avait été remplacé par un nuage de vapeur et de gouttelettes, tandis que l'eau commençait à
s'engouffrer par la brèche de trente mètres creusée dans l'épaisseur du barrage. Cette brèche s'agrandit sous les yeux du gardien et c'est seulement à cet instant qu'il songea à décrocher son téléphone pour avertir les gars dans la vallée. Dans l'intervalle, une rivière ressuscitée après trois décennies de sommeil forcé se ruait à nouveau dans la gorge qu'elle avait creusée pendant des milliers de siècles.
" Eh bien ? demanda l'homme à Tokyo.
- Un missile semble parfaitement intact. C'est le numéro neuf..Le deux... eh bien, il pourrait avoir subi quelques dég‚ts mineurs.
J'ai envoyé mes hommes les vérifier tous. quels sont mes ordres ?
- Préparez-vous pour un lancement possible et restez en attente.
- Hai. " On raccrocha.
Bon. Et qu est-ce que je fais, moi, maintenant? se demanda l'officier de quart. C'était un bleu dans ce domaine, parfaitement ie
e
'il
n'dit pour lui, de la gestion de l'arme nucl'aire ; un job qu n'avait pas cherché, mais personne ne lui avait demandé son avis. La procédure à suivre lui revint bien vite et il décrocha un téléphone (un bête combiné noir; on n'avait pas eu le temps de faire du thé‚tral à l'américaine) pour contacter le Premier ministre.
" Oui, qu'est-ce que c'est ?
- Goto-san, c'est le ministère de la Défense. On a attaqué nos missiles.
- quoi? quand ça? demanda le Premier ministre. C'est grave ?
- Il reste un missile opérationnel, peut-être deux. Les autres pourraient être détruits. On est en train de les vérifier. " L'officier de quart au qG
entendit pester à l'autre bout du fil.
" Combien de temps vous faut-il pour les préparer au lancement ?
- Plusieurs minutes. J'ai déjà donné l'ordre. " L'officier feuilletait en même temps un manuel d'instructions pour avoir le détail des procédures requises pour le lancement. On lui en avait donné un aperçu, bien s˚r, mais là, dans le feu de l'action, il éprouvait le besoin de les voir noir sur blanc, tandis que ses collègues du qG opérationnel s'étaient tournés vers lui et le fixaient dans un silence sinistre.
" Je convoque aussitôt le cabinet! " Et l'on raccrocha.
L'officier regarda autour de lui. Il sentit de la colère dans la salle, mais plus encore, de la peur. Ils venaient encore de subir une attaque systématique, et cette fois ils comprenaient l'importance des actions américaines précédentes. D'une manière ou de l'autre, ces derniers avaient réussi à localiser les missiles camouflés, et ils avaient recouru à des attaques graduées contre la
défense aérienne nippone pour masquer leur véritable objectif. Alors, qu'allait-on leur ordonner de faire, à présent ? Lancer une attaque nucléaire ? C'e˚t été de la folie. Le général en était convaincu, et il voyait bien que les moins excités de ses collègues partageaient son sentiment.
C'était quasiment un miracle. Le silo du missile numéro neuf était presque intact. Une bombe avait explosé à moins de six mètres mais la roche alentour... non, nota l'officier, la bombe n'avait pas explosé. Il y avait bien un trou dans le socle rocheux de la vallée, mais en y braquant sa torche, il put voir au milieu des éclats un fragment de l'engin - un aileron, peut-être. Un raté... Une bombe intelligente avec un détonateur qui foire. quelle dérision. Il ressortit à toute vitesse pour aller voir le numéro deux. C'est alors qu'il entendit résonner au loin un klaxon d'alarme. II se demanda de quoi il s'agissait. Il courait, terrifié, dans cette vallée, en se demandant pourquoi les Américains n'avaient pas cherché
à attaquer le bunker de contrôle. Sur les dix missiles, huit étaient détruits à coup s˚r. Les vapeurs de carburant le faisaient suffoquer, même si l'essentiel s'en était déjà volatilisé dans une boule de feu, ne laissant que quelques gaz toxiques que la brise nocturne achevait de disperser. Réflexion faite, il attacha le masque qui lui recouvrit le visage et, fatalement, les oreilles.
Une seule bombe avait touché le silo deux - l'avait frôlé, plutôt. L'engin avait manqué le centre de la cible d'une douzaine de mètres, et même si l'explosion avait projeté des tonnes de roche et fissuré le coffrage en béton, il leur suffisait de déblayer les débris et dégager la trappe d'accès pour descendre à l'intérieur voir si le missile était intact.
Saloperies dAmerloques ! Il saisit sa radio portative et appela le PC.
Bizarrement, il n'y eut pas de réponse. Puis il remarqua que le sol vibrait, mais se demanda si ce n'était pas plutôt lui qui tremblait. Se forçant au calme, il respira à fond, mais le grondement n'avait pas cessé.
Un séisme... et quel était ce mugissement, derrière son masque à gaz ?
quand il en découvrit l'origine, il était trop tard pour se précipiter vers le flanc de la vallée.
Les servants de la batterie de Patriot l'entendirent eux aussi, mais ils l'ignorèrent. Installés à l'embranchement de la voie ferré@, ils étaient en train de fixer un nouveau conteneur de quatre missiles quand la muraille blanche explosa au débouché de la vallée. Personne n'entendit leurs hurlements, même si l'un d'eux réussit à se mettre à l'abri avant que la vague de trente mètres n'engloutisse le site.
Trois cent vingt kilomètres au-dessus de sa tête, un satellite espion balayait la vallée du sud-ouest au nord-est, suivant de ses neuf caméras la même déferlante.
45
Ligne de bataille
Es voilà ", dit Jones. Sur la liasse accordéon, les pointes L traceuses montraient des marques à peu près identiques, les minces lignes sur la bande des 100 Hz révélaient que le système de brouillage Prairie-Masker était en service ; de même, de faibles signaux vers les basses fréquences dénotaient l'utilisation de diesels marins. II y en avait sept et même si les relèvements n'indiquaient pas de changement notable, ça n'allait pas tarder à changer. Les submersibles japonais étaient tous remontés maintenant en immersion périscopique, mais le minutage ne correspondait pas. Ils respiraient en général à l'heure pile, typiquement après la première heure de quart, ce qui permettait aux officiers et aux hommes de se réaccoutumer au sortir d'une période de repos, ainsi que de faire un contrôle au sonar avant d'entamer une manoeuvre plus risquée. Mais il était vingt-cinq, et tous s'étaient mis à respirer dans le même intervalle de cinq minutes, et c'était le signe d'évolutions imminentes. Jones décrocha le téléphone et composa le numéro du SubPac.
" Jones à l'appareil.
- que se passe-t-il, Ron ?
- Je ne sais pas ce que vous leur avez l‚ché comme app‚t, monsieur, mais ils viennent de mordre. J'ai sept tracés. qui est en embuscade ?
- Pas au téléphone, Ron, répondit Mancuso. Comment ça se passe, chez vous ?
- On ma?trise la situation ", répondit Jones en regardant la brochette d'officiers mariniers autour de lui. C'étaient déjà des hommes et femmes de valeur, et avec son complément d'instruction, ils étaient désormais pleinement opérationnels.
" Et si vous me portiez vos résultats en main propre ? Vous l'avez bien mérité.
- J'arrive tout de suite. "
" On les a eus, dit Ryan.
- Vous êtes s˚r? demanda Durling.
- Voyez vous-même, monsieur. " Jack déposa sur le bureau présidentiel trois photos qui venaient d'être transmises par le SNR.
