- C'est de la folie, mais qui s'intéresse à mon opinion ? Pas le gouvernement, ça c'est s˚r. Les seuls qu'ils écoutent, ce sont les
"gros". " Le propriétaire but une gorgée de thé en embrassant du regard sa boutique.
" Oui, je me fais du souci, moi aussi. J'espère que Goto pourra trouver un moyen de nous tirer de là avant que la situation échappe à tout contrôle. "
Nomuri s'était retourné pour regarder dehors. Le temps devenait gris et menaçant. Il entendit derrière lui un grognement de colère manifeste.
" Goto ? Encore un qui ne vaut pas mieux que le reste de la bande. Il se laisse mener par le bout du nez... ou peut-être par une autre partie de son individu, si les rumeurs le concernant sont exactes. "
Nomuri rigola. " Oui, je les ai entendues, moi aussi. C'est qu'il est encore vigoureux, le bonhomme, non ? " Il marqua une pause. " Donc, je peux encore vous louer un quad aujourd'hui ?
- Prenez donc le six. " L'homme lui indiqua la machine. " Je viens de finir de la réviser. Mais faites attention à la météo... Ils prévoient de la neige ce soir. "
Nomuri brandit son sac à dos. " J'ai envie de prendre des photos des sommets dans les nuages, pour mon album. Il règne ici une paix merveilleuse, si propice à la réflexion.
- Seulement l'hiver ", nota le commerçant en retournant àses travaux de mécanique.
Nomuri connaissait le chemin, à présent, et il remonta le cours de la Taki en suivant une piste recouverte d'une cro˚te de givre. Il se serait senti plus à l'aise si ce satané engin avait été pourvu d'un silencieux d'échappement plus efficace. Au moins, la densité de l'air froid devait contribuer à étouffer le bruit, enfin c'est ce qu'il espérait, alors qu'il reprenait l'itinéraire emprunté quelques jours auparavant. Il parvint enfin à un point surmontant une prairie d'altitude, et ne remarquant rien de spécial, il se demanda si... Toutes sortes d'éventualité lui traversèrent l'esprit. Et si les soldats étaient tombés dans une embuscade ? Dans ce cas, je suis grillé. Mais il n'était plus question de faire demi-tour. Il se jucha de nouveau sur le 4x4 et redescendit le flanc de la colline pour s'arrêter comme convenu au milieu de la clairière. Il rabattit la capuche de son anorak rouge. Un examen plus attentif lui permit de remarquer une zone de terre retournée, et comme une vague trace qui rejoignait les bois.
C'est à cet instant qu'une silhouette
apparut, lui faisant signe de monter. L'agent de la CIA redémarra et'se dirigea dans cette direction.
Les deux soldats devant lui ne pointaient aucune arme. C'était inutile.
Leur visage maquillé et leur uniforme camouflé lui disaient tout ce qu'il avait besoin de savoir.
" Je suis Nomuri, se présenta-t-il. Le mot de passe est Renard.
- Capitaine Checa, répondit l'officier en tendant la main. Nous avons déjà
travaillé avec l'Agence. C'est vous qui avez choisi cet endroit ?
- Non, mais je suis venu l'inspecter avant-hier.
- Chouette coin pour construire un refuge, observa Checa. On a même aperçu plusieurs chevreuils, des petits. J'espère qu'on n'est pas en période de chasse. " La remarque prit de court Nomuri. Il n'avait pas envisagé
l'éventualité, et d'ailleurs ignorait tout de la chasse au Japon. " Alors, qu'est-ce que vous nous avez apporté ?
- Ceci. " Nomuri récupéra son sac à dos et en sortit les téléphones cellulaires.
" C'est une blague ?
- Les militaires japonais ont un excellent matériel pour intercepter les communications militaires. Merde, c'est quand même eux qui ont inventé une bonne partie de la technologie que nous utilisons. Mais ces trucs...
(Nomuri sourit) tout le monde en a, ils sont à codage numérique et leur réseau couvre tout le pays. Même ici. Il y a une tour relais au sommet de cette montagne. Bref, c'est un moyen plus s˚r que votre équipement habituel. L'abonnement est souscrit jusqu'à la fin du mois, ajouta-t-il.
- «a serait sympa d'appeler la maison pour dire à ma femme que tout baigne, songea Checa, tout haut.
- A votre place, je m'abstiendrais. Voici la liste des numéros que vous pouvez appeler. " Nomuri lui tendit une feuille. " Celui-ci est le mien.
Cet autre est celui d'un certain Clark. Et celuilà, d'un autre agent du nom de Chavez...
- Ding est ici ? " C'était le sergent-chef Vega.
" Vous les connaissez ?
- On a fait un truc en Afrique l'automne dernier, répondit Checa. On se tape pas mal de missions "spéciales". Eh, vous êtes s˚r que pouvez nous donner comme ça leurs noms ?
- Ils ont une couverture. Vous aurez sans doute intérêt àdialoguer en espagnol. Il n'y a pas grand monde qui parle la langue dans ce pays. Je n'ai pas besoin de vous conseiller de réduire vos communications à
l'essentiel ", ajouta Nomuri. Il n'avait pas besoin. Checa acquiesça avant de poser la question essentielle.
" Et pour l'évacuation ? "
Nomuri se retourna pour désigner un détail du relief environnant, mais le détail en question était noyé sous les nuages. " Il y a une passe, là-bas.
Vous l'emprunterez, puis vous redescendrez en direction d'une ville appelée Hirose. Là, je vous y récupère, je vous mets dans un train pour Nagoya, et vous filez en avion vers Taiwan ou la Corée.
- Tout simplement. " C'était une remarque, pas une question, mais le ton dubitatif était éloquent malgré tout.
" Il y a bien là-bas deux cent mille hommes d'affaires étrangers. Vous êtes onze Espagnols qui essaient de vendre du vin, d'accord ?
