- Tu me la fais courte, ordonna Ryan.
- Forces un peu supérieures à celles du Japon. Ils les ont réduites depuis la réunification, mais ce qui leur reste est topniveau. En gros, matériel et doctrine US. Leur aviation est excellente. J'ai manoeuvré avec eux et...
- Si tu étais un général coréen, comment évaluerais-tu la menace japonaise ?
- Je serais prudent, répondit l'amiral Jackson. Pas inquiet, mais prudent.
Ils ne s'aiment pas trop, n'oublie pas.
- Je sais. Envoie-moi des copies de ce rapport de l'attaché d'ambassade et de ton OrBat des Coréens.
- Bien, chef. " Jackson raccrocha. Ryan appela ensuite la CIA. Mary Pat n'était toujours pas libre et c'est son mari qui prit la communication.
Ryan ne s'embarrassa pas de préliminaires.
" Ed, a-t-on des infos de notre poste à Séoul ?
- Les Coréens semblent très nerveux. Pas trop coopératifs. On a pas mal d'amis à la KCIA, mais ils la bouclent, faute de ligne politique pour l'instant.
- Ils ont relevé un changement de climat sur place ?
- Ma foi, oui, répondit Ed Foley. On note une certaine activité de leur aviation. Tu sais qu'ils ont instauré un vaste champ de manceuvres dans le nord du pays, et il ne fait pas de doute qu'ils sont en train d'effectuer des manceuvres combinées imprévues. Nous en avons quelques vues aériennes.
- Pékin, maintenant ? demanda Ryan.
- On s'y agite beaucoup pour pas grand-chose. La Chine veut rester en dehors de cette affaire. Ils disent qu'ils n'y ont aucun intérêt et que cela ne les concerne pas.
- Réfléchis un peu à ça, ordonna Jack.
- Bon d'accord, ça les concerne effectivement... oh... "
La manoeuvre était injuste et Ryan en était conscient. Il disposait désormais de davantage d'informations que quiconque, et d'une bonne avance sur l'analyse de la situation.
" Nous venons de développer un certain nombre d'informations. Je te les fais parvenir sitôt que le rapport est tapé. Je veux te voir ici à quatorze heures trente pour une session de remueméninges.
- On y sera ", promit le presque sous-directeur des opérations.
Et toutes les données étaient là, visibles sur la carte. Il suffisait de disposer de l'information pertinente, et d'un minimum de temps.
La Corée n'était pas du genre à se laisser intimider par le Japon. Ce dernier pays avait dominé la Corée durant près de cinquante années au début de ce siècle et les Coréens n'avaient pas gardé un excellent souvenir de cette occupation. Ils avaient été ravalés au rang de serfs par leurs occupants et, aujourd'hui encore, traiter de Jap un citoyen coréen était une injure mortelle. L'antipathie entre les deux peuples était réelle et, avec l'expansion économique de la Corée, qui en faisait désormais un rival du Japon, le ressentiment était devenu bilatéral. Le point essentiel demeurait toutefois l'élément racial. Bien que Coréens et Japonais soient issus de la même souche génétique, ces derniers voyaient les premiers à peu près comme Hitler voyait jadis les Polonais. Les Coréens avaient en outre leur propre tradition guerrière. Ils avaient envoyé deux divisions armées au Viêt-nam et avaient b‚ti un formidable arsenal pour se défendre contre les fous de l'ex-Nord, aujourd'hui disparus. Autrefois colonie vaincue du Japon, ils étaient aujourd'hui forts, tenaces et d'un orgueil extrêmement chatouilleux. Alors, qu'est-ce qui aurait pu les empêcher d'honorer leurs engagements avec l'Amérique ?
S˚rement pas le Japon. La Corée craignait peu une attaque directe, et les Japonais pouvaient difficilement recourir contre eux à l'arme nucléaire. La circulation des vents dans la région risquait de ramener les éventuelles retombées radioactives directement à l'expéditeur.
En revanche, immédiatement au nord de la Corée se trouvait le pays le plus peuplé de la planète, avec la plus grande armée du monde, et ces données suffisaient amplement à effrayer la république de Corée, comme elles auraient effrayé n'importe qui.
Pour le Japon, un accès direct aux ressources naturelles était indispensable et constituait sans aucun doute un objectif prioritaire: Le pays disposait de bases économiques solides et parfaiteménr développées, d'une main-d'oeuvre hautement qualifiée et de toutes sortes d'atouts technologiques. Mais il avait également une population relativement réduite, compte tenu de sa puissance économique.
La Chine, au contraire, avait une vaste population, mais pas aussi bien formée, et une économie en croissance rapide, mais avec encore quelques faiblesses en technologies de pointe. Et comme le Japon, la Chine avait besoin d'un meilleur accès aux ressources.
Or, juste au nord à la fois de la Chine et du Japon se trouvait le dernier grenier au trésor encore inexploité de la planète.
S'emparer des Mariannes empêcherait, ou du moins retarderait, que le bras stratégique essentiel de l'Amérique, à savoir sa marine, n'approche de trop près cette zone d'intérêts. Le seul autre moyen d'accès à la Sibérie était par l'ouest, à travers toute la Russie. Ce qui voulait dire concrètement que la région était désormais coupée de toute aide extérieure. La Chine avait sa propre force de dissuasion contre la Russie, et une armée de terre supérieure en nombre pour défendre sa conquête. C'était assurément un pari formidable, mais avec l'Europe et l'Amérique confrontées au désordre économique et incapables d'aider la Russie, oui, le choix stratégique s'avérait cohérent. Lancer une guerre mondiale à crédit...
En outre, l'aspect opérationnel n'avait rien de neuf, loin de là. D'abord paralyser l'adversaire le plus fort, puis engloutir le plus faible.
Exactement comme ce qu'ils avaient tenté en 1941-1942. Le concept stratégique des japonais n'avait jamais été de conquérir les …tats-Unis, mais de les paralyser au point de les contraindre à accepter leurs conquêtes au sud par nécessité politique. C'était tout bête, en vérité, se dit Ryan. Il suffisait de briser le code. C'est à cet instant que le téléphone sonna. C'était sur sa ligne numéro quatre.
" Allô SergueÔ, dit Ryan.
- Comment avez-vous deviné? " demanda Golovko.
Jack aurait pu lui répondre que la ligne était séparée pour permettre une communication directe avec le Russe, mais il s'en abstint. " Parce que vous venez de lire la même chose que moi.
- Dites-moi ce que vous en pensez ?
- J'en pense que vous êtes leur objectif, SergueÔ NikolaÔtch. Sans doute d'ici l'an prochain. " Ryan parlait d'un ton léger, encore sous le coup de la découverte, ce qui était toujours agréable, nonobstant la nature de celle-ci.
" Plus tôt, même. A l'automne, je dirais. La météo sera plus en leur faveur. " Puis il y eut une brève pause. " Pouvez-vous nous aider, Ivan Emmetovitch ? Non, mauvaise question. Allezvous nous aider ?
- Les alliances, comme l'amitié, sont toujours bilatérales, remarqua Jack.
Vous avez un président à informer. Moi aussi. "
32
…dition spéciale
EN officier qui avait naguère espéré commander un navire tel que celui-ci, le capitaine de vaisseau Sanchez était heureux d'avoir choisi de rester à
bord au lieu de s'envoler avec son chasseur pour rejoindre la base aéronavale de Barbers Point. Ce n'étaient pas moins de six gros remorqueurs gris qui avaient fait rentrer l'USS John Stennis en cale de radoub.
Il y avait à présent plus d'une centaine d'ingénieurs à bord, dont cinquante nouveaux arrivants des chantiers navals de Newport News, qui tous étaient descendus au pont inférieur examiner les machines. Une longue file de camions était garée sur le périmètre de la cale de réparation, et avec eux plusieurs centaines de marins et d'ouvriers du chantier naval, comme autant de médecins légistes, imaginait Bud, prêts à autopsier et désosser.
Sous les yeux du capitaine Sanchez, une grue était en train de hisser les premiers éléments d'échafaudage de transbordement, tandis qu'une seconde se mettait à pivoter pour hisser ce qui ressemblait à une caravane de chantier, sans doute pour la déposer sur le pont d'envol. Il nota qu'on n'avait même pas encore refermé les grilles du chantier. Manifestement, quelqu'un devait être très pressé.
" Commandant Sanchez ? "
Bud se retourna et découvrit un caporal des Marines. Après l'avoir salué, celui-ci lui tendit un message. " On vous demande au PC opérationnel du CinCPaCFIt, commandant. "
" C'est complètement fou ", dit le président de la Bourse de New York à
Wall Street, réussissant à prendre le premier la parole.
La grande salle de conférence du siège new-yorkais du FBI ressemblait à un prétoire, avec des sièges pour accueillir plus d'une centaine de personnes.
Ils étaient pour l'heure à moitié occupés, et la majorité de l'assistance était composée de fonctionnaires de divers services gouvernementaux, à
commencer par les policiers du FBI et les agents de la SEC, l'équivalent de la COB, la Commission des opérations de Bourse, qui collaboraient depuis le vendredi soir sur l'affaire de démolition du système boursier. Mais le premier rang était entièrement occupé par les dirigeants des principales sociétés de Bourse, les gouverneurs des banques et institutions financières.
George venait de leur exposer sa version des faits de la semaine écoulée ; il s'était servi d'un rétroprojecteur pour leur présenter graphiques et tendances et avait procédé lentement, conscient de la fatigue qui devait affecter le jugement de tous ceux qui essayaient de comprendre ce qu'il racontait. Le gouverneur de la Réserve fédérale venait d'entrer dans la salle, après avoir passé ses coups de fil en Europe. Il regarda Winston et Fiedler en levant le pouce, puis s'assit provisoirement au fond de la salle.
" «a paraît peut-être dingue, mais c'est ce qui est arrivé. > Le patron de Wall Street réfléchit quelques instants. " Tout cela est bel et bon ", observa-t-il au bout de quelques secondes, et tout le monde comprit que ce n'était ni l'un ni l'autre. " Mais on se retrouve coincés au milieu d'un marécage, et les alligators commencent à se rapprocher. Je doute qu'on arrive à les contenir bien longtemps. " Approbation générale.
Tous les invités du premier rang furent surpris de voir sourire leur ancien collègue.
Winston se tourna vers le ministre des Finances. " Buzz, et si vous nous donniez la bonne nouvelle ?
- Mesdames et messieurs, il existe une issue ", dit avec confiance le ministre. Les soixante secondes que dura son intervention furent accueillies par un silence incrédule. Les intermédiaires boursiers n'eurent même pas la présence d'esprit de s'entre-regarder. Mais s'ils ne hochèrent pas la tête en signe d'approbation,
aucun toutefois ne souleva d'objection, même après ce qui parut url interminable délai de réflexion.
Le premier à prendre la parole était, comme on pouvait le prévoir, le directeur général de Cummings, Carter & Cantor. La CC & C était morte aux alentours de quinze heures quinze le vendredi précédent, prise à contre-pied, vidée de ses réserves de liquidités, et après un refus d'aide de Merrill Lynch, ce qu'en toute bonne foi le directeur général ne pouvait leur reprocher.
" Est-ce légal ? demanda-t-il.
- Ni le ministère de la justice, ni la Commission des opérations de Bourse ne considéreront en aucun cas votre collaboration comme une infraction.
J'ajouterai même, indiqua Fiedler, que toute tentative d'exploiter la situation sera traitée avec la sévérité qui s'impose - mais si nous collaborons tous, loi antitrust et dispositions analogues seront mises de côté dans l'intérêt de la sécurité nationale. La procédure est irrégulière, mais elle est désormais officiellement consignée et vous avez tous été
témoins de mes paroles. Mesdames et messieurs, c'est là l'intention et la voix du gouvernement des …tats-Unis. "
Eh bien, bigre, se dirent les auditeurs. En particulier, les représentants de la loi.
" Bon, vous savez tous ce qui nous est arrivé à la Triple-C ", reprit le directeur ; il regarda autour de lui et son scepticisme naturel fut tempéré
par un début de réel soulagement. " Je n'ai pas le choix, cette fois-ci. Je suis bien obligé de marcher dans la combine.
- J'aurai quelque chose à ajouter. " Ce fut au tour du gouverneur de la Réserve fédérale de gagner le devant de la salle. " Je viens d'avoir au téléphone les gouverneurs des banques centrales d'Angleterre, de France, d'Allemagne, de Suisse, de Belgique et des Pays-Bas. Tous viennent par l'avion du soir. Nous nous réunirons ici même dès demain matin pour mettre sur pied un système leur permettant de collaborer également à cet effort.
Nous allons réussir à stabiliser le dollar. Réussir à redresser le marché
des bons du Trésor. Il n'est pas question de laisser s'effondrer le système bancaire américain. Je m'en vais proposer à la Commission du marché libre que toute personne qui conservera ses titres du Trésor - disons, pour une durée de trois à six mois renouvelables - obtiendra un bonus de cinquante points sur le taux de
base, à titre de dédommagement du gouvernement américain pour nous avoir aidé à traverser cette crise. Nous accorderons également une prime identique à toute personne qui achètera des bons du Trésor dans les dix jours suivant la réouverture des marchés. "
Habile, songea Winston. Très habile. Cela attirerait les devises étrangères en Amérique, les détournerait du japon et contribuerait grandement à
raffermir le dollar - tout en attaquant le yen. Les banques asiatiques qui avaient bazardé le dollar en seraient pour leurs frais. Mine de rien, on pouvait jouer à deux, non ?
" Vous aurez besoin d'une législation pour ça, objecta un expert boursier.
- Nous l'aurons, écrite noir sur blanc d'ici vendredi en huit. Pour l'heure, c'est la politique de la Réserve fédérale, approuvée et soutenue par le président des …tats-Unis, ajouta le gouverneur.
- Messieurs, ils sont en train de nous ressusciter, lança Winston, qui s'était remis à arpenter la salle devant la balustrade de bois. Nous avons été attaqués, oui, attaqués, par des gens qui voulaient nous abattre. Ils voulaient nous arracher le coeur. Eh bien, il semblerait que nous ayons d'excellents médecins. Nous allons être patraques un petit moment, mais d'ici la fin de la semaine prochaine, tout le monde sera de nouveau sur pied.
- Vendredi midi? demanda Wall Street.
- Correct ", répondit Fiedler, fixant le directeur de la place boursière new-yorkaise et attendant sa réponse. Ce dernier s'accorda encore quelques secondes de réflexion, puis il se leva.
" Vous aurez la coopération pleine et entière de la Bourse de New York. "
Et le prestige du NYSE suffisait à balayer les derniers doutes. Une coopération totale était inévitable, mais la vitesse du processus de décision était primordiale : dix secondes encore, et tous les professionnels du marché étaient debout, souriants, et envisageaient déjà
le moyen de rouvrir leurs boutiques.
" Il n'y aura aucune transaction informatisée jusqu'à nouvel ordre, indiqua Fiedler. Ces "systèmes-experts" ont failli nous tuer. La journée de vendredi s'annonce agitée dans le meilleur des cas. Nous voulons que les gens utilisent leur cervelle, pas leur console Nintendo.
- Entièrement d'accord dit le représentant du NASDAq, parlant pour tous les autres.
= Il faudra de toute façon repenser tout ce système, remarq˚a, songeur, Merrill Lynch.
- La coordination sera assurée par l'entremise de ce bureau. Réfléchissez bien, reprit le gouverneur de la Réserve fédérale. Si vous avez des idées sur la meilleure façon de faciliter la transition, faites-le-nous savoir.
Nous nous réunirons de nouveau à six heures. Mesdames et messieurs, nous sommes ensemble dans cette affaire. Pendant les huit ou dix prochains jours, nous ne sommes plus des concurrents. Nous sommes des coéquipiers.
- J'ai près d'un million de petits porteurs qui ont fait confiance à ma maison, leur rappela Winston. Certains parmi vous en ont encore plus. T
‚chons de ne pas l'oublier. " Il n'y avait rien de tel qu'un appel à
l'honneur. L'honneur était une vertu reconnue par tous, même de ceux qui en étaient dépourvus. Foncièrement, l'honneur était une dette, un code de bonne conduite, une promesse, une qualité intérieure qui vous rendait redevable vis-à-vis de ceux qui le reconnaissaient en vous. Chacun des participants désirait qu'en le regardant, ses collègues voient en lui un individu digne de respect, de confiance et d'honneur. Un concept dans l'ensemble bien utile, songea Winston, tout spécialement en période de crise.
Et maintenant, passons aux choses sérieuses..., se dit Ryan. Apparemment, quand on arrivait à ce niveau, il fallait s'occuper d'abord des problèmes mineurs et garder pour la fin les affaires vraiment sérieuses.
La mission désormais était plus de prévenir une guerre que de la faire, mais ce dernier choix était inclus dans le premier.
Le contrôle de la Sibérie orientale par la Chine et le Japon aurait pour effet de créer, sinon un nouvel axe, du moins un nouveau pôle économique mondial, rival des …tats-Unis dans tous les domaines. Il allait donner à
ces deux pays un énorme avantage en termes de compétition économique.
