- Il faudra bien, rétorqua Kealty, s˚r de lui. Je ne peux pas être jugé
avant l'achèvement de la procédure constitutionnelle. Il y en a pour des mois, Roger. Ce qui nous amène sans doute àl'été prochain, voire à la date de la convention. Tu ne peux pas te permettre ça. J'imagine que le pire scénario pour toi, ce serait que la commission judiciaire propose ma destitution à la Chambre des représentants, mais que celle-ci vote contre, ou bien l'accepte, mais de justesse, et qu'ensuite la procédure sénatoriale ne parvienne pas à aboutir, faute de majorité dans le jury. As-tu une idée du nombre de services que j'ai pu rendre à la Chambre ou au Sénat? " Kealty secoua la tête. " Non, politiquement, pour toi, ça ne vaut pas le risque, et en plus, ça vous distrait, le Congrès et toi, des t‚ches gouvernementales. Tu as besoin de tout ton temps. Merde, et même encore plus. "
Kealty se leva et se dirigea vers la porte située sur la droite du Président, celle qui s'intégrait si parfaitement à la courbure des murs blanc cassé à moulures dorées. Il termina, sans se retourner : " De toute façon, c'est à toi de décider. "
Cela mit en rogne le Président Durling qu'au bout du compte, le meilleur moyen de s'en tirer soit justement de se tirer - mais personne n'en saurait jamais rien. Tout ce qu'ils sauraient, c'est que sa dernière mesure politique avait été expéditive, en un moment o˘ l'histoire exigeait des mesures expéditives. Une économie potentiellement en ruine, une guerre qui venait de commencer - il n'avait pas de temps à perdre avec ça. Une jeune femme était morte. D'autres prétendaient avoir subi des sévices. Oui, mais si la victime était morte pour d'autres raisons que celles invoquées, et si... Bordel de merde, jura-t-il mentalement. C'était à un jury d'en décider. Mais il fallait en passer par trois procédures légales distinctes avant qu'un jury ait à se prononcer, et à ce moment, n'importe quel avocat doté d'un minimum de jugeote pourrait toujours soutenir qu'un procès équitable était impossible alors que C-SPAN aurait fait de son mieux pour étaler publiquement toutes les preuves, donner un éclairage partial à
l'ensemble de l'affaire, bref, refuser à Kealty son droit constitutionnel à
bénéficier d'une justice équitable et sereine devant un jury non influencé. C'était à peu près couru d'avance devant une cour de district fédéral, et plus encore en appel - et les victimes n'auraient rien à y gagner. Oui, mais si le salaud était réellement, juridiquement parlant, innocent de tout crime ? Une braguette ouverte, après tout, si dégo˚tant que ce soit, ça ne constituait pas un crime.
Et ni son pays ni lui n'avaient besoin de ce genre de distraction. Roger Durling sonna sa secrétaire.
" Oui, monsieur le président ?
- Appelez-moi le garde des Sceaux. "
Il s'était trompé, se ravisa-t-il. Bien s˚r, qu'il pouvait s'immiscer dans une affaire criminelle. Il y était forcé. Et c'était si facile. Bigre.
26
.jonction
L a vraiment dit ça ? " Ed Foley se pencha en avant.
C'était plus facile à saisir pour Mary Pat que pour son mari.
" Bien s˚r, et c'est tout à son honneur en tant qu'espion, confirma jack, en citant les paroles du Russe.
- J'ai toujours apprécié son sens de l'humour, nota la DAO, ce qui lui valut son premier rire de la journée, et sans doute le dernier. Il nous a étudiés avec un tel zèle qu'il est maintenant plus américain que russe. "
Oh"se dit jack, c ést donc ça. Cela expliquait Ed. La réciproque était tout aussi vraie dans son cas. Spécialiste de l'Union soviétique quasiment depuis le début de sa carrière, il était plus russe qu'américain. Cela le fit sourire.
" Vos réflexions ? demanda le chef du Conseil national de sécurité.
- Jack, cela leur livre l'identité des trois seuls éléments qu'il nous reste sur le terrain là-bas. Mauvais calcul, mon vieux.
- C'est à prendre en considération, approuva son épouse. Mais il y a un autre élément. Ces trois agents sont isolés. A moins que nous puissions communiquer avec eux, ils pourraient aussi bien ne pas exister. Jack, quelle est la gravité de la situation ?
- Pratiquement, nous sommes en guerre, MP. " Jack leur avait déjà rapporté
l'essentiel de l'entrevue avec l'ambassadeur, y compris son ultime remarque.
Mary Pat hocha la tête. " D'accord, donc ils nous proposent la guerre. Estce qu'on les suit ?
- Je n'en sais rien, admit Ryan. Nous avons eu des morts. Nous avons un territoire américain sur lequel en ce moment même hotte un drapeau étranger. Mais notre capacité de riposte efficace a été sévèrement compromise - sans parler du petit problème que nous avons ici. Demain matin, les marchés et le système bancaire vont devoir affronter un certain nombre de réalités désagréables.
- CoÔncidence intéressante ", nota Ed. Il avait trop d'expérience dans le domaine du Renseignement pour croire encore aux coÔncidences. " qu'est-ce que va donner cette histoire, jack ? Vous en connaissez un rayon.
- Je n'ai pas la moindre idée. «a va être grave, mais jusqu'à quel point, et de quelle façon, personne n'a encore connu ça. Je suppose que (avantage, c'est qu'on ne peut pas tomber plus bas. L'inconvénient, c'est que l'état d'esprit qu'entraîne la situation est celui d'un individu coincé dans un immeuble en flammes
on est peut-être en sécurité là o˘ on est, mais on ne peut pas non plus en sortir.
- quelles agences bossent sur la question ? demanda Ed Foley.
- . quasiment toutes. Le Bureau chapeaute l'ensemble. C'est eux qui ont le plus d'enquêteurs disponibles. En fait, c'est un boulot pour la COB, mais ils n'ont pas assez d'effectifs pour un truc de cette ampleur.
- Jack, dans un laps de temps de moins de vingt-quatre heures, quelqu'un a organisé la fuite sur le Vice-président " - qui se trouvait en cet instant au Bureau Ovale, ils le savaient -, " le marché est parti à vau-l'eau, on a attaqué notre flotte du Pacifique, et vous venez nous dire que le plus grand danger pour notre pays est cette crise boursière. A votre place, mon ami...
- J'admets votre argument ", dit Ryan, coupant Ed avant qu'il puisse lui livrer sa vision complète des événements. Il prit quelques notes, en se demandant comment diable il allait pouvoir leur démontrer quoi que ce soit, vu la complexité de la situation boursière. " quelqu'un serait-il futé à ce point ?
- Les petits futés, c'est pas ce qui manque, Jack. Tous n'ont pas nos scrupules. " On aurait vraiment cru entendre SergueÔ NikolaÔtch, jugea Ryan ; et comme Golovko, Ed Foley était un vrai pro, pour qui la paranoÔa était en permanence un mode de
vie et bien souvent une réalité tangible. " Mais nous avons d'abord un souci immédiat...
- Ce sont trois bons éléments, intervint Mary Pat, saisissant la balle au bond. Nomuri a fait un beau boulot pour se fondre dans leur société : il a pris son temps, établi un solide réseau de contacts. Clark et Chavez constituent le meilleur couple d'agents dont nous disposions. Ils ont une excellente couverture et devraient être relativement en s˚reté.
- A un détail près, nota jack.
- Lequel? demanda Ed Foley, coupant la parole à son épouse.
- La DESP sait qu'ils travaillent.
- Golovko ? " demanda Mary Pat. Jack acquiesça sobrement. Elle poursuivit :
" Ce fils de pute. Vous savez, ce sont toujours eux les meilleurs. " Ce qui était un autre aveu pas franchement agréable pour madame le directeur adjoint des opérations de la CIA.
" Ne me dis qu'ils ont pris le contrôle de la tête du contreespionnage japonais ? demanda délicatement son mari.
- Pourquoi pas, chéri ? Ils font ça à tout le monde. " Ce qui était la stricte vérité. " Tu sais, des fois je me dis qu'on devrait engager certains de leurs gars, rien que pour nous donner des cours. " Elle marqua un temps. " Nous n'avons pas le choix.
- SergueÔ n'est pas venu me le dire comme ça, mais franchement, je ne vois pas par quel autre moyen il aurait pu le savoir. Non, admit jack avec la DAO, nous n'avons pas vraiment le choix. "
Même Ed le voyait à présent, ce qui ne voulait pas dire qu'il appréciait la chose. " Et qu'est-ce qu'ils nous demandent, ce coup-ci ?
- Ils veulent tout ce que nous fournira CHARDON. La situation les inquiète un tantinet. Ils ont été pris par surprise, eux aussi, à ce que m'a avoué
SergueÔ.
- Mais ils ont déjà un autre réseau en activité sur place. Il vous l'a également révélé, observa MP. Et il faut que ce soit un bon.
- Leur refiler notre butin avec CHARDON contre la seule garantie qu'on nous fichera la paix, c'est quand même pas rien, reprit Ed. Non, ça nous entraîne trop loin. Avez-vous songé à
toutes les implications, jack ? Cela revient à admettre que ce sont eux qui dirigent nos gars à notre place. " Et ça, Ed n'appréciait pas du tout, mais après quelques secondes de réflexion supplémentaire, il apparut évident qu'il ne voyait pas d'autre choix.
" Les circonstances sont intéressantes, mais SergueÔ avoue s'^tre f
e
e
e ait pi'ger, lui aussi. «a se tient. " Ryan haussa les 'paules, en se demandant une fois encore comment il était possible que trois des meilleurs pros du Renseignement de son pays ne soient pas capables de saisir ce qui se passait.
" Il aurait menti ? s'interrogea Ed. Franchement, ça ne tient pas vraiment debout.
- Mentir non plus, observa Mary Pat. Oh, j'adore ces énigmes en poupées russes. Bon, au moins on sait déjà qu'il y a des points qu'ils ignorent encore. Cela veut dire qu'il nous reste un tas de trucs à découvrir, et le plus tôt sera le mieux. Si on laisse le Renseignement russe diriger nos gars... c'est risqué, jack, mais... et merde, je ne crois pas que nous ayons le choix.
- Alors, je lui dis oui ? " demanda jack. Il devrait également obtenir l'accord du Président, mais ce serait plus facile que d'avoir eu le leur.
Les Foley échangèrent un regard et firent oui de la tête.
Un hélicoptère parvint à localiser un remorqueur de haute mer à cinquante nautiques du groupe de l'Enterprise et, gr‚ce àcet heureux concours de circonstances, la frégate Gary prit en charge la barge et dépêcha le remorqueur vers le porte-avions, o˘ il put relayer le croiseur Aegis et, au passage, accroître la vitesse du Big-E à neuf noeuds. Le patron du remorqueur calculait déjà le montant de la prime qu'il allait se ramasser aux termes du contrat de la Lloyds sur le sauvetage des navires en détresse, contrat que le CO du b‚timent de guerre avait signé avant de le lui restituer par l'hélico. Le montant admis par la jurisprudence était de dix à quinze pour cent de la valeur du bien sauvé. Un porte-avions, un groupe aérien et six mille hommes, estimait-on à bord du remorqueur. Dix pour cent de trois milliards de dollars, ça faisait combien ? Peut-être qu'ils se montreraient bons princes et transigeraient à cinq.
C'était à la fois très simple et très compliqué, comme toujours.
Midvvay leur avait envoyé en renfort des P-3C Orion qui patrouillaient autour du convoi en retraite. Il avait fallu une journée entière pour remettre en service les installations de l'atoll perdu au milieu de l'océan, et encore, cela n'avait été possible que parce que s'y trouvait une équipe d'ornithologues étudiant les albatros. Les Orion étaient à leur tour soutenus par des C-130 de la garde nationale aérienne de HawaÔ.
Toujours est-il que l'amiral dont le pavillon personnel flottait toujours sur le porteavions désemparé pouvait enfin contempler sur son image radar quatre appareils de lutte anti-sous-marine déployés autour de sa flotte, et commencer à se sentir un peu plus soulagé. Sa couronne extérieure de navires d'escorte scrutait les fonds avec ses sonars et, après une période initiale de quasi-panique, n'avait plus rien décelé d'inquiétant. Il aurait rallié Pearl Harbor d'ici vendredi soir et peut-être qu'avec un poil de vent, il parviendrait à faire décoller ses avions et renforcer ainsi leur sécurité.
L'équipage avait maintenant le sourire, nota l'amiral Sato en parcourant la coursive. L'avant-veille encore, ils se montraient gênés et honteux de l'"
erreur " commise par leur unité. Mais plus maintenant. Il avait pris l'hélicoptère pour aller en personne donner les instructions aux quatre Kongo. A deux jours de navigation des Mariannes, ils connaissaient désormais la teneur de leur exploit. Ou, du moins, en partie. La nouvelle des incidents avec les sous-marins n'était pas encore diffusée. Pour l'heure, tout ce qu'ils savaient, c'est qu'ils avaient vengé un grand tort commis contre leur pays, qu'ils l'avaient fait avec beaucoup d'habileté, en permettant au japon de récupérer des terres qui lui revenaient de droit -
et, croyaient-ils, sans effusion de sang. La réaction première avait été la stupéfaction. Entrer en guerre contre l'Amérique ? L'amiral leur avait expliqué que non, ce n'était pas réellement une guerre, sauf si les Américains décidaient d'en découdre, ce qu'il estimait improbable, mais qui restait une éventualité, les prévint-il, à laquelle ils devaient se préparer. La formation était maintenant déployée, trois mille mètres d'écart entre les b‚timents qui fonçaient vers l'ouest de toute la vitesse de leurs machines. Leur consommation de mazout était dangereusement élevée, mais il y aurait un pétrolier à Guam pour les ravitailler, et Sato voulait être au plus tôt sous son propre parapluie de matériel ASW.
Une fois à Guam, il pourrait envisager la suite des opérations. La première s'était déroulée avec succès. Avec de la chance, il n'y aurait même pas besoin d'une seconde, mais si c'était le cas, il avait quantité de détails à envisager.
" Contacts ? demanda l'amiral, en entrant au PC de combat.
- que du trafic civil sur les ondes, répondit l'officier de veille aérienne.
- Tous les appareils militaires sont équipés de transpondeurs, lui rappela Sato. Et tous fonctionnent de manière identique.
- Aucun contact en approche. "
La formation suivait un itinéraire délibérément écarté des couloirs aériens réservés normalement aux vols commerciaux, et un coup d'oeil sur le graphique permit à l'amiral de constater que tout le trafic y était cantonné. Certes, un avion de surveillance militaire pourrait toujours les détecter depuis l'un de ces corridors civils, mais les Américains avaient des satellites qui étaient presque aussi bons pour ça. Ses estimations s'étaient jusqu'ici révélées exactes. La seule menace qui le préoccupait vraiment venait des sous-marins, et celle-ci était gérable. Les missiles Harpoon et Tomahawk lancés de sous-marins constituaient un danger qu'il était prêt à affronter. Chaque destroyer avait allumé son radar SPY-1D et scrutait la surface. Tous les directeurs de tir étaient à leur poste. Tout missile de croisière lancé sur eux serait immédiatement détecté et engagé, d'abord par ses missiles SM2MR de fabrication américaine (mais améliorés au Japon), puis relayé par les canons Gatling de ses systèmes de défense rapprochée. Ils pourraient arrêter la majorité des " vampires " - c'était le terme générique employé pour désigner les missiles de croisière. Certes, un sous-marin pouvait s'approcher et lancer des torpilles, et une seule charge, pour les plus grosses, pouvait couler n'importe quel b‚timent de sa formation. Mais ils l'entendraient arriver et ses hélicoptères de lutte anti-sous-marine feraient leur possible pour harceler le submersible attaquant, l'empêcher de poursuivre l'engagement, voire simplement le couler. Les Américains n'avaient pas une telle quantité de sous-marins et, par conséquent, leurs commandants feraient montre de prudence, surtout si de son côté il réussissait à en ajouter un troisième àleur tableau de chasse.
que feraient les Américains ? Eh bien, que pouvaient-ils faire, eri vérité, maintenant ? se demanda-t-il. Ils avaient par trop réduit leurs forces. Ils comptaient sur leur capacité de dissuasion, oubliant que celle-ci s'articulait sur la crédibilité de leur capacité à agir en cas d'échec de la dissuasion : toujours la même vieille équation du " je veux pas mais je pourrais ". Malheureusement pour eux, les Américains avaient un peu trop compté sur le premier terme en négligeant le second et, selon toutes les règles connues de Sato, le temps qu'ils puissent de nouveau, leur adversaire serait en mesure de les stopper. Le plan stratégique d'ensemble qu'il avait contribué à exécuter n'avait rien d'inédit - il avait simplement été mieux exécuté que la première fois, estima-t-il, en contemplant le triptyque d'affichage sur lequel les symboles radar des appareils civils progressaient le long de leurs itinéraires définis, preuve tangible que le monde reprenait son visage normal, sans même une ride.