- Je cracherais pas sur une petite sangria, là. " Checa était soulagé
d'apprendre que son contact à la CIA avait été affecté àla même mission. Ce n'était pas toujours le cas. " Et maintenant ?
- Vous attendez l'arrivée du reste des effectifs. Si jamais il y a un truc qui cloche, vous m'appelez et vous filez. Si je suis inaccessible, vous appelez aux autres numéros. Si tout foire, vous trouvez un autre moyen de déguerpir. Vous devriez avoir des passeports, des vêtements, et...
- On les a.
- Bien. " Nomuri sortit son appareil du sac à dos et se mit à photographier les montagnes drapées de nuages.
" Vous regardez CNN, en direct de Pearl Harbor ", conclut le reporter, avant la coupure publicitaire. L'analyste du renseignement rembobina la bande pour la visionner à nouveau. C'était àla fois incroyable et parfaitement banal qu'il ait réussi à recueillir avec une telle facilité
des informations aussi vitales. Au fil des ans, il avait appris qu'aux …
tats-Unis, c'étaient vraiment les médias qui dirigeaient le pays, et c'était sans doute fort regrettable. Leur façon de monter en épingle le malheureux incident du
sous-main avait précipité tout le pays dans une action irréfléchie, puis poussé son propre pays à l'imiter, et la seule bonne nouvelle était ce qu'il voyait maintenant sur l'écran de télé : deux porteavions de la flotte américaine toujours en cale sèche, deux autres toujours dans l'océan Indien, d'après les dernières dépêches en provenance de cette partie du monde, et les deux derniers de la flotte du Pacifique étaient à Long Beach, également en cale sèche et donc indisponibles - et cela résumait l'essentiel de la situation, en tout cas pour ce qui concernait les Mariannes. Il devait coucher ses estimations sur quelques feuillets, mais en deux mots, si l'Amérique pouvait peut-être égratigner son pays, sa capacité à projeter une force appréciable n'était plus qu'un souvenir. Ce qui excluait la probabilité d'un affrontement sérieux dans un avenir proche.
Jackson ne voyait pas d'inconvénient à
être le seul passager du C-20B. On avait vite fait de s'habituer à ce genre de traitement, et il devait admettre que les zincs officiels de l'Air Force étaient supérieurs à ceux de la Navy - à vrai dire, la marine n'en avait pas beaucoup, et il s'agissait presque exclusivement de P-3 Orion modifiés, qui avec leurs turbopropulseurs ne pouvaient guère dépasser la moitié de la vitesse du biréacteur d'affaires. Après une unique brève escale-ravitaillement à la base de Travis, près de San Francisco, il avait rejoint HawaÔ en moins de neuf heures, ce qui était en soi réconfortant, jusqu'au moment o˘ l'approche finale sur Hickam lui offrit un panorama sur la base navale, avec l'Enterprise toujours en cale de radoub. Le premier des porteavions nucléaires, qui arborait fièrement le nom le plus fameux de la marine américaine, allait être hors jeu pour ce coup-ci. C'était déjà
pénible du seul point de vue esthétique. Plus précisément, il aurait mieux valu disposer de deux ponts d'envol au lieu d'un seul.
" Tu l'as, ton escadre, mon gars ", se murmura Robby. Et c'était celle que convoitait tout officier de l'aéronavale. La Task Force 77, sur le papier la première force aéronavale de la flotte du Pacifique, était désormais à
lui, et prête à se jeter dans la bataille. Peut-être qu'il y a cinquante ans encore, il aurait éprouvé une certaine fièvre. Peut-être qu'il y a cinquante ans,
quand l'élite de la flotte voguait sous les ordres de Ray Spruance ou de Bill Halsey, les officiers auraient attendu ce moment avec impatience.
Enfin, c'est ce que racontaient les films de guerre, ainsi que les journaux de bord, mais dans quelle mesure cela relevait-il de l'affectation, Jackson se le demandait, alors qu'il allait assumer ce commandement à son tour.
Est-ce que Spruance et Halsey perdaient le sommeil à l'idée d'envoyer à la mort de jeunes gars, ou le monde était-il simplement différent à l'époque, quand la guerre était considérée comme un événement aussi naturel qu'une épidémie de polio - autre malédiction, elle aussi reléguée dans les souvenirs du passé. Commander la Task Force 77 était l'ambition de sa vie, mais jamais il n'avait réellement voulu faire la guerre - oh, certes, il l'admettait, quand il était enseigne de vaisseau de seconde (et même de première) classe, il avait rêvé de duels aériens, sachant que l'aviation navale américaine était la meilleure du monde, parfaitement entraînée, superbement équipée et br˚lant de le prouver un jour. Mais avec le temps, il avait vu trop de copains mourir dans des accidents. Il avait réussi à
abattre un zinc lors de la guerre du Golfe, et quatre autres au-dessus de la Méditerranée, par une belle nuit étoilée, mais ces quatre-là avaient été
un accident. Il avait tué des hommes sans aucune raison valable, et même s'il n'en avait jamais parlé à personne, pas même à sa femme, cela le rongeait d'avoir été amené par la ruse à tuer ses semblables. Il n'y était pour rien, ce n'avait jamais été qu'une erreur nécessaire. Mais c'était cela, la guerre pour la majorité des combattants : rien qu'une immense erreur, et voilà qu'il devait contribuer à rééditer une erreur analogue, au lieu d'utiliser la TF-77 conformément à sa mission d'origine, à savoir éviter le déclenchement des guerres par sa seule existence. Sa seule consolation, pour l'heure, c'était qu'une fois encore, l'erreur, l'accident n'était pas de son fait.