L'ambition, en soi, n'était pas malveillante. Mais la méthode, si. Le monde avait jadis fonctionné selon des règles aussi simples que la loi de la jungle. Si vous étiez le premier à mettre la main sur une chose, elle était à vous - mais uniquement si vous étiez assez fort pour la garder. Pas terriblement élégant, surtout selon
les critères contemporains, mais les règles devaient être acceptées parce que les nations les plus fortes offraient en général à leurs citoyens la stabilité politique en échange de leur loyauté, et que cela constituait usuellement la première étape dans la croissance d'une nation. Au bout d'un moment, toutefois, le besoin humain de paix et de sécurité avait donné
naissance àune autre politique - un désir de participer au gouvernement de son pays. De l'an 1789, année o˘ l'Amérique avait ratifié sa Constitution, à l'an 1989, année o˘ l'Europe de l'Est s'était effondrée, deux siècles à
peine, un concept nouveau s'était fait jour dans l'inconscient collectif de l'humanité. On le connaissait sous bien des noms - démocratie, droits de l'homme, autodétermination - mais c'était foncièrement la reconnaissance que la volonté humaine avait sa propre force, pour l'essentiel orientée vers le bien.
Le plan japonais cherchait à réfuter cette force. Mais le temps des règles d'antan était passé, se dit Jack. Les hommes présents dans cette pièce auraient à y veiller.
" En résumé, dit-il pour conclure, telle est la situation générale dans le Pacifique. "
La salle du conseil était pleine ; le seul absent était le ministre des Finances dont le siège était occupé par son principal collaborateur. Autour de la table en forme de losange étaient réunis les chefs des diverses branches de l'exécutif. Présidents de commissions du Congrès et chefs d'état-major militaires avaient des sièges disposés le long des murs.
Le ministre de la Défense devait prendre la parole ensuite. Au lieu de se lever et gagner le pupitre, tandis que Ryan retournait s'asseoir, il resta à sa place, ouvrit simplement le dossier posé devant lui et commença sa lecture, levant à peine la tête.
" J'ignore si nous sommes en mesure de le faire ", commença le ministre, et en entendant ces mots, hommes et femmes du cabinet gouvernemental se trémoussèrent, gênés, sur leur siège.
" Le problème est avant tout technique. Nous ne sommes pas en état de déployer suffisamment nos forces pour...
- Attendez une minute, l'interrompit Ryan. Je veux d'abord qu'un certain nombre de points soient bien clairs pour tout le monde, d'accord? " Nul ne souleva d'objection. Même le ministre de la Défense parut soulagé de ne pas avoir à parler.
"'Guam est un territoire américain, il l'est depuis près d'un siècle. Ces gens sont nos concitoyens. Le Japon nous a pris l'île en 1941 et, en 1944, nous l'avons récupérée. Des Américains sont morts pour ça.
- Nous pensons pouvoir récupérer Guam par la négociation, intervint le ministre Hanson.
- Ravi de l'apprendre, rétorqua Ryan. Et pour le reste des Mariannes ?
- Mes collaborateurs estiment improbable qu'on puisse les récupérer par les voies diplomatiques. Nous y travaillons, bien s˚r, mais...
- Mais quoi ? " insista Jack. Il n'y eut pas de réponse immédiate. " Très bien, mettons autre chose au clair. Les Mariannes du Nord n'ont jamais été
une possession légale du Japon, malgré les dires de leur ambassadeur. La Société des Nations leur avait accordé un mandat en 1919, de sorte qu'on ne pouvait en aucun cas les considérer comme un butin de guerre lorsque nous les avons prises en 1944, avec Guam. En 1947, elles sont devenues un territoire placé sous la tutelle des …tats-Unis. En 1952, le Japon a officiellement renoncé à toute revendication de souveraineté sur les îles'.
En 1975, ce sont les citoyens des Mariannes du Nord qui ont choisi, par référendum, de devenir un Commonwealth associé aux …tats-Unis : en 1978, un gouvernement autonome leur est accordé et ils élisent leur premier gouverneur - nous y avons mis le temps, mais nous l'avons fait. En 1986, les Nations unies jugent que nous avons fidèlement rempli nos obligations vis-à-vis des résidents de l'île, et la même année, ceuxci obtiennent la citoyenneté américaine. Enfin, en 1990, le Conseil de sécurité des Nations unies met un terme définitif au statut d'administration.
" Est-ce une chose bien entendue ? Les citoyens de ces îles sont des citoyens américains, porteurs d'un passeport américain -non pas parce que nous les y avons forcés, mais parce qu'ils ont librement choisi de l'être.
Cela s'appelle l'autodétermination.
1. L'année précédente, elles étaient passées du contrôle (militaire) par la marine des …tats-Unis à une administration civile sous l'égide du ministère américain de l'Intérieur (Nd T).
Nous avons apporté l'idée sur ces rochers, et les gens de là-bas ont d˚
estimer que nous parlions sérieusement.
- On ne peut pas agir quand on n'en a pas les moyens, objecta Hanson. Nous pouvons négocier...
- Négocier, mon cul! aboya Jack. qui a dit qu'on n'en avait pas les moyens ? "
Le ministre de la Défense leva les yeux de ses notes. " Jack, cela risque de prendre des années pour reb‚tir... tout ce que nous avons désactivé. Si vous voulez en rejeter la responsabilité sur quelqu'un, eh bien, rejetez-la sur moi.
- Si on n'y arrive pas... quel va en être le co˚t pour le pays ? s'inquiéta le ministre de la Santé et de l'Action sociale. " Ce n'est pas la t‚che qui manque, ici!
- Alors, on va laisser une puissance étrangère dépouiller de leurs droits des citoyens américains, sous prétexte que c'est trop difficile de les défendre ? demanda Ryan, un peu plus calmement. Et ensuite ? que fera-t-on la prochaine fois que ça arrive ? Dites-moi, quand avons-nous cessé d'être les …tats-Unis d'Amérique ? C'est une question de volonté politique, uniquement, poursuivit le chef du Conseil national de sécurité. L'avons-nous ?
- Dr Ryan, nous vivons dans le monde concret, fit remarquer le ministre de l'Intérieur. Pouvons-nous mettre en danger la vie de tous les habitants de ces îles ?
- Nous avions coutume de dire que la liberté avait plus de prix que la vie.
Nous avions coutume de dire la même chose de nos principes politiques, rétorqua Ryan. Et le résultat, c'est un monde b‚ti sur ces principes.
Toutes ces valeurs que l'on nomme des droits ne nous sont pas tombées du ciel... Non. Il a fallu se battre pour les obtenir. Certains sont morts pour ça. Les habitants de ces îles sont des citoyens américains. N'avons-nous pas des devoirs envers eux ? "
Ce genre de raisonnement mettait mal à l'aise le ministre Hanson. Ses collègues aussi, même s'ils n'étaient pas mécontents de se décharger sur lui. " Nous pouvons négocier à partir d'une position de force - mais il faut y aller avec précaution.
- quel genre de précaution ? s'enquit Ryan, d'une voix douce.
- Bon Dieu, Ryan, on ne peut quand même pas risquer une attaque nucléaire pour quelques milliers...
- Monsieur le ministre, quel est le chiffre magique, selon tous ? Un million ? Notre place dans le monde s'articule sur quelques idées fort simples... et des tas de gens sont morts pour ces idées.
- Là, vous faites de la philosophie, rétorqua Hanson. En attendant, j'ai réuni mon équipe de négociateurs. On va récupérer Guam.
- Non, monsieur, on va récupérer toutes les îles. Et je vais vous dire pourquoi. " Légèrement penché, Ryan parcourut du regard toute la table. "
Sinon, nous serons incapables d'empêcher une guerre entre la Russie d'un côté, le Japon et la Chine de l'autre. Je crois connaître les Russes. Ils se battront pour défendre la Sibérie. Forcément. Ses ressources minières constituent leur meilleure chance de faire le saut dans le prochain siècle.
Cette guerre pourrait bien devenir nucléaire. Le Japon et la Chine ne croient sans doute pas que ça ira aussi loin, mais moi je peux vous dire que si... Et vous savez pourquoi ?
" Si nous sommes incapables de traiter efficacement cette crise, qui d'autre pourra le faire ? Les Russes se croiront seuls. Notre influence sur eux sera nulle, ils se retrouveront le dos au mur et, dans ces conditions, ils n'auront qu'une seule riposte possible. Ce sera une boucherie comme le monde n'en a jamais connu et je n'ai pas envie de connaître un nouvel ‚ge de pierre.
" Donc, nous n'avons pas vraiment le choix. Vous pourrez imaginer toutes les raisons possibles, mais elles se ramènent en définitive à la même chose : nous avons une dette d'honneur envers les habitants de ces îles qui ont décidé qu'ils voulaient être des Américains. Si nous ne défendons pas ce principe, nous ne défendons plus rien. Et plus personne ne nous fera confiance, plus personne ne nous respectera, pas même nous. Si nous leur tournons le dos, alors nous ne sommes pas ce que nous nous vantons d'être, et tout ce que nous avons pu réaliser n'est que mensonge. "
Durant toute cette tirade, le Président Durling était resté assis sans rien dire, scrutant les visages, en particulier ceux de son ministre de la Défense, et derrière lui, le dos au mur, du chef de l'…tat-major interarmes, l'homme choisi par le ministre en personne pour l'aider à
démanteler la puissance militaire des …tatsUnis. Les deux responsables baissaient les yeux et il était manifeste que l'un comme l'autre n'étaient pas à la hauteur de la
situation. Comme il était manifeste que leur pays ne pouvait se le permettre.
" Comment faire, Jack? demanda Roger Durling.
- Monsieur le président, je n'en sais encore rien. Avant d'essayer, il faut d'abord décider si on y va ou pas, et ça, monsieur, c'est de votre ressort.
"
Durling pesa les paroles de Ryan, pesa l'intérêt de mettre aux voix l'opinion de son cabinet, mais les visages de ses ministres ne lui disaient rien qui vaille. Il se souvenait du temps o˘, soldat au Viêt-nam, il avait affirmé à ses hommes que tout cela était important, tout en sachant que c'était un mensonge. Il n'avait jamais oublié leurs regards, et même si ce n'était pas de notoriété publique, tous les mois ou presque, désormais, au coeur de la nuit, il descendait au Mémorial du Viêt-nam. Il connaissait la place exacte des noms de tous les hommes morts sous ses ordres, et il parcourait ces noms un par un, pour leur dire que, oui, cela avait eu son importance, que dans le cours des choses, leur mort n'avait pas été vaine, que le monde avait changé en mieux, trop tard pour eux, certes, mais pas trop tard pour leurs concitoyens. Le Président Durling s'avisa d'un dernier élément : jamais personne encore n'avait conquis de territoire américain.
Peut-être que c'était cela l'essentiel.
" Brett, nous allons entamer des négociations immédiates. Faites bien comprendre que la situation actuelle dans le Pacifique Ouest n'est en aucun cas acceptable pour le gouvernement des …tats-Unis. Nous n'accepterons rien de moins qu'un retour intégral des îles Mariannes à leur statut ante bellum. Rien de moins, répéta Durling.
- Oui, monsieur le président.
- Je veux des plans et des propositions pour le retrait des forces japonaises de ces îles, dans l'hypothèse o˘ les négociations échoueraient
" , ajouta SAUTEUR pour son ministre de la Défense. Ce dernier approuva de la tête mais son visage était éloquent. Le ministre de la Défense ne croyait pas la chose possible.
L'amiral Chandraskatta jugeait que cela avait assez duré, mais il était patient et savait qu'il pouvait se le permettre. Il se demandait ce qui allait se passer maintenant.
Tout aurait pu aller bien plus vite. Il avait mis du temps pour élaborer ses méthodes et fomenter ses plans, car il voulait apprendre les schémas de pensée de son adversaire, le contre-amiral Michael Dubro. C'était un adversaire habile, fin manceuvrier, et à cause de cette habileté, il avait bien vite eu tendance à croire que l'homme était stupide. Durant une semaine, il était apparu manifeste que la formation américaine restait tapie au sud-ouest et, en se portant vers le sud, l'amiral indien avait poussé Dubro
a' faire route au nord, puis à l'est. Même si sa supposition avait été
erronée, la flotte américaine aurait d˚ malgré tout faire route vers le même point, à l'est du cap de Dondra, et forcer les pétroliers ravitailleurs à couper au plus court. Tôt ou tard, ils seraient obligés de passer sous le nez des patrouilleurs aériens et, en définitive, c'est ce qui s'était passé. Ils n'avaient désormais plus qu'une chose à faire, les suivre, et Dubro n'avait d'autre choix que de les repousser vers l'est. Or, cela voudrait dire aussi dérouter toute sa flotte dans cette direction, l'éloigner du Sri Lanka, laissant la voie libre à la formation amphibie de Chandraskatta pour embarquer soldats et blindés. La seule autre possibilité
offerte aux Américains était la confrontation et l'engagement avec sa flotte.
Mais ils ne s'y résoudraient jamais - quand même pas ? Non. La seule solution sensée pour les Américains était de rappeler Dubro et ses deux porte-avions à Pearl Harbor, pour y attendre la décision politique d'affronter ou non le Japon. Ils avaient divisé leur flotte, violant la maxime d'Alfred Thayer Mahan, que Chandraskatta avait apprise à l'…cole navale de Newport, Rhode Island, avec son camarade de promotion, Yusuo Sato. Cela ne remontait pas à si loin, et il se rappelait leurs discussions quand ils déambulaient sur le front de mer en contemplant les voiliers et en se demandant comment de petites marines pouvaient défaire les grandes.
Arrivé à Pearl Harbor, Dubro conférerait avec les responsables des opérations et des renseignements au sein de son état-major de la flotte du Pacifique ; ils feraient leurs additions et se rendraient sans doute compte que la t‚che était irréalisable. L'amiral indien s'imaginait leur colère et leur frustration.
Mais avant tout, il allait leur donner une leçon. A présent, c'était lui le chasseur. Nonobstant leur vitesse et leur astuce, ils étaient bloqués en un point précis et, dans ces conditions, tôt ou tard la marge de manceuvre se rétrécissait. Il pouvait bien s˚r les débusquer, et ainsi offrir à son pays son premier pas dans sa marche impériale. Un petit pas, certes, presque imperceptible dans l'ensemble de la partie, mais une ouverture digne d'intérêt malgré tout, car elle forcerait les Américains à
se retirer et permettrait à son pays de prendre l'initiative, comme venait de le faire le Japon. Le temps pour l'Amérique de reconstituer ses forces, il serait trop tard pour changer les choses. Tout se ramenait à vrai dire à
une question d'espace et de temps. L'un et l'autre oeuvraient contre un pays affaibli par ses difficultés intérieures et dès lors privé de dessein.
C'est ce que le Japon avait eu l'intelligence de discerner.
" Cela s'est passé mieux que je l'aurais escompté ", dit Durling. Il avait raccompagné Ryan à son bureau pour bavarder avec lui, une première pour les deux hommes.
" Vous le croyez vraiment ? demanda Jack, surpris.
- Souvenez-vous, j'ai hérité l'essentiel de mon cabinet de Bob. " Le Président s'assit. " Ils ne voient que l'aspect politique intérieure. C'est bien mon problème depuis le début.
- Il vous faut un nouveau ministre de la Défense et un nouveau chef d'état-major, observa froidement le chef du Conseil national de sécurité.
- Je le sais, mais le moment est mal venu. " Durling sourit. " Vous, vous avez une marge de manoeuvre un peu plus large, Jack. Mais j'ai d'abord une question à vous poser.
- Je ne sais pas si nous pouvons faire l'impasse sur ce problème, remarqua Ryan en griffonnant sur son calepin.
- Nous devons d'abord éliminer ces missiles.
- Oui, monsieur, je le sais. Nous les trouverons. En tout cas, je l'espère, d'une manière ou de l'autre. Les autres jokers sont les otages et notre capacité à frapper les îles. Cette guerre, si c'en est bien une, obéit à
des règles nouvelles. Je ne suis pas encore s˚r de bien les cerner. " Ryan continuait à réfléchir au problème de l'impact sur l'opinion publique.
Comment réagirait le peuple américain ? Et le peuple japonais ?
" Vous voulez un bon tuyau de votre commandant en chef ? "demanda Durling.
o˚i..:
- J'ai combattu dans une guerre o˘ les règles étaient édictées par le camp adverse, observa alors Durling. «a n'a pas donné des résultats fameux.
- Ce qui m'amène à une question...
- Posez-la.
- Jusqu'o˘ pouvons-nous aller ? "
Le Président réfléchit. " Précisez votre pensée.
- D'habitude, le commandement ennemi constitue une cible légitime, mais jusqu'ici, ces gens-là portaient l'uniforme.
- Vous voulez dire qu'on devrait s'en prendre au zaibatsu?
- Oui, monsieur. Il semblerait a priori que ce sont eux qui donnent les ordres. Mais ce sont des civils, et s'en prendre directement à eux aurait toutes les apparences d'un assassinat.
- Nous aurons peut-être à sauter le pas s'il faut en venir là, jack. " Le Président se leva pour prendre congé, ayant dit ce qu'il avait à dire.
" Fort juste. " Une marge de manceuvre un peu plus large, songea Ryan. Cela pouvait signifier bien des choses. En gros, qu'il avait tout le loisir de coller à l'action, mais seul, sans protection aucune. Eh bien, songea jack, ce n est pas nouveau pour toi.