" Voilà à quoi ressemblait le site, hier. " Il n'y avait rien à voir, en fait, en dehors de la batterie de missiles Patriot. Le second cliché
révélait plus, et même s'il s'agissait d'une image radar en noir et blanc, elle avait été compositée par ordinateur avec une image normale de la même région pour donner une vue plus précise du site de missiles. " Bien, celleci date de soixante-dix minutes, expliqua Ryan en désignant la troisième photo.
- C'est un lac. " Il leva les yeux, surpris même s'il avait été prévenu.
" La région est sous trente mètres d'eau et va le rester encore quelques heures, expliqua Jack. Ces missiles sont anéantis...
- Avec combien de personnes ? demanda Durling.
- Plus d'une centaine, déclara le chef du Conseil national de sécurité, toute trace d'enthousiasme pour l'opération aussitôt dissipée. Monsieur...
il n'y avait pas d'autre moyen. "
Le Président acquiesça. " Je sais. quelle certitude avons-nous que les missiles ont bien été...
- Les photos préalables à l'inondation révélaient sept silos touchés à coup s˚r et détruits. Un huitième sans doute démoli ; quant aux deux derniers, mystère, mais ils ont incontestablement subi des dég‚ts. Les joints d'étanchéité des trappes de fermeture sont incapables de résister à la pression d'une telle masse d'eau et les ICBM sont des engins trop délicats pour subir pareil traitement. Ajoutez-y les débris charriés par l'inondation. Les missiles sont aussi anéantis qu'il était possible de le faire en dehors d'une frappe nucléaire directe, et nous avons pu mener à
bien la mission sans avoir eu à y recourir. " Jack marqua un temps. " Tout le mérite en revient à Robby Jackson. Merci de m'autoriser àl'en féliciter.
- Il est sur le porte-avions en ce moment ?
- Oui, monsieur.
- Eh bien, il semblerait que c'est l'homme de la situation, n'est-ce pas ?
" La question du Président était toute rhétorique ; à l'évidence, il était soulagé par les nouvelles de la soirée. " Et maintenant ?
- Et maintenant, monsieur le président, on va essayer de régler toute cette affaire une bonne fois pour toutes. "
Le téléphone sonna sur ces entrefaites. Durling décrocha. " Oh. Oui, Tish ?
- Le gouvernement japonais vient d'annoncer qu'ils ont des armes nucléaires et ils espèrent...
- Non, ils n'en ont plus, dit Durling, coupant sa responsable de la communication. On aurait intérêt à faire nous aussi une annonce. "
" Ah, ouais, dit Jones en consultant la carte murale. Vous avez fait sacrément vite, Bart. "
La ligne passait à l'ouest des Mariannes. Le Nevada était le plus au nord.
Suivait, à trente milles, le West Virginia. Trente milles encore, et c'était le Pennsylvania. Le Maryland était le plus au sud des anciens sousmarins lanceurs d'engin. La ligne de barrage s'étalait donc sur quatrevingt-dix milles ; en fait, elle se prolongeait théoriquement encore sur trente - quinze au nord et quinze au sud des unités extrêmes, et l'ensemble de la formation se trouvait à deux cent milles à l'ouest des premiers éléments de la ligne de sous-marins d'attaque japonais. Ils venaient d'arriver sur place après avoir été prévenus par Washington que l'information avait d'une manière ou de l'autre filtré dans le camp adverse.
" On a déjà connu ça, non ? " demanda Jones, qui se souvenait que ces noms étaient ceux de b‚timents de guerre, et plus encore, les noms de b‚timents surpris à quai un matin de septembre, bien longtemps avant sa naissance.
Les titulaires originels avaient été renfloués, puis expédiés pour récupérer les ?les, transportant soldats et Marines sous le commandement de Jessé Oldendorf,
et par une nuit sombre, dans le détroit de Surigao... mais l'heure n'éta- istoire.
it pas aux leçons d'hi
" Des nouvelles des destroyers ? demanda Chambers.
- On les a perdus quand ils sont passés derrière les Bonin, commandant.
Vitesse et cap étaient en gros constants. Ils devraient dépasser le Tennessee autour de minuit, heure locale, mais à ce moment-là notre porteavions...
- Vous avez deviné toute l'opération, observa Mancuso.
- Amiral, n'oubliez pas que j'ai passé pour vous tout l'océan au peigne fin. Vous vous attendiez à quoi ? "
" Mesdames et messieurs ", commença le Président, dans salle de presse de la la Maison Blanche. Le chef de (exécutif était en train d'improviser à
partir de vagues notes griffonnées, remarqua Ryan, et ce n'était pas un exercice o˘ l'homme était à l'aise. " Vous avez pu entendre ce soir une déclaration du gouvernement japonais annonçant que leur pays avait construit et déployé des missiles intercontinentaux à ogives nucléaires.
" Ce fait était connu de votre gouvernement depuis déjà plusieurs semaines et l'existence de ces armes justifie la prudence et la circonspection manifestées par le gouvernement pour gérer la crise du Pacifique. Comme vous l'imaginerez sans peine, une telle situation a pesé lourdement sur nous, affectant notre réponse à l'agression japonaise contre un territoire et des citoyens américains aux Mariannes.
" Je puis maintenant vous dire que ces missiles ont été détruits. Ils n'existent plus, conclut Durling en martelant les mots.
- La situation est désormais celle-ci : l'armée nippone tient toujours les îles Mariannes. Cet état de fait est intolérable pour les …tats-Unis d'Amérique. Les habitants de ces îles sont des citoyens américains, et les forces armées américaines feront tout ce qui sera nécessaire pour leur rendre leur liberté et leurs droits. Je le répète : nous ferons tout ce qui sera nécessaire pour rétablir la souveraineté américaine sur ces îles.
" Nous en appelons au Premier ministre Goto pour qu'il annonce dès ce soir sa volonté de retrait immédiat des forces japonaises des Mariannes. Faute de quoi, nous nous verrons contraints d'user de toutes les voies nécessaires pour les en chasser. C'est tout ce que) 'ai à
dire pour l'instant. Si vous avez des questions à poser sur les événements de la soirée, je vous remets entre les mains de mon chef du Conseil national de sécurité, le Dr John Ryan. "
Le Président quitta le pupitre pour se placer près de la porte, ignorant le concert de questions, tandis que des assistants disposaient des chevalets pour la présentation visuelle. Ryan se dirigea vers le pupitre, faisant patienter l'assistance, tout en se forçant àparler d'une voix lente et posée.
" Mesdames et messieurs, l'opération dont il s'agit avait été baptisée opération TIBBETS 1. Tout d'abord, laissez-moi vous montrer quelles étaient les cibles. " Il dévoila la première photo et, pour la première fois, le peuple américain put voir ce dont étaient capables les satellites de reconnaissance de leur pays. Ryan prit sa règle et entreprit de décrire la scène en détail, en laissant tout le temps aux caméras de cadrer dessus.
" Nom de Dieu, s'exclama Manuel Oreza, je comprends maintenant pourquoi...
- «a me paraît une assez bonne raison, en effet ", observa Pete Burroughs.
Puis l'image disparut.
" Veuillez nous excuser, mais par suite d'un problème technique, la liaison avec le faisceau satellite de CNN est temporairement interrompue, annonça une voix.
- Mon cul, oui ! riposta Portagee.
- Ils vont enfin débarquer, n'est-ce pas ?
- Pas trop tôt, merde! grommela Oreza.
- Manny, et que fais-tu de ce lance-missiles, sur la colline àcôté ? "
s'inquiéta son épouse.
" Nous allons vous préparer des copies de toutes ces photos.
Vous devriez les avoir d'ici une heure environ. Avec nos excuses pour ce retard, leur dit Jack, mais nous avons été assez occupés.