Avec des si, on mettrait Paris en bouteille..., se dit-il alors que l'avion terminait son roulage à l'arrivée. Le steward ouvrit la porte et confia l'unique bagage de Jackson à un autre sergent de l'Air Force, qui conduisit l'amiral vers l'hélicoptère qui devait l'amener auprès du CINCPAC, le commandant en chef de la flotte du Pacifique, l'amiral Dave Seaton. Il était temps pour lui de revêtir son masque professionnel. Abusé ou non, Robby Jackson était un guerrier sur le point d'assumer un commandement.
Maintenant qu'il avait récapitulé ses doutes et ses interrogations, il était temps de les mettre de côté.
" On va leur devoir une fière chandelle " , nota Durling en éteignant le poste avec sa télécommande.
Si incroyable que cela puisse paraître, la technologie avait été mise au point pour les publicités lors des matches de base-ball. Adaptation de la technique de l'écran bleu utilisée en trucage vidéo, les super-ordinateurs avaient permis de l'employer en temps réel, pour que le panneau situé
derrière le frappeur sur le marbre donne l'impression d'afficher une publicité pour une banque locale ou un concessionnaire automobile quand il était banalement peint en vert comme sur tous les stades. Dans ce cas précis, un journaliste pouvait faire son reportage en direct de Pearl Harbor - devant la base navale, bien entendu - et l'arrière-plan montrait deux porte-avions, sur fond de mouettes et, pas plus grosses que des fourmis, les silhouettes des ouvriers du chantier naval évoluant dans le lointain ;l'image paraissait aussi véridique que le reste de ce qu'affichait l'écran du téléviseur, qui n'était jamais qu'une collection de points lumineux multicolores.
" Ce sont des Américains ", nota Jack. Et par ailleurs, c'était lui qui s'était chargé de les en convaincre, réussissant une fois encore à épargner au Président cette t‚che politiquement risquée. " Ils sont censés être dans notre camp. Il a suffi de le leur rappeler, c'est tout.
- Vous croyez que ça va marcher>. " C'était la question la plus épineuse.
" Pas éternellement, mais le temps suffisant, peut-être. C'est un bon plan qu'on a réussi à mettre en place. Il faut qu'on arrive à prendre l'avantage, et de ce côté, on a déjà marqué deux points. L'important, c'est de leur montrer ce à quoi ils s'attendent : àsavoir, les deux porte-avions en rade là-bas, et les médias en train de le clamer à tous les vents. Les agents de renseignements ne sont pas différents du commun des mortels, monsieur. Comme tout le monde, ils ont des préjugés, et quand ils les voient matérialisés, ça ne fait que les convaincre de la justesse insigne de leur raisonnement.
- Combien de personnes allons-nous devoir tuer?
- Le nombre nécessaire. Impossible encore à chiffrer, et nous allons tout faire pour qu'il reste le plus bas possible... mais, monsieur le président, la mission est de...
- Je sais. Je suis au courant des missions, savez-vous ? " Durling ferma les yeux ;lui revenait le souvenir de l'…cole navale, àFort Benning, Georgie, une demi-existence plus tôt. La mission passe d'abord. C'était la seule façon de penser pour un jeune lieutenant d'infanterie, et voilà que pour la première fois, il réalisait qu'un président devait penser de même.
Il y avait là quelque chose d'injuste.
Ils ne voyaient guère le soleil à cette latitude en cette période de l'année, et cela convenait au colonel Zacharias. Le vol de Whiteman à
Elmendorf n'avait pris que cinq heures, intégralement de nuit parce que le B-2A ne volait de jour que pour se montrer, ce qui n'avait jamais été sa destination première. Il volait fort bien, d'ailleurs, preuve a posteriori de l'exactitude des conceptions de Jack Northrop dans les années trente : un appareil qui se réduisait à une aile volante était la forme aérodynamique la plus efficace. Le seul problème était que les systèmes de contrôle de vol nécessaires au fonctionnement d'un tel appareil exigeaient des commandes informatisées pour assurer une stabilité convenable à
l'engin, dispositifs qui étaient restés une impossibilité technique jusque peu avant la disparition de l'ingénieur aéronautique. Faute de contempler l'engin réel, au moins avaitil pu en admirer la maquette.
Presque tout dans cet appareil respirait l'efficacité. La forme de la cellule facilitait l'entreposage - on pouvait en garer trois dans un hangar conçu pour un avion classique. Il grimpait quasiment comme un ascenseur et, pouvant voler à haute altitude, il consommait le kérosène par tasses plutôt que par barils, du moins s'il fallait en croire le chef d'escadrille.
Le B-1B mitraillé était prêt à s'envoler pour rallier Elmendorf Il devrait voler sur trois réacteurs, ce qui n'était pas un gros problème pour un appareil qui n'aurait à emporter que le carburant nécessaire et son équipage. D'autres avions étaient désormais
basés à Shemya. Deux E-3B AWACS dépêchés de la base de Tinkér dans l'Oklahoma assuraient partiellement des patrouilles d'alerte aérienne, bien que l'?le dispos‚t de ses propres radars de détection - le plus puissant étant le système de détection de missiles Cobra Dane mis en service dans les années soixante-dix. Il restait la possibilité théorique que les Japonais parviennent, en recourant à des ravitailleurs, à venir frapper l'île, rééditant le record de distance établi par les aviateurs israéliens lors d'un raid contre le quartier général de l'OLP en Afrique du Nord, et même improbable, l'éventualité devait être envisagée.
La seule parade était le petit groupe de quatre F-22A Rapier de l'Air Force, les premiers authentiques chasseurs furtifs réalisés au monde. On les avait soustraits à leurs essais avancés à la base de Nellis pour les expédier, avec quatre pilotes chevronnés et leurs équipes de mécanos, jusqu'à cette base située au fin fond de l'univers connu. Mais le Rapier -
connu de ses pilotes sous le nom que son constructeur, Lockheed, lui avait attribué à l'origine, le Lightning-II' - n'avait pas été conçu pour la défense, et maintenant que le soleil s'était recouché après une brève et timide apparition, il était temps qu'il retrouve sa fonction originelle.