Cela suffit à susciter chez Ryan un nouveau sourire. " Un peu,
" qu'avons-nous fait ? demanda Koga. que les avons-nous laissé faire ?
- Simplement suivre leur pente naturelle ", répondit un conseiller politique de longue date. Il n'avait pas besoin de préciser à qui il faisait allusion. " Nous ne sommes pas capables d'établir seuls notre pouvoir ; jouant sur nos divisions, il leur est facile de nous mener dans la direction qu'ils veulent, et avec le temps... "L'homme haussa les épaules.
" Avec le temps, on en est venu à ce que la politique de notre pays soit décidée par vingt ou trente individus élus simplement par leur conseil d'administration. Mais qu'on en arrive à ce point. A ce point...
- Nous sommes ce que nous sommes. Vaudrait-il mieux se boucher les yeux ?
- Mais qui protège le peuple, désormais ? " demanda l'exPremier ministre -
un titre qui lui paraissait bien dérisoire, conscient qu'il était de n'avoir plus aucune prise sur la situation.
" Mais Goto, bien s˚r.
- On ne peut pas laisser faire ça. Vous savez ce qui le mène... " Le conseiller de Koga acquiesça et il aurait souri, n'e˚t été la gravité du moment. " Dites-moi, reprit Mogataru Koga. qu'est-ce que l'honneur ? que nous dicte-t-il, aujourd'hui ?
- Notre devoir, monsieur le ministre, est envers le peuple ", répondit cet homme dont l'amitié pour le dirigeant politique datait de leurs années à
l'université de Tokyo. Puis lui revint une citation d'un Occidental -
Cicéron, lui semblait-il. " Le bien du peuple est la loi suprême. "
Et cela résumait tout, pensa Koga. Il se demanda si la trahison débutait toujours ainsi. La nuit portait conseil, même s'il savait qu'il ne fermerait pas l'oeil ce soir. Ce matin, rectifia-t-il en grommelant, après un coup d'oeil à sa montre.
" Il est absolument certain qu'il s'agit d'une voie normale ?
- Vous pouvez rééplucher les photos vous-mêmes ", lui dit Betsy Fleming.
Ils étaient revenus au qG du service de reconnaissance aérienne du Pentagone. " Le wagon plate-forme qu'ont vu nos gars est à écartement normal.
- De l'intox, peut-être ? suggéra l'analyste.
- Le SS-19 a un diamètre de deux mètres quatre-vingts, répondit Chris Scott en lui tendant un fax venu de Russie. Ajoutez-y deux cent soixante-dix millimètres pour le conteneur de transport. J'ai fait le calcul moi-même.
Le gabarit de ces lignes àvoie métrique est trop limité pour un objet de cette dimension. C'est possible, mais improbable.
- Vous devez bien comprendre, insista Betsy, qu'ils ne veulent pas courir trop de risques. Du reste, les Russes avaient également envisagé un transport ferroviaire pour leur modèle 4 du lanceur, ils l'avaient même modifié en ce sens, or l'écartement des voies en Russie...
- Ouais, j'avais oublié. Elles sont plus larges que les nôtres, n'est-ce pas' ? " Acquiescement de l'analyste. " Parfait. Voilà qui nqus
'facilite la t‚che. " Il se retourna vers son ordinateur et lança une séquence d'instructions qu'il avait élaborées quelques heures auparavant. A chaque passe au-dessus du japon, les caméras àhaute résolution et champ étroit se braqueraient vers des coordonnées précises. Détail intéressant, c'était l'AMTRAK qui disposait des informations les plus à jour sur les chemins de fer nippons, et à cette heure encore, on était en train d'informer leurs cadres sur la réglementation afférente à l'imagerie aérienne. Réglementation qui n'avait rien de bien sorcier, à vrai dire racontez à qui que ce soit ce crue vous avez vu, et vous pouvez prévoir des vacances prolongées au pénitencier de Marion, Illinois.
La séquence d'instructions programmée fut transmise à Sunnyvale, Californie, d'o˘ elle monta vers un satellite militaire de communications, puis vers les deux KH-11 de surveillance, dont l'un allait survoler le japon dans cinquante minutes, et le second dix minutes après. Les trois techniciens présents dans la salle s'interrogeaient sur les capacités des japonais en matière de camouflage. Le pire c'est qu'ils pouvaient fort bien ne jamais avoir la réponse. En fait, leur seul choix était d'attendre. Ils examineraient les images en temps réel, mais à moins de tomber sur des signes manifestes de ce qu'ils recherchaient, le véritable boulot allait exiger des heures, sinon des jours. S'ils avaient de la chance...
Le Kurushio était en surface, et ça ne faisait jamais la joie d'un commandant de sous-marin. Il n'y resterait pas longtemps toutefois. Le carburant arrivait à bord par deux conduites de gros diamètre, tandis que le reste du ravitaillement, des vivres surtout, était descendu par grue aux hommes d'équipage attendant sur le pont. Sa marine ne possédait pas de navires avitailleurs dévolus spécifiquement aux submersibles, le capitaine de frégate Ugaki le savait. Ils devaient en général recourir à des pétroliers, mais ceuxci étaient pris ailleurs, occupés à d'autres t‚ches, et il avait hérité d'un cargo dont l'équipage était peu familiarisé avec la t‚che, même s'il s'en acquittait avec enthousiasme.
1. 1,435 m d'écartement intérieur pour la voie normale utilisée en Europe et aux …tats-Unis, 1,524 m pour le réseau de l'ex-URSS (NdT).
Son bateau était le dernier encore mouillé dans le port d'Agana, car c'était celui qui se trouvait le plus éloigné des Mariannes au début de l'occupation. Il n'avait tiré qu'une seule torpille et avait eu le plaisir de constater l'efficacité de la type 89. C'était parfait. Certes, il ne fallait pas compter sur la marine marchande pour le réarmer mais il avait encore de quoi faire
quinze autres torpilles, plus quatre missiles Harpoon, et si les Américains lui offraient autant de cibles, eh bien tant mieux.
Les matelots qui n'étaient pas affectés à la manutention du ravitaillement sur le pont arrière s'étaient regroupés à l'avant et prenaient le soleil, comme le font souvent les sous-mariniers -et d'ailleurs aussi leur capitaine : torse nu sur le kiosque, il buvait du thé en adressant de grands sourires à tout le monde. Sa prochaine mission était de patrouiller le secteur à l'ouest de l'archipel des Bonin' afin d'y intercepter tout b
‚timent américain - sans doute un submersible - qui tenterait de s'approcher des îles métropolitaines. Cela promettait d'être une mission de routine, estima Ugaki : morne, mais exigeante. Il faudrait qu'il en explique l'importance à son équipage.
" Alors, o˘ se trouve la ligne de patrouille à l'heure qu'il est ? demanda Jones en repoussant encore une fois l'enveloppe.
- Le long du 165e est, pour le moment, répondit l'amiral Mancuso en indiquant la carte. Nous jouons serré, Jonesy. Avant de les engager au combat, je veux qu'ils se fassent à cette idée. Je veux que les officiers préparent leurs hommes à fond. On n'est jamais assez prêt, Ron. Jamais.
- Exact ", concéda le civil. Il était arrivé avec ses listings sous le bras pour démontrer que tous les contacts de sous-marins relevés avaient disparu des écrans. Deux batteries d'hydrophones
oé
1
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p tant depuis l'île de Guam n'étaient d'sormais plus accessibles. Bien que reliées par c‚ble sous-marin au reste du réseau, on les avait 1. Situé près du tropique du Cancer, au sud du japon, ce minuscule archipel volcanique d'à peine plus de 2000 habitants, dont les îles principales sont Chichi, Haha, Ototo, Muko, et Yome avait été annexé par l'empire nippon 1876 et rattaché à la préfecture de Tokyo. Placé sous mandat américain après la défaite d'ao˚t 1945, il a été restitué au Japon en juin 1968.
(NdT).
manifestement coupées depuis le central de surveillance de Guam, et personne à Pearl n'avait encore réussi à trouver le moyen de les remettre en service. Consolation : le réseau de secours opérant depuis Samar aux Philippines était encore opérationnel, mais il était incapable de détecter les SSK nippons que les images satellite montraient en cours de ravitaillement au large d'Agana. Ils avaient même réussi à en avoir un décompte précis. Il faut dire, songea Mancuso, que les Japonais continuaient à peindre le numéro de leurs unités sur les coques, et ceux-ci étaient parfaitement lisibles par les caméras des satellites. A moins qu'à
l'instar des Russes - et maintenant des Américains - les Japs n'aient appris à piéger les services de reconnaissance en s'amusant à modifier les numéros -voire à les effacer purement et simplement.
" Ce serait sympa d'avoir quelques sous-marins d'attaque de rab, pas vrai ?
observa Jones après avoir contemplé la carte pendant une minute.
- Sans aucun doute. Peut-être que si on parvient à avoir des instructions de Washington... " Il laissa sa phrase en suspens et Mancuso poursuivit sa réflexion. La position de l'ensemble des submersibles placés sous sa responsabilité était repérée par une étiquette noire, même ceux qui étaient en réparation. Ces derniers portaient une marque blanche, sur laquelle était inscrite leur date de disponibilité, ce qui lui faisait une belle jambe. Mais il y en avait quand même cinq indiqués à Bremerton, non ?
Le même bandeau Bulletin spécial apparut sur tous les grands réseaux télévisés. Chaque fois, la voix assourdie d'un présentateur annonça que le programme en cours allait être interrompu pour laisser place à une allocation du Président sur la crise économique à laquelle était confronté
son gouvernement depuis le week-end précédent. Puis apparut sur l'écran le sceau présidentiel. Ceux qui avaient suivi l'actualité depuis le début durent être surpris de voir le Président sourire.
" Bonsoir... Mes chers compatriotes, la semaine dernière, nous avons vu se produire un grave événement au sein du système financier de notre pays. Je veux tout d'abord vous assurer que l'économie américaine est forte. Certes (il sourit), cela peut vous paraître une affirmation bien étrange après tout ce que vous avez pu entendre dans les médias ou ailleurs. Mais laissez-moi vous expliquer pourquoi il en est ainsi. Je commencerai par une question.
" qu'y a-t-il de changé ? Des ouvriers américains continuent de fabriquer des voitures à Detroit et dans les autres villes. Des ouvriers américains continuent de couler de l'acier. Les fermiers du Kansas ont rentré leur blé
d'hiver et préparent les nouveaux labours. On continue de produire des ordinateurs dans la Silicon Valley. De fabriquer des pneus à Akron. Boeing n'a pas arrêté de construire des avions. On extrait toujours autant de pétrole du sous-sol au Texas et en Alaska. On extrait toujours du charbon en Virginie occidentale. Toutes ces activités que vous remplissiez la semaine dernière, vous continuez de les accomplir. Alors, qu'est-ce qui a donc changé ?
" Ce qui a changé, c'est ceci : quelques paquets d'électrons ont voyagé sur des fils de cuivre, des fils téléphoniques comme celuici (le Président saisit un cordon téléphonique, puis le jeta négligemment sur son bureau, avant de poursuivre, de cette bonne voix du voisin serviable qui vient vous donner un conseil avisé), et voilà tout. Pas un individu n'a perdu la vie.
Pas une entreprise n'a perdu un b‚timent. La richesse du pays n'a pas été
entamée. Rien n'a disparu. Et pourtant, mes chers compatriotes, nous avons failli céder à la panique... Pour quelle raison ?
" Ces quatre derniers jours, nous avons acquis la conviction qu'on avait délibérément tenté de toucher aux marchés financiers des …tats-Unis. Le ministre de la justice, aidé par un certain nombre d'honnêtes citoyens travaillant sur ces marchés, est, àl'heure o˘ je vous parle, en train d'instruire une enquête criminelle contre les responsables de ces malversations. Je ne puis vous en dire plus pour le moment, car même votre Président n'a pas le droit d'interférer avec le droit de toute personne à
bénéficier d'une justice sereine et impartiale. Mais nous savons désormais avec certitude ce qui s'est produit, et nous savons avec certitude que ce qui s'est produit était entièrement artificiel.
" Et maintenant, qu'allons-nous décider ? demanda Roger Durling. Les marchés financiers ont été fermés toute cette semaine. Ils rouvriront vendredi à midi et... "
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Points de rebroussement
cers ça ne marchera, dit Kozo Matsuda, couvrant la voix " i de la traduction simultanée. Le plan de Raizo était parfait - mieux que parfait
", poursuivit-il, autant pour lui que pour le combiné téléphonique. Avant le krach, il avait travaillé en collaboration avec un associé banquier pour saisir l'occasion et tirer profit des transactions sur les bons du Trésor, ce qui n'avait pas été du luxe pour recapitaliser son conglomérat en f
‚cheuse posture. Cela avait également lesté en yen son compte bancaire, face au marché international. Mais ce n'était pas vraiment un problème. Pas avec la bonne santé retrouvée de la devise nationale et la faiblesse concomitante du dollar américain. Il pourrait même s'avérer intéressant, en fin de compte, de racheter des titres américains en passant par des intermédiaires - une habile manoeuvre stratégique, dès que le marché des valeurs de New York aurait repris sa chute libre.
" quand les marchés européens ouvrent-ils ? " Avec toute cette excitation, il avait fini par oublier.
" Londres a neuf heures de décalage avec nous. L'Allemagne et les Pays-Bas, huit. A quatre heures cet après-midi, lui indiqua son correspondant. Nos hommes ont leurs instructions. " Et celles-ci étaient claires : profiter de la vigueur retrouvée du yen pour acheter au plus vite le maximum possible de titres européens
ainsi, lorsque la panique financière serait retombée - d'ici deux ou trois ans -, le Japon se retrouverait si étroitement intégré àcette économie multinationale qu'il en serait indissociable ; devenu tellement indispensable à leur survie que toute séparation
raviverait le spectre d'une déroute financière. Et ils ne voudraient pas prendre un tel risque, pas après s'être remis de la pire crise économique depuis trois générations, et certainement pas après avoir vu le Japon tenir un rôle aussi important, et si désintéressé, dans la restauration de la prospérité pour trois cents millions d'Européens. C'était déroutant que les Américains puissent suspecter que tous ces événements soient dus à un acte de malveillance, toutefois Yamata-san leur avait assuré qu'ils ne disposaient d'aucun moyen de récupérer les données perdues - n'était-ce pas là le coup de maître : la suppression de toutes les archives et leur remplacement par un total chaos ? Le monde des affaires ne pouvait fonctionner sans une comptabilité précise de toutes les transactions effectuées et, en leur absence, toutes les affaires s'interrompaient, purement et simplement. Reconstituer ces archives allait exiger des semaines, pour ne pas dire des mois, Matsuda en était s˚r, durant lesquels la paralysie permettrait au Japon -plus précisément à ses collègues du zaibatsu - de faire des profits, en sus des brillantes manoeuvres stratégiques exécutées par Yamata par l'entremise de leurs agences gouvernementales. C'était la nature intégrée de ce plan qui avait convaincu ses compagnons de le suivre.
" «a n'a franchement aucune importance, Kozo. Nous avons également terrassé
l'Europe, et les seules liquidités qui restent disponibles sur le marché
international sont les nôtres. "
" Bien parlé, patron, dit Ryan, appuyé contre l'encadrement de la porte.
- On a encore du pain sur la planche ", observa Durling, qui quitta son fauteuil et sortit du Bureau Ovale avant de poursuivre. Le Président et le chef du Conseil national de sécurité réintégrèrent la Maison Blanche proprement dite, passant devant les techniciens qui seuls avaient été admis à l'intérieur. L'heure n'était pas encore venue d'affronter la presse.
" …tonnant comme cette histoire peut être morale, observa Jack alors qu'ils entraient dans l'ascenseur pour gagner les appartements privés.
- On fait de la métaphysique, hein ? Vous êtes allé à l'école chez les jésuites, n'est-ce pas ?
- J'en ai même fait trois. qu'est-ce que le réel ? " La question était toute rhétorique. " Le réel, pour eux, c'est des électrons et des écrans d'ordinateur, et si j'ai pu apprendre une chose àWall Street, c'est qu'ils ne pigent que dalle aux investissements. Excepté Yamata, je suppose...
- Ma foi, il s'est plutôt bien débrouillé, non ?
- Il n'aurait pas d˚ toucher aux archives. S'il nous avait laissés dégringoler sans intervenir... (Ryan haussa les épaules), la chute libre aurait fort bien pu continuer. Il ne lui est simplement pas venu à l'esprit qu'on pouvait jouer selon d'autres règles que lui. " Et c'est cela, estimait jack, qui serait la clé de tout. L'allocution présidentielle avait su habilement mêler le dit et le non-dit, et sa cible avait été
parfaitement définie. Il s'agissait en fait de la première action psychologique d'une guerre.
" La presse ne peut pas rester éternellement muette.
- Je sais. " Ryan savait même d'o˘ partirait la fuite, que seule l'action du FBI avait pu l'empêcher jusqu'ici. " Mais il faut arriver à garder le secret encore un tout petit moment. "
Cela démarra en douceur, pas vraiment comme le lancement d'un plan opérationnel, tout au plus comme ses prémices. quatre bombardiers B-1B
Lancer décollèrent de la base aérienne d'Elmendorf en Alaska, suivis de deux ravitailleurs KC-10. La latitude élevée combinée à la période de l'année garantissait une obscurité totale. Les soutes des bombardiers étaient garnies de réservoirs supplémentaires au lieu d'armes. Chaque appareil avait un équipage de quatre hommes, un pilote, un copilote et deux opérateurs électroniciens.