" Cela dit, la mission a été effectuée par des bombardiers B-2 basés à
Whiteman AFB, Missouri...
1. Le capitaine Paul Tibbets était le commandant du B-29 " Enola Gay " qui largua
la première bombe atomique sur Hiroshima, le 6 ao˚t 1945 (NdT).
-- Et partis d'o˘ ? demanda un reporter.
-- Vous savez fort bien que nous n'allons pas en discuter, rétorqua jack.
- Il s'agit d'un vecteur d'armes nucléaires, intervint une autre voix. Estce que nous avons...
- Non. La frappe a été réalisée à l'aide de munitions classiques guidées avec précision. " Ryan se tourna vers l'assistant
" Carte suivante, s'il vous plaît... Comme vous le constatez ici, la vallée est en grande partie intacte... " C'était plus facile qu'il l'avait cru, et peut-être valait-il mieux qu'il n'ait guère eu le temps de s'appesantir sur la question. Lui revint le souvenir de sa première conférence explicative à
la Maison Blanche. Cela avait été bien plus difficile que ce coup-ci, malgré l'éclat des projecteurs de la télévision braqués en ce moment sur son visage.
" Vous avez détruit un barrage ?
- Oui, tout à fait. Il nous fallait être absolument certains que ces armes étaient détruites et...
- quelles sont les pertes ?
- Tous nos appareils sont sur le chemin du retour... ils devraient même être déjà rentrés, mais je n'ai pas...
- Je parle des pertes du côté japonais, insista la reporter.
- Je n'en ai pas connaissance, répondit jack, sans broncher.
- «a vous est égal ? continua-t-elle, en se demandant quel genre de réponse elle allait obtenir.
- La mission, madame, était d'éliminer des armes nucléaires braquées sur les …tats-Unis par un pays qui avait déjà attaqué des forces américaines.
Avons-nous tué des citoyens japonais lors de cette attaque ? Oui. Combien ?
Je l'ignore. Notre préoccupation, dans ce cas précis, était les vies américaines qui étaient en jeu. J'aimerais que vous gardiez à l'esprit que ce n'est pas nous qui avons déclenché cette guerre. Mais le Japon. quand vous déclenchez une guerre, vous prenez des risques. Ce risque, ils l'ont pris... et dans le cas présent, ils ont perdu. Je suis le chef du Conseil national de sécurité auprès du Président, et le titre même décrit que ma fonction est d'aider le Président Durling à protéger ce pays envers et contre tout. Est-ce clair ? " demanda Ryan. Il avait laissé passer un soupçon de colère dans sa réponse, et le regard indigné de la journaliste n'empêcha pas une bonne partie de ses confrères de marquer d'un signe de tête leur approbation.
" Et pourquoi avoir demandé à la presse de mentir afin de...
- Stop! ordonna Ryan, soudain cramoisi. Voulez-vous mettre en jeu la vie de soldats américains ? Pourquoi faire une chose pareille ? Pourquoi bon Dieu feriez-vous une chose pareille ?
- Vous avez quand même contraint les chaînes de télévision
- Cette émission est retransmise dans le monde entier. J'espère que vous vous en rendez compte, n'est-ce pas ? " Il marqua un temps d'arrêt pour reprendre son souffle. " Mesdames et messieurs, j'aimerais vous rappeler que, pour la majorité d'entre vous, vous êtes des citoyens américains. Je parle maintenant en mon nom (il redoutait de se tourner vers l'endroit o˘
se trouvait le chef de l'exécutif), vous êtes bien conscients que le Président est responsable, devant leurs parents, leurs conjoints et leurs enfants, de tous ceux qui ont revêtu l'uniforme de notre pays pour en assurer la sécurité. Ce sont des hommes en chair et en os qui risquent leur vie aujourd'hui, et j'aimerais que la presse y songe un peu plus de temps en temps.
- Seigneur, murmura Tish Brown, derrière Durling. Monsieur le président, il serait peut-être judicieux de...
- Non. Il secoua la tête. Laissons-le poursuivre. "
Un silence pesant envahit la salle de presse. quelqu'un murmura une remarque peu amène à la journaliste qui était restée debout et s'assit finalement, cramoisie.
" Dr Ryan, Bob Holtzman du Washington Post (comme si on ne l'avait pas reconnu). quelles sont les chances de mettre un terme au conflit sans violences supplémentaires ?
- Monsieur, cela reposera entièrement sur le gouvernement japonais. Les habitants des Mariannes sont, comme l'a souligné le Président, des citoyens américains, et notre pays n'autorise aucune autre nation à modifier cet état de fait. Si le Japon désire retirer ses forces, il pourra le faire pacifiquement. Sinon, d'autres opérations auront lieu.
- Merci, Dr Ryan ", répondit Holtzman, d'une voix forte, ce qui mit un point final à la conférence de presse. Jack se précipita vers la porte, ignorant les autres questions.
" Beau boulot, commenta Durling. Et si vous rentriez chez vous dormir un peu ? "
,c Et ça, qu'est-ce que c'est ? demanda le douanier.
Mon matériel photo ", répondit Chekov. Il ouvrit la mallette sans se faire prier. Il faisait chaud dans l'aérogare, le soleil tropical de midi frappait les baies vitrées et saturait temporairement la climatisation.
Leurs dernières instructions avaient été faciles à mettre en oeuvre. Les Japonais voulaient avoir des journalistes dans les îles, à la fois pour couvrir la campagne électorale et, par leur seule présence, pour leur servir de bouclier contre une attaque américaine.
Le douanier regarda les appareils photo, satisfait de voir qu'ils étaient tous de marque japonaise. " Et ceci ?
- Mon équipement d'éclairage être russe, expliqua Ding dans un anglais laborieux. Nous fabriquons torches excellentes. Peut-être qu'un jour nous les vendre à votre pays, ajouta-t-il avec un sourire.
- Oui, peut-être, dit le douanier, refermant la mallette et la marquant à
la craie. O˘ comptez-vous descendre ?
- Nous n'avons pas eu le temps de réserver chambres, répondit "Klerk". On verra sur place. "
Eh bien, bonne chance, s'abstint de remarquer le douanier. L'idée avait été
plus ou moins improvisée et toutes les chambres d'hôtel de Saipan, il en était s˚r, devaient être déjà prises. Enfin, ce n'était pas son problème.
" Pouvons-nous louer une voiture ?
- Oui, par ici. " L'homme pointa le doigt. Le plus ‚gé des deux Russes lui paraissait nerveux.
" Vous êtes en retard.
- Eh bien, j'en suis désolé, répondit Oreza sèchement. Il ne se passe absolument rien de neuf. Enfin, peut-être un léger surcroît d'activité des chasseurs, mais rien de flagrant, et d'ailleurs, ils bougeaient déjà pas mal ces temps-ci...
Vous n'allez pas tarder à avoir de la compagnie, lui annonça le Centre de commandement militaire national.
- qui ça ?
- Deux reporters... Ils auront quelques questions à vous poser ", entendit-il pour toute réponse, car on redoutait à nouveau qu'Oreza soit démasqué.
" quand?
- D'un moment à l'autre, sans doute aujourd'hui. Pas de problème de votre côté, chef ? "
Major, mec, se retint de dire Portagee. " Tout baigne. On a vu une partie de l'allocution présidentielle, et on est un peu
pé
es à
e
re
r occup cause de ce site de missile install' si p 's de la maison, et...
- On vous préviendra assez tôt. Avez-vous une cave, chez vous ?
- Non.
- Eh bien, c'est parfait. On vous tiendra au courant, d'accord ?
- D'accord, monsieur. Terminé. " Avez-vous une cave chez vous.? Non. Eh bien, c est parfait. Si c'est parfait, pourquoi poser la question, bordel ?