Le plus dur semblait toujours intervenir une fois les décisions prises, Ryan le savait. Le plus éprouvant en effet était moins de les prendre que d'avoir ensuite à vivre avec. Avait-il fait ce qu'il fallait ? Il n'y avait aucun critère de jugement, sinon la vision rétrospective, qui venait certes trop tard. Pis, celle-ci était toujours négative car il était rare qu'on réexamine après coup ce qui s'était bien passé. A un certain niveau, les événements cessaient d'avoir des contours définis. On soupesait les options, on soupesait les facteurs, mais bien souvent, on s'apercevait que quelle que soit la solution adoptée, quelqu'un allait en souffrir. Dans ces cas-là, l'idée était de provoquer le moins de dég‚ts possibles aux biens et aux personnes, mais même ainsi, des personnes en chair et en os allaient souffrir, qui sinon n'auraient pas souffert, et c'était en définitive vous qui choisissiez ceux qui seraient blessés - ou perdus -,tel quelque dieu indifférent de la mythologie. C'était encore pire si vous connaissiez certains des acteurs, parce que vous pouviez alors imaginer leur visage, entendre leur voix. La capacité à prendre de telles décisions était baptisée courage moral par ceux qui n'avaient pas à l'exercer, et stress par ceux qui y étaient contraints.
Et pourtant, il devait en prendre. Il avait accepté cette fonction en sachant pertinemment qu'il connaîtrait de tels moments. Il avait déjà mis Clark et Chavez en situation périlleuse dans le désert d'Afrique orientale, et il se souvenait confusément de son inquiétude à l'époque, mais la mission s'était bien déroulée, et par la suite, cela ne lui avait paru qu'un simple jeu, digne des tours pendables joués par les enfants pour Halloween, un habile petit chantage exercé par une nation contre une autre.
Et même si un être humain bien réel, en la personne de Mohammed Abdul Corp, y avait perdu la vie... eh bien, il était toujours facile de dire, a posteriori, qu'il avait mérité son sort. Ryan s'était permis de classer ce souvenir dans quelque tiroir caché, quitte à l'exhumer dans les années futures, le jour o˘ il succomberait au besoin d'écrire ses Mémoires. Mais pour l'heure, le souvenir était revenu, tiré des archives par la nécessité
de risquer à nouveau des vies humaines. Jack mit sous clé ses dossiers confidentiels avant de se rendre au Bureau Ovale.
" Je file voir le patron ", dit-il à l'agent du Service secret posté dans le couloir nord-sud.
" FINE LAME vers SAUTEUR ", annonça-t-il dans son micro, car pour ceux qui étaient chargés de protéger tout le monde dans ce qu'ils appelaient entre eux la " maison ", ils étaient moins des hommes que des symboles, des désignations, en fait, correspondant à leur fonction.
Mais je ne suis pas un symbole, avait envie de lui dire Jack. je suis un homme, un homme avec ses doutes. En chemin, il passa devant quatre autres agents et déchiffra leurs regards ; il y vit confiançe et respect, vit qu'ils comptaient sur lui pour savoir quoi faire, quoi dire au patron, comme s'il leur était, quelque part, supérieur, alors que lui seul savait qu'il n'en était rien. Il avait simplement commis l'erreur d'accepter un boulot dont les responsabilités dépassaient les leurs, dépassaient ce qu'il avait pu désirer.
" Pas marrant, hein ? fit Durling quand Jack entra dans le bureau.
- Non, pas trop. " Il s'assit.
Le Président lut simultanément sur le visage et dans les pensées de son conseiller et il sourit. " Voyons voir. Je suis censé vous conseiller de vous détendre, et vous êtes censé me conseiller la même chose, c'est ça ?
J- Difficile de prendre une décision correcte quand on est sirrstressé, reconnut Ryan.
- Ouais, à une exception. Si vous n'êtes pas stressé, votre décision n'a plus grand intérêt, et elle sera prise à un niveau inférieur. Les décisions graves, c'est d'ici qu'elles émanent. quantité de gens ont commenté ce fait
", nota le Président. C'était une observation remarquablement généreuse, se dit Jack, car elle ôtait délibérément une partie du fardeau de ses épaules pour lui rappeler qu'au bout du compte, il ne faisait que conseiller le Président. Il y avait de la grandeur chez cet homme assis derrière le vieux bureau de chêne. Jack se demanda si ce fardeau était lourd à supporter, et si sa découverte avait été pour lui une surprise -ou bien s'il n'y avait vu qu'une nécessité de plus à laquelle il devait s'atteler.
" D'accord, que voulez-vous ?
- J'ai besoin de votre autorisation pour une chose. " Ryan expliqua les offres de Golovko - la première faite à Moscou, la seconde à peine quelques heures plus tôt - et leurs implications.
" Est-ce que cela peut élargir notre perspective ?
- Possible, mais on n'en sait pas encore suffisamment pour juger.
- Et?
- Ce genre de décision remonte toujours à votre niveau, observa Ryan.
- Pourquoi dois-je...
- Monsieur, elle révèle à la fois l'identité de nos agents et leurs méthodes d'action. Je suppose que, techniquement, votre décision ne s'impose pas, mais il fallait tout de même vous en informer.
- Vous recommandez l'approbation. La question ne se posait pas.
- Oui, monsieur.
- On peut faire confiance aux Russes ?
- Je n'ai pas parlé de confiance, monsieur le président. Ce que nous avons là est une convergence de besoins et de capacités, avec éventuellement une petite possibilité de chantage.
- Allez-y ", dit le Président, sans trop y réfléchir. C'était peut-être moins une façon de lui marquer sa confiance que de redonner le fardeau des responsabilités à son visiteur. Durling
marqua un temps de quelques secondes avant de poser la question suivante. "
qu'est-ce qu'ils mijotent, Jack ?
- Les Japonais ? En fait, objectivement, ça ne tient pas debout. Les questions que je n'arrête pas de me poser, c'est pourquoi avoir coulé les sous-marins ? Pourquoi avoir délibérément choisi de tuer ? Franchement, je ne vois pas l'intérêt d'une telle escalade.
- Et surtout, pourquoi infliger ça à son principal partenaire économique ?
ajouta Durling, énonçant l'évidence. On ne risquait certainement pas d'être préparés à un coup pareil. "
Ryan hocha la tête. " Effectivement, tout nous est tombé dessus d'un seul coup. Et encore, on ne sait même pas ce qu'on ne sait pas. "
Le Président Durling inclina légèrement la tête. " quoi ? "
Jack esquissa un sourire. " C'est un truc que ma femme dit toujours, à
propos de la médecine : toujours savoir ce que l'on ne sait pas. On doit d'abord discerner quelles sont les questions avant de pouvoir se mettre à
chercher des réponses.
- Et comment faites-vous ça ?
- Mary Pat envoie les gars poser les questions. On épluche toutes les informations dont on dispose. On essaie alors de déduire à partir de ce qu'on sait, d'établir des connexions. Ce que tente de faire l'adversaire, sa façon de procéder peuvent être fort révélatrices. Ma question primordiale, pour l'instant, c'est pourquoi ont-ils coulé les deux sousmarins ? " Le regard de Ryan se perdit, au-delà du Président, vers la fenêtre et le Monument à Washington, ce grand obélisque de marbre blanc. "
Ils l'ont fait d'une manière qui, pensent-ils, nous offre une issue honorable. Nous pourrions toujours prétendre qu'il y a eu une collision ou un accident quelconque...
- Est-ce qu'ils pensent réellement nous voir accepter sans broncher les morts et...
- Ils nous ont tendu cette perche. Peut-être qu'ils ne pensent pas nous voir la saisir, mais ça reste une possibilité. " Ryan demeura silencieux une trentaine de secondes. " Non. Non, ils ne pourraient pas se tromper à
ce point sur notre compte.
- Continuez de réfléchir tout haut, commanda Durling.
- Nous avons par trop réduit notre flotte...
- Je n'ai pas besoin qu'on me le rappelle ", lui répondit-on avec une pointe d'agacement.
Ryan hocha la tête en élevant la main. " De toute façon, il est E~
trop tard pour se lamenter sur le pourquoi ou le comment, je le
- sais. Mais l'important, c'est qu'ils le savent eux aussi.
Tout le
.
monde sait de quoi nous disposons et de quoi nous ne disposons
plus ; et, avec les connaissances et la formation adéquates, on peut en déduire de quoi nous sommes capables. Ne reste plus dès lors qu'à organiser vos opérations en combinant ce dont vous êtes capable, et ce dont l'adversaire est capable pour vous en empêcher.
- «a paraît logique. D'accord, continuez.
- Avec la disparition de la menace russe, la flotte de sousmarins n'a pratiquement plus de raison d'être. C'est parce qu'un sous-marin n'est bon qu'à deux choses, en fait. Tactiquement, c'est l'arme idéale pour couler d'autres sous-marins. Mais stratégiquement, ils sont limités. Ils ne peuvent contrôler la mer avec la même efficacité que les b‚timents de surface. Ils ne peuvent
pas déployer leur puissance. Ils ne peuvent pas transporter de troupes ou de matériel d'un endroit à un autre, or c'est précisément ce que signifie la maîtrise des mers. " Jack fit claquer ses doigts. " En revanche, ils peuvent interdire la mer aux autres, et le Japon est une nation insulaire.
Donc, ils redoutent l'interdiction des mers. " Ou, ajouta mentalement jack, ils ont simplement fait ce dont ils étaient capables. Ils ont endommagé les porte-avions parce qu'ils ne pouvaient guère faire plus. Ou le pouvaient-ils ? Bigre, c'était encore trop compliqué.
" Donc, on pourrait les étrangler avec nos sous-mari demanda Durling.
- Peut-être. On l'a déjà fait. Le problème, c'est qu'on n'en a plus beaucoup, ce qui leur facilite bougrement la t‚che. Mais leur atout ultime contre une telle manceuvre de notre part est leur capacité nucléaire. Ils répondent à une menace stratégique dirigée contre eux par une menace stratégique dirigée contre nous, une dimension dont ils ne disposaient pas en 1941. Il y a
un élément qui nous échappe, monsieur. " Ryan hocha la tête, fixant toujours le monument derrière les vitres épaisses àl'épreuve des balles. "
Il y a un truc énorme qui nous échappe.
- Le pourquoi?
- Ce pourrait être le pourquoi. Mais d'abord, je veux savoir le quoi. Ils veulent quoi, au juste ? quel est leur objectif final ?
64
vous ne vous demandez pas pourquoi ils font ça ? "
tcyan tourna la tête, croisa le regard du Président. " Monsieur, la décision de déclencher une guerre n'est presque jamais rationnelle. La Première Guerre mondiale : conséquence de l'assassinat d'un imbécile par un autre imbécile, un événement qui fut adroitement manipulé par Leopold je ne sais plus qui, "Poli", comme ils disaient, le ministre des Affaires étrangères autrichien. Un manipulateur habile, mais qui avait oublié de tenir compte d'un simple facteur : que son pays n'avait pas les moyens de parvenir à ses fins. L'Allemagne et l'Autriche-Hongrie ont déclenché la guerre. Elles l'ont perdue toutes deux. La Seconde Guerre mondiale : Allemagne et Japon affrontent le monde entier, sans s'imaginer un seul instant que le reste du monde pourrait être plus fort qu'eux. " Ryan poursuivit. " C'est particulièrement vrai du Japon : ils n'ont jamais réellement eu de plan pour nous défaire. Réfléchissez bien. La guerre de Sécession, déclenchée par les sudistes. Les sudistes ont perdu. La guerre franco-prussienne de 1870, déclenchée par la France. La France a perdu.
Presque tous les conflits, depuis le début de la révolution ndustrielle, ont été déclenchés par le camp qui s'est retrouvé finalement vaincu. CqFD : faire la guerre n'est pas un acte rationnel. Par conséquent, l'idée sous-jacente, c'est que le pourquoi n'a pas forcément d'importance, puisque, de toute façon, ces raisons seront probablement fallacieuses.
- Je n'y avais jamais songé, jack. "
Ryan haussa les épaules. " Certains trucs sont trop évidents, comme l'a fait remarquer ce matin Buzz Fiedler.
- Mais si le pourquoi n'a pas d'importance, le quoi n'en a pas non plus...
- Si, au contraire, parce qu'il permet de discerner l'objectif si l'on peut cerner ce qu'ils veulent, alors on peut leur en interdire l'accès. C'est ainsi qu'on commence à vaincre un ennemi. Et puis, vous savez, l'autre finit par s'intéresser tellement à ce qu'il veut, à se polariser tellement sur l'importance de son objectif, qu'il finit par oublier qu'un autre pourrait tenter de l'empêcher d'y parvenir.
- Comme un malfrat qui ne pense qu'à attaquer un marchand de liqueurs ?
demanda Durling, à la fois amusé et impressionné par l'exposé de Ryan.
= La guerre est le parangon de l'acte criminel suprême, c'est du'vol à main armée sur une grande échelle. Et qui se ramène toujours à une histoire de convoitise. Il s'agit toujours d'une nation voulant s'approprier le bien d'une autre. Pour la vaincre, il suffit de discerner ce qu'elle veut et de lui en interdire l'accès. Les germes de sa défaite se trouvent généralement dans ceux de son désir.
- Le Japon ? La Seconde Guerre mondiale ?
- Ils voulaient un véritable empire. En gros, ils voulaient précisément ce qu'avaient les Britanniques. Ils s'y sont pris simplement un siècle trop tard. Ils n'avaient jamais prévu de nous battre, tout au plus de... " Il se tut soudain, une idée se formait. " Tout au plus de parvenir à leurs fins en nous contraignant àl'accepter. Bon Dieu, fit Ryan dans un souffle. C'est ça! C'est la même histoire qui recommence. La même méthode. Le même objectif? " s'interrogea-t-il, tout haut. Cést là, se dit le chef du Conseil national de sécurité. Là, tout près. Si tu peux le découvrir. Le découvrir entièrement.
" Mais nous avons un premier objectif de notre côté, remarqua le Président.
- Je sais. "
George Winston se disait qu'il était comme un vieux cheval tirant une pompe à incendie : il fallait qu'il réponde dès que sonnaient les cloches. Sa femme et ses enfants étaient restés dans le Colorado, et lui se retrouvait au-dessus de l'Ohio, assis à l'arrière de son Gulfstream, contemplant en dessous de lui le rond de lumières d'une ville. Cincinnati, sans doute, même s'il n'avait pas demandé aux pilotes leur plan de vol pour rallier Newark.
Sa motivation était en partie intéressée. Sa fortune personnelle avait durement souffert des événements du vendredi précédent cela se chiffrait par centaines de millions. La nature de l'incident, son choix de répartir ses investissements sur plusieurs institutions avaient entraîné des pertes considérables, car cela l'avait rendu vulnérable à
toutes les variantes de programmes boursiers informatisés. Mais ce n'était pas qu'une question d'argent. D'accord, se disait-il, bon, j'ai perdu deux cents b‚tons. Il m en reste encore pas mal quand même... Le plus grave, c'étaient les dég‚ts occasionnés au système entier, et tout particulièrement au Groupe Columbus. Son bébé avait encaissé le choc de plein fouet, et tel un père retournant auprès de sa fille mariée en période de crise conjugale, il se rendait compte que son enfant lui appartiendrait toujours. J'aurais d˚ être là, se reprocha-t-il. J'aurais pu le voir et l'arrêter. Dans le pire des cas, protéger mes investisseurs. La totalité des effets ne s'était pas encore fait sentir, mais ils étaient si graves qu'ils dépassaient presque l'entendement. Winston devait faire quelque chose, il devait proposer son expérience, ses conseils. Il se sentait toujours responsable de ses investisseurs.
Le vol jusqu'à Newark se déroula sans encombre. Le Gulfstream se posa en douceur et roula jusqu'au terminal d'aviation générale, o˘ une voiture l'attendait, conduite par un de ses anciens collaborateurs. L'homme ne portait pas de cravate, ce qui était inhabituel pour un ancien de Wharton.
Mark Gant n'avait pas dormi depuis cinquante heures et il s'appuyait contre la carrosserie car il avait l'impression que le sol se dérobait sous ses pieds, au rythme d'une migraine qui pouvait se mesurer sur l'échelle de Richter. Malgré tout, il était content d'être ici. Si quelqu'un était capable de les tirer de ce pétrin, c'était bien son ancien patron. Sitôt qu'il vit son jet privé s'immobiliser, il se précipita pour l'accueillir au bas de l'échelle.