Le Lancer était un avion agile, un bombardier équipé d'un mini-manche à
balai de chasseur à la place de commandes plus traditionnelles, et tous ceux qui avaient pu piloter l'un et l'autre appareil affirmaient que le B-1B offrait des sensations analogues à celles d'un F-4 Phantom, en un peu plus lourd, sa masse et ses dimensions lui procurant une plus grande stabilité et - jusqu'ici du moins - un confort supérieur. Pour l'heure, les six appareils volaient en formation échelonnée sur la route internationale R-220, en maintenant l'espacement latéral requis pour un trafic aérien commercial.
Après dix-huit cents kilomètres et deux heures de vol, alors que l'escadrille avait doublé Shemya et venait de sortir de la couverture radar au sol, les six avions obliquèrent momentanément vers le nord. Les ravitailleurs maintinrent leur cap tandis que les bombardiers passaient successivement derrière eux pour s'approvisionner en kérosène, manceuvre qui prit une vingtaine de minutes pour chaque appareil. Cela fait, les bombardiers poursuivirent leur route au sud-ouest tandis que les ravitailleurs viraient pour se poser à Shemya, o˘ ils referaient le plein à
leur tour.
Les quatre bombardiers
descendirent jusqu'à vingt-cinq mille pieds : à sept mille cinq cents mètres d'altitude, ils se retrouvaient sous le flot du trafic commercial régulier, ce qui leur donnait une plus grande marge de manoeuvre. Ils continuèrent à suivre de près la R-220, la route aérienne commerciale située le plus àl'ouest, en rasant la péninsule du Kamtchatka.
A l'arrière, on activa les systèmes de détection. Bien que conçu à
l'origine comme un bombardier de pénétration, le B-1B remplissait de nombreux rôles, dont le renseignement électronique. La cellule de n'importe quel appareil militaire est toujours hérissée de toutes sortes de petites excroissances qui évoquent tout àfait des nageoires de poisson. Ces objets sont immanquablement diverses sortes d'antennes, et leur profilage élégant n'a d'autre but que d'en réduire la traînée aérodynamique. Le Lancer en était pourvu en abondance, conçues pour recueillir les diverses fréquences radio et radar et les transmettre à l'équipement électronique chargé de les analyser. Une partie du travail était effectuée en temps réel par l'équipage. Le principe était que le bombardier repère tout radar hostile, pour mieux éviter une éventuelle détection et ainsi pouvoir larguer ses bombes.
Au dernier point de contact, à environ trois cents milles des limites de la Zone d'identification de la défense aérienne nippone, les bombardiers rompirent pour adopter une formation de patrouille, à cinquante nautiques d'écart, et descendirent à l'altitude de dix mille pieds. Les hommes se frottèrent les mains, resserrèrent d'un cran leur harnais et commencèrent à
se concentrer. Les conversations dans l'habitacle se réduisirent au niveau requis pour la mission, et l'on mit en route les enregistreurs à bandes.
Les satellites qui les survolaient leur indiquaient que l'aviation japonaise avait
placé ses avions d'alerte avancée, des E-767, quasiment en veille continue, et c'étaient ces éléments défensifs que redoutaient le plus les équipages des bombardiers. Volant à haute altitude, les E-767 étaient capables de voir loin. Mobiles, ils pouvaient se porter audevant des menaces afin de les traiter avec le maximum d'efficacité. Le plus grave était qu'ils opéraient en conjonction avec des chasseurs, et les chasseurs étaient dotés d'yeux, et derrière ces yeux il y avait des cerveaux, et de toutes les armes, les plus redoutables étaient celles qui étaient servies par des cerveaux.
" Parfait, voilà le premier ", annonça l'un des opérateurs. Ce n'était pas réellement le cas. Pour s'entraîner, ils avaient calibré leur équipement sur les radars de défense aérienne russes, mais pour la première fois dans la mémoire collective de ces seize aviateurs, ce n'étaient pas des radars et des chasseurs russes qui les préoccupaient. " Basse fréquence, fixe, position relevée. "
Ils recevaient ce que souvent les opérateurs appelaient du " fuzz " - un signal flou, brumeux, révélateur d'un radar situé sous l'horizon et trop éloigné pour détecter leur appareil à demi furtif. De même qu'on aperçoit la lueur d'une lampe torche bien avant que son éclat ne révèle la présence de celui qui la porte, de même le radar était trahi par son faisceau. Le puissant transmetteur servait aussi bien de balise d'alarme pour les hôtes indésirables que de vigie pour ses propriétaires. La position, la fréquence, le taux de répétition des pulses, et la puissance estimée du radar furent notés et consignés. Au pupitre de l'officier de guerre électronique, un écran indiquait la couverture de ce radar. L'image était répétée sur la console du pilote, la zone dangereuse marquée en rouge. Il comptait bien passer au large de celle-ci.
" Suivant, dit l'officier d'alerte avancée. Waouh ! Tu parles d'une puissance... celui-ci est embarqué. «a doit encore être un de leurs nouveaux. Déplacement sud-nord manifeste, gisement deux-zéro-deux.
- Bien copié ", répondit le pilote d'une voix calme, sans cesser de scruter les ténèbres alentour. Le Lancer volait en fait en pilotage automatique, mais sa main droite n'était qu'à quelques centimètres du manche, prête à
faire basculer le bombardier sur la gauche, en piqué avec la post-combustion. Il y avait des chasseurs quelque part sur sa droite, deux F-15
sans doute, mais ils devaient sans doute rester à proximité des E-767.
" Encore un, au un-neuf-cinq, vient d'apparaître... fréquence différente et
- un instant, dit l'officier électronicien. Bon, changement de fréquence radical. Il est sans doute passé à présent en mode supra-horizon.
- Est-ce qu'il pourrait nous accrocher ? " demanda le pilote, en jetant un nouveau coup d'oeil à son écran de contrôle. A l'extérieur de la zone rouge interdite, il y avait un secteur orangé que le pilote considérait comme "
peut-être " à risque. Ils n'étaient qu'à quelques minutes de l'entrée dans cette zone et ce " peut-être " semblait une notion passablement préoccupante dans les circonstances actuelles, à près de cinq mille kilomètres de la base aérienne d'Elmendor£
" Pas s˚r. Mais possible. Recommande approche par la gauche ", conseilla judicieusement l'officier. Aussitôt, il sentit l'appareil s'incliner de cinq degrés. Pas question de courir de risque. La mission était de recueillir des renseignements, tout comme un joueur professionnel observe une table avant de s'asseoir et de placer ses jetons.
" Je crois qu'il y a quelqu'un dans le secteur, annonça l'un des oé
e
se dirigeant au sud-ouest.
p rateurs du E-767. Z'ro-un-cinq,
Difficile à garder. "
Le radôme tournant au sommet du E-767 avait peu d'équivalents dans le monde, et tous les autres exemplaires étaient japonais. Trois d'entre eux opéraient sur la façade orientale de leur pays. Capables de rayonner chacun jusqu'à trois mégawatts d'énergie électrique, ils avaient quatre fois la puissance de leurs homologues embarqués sur les avions américains, mais la véritable complexité du système résidait moins dans sa puissance que dans son mode d'émission. Il s'agissait en gros d'une version réduite du radar SPY embarqué sur les destroyers de la classe Kongo : composé d'une batterie de milliers de diodes électroniques capables d'assurer un balayage à la fois électronique et mécanique, avec la possibilité de changer de gamme de fréquences àla demande. Pour la détection lointaine, le mieux était une fréquence relativement basse. Toutefois, les ondes s'incurvaient toujours légèrement autour de l'horizon visible, au détriment de la résolution.
L'opérateur n'accrochait son contact qu'une fois tous les trois passages du faisceau environ. Le logiciel d'analyse n'avait pis encore appris à distinguer le bruit de fond de l'activité délibérée d'un esprit humain, du moins pas dans tous les cas, et malheureusement pas dans cette gamme de fréquences...
" Vous êtes s˚r ? " demanda le chef contrôleur à l'interphone. Il venait de basculer l'affichage sur son écran et n'avait encore rien noté de particulier.
" Ici. " Le premier homme déplaça son curseur et marqua le contact lorsqu'il réapparut. Ah, s'il avait pu améliorer ce programme. " Attendez!
Regardez ici! " Il sélectionna un autre bip qu'il marqua également. Ce dernier disparut presque aussitôt mais revint au bout de quinze secondes. "
Vous voyez, cap au sud... vitesse cinq cents naeuds.
- Excellent. " Le chef-contrôleur activa le micro et informa par radio sa station au sol que les défenses aériennes nippones étaient pour la première fois mises à l'épreuve. La seule surprise, en fait, était qu'il leur ait fallu si longtemps. Cést là que ça commence à devenir intéressant, songea-t-il en se demandant ce qui allait suivre, maintenant que la partie avait commencé pour de bon.
" Pas d'autres E ? demanda le pilote.
- Non, rien que ces deux-ci. J'ai cru déceler un peu de fuzz il y a une minute, répondit le radariste, mais le brouillage a disparu. " Il n'avait pas besoin d'expliquer qu'avec la sensibilité de ses instruments, il devait sans doute capter les émissions des télécommandes de portails électriques... Peu après, il repéra un autre radar au sol. La patrouille aérienne rebroussa chemin vers l'ouest, recoupant la zone de couverture des deux E-767, qui continuaient pour leur part de suivre un axe nord-est/sud-ouest, et ils se trouvaient désormais à mi-distance de la principale île métropolitaine, Honshu, encore à plus de trois cents nautiques sur leur droite. A bord de chacun des quatre appareils américains, les copilotes ne regardaient dorénavant plus que vers l'ouest, tandis que leur commandant scrutait l'apparition d'un éventuel trafic aérien dans leur axe de vol.
L'ambiance à bord était tendue, mais c'était la routine, un peu comme lorsqu'on traverse en voiture un quartier o˘ on n'aimerait pas habiter : tant que vous
avez les feux verts, vous ne vous faites pas trop de souci - même si vous n'appréciez pas trop les regards que suscite votre véhicule.
L'équipage du troisième E-767 était inquiet - et ses chasseurs d'escorte plus encore. Une formation d'appareils ennemis était en train de lorgner leur côte, et même s'ils en étaient encore distants de six cents kilomètres, ils n'avaient rien à faire dans le secteur. Mais ils mirent tous leurs systèmes radar en alerte. Sans doute des EC-135 - des avions de surveillance - préparant l'ordre de bataille électronique pour leur pays.
Et si la mission américaine était de recueillir des renseignements, alors le mieux
a' faire était de les en empêcher. Et c'était enfantin - en tout cas, c'est ce que se dirent les opérateurs radar japonais.
On s'approchera un peu plus la prochaine fois, se dit le chef de mission.
Pour commencer, il faudrait que les experts en électronique épluchent les données recueillies pour tenter de déterminer ce qui était s˚r ou ne l'était pas, mettant en jeu la vie de leurs collègues aviateurs avec leurs conclusions. C'était une pensée réconfortante. L'équipage se relaxa, b‚illa et se remit à bavarder, avant tout de la mission et de ce qu'elle leur avait appris. quatre heures et demie de vol pour retourner à Elmendorf, puis une bonne douche et un repos bien mérité.
Les contrôleurs japonais n'avaient toujours pas l'assurance formelle d'avoir obtenu des contacts, mais l'examen des bandes embarquées lèverait les doutes. Leur mission de patrouille reprit sa surveillance normale du trafic aérien commercial ; certains s'étonnèrent que celui-ci se poursuive toujours. Les réponses étaient en général des haussements d'épaules ou de sourcils, d'o˘ une incertitude plus grande encore qu'au moment o˘ ils avaient cru repérer des contacts hostiles. Cela devait tenir à
l'observation continue d'un écran radar plusieurs heures d'affilée. Tôt ou tard, l'imagination reprenait le dessus, et plus on cherchait à se raisonner, plus cela empirait. Mais cela, ils le savaient, valait aussi pour le camp adverse.
Les dirigeants des banques centrales étaient habitués à être traités comme des personnages officiels. Tous leurs vols étaient arrivés àl'‚éroport international John F. Kennedy en l'espace d'une heure. Chacun d'eux fut reçu par un haut diplomate de la délégation de son pays à l'ONU, qui le dispensa des formalités de douane et le ramena en ville dans une voiture à
plaque diplomatique. Leur destination commune fut une surprise pour tous mais le gouverneur de la Réserve fédérale leur expliqua que, pour des raisons pratiques, le siège new-yorkais du FBI permettait de mieux coordonner l'action que la branche locale de la Réserve fédérale, d'autant plus que le b‚timent était assez vaste pour accueillir tous les directeurs des principales maisons de Bourse - puisque la réglementation anti-trust était provisoirement suspendue dans l'intérêt de la sécurité nationale du pays. L'annonce ébahit les visiteurs européens. Ainsi donc, pensèrent-ils tous, l'Amérique avait fini par saisir les implications entre la finance et la s˚reté de l'…tat. Il leur avait fallu le temps.
George Winston et Mark Gant entamèrent leur compte rendu final des événements de la semaine écoulée, après une introduction par le gouverneur et le ministre Fiedler pour mettre tout le monde dans le bain.
" Sacrément habile, confia le chef de la banque d'Angleterre àson homologue allemand.
- Jawoh4 murmura ce dernier.
- Comment comptez-vous prévenir la répétition d'un tel événement ? demanda tout haut l'un des invités.
- Pour commencer, en améliorant les systèmes d'archivage des transactions, répondit Fiedler, d'un ton alerte, après avoir enfin presque connu une nuit de sommeil décente. En dehors de cela... ? Eh bien, c'est une question qui mérite encore examen. L'essentiel, pour l'heure, ce sont les mesures à
envisager pour remédier à la situation présente.
- Le yen devrait en souffrir, observa aussitôt le gouverneur de la Banque de France. Et nous devons vous aider à protéger le dollar dans l'intérêt de nos propres devises.
- Oui, acquiesça aussitôt le gouverneur de la Réserve. JeanJacques, je suis ravi de constater que vous partagez notre point de vue.
- Et pour sauver votre marché boursier, que comptez-vous faire ? s'enquit le chef de la Bundesbank.
- Cela va peut-être vous paraître complètement fou, mais nous pensons que ça devrait marcher ", commença le ministre des Finances, avant de leur résumer les dispositions que le Président Durling s'était bien abstenu de révéler dans son discours, et dont l'exécution dépendait dans une large mesure de la coopération de leurs partenaires européens. Les visiteurs échangèrent un même regard, d'incrédulité d'abord, puis d'assentiment.
Fiedler sourit. " Puis-je suggérer que nous coordonnions nos efforts vendredi ? "
Neuf heures du matin était considéré comme une heure indue pour entamer des négociations diplomatiques, ce qui leur rendait bien service. La délégation américaine se rendit à l'ambassade du Japon sise sur Massachusetts Avenue, Nord-Ouest, à bord de voitures banalisées, pour mieux dissimuler la situation.
Les consignes avaient été scrupuleusement respectées. La salle de conférence était vaste, et dotée d'une table en proportion. Les Américains prirent place d'un côté, les japonais de l'autre. On échangea des poignées de main parce que ces hommes étaient des diplomates et que c'était la tradition. Il y avait du thé et du café, mais la plupart se contentèrent d'eau glacée servie dans des verres de cristal. Au grand désagrément des Américains, certains des japonais fumaient. Scott Adler se demanda si ce n'était pas uniquement pour les déstabiliser; aussi, désireux de rompre la glace, demanda-t-il lui aussi une cigarette au premier secrétaire d'ambassade qui la lui offrit volontiers.
" Merci de bien vouloir nous accueillir, commença-t-il d'une voix mesurée.
- Bienvenue une fois encore en nos murs, lui répondit l'ambassadeur nippon, avec un signe de tête amical quoique las.
- Voulez-vous que nous commencions ?
- Je vous en prie. " L'ambassadeur se cala dans son siège en adoptant une pose détendue pour montrer qu'il était à l'aise et prêt à écouter poliment le discours qui s'annonçait.
" Les …tats-Unis sont gravement préoccupés par l'évolution de la situation dans le Pacifique Ouest ", commença Scott Adler. Gravement préoccupé était l'expression adéquate. quand des nations se montraient gravement préoccupées, cela voulait dire
en général qu'elles envisageaient une action violente. " Comme vous .le savez, les habitants des Mariannes ont la citoyenneté américaine, et cela, de leur propre volonté ainsi qu'ils l'ont librement exprimé lors d'un suffrage il y a près de vingt ans. Pour cette raison, les …tats-Unis d'Amérique ne toléreront en aucune circonstance une occupation japonaise de ces îles, et nous récla... non, se reprit Adler, nous exigeons sur-le-champ le retour de ces îles sous souveraineté américaine, et le retrait immédiat et total des forces armées japonaises des territoires en question. Nous exigeons également la libération immédiate de tous les ressortissants américains qui pourraient être détenus par votre gouvernement. Tout refus d'obtempérer à ces exigences ne pourra qu'entraîner les conséquences les plus graves. "
Chacun dans l'assistance estima que la déclaration liminaire était sans équivoque. Au plus pouvait-on la juger un peu trop ferme, estimèrent les diplomates nippons, même ceux qui jugeaient que l'initiative de leur pays était de la folie.