Oreza désactiva le téléphone après l'avoir retiré du saladier en inox, puis il s'approcha de la fenêtre. Deux Eagle étaient en train de décoller.
C'était devenu de la routine. quelque chose se préparait. Il ne savait pas quoi. Peut-être que les pilotes non plus, mais ce n'est pas en regardant leur avion qu'on pouvait deviner leurs pensées.
Shiro Sato fit décrire à son F-15J un virage à droite pour dégager le couloir réservé au trafic civil. Si les Américains attaquaient, ils procéderaient de la même manière que pour leur raid sur la métropole, à
partir de bases éloignées dans les îles du Pacifique, avec ravitaillement en vol. VUake était une possibilité, ainsi que plusieurs autres îlots. Il devrait affronter des appareils pas foncièrement différents du sien. Les autres auraient un soutien radar, comme lui. Ce serait un combat égal, à
moins que ces salauds ne se ramènent avec leurs avions furtifs. De belles saloperies! Capables de déjouer les Kami! Mais les Américains n'en avaient que quelques exemplaires, et s'ils attaquaient de jour, il était prêt à
courir sa chance. Au moins n'y aurait-il pas vraiment de surprises. Il y avait un gros radar de la défense aérienne installé sur le plus haut sommet de l'île, et avec l'escadrille basée à Guam, ce serait un vrai combat aérien, se dit-il en grimpant pour gagner son altitude de patrouille.
." Bon, alors o˘ est le problème ? demanda Chavez en tripotant la carte.
- Tu le croirais jamais si je te le disais.
- En attendant, moi, je crois qu'il faut que vous preniez la prochaine à
gauche, après Lizama's Mobil. " Chavez quitta des yeux la carte. Le coin grouillait de soldats qui étaient tous en train de creuser des tranchées -
ils auraient d˚ s'y prendre plus tôt, estima-t-il. " C'est pas une batterie de Patriot ?
- «a m'en a tout l'air, en effet. " Merde, et comment veulentils que je m y prenne avec un truc pareil ? se demanda Clark; il tourna au dernier carrefour et s'engagea dans l'impasse. Le numéro était bien celui qu'il avait mémorisé. Il se gara dans l'allée, descendit et se dirigea vers la porte.
Oreza était dans la salle de bains ; il finissait de prendre une douche bien méritée, tandis que Burroughs tenait la comptabilité des avions sur la piste de Kobler, quand on sonna à la porte.
" qui êtes-vous ?
- Ils vous ont pas prévenus ? " demanda Clark en regardant partout. Bon sang, qui était ce mec ?
" Les journalistes, c'est ça ?
- Ouais, c'est ça.
- OK. " Burroughs ouvrit entièrement la porte après avoir scruté la rue de bout en bout.
" qui êtes-vous, au fait ? Je croyais que c'était la maison de...
- Tu es mort!" Oreza se tenait dans l'entrée, simplement vêtu d'un short kaki, le torse couvert d'une toison aussi épaisse que ce qui restait de jungle sur file. Les poils paraissaient d'autant plus noirs que la peau de l'homme était en train de virer au blanc livide. " Putain, mais tu es mort!
- Salut, Portagee, dit Klerk/Clark/Kelly avec un sourire. «a fait un bail!
- Eh, mais je vous connais, vous, intervint Chavez. Vous étiez sur le bateau sur lequel s'est posé notre hélico. qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Vous êtes de l'Agence ? "
C'était presque trop pour Oreza. Il ne se souvenait plus du tout du petit mec, mais le grand, le vieux, son ‚ge, enfin presque, c'était... ça ne pouvait pas... et pourtant si. Mais ce n'était pas possible. Si ?
" John ? " demanda-t-il après encore quelques secondes d'incrédulité.
C'en était trop pour l'homme connu jadis sous le nom de John Kelly. Il posa son sac et se précipita pour étreindre cet homme, surpris de sentir qu'il avait les larmes aux yeux. " Ouais, Portagee... c'est bien moi. Comment ça va, vieille branche ?
- Mais comment...
- Lors des funérailles, est-ce qu'ils ont cité la phrase "avec le ferme espoir qu'un jour la mer rendra ses morts" ? " Il se tut, puis ne put s'empêcher de sourire. " Eh bien, c'est fait! "
Oreza ferma les yeux, remontant plus de vingt ans en arrière. " Ces deux amiraux, hein ?
- Tout juste.
- Merde alors... mais o˘ étais-tu donc passé ?
- La CIA, mec. Ils ont estimé qu'ils avaient besoin de quelqu'un capable de... eh bien...
- «a, je me souviens'. " Il n'avait pas changé tant que ça. Plus ‚gé, mais les mêmes cheveux, les mêmes yeux, ce même regard franc et chaleureux, et caché en dessous toujours cette trace d'autre chose, comme un animal en cage, mais un animal capable de crocheter la serrure quand bon lui semble.
" Je me suis laissé dire que tu te débrouillais pas mal pour un vieux caboteur en retraite.
- Avec le grade de major, s'il vous plaît. " Portagee secoua la tête. Le passé pouvait attendre. " qu'est-ce qui se passe ?
- Ma foi, on est resté hors circuit pendant quelques heures. T'as du neuf ?
- Le Président a fait une allocution télévisée. Ils l'ont coupée, mais...
- C'est vrai qu'ils avaient des bombes ? interrogea Burroughs.
- "Avaient" ? intervint Ding. On les a eues ?
- C'est ce qu'il a dit. Et qui vous êtes, vous, au fait ? voulut savoir Oreza.
1. Pour les lecteurs qui ne se souviendraient pas, toute cette scène fait bien s˚r référence au passé des deux personnages narré dans Sans aucun remords, op, cit. (NdT).
Domingo Chavez. " Le jeune homme tendit la main. " Je vois que monsieur C.
et vous êtes de vieilles connaissances...
- Oui, je me fais appeler "Clark", à présent ", expliqua John. C'est drôle comme ça lui faisait du bien de parler avec un homme qui connaissait sa véritable identité.
" Il est au courant ? "
John secoua la tête. " Peu de gens sont au courant. La plupart sont morts.
Dont l'amiral Maxwell et l'amiral Greer. Trop moche... ils m'avaient sauvé
la peau. "
Oreza se tourna vers son nouvel hôte. " S'en est fallu d'un cheveu, gamin.
Une putain d'histoire de marins. T'aimes toujours la bière, John ?
- Surtout si on la lui offre ", confirma Chavez.
" Vous ne voyez donc pas ? C'est fini, maintenant!
- qui donc ont-ils eu? demanda Yamata.
- Matsuda, Itagake - ils ont eu les protecteurs de tous les ministères, ils les ont eus tous, sauf vous et moi, dit Murakami, sans ajouter qu'ils avaient bien failli (avoir, lui aussi. Raizo, il est temps d'arrêter tout ça. Appelez Goto, dites-lui de négocier la paix.
- Je refuse !
- Mais vous ne voyez donc pas ? Nos missiles sont détruits et...
- Et on peut en fabriquer d'autres. On a les moyens de fabriquer de nouvelles ogives nucléaires, et de toute façon, il reste encore des missiles à Yoshinobu.
- Si vous faites une chose pareille, vous savez très bien quelle sera la réaction des Américains, espèce d'imbécile!
- Ils n'oseraient pas.
- Vous nous aviez dit qu'ils seraient incapables de réparer les dég‚ts que vous aviez fait subir à leur système financier. Vous nous aviez dit que notre système de défense aérienne était invincible. Vous nous aviez dit qu'ils seraient incapables de riposter efficacement. " Murakami s'arrêta pour reprendre son souffle. " Vous nous aviez dit tout cela - et vous aviez tort. Je suis maintenant le dernier à qui vous puissiez encore vous adresser,
et je ne vous écoute plus. Allez dire vous-même à Goto de faire la paix!