" Grave ? " fut le premier mot de George Winston. Il y avait de la chaleur entre les deux hommes, mais les affaires passaient d'abord.
" On ne sait pas encore, dit Gant en le conduisant à la voiture.
- Vous ne savez pas ? " L'explication devrait attendre qu'ils soient à
l'intérieur. Sans un mot, Gant lui tendit le premier cahier du Times.
" C'est pour de bon ? " Lecteur rapide, Winston parcourut rapidement les deux colonnes de présentation, et fila à la page vingt et un lire la fin du papier encadré par des publicités pour de la lingerie féminine.
La seconde révélation de Gant fut que le nouveau directeur installé par Raizo Yamata avait disparu. " Il a repris un avion pour le Japon vendredi soir. II disait que c'était pour presser Yamata-san de venir à New York aider à redresser la situation. A moins qu'il ne veuille se faire hara-kiri devant son patron. Merde, qui peut le dire ?
-- Bon Dieu, Mark, qui est responsable, ici ?
= 'Personne. Et c'est pareil pour tout le reste.
- Bordel de merde, Mark, il faut bien quelqu'un pour donner des ordres !
- Nous n'avons pas les moindres instructions, répondit le cadre dirigeant.
J'ai appelé le mec. Il n'est pas au bureau - et pourtant, j'ai laissé des messages, j'ai essayé de le contacter chez lui, chez Yamata, merde, j'ai essayé de les avoir tous, que ce soit à leur bureau, à leur domicile. Nada, George. Tout le monde a filé se planquer. Bon Dieu, pour autant que je sache, l'enculé a aussi bien pu se jeter par la fenêtre.
- Bon, tu me files un bureau et toutes les données dont tu disposes, dit Winston.
- Les données, quelles données ? On a peau de balle. Tout le système s'est crashé, je te signale.
- T'as quand même les enregistrements de nos transactions, non ?
- Ma foi, ouais, j'ai nos bandes - enfin, une copie, en tout cas, se reprit Gant. Le FBI a embarqué les originaux. "
Technicien brillant, il avait toujours gardé un faible pour les mathématiques. Vous lui donniez les instructions idoines et il vous manipulait le marché comme un habile tricheur de cartes. Mais à l'instar de la plupart de ses collègues de Wall Street, il avait besoin d'un autre pour l'aider à décider. Enfin, tout homme avait ses limites, et il fallait lui rendre cette justice qu'il était intelligent, honnête, et surtout, conscient de ses limites. Il savait quand il devait réclamer un coup de main. Cette dernière qualité le plaçait dans la tranche supérieure des trois ou quatre pour cent.
Donc, il a d˚ se rabattre sur Yamata et son second pour leur demander conseil...
" Au moment du plongeon, quelles instructions avais-tu ?
- Des instructions ? " Gant massa son visage mal rasé et secoua la tête. "
Merde, on s'est cassé le cul pour t‚cher d'éviter le plus gros du choc. Si la DTC arrive à recoller les morceaux, on devrait s'en tirer avec un minimum de pertes. J'ai posé une méga-option sur la Général Motors et fait une vrai razzia sur les placements en or, et...
- Ce n'est pas ce que je veux dire.
- Il a dit de saisir la balle au bond. Il nous avait fait dégager des valeurs bancaires en quatrième vitesse, Dieu merci. A croire qu'il l'avait senti venir. On était plutôt bien placés avant que tout s'effondre. S'il n'y avait pas eu cette débandade générale -je veux dire, merde, George, ça a fini par arriver, tu sais... Les coups de téléphone paniqués... Merde, si seulement les gens avaient pu garder la tête froide. " Un soupir. " Mais non, et maintenant, avec ce bordel à la DTC... George, je ne sais pas ce que ça va donner à l'ouverture, demain matin. Si c'est vrai, s'ils arrivent à tout reconstituer d'ici là, hé, mec, non, j'en sais rien, franchement, j'en sais rien ", conclut Gant, alors qu'ils entraient dans le tunnel de Lincoln.
Toute l'histoire de Wall Street résumée en un paragraphe, se dit Winston, en contemplant le carrelage brillant qui recouvrait les parois. C'était comme ce tunnel, en fait : on pouvait voir devant, on pouvait voir derrière, mais on ne voyait rien sur les côtés. Impossible de voir au-delà
d'une perspective limitée.
Et pourtant, il fallait.
" Mark, je siège toujours au conseil de la boîte.
- Ouais, et alors ?
- Et toi aussi, souligna Winston.
- Je sais bien, mais...
- A nous deux, on peut demander la convocation d'un conseil d'administration. Commence à passer les coups de fil, ordonna George Winston. Dès qu'on sera sortis de ce foutu trou à rats.
- Pour quand ?
- Pour tout de suite, bordel de merde! jura Winston. Ceux qui ne sont pas en ville, j'enverrai mon avion les chercher.
- La plupart sont au bureau. " C'était à peu près la seule bonne nouvelle qu'il avait entendue depuis vendredi après-midi, nota George, et il fit signe à son ancien employé de poursuivre. " Je suppose que la plupart des autres boîtes sont fermées. "
Ils ressortirent du tunnel à cet instant. Winston décrocha le téléphone cellulaire et le tendit à son collaborateur.
" Vas-y, commence. " Winston se demanda si Gant savait ce qu'il allait indiquer comme ordre du jour. Sans doute pas. Le gars était valable dans les tunnels, mais il n'avait jamais su outrepasser ses limites.
,Uon Dieu, quelle mouche m'a piqué de filer ? se demanda Winston. «a ne donnait rien de bon de laisser l'économie américaine aux mains d'individus qui ne savaient même pas comment elle fonctionnait.
" Eh bien, ça a marché ", dit l'amiral Dubro. La vitesse de la flotte redescendit à vingt noeuds. Ils étaient à présent à deux cents milles plein est du cap de Dondra. Il leur fallait plus de place pour évoluer, mais parvenir jusqu'ici était déjà un beau succès. Les deux porte-avions s'écartèrent, leurs groupes respectifs se divisant pour former un anneau protecteur autour des b‚timents amiraux de la flotte, l'Abraham Lincoln et le Dwight D. Eisenhower. D'ici une heure, les deux formations auraient perdu le contact visuel, ce qui était parfait, mais cette course à grande vitesse avait vidé les cuves, et c'était fort ennuyeux. Rançon du progrès, les porte-avions nucléaires se retrouvaient paradoxalement à jouer les pétroliers. Ils transportaient dans leurs soutes des tonnes de mazout pour leurs navires d'escorte à propulsion classique, ce qui leur permettait de les ravitailler quand le besoin s'en faisait sentir. Ce qui n'allait pas tarder. Les pétroliers de la flotte, le Yukon et le Rappahannock, étaient partis de Diego Garcia avec quatre-vingt mille tonnes de mazout à eux deux, mais la partie devenait de plus en plus serrée. L'éventualité d'une confrontation obligeait Dubro à garder en permanence ses soutes pleines à
ras bord. Confrontation signifiait possibilité de bataille navale, et toute bataille exigeait de la vitesse, pour se jeter dedans, mais surtout pour dégager au plus vite par la suite.
" Toujours pas de nouvelles de Washington ? " demanda-t-il au capitaine de frégate Harrison.
Ce dernier secoua la tête. " Non, amiral.
- Bien ", répondit le commandant du groupe de combat, avec un calme dangereux. Puis il se dirigea vers la salle des transmissions. Pour le moment, il avait déjà réussi à résoudre un problème opérationnel majeur, il pouvait à présent se défouler en allant engueuler quelqu'un.
27
Accumulation
PAu'tou'r, les retards s'accumulaient, se multipliaient en cascade par vagues successives : on n'allait nulle part, mais on y allait à la vitesse grand V. Ville d'ordinaire habituée à gérer et canaliser les fuites, Washington, avec ses cohortes de fonctionnaires, était trop débordée par ces quatre crises simultanées pour répondre efficacement à l'une ou l'autre. Rien de tout cela n'était inhabituel - constat qui aurait pu paraître déprimant pour les acteurs du drame, mais bien s˚r, ils n'avaient guère de temps àperdre en digressions de ce genre. La seule bonne nouvelle, estima Ryan, c'est que l'affaire la plus grave ne s'était pas encore ébruitée. Pas encore.
" Scott, quels sont tes meilleurs spécialistes du japon ? " Adler fumait toujours et il avait pris avec lui ses réserves. Ryan dut faire appel à
tout ce qui lui restait de volonté pour ne pas lui réclamer une cigarette, mais il ne pouvait pas non plus demander à ses hôtes de s'abstenir de fumer. Il fallait bien qu'ils gèrent leur stress comme ils pouvaient. Le fait que Scott emploie la même méthode que lui naguère n'était qu'un désagrément supplémentaire dans un week-end devenu infernal encore plus vite qu'il ne l'aurait cru possible.
" Je peux réunir un groupe de travail. qui le dirige ?
- Toi, dit jack.
- que va dire Brett ?
- Il dira "Bien, monsieur", quand le Président le lui annoncera, répondit Ryan, trop crevé pour être poli.
- Ils nous tiennent par la peau des couilles, jack.
- Combien d'otages potentiels ? " Il ne s'agissait pas seulement des quelques derniers soldats en garnison. Il devait y avoir des milliers de touristes, d'hommes d'affaires, de journalistes, d'étudiants...
" Nous n'avons aucun moyen de l'établir, Jack. Aucun, admit Adler. Un bon point, c'est qu'on n'a aucune indication de mauvais traitements. On n'est plus en 1941, enfin, je ne crois pas.
- Si jamais ça recommence... " La plupart des Américains avaient oublié les traitements infligés aux prisonniers étrangers. Pas Ryan. " Cette fois, on se f‚chera vraiment. Il faut qu'ils le sachent.
- Ils nous connaissent bien mieux qu'ils ne nous connaissaient à l'époque.
Nos échanges se sont tellement multipliés. En outre, nous aussi, on a pas mal de leurs ressortissants chez nous.
- N'oublie pas, Scott, que leur culture est fondamentalement différente de la nôtre. Leur religion est différente. Leur vision de la place de l'homme dans la nature est différente. La valeur qu'ils attribuent à la vie humaine est différente, remarqua sombrement le chef du Conseil national de sécurité.
- Il ne s'agit pas de tomber dans le racisme, Jack, observa Adler, pincé.
- Ce sont simplement des faits. Je n'ai pas dit qu'ils nous étaient inférieurs. J'ai dit que nous n'allions pas commettre l'erreur d'imaginer que leurs motivations sont identiques aux nôtres - d'accord ?
- Ce n'est pas faux, je suppose, concéda le secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères.
- Par conséquent, je veux avoir sous la main des gens qui comprennent réellement leur culture afin de me conseiller. Je veux des gens qui pensent comme eux. " Le plus dur, ce sera de leur trouver de la place, mais il y a des bureaux en dessous dont on pourra vider les occupants, même s'ils doivent r‚ler en invoquant le protocole et leur poids politique.
- Je peux t'en dénicher quelques-uns, promit Adler.
- qu'est-ce que ça donne, du côté des ambassades ?
- Personne ne sait grand-chose jusqu'à présent. Il y a toutefois un développement intéressant en Corée.
- quoi donc ?
- Notre attaché militaire à Séoul est allé rendre visite à des amis pour demander que certaines bases soient mises en état d'alerte. Ils ont poliment refusé. C'est la première fois que les Coréens nous disent non. Je suppose que leur gouvernement essaie encore de trouver le fin mot de l'histoire.
- De toute façon, c'est un peu tôt pour se lancer là-dedans.
- Est-ce qu'on va se décider à agir ? "
Ryan secoua la tête. " Je n'en sais encore rien. " Puis le téléphone sonna.
" Le NMCC sur le STU, Dr Ryan.
- Ryan, dit Jack en allant décrocher le téléphone crypté. Oui, passez-le-moi. Merde..., fit-il si doucement qu'Adler l'entendit à peine. Amiral, je vous recontacte un peu plus tard dans la journée.
- Allons bon, quoi encore ?
- Les Indiens ", lui dit Ryan.
" Je déclare la séance ouverte ", dit Mark Gant en tapant sur la table avec son stylo. Seuls la moitié des sièges plus deux étaient occupés, mais le quorum était atteint. " George, tu as la parole. "
Ce que lisait George Winston dans leurs regards le troublait. D'abord, tous ces hommes et femmes qui décidaient de la politique du Groupe Columbus étaient physiquement épuisés. Ensuite, ils étaient paniqués. Mais surtout, ce qui lui faisait le plus de peine, c'était l'espoir qu'ils montraient en sa présence, comme s'il était jésus venu chasser les marchands du Temple.
Ce n'était pas sain. Nul homme n'était censé détenir un tel pouvoir.
L'économie américaine était trop vaste. Trop de gens en dépendaient. Et, par-dessus tout, elle était trop complexe pour être embrassée par un seul homme, voire dix ou vingt. C'était là le problème des modèles sur lesquels tout le monde s'appuyait. Tôt ou tard, on finissait par vouloir évaluer, mesurer et réguler ce qui simplement existait, marchait, fonctionnait. Les gens le réclamaient, mais personne ne pouvait réellement fournir une explication. Les marxistes avaient cru la détenir, et cette illusion avait été leur erreur fondamentale. Les Soviétiques avaient passé trois générations à vouloir orienter de force l'économie, au lieu de la laisser livrée à elle-même, et ils avaient fini à l'état de mendiants dans le pays le plus riche du monde. Et ce n'était guère différent ici. ¿u lieu de chercher à contrôler l'économie, on essayait d'en tirer profit, mais dans l'un et l'autre cas, il fallait laisser croire qu'on en saisissait les mécanismes. Et personne n'en était capable, sinon dans les grandes lignes.
Fondamentalement, tout se résumait à des besoins et à du temps. Les hommes ont des besoins, le vivre et le couvert étant les deux premiers. Certains doivent donc se charger de cultiver et de b‚tir. Ces deux activités réclament également du temps, et puisque le temps est pour l'homme son bien le plus précieux, il faut le dédommager de son utilisation. Prenons l'exemple d'une voiture - on a également besoin d'être transporté. quand on achète une voiture, on paie pour le temps passé à son montage, pour le temps passé à en fabriquer toutes les pièces ; au bout du compte, on paie les mineurs pour le temps passé à extraire du sol le minerai de fer et la bauxite. Jusque-là, tout est relativement simple. La difficulté surgit avec les options potentielles. On peut conduire plus d'un modèle de voiture.
Chaque fournisseur de biens et de services impliqué dans le processus a le choix entre diverses sources d'approvisionnement, et puisque le temps est précieux, celui qui l'utilise le plus efficacement prend un avantage supplémentaire. «a s'appelle la compétition, et la compétition est une course sans fin de chacun contre tout le monde. Fondamentalement, chaque entreprise et, en un sens, chaque individu contribuant à l'économie américaine entrent en compétition avec tous les autres. Tout le monde est producteur. Tout le monde est également consommateur. Chacun a quelque chose à fournir aux autres. Chacun choisit produits et services dans le vaste menu que propose l'économie. C'est l'idée de base.
La véritable complexité provenait de toutes les possibilités d'interactions. qui achète quoi à qui. qui gagne en efficacité, sachant le mieux gérer son temps, au profit des consommateurs et au sien propre. Avec tous ces participants, on est comme devant une foule immense o˘ tout le monde parlerait en même temps. Il devient tout bonnement impossible de suivre toutes les conversations.
Et pourtant, Wall Street entretenait l'illusion d'en être capable, d'avoir des modèles informatiques en mesure de prédire dans les grandes lignes ce qui se passait, jour après jour. Or, c'était impossible. On pouvait analyser les entreprises une à une, jauger
plus ou moins de la qualité de leur gestion. Dans une mesure limitée, l'une ou l'autre de ces analyses permettait de discerner des tendances et d'en tirer parti. Mais le recours à l'ordinateur et aux techniques de modélisation était allé trop loin : les extrapolations s'étaient de plus en plus éloignées de la réalité concrète, et si la méthode avait apparemment fonctionné pendant des années, elle n'avait fait qu'amplifier l'illusion.
Avec l'effondrement du vendredi précédent, cette illusion s'était brisée, et aujourd'hui, ils n'avaient plus rien à quoi se raccrocher. Rien, sinon moi, songea George Winston, en déchiffrant leurs visages.
L'ancien président du Groupe Columbus était conscient de ses limites. Il savait jusqu'à quel point il comprenait le système, et savait en gros o˘
s'arrêtait cette compréhension. Il savait que personne ne pouvait réellement faire marcher tout le bazar, et pour l'heure, il n'avait pas besoin d'en savoir plus en cette sombre nuit new-yorkaise.