" Je regrette personnellement le ton de votre déclaration, répondit l'ambassadeur, ce qui était une gifle diplomatique pour Adler. Sur les points concrets, nous prêterons une oreille attentive à votre position et confronterons ses mérites avec les intérêts de notre sécurité. " C'était une façon diplomatique d'indiquer àAdler de s'abstenir de réitérer son point de vue - en l'accentuant. On lui réclamait implicitement une autre ouverture, celleci avec des concessions, en échange de quoi on sous-entendait la promesse éventuelle de concessions réciproques de la part de son gouvernement.
" Peut-être ne me suis-je pas fait suffisamment comprendre, reprit Adler après avoir bu une gorgée d'eau. Votre pays a commis un acte de guerre contre les …tats-Unis d'Amérique. Les conséquences de tels actes sont des plus graves. Nous offrons à votre pays la possibilité de réparer ces actes sans nouvelles effusions de sang. "
Les autres Américains assis à la table des négociations communiquaient sans regards ni paroles : «a ne rigole pas. La délégation américaine n'avait guère eu le temps de mettre au point ses réflexions et sa tactique, et Adler était allé plus loin qu'ils n'avaient envisagé.
" Une fois encore, répondit l'ambassadeur après un bref instant de réflexion, je juge personnellement votre ton regrettable. Comme vous le savez, mon pays a des intérêts de sécurité légitimes, et s'est trouvé être la victime d'agissements légaux malencontreux qui ont eu pour tout effet de nuire gravement à notre économie et notre sécurité physique.
Par son article 51, la charte des Nations unies reconnaît expressément le droit de tout …tat souverain à des mesures d'autodéfense. Nous n'avons rien fait de plus. " C'était une parade habile, même les Américains durent l'admettre, et cette insistance à réclamer plus de civilité devait être prise comme une ouverture au dialogue.
Les échanges préliminaires se poursuivirent encore durant quatre-vingt-dix minutes, sans qu'aucun des camps ne cède d'un pouce : chacun se contentait de se répéter, presque mot pour mot. Puis vint le moment d'une pause. Les personnels de sécurité ouvrirent les portes-fenêtres donnant sur l'élégant jardin de l'ambassade, et tout le monde sortit, prétendument pour prendre l'air, en vérité pour poursuivre les travaux : les jardins étaient trop vastes pour des micros espions, sans parler du bruissement du vent dans les arbres.
" Eh bien, Chris, c'est déjà un début ", commença Seiji Nagumo entre deux gorgées de café - c'était sa façon d'indiquer qu'il comprenait la position américaine; pour la même raison, Christopher Cook avait choisi du thé.
" qu'attendiez-vous de notre part ? demanda le sous-chef de cabinet aux Affaires étrangères.
- Votre position d'ouverture n'a rien de surprenant ", concéda Nagumo.
Cook détourna les yeux et fixa le mur d'enceinte du jardin. Il parla d'une voix calme. " qu'êtes-vous prêts à céder ?
- Guam, sans aucun doute, mais l'île devra être démilitarisée, répondit Nagumo sur le même ton. Et vous ?
- Pour l'instant, rien.
- Vous devez me donner quelque chose à nous mettre sous la dent, Chris, observa Nagumo.
- Nous n'avons rien à offrir, hormis peut-être une cessation des hostilités
- avant qu'elles ne débutent pour de bon.
- Et ce serait prévu pour quand ?
- Pas dans l'immédiat, Dieu merci. Cela nous laisse du temps pour agir.
Sachons le mettre à profit, ajouta Cook.
= Je transmettrai. Merci. " Nagumo rejoignit d'un pas nonch‚lant le reste de sa délégation. Cook en fit de même, pour se retrouver trois minutes plus tard avec Scott Adler.
" Guam démilitarisée. «a, c'est s˚r. Peut-être plus. «a, c'est moins s˚r.
- Intéressant. Donc, vous aviez raison de suggérer qu'ils nous laisseraient une chance de sauver la face. Bien joué, Chris.
- que leur offrirons-nous en retour ?
- Gornisch " - des clopinettes, répondit froidement, en yiddish, le secrétaire d'…tat aux Affaires étrangères. Il songeait àson père, au tatouage sur son avant-bras, aux circonstances dans lesquelles il avait appris qu'un 9 était un 6 retourné, au fait que la liberté de son père lui avait été confisquée par un pays qui avait été jadis l'allié des propriétaires de cette ambassade au jardin délicieux quoique froid. C'était une réaction assez peu professionnelle, et Adler en était conscient. Durant ces années noires, le Japon avait offert un havre de sécurité à quelques juifs européens chanceux, dont l'un était entré au cabinet de Jimmy Carter.
Peut-être que si son père avait eu la chance d'être du nombre, l'attitude de Scott aurait été différente, mais ça n'avait pas été le cas, d'o˘ sa réaction. " On va commencer par rester fermes avec eux, et voir ce qui se passe.
- Je pense que c'est une erreur, dit Cook après quelques instants.
- Peut-être, concéda Adler. Mais ce sont eux qui l'ont commise en premier.
"
Les militaires n'appréciaient pas du tout. «a embêtait les civils, qui avaient installé le site à peu près cinq fois plus vite que n'auraient pu le faire ces crétins en uniforme, sans parler du fait que l'opération avait été menée dans le plus grand secret et àmoindre co˚t.
" L'idée ne vous est jamais venue de dissimuler le site? demanda le général nippon.
- Comment pourrait-on retrouver un endroit pareil ? rétorqua l'ingénieur en chef du tac au tac.
- Ils ont des caméras en orbite qui sont capables de discerner un paquet de cigarettes sur une pelouse.
- Et un pays entier à arpenter. " L'ingénieur haussa les épaules. " En plus, nous sommes au fond d'une vallée aux parois si escarpées qu'aucun missile balistique ne pourrait l'atteindre sans heurter d'abord ces crêtes.
" L'homme indiqua les sommets alentour, avant d'ajouter : " Et aujourd'hui, ils n'ont même plus les missiles nécessaires pour le faire. "
Le général avait ordre d'être patient, et il l'était, malgré son éclat initial. Ce site était désormais placé sous son commandement. " Le principe premier est d'interdire toute information au camp adverse.
- Donc, on le cache, c'est ça ? demanda poliment l'ingénieur.
- Oui.
- Un filet de camouflage sur des poteaux de caténaires ? "C'est ce qu'ils avaient déjà fait durant la phase de construction.
" Si vous en avez, ce sera un bon début. Par la suite, on pourra envisager des mesures plus permanentes. "
" Par rail, hein ? " nota le fonctionnaire de l'AMTRAK, à l'issue du briefing. " J'ai débuté dans le métier en bossant au Great Northern. A l'époque, l'armée de l'air est venue nous voir une demi-douzaine de fois pour nous demander le moyen de transporter des missiles par voie ferrée. En définitive, ça s'est conclu par des livraisons de tonnes de béton.
- Donc, vous avez eu l'occasion de réfléchir plus d'une fois à la question ? intervint Betsy Fleming.
- «a, oui. " Le fonctionnaire marqua un temps. " Puis-je voir les photos, à
présent ? " Leur satané briefing de sécurité avait pris des heures, des heures de menaces inutiles, après quoi on l'avait renvoyé à son hôtel éplucher les formulaires - pour laisser sans doute le temps au FBI d'effectuer une brève enquête de routine, il en était s˚r.
Chris Scott mit en route le projecteur de diapositives. Fleming et lui n'avaient pas attendu pour procéder à leur propre analyse, mais tout l'intérêt du recours à un consultant extérieur était d'obtenir un avis neuf et indépendant. Le premier cliché était celui du missile, histoire de lui donner un aperçu des dimensions de l'engin. Puis ils passèrent à celui du wagon.
" D'accord, s˚r que ça ressemble à un wagon surbaissé, un peu plus long que la normale, sans doute fabriqué exprès. Ch‚ssis en acier. Les Japonais sont de bons ingénieurs ferroviaires. Je vois une grue de levage. quel est le poids de ces monstres ?
- Dans les cent tonnes pour le missile proprement dit, répondit Betsy.
Rajoutez-en une vingtaine pour le conteneur de transport.
- C'est relativement lourd pour un objet unique mais ce n'est pas la mer à
boire. En tout cas, tout à fait dans les tolérances pour le matériel roulant et l'assise de la voie. " Il réfléchit quelques instants. " Je ne vois aucune connexion électronique particulière, juste la ligne de train normale et les raccords de conduite de freinage. Vous pensez que le lancement s'effectue depuis le wagon ?
- Sans doute pas. A votre avis ? ajouta Chris Scott.
- Je vous dirai ce que j'ai déjà dit aux gars de l'Air Force il y a une vingtaine d'années à propos du MX. Ouais, vous pourrez les faire circuler tant que vous voudrez, ça ne les rendra pas plus difficiles à détecter, à
moins de vous résoudre à fabriquer une flopée de wagons porteurs tous identiques - et même, ce serait comme avec la ligne principale du Northern, vous auriez une jolie cible toute tracée. Une belle ligne droite, longue et fine... et vous savez quoi ? Rien que notre ligne principale de Minneapolis à Seattle était encore plus longue que toutes leurs lignes àvoie normale mises bout à bout.
- Donc? demanda Fleming.
- Donc, ce n'est pas une plate-forme de lancement. C'est un banal wagon de transport. Vous aviez pas besoin de moi pour vous le dire. "
Non, mais ça fait du bien de l entendre de quelqu'un d'autre, songea Betsy.
" Autre chose ?
- Les gars de l'armée de l'air n'arrêtaient pas de me bassiner avec la fragilité de ces satanés trucs. Ils n'apprécient pas les secousses. Aux vitesses normales de circulation, vous encaissez dans les trois g d'accélération latérale et un demi-g d'accélération verticale. Pas bon du tout pour le missile. L'autre problème est l'encombrement. Ce wagon fait près de trente mètres de long, et la longueur moyenne d'un wagon plat sur leur réseau ferré est
de vingt mètres maxi. Leur réseau est pour l'essentiel à voie métrique'.
Vous savez pourquoi ?
- Je supposais simplement qu'ils avaient choisi...
- Simple question de génie civil, expliqua l'ingénieur de l'AMTRAK. Une ligne à voie métrique vous offre la possibilité de vous faufiler dans des passages plus exigus, de réduire le rayon des courbes, bref, de tout faire en plus petit. Mais ils sont passés à l'écartement normal pour leur Shinkansen, c'était nécessaire pour accroître vitesse et stabilité. La longueur du chargement et celle, concomitante, du wagon de transport font que, dans les courbes, la charge engage le gabarit ou, si vous préférez, mord sur le volume réservé à la voie parallèle : pour éviter tout risque de collision, vous êtes obligé d'interrompre le trafic venant en sens inverse chaque fois que vous avez à déplacer ces engins. C'est la raison pour laquelle le missile se trouve sur une voie légèrement à l'écart de celle du Shinkansen. Obligé. Autre point, le transport de la charge utile. Là, ça aurait foutu un merdier général...
- Poursuivez, dit Betsy Fleming.
- Vu la fragilité de ces missiles, on aurait été contraints de les transporter à vitesse réduite - et de bouleverser nos horaires et notre régulation. C'était exclu. Les dédommagements qu'on nous proposait étaient généreux, mais ça nous aurait sans doute porté tort à long terme. Ce doit être pareil chez eux, j'imagine. Et même pire. La ligne du Shinkansen est une ligne à grande vitesse. Ils doivent respecter des horaires draconiens, et je doute qu'ils apprécient des trucs qui foutent le bordel. " Il marqua un temps. " Vous voulez mon avis ? Ils se sont servis de ces wagons pour transporter ces engins de l'atelier de montage à un autre endroit, point final. Et je suis prêt à parier qu'ils ont fait tout ça de nuit, en plus. A votre place, j'essaierais de traquer ces wagons, avec de bonnes chances de les retrouver abandonnés quelque part sur un faisceau de voies de garage.
Ensuite, je me mettrais à la recherche d'un embranchement sur la ligne principale qui n'aboutirait nulle part. "
Scott changea de vue. " Vous connaissez bien leurs chemins de fer ?
1. 1,067 m très précisément pour l'essentiel du réseau nippon (NdT).
- J'ai fait pas mal de voyages là-bas. C'est même pour ça q˚ ori a d˚ vous suggérer de venir me chercher.
- Eh bien, vous allez me dire ce que vous pensez de ça... "Scott indiqua l'écran.
" Sacré putain de radar " , observa un technicien. La semiremorque avait été transportée par avion à Elmendorf en soutien à la mission des B-1. Les équipages des bombardiers dormaient à présent, et les experts en radar, officiers et soldats, étaient en train d'éplucher les bandes recueillies durant le vol espion.
" Un radar à synthèse d'ouverture embarqué ? demanda un commandant.
- «a m'en a tout l'air. Et ce truc n'a plus grand-chose à voir avec PAPY-1
qu'on leur a vendu il y a dix ans. Avec cette puissance qui dépasse les deux mégawatts et ces sautes de puissance du signal. Vous savez ce qu'on a là? Un dôme rotatif, sans doute avec une antenne plate unique en dessous, indiqua le sergentchef. Certes, elle tourne, mais en plus, ils peuvent l'orienter électroniquement.
- A la fois balayage et suivi' ?
- Pourquoi pas ? Il est multifréquence. Merde, j'aimerais bien qu'on ait le même, mon commandant. " Le sergent saisit un cliché de l'appareil. " Ce truc va nous poser un problème. Une telle puissance... II y a de quoi se demander s'ils auraient pu nous accrocher. S'ils n'auraient pas suivi nos B-1.
- De si loin ? " Le B-1B n'était pas à proprement parler un avion furtif.
Certes, de face, il avait une signature radar réduite. Mais latéralement, celle-ci était bien plus large, quoique notablement plus faible que celle d'un appareil classique de dimensions équivalentes.
" Oui, mon commandant. Il faut que je retravaille sur ces bandes.
- Pour y chercher quoi ?
1. Les radars travaillent selon deux modes principaux : le balayage avec un faisceau large et tournant (c'est le mode de détection traditionnel, par exemple des radars d'aéroport) et le suivi sur une cible précédemment acquise (c'est par exemple le mode des radars de conduite de tir) (NdT).
- Le radôme doit tourner aux alentours de six tours-minute. Les pulses que nous avons enregistrés devraient avoir cet espacement. Dans le cas contraire, c'est qu'ils auront braqué leur faisceau sur nous.
- Bien vu, sergent. Repassez la bande. "
34
Tout le monde sur le pont
YAmAHA était embêté de se retrouver à Tokyo. En trente ans de métier dans les affaires, sa méthode avait toujours été de fournir les grandes orientations, puis de laisser une équipe de subordonnés régler le détail des opérations, tandis qu'il se consacrait à de nouveaux problèmes stratégiques. Et en l'occurrence, il avait espéré voir la situation se clarifier plutôt que l'inverse. Après tout, les vingt plus importants zaibatsus se retrouvaient désormais intégrés à son équipe. Même si, personnellement, ils ne voyaient pas la chose ainsi. Yamata-san sourit tout seul. C'était une pensée enivrante. Mener le gouvernement à la baguette avait été un jeu d'enfants. Embarquer ces hommes dans son aventure avait exigé des années de cajolerie. Mais ils avaient fini par danser en mesure, et il suffisait que le maître de musique repasse de temps en temps pour leur redonner le ton. C'est pourquoi il rentrait au pays dans cet avion presque vide afin d'apaiser leurs craintes.
" Ce n'est pas possible, leur dit-il. - Mais il a bien dit...
- Kozo, le Président Durling peut dire ce
qu'il veut. Moi, ce que je vous dis, c'est qu'il leur est impossible de reconstituer leurs archives avant au moins plusieurs semaines. S'ils tentent de rouvrir leurs marchés aujourd'hui, le seul résultat sera le chaos. Et le chaos, leur rappela-t-il, travaille pour nous.
- Et les Européens ? demanda Tanzan Itagake.
-Ils vont se réveiller à la fin de la semaine prochaine et découvrir que nous avons racheté leur continent. D'ici cinq ans, l'Amérique sera notre épicier et l'Europe notre boutique. Dans l'intervalle, le yen sera devenu la devise la plus forte de la planète.
Dans l'intervalle, nous aurons une économie nationale parfaitement intégrée et un puissant allié sur le continent. A nous deux, nous serons autosuffisants pour toutes les matières premières. Nos femmes n'auront plus besoin de recourir à l'avortement pour éviter la surpopulation de nos îles métropolitaines. Et, ajouta Yamata, nous aurons un pouvoir politique enfin digne de notre grandeur nationale. Ceci, mes amis, constitue notre prochaine étape. "
Vraiment, songea Binichi Murakami, le visage impassible. Il se souvenait d'avoir accepté ce marché en partie à la suite de l'agression par ce mendiant ivre dans les rues de Washington. Comment se pouvait-il qu'un homme intelligent comme lui se laisse influencer par un accès de colère mesquine ? Et pourtant,
c"tait bien ce qui "tait
aesent
e
s e produit, et il se retrouvait ' pr' coincé avec le reste de la bande. L'industriel sirota son saké sans broncher, tandis que Yamata-san continuait à délirer sur l'avenir de leur pays. C'était de son avenir personnel qu'il parlait, bien s˚r, et Murakami se demanda combien ils étaient autour de cette table à vraiment s'en rendre compte. Les imbéciles.