- Jamais ils ne reprendront ces îles ! Jamais ! Ils en sont incapables.
- Racontez ce que vous voulez, Raizo-chan. Pour ma part, c'est terminé.
- Eh bien, trouvez-vous un bon coin pour vous y planquer ! " Yamata lui aurait volontiers raccroché au nez, mais avec un portatif, c'était impossible. " Des assassins " , grommela-t-il. Il lui avait fallu une bonne partie de la matinée pour rassembler toute l'information nécessaire.
quelque part, les Américains avaient réussi à frapper au coeur son conseil de zaibatsus. Comment ? Nul ne savait. Ils avaient pourtant réussi à
pénétrer des défenses que tous les spécialistes lui avaient garanties invincibles, au point même de détruire leurs missiles intercontinentaux. "
Comment ? demanda-t-il à haute voix.
- Il semblerait que nous ayons sous-estimé la qualité de ce qu'il leur reste d'aviation, répondit le général Arima avec un haussement d'épaules.
Mais ce n'est pas la fin. Nous avons encore d'autres solutions.
- Oh ? " Tout le monde n'a donc pas baissé les bras ?
" Ils ne voudront pas réoccuper de force les îles. Leur capacité à
effectuer un débarquement est sérieusement compromise par leur manque de navires amphibies, et même s'ils réussissaient àdébarquer des troupes...
Vous les imaginez se battant au milieu de leurs concitoyens ? Non. Arima secoua la tête. Ils ne prendront pas ce risque. Ils vont chercher une paix négociée. Il reste encore une chance... sinon d'un succès complet, du moins d'une paix négociée qui laisserait nos forces largement intactes. "
Yamata l'écouta, mais il n'en pensait pas moins, contemplant par la fenêtre cette île qu'il voulait faire sienne. Il était convaincu que les élections pouvaient encore être remportées. C'était la volonté politique des Américains qu'il fallait toucher, et cela, c'était encore dans ses moyens.
Il ne fallut pas longtemps pour retourner le 747, mais la plus grande surprise du capitaine Sato fut que son appareil était àmoitié plein pour le vol de retour sur Narita. Trente minutes
après le décollage, une hôtesse lui signala par interphone que sur onze passagers qu'elle avait interrogés, deux seulement lui avaient avoué que des affaires pressantes les appelaient en métropole. De quelles affaires pressantes pouvait-il s'agir ? se demanda-t-il, alors que le commerce international de son pays était pour l'essentiel réduit au cabotage entre la Chine et le Japon.
" «a n'a pas l'air de trop bien tourner, observa son copilote au bout d'une heure de vol. Regardez là-dessous. "
Les navires étaient aisément repérables de trente mille pieds d'altitude, et ces derniers temps, ils avaient pris l'habitude d'emporter des jumelles pour identifier les b‚timents de surface. Sato prit sa paire et repéra les caractéristiques des destroyers Aegis qui continuaient à faire route vers le nord. Sur un coup de tête, il alluma sa radio pour la régler sur une autre fréquence réservée.
" AL 747 appelle Mutsu. A vous.
- qui est là ? répondit instantanément une voix. Libérez de suite cette fréquence !
- Ici le capitaine Torajiro Sato. Allez me chercher le commandant de votre flotte ! " ordonna-t-il de sa voix la plus autoritaire. Cela ne prit qu'une minute.
" Petit frère, tu ne devrais pas faire ça ", le gronda Yusuo. Le silence radio était une formalité mais surtout une réelle nécessité militaire. Il savait que les Américains avaient des satellites de reconnaissance, et du reste, tous les radars SPY de son groupe étaient en service et émettaient des ondes électromagnétiques. Si des avions-espions américains croisaient dans les parages, ils sauraient o˘ se trouvait son escadre. Une semaine plus tôt, la chose ne l'aurait pas tracassé outre mesure, mais ce n'était plus le cas à présent.
" Je voulais juste exprimer notre confiance en toi et tes hommes. Vous n'avez qu'à nous prendre comme cible d'exercice ", ajouta-t-il.
Au PC de combat du Mutsu, c'étaient précisément ce que faisaient les servants des missiles, mais il était inutile de le dire, l'amiral le savait. " «a fait plaisir d'entendre ta voix. A présent, tu dois m'excuser, mais j'ai pas mal de travail ici.
- Bien compris, Yusuo. Terminé. " Sato ôta son doigt du bouton de la radio. " Vous voyez, dit-il dans l'interphone. Ils font leur boulot et nous devons faire le nôtre. "
Le copilote n'était pas aussi convaincu, mais Sato était le commandant de bord du 747, et il ne répondit rien, se concentrant sur sa t‚che de navigation. Comme la majorité des japonais, toute son éducation lui avait appris à considérer la guerre comme un mal qu'il fallait fuir comme la peste. Il songea à ce conflit avec l'Amérique qui avait éclaté du jour au lendemain... même si pendant un jour ou deux, il avait pu paraître amusant de donner une bonne leçon à ces gaijins arrogants, tout cela relevait du discours fantasmatique, alors que cette guerre-ci était de plus en plus réelle. Puis l'annonce, coup sur coup, que son pays avait déployé des armes nucléaires - c'était déjà de la folie - et, d'après les Américains, que ces armes auraient été détruites... Après tout, leur appareil était américain, c'était un Boeing 747400PIP, datant de cinq ans, mais en tout point ultra-moderne, fiable et s˚r. On n'avait pas grand-chose à apprendre aux Américains en matière de construction aéronautique, et si cet appareil était aussi bon qu'il le soupçonnait, alors sa version militaire devait être proprement formidable. Or, les appareils dont était dotée l'armée de l'air de son pays étaient construits sous licence américaine - à
l'exception du 767 AEW, dont il avait tellement entendu parler, d'abord pour vanter son invincibilité, et plus récemment, pour expliquer qu'il n'en restait plus que quelques exemplaires. Cette folie devait cesser. Est-ce que personne ne s'en était rendu compte ? Il devait bien y en avoir quelques-uns, sinon son avion ne serait pas à moitié rempli de gens qui n'avaient pas envie de rester à Saipan, malgré leur enthousiasme de naguère.
Mais son commandant semblait ne rien voir. Torajiro Sato restait figé, marmoréen, dans le siège de gauche, comme si tout cela était parfaitement normal alors qu'à l'évidence, il n'en était rien.
Il lui suffisait de baisser les yeux pour contempler, au soleil du crépuscule, le convoi de destroyers, et que faisaient-ils ? Ils protégeaient les côtes de son pays contre l'éventualité d'une attaque.
Etait-ce normal ?
" Passerelle pour sonar.
- Passerelle, j'écoute. " Claggett était de quart à la passerelle pour l'après-midi. Il voulait que l'équipage le voie à l'oeuvre et, plus que cela, il voulait garder le contact avec la navigation de son bateau.
" Possibilité de contacts multiples au sud, rapporta le chef sonar.
Relèvement un-sept-un. On dirait des b‚timents de surface évoluant à grande vitesse, monsieur, j'ai des bruits de moteur et un battement d'hélice à
fréquence très rapide. "
«a correspondait à peu près, estima le capitaine de frégate, en retournant vers la chambre du sonar. Il s'apprêtait à demander qu'on relève une route, mais quand il se retourna pour le faire, il vit que deux maîtres de manceuvre étaient déjà au travail et que l'analyseur de trajectoire crachait déjà sur imprimante une première estimation de distance. Ses hommes étaient désormais parfaitement rodés, et tout tournait automatiquement, et même encore mieux. Il y avait de la réflexion en plus de l'action.