" Vous m'avez l'air de ne plus avoir de chef, ici. qu'est-ce qui nous attend demain, selon vous ? " demanda-t-il, et tous les " astro-scientifiques " détournèrent les yeux, fixant la table ou échangeant un regard avec leur vis-à-vis. Trois jours plus tôt à peine, quelqu'un aurait pris la parole, émis son avis avec plus ou moins de confiance. Mais pas maintenant, parce que personne ne savait. Personne n'avait la moindre idée.
Et personne n'ouvrit la bouche.
" Vous avez un président. Est-ce qu'il vous a dit quelque chose ? " insista Winston. Signes de dénégation.
Comme il l'avait prévu, ce fut évidemment Mark Gant qui souleva la question : " Mesdames et messieurs, c'est le conseil d'administration qui choisit notre président et notre directeur général, n'est-ce pas ? Eh bien, nous avons besoin d'un dirigeant, maintenant.
- George, intervint un autre homme. Est-ce que vous êtes avec nous ?
- Apparemment, ou alors je suis le maître incontesté du déplacement astral.
" La blague n'était pas terrible, mais elle réussit néanmoins à susciter quelques sourires, à leur redonner un début d'entrain.
" Dans ce cas, je soumets la motion que l'on considère comme vacants les postes de président et de directeur général.
- Motion soutenue!
- Une motion est mise aux voix, annonça Mark Gant sur un; ton un peu plus assuré. qui est d'accord ? "
Il y eut un choeur de " pour ".
" Des voix contre ? "
Silence.
" Motion adoptée. La présidence du Groupe Columbus est désormais vacante. Y
a-t-il une autre motion à soumettre ?
- Je propose George Winston aux postes de directeur général et de président, dit une autre voix.
- Motion soutenue.
- qui est pour ? " demanda Gant. Le vote fut identique, sinon encore plus enthousiaste.
" George, bienvenue parmi nous. " Il y eut des applaudissements discrets.
" D'accord. " Winston se leva. Il avait repris les rênes. Puis il nota, mine de rien : " Il faudrait peut-être que quelqu'un prévienne Yamata. " Il se mit à arpenter la salle.
" Bon, première chose : je veux voir tout ce que nous avons sur les transactions de vendredi. Avant de commencer à réfléchir au meilleur moyen de réparer ce putain de truc, il faut d'abord savoir comment il a l‚ché. La semaine va être longue, les gars, mais on a tous ceux qui nous ont fait confiance à protéger. "
Cette première t‚che serait particulièrement difficile, Winston en était conscient. Il ignorait si quelqu'un serait en mesure de réparer le système, mais il leur fallait commencer par examiner ce qui avait bien pu clocher.
Il sentait qu'il touchait du doigt quelque chose. Il éprouvait cette sensation irritante qui accompagne toujours les renseignements fragmentaires sur un problème particulier. C'était en partie son instinct, il s'appuyait dessus, mais dans le même temps s'en méfiait, jusqu'à ce qu'il parvienne à effacer ce doute avec des faits concrets. Il y avait toutefois autre chose, mais il ignorait quoi. Sa seule certitude était qu'il devait absolument le trouver.
Même les bonnes nouvelles pouvaient être lourdes de menaces. Le général Arima passait une bonne partie de son temps devant les caméras de télé, et il finissait par y prendre go˚t. Sa dernière annonce était que tout citoyen désireux de quitter Saipan se verrait accorder un billet gratuit de retour aux …tats-Unis via Tokyo. Mais en gros, ce qu'il disait, c'est que rien de fondamental n'avait changé.
" Mon cul, oui, grommela Pète Burroughs à l'adresse du visage souriant sur le tube cathodique.
- Vous savez, j'arrive toujours pas à y croire, dit Oreza, ànouveau debout après cinq heures de sommeil.
- Moi, si. Jetez donc un ceil sur la colline, au sud-est d'ici. "
Portagee caressa sa joue mal rasée et obéit. A huit cents mètres de là, sur une éminence récemment déblayée pour la construction d'un nouveau complexe hôtelier (il n'y avait plus de plages disponibles sur l'île), une petite centaine d'hommes étaient en train de déployer une batterie de missiles Patriot. Les radars àantenne plate étaient déjà dressés, et alors qu'il regardait, les hommes mettaient en place le premier des quatre conteneurs parallélépipédiques.
" Bon, alors qu'est-ce qu'on fait, maintenant ? demanda l'ingénieur.
- Eh, je pilote des bateaux, moi, vous vous souvenez ?
- Mais vous portiez l'uniforme, dans le temps, non ?
- De garde-côtes, précisa Oreza. J'ai jamais tué personne. quant à ce truc... (il indiqua le site de missiles), merde, vous devez vous y connaître plus que moi.
- Ils sont fabriqués dans le Massachusetts. Chez Raytheon, je crois. Ma boîte leur fournit des puces. " C'était en gros tout ce qu'il savait. " Ils ont l'intention de rester, n'est-ce pas ?
- Ouais. " Oreza saisit ses jumelles et reprit son observation à la fenêtre. Il pouvait distinguer six carrefours. Chacun était surveillé par une dizaine d'hommes - une escouade; il connaissait le terme - avec jeeps ou Land Cruiser. Même si bon nombre d'entre eux avaient le pistolet à la ceinture, aucune arme automatique n'était visible, comme s'ils ne voulaient pas évoquer une junte sud-américaine de la bonne époque. Tous les véhicules qui passaient - apparemment, ils n'en arrêtaient aucun -avaient même droit à un salut amical. Les relations publiques, songea Oreza. Pas à dire, ils ont chiadé leur coup.
" Un putain de numéro de séduction ", commenta l'ex-major. Et ça n'aurait pas été possible s'ils n'avaient pas été superconfiants. Même les servants des missiles sur la colline voisine.
Auc˚ne précipitation : ils faisaient leur boulot tranquilles, bien peinards, en vrais pros. Sauf que, lorsqu'on comptait utiliser ce genre de matériel, on était un peu plus nerveux. On avait beau dire que l'entraînement était censé gommer les différences, il y avait une marge entre l'activité en temps de paix et celle en temps de guerre. Oreza reporta son attention sur les carrefours proches. Là non plus, les soldats n'étaient pas le moins du monde crispés. Ils ressemblaient à des soldats, agissaient comme des soldats, mais on ne les voyait pas tourner la tête pour scruter les alentours comme il était de mise en terrain hostile.
Cela aurait pu être rassurant. Pas d'arrestations de masse et de détentions arbitraires, lot habituel des invasions. Pas de déploiement de force outrancier, hormis une simple présence. On les aurait à peine remarqués, et pourtant ils étaient là et bien là, se dit Portagee. Avec la ferme intention de rester. Et ils paraissaient convaincus que personne n'allait leur disputer ce fait. Et ce n'était certainement pas lui qui serait en position de les faire changer d'avis.
" D'accord, donc, voilà les premiers rapports préliminaires, dit Jackson.
On n'a pas trop de temps pour tout voir en détail, mais...
- Mais on va le faire quand même, acheva Ryan. J'ai toujours ma carte d'officier de renseignements gouvernemental, tu te souviens ? Je suis capable d'analyser les données brutes.
- J'ai le feu vert pour être mis au courant ? s'enquit Adler.
- Vous l'avez maintenant. " Ryan alluma la lampe du bureau et Robby composa la combinaison sur le verrou de sa mallette. " quand doit se produire le prochain passage sur le Japon ?
- A peu près en ce moment, mais presque toutes les îles sont sous les nuages.
- On traque la bombinette ? " demanda Adler. L'amiral Jackson lui tendit la réponse.
" Vous l'avez dit, monsieur. " Il étala la première photo de Saipan. On distinguait deux barges porte-autos à quai. Le parc de stationnement voisin était rempli de rangées régulières de véhicules militaires, en majorité des camions.
" Meilleure estimation ? demanda Ryan.
- Une grosse division. " Son crayon effleura un groupe de véhicules. " ça, c'est une batterie de Patriot. Là, de l'artillerie tractée. Et là, apparemment, un gros radar de défense aérienne qu'on a démonté pour le transport. Le point culminant de ce caillou est une colline de quatre cents mètres, de quoi lui donner une portée intéressante : de là-haut, l'horizon visuel est bien àquatre-vingts kilomètres. " Une autre photo. " Les aéroports. Ce sont cinq chasseurs F-15 et, si vous regardez bien, on a réussi àsaisir deux de leurs F-3 en vol, en approche finale.
- Des F-3 ? demanda Adler.
- La version de production du FS-X, expliqua Jackson. De bonnes capacités, en fait, un F-16 retravaillé. Les Eagle, c'est pour la défense aérienne. Ce petit zinc est un bon appareil d'attaque.
- Il nous faut d'autres passes ", dit Ryan, d'une voix soudain devenue grave. quelque part, la crise était devenue réelle. Réellement réelle, comme il se plaisait à le dire. Métaphysiquement réelle. Ce n'étaient plus des résultats d'analyses ou de comptes rendus oraux. Désormais, il avait des preuves photographiques. Son pays était en guerre, plus aucun doute.
Jackson acquiesça. " Ce qu'il nous faut surtout, c'est des pros pour analyser ces photos aériennes, mais ouais, on aura quatre passages par jour, si le temps le permet, et il faudra qu'on examine chaque centimètre carré de ce rocher, mais aussi Tinian, Rota, Guam et tous les îlots.
- Bon Dieu, Robby, est-ce qu'on en est capables ? "demanda Jack. Bien que posée dans les termes les plus simples, la question avait des implications que même lui n'était pas encore en mesure d'apprécier. L'amiral Jackson mit du temps à quitter des yeux les photos satellitaires, et sa voix perdit soudain sa rage, laissant place au jugement professionnel de l'officier de marine.
" Je n'en sais encore rien. " Il marqua un temps, puis posa àson tour une question. " Est-ce qu'on va tenter le coup ?
- «a non plus, je n'en sais rien, lui dit le chef du Conseil national de sécurité. Robby ?
- Ouais, jack?
- Avant qu'on décide de se lancer, il faut qu'on sache si on en est capables. "
L'amiral Jackson acquiesça. " A vos ordres, chef. "
Il avait passé une bonne partie de la nuit à entendre ronfler son, partenaire. Ce gars était incroyable, se dit Chavez, à moitié dans les vapes. Merde, comment arrivait-il à dormir ? Le soleil était déjà levé, la frénésie matinale de Tokyo traversait portes et fenêtres avec son vacarme assourdissant, et monsieur roupillait toujours ! Eh bien, se dit son cadet, c'était un vieux, et il lui fallait peut-être son compte de sommeil. C'est alors que se produisit l'événement le plus incroyable depuis le début de leur séjour : le téléphone sonna. John ouvrit aussitôt les yeux, mais Ding avait été le premier à réagir.
" Tovarichtchii, dit une voix. Alors comme ça, depuis le temps qu'on est dans le pays, on ne pense même pas à m'appeler ?
- qui est à l'appareil ? " demanda Chavez. Il avait beau avoir studieusement travaillé son russe, l'entendre parler ici et maintenant au téléphone lui faisait l'effet d'entendre un martien. Il n'avait pas eu de mal à feindre le sommeil. Mais il n'eut soudain nul besoin de feindre la surprise.
Un rire jovial qui devait partir du coeur avait retenti à l'autre bout de la ligne. " Voyons, Evgueni Pavlovitch, qui donc, à votre avis ? Allez, rasez-vous la barbe et retrouvez-moi pour le petit déjeuner. J'attends en bas. "
Domingo Chavez sentit son coeur s'arrêter. Pas seulement manquer un battement : il aurait juré qu'il s'était réellement arrêté, jusqu'à ce qu'il lui commande de redémarrer, et quand il redémarra, ce fut avec un coefficient de distorsion trois. " Euh... laissez-nous quelques minutes...
- Ivan SergueÔevitch a encore trop bu, da ? demanda la voix dans un nouveau rire. Dites-lui qu'il est devenu trop vieux pour ce genre de bêtise. Fort bien, je vais commander du thé et attendre. "
Durant tout cet échange, Clark avait gardé les yeux rivés sur Chavez, du moins les premières secondes. Puis il se mit à scruter la chambre, guettant d'éventuelles menaces, tant le visage de son partenaire avait p‚li. Domingo n'était pas du genre à se laisser facilement effrayer, John le savait, mais quoi qu'il ait pu entendre au téléphone, ça l'avait paniqué.
Allons bon. John se leva et mit la télé. S'il y avait un danger quelconque derrière la porte, il était trop tard. La fenêtre n'offrait aucune issue.
Le couloir pouvait très bien être bourré de policiers en armes, sa première réaction fut de se rendre à la salle de bains. Clark s'examina dans la glace après avoir tiré la chasse d'eau. Chavez était derrière lui avant que le levier soit remonté.
" Je ne sais pas qui c'était, mais il m'a appelé "Evgueni". Il a dit qu'il attendait en bas.
- Son origine, à ton avis ?
- Russe : le bon accent, la bonne syntaxe. " L'eau finit de couler et ils se retrouvèrent à nouveau dans l'impossibilité de parler librement.
Merde, pensa Clark en cherchant une réponse dans la glace, mais pour n'y trouver que deux visages bien perplexes. Bon. L'agent de renseignements entreprit de se débarbouiller tout en envisageant les possibilités.
Réfléchis. S'il s'était agi de la police japonaise, auraient-ils pris la peine de... ? Non. Peu probable. Tout le monde considérait les espions comme des personnages dangereux, méprisables, un préjugé curieux hérité des films de James Bond. On avait à peu près autant de chances de voir des agents de renseignements déclencher une fusillade que de leur voir pousser des ailes et s'envoler. Leurs principales qualités physiques étaient de savoir courir et se planquer, mais personne n'avait l'air d'avoir bien saisi ce fait, et si les flics locaux en avaient eu après eux, eh bien...
eh bien, il se serait réveillé avec un pistolet sous le nez. Et ce n'avait pas été le cas, n'est-ce pas ? Bien. Donc, pas de danger immédiat.
Probablement.
Chavez ne fut pas peu surpris de voir Clark prendre son temps pour se laver les mains et la figure, se raser avec soin, et se brosser les dents avant de quitter la salle de bains. Il souriait même quand il eut terminé, parce que l'expression devait accompagner le ton de sa voix.
" Evgueni Pavlovitch, nous devons apparaître kulturn¸ aux yeux de notre ami, pas vrai ? Cela fait tant de mois. " Cinq minutes plus tard, ils avaient quitté la chambre.
Les dons de comédien ne sont pas moins importants chez les espions que chez les vrais acteurs de thé‚tre, car dans le monde du Renseignement comme sur les planches, on a rarement l'occasion de faire une nouvelle prise. Le commandant Boris Ilitch Cherenko était le rezidentadjoint de l'antenne du RVS à Tokyo. quatre heures auparavant, il avait été réveillé par un appel, apparemment anodin, de son ambassade. Sous la couverture d'attaché
culturel, il
avait été récemment chargé de mettre la dernière main à l'organisation d'une tournée au japon du Ballet de Saint-Pétersbourg. quinze ans durant officier à la Première division extérieure du KGB, il remplissait désormais les mêmes fonctions au sein du même organisme, de moindre envergure, qui lui avait succédé. Son boulot n'en était que plus important aujourd'hui, estimait Cherenko. Puisque sa nation était bien moins armée pour affronter les menaces extérieures, elle avait plus que jamais besoin d'obtenir des renseignements de valeur. Peut-être était-ce la raison de ce plan délirant.
A moins que les responsables à Moscou soient devenus complètement cinglés.
Difficile à dire. En tout cas, le thé était bon.
A l'ambassade l'avait attendu un message chiffré du central de Moscou - de ce côté, rien n'avait changé - avec des noms et des descriptions détaillées. Cela rendait l'identification facile. Plus facile que de comprendre les ordres qu'on lui avait donnés.
" Vania ! " Cherenko bascula presque pour saisir la main de l'aîné des deux hommes et la lui serrer chaleureusement, mais en lui épargnant le fameux baiser à la Russe. C'était en partie pour éviter de froisser la sensibilité
nippone et en partie parce que l'Américain risquait de lui loger un pruneau tellement ces gens étaient froids. En tout cas, folie ou pas, c'était un moment àsavourer. Il avait devant lui deux agents de la CIA, et les voir tirer un nez long comme ça en public... la situation n'était pas dénuée d'humour. " Cela fait si longtemps! "
Cherenko nota que le plus jeune faisait de son mieux pour dissimuler ses sentiments, mais sans trop de succès. Le KGB/RVS ne savait rien de lui. Son agence connaissait en revanche le nom de John Clark. Ce n'était qu'un nom et un bref signalement qui aurait pu convenir à un individu à peau blanche et de sexe masculin de n'importe quelle nationalité. Un mètre quatre-vingtcinq à quatre-vingt-dix. quatre-vingt-dix kilos. Cheveux bruns. Bonne forme physique. A quoi Cherenko pouvait ajouter : yeux bleus, poigne ferme.