Mais ce n'était que justice, n'est-ce pas ? Après tout, il faisait partie du lot.
Le commandant Boris Cherenko n'avait pas moins de onze agents placés à des postes élevés au sein du gouvernement japonais; l'un d'eux était même directeur adjoint de la DESP, un homme qu'il avait compromis quelques années plus tôt alors àl'occasion d'une virée à Taiwan pour jouer et voir des filles. C'était l'élément idéal à avoir sous son contrôle - il avait de bonnes chances de parvenir un jour à la tête de l'agence, ce qui permettrait à la rezidentura de Tokyo de chapeauter et d'orienter les activités de contre-espionnage dans tout le pays. Ce qui rendait perplexe l'agent de renseignements russe, c'était qu'aucun de ses hommes jusqu'ici ne lui avait été d'un grand secours.
Puis il y avait ce problème de la collaboration avec les Américains. Compte tenu de sa formation professionnelle et de son expérience, c'était comme s'il se retrouvait à la tête du comité
d'a~cuei1 d'une mission diplomatique venue de la planète Mars. La dépêche de Moscou avait aidé à faire avaler la pilule. Plus ou moins. Il semblait que les Japonais se préparaient à priver son pays de ses plus précieuses réserves minières, conjointement avec la Chine, ce qui leur permettrait de devenir la première puissance du globe. Et le plus incroyable était que, pour Cherenko, ce plan n'avait rien d'insensé. Puis était arrivé l'ordre de mission.
Vingt missiles. Voilà bien un domaine dont il ne s'était jamais préoccupé.
Après tout, c'était Moscou qui leur avait fourgué les engins. Ils avaient bien d˚ envisager l'éventualité que ces missiles soient utilisés pour...
Mais non, bien s˚r que non, jamais ils n'auraient envisagé une chose pareille. Cherenko se promit d'en discuter avec ce Clark, un homme d'expérience. Une fois rompue la glace après quelques verres, il faudrait qu'il lui demande, avec tact, si la direction politique américaine était aussi obtuse que celle dont il recevait les ordres, indépendamment des hommes qui composaient le gouvernement. Peut-être que l'Américain aurait des révélations intéressantes à lui faire. Après tout, eux, ils changeaient d'équipe tous les quatre ou huit ans. Peut-être qu'ils en avaient l'habitude.
Vingt missiles, se répéta-t-il. Vingt. Avec six têtes nucléaires chacun. A une époque, il avait paru normal d'envisager des missiles déployés par milliers, et l'un et l'autre camps avaient été assez insensés pour juger que ça allait de soi. Mais aujourd'hui, cette possibilité de dix ou vingt engins seulement... Sur qui étaient-ils braqués en réalité ? Les Américains seraient-ils prêts à soutenir leurs nouveaux... que fallait-il dire ?
Amis ? Alliés ? Associés ? Ou n'étaient-ils que d'anciens ennemis dont le nouveau statut n'avait pas encore été fixé dans les hautes sphères de Washington ? Aideraient-ils son pays face à cette renaissance d'un danger ancien ? Sans cesse lui revenait comme une rengaine ce vingt missiles multipliés par six têtes nucléaires. Leurs cibles devaient être également réparties, sans nul doute pour détruire son pays. Et si c'était le cas, il leur en restait certainement assez pour dissuader les Américains d'intervenir.
Eh bien, Moscou a donc raison, jugea Cherenko. Une coopération totale était désormais le seul moyen d'éviter la crise. L'Amérique voulait une localisation précise des missiles, sans doute dans l'intention de les détruire. Et s ils ne le font pas, c est nous gui le ferons.
Le commandant était personnellement responsable de trois des agents. Ses subordonnés s'occupaient des autres et, sous ses ordres, on prépara des messages à distribuer dans les diverses planques de la capitale. que savezvous au sujet de... Combien répondraient à sa demande de renseignements ?
Le risque n'était pas que les hommes qu'il contrôlait ne détiennent pas l'information, mais que l'un ou l'autre en profite pour s'en ouvrir à son gouvernement. En leur demandant un renseignement de cette importance, il courait le risque de fournir à ses agents un prétexte de se racheter en virant patriotes, de révéler les ordres qu'ils avaient reçus et de s'absoudre ainsi de toute culpabilité. Mais cela faisait partie des risques à courir. Passé minuit, il sortit faire un tour, choisissant les zones fréquentées pour déposer ses messages, accompagnés des signaux d'alerte adéquats pour prévenir ses hommes. Il espérait que la moitié de la DESP
qu'il contrôlait était celle qui couvrait ce secteur. Il le pensait, mais on ne pouvait jamais être s˚r de rien, n'est-ce pas ?
Kimura savait qu'il courait des risques, mais c'était devenu le cadet de ses soucis. Son seul espoir désormais était qu'on considère qu'il avait agi en patriote et, que d'une façon ou de l'autre, les gens le comprendraient et rendraient honneur à ce fait après qu'on l'aurait exécuté pour haute trahison. Son autre consolation était qu'il ne mourrait pas seul.
" Je peux organiser une rencontre avec l'ancien Premier ministre Koga ", dit-il simplement.
Oh merde, se dit aussitôt Clark. Je suis un espion, bordel, avaitil envie de lui répondre, pas un de ces putains de fonctionnaires des Affaires étrangères. Le seul point positif pour l'instant était que Chavez s'était abstenu de toute réaction. Son coeur avait sans doute cessé de battre, se dit John. Comme le tien à l'instant.
" Dans quel but ?
- La situation est grave, n'est-ce pas ? Or, Koga-san n'y est pour rien. Et c'est un homme qui jouit encore d'un crédit politique considérable. Son point de vue devrait intéresser votre gouvernement. "
Ouais, ça tu peux le dire. Mais Koga était également un politicien mis sur la touche, et peut-être désireux de troquer la vie de quélques étrangers contre sa réintégration dans le gouvernement ; o˘
simplement un homme qui plaçait la patrie au-dessus des avantages personnels - dernière éventualité qui pouvait ouvrir bien des portes, imagina Clark.
" Avant de pouvoir m'engager plus avant, j'ai besoin d'en référer à mon gouvernement ", dit John. Il était rare qu'il temporise, mais cette foisci, cela dépassait de loin ses compétences.
" Alors, je vous suggérerais de le faire, et vite, ajouta Kimura en se levant pour partir.
- Je m'étais toujours demandé si ma maîtrise en relations internationales me servirait un jour, observa Chavez, en lorgnant son verre à moitié vide.
…videmment, il faudrait que je vive assez longtemps pour décrocher ma peau d'‚ne. " «a serait sympa de se marier, de s'installer, d'avoir des gosses, et peut-être de connaître même une existence normale un jour, s'abstint-il d'ajouter.
" «a fait toujours plaisir de voir que tu n'as pas perdu ton sens de l'humour, Evgueni Pavlovitch.
- Ils vont nous dire d'y aller, vous le savez.
- Da. " Clark acquiesça, sans se départir de sa couverture, et cherchant même à présent à se mettre dans la peau d'un Russe. Y avait-il un chapitre envisageant cette situation dans le manuel du KGB ? En tout cas, dans celui de la CIA, s˚rement pas.
Comme toujours, les données livrées par les bandes étaient encore plus incontestables que l'analyse en temps réel des opérateurs. C'étaient trois, voire quatre appareils qui sondaient le dispositif de défense aérienne nippon ; plus probablement quatre, vu le schéma opérationnel adopté par les Américains, admit l'officier de renseignements ; avec une certitude, en tout cas : ce n'étaient pas des EC-135. Ceux-ci étaient extrapolés de modèles datant de près d'un demi-siècle, ils étaient hérissés de suffisamment d'antennes pour espionner tous les signaux TV de l'hémisphère, et ils auraient engendré un écho bien plus intense. D'ailleurs, les Américains ne devaient même plus en avoir encore quatre en service. Donc, il s'agissait d'un autre appareil, sans doute leur B-1B, estimèrent les spécialistes du Renseignement. Et le B-1B était un bombardier, dont la mission était bien plus sinistre que la collecte de signaux électroniques.
Ainsi les Américains considéraient-ils le Japon
comme un ennemi dont il fallait pénétrer les défenses pour accomplir leur oeuvre de mort, une notion qui n'avait rien d'inédit pour aucun des deux camps engagés dans cette guerre - s'il s'agissait bien d'une guerre, s'empressaient d'ajouter ceux qui gardaient la tête froide. Mais de quoi pouvait-il s'agir d'autre ? insista la majorité des analystes, donnant le ton des prochaines missions nocturnes.
Trois E-767 avaient repris l'air pour opérer de nouveau, une fois encore avec deux appareils en service et le troisième en veille, embusqué. Cette fois, les radars travaillaient au maximum de leur puissance, et l'on avait modifié les paramètres du programme de traitement des signaux pour permettre d'affiner la détection d'une cible furtive à grande distance. Ils étaient tributaires de contraintes physiques. La taille de l'antenne, combinée avec la puissance du signal et la fréquence des micro-ondes émises, permettait de détecter quasiment n'importe quel objet. C'était à la fois un avantage et un inconvénient, estimaient les opérateurs, qui recevaient à présent toutes sortes de signaux. Il y avait néanmoins un changement. Dès qu'ils estimaient avoir détecté l'écho faible d'un objet en mouvement à grande distance, ils orientaient leurs chasseurs dans cette direction. Les Eagle ne s'approchèrent jamais à moins de cent milles. Les échos semblaient toujours se dissiper quand le E-767 changeait de fréquence pour passer de l'acquisition à longue distance au suivi en ondes courtes, et cela ne présageait rien de bon des résultats en bande Ku, nécessaires pour l'acquisition de la cible. Cela leur révélait en tout cas que les Américains continuaient à les sonder et qu'ils s'étaient peut-être rendu compte qu'on les avait accrochés. Les techniciens conclurent que, faute de mieux, cela ferait toujours un bon exercice pour les chasseurs. S'il s'agissait réellement d'une guerre, se disaient tous les acteurs, alors elle devenait d'heure en heure plus réelle.
" A d'autres ! s'exclama le colonel.
- Mon colonel, d'après moi, ils vous avaient repéré. Leur faisceau vous balayait à une fréquence double de celle que pourrait justifier la rotation de leur dôme. Leur radar est entièrement électronique. Ils sont capables d'en diriger le faisceau et c'est bel et bien ce qu'ils faisaient. " Le ton du sergent était respectueux et mesuré, même si l'officier qui avait commandé la première
incursion se montrait un peu trop orgueilleux et guère enclin àécouter. Il avait vaguement prêté l'oreille à ce qu'on venait de l˚i dire, mais à
présent, il préférait nier l'évidence.
" D'accord, ils nous ont peut-être accrochés deux ou trois fois. Nous leur présentions notre flanc, avec notre signature la plus défavorable. La prochaine fois, on se déploiera de plus loin pour effectuer une pénétration directe. Cela devrait passablement réduire notre signature radar. Il faudra qu'on les titille un peu, histoire de voir comment ils réagissent. "
Jaimerais pas être à ta place, vieux, pensa le sergent. Il regarda par la fenêtre. Située en Alaska, la base aérienne d'Elmendorf était soumise en hiver à des conditions météo épouvantables -le pire ennemi de tout engin mécanique. C'est pourquoi les B-1 étaient rangés dans les hangars, à l'abri des regards du satelliteespion que les Japonais avaient peut-être mis en ceuvre. Même si l'on n'avait aucune certitude à ce sujet.
" Mon colonel, je ne suis qu'un petit sergent qui tripote ses oscillos, mais à votre place je serais prudent. Je ne connais pas assez ce radar pour vous préciser avec certitude ses caractéristiques. Mais mon instinct me dit qu'il doit être sacrément bon.
- On sera prudents, promit le colonel. Demain soir, on vous rapportera de meilleures bandes.
- Bien compris, mon colonel. " Non, j'aimerais pas être à ta place, vieux, se répéta le sous-officier.
res, Ron, répondit Chambers. Et c'est vrai, ça ne fait pas grandchose. Mais s'ils s'avisent de déployer leurs diesels, ils auraient intérêt à faire gaffe. " C'était tout ce que Washington leur avait donné comme instructions. Aucun mouvement vers l'est des b‚timents de guerre nippons ne saurait être toléré, et l'élimination de l'un de leurs submersibles serait sans doute approuvée en haut lieu. Le seul problème était que l'unité ayant établi le contact devrait d'abord appeler pour obtenir le feu vert des politiques. «a, Mancuso et Chambers s'étaient abstenus de le dire àJones.
Inutile de le mettre encore en rogne.
" On a quand même un paquet de SSN en réserve...
- Dix-sept sur la côte Ouest, pour être précis, dit Chambers. Et six mois minimum pour les réactiver, sans compter l'entrainement des équipages. "
Mancuso leva les yeux. " Minute... Et mes 726, alors ? "
Jones leva les yeux. " Je croyais qu'on les avait désactivés. "
Le SubPac hocha la tête. " Les écolos ne m'ont pas laissé faire.
Ils sont arrivés à placer des équipes de surveillance à
bord.
- Les cinq unités, ajouta tranquillement Chambers.
Le
Nevada, le Tennessee, le West Virginia, le Pennsylvania et le Mary
land. «a vaudrait le coup d'appeler Washington.
- Mais oui " , renchérit Jones. Les sous-marins classe 726,
plus connus sous le nom générique du premier de la série, l' Ohio,
aujourd'hui débité en lames de rasoir de haute qualité, étaient
bien plus lents, bien moins manoeuvrables que les sousmarins
d'attaque de la classe 688, plus petits. Mais s'ils naviguaient dix
L'USS Pasadena avait atteint l'extrémité nord de sa ligne de noeuds moins vite, ils étaient également silencieux. Mieux, patrouille, à l'ouest de Midway. Les sous-marins avaient la possi-même, ils servaient d'étalon en matière de silence.
bilité de communiquer par radio satellite sans révéler leur posi-
" Wally, vous pensez qu'on pourrait leur réquisitionner des tion, hormis au commandement intégré de la flotte du Pacifique. équipages ?
" Pas terrible, cette ligne ", observa Jones en examinant la
- Je ne vois pas ce qui l'empêcherait, amiral. On pourrait les carte. Il venait d'arriver pour discuter des relevés du SOSUS sur mettre en état d'appareiller d'ici une semaine
dix jours
maxi, si
les mouvements des b‚timents nippons, restés jusqu'ici discrets.
-
si - on arrive à trouver les hommes qui conviennent.
La meilleure nouvelle pour l'instant restait que, même avec son
-
«a, c'est peut-être dans mes cordes. " Mancuso décrocha logiciel de détection amélioré, le SOSUS ne décelait toujours son
téléphone pour appeler Washington.
rien du côté de lOlympia, de l'Helena, de l'Honolulu, du Chicago et du Pasadena. " Dans le temps, on en avait un peu plus, rien que pour boucher ces trous.
- C'est tout ce qu'il nous reste comme sous-marins nucléai-La journée boursière s'ouvrait en Europe continentale à dix heures, heure locale, soit neuf heures à Londres et quatre heures du 'matin à New York. Cela correspondait à dix-huit heures àTokyo, pour clore une semaine d'abord passionnante, puis bien rriorne, ce qui avait laissé le temps aux acteurs du massacre de go˚ter leur exploit.
Les cambistes de la capitale nippone furent surpris de voir la journée débuter tout à fait normalement. Les marchés avaient ouvert dans un climat évoquant celui d'un grand magasin le jour des soldes. On avait clamé
partout qu'il en serait ainsi. Le seul problème était que personne ici n'y avait vraiment cru. Comme un seul homme, les cambistes se ruèrent sur leurs téléphones pour demander des instructions à leurs supérieurs, qui apprirent avec surprise ces nouvelles en provenance de Berlin et des autres places européennes.
Au siège new-yorkais du FBI, les ordinateurs reliés au réseau international de transactions boursières affichaient la même chose que toutes les autres machines sur la planète. Le gouverneur de la Réserve fédérale et le ministre des Finances fixaient l'écran. Les deux hommes étaient au téléphone, raccordés par ligne cryptée pour une téléconférence avec leurs homologues européens.
L'initiative vint de la Bundesbank qui troqua cinq cents milliards de yen contre leur équivalent en dollar à la Banque de Hongkong, transaction fort prudente, pour t‚ter le terrain. Hongkong suivit sans broncher, voyant même un profit marginal dans cette erreur des Allemands. La Bundesbank était assez stupide pour croire que la réouverture du marché boursier de New York allait donner un coup de fouet au dollar. La transaction se passa sans problème, nota Fiedler. Il se tourna vers le gouverneur et lui adressa un clin d'oeil. Le mouvement suivant vint des Suisses et, cette fois, ce fut un trillion de yen qu'ils jetèrent sur le marché en échange des dernières valeurs du Trésor américain encore détenues par Hongkong. Là aussi, la transaction s'effectua en moins d'une minute. La suivante fut plus directe.
La Banque commerciale de Berne racheta à une banque nippone des francs suisses contre des yen, encore un mouvement douteux suscité par un coup de fil du gouvernement helvétique.