Comme toujours, le ravitailleur décolla le premier, avant même que les pilotes de chasse ne sortent de la cabane de briefing pour gagner les hangars et entamer leur mission de nuit.
" S'il a pris l'avion hier, pourquoi y a-t-il toujours de la lumière ?
demanda Chavez, en levant les yeux vers l'appartement en terrasse.
- Un minuteur pour déjouer les cambrioleurs ? demanda John, distraitement.
- On n'est pas à Los Angeles, mec.
- Alors, je suppose qu'il y a du monde là-haut, Evgueni Pavlovitch. " Il tourna dans une autre rue pour garer la voiture.
Parfait, donc on sait que Koga n ‚ pas été arrêté par la police locale. On sait que Yamata est le maître du jeu. On sait que son 1. En hommage à son illustrissime devancier, le bimoteur bipoutre P-38
Lightning ; cet " …clair " fut l'avion américain qui abattit le plus d'appareils japonais pendant la Seconde Guerre mondiale (NdT).
chef de la sécurité, Kaneda, a sans douté tué Kimberly Norton. On sait que Yamata a quitté la capitale. Et on sait qu'il y a de la lumière chez lui...
Clark trouva une place pour garer la voiture. Puis Chavez et lui continuèrent à pied. Avant toute chose, faire le tour du p‚té de maisons, pour repérer les habitudes, les détails marquants, suivant un processus appelé reconnaissance, qui commençait dès le rez-de-chaussée et paraissait toujours plus fastidieux qu'il ne l'était réellement.
" On est dans le brouillard sur pas mal de points, chef, souffla Chavez.
- Je croyais que tu voulais regarder un type au fond des yeux, Domingo ", rappela John à son partenaire.
Il avait des yeux singulièrement inexpressifs, songea Koga, et qui n'avaient rien d'humain. Sombres et larges, mais comme secs, et ils étaient fixés sur lui - ou peut-être restaient-ils simplement braqués dans sa direction, pour ne plus bouger, se dit l'ancien Premier ministre. quels qu'ils soient, ils ne révélaient aucun indice sur ce qui se cachait derrière. Il avait certes entendu parler de Kiyoshi Kaneda, et le terme le plus souvent employé pour le décrire était ronin, référence historique à
ces guerriers samouraÔs qui avaient perdu leur maître sans pouvoir en trouver un autre, ce qui passait pour un grand déshonneur à l'époque. Ils étaient devenus des bandits, ou pis, et ils avaient perdu contact avec le code bushido qui depuis mille ans dictait leur conduite aux éléments de la population nippone en droit de porter et user des armes. quand enfin ils retrouvaient un nouveau maître à servir, ces hommes devenaient des fanatiques, et ils redoutaient à tel point de retomber dans leur statut antérieur qu'ils étaient prêts à n'importe quelle extrémité pour éviter un tel sort.
C'était une rêverie stupide, il le savait, en contemplant le dos de l'homme assis devant la télé. L'ère des samouraÔs était révolue, et avec elle celle des seigneurs féodaux qu'ils avaient servis, et pourtant cet homme était là, buvant son thé, l'oeil rivé sur la télé qui diffusait une dramatique de la NHK sur les samouraÔs. Il restait impassible, comme hypnotisé par le récit fortement stylisé, qui était en fait l'équivalent nippon des westerns américains des
années cinquante, mélodrames simplistes mettant en scène la lutte du bien contre le mal, au détail près que la figure héroÔque, toujours laconique, toujours invincible, toujours mystérieuse, se servait d'une épée au lieu d'un six-coups. Et cet imbécile de Kaneda adorait les histoires de ce genre, avait-il pu apprendre au cours des trente-six heures écoulées.
Koga se leva pour s'approcher de la bibliothèque, et cela suffit pour que l'homme se retourne et le regarde. Chien de garde, songea Koga sans même se retourner, tandis qu'il choisissait un autre livre. Et un chien de garde formidable, surtout avec ces quatre autres sbires, deux qui dormaient en ce moment, le troisième dans la cuisine et le dernier dehors, devant la porte.
Il n'avait pas la moindre chance de s'échapper, c'était évident. Ce type était peut-être un imbécile, mais de ceux que la prudence incitait à
redouter.
qui était ce Kaneda, en définitive ? se demanda-t-il. Un ancien Yakuza, sans doute. Il n'arborait aucun des tatouages grotesques qu'affectionnaient les membres de cette subculture, histoire de se différencier radicalement dans un pays qui exigeait le conformisme - mais, dans le même temps, manifestation de leur conformisme dans cette société d'exclus. D'un autre côté, il portait un costume trois-pièces, avec pour seule concession au confort le veston déboutonné. Même assis, le ronin se tenait raide sur son siège, nota Koga en allant se rasseoir avec son livre, mais sans quitter des yeux son ravisseur. II se savait battu d'avance s'il devait se battre -
Koga n'avait jamais cherché à apprendre l'un ou l'autre des arts martiaux que son pays avait contribué à développer, et l'homme avait une force physique formidable. Et il n'était pas seul.
C'était bel et bien un chien de garde. Impassible en apparence, il évoquait plutôt un ressort bandé, prêt à se détendre pour frapper ; s'il était civilisé, c'était uniquement dans la mesure o˘ les gens alentour ne faisaient pas mine de l'énerver, ce qu'il exprimait d'une manière si explicite qu'il e˚t fallu être fou pour prendre un tel risque. Koga avait honte de se laisser aussi aisément intimider, mais c'était pourtant le cas, car en homme intelligent et réfléchi, il ne voulait pas g‚cher sa seule et unique chance, s'il pouvait la saisir, à cause d'un geste inconsidéré.