" A priori, ils ne sont pas tout prés, mais regardez plutôt tout ça ", dit le sonar. C'était effectivement un contact confirmé. Les données apparaissaient sur quatre bandes de fréquences. Puis le chef tendit ses écouteurs. " On dirait bien toute une flopée d'hélices - des tas de claquements, pas mal de cavitation, pour moi, ce sont plusieurs unités, naviguant en convoi.
- Et pour notre autre ami ? demanda Claggett.
- Le sub ? Il s'est fait discret de nouveau, sans doute qu'il continue sur accus à cinq noeuds maxi. " Ce dernier contact était à vingt bons milles, juste en limite de leur portée de détection habituelle.
" Commandant, le premier calcul de distance sur les nouveaux contacts est de cent mille, au moins, contact par zone de convergence, annonça un autre technicien.
- Relèvement constant. Pas la moindre déviation. Ils filent droit sur nous, ou presque. «a cogne dur. quelles sont les conditions en surface, commandant ?
- Houle de deux à trois mètres, chef. " Au moins cent mille yards. Plus de cinquante milles nautiques, songea Claggett. Ils poussaient leurs machines à fond. Droit sur lui, mais il n'était pas censé tirer. Bigre. Il fit les trois pas réglementaires pour regagner le poste de contrôle. " Barre à
droite dix degrés, nouvelle route au deux-sept-zéro. "
Le Tennessee vira pour prendre une direction générale ouest, et permettre à
ses opérateurs sonar de faire une triangulation sur les destroyers en approche. Les derniers renseignements que Claggett avait reçus avaient prédit l'événement et la précision de l'évaluation ne l'en rendait que plus f‚cheux.
Dans un décor plus thé‚tral, face aux caméras, l'atmosphère aurait pu être différente, mais même si le décor avait un vague aspect dramatique, pour l'heure, il était surtout froid et misérable. Ces hommes avaient beau représenter la crème des troupes d'élite, il était toujours plus facile de se motiver pour lutter contre un individu que contre des conditions extérieures impitoyables. Vêtus de leur tenue camouflée presque entièrement blanche, les Rangers bougeaient le moins possible, et cette inactivité
physique les rendait encore plus vulnérables au froid et àl'ennui, ennemi suprême du soldat. Malgré tout, le capitaine Checa estimait qu'ils n'avaient pas à se plaindre. Pour une malheureuse escouade isolée, perdue à
six mille kilomètres de la base américaine la plus proche - et cette base était quand même Fort Wainwright, en Alaska -, il valait infiniment mieux s'emmerder qu'être stimulé par la perspective de se battre sans aucun espoir de soutien extérieur. Ou quelque chose d'équivalent. Checa affrontait le problème de tous les officiers : sujet au même inconfort, à
la même détresse que ses hommes, il n'avait pas le droit de r‚ler. De toute façon, il n'avait pas de supérieur auprès de qui se plaindre, et se plaindre devant ses hommes ne valait rien pour le moral, même s'ils auraient été les premiers à le comprendre.
" «a sera chouette de retrouver Fort Stewart, mon capitaine, observa le sergent-chef Vega. Pouvoir lézarder au soleil et pêcher des raies sur la plage.
- Et se passer de cette neige superbe et de ce grésil, Oso ? "Au moins le ciel s'était-il dégagé depuis peu.
" Affirmat', mon capitaine. Mais j'en ai eu ma dose quand j'étais gosse à
Chicago. " Il se tut, pour reprendre son guet, l'oreille tendue. Les autres paras observaient un silence parfait, et il fallait être extrêmement attentif pour repérer o˘ se trouvaient les guetteurs.
" Prêt pour la balade, ce soir ?
- Faut espérer que notre copain nous a de. c'te colline.
J'en suis persuadé, mentit Checa.
ttendra de l'autre côté
- Ouais, chef, moi aussi. " Sa tu veux raconter des bobards, on sera deux, se dit Vega. " Est-ce que toute cette opération a réussi ? "
Les tueurs de leurs troupes dormaient dans leurs duvets, enfouis dans des trous barricadés de branches de pin et recouverts d'autres branches pour leur donner un peu plus de chaleur. Non seulement les Rangers devaient garder les pilotes, mais en plus ils devaient préserver leur santé, comme s'ils gardaient des bébés - drôle de mission pour des troupes d'élite, mais c'étaient les troupes d'élite qui écopaient des missions les plus bizarres.
" Il paraît, répondit Checa, qui consulta sa montre. Dans deux heures, on leur secoue les puces. "
Vega acquiesça, en espérant qu'il n'aurait pas les jambes trop raides pour leur randonnée vers le sud.
Le schéma de patrouille avait été
défini lors de la préparation de mission. Chacun des quatre sous-marins nucléaires avait la responsabilité d'un secteur de trente milles, divisés chacun en trois segments de dix milles. Chaque b‚timent pouvait patrouiller dans la bande centrale, laissant les bandes nord et sud dégagées pour le recours aux armes. Les graphiques de patrouille étaient laissés à
l'appréciation de chaque commandant mais tous opéraient selon le même schéma. Le Pennsylvanie longeait la bande nord, en écoute sonar à cinq noeuds à peine, comme il le faisait du temps de la dissuasion quand il était armé de missiles Trident. Il était si discret qu'une baleine aurait pu venir le heurter sites cétacés avaient fréquenté en cette saison ces parages du Pacifique. Derrière, à l'extrémité d'un long filin, le sonar de traîne. Les évolutions du sous-marin selon un cycle nord-sud de deux heures, avec juste une dizaine de minutes de battement pour le demi-tour à
chaque extrémité, permettaient d'optimiser les performances du sonar qui pouvait se déployer derrière lui selon une trajectoire parfaitement rectiligne.
Le Pennsylvanie évoluait en plongée à six cents pieds, la profondeur idéale pour le sonar compte tenu des conditions hydrologiques du moment. Le soleil venait de se coucher en surface quand la première trace apparut sur les écrans. Ce fut d'abord une série de points, jaunes sur le moniteur vidéo, qui descendaient lentement, avec une légère dérive vers le sud, presque imperceptible. Le chef sonar estima que la cible devait avancer sur accus depuis déjà plusieurs heures, sinon il aurait détecté les signaux bien plus intenses des diesels utilisés pour les recharger, mais le contact était indubitable, comme prévu sur la bande des soixante hertz. Il transmit les données à l'équipe de contrôle de tir.
quelle dérision, songea l'opérateur sonar. Il avait fait toute sa carrière sur des b‚timents lance-missiles, et plus d'une fois détecté des contacts que son unité s'évertuait à éviter, même si les sous-marins lanceurs d'engin se vantaient d'avoir les meilleurs servants de torpilles de toute la flotte. Le Pennsylvanie en emportait quinze - il y avait pénurie de la dernière version de torpille ADCAP, à capacités améliorées - et on avait décidé de ne pas s'encombrer d'un modèle moins perfectionné, compte tenu des circonstances. Il était en outre équipé de trois autres engins analogues à des torpilles, baptisés LEMOSS - Long-Endurance Mobile Submarine Simulator, pour " Simulateur mobile de sousmarin à grande autonomie ", bref, des leurres. Comme tout bon commandant de submersible, le capitaine avait informé son équipage de la méthode d'attaque prévue, et tout le monde à bord l'avait approuvée. Les Japonais seraient bien forcés de traverser leurs lignes. Et ils s'étaient déployés de telle manière que franchir sans être détectés leur ligne de bataille, comme avait fini par l'appeler le capitaine, était hautement improbable.