Des nerfs solides. Très solides, même, estima le commandant.
" Eh oui... Et comment va la famille, mon ami? "
Et parlant un russe excellent, avec ça, releva Cherenko, en notant l'accent de Saint-Pétersbourg. Alors qu'il faisait l'inventaire des caractéristiques physiques de l'Américain, il réalisa que deux paires d'yeux, une bleue, une noire, lui rendaient la pareille.
" Natalia s'ennuie de vous. Venez! J'ai faim! A table! " Il ramena les deux autres vers sa table à l'angle de la salle.
CLARK JOHN (pas de deuxième prénom ?), tel était l'en-tête du mince dossier à Moscou. Un nom si anonyme qu'on ne lui connaissait pas d'autres identités d'emprunt et qu'on ne lui en avait peut-être jamais attribué. Agent de terrain, formation paramilitaire, aurait accompli des missions secrètes spéciales. Une brève affectation comme agent de sécurité et de protection rapprochée, période durant laquelle personne n'avait jugé utile de le photographier. Typique, songea Cherenko. Il contemplait à présent l'individu installé en face de lui et vit un homme détendu, relaxé, en compagnie du vieil ami qu'il avait rencontré pour la première fois deux minutes plus tôt, au grand maximum. Eh bien, il avait toujours su que la CIA employait des éléments de valeur.
" Ici, nous pouvons parler librement, dit Cherenko, plus doucement, toujours en russe.
- Est-il vrai que... ?
- Cherenko, Boris Ilitch, commandant, rezident adjoint " , dit-il enfin pour se présenter. Puis il salua de la tête chacun de ses hôtes. " Vous êtes John Clark... et Domingo Chavez.
- Et on est dans la putain de quatrième Dimension, grommela Ding.
- "Les fleurs du prunier s'épanouissent, et les femmes de plaisir achètent des foulards neufs dans une chambre de bordel." Pas précisément du Pouchkine, n'est-ce pas ? Pas même du Pasternak. Les petits barbares arrogants. " Il était au japon depuis trois ans. Arrivé avec l'idée de découvrir un endroit agréable, intéressant pour travailler, il avait fini par détester de nombreux aspects de la culture nippone, et en particulier la supériorité professée par les autochtones vis-à-vis de tout le reste du monde, attitude particulièrement vexante pour un Russe qui éprouvait exactement le même sentiment.
" Auriez-vous l'amabilité de nous dire de quoi il retourne, camarade commandant ? " demanda Clark.
Cherenko reprit, plus calme. L'humour de la situation était désormais derrière eux, même si les Américains ne l'avaient pas vraiment go˚té. "
Votre Maria Patricia FoleÔeva a téléphoné ànotre SergueÔ NikolaÔevitch Golovko, pour requérir notre assistance. Je sais que vous dirigez un autre agent ici même à Tokyo,
mais j'ignore son nom. J'ai également reçu instruction de vous dire, camarade Klerk, que votre femme et vos filles vont bien. Votre cadette est cette année encore parmi les meilleures étudiantes de sa promotion, et elle a de bonnes chances d'entrer en fac de médecine. S'il vous faut encore des preuves de ma bonne foi, j'ai bien peur de ne pas pouvoir vous aider. " Le commandant nota la discrète marque de plaisir sur les traits du plus jeune des deux Américains et s'interrogea sur ses raisons.
Eh bien, voilà qui résout la question, se dit John. Enfin, presque. " Ma foi, Boris, vous vous y entendez comme un chef pour captiver l'attention.
Alors, maintenant, s'agirait de nous expliquer ce qui se passe.
- On ne l'a pas vu venir, nous non plus " , commença Cherenko, et il en vint à l'essentiel. Clark nota que ses informations étaient légèrement meilleures que celles fournies par Chet Nomuri, mais qu'il ne savait pas non plus tout. Le Renseignement, c'est comme ça. On n'a jamais un tableau complet, et les éléments qui manquent sont toujours importants.
" Comment savez-vous que nous pouvons opérer sans risque ?
- Vous savez bien que je ne peux pas...
- Boris Ilitch, ma vie est entre vos mains. Vous savez que j'ai une femme et deux filles. Je tiens à la vie, pour moi, mais aussi pour elles ", expliqua John sur un ton raisonnable, renforçant encore son image aux yeux du pro assis en face de lui. Ce n'était pas qu'une question de trouille.
John se savait un agent de terrain capable, et Cherenko lui faisait la même impression. La "confiance" était un concept à la fois essentiel et étranger aux opérations de renseignements. Vous deviez faire confiance à vos hommes et, dans le même temps, vous ne pouviez jamais leur faire entièrement confiance dans un métier o˘ le dédoublement était un mode de vie.
" Votre couverture est plus efficace que vous ne l'imaginez. Les Japonais vous prennent pour des Russes. Cela étant, ils ne vous tracasseront pas.
Nous sommes là pour y veiller, lui dit avec confiance le rezident adjoint.
- Pour combien de temps ? demanda Clark - non sans une certaine malice, estima Cherenko.
- Certes, la question se pose toujours, n'est-ce pas ?
- Comment fait-on pour communiquer?
- Je crois savoir que vous avez besoin d'une ligne téléphonique de haute qualité. " Cherenko lui glissa une carte sous la table. " Tout le réseau téléphonique de Tokyo est désormais en fibres optiques. Nous avons plusieurs lignes similaires à Moscou. Votre matériel de communication spécial y est en cours d'acheminement, au moment o˘ nous parlons. Je me suis laissé dire qu'il était excellent. J'aimerais bien le voir, ajouta Boris, haussant le sourcil.
- Ce n'est jamais qu'une puce-mémoire, mon vieux, lui dit Chavez. Je saurais même pas vous dire laquelle c'est.
- Habile, commenta Cherenko.
- quelle est la gravité de leur menace ? reprit Chavez.
- Ils semblent avoir transporté un total de trois divisions sur les Mariannes. Leur marine a attaqué la vôtre. " Cherenko leur fournit tous les détails en sa possession. " Je dois vous dire que, selon nos estimations, vous risquez de connaître de sérieuses difficultés pour récupérer vos îles.
- Sérieuses comment ? " demanda Clark.
Le Russe haussa les épaules, non sans une certaine sympathie. " Moscou juge l'éventualité improbable. Vos capacités sont devenues presque aussi ridicules que les nôtres. "
Et c est bien pour ça qu'on en est arrivé là, décida aussitôt Clark. Et pour ça qu'il se retrouvait avec un nouvel ami dans un pays étranger. Il l'avait dit à Chavez, quasiment à leur première rencontre, citant Henry Kissinger : " Même les paranoÔaques ont des ennemis. " Il se demandait parfois pourquoi les Russes ne frappaient pas cette devise sur leur monnaie, à l'instar du Epluribus unum des Américains. Et le comble, c'est qu'ils avaient leur histoire entière pour le démontrer. Idem d'ailleurs pour les Américains.
" Continuez.
- Nous avons complètement infiltré leurs services de renseignements, y compris ceux de l'armée, mais CHARDON est un réseau commercial, et j'ai cru comprendre que vous aviez obtenu de meilleures informations que moi. Je ne suis pas s˚r de ce que cela signifie. " Ce qui n'était pas strictement exact, mais Cherenko faisait le distinguo entre ses renseignements et ses opinions ; et en bon espion, il n'exprimait que les premiers.
" Donc, en résumé, on a tous les deux du pain sur la planche. "
«herenko acquiesça. " N'hésitez pas à passer à la chancellerie. -r Prévenez-moi quand le matériel de communications sera parvenu à Moscou. "
Clark aurait pu poursuivre, mais il se retint. Il ne serait vraiment s˚r de son coup que lorsqu'il aurait reçu le visa électronique adéquat. C'était si étrange qu'il en ait besoin, mais si Cherenko disait vrai sur le degré
d'infiltration du gouvernement japonais, alors il pouvait fort bien avoir été " retourné "lui aussi. Dans ce milieu, les vieilles habitudes avaient toujours la vie dure. Le seul fait réconfortant était que son interlocuteur était conscient de ses hésitations et ne semblait pas, pour l'heure, s'en formaliser.
" Entendu. "
Il ne fallait pas grand monde pour encombrer le Bureau Ovale. Le centre névralgique de ce que Ryan espérait toujours être la nation la plus puissante de la planète était en fait plus petit que le bureau qu'il avait occupé durant sa période de retour au monde de la finance - plus petit même que son actuel bureau d'angle dans l'aile ouest, s'aperçut-il pour la première fois.
Ils étaient tous crevés. Brett Hanson était particulièrement hagard. Seul Arnie van Damm avait l'air à peu près normal, mais d'un autre côté, Arnie donnait toujours l'impression de relever d'une cuite. Buzz Fiedler semblait au bord du désespoir. Malgré tout, c'était le ministre de la Défense qui paraissait le plus abattu. C'était lui qui avait supervisé la réduction des armements de son pays, lui qui, presque chaque semaine, avait répété au Congrès que nos capacités surpassaient de loin nos besoins. Ryan se souvenait des interventions télévisées, des rapports internes remontant à
plusieurs années, des objections désespérées des chefs d'état-major qu'on avait scrupuleusement omis d'ébruiter dans les médias. Il n'était pas difficile de deviner les sentiments du ministre de la Défense. Ce brillant bureaucrate, si confiant dans sa vision et son jugement, venait de percuter ce mur rigide et impitoyable qui s'appelait la réalité.
" Le problème économique, lança le Président Durling, au grand soulagement de son ministre de la Défense.
- Le plus délicat, c'est les banques. Elles vont rester planquées, mortes de trouille, tant qu'on n'aura pas rectifié la situation de la DTC. Elles sont tellement nombreuses de nos jours às'être lancées dans l'investissement sur le marché boursier qu'elles ne savent même plus le montant de leurs réserves. Les clients vont vouloir récupérer l'argent de leurs fonds communs de placement gérés par ces banques. Le gouverneur de la Réserve fédérale a déjà commencé à leur remonter le moral.
- En leur disant quoi ? demanda jack.
- En leur disant qu'elles avaient une ligne de crédit illimitée. que les réserves en liquidités suffiraient à couvrir leurs besoins. qu'ils pouvaient emprunter tout l'argent qu'ils voulaient.
- Politique inflationniste, observa van Damm. Très dangereux.
- Pas vraiment, objecta Ryan. A court terme, l'inflation est comme un mauvais rhume, qu'on soigne avec deux aspirines et un bouillon Kub. Ce qui s'est passé vendredi est l'équivalent d'un infarctus. Il faut le traiter d'urgence. Si les banques n'ouvrent pas à l'heure habituelle... La confiance, voilà le maître mot, Buzz a raison. "
Une fois encore, Roger Durling remercia le ciel que son départ du gouvernement ait amené Ryan à réintégrer les milieux financiers.
" Et les marchés ? demanda le Président à son ministre des Finances.
- Fermés. J'ai discuté avec toutes les places. Tant que les archives de la DTC ne seront pas reconstituées, aucune transaction n'aura lieu.
- Ce qui veut dire ? " intervint Hanson. Ryan nota que le ministre de la Défense restait muet. D'habitude, le gars était pétant de confiance, lui aussi, toujours prêt à fournir son opinion sur tout. En d'autres circonstances, il aurait jugé fort bienvenue cette réticence inédite.
" Vous n'êtes plus obligé de négocier les actions au parquet de Wall Street, expliqua Fiedler. Vous pouvez très bien le faire dans les toilettes du country-club si ça vous chante.
- Et les gens ne s'en priveront pas, ajouta Ryan. Pas des masses, mais il y en aura.
- Est-ce que cela va jouer? Et les places étrangères? demanda Durling. Nos valeurs se négocient dans le monde entier.
-- Pas assez de liquidités à l'étranger, répondit Fiedler. Oh, il y en a bien quelques-unes, mais ce sont les Bourses de New York qui déterminent la cote que tout le monde utilise, et sans elles, personne ne peut estimer la valeur réelle des titres.
- Ils ont bien des enregistrements des transactions, non ? intervint van Damm.
- Bien s˚r, mais les enregistrements sont altérés et on ne joue pas des millions sur une information douteuse. D'accord, ce n'est pas une si mauvaise chose qu'il y ait eu des fuites. «a nous donne une couverture qui pourra toujours nous servir un jour ou deux. Les gens peuvent encore admettre qu'une défaillance du système ait tout flanqué par terre. Cela les empêchera pour un temps de céder entièrement à la panique. Mais combien de temps faudra-t-il pour récupérer les archives ?
- Ils n'en savent toujours rien, admit Fiedler. Ils essaient encore de reconstituer les fichiers.
- Dans ce cas, nous en avons sans doute jusqu'à mercredi. "Ryan se massa les paupières. Il avait envie de se lever et d'arpenter la pièce, juste pour faire circuler le sang, mais, dans le Bureau Ovale, c'était un privilège exclusivement réservé au Président.
" J'ai fait convoquer une conférence avec tous les dirigeants des Bourses.
Ils ont demandé à tout leur personnel de venir travailler, comme pour une journée normale. Ils feront de la paperasse, histoire d'avoir l'air affairés devant les caméras de télévision.
- Excellente idée, Buzz ", réussit à dire le Président. Ryan regarda le ministre des Finances et leva le pouce.
" II faut qu'on trouve au plus vite une solution quelconque, poursuivit Fiedler. Jack a probablement raison. D'ici mercredi soir, ce sera la panique complète, et je ne peux pas dire ce qui arrivera ", termina-t-il, sobrement. Mais les nouvelles n'étaient pas mauvaises pour ce soir. Ils avaient une légère marge de manceuvre, et ils auraient le temps de souffler.
" Point suivant, dit van Damm, prenant le relais de son patron. Ed Kealty ne va pas faire de remous. Il est en train de négocier un arrangement avec la justice. A priori, cela nous fait une casserole en moins à traîner. Bien entendu " (et le secrétaire général de la Maison Blanche se tourna vers le Président), il nous faudra bientôt lui trouver un remplaçant.
- «a peut attendre, dit Durling. Brett... L'Inde ?
- Williams, notre ambassadeur, a entendu un certain nombre de rumeurs inquiétantes. Les analyses de la marine sont probablement exactes. Il semblerait que les Indiens envisageraient sérieusement un débarquement au Sri Lanka.
- Ils ont bien choisi leur moment, entendit Ryan, qui baissa les yeux avant de reprendre la parole.
- La Marine voudrait des instructions opérationnelles. Nous avons deux porte-avions avec leurs groupes de combat en manoeuvre dans le secteur.
S'il faut en venir à l'épreuve de force, nos hommes doivent savoir jusqu'o˘
ils peuvent aller. " Il avait d˚ le dire à cause de sa promesse à Robby Jackson, mais il connaissait fort bien la réponse. Ce problème-là n'était pas encore sur le feu.
" On a déjà du pain sur la planche. On verra cela plus tard, dit le Président. Brett, dites à Dave Williams de rencontrer leur Premier ministre et de bien lui faire comprendre que les …tatsUnis voient d'un très mauvais oeil les actes d'agression, o˘ qu'ils se produisent dans le monde. Pas de fanfaronnade. Juste une déclaration claire et nette, et qu'il attende sa réponse.
- Cela fait un bail qu'on ne leur a plus adressé la parole, avertit Hanson.
- L'heure est venue de le faire, Brett, indiqua tranquillement Durling.
- Oui, monsieur le président. "
Et maintenant, pensa Ryan, celui que l'on attend tous. Les yeux se tournèrent vers le ministre de la Défense. Il parla d'une voix mécanique, quasiment sans lever les yeux de ses notes.
" Les deux porte-avions seront de retour à Pearl Harbor pour vendredi. Il y a deux cales sèches pour les réparations, mais les rendre à nouveau opérationnels va exiger des mois. Les deux sous-marins sont perdus, vous le savez. La flotte japonaise se retire vers les Mariannes. Il n'y a pas eu d'autres contacts hostiles entre unités des deux flottes.
" Nous estimons qu'environ trois divisions ont été transportées par air aux Mariannes. L'une est à Saipan, l'essentiel des deux autres sur Guam. Ils bénéficient des installations aériennes que nous y avons construites et entretenues... " Il poursuivit d'une voix ronronnante, fournissant des détails déjà connus de Ryan, et s'avançant vers une conclusion qu'il redoutait à l'avance.