Bon nombre d'industriels avaient des hommes de main tel que celui-ci. Certains portaient même une arme à feu, pratique presque impensable au Japon, mais il suffisait de connaître la personne adéquate qui se chargerait de la démarche adéquate auprès du fonctionnaire adéquat pour se voir délivrer un permis tout àfait exceptionnel, et cette possibilité effrayait moins Koga qu'elle ne le révoltait. Bien que détestable, le sabre du ronin n'e˚t été dans un tel contexte qu'un accessoire de thé‚tre, quand un pistolet représentait pour Koga le mal absolu, un objet étranger à sa culture, une arme de couard. Et c'était bien ce qu'il avait devant lui : Kaneda devait être un couard, incapable de gouverner sa propre existence, voire d'enfreindre la loi sinon sur l'ordre de tiers, mais une fois l'ordre reçu, il était prêt à tout. Terrible constat sur l'état de son pays ! Les individus de cet acabit étaient employés par leurs maîtres pour tabasser les syndicalistes et les concurrents. Des individus comme Kaneda agressaient des manifestants, parfois au vu de tous, et ils s'en sortaient toujours parce que la police regardait de l'autre côté ou réussissait à se trouver ailleurs, même si la presse, elle, était là pour saisir l'événement du jour. C'étaient ces genslà et leurs maîtres qui empêchaient son pays d'être une authentique démocratie, et la prise de conscience était d'autant plus amère pour Koga qu'il connaissait cet état de fait depuis des années, qu'il avait voué sa vie à le changer, et qu'il avait échoué ; et il se retrouvait à présent dans l'appartement en terrasse de Yamata, sous bonne garde, attendant sans doute d'être rejeté dans l'oubli, comme l'incongruité politique qu'il était déjà ou n'allait pas tarder à devenir, et de voir, impuissant, son pays entièrement livré à une nouvelle race de maîtres - nouvelle ? Non, une race ancienne, plutôt. Et il ne pourrait rien y faire, et c'était pour cela qu'il était assis, un livre entre les mains, tandis que Kaneda, vissé
devant la télé, regardait un acteur anonyme jouer un drame dont le début, le milieu et la fin avaient été déjà récrits mille fois, tout en faisant comme s'il était à la fois réel et nouveau, alors qu'il n'était ni l'un ni l'autre.
Les batailles analogues ne s'étaient jouées qu'en simulation, ou peut-être dans les cirques romains d'un passé depuis longtemps révolu. De part et d'autre, on trouvait les avions-radars d'alerte avancée, E-767 côté nippon, E-3B côté américain, si éloignés
qu'aucun ne " voyait " réellement l'adversaire sur ses multiples écian's, même si chacun surveillait les signaux de son homologue gr‚ce à sa batterie d'instruments. Entre eux, les gladiateurs, parce que, pour la troisième fois, les Américains testaient les défenses aériennes du japon, et pour la troisième fois se voyaient mis en échec.
Les AWACS américains étaient à six cents milles au large de Hokkaido, tandis que les chasseurs F-22 étaient cent milles devant, pour " sonder "
l'adversaire, comme disait le leader, et les F-15 japonais faisaient de même, en s'insinuant sous la couverture radar du réseau de surveillance américain, mais sans pour autant renoncer à leur propre couverture.
Au signal, les chasseurs américains rompirent en deux formations de deux appareils. L'élément de tête fonça plein sud, exploitant sa capacité à
croiser à plus de seize cents kilomètres-heure, pour s'approcher en oblique du rideau d'appareils japonais.
" Ils sont rapides " , observa un contrôleur nippon. Pas facile de maintenir le contact. Les appareils américains étaient apparemment furtifs, mais la taille et la puissance de l'antenne des Kami déjouait une fois encore la technologie de réduction d'image radar, et le contrôleur entreprit bientôt de dévier les Eagle vers le sud pour les guider sur le signal adverse. Et pour mieux faire sentir aux Américains qu'ils étaient repérés, il sélectionna avec soin fréquence et forme d'onde à l'aide de son pointeur électronique, puis régla le radar pour qu'il arrose la cible àintervalles de quelques secondes. Il fallait qu'ils sachent qu'ils étaient suivis en permanence, que leur prétendue technologie d'évasion n'était pas à la hauteur d'un matériel radicalement nouveau. Histoire de mettre un peu de sel, il bascula la fréquence de son émetteur en mode contrôle de tir.
Ils étaient bien trop loin en fait pour être à portée de missile, malgré
tout, ce serait un moyen supplémentaire de leur prouver qu'on pouvait les illuminer pour un tir même à une telle distance, et ça leur servirait déjà
de leçon. Le signal faiblit légèrement au début, disparut presque entièrement, mais bientôt le logiciel réussit à l'extraire du bruit ambiant et renforcer l'écho, lorsque l'opérateur eut concentré son faisceau sur la position des deux chasseurs américains,
puisqu'il ne pouvait s'agir que de chasseurs. Le B-1, quoique rapide, n'était pas aussi agile. Oui, c'était la meilleure carte que puissent jouer les Américains, et elle n'était pas suffisante, et peut-être que si la leçon portait, la diplomatie changerait une bonne fois pour toutes, et la paix reviendrait sur le Pacifique Nord.
" Regarde comment leurs Eagle évoluent pour se couvrir, observa le chef contrôleur américain devant son écran de supervision.
- Ouais, comme s'ils étaient reliés aux "7" par un fil ", nota son compagnon. C'était un pilote de chasse qui venait d'arriver de la base de Langley, qG du commandement aérien tactique, o˘ sa t‚che était de mettre au point les tactiques de combat aérien.