" Attention, attention ", lança le capitaine dans l'interphone de bord - on avait baissé le volume au minimum, de sorte que le message ressembla à un murmure qui contraignit les hommes à tendre l'oreille. " Nous avons sans doute un contact immergé dans notre zone de frappe. Je vais lancer l'attaque exactement selon notre plan. Branle-bas de combat ", conclut-il, de la voix du client d'un café demandant son petit déjeuner.
Ce furent alors des bruits si faibles que seul un opérateur sonar expérimenté réussit à les percevoir, et encore, parce qu'il était situé à
l'avant du poste de combat. Le changement de quart venait de se produire, de sorte que seuls les hommes (plus une
ferme maintenant) les plus confirmés occupaient désormais les consoles de tir. Tous les bleus s'étaient répartis en équipes d'évaluation des dég‚ts.
Des voix annoncèrent au récepteur du PC de combat que chacun était à son poste, puis le bateau devint aussi silencieux qu'un cimetière le jour d'Halloween.
" Le contact se confirme nettement, annonça le sonar à l'interphone.
Déplacement vers l'ouest, pour nouveau gisement de la cible au zéro-sept-cinq. Détection d'un faible bruit d'hélice, vitesse du contact estimée à
dix noeuds. "
C'était incontestablement un sous-marin, mais ce n'était pas vraiment une surprise. Le diesel japonais avait son propre sonar de traîne et procédait aux mêmes évolutions qu'eux, alternant marche en avant toute et progression au ralenti pour détecter tout ce que pourrait masquer l'accroissement des turbulences.
" Tubes un, trois et quatre en ADCAP, annonça un technicien d'armements.
Tube deux en LEMOSS.
- Paré à me les inonder ", dit le capitaine. La plupart de ses collègues préféraient dire " Mettez-les en chauffe ", mais sinon, l'expression pouvait être considérée comme réglementaire.
" Distance estimée à vingt-deux mille yards ", annonça le responsable de la détection.
L'opérateur sonar vit du nouveau sur son écran, puis rajusta son casque.
" Transitoires, transitoires, genre décompression de la coque sur Sierra-Dix... Le contact change de profondeur.
- Pour remonter, je parie ", dit le capitaine, à deux mètres de là. C est à
peu près s˚r, se dit le sonar avec un hochement de tête. " Paré à lancer le MOSS. Course initiale au zéro-zéro-zéro. Silence sur les dix mille premiers mètres, puis niveau d'émission normal.
- A vos ordres, commandant. " Le technicien tapa les paramètres de réglage sur son tableau de programmation, puis le servant vérifia les instructions et les déclara correctes.
" Paré pour le deux.
- Contact Sierra-Dix s'affaiblit légèrement, commandant. Il est sans doute repassé au-dessus de la couche.
- Trajectoire directe définie sur Sierra-Dix, annonça ensuite le calculateur de trajectoire. Contact confirmé, commandant.
- Tube deux inondé, confirma l'officier de tir.
- Tirez le deux, ordonna aussitôt le capitaine. Rechargez un autre MOSS. "
Le Pennsylvania vibra imperceptiblement quand le LEMOSS fut éjecté dans la mer. Le sonar le détecta aussitôt dès qu'il vira à gauche avant de partir en sens inverse, cap au nord à dix noeuds. Conçu à partir d'un corps de torpille Mark 48 déclassée, le LEMOSS se réduisait à un gros bidon rempli de kérosène OTTO utilisé pour ravitailler les " poissons " américains, muni d'un petit système de propulsion et d'un gros émetteur acoustique qui reproduisait le bruit des machines d'un submersible. Les fréquences émises correspondaient à celles d'un générateur nucléaire, mais le bruit était nettement plus intense que celui d'un classe Ohio. Personne apparemment n'y avait trouvé àredire. Les sous-marins d'attaque se faisaient piéger presque àchaque fois, même les américains qui auraient pourtant d˚ se méfier. La dernière version rebaptisée avait une autonomie supérieure à quinze heures, et il était vraiment dommage qu'on ne l'ait mise au point que quelques mois avant le désarmement complet de la flotte de sous-marins nucléaires.
Il n'y avait plus désormais qu'à prendre patience. Le submersible japonais avait même encore ralenti, sans aucun doute effectuait-il un dernier relevé
au sonar avant de rallumer ses diesels pour filer en vitesse vers l'ouest.
L'opérateur sonar repéra le LEMOSS au nord. Le signal était sur le point de disparaître complètement, avant la mise en route du générateur acoustique, après cinq milles de parcours. Deux milles plus loin, le leurre franchissait la thermocline - la zone de transition entre les eaux froides du fond et les eaux chaudes de surface : cette fois, la partie avait commencé pour de bon.
" Passerelle pour sonar, Sierra-Dix vient de changer de vitesse, changement de fréquence de rotation de l'hélice, il ralentit, monsieur.
- Il a un bon sonar ", commenta le capitaine, posté juste derrière l'opérateur. Le Pennsylvania était légèrement remonté, pour faire passer le filin du sonar au-dessus de la couche limite, afin de mieux suivre le contact, tandis que la coque du submersible demeurait en dessous. Il se tourna et haussa légèrement la voix. " Les armes ?
- Un, trois et quatre parés au lancement, solutions définies sur les quatre tubes.
- quatre paré pour un profil de poursuite, course initiale zéro-deux-zéro.
- Entendu. Réglages effectués, commandant. Tube quatre entièrement paré.
- Alignez le cap et tirez ", ordonna le capitaine depuis la porte de la chambre des sonars, avant d'ajouter : " Rechargez une autre ADCAP. "
Le Pennsylvania vibra de nouveau, au moment o˘ l'ultime évolution de la vénérable torpille Mark 48 entrait dans la mer et virait au nord-est, guidée par un fil isolé dévidé à partir de son aileron de queue.
Comme un exercice, se dit l'opérateur sonar, mais en plus facile.
" D'autres contacts ? demanda le capitaine, revenu se placer derrière lui.
- Négatif, commandant. " Le matelot indiqua ses écrans. On n'y relevait qu'un bruit aléatoire, tandis qu'un autre moniteur affichait toutes les dix minutes le résultat d'un diagnostic automatique indiquant que tous les systèmes fonctionnaient convenablement. Il y avait de quoi se bidonner : au bout de presque quarante ans d'opérations avec des b‚timents lancemissiles, et pas loin de cinquante avec des sous-marins nucléaires, le premier torpillage par un b‚timent américain depuis la Seconde Guerre mondiale allait être l'oeuvre d'une unité censément désarmée et promise à
la casse.
Progressant plus vite que le leurre, la torpille à capacités améliorées était déjà passée au-dessus de la thermocline, légèrement en arrière du contact. Aussitôt, elle mit en route son sonar actif et retransmit par c
‚ble l'image reçue au Pennsylvania.
" Contact ferme, distance trois milles, proche de la surface. C'est tout bon ", dit le sonar. Le même diagnostic parvint du premier maître torpilleur, une femme, qui avait la même lecture.
" Bouffe de la merde et crève ", murmura l'opérateur sonar en regardant les deux lignes de contact se rapprocher sur son écran. Sierra-Dix mit instantanément en avant toute, redescendant aussitôt sous la couche, mais le niveau de ses batteries devait être un peu faible et il ne filait pas plus de quinze noeuds, quand l'ADCAP fondait sur lui à plus de soixante. La chasse à sens unique n'avait en tout duré que trois minutes trente, pour se conclure sur une tache éblouissante à l'écran et un bruit dans son casque qui lui vrilla les tympans. L'épilogue était classique, le crissement déchirant de l'acier broyé par la pression hydraulique.
" C'est un coup au but, monsieur. Je détecte un coup au but manifeste. "
Deux minutes plus tard, un écho lointain à basse fréquence leur provenant du nord suggérait que le West Virginia avait abouti à un résultat identique.