Tôut était trop étriqué. La marine américaine avait été réduite de*mbitié
par rapport à ce qu'elle était dix ans auparavant. Elle n'était plus capable que de transporter une seule division armée, dans l'hypothèse d'un débarquement. Et encore, il faudrait pour cela rapatrier l'ensemble de la flotte de l'Atlantique par le canal de Panama, et rappeler d'autres b
‚timents répartis sur tous les océans du monde. Débarquer de tels effectifs exigeait un soutien tactique, mais la frégate standard de la marine américaine n'était équipée que d'un canon de 75. Destroyers et croiseurs n'avaient que deux canons de 125 chacun ; on était loin de la puissance de feu de l'ensemble de la flotte de combat qu'il avait fallu rassembler pour récupérer les Mariannes en 1944. quant aux porteavions, aucun n'était immédiatement disponible, les deux plus proches se trouvaient dans l'océan Indien, et même réunis, ils ne pouvaient pas rivaliser avec les forces aériennes dont disposait aujourd'hui le Japon à Saipan et à Guam. Pour la première fois, Ryan sentit la colère le gagner. Il lui avait fallu du temps pour surmonter son incrédulité, se dit-il.
" Je ne crois pas que nous pourrons y arriver ", conclut le ministre de la Défense, et c'était un jugement que personne ne se sentait prêt à discuter.
Ils étaient las des récriminations. Le Président Durling remercia chacun de son avis et remonta dans sa chambre, espérant pouvoir dormir un peu avant de devoir affronter les médias dans la matinée.
Il prit l'escalier au lieu de l'ascenseur, et réfléchit en gravissant les marches, sous le regard vigilant des agents du Service secret, postés au sommet et au bas de celles-ci. quelle honte d'achever son mandat dans ces conditions. Même s'il ne l'avait jamais vraiment désiré, il avait essayé de le remplir de son mieux, et jusqu'à ces derniers jours, il n'y avait pas trop mal réussi.
28
Transmissions
LE 747-400 d'United se posa à l'aéroport Cheremetievo de Moscou avec trente minutes d'avance. Les courants-jets sur l'Atlantique soufflaient toujours avec force. Le premier à débarquer fut un courrier diplomatique, précédé
par un steward. A l'entrée du terminal, il présenta son passeport diplomatique au fonctionnaire des douanes qui l'orienta vers un représentant de l'ambassade américaine. Celui-ci lui serra la main et l'invita à le suivre.
" Venez. Nous avons même droit à une escorte pour nous conduire en ville. "
L'homme sourit : ça devenait dément.
" Je ne vous connais pas ", dit le courrier, méfiant, et il ralentit le pas. D'ordinaire, sa personne comme sa valise diplomatique étaient inviolables, mais tout dans ce voyage avait été inhabituel, et sa curiosité
était totalement éveillée.
" Il y a dans votre sacoche un ordinateur portatif. Ceint par un ruban jaune. C'est le seul objet que vous transportez, dit le chef de poste de la CIA à Moscou, ce qui était la raison pour laquelle le courrier ne le connaissait pas. Le nom de code de votre voyage est ROULEAU ¿ VAPEUR.
- Rien à dire. " Le courrier hocha la tête, tandis qu'ils se dirigeaient vers la sortie du terminal. Une voiture à plaque diplomatique les attendait
- c'était une limousine Lincoln, apparemment le véhicule personnel de l'ambassadeur. Puis arriva une voiture d'escorte qui, sitôt quittées les emprises de l'aéroport, leur ouvrit la voie, gyrophare allumé, afin de leur permettre de gagner plus vite le centre-ville. Dans l'ensemble, le courrier juge‚it la procédure peu habile. Mieux aurait valu utiliser un véhicule russe. Ce qui soulevait deux autres questions plus importantes. Pourquoi diable l'avait-on tiré de chez lui sans préavis, pour aller trimbaler à
Moscou un putain d'ordinateur portatif ? Si tout était si bougrement secret, pourquoi les Russes étaient-ils dans le coup ? Et si c'était si bougrement important, pourquoi attendre un vol commercial ? Employé de longue date aux Affaires étrangères, il savait qu'il était stupide de mettre en question la logique des opérations officielles. C'est juste qu'il restait quelque part un rien idéaliste.
Le reste du trajet se déroula à peu près normalement, jusqu'à l'ambassade, installée en plein coeur de Moscou, près de la rivière. Une fois à
l'intérieur, les deux hommes se rendirent à la salle des transmissions, o˘
le courrier ouvrit sa sacoche, livra son contenu, puis ressortit, pour aller prendre une douche et retrouver un lit, certain de ne jamais avoir de réponses à ses questions.
Le reste du travail avait été accompli par les Russes à une vitesse remarquable. La ligne téléphonique avec l'agence Interfax rejoignait ensuite le RVS, puis gagnait Vladivostok par une liaison militaire en fibres optiques, et de là, une autre liaison similaire établie par la Nippon Telephone é- Telegraph conduisait àl'île de Honshu. Le portatif était équipé d'une carte-modem, qui fut branchée sur cette nouvelle ligne téléphonique, puis configurée et connectée. Ensuite, et comme toujours, il ne resta plus qu'à attendre, même si tout le reste avait été réalisé avec la célérité maximale.
Il était une heure et demie du matin quand Ryan rentra chez lui, à
Peregrine Cliff. Il avait donné congé à son chauffeur officiel, préférant se faire conduire par l'agent spécial Robberton, auquel il indiqua une des chambres d'amis avant de se diriger vers son propre lit. Il ne fut pas surpris de voir Cathy encore éveillée.
" Jack, qu'est-ce qui se passe ?
- Tu n'as donc pas du boulot, demain ? " demanda-t-il, tentant sa première esquive. Retourner à la maison avait sans doute été une erreur, même si elle était nécessaire. D'abord, il avait besoin de se changer. Une crise, c'était déjà pénible. Mais pour
des hauts fonctionnaires de l'…tat, avoir l'air fripé et complètement décalqué, c'était encore pire, et la presse ne manquerait pas de le relever. Pis que tout, ça se voyait comme le nez au milieu de la figure. Le blaireau moyen découvrant le reportage au journal télévisé le remarquerait tout de suite, et des généraux inquiets faisaient des troufions inquiets, c'était le B-A BA des cours enseignés à l'académie de quantico, se souvenait Ryan. Raison pour laquelle il devait se taper ces deux heures de voiture qu'il lui aurait été plus profitable de passer allongé sur le divan de son bureau.
Cathy se massa les paupières dans le noir. " Rien au programme demain matin. Juste une conférence dans l'après-midi, pour présenter le fonctionnement du nouveau système laser à des visiteurs étrangers.
- D'o˘ viennent-ils ?
- Du Japon et de Taiwan. Nous vendons la licence du système de calibrage que nous avons mis au point et... qu'est-ce qui ne va pas ? " demanda-t-elle quand son mari tourna brusquement la tête.
Ce n est que de la paranoiix, se dit Ryan. Rien qu'une coÔncidence idiote, sans plus. «a ne peut pas être autre chose. Mais il quitta la chambre sans un mot. Robberton était en train de se déshabiller quand il entra dans la chambre d'amis. L'étui de son pistolet était pendu au montant du lit.
L'explication ne dura que quelques secondes, et Robberton prit un téléphone et composa le numéro du centre opérationnel du Service secret, situé à deux rues de la Maison Blanche. Ryan n'avait même pas su que sa femme avait un nom de code.
" CHIRURGIEN (somme toute, c'était évident, non ?) aura besoin d'une amie pour demain... à Johns Hopkins... Oh, ouais, elle sera parfaite. Allez, salut. " Robberton raccrocha. " Un bon élément, cette Andrea Price.
Célibataire, mince, cheveux bruns, elle vient d'entrer dans la division, après huit ans à travailler en extérieur. J'ai bossé avec son vieux quand je débutais. Merci de m'avoir prévenu.
- Je vous retrouve aux alentours de six heures et demie, Paul.
- D'accord. " Robberton s'allongea aussitôt, apparemment, il était du genre à s'endormir sur commande. Un talent bien utile, songea Ryan.
"'Bon sang, mais qu'est-ce que c'est que toute cette histoire ? "démanda Caroline Ryan quand son mari revint dans la chambre. Jack s'assit sur le lit pour lui expliquer.
" Cathy, euh... demain à Hopkins, tu vas avoir quelqu'un avec toi. Elle s'appelle Andrea Price. Elle travaille avec le Service secret. Et elle te suivra partout.
- Pourquoi?
- Cathy, nous avons plusieurs problèmes en ce moment. Les Japonais ont attaqué notre marine et ils occupent deux de nos îles. A présent, tu ne peux pas...
- Ils ont fait quoi ?
- Tu ne peux en parler à personne, poursuivit son mari. Estce que tu comprends ? Tu ne peux en parler à personne, mais comme tu vas te retrouver demain avec des japonais, et compte tenu du poste que j'occupe, les gens du Service secret préfèrent que tu sois accompagnée, juste pour être absolument certains que tout baigne. " Ce ne serait pas aussi simple, bien s˚r. Le Service avait des effectifs limités et répugnait, pour le moins, àdemander de l'aide aux forces de police locale. La police municipale de Baltimore, qui était toujours très présente à Johns Hopkins en toutes circonstances - le complexe hospitalier n'était pas situé dans le meilleur des quartiers -,allait sans aucun doute charger à son tour un de ses inspecteurs de couvrir la môme Price.
" Jack, y a-t-il un danger ?
" demanda Cathy, se rappelant une époque et des terreurs lointaines, alors qu'elle était enceinte de petit Jack, quand l'Armée de libération irlandaise avait envahi sa demeure'. Elle se remémora sa satisfaction, mêlée de honte, quand le dernier d'entre eux avait été exécuté pour meurtres multiples - mettant fin, croyait-elle, au plus pénible, au plus terrifiant épisode de son existence.
Pour sa part, Jack réalisa que c'était encore un élément auquel ils n'avaient pas songé. Si l'Amérique était en guerre, il était le chef du Conseil national de sécurité et, à ce titre, il devenait effectivement une cible de choix. Lui mais aussi sa femme. Et leurs trois enfants.
Irrationnel ? Mais avec les guerres, qu'est-ce qui ne l'était pas ?
1. Voir jeux de guerre, Albin Michel, 1989 (NdT).
" Je ne pense pas, répondit-il après quelques secondes de réflexion, mais enfin, il se pourrait qu'on ait... eh bien, qu'on ait à loger quelques hôtes supplémentaires. Je ne sais pas. Il faudra que je demande.
- Tu as dit qu'ils avaient attaqué notre marine ?
- Oui, chérie, mais tu ne peux pas...
- «a veut dire la guerre, n'est-ce pas ?
- Je n'en sais rien, chérie. " Il était tellement vanné qu'il dormait quelques secondes à peine après que sa tête eut touché l'oreiller, et sa dernière pensée consciente fut pour reconnaître qu'il en savait bien trop peu pour répondre aux questions de son épouse, comme d'ailleurs aux siennes.
Personne ne dormait dans le bas de Manhattan, en tout cas personne parmi ceux qui comptaient. Plus d'un courtier au bord de l'épuisement se fit la réflexion que, pour le coup, tous étaient en train de mériter vraiment leur salaire, mais il fallait bien avouer qu'ils n'aboutissaient pas à grandchose. Tous très fiers de leurs prérogatives, ils balayaient du regard la salle de transactions bourrée d'ordinateurs dont la valeur cumulée n'était connue que du service comptable, et dont la valeur actuelle était approximativement égale à zéro. Les marchés européens n'allaient pas tarder à ouvrir. Pour faire quoi ? C'était la question que chacun se posait. Il y avait d'habitude une équipe de nuit dont le boulot était de négocier les titres européens, de surveiller les marchés de l'eurodollar, des obligations et des métaux précieux, bref de suivre l'ensemble de l'activité
économique sur chaque rive de l'Atlantique. La plupart du temps, cela ressemblait au prologue d'un livre - un avant-go˚t de l'action véritable, certes intéressant mais pas d'un intérêt vital, sauf peut-être pour le piment, parce que les affaires réelles se traitaient ici même, à New York.
Mais rien de tout cela n'était vrai aujourd'hui. Il était impossible de savoir ce qui allait se passer. Aujourd'hui, l'Europe était seule maîtresse d'un jeu dont les règles avaient été bouleversées. Les responsables des ordinateurs durant ce poste nocturne étaient souvent considérés comme des sous-fifres par ceux qui venaient les relayer à huit heures du matin, ce qui était à la fois injuste et faux, mais dans tout groupe il faut bien qu'il y ait une compétition interne.
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Cette fois, quand ils se pointèrent à cette heure indue qui était le˚r lot quotidien, ils relevèrent la présence des dirigeants de la boîte et en conçurent un mélange d'inquiétude et de soulagement. C'était l'occasion de se mettre en valeur. Et de foutre le bordel, en direct et en couleurs.
Tout commença, pile, à quatre heures du matin, fuseau de la côte Est.
" Les bons ! " L'exclamation avait jailli simultanément dans vingt firmes, lorsque les banques européennes, encore largement pourvues en bons du Trésor américains pour se protéger des fluctuations de leurs monnaies et de leur économie vacillante, marquèrent leur intention de s'en dessaisir.
D'aucuns auraient pu s'étonner que la nouvelle ait mis tout ce temps à
parvenir aux cousins d'Europe le vendredi, mais il en allait en vérité
toujours ainsi, et chacun jugea, à New York, que les mouvements à
l'ouverture étaient en fait relativement prudents. On comprit bien vite pourquoi. Il y avait beaucoup d'offres mais guère de demande. Les gens cherchaient à vendre leurs bons du Trésor, mais l'intérêt pour en acheter était bien moins enthousiaste. Conséquence immédiate : des prix qui dégringolaient presque aussi vite que la confiance européenne dans le dollar.
" Il y a déjà une affaire à saisir, à trois trente-deuxièmes sous la cote.
qu'est-ce qu'on fait ? " Cette question, elle aussi, fut posée en plus d'une place et reçut chaque fois une réponse identique
" Rien. " Chaque fois le mot avait été craché avec dégo˚t. Et le plus souvent accompagné d'une variante sur le thème de putains d'Européens, au gré des spécificités linguistiques de chacun de ces cadres dirigeants.
C'était donc reparti : encore une attaque sur le dollar. Et la meilleure arme de rétorsion des Américains était désormais hors service, par la faute d'un programme informatique auquel tout le monde s'était fié. Dans plusieurs salles de transactions, on avait décidé d'ignorer les panonceaux Défense de fumer. Après tout, peu importait si on foutait des cendres sur le matériel, pas vrai ? Leurs putains d'ordinateurs leur seraient inutiles, aujourd'hui. Comme le confia, narquois, un cadre à un collègue, c'était le moment pour faire de l'entretien sur les systèmes. Par chance, tout le monde ne pensait pas comme lui.
" Bon, donc c'est parti de là, c'est ça ? " demanda George Winston. Mark Gant fit courir son doigt jusqu'au bas de l'écran.
" La Banque de Chine, la Banque de Hongkong, l'Imperial Cathay Bank. Elles ont acheté ces stocks de bons il y a environ quatre mois, pour se garantir contre le yen, et avec un succès manifeste, apparemment. Or, vendredi, ils ont tout balancé sur le marché pour racheter à la place des monceaux de bons du Trésor japonais. Avec les fluctuations qu'on vient de connaître, cela donne un bénéfice net de vingt-deux pour cent. "
Ils étaient les premiers, constata Winston, et ayant anticipé la tendance, ils avaient ramassé gros. Ce genre de coup était d'une envergure propre à
susciter plus d'un dîner de luxe à Hongkong, ville propice à de tels excès.
" «a te paraît innocent ? " demanda-t-il à Gant en étouffant un b‚illement.
Le cadre haussa les épaules. II était fatigué, mais voir le patron remis en selle redonnait de l'énergie à tout le monde. " Innocent, mon oeil ! Le mouvement est brillant. Ils ont senti venir un truc, j'imagine, ou alors, ils ont eu un sacré coup de bol. "
La chance, se dit Winston, encore et toujours. La chance était une donnée bien réelle, n'importe quel ancien dans le métier l'admettra en buvant avec vous, en général après deux ou trois verres, de quoi dépasser le stade habituel du baratin " brillant ". Parfois, on sentait venir le bon coup, alors on se lançait, point final. Si on avait du bol, ça marchait, sinon on t‚chait de limiter les dég‚ts.
" Continue, ordonna-t-il.
- Eh bien, les autres banques ont commencé à faire pareil. "Le Groupe Columbus disposait d'un système informatique parmi les plus perfectionnés de Wall Street, capable de sélectionner n'importe quel titre par nom ou par catégorie, dans une période de temps déterminée, et Gant était un as de l'informatique. Bientôt, ils visualisèrent une nouvelle braderie de bons du Trésor par d'autres banques asiatiques. Détail intéressant, les banques nippones étaient plus lentes à réagir qu'il ne l'aurait escompté. Cela n'avait rien de déshonorant d'être un tantinet à la remorque de Hongkong.