Un autre tableau d'affichage indiquait que trois des E-767 avaient pris l'air. Deux étaient en position avancée, tandis que le troisième tournait à
proximité de sa base, juste au large de la côte de Honshu. Cela n'avait rien de surprenant. C'était même la tactique prévisible parce que la plus logique, et les trois appareils de surveillance avaient calé leurs instruments sur ce qui devait être leur puissance maximale, comme de juste pour détecter des avions furtifs.
" Maintenant, on sait pourquoi ils ont réussi à toucher nos deux Lancer, observa le pilote. Ils peuvent basculer en haute fréquence et assurer la conduite de tir des Eagle à leur place. Nos gars risquaient pas de se douter qu'ils étaient en train de se faire aligner. Pas con.
- Ce serait chouette d'avoir un de ces radars, reconnut le chef contrôleur.
- Ouais, mais à présent, on sait comment les déjouer. " L'officier venu de Langley croyait tenir la solution. Le contrôleur n'en était pas àussi certain.
" «a, on le saura d'ici quelques heures. "
Sandy Richter volait encore plus bas qu'avait osé descendre le C-17. Il était également plus lent, cent cinquante noeuds, maxi, et déjà fatigué par ce curieux mélange de tension et d'ennui inçluit par le vol au ras des flots. La nuit précédente, leurs trois hélicos avaient fait escale à Petrovka Ouest, autre base de MiG mise au rancart près de Vladivostok. Ils y avaient connu sans doute leur dernière nuit de sommeil décent d'ici plusieurs jours, avant de redécoller à 22:00 heures pour se lancer à leur tour dans l'opération ZORRO. Chaque appareil était à présent équipé de pylônes d'ailes, portant chacun deux réservoirs supplémentaires.
Même s'ils étaient rendus nécessaires par le rayon d'action exigé, ils restaient décidément bien peu furtifs, malgré leur construction en fibre de verre transparente aux ondes radar, histoire d'améliorer quelque peu la situation. Le pilote portait son équipement habituel, simplement complété
d'un gilet de sauvetage. C'était plus une concession aux règlements de survol des étendues maritimes qu'une mesure réellement utile. L'eau qui défilait cinquante pieds au-dessous d'eux était bien trop froide pour qu'on y survive longtemps. Il fit de son mieux pour évacuer cette pensée, se cala dans son siège et se concentra plutôt sur le pilotage, pendant que le mitrailleur à l'arrière s'occupait des instruments.
" Toujours OK, Sandy. " L'écran détecteur de menaces restait toujours plus noir que la nuit environnante alors qu'ils mettaient le cap à l'est en direction de Honshu.
" Roger. " Derrière eux, espacés de dix milles, les deux autres Comanche suivaient le même cap.
Bien que de petite taille, et même si ce n'était jamais qu'un hélicoptère, le RAH-66A était par certains côtés l'appareil le plus perfectionné du monde. Sa coque en matériaux composites abritait les deux ordinateurs embarqués les plus puissants qu'on ait jamais conçus, et le second n'était là qu'en secours en cas de défaillance du premier. Leur t‚che principale, pour le moment, était de délimiter la couverture radar qu'il leur faudrait pénétrer, de manière à pouvoir calculer la surface équivalente radar de leur fuselage en fonction des capacités connues ou estimées des yeux électroniques qui balayaient le secteur. Plus ils approchaient du territoire japonais, plus grandissaient les zones jaunes de détection possibles et celles, rouges, de détection certaine.
" Phase deux ", annonça d'une voix calme l'officier tacticien àbord de l'AWACS.
Les F-22 étaient tous équipés de matériel de brouillage pour améliorer leurs capacités furtives, et au signal, ils furent mis en service.
" Pas malin ", estima le contrôleur japonais. Parfait. Ils doivent savoir qu on est capables de les repérer. Son écran fut soudain constellé de points, de taches et d'éclairs quand le bruit électronique généré par les chasseurs américains brouilla son image. Il avait deux moyens d'y pallier.
Pour commencer, il augmenta la puissance ; cela annihilerait en grande partie les effets de la tentative adverse. Ensuite, il commanda au radar de se mettre à balayer les fréquences au hasard. Il constata que la première mesure était plus efficace que la seconde, car les brouilleurs américains étaient également agiles en fréquence. La mesure était imparfaite mais restait toutefois gênante. Le logiciel chargé de la poursuite se fondait sur un certain nombre de suppositions. Il partait de la position définie ou estimée des appareils américains, et connaissant leur gamme de performances, il recherchait des échos susceptibles de correspondre aux caractéristiques de cap et de vitesse calculées, une technique qui avait déjà réussi naguère avec les bombardiers qui avaient testé sa ligne de défense. Le problème était qu'avec cette puissance de sortie, il se remettait à détecter les oiseaux et les courants atmosphériques, et qu'en extraire les vrais échos était de plus en plus difficile, jusqu'au moment o˘ il pressa un autre bouton qui déclenchait le suivi des émissions de brouillage dont le signal surpassait en intensité l'écho proprement dit. Gr
‚ce à cette vérification supplémentaire, il put rétablir un contact solide avec les deux couples de cibles. Cela n'avait pris que dix secondes, ce qui était relativement rapide. Et pour bien montrer aux Américains qu'il ne s'était pas laissé avoir, il poussa la puissance à fond, puis bascula fugitivement en mode contrôle de tir pour balayer les quatre chasseurs américains : le faisceau radar était d'une telle intensité qu'il avait toutes chances de cramer une partie de leur équipement s'il n'était pas convenablement durci. Ce serait une façon intéressante d'abattre l'adversaire, et il se souvint de l'accident de ces deux Tornado allemands détruits pour être passés trop près d'un émetteur de radio FM. A son grand dépit, les Américains infléchirent simplement leur trajectoire.
" quelqu'un vient de nous balancer un signal de brouillage au nôrd=est.