" Christopher Cook? demanda Murray.
- Lui-même. "
C'était effectivement une très chouette baraque, estima le sous-directeur adjoint en dépliant sa carte professionnelle. " FBI. Nous aimerions nous entretenir avec vous au sujet de vos conversations avec Seiji Nagumo.
Pouvez-vous aller chercher un pardes-
sus ? "
Le soleil en avait encore pour quelques heures quand les Lancer roulèrent en bout de piste. Rendus furieux par la perte récente de leurs camarades, les équipages avaient la nette impression de se trouver ni au bon endroit, ni dans les bonnes conditions opérationnelles, mais personne n'avait pris la peine de leur demander leur avis, et leur mission était écrite d'avance.
Leurs soutes à bombes occupées par des réservoirs supplémentaires, les bombardiers décollèrent l'un après l'autre pour se regrouper àleur altitude de croisière de vingt mille pieds et mettre le cap au nord-est.
Encore une de ces fichues démonstrations, se dit Dubro, et il se demanda comment un type comme Robby Jackson avait pu concocter un truc pareil, mais lui aussi, il avait ses ordres, et les deux porte-avions, à cinquante milles d'écart, virèrent de bord de concert pour se placer face au vent et catapulter quarante appareils chacun. Bien que tous soient armés, il leur était formellement interdit de tirer, sauf provocation adverse.
46
Détachement
N part presque à vide, remarqua le copilote d'une voix 0 impassible, en consultant le manifeste comme toujours avant le décollage.
- Mais enfin, quelle mouche les pique ? " grommela le capitaine Sato, regardant le plan de vol et consultant les prévisions météo. Ce fut vite fait. Le temps s'annonçait clair et froid sur tout le parcours, avec un énorme anticyclone dominant l'ensemble du Pacifique Ouest. Hormis quelques vents d'altitude à proximité des îles métropolitaines, le vol jusqu'à
Saipan devait se dérouler sans encombre pour ses trente-quatre passagers.
Trentequatre ! ragea-t-il. Dans un avion prévu pour plus de trois cents !
" Commandant, nous allons bientôt abandonner ces îles. Vous le savez. " On ne pouvait pas être plus clair, non ? L'homme de la rue était désormais moins perplexe que terrifié - était-ce même le terme adéquat ? Toujours est-il qu'il n'avait jamais rien vu de tel. Tous ces gens se sentaient pour ainsi dire trahis. On avait pu lire les premiers éditoriaux mettant ouvertement en doute la ligne politique choisie par leur pays, et même si les questions posées n'étaient pas bien méchantes, leur importance n'était pas à négliger. L'illusion se dissipait: la nation n'avait pas été plus préparée à une guerre psychologique qu'à une guerre physique, or la population était en train de prendre conscience de ce qui se passait réellement. Les rumeurs d'assassinat - il n'y avait pas d'autre mot - de plusieurs pontes du zaibatsu avaient provoqué le tumulte au sein du gouvernement. Le Premier ministre Goto ne faisait pas grand-chose ; il ne parlait plus, ne se montrait même plus, sans doute pour ne pas devoir affronter des questions auxquelles il ne saurait répondre. Mais le pilote voyait bien que la foi de son commandant n'était pas le moins du monde ébranlée.
" Non, nous ne les abandonnerons pas! Comment peux-tu dire une chose pareille ? Ces îles nous appartiennent!
- qui vivra verra ", observa le copilote, qui reprit son travail sans poursuivre le débat. Il devait s'acquitter de sa t‚che, vérifier une fois encore niveau du carburant, état des vents et autres paramètres techniques indispensables à la réussite du vol d'un avion de ligne, tous ces éléments qui étaient ignorés des passagers, convaincus que l'équipage montait à bord et faisait démarrer son engin comme un vulgaire taxi.
" Bien dormi?
- Je veux, mon capitaine. J'ai rêvé d'une journée torride et d'une femme idem. " Richter se leva, et ses mouvements trahirent ce prétendu confort.
Je commence vraiment à me faire vieux pour ce putain de métier, songea l'adjudant-chef. Ce n'était jamais que le destin et la chance - façon de parler - qui l'avaient conduit ici. Personne d'autre que ses camarades sous-officiers et lui n'avait autant d'heures de vol sur le Comanche, et quelqu'un avait décidé qu'ils avaient assez de cervelle pour mener cette mission, sans l'aide d'un putain de colonel pour venir foutre le merdier.
Et voilà que s'offrait l'occasion de se tirer d'ici. Il leva les yeux et découvrit un ciel limpide. Enfin, on aurait pu rêver mieux. Pour entrer et sortir, mieux valait avoir des nuages.
" Le plein est fait.
- Je cracherais pas sur un petit café...
- Ya qu'à demander, m'sieur Richter. " C'était Vega, le sergent-chef. " Un bon café frappé, comme dans les palaces de Floride.
- Oh, super, merci, mec. " Richter prit le gobelet métallique en étouffant un rire. " Rien de spécial sur le chemin du retour ? "
«a s'annonçait mal, songea Claggett. La colonne de destroyers Aegis s'était disloquée et voilà qu'il se retrouvait avec un de ces satanés rafiots à dix milles de lui. Plus grave, peu de temps auparavant, on avait relevé le passage d'un hélicoptère, gr‚ce aux détecteurs électroniques dont il avait pris le risque de déployer brièvement le m‚t, malgré la proximité du meilleur radar de surveillance au monde. Mais trois hélicoptères de l'armée comptaient sur sa présence ici, et il n'allait pas chercher plus loin. Personne ne lui avait promis que le coeur du danger était un endroit de tout repos. Ni pour lui ni pour eux.
" Et notre copain ? " demanda-t-il à son chef sonar. Il reçut pour toute réponse un signe de dénégation. Bientôt confirmé par une phrase : " A nouveau disparu des écrans. "
Une brise de trente noeuds soufflait au ras des vagues en leur arrachant des paquets d'écume, ce qui altérait légèrement les performances du sonar.
Il devenait même difficile de garder le cap du destroyer, maintenant qu'il avait ralenti à une vitesse de patrouille à peine supérieure à quinze noeuds. Le submersible détecté loin au nord s'était à nouveau évanoui.
Peut-être pour de bon, mais il était dangereux de tabler là-dessus.
Claggett consulta sa montre. Il avait moins d'une heure pour décider de la conduite à tenir.
- Affirmatif, amiral. Les deux premiers jours exceptés, je n'ai plus vu un seul zinc civil sur cette piste. " Il avait vraiment envie de lui demander à quoi rimaient toutes ces questions, mais il savait qu'il perdrait son temps. Enfin, peut-être, indirectement
" Vous voulez qu'on veille toute la nuit ?
- A vous de voir, major. A présent, pouvez-vous me passer vos hôtes ?
- John ? Téléphone! lança Portagee, soudain frappé par l'absolue banalité
de ce qu'il venait de dire.
- Clark, répondit Kelly en prenant l'appareil sans se démonter. Oui monsieur... Bien, monsieur. «a ira... Autre chose ?
Non ? Bon. Terminé. " Il pressa la touche de déconnexion.
" Merde, qui a eu l'idée de cette putain de gamelle ?
- Moi, dit Burroughs en levant les yeux de la table de jeu.
«a marche, non ?
- Je veux, mon neveu, dit John qui revint à la
partie, en
rajoutant vingt-cinq cents dans le pot. Je vois.
- Brelan de dames, annonça l'ingénieur.
- Et une veine de cocu, en plus, dit Clark, en
s'allongeant.
- Tu parles d'une veine! Ces enculés m'ont g‚ché la