Les Chinois étaient plutôt doués de ce côté-là, en particulier ceux formé
e
inventeurs
s par les Britanniques, qui 'taient pratiquement les Ôdu système bancaire centralisé moderne et qui en demeuraient les spécialistes. Mais les Japonais avaient été plus rapides que les ThaÔlandais, estima Winston, en tout cas, ils auraient d˚...
C'était de nouveau l'instinct, la réaction viscérale du gars qui sav‚it- se débrouiller à Wall Street. " Regarde voir les titres du marché monétaire japonais, Mark. "
Gant tapa une commande : l'envolée du yen était manifeste - à tel point qu'ils avaient à peine besoin de l'ordinateur pour la suivre. " C'est ce que vous voulez ? "
Winston se pencha vers l'écran. " Montre-moi ce qu'a fait la Banque de Chine quand ils ont vendu.
- Eh bien, ils se sont dégagés sur le marché de l'eurodollar pour racheter du yen. J'imagine que c'est le choix évident...
- Oui, mais regarde plutôt à qui ils ont l'acheté, suggéra Winston.
- Et avec quoi ils l'ont payé... " Gant tourna la tête et regarda son patron.
" Tu sais pourquoi j'ai toujours joué franc-jeu, ici, Mark? Tu sais pourquoi je n'ai jamais traficoté, pas une seule fois, pas une, même quand j'avais des tuyaux absolument increvables ? "demanda George. Il y avait plus d'une raison, bien s˚r, mais pourquoi compliquer le raisonnement ? Il appuya le bout de son doigt sur l'écran, laissant même une empreinte sur le verre. Le symbole le fit presque rire. " Voilà pourquoi.
- En fait, ça ne veut rien dire. Les Japonais savaient qu'ils pourraient faire monter les enchères et... " Gant n'avait toujours pas entièrement saisi, Winston le voyait bien. Il fallait qu'il entende l'explication de sa propre bouche.
" Cherche la tendance, Mark. Cherche la tendance, elle est là... " Et, putain de merde, se dit-il en se dirigeant vers les toilettes, la tendance est mon amie. Puis une autre pensée le traversa
Venir tripatouiller mon marché financier, non mais!
Ce n'était guère une consolation. Winston réalisa qu'il avait cédé son affaire à un prédateur, et le mal était déjà fait. Ses investisseurs lui avaient accordé leur confiance, et il l'avait trahie. Tout en se lavant les mains, il se contempla dans la glace du lavabo et vit les yeux d'un type qui avait déserté son poste, abandonné ses hommes.
Mais tu es de retour, bon Dieu, avec une tonne de boulot devant toi !
Le Pasadena avait finalement appareillé, plus par embarras que pour toute autre raison, estima Jones. Il avait écouté la conversation téléphonique de Bart Mancuso avait le CINCPAC : il avait expliqué que le sous-marin était armé et tellement rempli de vivres que les coursives étaient encombrées de cartons de boîtes de conserve, largement de quoi tenir soixante jours en mer. Mauvais signe, estima Jones qui se rappelait le pas si bon vieux temps des déploiements prolongés.
Et c'est ainsi que l'USS Pasadena, b‚timent de guerre de la marine américaine, avait pris la mer, cap à l'ouest à environ vingt noeuds, sans doute propulsé par une hélice silencieuse et non par une hélice de vitesse.
Sinon, il aurait risqué de constituer une cible. Le submersible venait de passer à moins de quinze milles nautiques d'une balise SOSUS, l'un des nouveaux modèles capables de déceler le battement de coeur d'un foetus de baleine blanche dans le ventre de sa mère. Le Pasadena n'avait pas encore reçu d'ordres de mission, mais il s'était trouvé au bon endroit au bon moment, avec son équipage soumis à un entraînement constant, pour être le plus vite possible en condition opérationnelle. C'était déjà ça.
quelque part, il aurait bien voulu se retrouver là-bas, mais cela faisait désormais partie de son passé.
" Je ne vois rien, monsieur. " Jones cligna les yeux et reporta son attention sur la page qu'il avait sélectionnée sur la liasseaccordéon.
" Eh bien, vous n'avez plus qu'à chercher ailleurs ", répondit Jones. Il ne ressortirait du SOSUS que sous la menace d'un pistolet. Il l'avait bien fait comprendre à l'amiral Mancuso qui n'avait pas manqué d'en informer ses collègues. Il y avait eu une brève discussion pour savoir s'il fallait attribuer à Jones une promotion particulière, peut-être au grade de capitaine de frégate, mais Ron avait lui-même décliné cette idée. Il avait quitté la Navy avec le simple grade d'opérateur sonar première classe et ça lui suffisait amplement. En outre, ce serait mal passé auprès des officiers mariniers qui étaient ici les vrais maîtres des lieux et qui avaient déjà
daigné l'accepter parmi eux.
Jones s'était vu affecter un aide, en la personne de Mike Boomer, technicien océanographe deuxième classe. Le gamin avait l'étoffe d'un bon étudiant, même s'il avait d˚ renoncer à l'affectation à bord des P-3 pour cause de mal de l'air chronique.
" Tous ces gars utilisent des systèmes Prairie-Masker quand ils remôntent en immersion périscopique. Vous savez, le truc qui imite'un crépitement de pluie en surface ? La pluie en surface est dans la gamme des mille hertz. Donc, il suffit de chercher de la pluie... (Jones fit glisser sur la table une photo météo), là o˘ il n'y en a pas. Ensuite, on cherche des impacts à soixante hertz, espacés, faibles et brefs, le genre de signaux qu'on néglige en temps normal, et qui se trouveraient superposés à
la pluie. Ils utilisent des générateurs et des moteurs électriques à
soixante hertz, d'accord ? Puis on essaie de relever des transitoires, de simples pics, comme du bruit de fond, et qui seraient également corrélées à
la présence de pluie. Tenez... " Il marqua la feuille au crayon rouge, puis regarda le major commandant la station, qui était penché de l'autre côté de la table, tel un dieu curieux.
" J'avais entendu parler de vous quand je bossais au service d'accréditation du ministère de la Défense... je pensais que c'était encore des histoires de marins.
- Z'avez une clope ? " demanda le seul civil dans la salle. Le major lui en tendit une. Les écriteaux Défense de fumer avaient disparu et les cendriers étaient de sortie. Le SOSUS était en guerre, et peut-être que le reste de la flotte du Pacifique n'allait pas tarder à suivre le mouvement. Bon Dieu, me voilà de nouveau dans le bain, se dit Jones. " Ma foi, vous connaissez la différence entre une histoire de marins et un conte de fées.
- C'est quoi, monsieur ? demanda Boomer.
- Un conte de fées, ça commence par "Il était une fois", dit Jones avec un sourire, tout en cochant un autre signal à soixante hertz.
- Alors qu'une histoire de marins, ça commence par "Sans déconner" ", conclut le major. Sauf que, sans déconner, ce mec était à la hauteur de sa réputation. " Je crois que vous avez suffisamment de données pour tracer une route, Dr Jones.
- Je crois bien que nous avons repéré un SSK, major.
- Dommage qu'on puisse pas le poursuivre. "
Ron acquiesça lentement. " Ouais, c'est bien mon avis, moi aussi, mais à
présent, on sait au moins qu'on peut les atteindre. «a restera toujours la merde pour arriver à les localiser avec les P-3. Ce sont de bons bateaux, pas à chier. " Il ne s'agissait pas de se laisser emporter. Tout ce que faisait le SOSUS, c'était de tracer des lignes de relèvement. Si plus d'un hydrophone détectait la même source sonore, on pouvait rapidement délimiter celle-ci par triangulation, mais la zone repérée était un cercle, pas un point, et ces cercles pouvaient faire jusqu'à vingt milles nautiques de diamètre. C'était une simple question de lois physiques, qui n'étaient ni pour ni contre vous. Les sons qui se transmettaient le plus loin étaient les sons à basse fréquence et, quel que soit le type d'onde, plus haute était la fréquence, meilleure était la résolution.
" Nous savons également o˘ chercher la prochaine fois qu'il montera respirer. En tout cas, vos pouvez toujours appeler le PC de la flotte et les avertir qu'il n'y a personne à proximité des porte-avions. Là, là et là, ce sont des groupes de surface. " Il fit des marques sur le papier. "
Eux aussi font route à bonne vitesse, et sans vraiment chercher à se cacher. Tous les relèvements de cible apparaissent peu à peu. C'est un désengagement complet. Ils ne semblent plus vouloir nous chercher des crosses.
- «a vaut peut-être mieux. "
Jones écrasa sa cigarette. " Ouais, major, peut-être bien, si le commandement sait se tenir. "
Le plus drôle, c'est que la situation s'était bel et bien calmée. Le reportage sur le krach de Wall Street au journal télévisé du matin était d'une précision clinique, l'analyse scrupuleuse, meilleure sans doute que celle dont bénéficiaient ses compatriotes aux …tats-Unis, estima Clark, avec tous ces professeurs d'économie appelés à décortiquer l'événement, plus un gros ponte de la finance pour la couleur locale. Peut-être, envisageait un éditorialiste de la presse écrite, l'Amérique allait-elle réviser son attitude vis-à-vis du Japon. N'était-il pas clair en effet que les deux pays avaient réellement besoin l'un de l'autre, en particulier maintenant, et qu'un Japon fort servait les intérêts américains en même temps que les intérêts régionaux ? Le Premier ministre Goto était cité en termes conciliants - même si ce n'était pas devant les caméras : ses propos, franchement inhabituels chez le personnage, étaient abondamment repris dans la presse pour cette raison.
" Putain de quatrième Dimension ", observa Chavez, à la faveur d'un moment de silence, enfreignant la couverture de la
langue parce qu'il ne pouvait pas se retenir. Et puis merde, ils étaient désormais sous le contrôle opérationnel des Russes, après tout. A quoi bon s'encombrer de règles de conduite ? Et d'abord, lesquelles ?
" Po russkiy, remarqua son supérieur, tolérant.
- Da, tovarichtch, lui grommela-t-on pour toute réponse. Vous avez une idée de ce qui se passe ? C'est la guerre ou c'est pas la guerre ?
- S˚r que les règles sont bizarres ", reconnut Clark, en anglais lui aussi, se rendit-il compte. «a devient contagieux.
Il y avait d'autres gaijins dans les rues, des Américains, pour la plupart, semblait-il, et les regards qu'on leur adressait retrouvaient peu à peu la curiosité et la méfiance habituelles : le niveau d'hostilité ambiant était en gros revenu à celui de la semaine précédente.
" Bon, alors, qu'est-ce qu'on fait ?
- On essaie le numéro d'Interfax que nous a donné notre ami. " Clark avait déjà entièrement tapé son rapport. C'était la seule chose qu'il savait pouvoir faire, hormis maintenir actifs ses contacts et pêcher de l'information. S˚r qu'à Washington ils devaient déjà savoir ce qu'il avait à leur dire, se dit-il en regagnant son hôtel. Le réceptionniste leur sourit et s'inclina, un peu plus poliment ce coup-ci, tandis qu'ils se dirigeaient vers l'ascenseur. Deux minutes plus tard, ils étaient dans la chambre. Clark sortit le portatif de sa housse, inséra le connecteur téléphonique à l'arrière et alluma l'ordinateur. Une minute encore, et le modem interne composait le numéro qu'on lui avait donné au petit déjeuner, le reliant, par une ligne traversant la mer du japon puis la Sibérie, sans doute à Moscou, supposait-il. Il entendit le trille électronique d'un téléphone qui sonnait et attendit que la connexion s'établisse.
Le chef de poste avait réussi à surmonter son irritation à la présence d'un agent russe dans la salle de transmissions de l'ambassade, mais il n'avait pas encore réussi à s'affranchir de ce sentiment d'irréalité. Le bruit de l'ordinateur le fit sursauter.
" Technique fort habile, nota le visiteur.
- On fait ce qu'on peut. "
quiconque avait déjà utilisé un modem aurait reconnu le bruit, ce friselis d'eau qui coule ou, si l'on veut, ce crépitement de cireuse électrique -, en réalité, le simple chuintement numérique de deux appareils électroniques cherchant à se synchroniser avant de pouvoir échanger des données. Parfois, cela ne prenait que quelques secondes, parfois jusqu'à une dizaine. En fait, la connexion ne mettait qu'une seconde ou deux à s'établir avec ces machines : le reste du bruit correspondait au crépitement pseudo-aléatoire de dix-neuf mille deux cents caractères d'information transitant dans la fibre optique chaque seconde, d'abord dans un sens puis dans l'autre. Une fois transmis le message proprement dit, la connexion officielle s'établit, et le type à l'autre bout de la ligne envoya ses trois mille signes de papier quotidien. Par simple mesure de sécurité, les Russes prendraient soin de faire parvenir l'article à deux journaux différents pour publication dans l'édition du lendemain, mais seulement en page trois.
Inutile non plus d'en faire trop.
Puis vint la partie délicate pour le chef de poste de la CU. Conformément aux instructions, il imprima deux exemplaires du même rapport, dont l'un était destiné à l'officier de renseignements russe. Mary Pat était frappée par le retour d'‚ge ou quoi ?
" Son russe est très littéraire, presque classique. qui le lui a enseigné ?
- Franchement, je n'en sais rien ", mentit le chef de poste, avec succès, en fait. Le comble, c'est que le Russe avait raison. D'o˘, froncement de sourcils.
" Vous voulez un coup de main pour la traduction ? "
Merde. L'Américain sourit. " S˚r. Pourquoi pas ? "
" Ryan. " Cinq bonnes heures de sommeil, grommela jack, en décrochant le téléphone de voiture à ligne protégée. Il n'était pas au volant, c'était déjà ça.
" Mary Pat. On a quelque chose. Vous le trouverez sur votre bureau à votre arrivée.
- C'est bon ?
- C'est un début ", dit la DAO. Elle était toujours très laconique.
Personne ne se fiait trop aux téléphones de voiture, cryptés ou pas.
" Bonjour, Dr Ryan. Je suis Andrea Price. " L'agent avait déjà passé' une blouse de laboratoire. Elle souleva le badge d'identité pincé au revers. "
Mon oncle est toubib ; il est médecin généraliste dans le Wisconsin. Je crois que ça lui plairait de voir ça. "Elle sourit.
" Ai-je des raisons de m'inquiéter ?
- Je ne crois pas vraiment ", dit l'agent Price, sans se départir de son sourire. Les gens protégés préféraient ne pas lire d'inquiétude chez les personnels de sécurité, elle le savait.
" Et mes enfants ?
- Il y a deux agents à la sortie de leur école, et un troisième est posté
dans la maison en face de la crèche, pour le petit dernier, expliqua l'agent. Je vous en prie, pas d'inquiétude. On nous paie pour être paranoÔaques, et on se trompe presque tout le temps, mais c'est comme dans votre boulot. Vous aimez mieux jouer la prudence, pas vrai ?
- Et mes visiteurs ? demanda Cathy.
- Puis-je émettre une suggestion ?
- Faites.
- Offrez-leur à tous des blouses de l'hôpital, en guise de souvenir, disons. Je les surveillerai pendant qu'ils se changeront. "C'était habile, estima Cathy Ryan.
" Vous portez une arme ?
- Toujours, confirma Andrea Price. Mais je n'ai jamais eu àm'en servir ou simplement à la sortir, même pas pour une arrestation. Faites comme si je n'étais qu'une mouche sur le mur ", conclut-elle.
Plutôt un faucon, songea le professeur Ryan. Enfin, apprivoisé, c'était déjà ça.
" Et comment est-on censé faire ça, John ? " demanda Chavez en anglais. La douche coulait. Ding s'était assis par terre et John, sur la cuvette des W-C.
" Ma foi, on les a déjà vus, n'est-ce pas ? fit remarquer son supérieur.
- Ouais, dans leur putain d'usine!
- Eh bien, on n'a qu'à trouver o˘ ils les ont emmenés. " Tout bien pesé, c'était assez raisonnable. Il leur suffisait de déterminer combien, o˘, et (incidemment) s'ils étaient ou non équipés de têtes nucléaires. Une paille. Et tout ce qu'ils savaient, c'est qu'il s'agissait de lanceurs de type SS-19, dans leur nouvelle version améliorée, qui avaient quitté l'usine de montage par le rail. Bien s˚r, le pays avait plus de vingt-huit mille kilomètres de voies ferrées. Il faudrait attendre. Les espions avaient souvent des horaires d'employés de banque, et c'était le cas pour eux. Clark décida de passer sous la douche avant d'aller se coucher. Il ne savait pas encore quoi faire, ou comment procéder, mais ce n'était pas en se mettant martel en tête qu'il améliorerait ses chances : il avait depuis longtemps appris qu'il était plus efficace après avoir eu ses huit heures de sommeil, et qu'à l'occasion une bonne douche lui éclaircissait les idées. Tous ces trucs, Ding finirait par les apprendre tôt ou tard, se dit-il en voyant l'expression du gamin.