- Parfait, juste à temps ", répondit Richter. Un bref coup d'oeil à l'écran de détection des menaces lui indiqua qu'ils étaient à quelques minutes de l'entrée dans une zone jaune. Il éprouva le besoin de se masser le visage, mais ses deux mains étaient prises. Une vérification des jauges de carburant révélait que ses réservoirs supplémentaires étaient presque vides. " Largage des bidons.
- Roger... ça aidera. "
Richter ôta le couvercle du bouton d'éjection. C'était un ajout récent au dessin de l'appareil, mais quelqu'un s'était finalement avisé que si l'hélico devait être furtif, il ne serait peut-être pas inutile qu'on puisse éliminer en vol tous les accessoires nuisant à cette furtivité.
Richter réduisit légèrement les gaz et pressa le bouton qui déclenchait les boulons explosifs, larguant pylônes et réservoirs dans la mer du japon.
" Séparation réussie ", confirma le mitrailleur à l'arrière. L'écran de menaces se modifia, sitôt les réservoirs largués. L'ordinateur de bord tenait scrupuleusement compte des variations du niveau de furtivité de l'appareil. Le Comanche abaissa de nouveau le nez et l'hélicoptère accéléra pour retrouver sa vitesse de croisière initiale.
" Ils sont prévisibles, hein ?remarqua le contrôleur japonais àl'adresse de son principal subordonné.
- Je pense que la démonstration est faite. Mieux encore, tu viens de leur démontrer ce que nous pouvions faire. " Les deux officiers échangèrent un regard. Tous deux s'étaient inquiétés des capacités du chasseur américain Rapier, et tous deux savaient désormais qu'ils n'avaient plus de souci à se faire. Un appareil certes formidable, et que leurs pilotes d'Eagle devraient traiter avec respect, mais pas invisible.
" Réponse prévisible, dit le contrôleur américain. Et ils viennent de nous révéler un truc. Disons que ça fait dans les dix secondes ?
- Serré, mais jouable. «a marchera ", estima le colonel venu de Langley en se penchant pour prendre une tasse de café. " A présent, on bosse sur cette idée. " Sur l'écran principal, les F-22 repartirent vers le nord, et en lisière du périmètre de détection des AWACS, les F-15J les imitèrent, calquant la manoeuvre des Américains, comme des voiliers dans une régate au près, cherchant à rester interposés devant leurs inestimables E-767 que les accidents tragiques de quelques jours auparavant avaient rendus d'autant plus précieux.
Ils n'étaient pas mécontents de toucher de nouveau terre. Bien plus agile que le cargo la nuit précédente, le Comanche put choisir un site d'abordage absolument dépourvu d'habitations. Aussitôt, il entreprit de se faufiler à
basse altitude dans les gorges montagneuses, abrité des lointains avions de surveillance par une épaisse couche de roche impénétrable même pour leurs radars surpuissants.
" On a les pieds au sec, dit avec soulagement le passager arrière de Richter. Reste quarante minutes de kérosène.
- Tu sais bien voler en agitant les bras ? " rigola le pilote, déjà un peu (un tout petit peu) plus décontracté de se retrouver au-dessus de la terre ferme. Si jamais il y avait un pépin, eh bien, bouffer du riz, ce n'était pas une catastrophe, non ? Son casque à vision infrarouge montrait le sol en ombres vertes, et on n'apercevait aucune lumière d'éclairage public, de phares de véhicules ou d'habitations, et la phase la plus délicate du vol était derrière eux. quant à leur mission proprement dite, il était arrivé à
la mettre de côté. Mieux valait sérier les problèmes. C'était le meilleur moyen de vivre plus longtemps.
La dernière crête apparut, pile selon le programme. Richter ralentit, décrivit un cercle pour estimer les vents tout en cherchant du regard le comité d'accueil prévu. Là. quelqu'un agitait une barrette chimioluminescente dont la lueur verte, dans ses lunettes amplificatrices, brillait comme la pleine lune.
" ZoRto leader appelle ZORRO base, à vous.
- Leader, ici la base. Authentification Golf Mike Zulu, àvous ", répondit la voix, donnant le code " OK " qui avait été convenu. Richter espérait simplement que son interlocuteur n'avait pas un pistolet braqué sur la tempe.
" Bien copié. Terminé. " Il décrivit une spirale rapide, et abattifson Comanche pour se poser sur un terrain presque horizontal, tout près de la ligne des arbres. A peine avait-il atterri que trois hommes sortaient de sous le couvert. Ils portaient l'uniforme de l'armée américaine, et Richter se permit de respirer un peu, tandis qu'il laissait refroidir les turbines avant de les couper. Le rotor n'avait pas encore achevé son ultime révolution qu'un tuyau était raccordé à la buse de ravitaillement de l'hélico.
" Bienvenue au Japon. Je suis le capitaine Checa.
- Sandy Richter, dit le pilote en descendant.
- Pas de problèmes pour entrer ?
- Plus maintenant. " Merde, apparemment, j y suis arrivé, non ? avait-il envie de dire, encore sur les nerfs après ses trentesix heures de marathon pour envahir le pays. Envahir ? Onze paras et six aviateurs. Hé, vous !
Vous êtes tous en état d'arrestation !
" V'là le numéro deux..., observa Checa. Silencieux, nos bébés, pas vrai ?
- On aime mieux pas se faire remarquer, chef. " C'était peut-être l'aspect le plus surprenant du Comanche. Les ingénieurs de chez Sikorsky savaient depuis longtemps que l'essentiel du bruit émis par un hélicoptère provenait des battements de fréquence entre rotor de queue et rotor principal. Le rotor de queue du RAH-66 était sous carter, et son rotor principal était doté de cinq pales relativement épaisses en matériau composite. Le résultat était un engin dont la signature acoustique était inférieure au tiers de celle de toutes les autres machines à voilure tournante jamais construites.