L'ouverture des marchés boursiers européens vit s'effectuer d'autres transactions. Les banques et autres institutions monétaires qui avaient effectué une manoeuvre stratégique en achetant des titres nippons pour contrebalancer les acquisitions japonaises sur les marchés européens se mettaient à présent à les revendre et convertissaient aussitôt leurs yen en d'autres devises. C'est àcet instant qu'un signal d'alarme se déclencha à Tokyo. Les opérations européennes auraient pu passer pour de simples prises de bénéfice, mais les conversions de devises étaient révélatrices d'une spéculation sur une chute du yen, et une chute rapide ; or on était vendredi soir à Tokyo, et les marchés étaient fermés, hormis pour les cambistes opérant sur les devises ou les agents en relation avec les places européennes.
" Ils devraient commencer à être nerveux, observa Fiedler.
- Je le serais, à leur place ", reconnut Jean-Jacques à Paris. Ce que personne n'osait vraiment encore dire, c'est que la première guerre économique mondiale venait tout simplement de commencer. La situation avait quelque chose d'excitant, même si elle allait à l'encontre de tout ce que leur dictaient leur instinct et leur expérience.
" Vous savez, je n'ai aucun modèle prédictif qui s'applique ici ", nota Gant, assis à quelques mètres des deux représentants du gouvernement. Les initiatives des Européens, si utiles soientelles, confondaient tous les préjugés et tous les modèles informatiques.
" Ma foi, bonhomme, c'est bien pour ça qu'on a une cervelle et des tripes, répondit George Winston, pince-sans-rire.
- Mais comment vont réagir nos marchés ? "
Sourire de Winston. " S˚r qu'on finira par le savoir, oh, d'ici sept heures et demie. Et gratis, en plus. Alors, on aurait perdu le go˚t de l'aventure ?
- Je suis content de voir que ça fait plaisir à quelqu'un. "
Le marché monétaire obéissait à des règles internationales. Les transactions étaient suspendues dès qu'une devise avait chuté d'un certain pourcentage, mais ce ne fut pas le cas cette fois-ci. Tous les gouvernements européens ouvrirent la trappe sous les pieds du yen, les transactions se poursuivirent et la devise japonaise poursuivit sa dégringolade.
" .Ils peuvent pas faire une chose pareille! " s'exclama quelqu'un à Tokyo.
Et pourtant si, et l'homme saisit un téléphone, sachant déjà quelles seraient les instructions. On attaquait le yen. Ils devaient le défendre, et le seul moyen était de vendre leurs stocks de devises étrangères pour rapatrier leurs avoirs en yen afin de les mettre à l'abri de la spéculation internationale. Mais le pire était que ces mouvements étaient totalement injustifiés : le yen était solide, en particulier vis-à-vis du dollar. Il n'allait pas tarder à le remplacer comme devise-étalon internationale, surtout si les financiers américains faisaient la bêtise de rouvrir un peu plus tard dans la journée. Les Européens faisaient un pari d'une stupidité
qui dépassait l'entendement, et puisque la manceuvre ne tenait pas debout, la seule issue pour les agents japonais était d'appliquer leur expérience à
la situation et d'agir en conséquence. L'ironie de la chose aurait été
délicieuse, s'ils avaient été en mesure de l'apprécier. Leur réaction fut quasiment automatique : on déboursa donc en vastes quantités francs français et francs suisses, livres britanniques, deutsche Mark, florins néerlandais et couronnes danoises pour racheter du yen dont la valeur relative, tout le monde à Tokyo en était persuadé, ne pouvait que remonter, surtout si les Européens troquaient leurs devises contre des dollars.
Il y avait une certaine nervosité dans l'air, mais ils se conformèrent aux instructions de leurs supérieurs, qui à cet instant même quittaient leur domicile pour prendre leur voiture ou leur train et gagner les divers immeubles de bureaux o˘ se traitait le commerce international. On négociait également des titres boursiers en Europe, en convertissant en yen les devises locales. Là encore, chacun tablait sur le fait que dès la reprise de la chute du dollar, les monnaies européennes suivraient le même chemin, entraînant avec elles les actions cotées en Bourse. Le Japon pourrait alors racheter en encore plus vastes quantités des titres de sociétés européennes. Les manoeuvres des Européens étaient un regrettable exemple de loyauté mal placée - ou de confiance, les spécialistes japonais n'auraient su dire; mais regrettable ou pas, il jouait en leur faveur. Et c'était absolument parfait. Dès midi, heure de Londres, un mouvement général s'était déclenché. Voyant ce qui s'était produit, petits porteurs et institutions modestes avaient emboîté le pas - stupidement, constatèrent avec plaisir les Japonais. Midi à Londres correspondait à sept heures du matin sur la côte Est des …tats-Unis.
" Mes chers compatriotes " , commença le Président Durling sur toutes les chaînes de télévision. Il était exactement sept heures cinq du matin. "
Mercredi soir, je vous avais annoncé pour aujourd'hui la réouverture des marchés financiers... "
" Et c'est parti, dit Kozo Matsuda, qui venait de rentrer dans son bureau et avait mis CNN. Il va leur annoncer qu'il ne peut pas, et l'Europe va être prise de panique. Splendide... ", dit-il àses collaborateurs avant de se retourner vers la télé. Le président américain souriait, l'air confiant.
Ma foi, un politicien devait savoir jouer la comédie, pour mieux mentir à
ses concitoyens.
" Le problème qu'a connu le marché la semaine dernière provenait d'une agression délibérée contre l'économie américaine. Rien de tel ne s'était produit jusqu'ici, et je m'en vais vous décrire ce qui s'est réellement produit, de quelle manière on a procédé, et pour quelle raison. Nous avons consacré une semaine entière à recueillir ces informations, et à l'heure o˘
je vous parle, le ministre des Finances et le gouverneur de la Réserve fédérale se trouvent à New York et travaillent avec les responsables des plus grandes institutions financières pour redresser la situation.
" J'ai également le plaisir de vous annoncer que nous avons eu le temps de consulter nos amis européens, et que nos alliés historiques ont choisi, en ces moments difficiles, de nous épauler avec la même fidélité que celle qu'ils ont déjà manifestée en d'autres occasions.
" Mais que s'est-il donc passé vendredi dernier ? " demanda Roger Durling.
Matsuda reposa son verre sur le bureau lorsqu'il vit le premier graphique apparaître à l'écran.
Jack le regarda développer son argumentation. L'astuce, comme toujours, était de simplifier une histoire complexe, et la t‚che avait mobilisé deux professeurs d'économie, la moitié des collaborateurs personnels de Fiedler et l'un des gouverneurs de la Commission des opérations de Bourse, qui tous avaient travaillé en coordination avec les meilleurs rédacteurs des discours présidentiels. Malgré tout, il fallut quand même vingt-cinq minutes, six tableaux graphiques, sans parler de l'équipe de porte-parole gouvernementaux qui étaient en ce moment même en train de fournir des éclaircissements à la presse qu'on avait convoquée dès six heures trente.
" Je vous avais dit mercredi soir que rien, j'insiste, rien de grave ne nous était arrivé. Pas le moindre bien n'avait été affecté. Pas un fermier n'avait perdu quoi que ce soit. Chacun de vous était resté le même que la semaine précédente, avec les mêmes capacités, le même logis, le même emploi, la même famille, les mêmes amis. L'attaque lancée vendredi dernier ne visait pas àruiner notre pays mais à saper la confiance de la nation.
Mais notre confiance est une cible plus dure et plus résistante que d'aucuns l'imaginent, et c'est ce que nous allons leur démontrer aujourd'hui. "
Les professionnels de la finance étaient, en majorité, sur le min de leur bureau et ils manquèrent le discours, mais leurs employés l'avaient tous enregistré, sans oublier les copies papier déposés sur tous les bureaux et près de tous les terminaux d'ordinateurs. En outre, la journée boursière n'allait pas commencer avant midi, et partout on avait prévu des réunions stratégiques, même si personne ne savait trop quoi faire. La réponse la plus évidente l'était en fait tellement que personne n'osait vraiment se lancer.
" Ils vont nous faire ça, dit Matsuda, les yeux fixés sur ses écrans.
qu'est-ce qu'on peut faire pour les arrêter ?
- Tout dépendra de la réaction de leur marché boursier " , rétorqua son principal collaborateur, sans trop savoir quoi dire, et sans non plus trop savoir à quoi s'attendre.
" Croyez-vous que ça va marcher, jack? " demanda Durling. Il avait deux discours, rangés dans des chemises sur son bureau, et ne savait pas encore lequel il allait prononcer ce soir.
Le chef du Conseil national de sécurité haussa les épaules. " Je n'en sais rien. «a leur offre une porte de sortie. Savoir s'ils l'utiliseront ou non... ça...
- Donc, en résumé, on n'a plus qu'à attendre ?
- En gros, oui, monsieur le président. "
La seconde session se tint au Département d'…tat. Le ministre Hanson reçut en privé Scott Adler qui rencontra ensuite en petit comité l'équipe de négociateurs, puis tout le monde attendit. La délégation japonaise arriva à
neuf heures quarante-cinq.
" Bonjour, dit Adler, aimablement.
- Ravi de vous revoir ", répondit l'ambassadeur en lui serrant la main, mais pas avec autant d'assurance que la veille. …videmment, il n'avait pas eu le temps de recevoir d'instructions détaillées de Tokyo. Adler s'était plus ou moins attendu à un report de la session mais non, cela e˚t été un signe de faiblesse trop manifeste, de sorte que l'ambassadeur, homme habile et rempli d'expérience, se retrouva dans la situation la plus précaire que puisse connaître un diplomate : obligé de représenter son gouvernement sans autre position de repli que les éléments en sa possession et sa jugeote.
Adler l'invita à s'asseoir avant de regagner sa place à l'autre bout de la table. Puisque c'était l'Amérique qui recevait aujourd'hui, c'était au japon d'ouvrir les débats. Adler avait fait un pari avec son ministre sur la teneur de la déclaration liminaire de l'ambassadeur japonais.
" Avant toute chose, je tiens à dire ici que mon gouvernement proteste avec la plus extrême vigueur contre l'attaque ourdie contre notre monnaie par les …tats-Unis... "
«a fera dix sacs pour moi, monsieur le Ministre, songea Adler sans se départir de son masque impassible.
" Monsieur l'ambassadeur, répondit-il, nous pourrions vous dire exactement la même chose. En fait, voici l'ensemble des éléments que nous avons recueillis concernant les événements de la semaine écoulée. " Des classeurs apparurent sur la table et furent aussitôt glissés à la délégation japonaise. " Je dois d'abord vous dire que nous sommes en train de diligenter une enquête, qui pourrait fort bien mener à l'inculpation de Raizo Yamata pour délit d'initié et fraude informatique. "
C'était un coup hardi pour quantité de raisons. Il révélait tout ce que les Américains savaient au sujet de l'attaque sur Wall Street tout en dévoilant les éléments encore dans l'ombre. A ce titre, il pouvait avoir pour seul effet de réduire à néant toute action judiciaire contre Yamata et ses alliés, si jamais il fallait en arriver là. Mais c'était une question secondaire. Adler avait une guerre à arrêter, et vite. Le reste, ce. serait aux petits gars de la justice de s'en occuper.
" Bien s˚r, il vaudrait mieux que ce soit votre pays qui se charge de cet homme et de ses agissements ", proposa ensuite Adler, laissant ainsi, bon prince, une marge de manoeuvre à l'ambassadeur et à son gouvernement. " Il semblerait en définitive que tout ce qu'il y aura gagné, comme on pourra sans doute le constater aujourd'hui, aura été d'engendrer de pl˚-l grandes difficultés pour votre pays que pour le nôtre. Cela dit, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, j'aimerais que nous revenions à la question des îles Mariannes. "
Ce double uppercut avait bien évidemment ébranlé la délégation nippone.
Comme souvent, presque tout restait inexprimé
Nous savons ce que vous avez fait. Nous savons comment vous lavez fait. Et nous sommes prêts à régler la question. La méthode, brutale et directe, était destinée à dissimuler le véritable problème des Américains : leur incapacité à mettre en ceuvre une riposte militaire immédiate - mais elle fournissait en outre au gouvernement nippon la possibilité de se désolidariser des agissements de certains de ses ressortissants. Et cela, avaient décidé Ryan et Adler la nuit précédente, était encore le meilleur moyen de régler la crise vite et bien. Mais pour cela, il fallait leur offrir un app‚t alléchant.
" Les …tats-Unis réclament plus qu'un simple retour aux relations normales.
L'évacuation immédiate des Mariannes nous permettra d'envisager un assouplissement à l'application de la loi sur la réforme du commerce extérieur. Et ceci constitue un élément que nous désirons mettre sur la table des négociations. "C'était sans doute une erreur de lui balancer cela tout de go, estima Adler, mais l'alternative était un nouveau bain de sang.
A l'issue de ce premier round de négociations officielles, un fait remarquable était intervenu toutefois : aucun des deux camps n'avait répété
sa position. Au contraire, on avait assisté à ce qu'en termes diplomatiques, on appelle un échange de points de vue librement exprimés -
et dont bien peu avaient été m˚rement réfléchis.
" Chris, murmura Adler en se levant. T‚chez de me découvrir le fond de leur pensée.
- Vu ", répondit Cook. Il alla se chercher une tasse de café
et se dirigea vers la terrasse au bout de laquelle Nagumo s'était accoudé
pour contempler le Mémorial de Lincoln.
" C'est une issue élégante, Seiji, hasarda Cook.
- Vous nous poussez à bout, répondit Nagumo sans se retourner.
- Si vous voulez avoir une chance de mettre fin à cette crise sans de nouvelles effusions de sang, c'est sans doute la meilleure.
- Pour vous peut-être. Et nos intérêts, là-dedans ?
- Nous trouverons un accord sur le commerce. " Cook n'y pigeait rien.
Inculte en matière financière, il n'était toujours pas au courant de ce qui se déroulait sur ce front. Pour lui, la santé recouvrée du dollar et la protection de l'économie nationale étaient des actes isolés. Nagumo n'était pas dupe. L'attaque lancée par son pays ne pouvait que susciter une contre-attaque. Et son effet ne serait pas une restauration du statu quo ante, mais bien plutôt de sérieux dég‚ts à l'économie de son propre pays, pour couronner ceux déjà infligés par la loi sur la réforme du commerce extérieur. En cela, Nagumo savait une chose qu'ignorait encore Cook: à
moins que l'Amérique n'accède aux exigences nippones de gain territorial, la guerre était bel et bien engagée.
" Il faut nous laisser du temps, Christopher.
- Seiji, on n'a plus le temps. …coutez, les médias n'ont pas encore saisi l'ampleur de la crise. Cela peut changer du jour au lendemain. Si le public a vent de l'affaire, la note risque d'être salée. " Parce que Cook avait raison : il avait offert à Nagumo une ouverture.
" Oui, c'est bien possible, Chris. Mais moi, je suis protégé par mon immunité diplomatique, et pas vous. Il n'avait pas besoin d'en dire plus.
- Bon, attendez voir une minute, Seiji...
- Mon pays a besoin de plus que ce que vous nous offrez, poursuivit Nagumo, glacial.
- Nous vous offrons une porte de sortie.
- Il nous faut plus. " Il n'y avait plus moyen de faire machine arrière, désormais, n'est-ce pas ? Nagumo se demanda si l'ambassadeur s'en était rendu compte. Sans doute pas, à en juger par le regard que lui adressait son supérieur. Tout devenait soudain limpide. Yamata et ses alliés avaient engagé son pays
dans une voie sans retour, et il n'aurait su dire s'ils en avaient ou npn été conscients dès le début. Mais peu importait à présent. " Il nous faut quelque chose, insista-t-il, en réponse à nos initiatives. "
C'est à peu près à ce moment que Cook réalisa sa lenteur à saisir.
Regardant Nagumo au fond des yeux, il comprenait enfin tout: il y lisait moins de la cruauté que de la résolution. Le sous-chef de cabinet aux Affaires étrangères songea à l'argent déposé sur un compte numéroté, aux questions qu'on ne manquerait pas de lui poser, et aux explications qu'il aurait sans doute à fournir.
On aurait cru entendre sonner la cloche d'une école d'autrefois quand la pendule à affichage numérique passa de 11:59:59 à 12:00:00.
" Merci, H.G. Wells ", murmura un cambiste, sur le parquet de bois de la Bourse de Wall Street. La machine à remonter le temps était en route. Pour la première fois à sa souvenance àcette heure de la journée, le parquet était impeccable. Pas un seul bout de papier par terre. En regardant autour d'eux, tous les négociants postés à leur kiosque ne découvraient que des signes révélateurs de normalité. L'affichage défilant de l'indicateur de tendance fonctionnait depuis déjà une demi-heure, montrant les mêmes chiffres que la semaine précédente à la même heure : un bon moyen de se resynchroniser mentalement avec cette nouvelle journée. Tout le monde s'en servait comme d'une pierre de touche, d'un contact personnel avec une réalité à la fois présente et fugace.