" Salut, Betsy, lança jack à la femme qui attendait dans l'antichambre de son bureau. Vous êtes bien matinale... Et vous, qui êtes-vous ?
- Chris Scott. Betsy et moi, on bosse ensemble. "
Jack leur fit signe d'entrer, puis alla tout de suite vérifier sur son fax si Mary Pat avait transmis les informations émanant de Clark et Chavez, et constatant que c'était le cas, il décida que ça pourrait attendre. Il avait connu Betsy Fleming quand il était à la CIA. C'était une experte autodidacte dans le domaine des armes stratégiques. Il supposa que Chris Scott était un de ces jeunes, recrutés à l'université avec un diplôme dans la matière que Betsy avait apprise sur le tas. Enfin, le gamin avait eu au moins la délicatesse de dire qu'il travaillait avec Betsy. Comme Ryan, jadis, des années auparavant, lorsqu'il s'occupait des négociations sur la limitation des armements stratégiques.
" D'accord, qu'est-ce qu'on a ?
- Voici ce qu'ils appellent le lanceur spatial H-11. " Scott ouvrit sa serviette et en sortit des photos. De bonne qualité, nota aussitôt Ryan, prises de près, avec une vraie émulsion argentique, pas ces espèces de clichés électroniques pris à la sauvette par un trou au fond d'une poche.
Il n'était pas difficile de faire la différence, et Ryan reconnut aussitôt un vieil ami que, moins d'une semaine auparavant, il avait cru mort et enterré.
" Pas de doute, c'est bien le SS-19. quoique, bien plus joli comme ça. "
Une autre photo en révélait tout un alignement dans l'atelier de montage.
Jack les compta et fit la grimace. " quoi d'autre ?
- Tenez, dit Betsy. Regardez attentivement la coiffe du lanceur.
- M'a l'air normale, observa Ryan.
- C'est bien ça, le problème. L'assemblage de la tête est effectivement normal, souligna Scott. Normal pour l'emport d'une charge explosive, mais en aucun cas pour un satellite de communications. On l'avait déjà signalé
il y a quelque temps, mais personne n'y a prêté attention, ajouta l'analyste. Le reste du lanceur a été intégralement reconditionné. Nous avons estimé l'amélioration des performances.
- En bref ?
- En bref, six ou sept MIRV par engin, et une portée dépassant légèrement les dix mille kilomètres, répondit Mad. Fleming. La pire hypothèse, mais réaliste.
- «a fait beaucoup. Le missile a-t-il été certifié, testé ? Saiton s'ils ont procédé à des essais de ce collier d'amarrage ?
- Aucun élément. Nous avons des données fragmentaires sur des essais en vol du lanceur par notre réseau de surveillance dans le Pacifique, des signaux interceptés par BOULE D'AMBRE, mais ils restent équivoques sur un certain nombre de paramètres, lui dit Scott.
- Combien d'engins modifiés au total ?
- Vingt-cinq, à notre connaissance. Bien s˚r, trois ont déjà été utilisés pour des essais en vol, et deux autres sont à leur base de lancement, accouplés à une charge utile orbitale. Restent vingt.
- C'est quoi, ces charges utiles ? demanda Ryan, presque sur un coup de tête.
- Les mecs de la NASA pensent que ce sont des satellites d'observation.
Avec des capacités de transmission photographique en temps réel. Ils ont sans doute raison, dit Betsy, sombrement.
- Et par conséquent, ils ont sans doute décidé de se lancer àleur tour dans l'espionnage par satellite. Ma foi, ça se tient, non ? "Ryan prit quelques notes. " OK, donc, dans l'hypothèse pessimiste, la menace est de vingt lanceurs, armés chacun d'une tête multiple àsept ogives, soit un total de cent quarante bombes ?
- Correct, Dr Ryan. " L'un comme l'autre étaient suffisamment professionnels pour ne pas éprouver le besoin d'épiloguer sur la gravité de la menace. Le Japon avait la capacité théorique d'anéantir cent quarante cités américaines. L'Amérique pouvait de son côté rapidement reconstituer sa capacité à réduire en cendres l'archipel nippon, mais ça leur ferait une belle jambe. quarante années de doctrine MAD, quarante années d'équilibre de la terreur qu'on avait cru voir s'achever huit jours plus tôt, et voilà
qu'elle revenait sur le devant de la scène. N'était-ce pas formidable ?
" Savez-vous qui a pris ces photos ?
- Jack, dit Betsy, prenant sa voix de maîtresse d'école, vous savez bien que je ne demande jamais. Mais quel qu'en soit l'auteur, elles ont été
prises librement. C'est manifeste. Ces clichés n'ont pas été pris avec un Minox. quelqu'un qui s'est fait passer pour un journaliste, je parie. Ne vous tracassez pas, je ne dirai rien. " Sourire espiègle. Elle était dans le coup depuis trop longtemps pour ne pas connaître tous les trucs.
" Il s'agit manifestement de photos de haute qualité ", poursuivit Chris Scott qui se demandait comment Betsy pouvait avoir le culot d'appeler cet homme par son prénom. " …mulsion lente, à grain fin, du type employé par les reporters-photographes. Ils ont également autorisé la visite aux gars de la NASA. Ils voulaient qu'on sache.
- Aucun doute. " Mad. Fleming hocha vigoureusement la tête.
Et les Russes aussi, se souvint Ryan. Pourquoi eux? " Autre chose ?
- Ouais, ceci. " Scott lui tendit deux autres photos. Elles montraient deux wagons plates-formes modifiés. Le premier, équipé d'une grue. Le second révélait les ancrages prévus pour en installer une autre. " A l'évidence, ils transportent les missiles par le rail plutôt que par la route. J'ai fait examiner le wagon par un spécialiste. Apparemment, il est à voie normale.
- C'est-à-dire' ?
1. Jack Ryan s'y surtout connaît en avions et en sous-marins, mais les chemins de fer ne sont manifestement pas sa spécialité... On l'excusera, cet homme est débordé (NdT).
= L'écartement des rails. La voie normale est celle qu'on utilisé chez nous et dans la plupart des autres pays. La majeure partie du réseau ferroviaire japonais est à voie métrique. Marrant qu'ils n'aient pas piqué aux Russes les berceaux de transport autotractés qu'ils avaient conçus exprès pour la bête, observa Scott. Peut-être que leurs routes sont trop étroites ou qu'ils préfèrent cette méthode. " Il indiqua la carte. " Il y a une ligne à
voie normale d'ici à Yoshinobu. C'est le système d'arrimage qui m'a mis la puce à l'oreille. Les berceaux de fixation installés sur le wagon surbaissé
correspondaient à un poil près aux dimensions extérieures du cocon conçu par les Russes pour transporter l'engin. Donc, ils ont tout copié sauf le véhicule de transport. C'est tout ce dont nous disposons, monsieur.
- qui devez-vous voir, ensuite ?
- On file sur l'autre rive voir les gars du labo de recherche de la marine, répondit Chris Scott.
- Bien ", dit Ryan. Il brandit le doigt. " Et dites-leur bien que c'est du sérieux. Je veux qu'on me trouve tout ça, et avanthier sans faute.
- Vous savez qu'ils feront leur possible, Jack. Et il se pourrait bien que les autres nous aient rendu service en trimbalant ces engins par rail " , nota Betsy Fleming en se levant.
Jack reclassa les photos et en demanda un autre jeu complet àses visiteurs avant de les congédier. Puis il consulta sa montre et appela Moscou. Il se doutait bien que SergueÔ devait lui aussi faire des heures supplémentaires.
" Pourquoi bon Dieu leur avez-vous fourgué les plans du SS-19 ? " commença-t-il.
La réponse fut sèche. Peut-être que Golovko manquait également de sommeil.
" Pour l'argent, tiens. La même raison qui vous a conduits à leur vendre le système Aegis, les F-15 et le reste... "
Ryan grimaça, piqué par la justesse de la réplique. " Merci, vieux, j'imagine que je l'ai bien mérité. Nous estimons qu'ils en ont vingt opérationnels.
- «a devrait être à peu près le chiffre, mais nous n'avons pas encore pu visiter leur usine.
- Nous, si. Vous voulez des photos ?
- Bien s˚r, Ivan Emmetovitch.
- Elles seront sur votre bureau dès demain, promit Jack. J'ai sous les yeux notre estimation. J'aimerais savoir ce qu'en pensent vos spécialistes. " Il marqua un temps avant de poursuivre. " Nous envisageons au pire sept véhicules de rentrée par missile, soit un total de cent quarante.
- Largement assez pour nous deux, observa Golovko. Vous vous souvenez de notre première rencontre, pour négocier le retrait de ces saloperies ? " Il entendit Ryan ricaner au téléphone. Il n'entendit pas ce que pensait son collègue.
La première fois, j en étais tout près, à bord de votre sous-marin lancemissiles, Octobre Rouge, ouais, je m en souviens. je me souviens d'avoir senti ma peau se hérisser, comme si j'étais en présence de Lucifer en personne. Il n'avait jamais éprouvé le moindre début d'affection pour les armes balistiques. Oh, bien s˚r, peut-être avaient-elles préservé la paix durant quatre décennies, peut-être que la seule idée de leur existence avait détourné leurs détenteurs de ces pensées incontrôlées qui avaient rongé les chefs d'…tat tout au long de l'histoire de l'humanité. Mais il se pouvait aussi bien que l'humanité ait eu simplement de la chance, pour une fois.
" Jack, l'affaire devient sérieuse, dit Golovko. A propos, notre agent a rencontré les vôtres. Ils semblent l'avoir favorablement impressionné - et merci, au fait, pour votre copie de leur rapport. Elle comprenait des informations que nous n'avions pas. Pas d'une importance vitale, mais intéressantes malgré tout. Alors, dites-moi, savent-ils o˘ aller chercher ces fusées ?
- L'ordre a été transmis, lui assura Ryan.
- A mes hommes également, Ivan Emmetovitch. Nous les trouverons, n'ayez crainte ", crut-il bon d'ajouter. Il avait d˚ penser la même chose que lui: que la seule raison qui avait, par le passé, empêché d'utiliser les missiles était que les deux camps les détenaient, car c'était comme de vouloir menacer un miroir. Or, ce n'était plus le cas, bien s˚r. D'o˘ la question immédiate de Ryan : " Et maintenant ? demanda-t-il sombrement.
qu'est-ce qu'on fait ?
- Ne dites-vous pas dans votre langue "Chaque chose en son temps" ? "
Nést-ce pas le comble ? Voilà que c est un satané Russkof qui essaie de me redonner le moral!
" Merci, SergueÔ NikolaÔtch. Peut-être que j'en avais également besoin."
' " Alors, pourquoi avons-nous vendu Citibank ? demanda George Winston.
- Eh bien, il nous a dit de chercher des établissements bancaires vulnérables aux fluctuations monétaires, répondit Gant. Il avait raison. On s'est retirés juste à temps. Tenez, jugez vousmême. " Le contrepartiste tapa une autre instruction sur le clavier de son terminal et obtint l'affichage graphique de l'évolution du titre de la First National City Bank le vendredi précédent : aucun doute, il avait chuté à pic, et en grande partie à cause de Columbus qui en avait acheté de grandes quantités au cours des cinq semaines précédentes, puis après un temps d'attente, avait revendu, ébranlant sérieusement la confiance dans le titre. " quoi qu'il en soit, cela a déclenché un signal d'alarme dans notre programme...
- Mark, Citibank est l'un des titres témoins du modèle, n'est-ce pas ? "
demanda calmement Winston. Il n'avait rien àgagner à harceler ce garçon.
" Oh. " Les yeux de ce dernier s'agrandirent légèrement. " Ma foi oui, bien s˚r. "
C'est à cet instant précis qu'une lampe éblouissante s'alluma dans l'esprit de Winston. On savait mal comment les " systèmesexperts " enregistraient l'évolution du marché. Ils fonctionnaient selon plusieurs protocoles interactifs, en surveillant à la fois le marché dans son ensemble, mais également en modélisant plus finement l'évolution de valeurs témoins, considérées comme de bons indicateurs de la tendance. Il s'agissait de titres qui, statistiquement, avaient toujours le mieux reflété son évolution, avec une tendance marquée à la stabilité : des titres qui montaient ou descendaient plus lentement que les valeurs plus spéculatives, bref des " valeurs de père de famille ". Il y avait deux raisons àcela, et une erreur flagrante. Les raisons étaient que si le marché fluctuait d'un jour à l'autre, même dans les circonstances les plus favorables, il s'agissait non seulement d'empocher le gain maximum sur des titres-phares, mais également de préserver ses investissements avec des valeurs s˚res -
même si aucune ne l'était réellement, comme l'avait prouvé l'exemple de vendredi - lorsque s'instaurait une instabilité maximale. En l'occurrence, les
bases de calcul de la cote étaient celles qui, au cours du temps, s'étaient avérées des valeurs-refuges. L'erreur, quant à elle, était commune : les dés n'ont pas de mémoire. Ces valeurs témoins l'étaient uniquement parce que les entreprises qu'elles représentaient avaient toujours été bien gérées. Mais la gestion pouvait changer avec le temps. Par conséquent, ce n'étaient pas les titres en eux-mêmes qui étaient stables. C'était leur gestion, et ce n'était qu'une vérité historique, dont la pertinence devait être périodiquement vérifiée - malgré tout, ces titres continuaient à
servir d'indicateurs de tendance. Et une tendance n'était une tendance que parce que les gens en étaient convaincus, et par là même lui donnaient réalité. Winston avait toujours considéré les valeurs de la cote comme de simples indices prédictifs de ce que les acteurs du marché allaient faire ; pour lui, les tendances étaient toujours psychologiques, indicatrices de la propension des gens à suivre un modèle artificiel, et non pas des performances du modèle proprement dit. Gant, comprit-il, ne voyait pas tout àfait les choses ainsi, comme d'ailleurs la majorité de ses collègues techniciens.
Or, en vendant ses parts de Citibank, Columbus avait activé une alarme dans son propre système de
gestion de portefeuille informatisé. Et même un type aussi brillant que Mark avait oublié que Citibank faisait partie du putain de modèle!
" Montre-moi d'autres titres bancaires, ordonna Winston.
- Eh bien, Chemical a été le suivant, lui dit Gant, poursuivant également sur cette voie. Ensuite, il y a eu Manny-Hanny, puis d'autres encore. quoi qu'il en soit, on l'avait vu venir, et l'on s'est rué sur l'or et les métaux précieux. Vous savez, quand tout ça se sera tassé, on verra qu'on s'en est pas trop mal tirés. Sans faire de prouesses, mais sans trop de dég
‚ts non plus ", conclut Gant en affichant son programme de gestion d'ensemble des transactions, histoire de lui montrer qu'il avait quand même réussi un truc. " J'ai immédiatement récupéré l'argent d'une vente sur Silicon Alchemy pour prendre cette option sur GM, et ensuite... "
Winston lui tapota l'épaule. " Garde ça pour plus tard, Mark. Je peux voir que c'était bien joué.
- En tout cas, on a anticipé la tendance de bout en bout. Bon, d'accord, on a légèrement morflé au moment de l'expiration; quand il a fallu bazarder un stock de valeurs s˚res, mais enfin, c'est des choses qui arrivent à tout le monde...
- T'as toujours pas vu, n'est-ce pas ?
- Vu quoi, George ?
- La tendance, c'était nous. "
Mark Gant plissa les paupières, et Winston s'en rendit bien compte.
Non, il ne l'avait pas vu.
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Traces écrites
A présentation se déroula fort bien et, à son issue, Cathy L Ryan se vit'
offrir un cadeau, des mains du professeur de chirurgie ophtalmique de l'université de Chiba, qui dirigeait la délégation japonaise. Elle ouvrit le carton exquisément emballé et découvrit un foulard de soie bleu, brodé
de fils d'or. Il semblait avoir plus d'un siècle.
" Le bleu va si bien avec vos yeux, professeur Ryan, dit son collègue avec un sourire d'admiration sincère. J'ai peur que ce ne soit pas un cadeau de valeur suffisante pour ce que nous avons appris de vous aujourd'hui. J'ai des centaines de patients diabétiques dans mon hôpital. Avec cette technique, nous pouvons espérer rendre la vue à la majorité d'entre eux.
Une percée magnifique, professeur. " Il s'inclina cérémonieusement, avec un respect évident.