C'était un sacré putain de discours qu'avait prononcé le Président cinq heures plus tôt. Tous ceux qui étaient là l'avaient vu au moins une fois déjà, la plupart dans cette salle même ; l'allocution avait été suivie par un speech du patron de la Bourse de Wall Street qui aurait sans aucun doute fait la fierté d'un Knute Rockne'. Ils avaient une mission à remplir aujourd'hui, une mission qui était plus importante que leur bien-être individuel, et
1. Knute Kenneth Rockne : célèbre joueur de football américain du début du siècle, qui développa la stratégie d'attaque de la passe avant. Devenu entraîneur, il mena de succès en succès son équipe (celle de l'université
Notre-Dame), de 1918 jusqu'à sa mort en 1931 dans un accident d'avion (NdT).
qui, une fois accomplie, contribuerait à leur sécurité à long terme comme à
celle de l'ensemble du pays. Ils avaient passé la journée à reconstituer leurs activités du vendredi précédent, au point que chaque intermédiaire boursier connaissait maintenant avec précision la quantité d'actions qu'il ou elle détenait, ainsi que la position de chacun. Certains se rappelaient même les mouvements qu'ils s'apprêtaient à réaliser, mais la plupart avaient été à la hausse plutôt qu'à la baisse, et leur mémoire collective leur interdirait de les suivre jusqu'au bout.
En contrepartie, tous se souvenaient parfaitement de la panique née en cet après-midi de la semaine précédente et, sachant désormais qu'elle avait été
artificielle et préméditée, nul n'avait le désir de la déclencher à
nouveau. Par ailleurs, l'Europe avait manifesté sa confiance dans le dollar en termes non équivoques. Les marchés obligataires étaient solides comme le roc et la tendance à l'ouverture avait été aux achats de valeurs du Trésor américain, pour tirer parti des conditions époustouflantes proposées par le gouverneur de la Réserve fédérale. Et c'était là le meilleur indicateur de confiance qu'ils aient jamais constaté.
Durant plus de quatre-vingt-dix secondes, montre en main, il ne se passa strictement rien au parquet de la Bourse des valeurs. L'indicateur de tendance n'indiquait rien du tout. Le phénomène provoqua des ricanements incrédules chez des hommes dont l'esprit tournait à toute vitesse pour saisir ce qui se passait. Pendant ce temps, sans s'être donné le mot, les petits porteurs s'étaient précipités sur leur téléphone pour s'entendre répondre par leur agent de change de rester calmes et de voir venir. Et, en majorité, c'est ce qu'ils firent. Ceux qui confirmèrent malgré tout leurs ordres de vente virent ceux-ci traités en interne par leur société de Bourse à partir du volant de titres disponibles qui leur restait de la semaine écoulée. Mais les grosses firmes ne bougeaient pas, elles non plus.
Chacune attendait que la voisine se décide. Cette inactivité d'une minute et demie parut une éternité pour tous ces traders habitués à une activité
frénétique, et quand intervint enfin le premier mouvement d'envergure, ce fut comme une délivrance.
Le premier mouvement d'importance de la journée émana, comme c'était prévisible, du Groupe Columbus. C'était un achat massif de titres Citibank.
quelques secondes plus tard, Merrill
Lynch pressait le bouton pour effectuer le même genre d'acquisitionsur Chemical Bank.
" Ouais " , lancèrent quelques voix au parquet. C'était logique, non ?
Citibank était vulnérable en cas de chute du dollar, mais les Européens avaient veillé à ce que la devise américaine se redresse, et cela faisait de la First National City Bank une bonne valeur spéculative. Conséquence immédiate, la première tendance de l'indice moyen Dow Jones des valeurs industrielles était à la hausse, démentant toutes les simulations informatiques.
" Ouais, on peut le faire, observa un autre contrepartiste. Je prends cent Manny-Hanny à six ", annonça-t-il. Ce serait la seconde banque à bénéficier de cette tendance au raffermissement du dollar, et il voulait un stock de titres qu'il pourrait écouler à six un quart. Les valeurs qui avaient entraîné la dégringolade la semaine précédente étaient désormais en tête de la hausse, et pour les mêmes raisons. Aussi fou que cela puisse paraître, c'était parfaitement logique, se rendirent-ils tous compte. Et dès que le reste du marché l'aurait compris, ils pourraient tous en tirer parti.
Le journal mural lumineux s'était remis à défiler et offrait une sélection des principales dépêches d'agence. On annonçait que Général Motors réembauchait vingt mille ouvriers pour ses usines de la région de Detroit en prévision d'une reprise des ventes automobiles. La dépêche oubliait de signaler que l'opération allait s'étaler sur neuf mois et qu'elle était la conséquence de coups de fil du ministre du Travail et de son collègue du Commerce, mais cela suffit à susciter l'intérêt pour les valeurs de l'industrie automobile, et par voie de conséquence pour celles des machines-outils. quand la pendule afficha 12:05:30, le Dow Jones avait grimpé de cinq points. A peine un hoquet après le vertigineux plongeon de cinq cents points de la semaine précédente, mais vu du parquet de la Bourse de Wall Street, ça ressemblait à l'Everest par un jour de beau temps.
" J'y crois pas, observa Mark Gant, à quelques rues de là, dans l'immeuble fédéral Javits.
- Merde, o˘ est-il écrit que les ordinateurs ont toujours raison ? "
remarqua George Winston avec un nouveau sourire forcé. Il avait eu sa part de soucis. Acheter du Citibank n'était pas sans risques, mais il put constater que son initiative avait eu l'effet voulu sur le titre. Dès qu'il fut monté de trois points, il le remit en douceur sur le marché afin d'encaisser son bénéfice, maintenant que d'autres gérants de portefeuilles lui avaient emboité le pas pour suivre la tendance. Ma foi, c'était prévisible, non ? Le troupeau avait besoin d'un guide, voilà tout. Montrez-leur une tendance et attendez qu'ils la suivent, et si elle va à contre-courant, c'est encore mieux.
" A première vue, ça marche ", annonça le gouverneur de la Réserve fédérale à ses collègues européens. Toutes les théories le proclamaient, mais les théories semblaient bien fragiles en des moments pareils. Fiedler et lui regardaient Winston, bien calé dans son fauteuil, m‚chonnant un crayon et parlant tranquillement au téléphone. Ils entendaient parfaitement ce qu'il disait. En fait, la voix seule était calme, car tout son corps était tendu, comme celui d'un lutteur au moment du combat. Mais en moins de cinq minutes, ils le virent se détendre, sourire, se tourner pour dire quelque chose à Gant, qui hocha simplement la tête, incrédule devant ce qu'était en train de lui afficher son écran d'ordinateur.
" Eh bien, qu'en dites-vous ? fit Ryan.
- C'est bon signe ? demanda le Président Durling.
- Présentons les choses ainsi : si j'étais à votre place, j'offrirais une douzaine de roses à la rédactrice de mes discours, en lui proposant de rempiler pour quatre ans.
- Il est encore trop tôt pour ça, jack ", maugréa le Président.
Ryan hocha la tête. " Oui, monsieur, je sais. Ce que je voulais vous dire, c'est que vous avez réussi. Bon, il se peut que le marché... disons, fluctue encore jusqu'à la fin de la journée, mais il n'y aura pas de chute à pic comment on aurait pu l'envisager. C'est une question de confiance, chef. Vous l'avez restaurée, c'est indéniable.
- Et pour le reste ?
= On leur offre une chance de repli. On saura d'ici ce soir sils -la saisissent.
- Et sinon ? "
Le chef du Conseil national de sécurité réfléchit à la question. " Alors, il nous faudra trouver un moyen de les combattre sans trop les amocher. Il faut absolument localiser leurs têtes nucléaires et régler ce problème avant qu'il nous échappe complètement.
- Est-ce possible ? "
Ryan indiqua l'écran. " ça non plus, on ne l'aurait pas cru possible. "
35
consequences
1
CF-LA se produisit dans l'Idaho, dans une commune proche de la base aérienne de Mountain Home. On avait envoyé un sergent à la BA d'Andersen, sur l'ile de Guam, pour y travailler sur les radars de contrôle d'approche.
Sa femme avait accouché une semaine après son départ, et le soir même, alors qu'elle essayait de l'appeler pour lui annoncer la naissance de sa fille, elle s'entendit répondre que les lignes étaient coupées pour cause de tempête. Agée de vingt ans et sans grande instruction, la jeune femme avait accepté la nouvelle, dépitée. Les liaisons téléphoniques militaires étaient surchargées, lui avait dit un officier, sur un ton si convaincant qu'elle était rentrée chez elle, sans insister, les larmes aux yeux. Le lendemain, elle s'en était ouverte à sa mère qui avait ainsi découvert, ébahie, que son gendre n'était pas encore au courant de la naissance de sa fille. Même en temps de guerre, se dit la mère, ce genre de nouvelle arrivait toujours àpasser - et quelle tempête pouvait être pire qu'une guerre ?
Elle appela donc la station de télé locale en demandant le spécialiste météo, un quinquagénaire sagace qui excellait à prédire les tornades qui ravageaient la région chaque printemps, et qui, de l'avis général, sauvait une dizaine de vies chaque année, par la précision de son analyse du cheminement de ces tourbillons destructeurs.
Le spécialiste météo, qui appréciait les démonstrations amicales d'admirateurs lorsqu'il faisait ses courses au supermarché, vit dans cette demande un nouvel hommage à son professionnalisme ; par ailleurs, il n'avait jamais eu l'occasion d'étudier
l'océan Pacifique. Mais ce n'était pas un problème. Il se connecta au réseau satellite du NOAA et pianota sur son ordinateur pour Balayer à
rebours les cartes météo de ces derniers jours et voir quel genre de tempête avait frappé ces îles récemment. Il savait qu'à cette époque de l'année, il n'y avait aucun risque de typhon, mais l'archipel était en plein océan et les tempêtes y étaient constantes.
Mais pas cette année, et pas en ce moment. Les photos satellite révélaient quelques nuages moutonnants, mais à part ça, le temps était calme. Durant quelques minutes, il se demanda si l'océan Pacifique ne pourrait pas être, comme l'Arkansas, sujet à des vents en rafale par temps clair, mais non, c'était peu probable, car ce genre de tempête adiabatique était essentiellement d˚ aux écarts de température et d'altitude, alors qu'un océan était plat avec des écarts de température modérés. Il consulta un collègue, ancien météorologue de la marine, qui lui confirma le fait, et se retrouva donc avec un mystère sur les bras. S'avisant alors que l'information qu'on lui avait donnée pouvait être erronée, il compulsa son annuaire et composa le 011-671-555-1212, numéro des renseignements gratuit.
Il tomba sur un message enregistré qui lui apprit qu'il y avait eu une tempête. Sauf qu'il n'y avait jamais eu de tempête. Etait-il le premier à
s'en apercevoir ?
Il décida alors de se rendre au service infos. En l'espace de quelques minutes, une demande de renseignements était lancée sur le service d'une agence de presse.
" Ryan.
- Bob Holtzman, Jack. J'ai une question pour vous.
- J'espère que ce n'est pas sur Wall Street, répondit Jack en prenant un ton le plus détaché possible.
- Non. Sur Guam. Pourquoi les liaisons téléphoniques avec l'île sont-elles interrompues ?
- Bob, vous vous êtes renseigné auprès de la compagnie du téléphone ?
hasarda Ryan.
- Ouais. Et ils m'ont répondu qu'une tempête a coupé un paquet de lignes.
Sauf qu'il y a deux ou trois détails qui clochent. Un, il n'y a jamais eu de tempête. Deux, il y a un c‚ble sousmarin, plus une liaison satellite. Trois, une semaine, ça fait long.
qu'est-ce qui se passe ? demanda le journaliste.
- Combien de gens se posent la question ?
- Pour l'instant, il n'y a que moi et une station de télé locale, à Little Rock, qui a envoyé une demande via Associated Press. D'ici une demi-heure, il va y en avoir un morceau. qu'est-ce qui se passe ? C'est encore ces manoeuv...
- Bob, qu'est-ce que vous diriez de passer me voir ? " suggéra Ryan. Bon, ce n est pas comme si t'avais cru que ça durerait toujours. Puis il appela le bureau de Scott Adler. Mais ça aurait quand même pu attendre vingtquatre heures de plus, non ?
Le Yukon était en train de ravitailler la seconde partie de la flotte.
L'urgence de la situation obligeait le pétrolier à servir deux escorteurs à
la fois, un de chaque côté, tandis que son hélico faisait des navettes entre les divers b‚timents pour livrer le reste de l'approvisionnement -
dont plus de la moitié consistait en pièces détachées pour remettre en état de combat les avions de flke. Le soleil allait se coucher d'ici une demi-heure et les opérations de ravitaillement se poursuivraient de nuit. La force de combat de Dubro avait filé vers l'est à toute vapeur, pour s'éloigner le plus possible de la formation indienne, et s'était remise en statut EMCON, tous les radars coupés et les avions de surveillance disposés pour tromper l'ennemi. Mais ils avaient perdu la trace des deux porteavions indiens, et Dubro commençait à se faire du souci, tandis que les Hawkeye continuaient de scruter la zone avec précaution.
" Vigies signalent appareil non identifié en approche au deuxun-cinq ", annonça le haut-parleur.
L'amiral jura en silence, saisit ses jumelles, se tourna vers le sud-ouest.
Là-bas. Deux Sea Harrier. Prudents, eux aussi. Ils volaient à cinq mille pieds à peu près, en formation de combat tactique ou de démonstration aérienne, de front et à la même altitude, en prenant garde à ne survoler aucun bateau. Avant même qu'ils n'aient dépassé le premier rideau d'escorteurs, deux Tomcat étaient venus se placer derrière eux, un peu audessus, prêts à les abattre en l'affaire de quelques secondes s'ils manifestaient la moindre intention hostile. Mais manifester une intention hostile signifiait perdre une arme, et en cette ère de progrès, perdre une arme signifiait presque inévitablement un coup au liut, nonobstant le sort ultérieur de l'avion qui l'aurait lancée. Les Harrier ne firent qu'un passage. Ils semblaient être équipés de réservoirs supplémentaires, voire d'une nacelle de détection, mais n'étaient pas armés - pas cette fois-ci.
L'amiral Chandraskatta n'était pas un imbécile, mais Dubro n'avait jamais imaginé qu'il l'était. Son adversaire avait joué patiemment, attaché à
remplir sa mission en prenant tout son temps pour apprendre tous les trucs montrés par les Américains. Ce n'était pas ça qui allait consoler le commandant américain.
" On les raccompagne ? " demanda le capitaine de frégate Harrison, sans émotion.
Mike Dubro hocha la tête. " Rapprochez un des Hummer, qu'il les suive au radar. "
Mais quand bon Dieu Washington se rendrait-il compte de l'imminence d'une confrontation ?
" Monsieur l'ambassadeur, dit Scott Adler en repliant le billet que venait de lui transmettre un collaborateur. Il est probable que d'ici vingt-quatre heures, votre occupation des Mariannes sera de notoriété publique. Dès lors, la situation nous échappera totalement. Vous avez tous pouvoirs pour résoudre cette affaire avant que... "
Mais il ne les avait pas, comme Adler commençait à le soupçonner, malgré
les dénégations de son interlocuteur. Comme il s'avisa qu'il l'avait sans doute poussé à bout un peu trop vivement. Même s'il n'avait guère le choix en l'occurrence. Toute cette affaire avait débuté depuis une semaine à
peine. Selon les usages diplomatiques habituels, c'était à peu près le temps qu'il fallait pour choisir le genre de chaises sur lesquelles s'installeraient les négociateurs. De ce côté, tout s'était mal goupillé
depuis le début, mais Adler était un diplomate de métier qui ne voulait jamais perdre espoir. Même maintenant, alors qu'il concluait sa déclaration finale, il cherchait au fond des yeux de son interlocuteur la trace d'une lueur dont il pourrait rendre compte à la Maison Blanche.
" Tout au long de nos discussions, nous avons entendu citer les exigences de l'Amérique, mais nous n'avons pas entendu un seul mot concernant les légitimes intérêts de sécurité de mon pays. Aujourd'hui encore, vous avez mené une attaque systématique contre les fondements mêmes de notre système économique et financier, et... "
Adler se pencha en avant. " Monsieur l'ambassadeur! Il y a une semaine, votre pays nous a fait subir la même chose, comme le démontrent les éléments placés devant vous. Il y a une semaine, votre pays a lancé une attaque contre la marine des …tats-Unis. En toute équité, monsieur, vous êtes bien mal placé pour critiquer nos efforts pour restaurer notre stabilité économique. " Il marqua un temps d'arrêt, se reprochant son langage qui était tout sauf diplomatique, mais vu la gravité des événements, les bonnes manières étaient superflues - ou elles le seraient bientôt. " Nous vous avions offert l'occasion de renégocier de bonne foi une interprétation de la loi de réforme du commerce extérieur qui serait acceptable pour les deux parties. Nous sommes prêts à accepter des excuses et des réparations pour les pertes subies par notre marine. Nous exigeons d'autre part l'évacuation immédiate des iles Mariannes par les forces armées japonaises. "
Mais les choses étaient allées désormais trop loin, chacun autour de la table en était conscient. Ils étaient pris de court. Adler sentait peser le terrible fardeau de l'inéluctable. Tous ses talents étaient désormais inutiles. D'autres événements, d'autres acteurs avaient pris sa place -
comme ils avaient pris celle de l'ambassadeur. L'expression qu'il lut sur les traits de l'homme était sans doute le reflet de la sienne.