Et le coin facilitait bien les choses, nota Richter en contemplant les alentours. Tous ces arbres, la faible densité de l'air en altitude.
L'endroit n'était pas si mal pour la mission, conclut-il alors que le deuxième Comanche se posait à cinquante mètres de là. Les hommes qui avaient ravitaillé sa machine étaient déjà en train de déployer au-dessus leur filet de camouflage, en se servant de piquets taillés dans des branches.
" Venez, on vous a préparé à manger.
- De la vraie bouffe ou des rations de survie ? demanda l'adjudant-chef,
- On ne peut pas tout avoir, monsieur Richter ", lui dit Checa.
L'aviateur se rappela le temps o˘ les rations C de l'armée comprenaient également des cigarettes. Terminé, avec leur nouvelle armée saine... et des paras, en plus. Inutile de vouloir les taper d'une clope.
Putains d'athlètes.
Les Rapier firent demi-tour une heure plus tard. Les spécialistes de la défense aérienne japonaise étaient certains de les avoir convaincus de l'impénétrabilité de leur barrage conjoint KamiEagle pour garder les abords nord-est des iles. Même les meilleurs appareils américains dotés des meilleurs systèmes électroniques étaient incapables de percer leurs défenses, et c'était une excellente nouvelle. Ils virent les échos s'effacer de leurs écrans, et bientôt les émissions des E-3B
disparaissaient à leur tour : l'ensemble de la formation regagnait Shemya pour rendre compte àses maîtres de son échec.
Les Américains étaient réalistes. Courageux au combat, certes - les officiers à bord des E-767 ne commettraient pas l'erreur de leurs parents qui avaient cru les Américains dépourvus de l'ardeur indispensable aux véritables opérations militaires. Cette erreur avait co˚té cher à son pays.
Mais la guerre était un exercice technique, et ils avaient laissé leur force descendre à un niveau trop bas pour qu'il soit techniquement possible de la reconstituer. Et c'était fort regrettable pour eux.
Les Rapier devaient ravitailler sur le chemin du retour et ils s'abstinrent d'utiliser la post-combustion, car il était inutile de g‚cher le carburant.
Il faisait de nouveau un temps de chien sur Shemya, et les chasseurs eurent recours au contrôle au sol pour atterrir en toute sécurité, puis ils roulèrent vers leurs hangars, désormais bien encombrés après l'arrivée de quatre F-15E Strike Eagle venus de la base de Mountain Home dans l'Idaho.
Eux aussi estimaient que leur mission avait été couronnée de succès.
" J'ai besoin d'une autorisation avant de pouvoir faire une chose pareille.
"
Clark acquiesça, en se félicitant d'avoir deviné juste. Il ouvrit son ordinateur portatif. " Idem pour nous. Demandez la vôtre. Je demande la mienne. "
42
Frappes éclairs
ous êtes cinglés ? s'étonna Cherenko.
" V - Réfléchissez-y, dit Clark, de retour à l'ambassade russe.
On cherche une solution politique à cette crise, non ? Eh bien, Koga reste notre meilleur atout. Vous nous dites que ce n'était pas le gouvernement qui l'a mis à l'ombre. qui reste en lice ? Il y a toutes les chances qu'il soit là-bas. " Le hasard voulait que l'immeuble soit même visible depuis la fenêtre du bureau de Cherenko.
" Est-ce possible ? demanda le Russe, chagriné de voir les Américains venir lui demander une aide qu'il était bien incapable de leur fournir.
- Il y a un risque, mais il est peu probable qu'il ait mobilisé là-haut toute une armée. Il n'aurait pas planqué le gars chez lui s'il ne voulait pas rester discret. Comptez cinq ou six mecs maxi.
- Et vous êtes deux! insista Cherenko.
- Comme il l'a dit, intervint Ding, sourire radieux, ce n'est pas une bien grande affaire. "
Ainsi donc le rapport de l'ex-KGB était exact. Clark n'était pas un véritable agent de renseignements mais un type des commandos, et il en allait de même pour son jeune partenaire si arrogant qui restait tranquillement planté là, à regarder par la fenêtre.
" Je ne peux rien vous offrir comme assistance.
- Et pour les armes ? demanda Clark. Vous n'allez pas me faire croire que vous n'avez rien ici pour nous ? quel genre de rezidentura est-ce là ? "
Clark savait que le Russe se sentait obligé de temporiser. Dommage que ces mecs n'aient pas l'habitude de prendre des initiatives.
Jones écrasa sa cigarette dans le cendrier en alu typiquement Navy. Le paquet avait été planqué dans un tiroir du bureau, peutêtre en prévision d'une occasion analogue. quand une guerre commençait, les règles valables en temps de paix passaient à la trappe. Les vieilles habitudes, surtout les mauvaises, revenaient au galop -mais enfin, la guerre aussi en était une, non ? Il voyait bien que l'amiral Mancuso était lui aussi sur le point d'en griller une, aussi prit-il soin d'écraser soigneusement son mégot.
" qu'est-ce que ça donne, Ron ?
- Suffit d'avoir la patience de faire marcher ce matos et on obtient des résultats. Le sonar et moi, on a passé toute la semaine à triturer ces données. On a commencé avec les b‚timents de surface. " Jones se dirigea vers la carte murale. " On est en train de repérer la position de tous les b‚timents de...
- Et tout ça en partant de..., coupa le capitaine Chambers, pour se faire interrompre à son tour.
- Du milieu du Pacifique, oui, tout à fait, monsieur. J'ai jonglé entre bande large et bande étroite, en comparant avec la météo, ce qui m'a permis de les localiser. " Jones indiqua les silhouettes épinglées sur la carte.
" C'est très bien Ron, mais on a des photos satellite pour ça, fit remarquer le ComSubPac.
- Je suis donc tombé juste ? demanda le civil.
- quasiment ", dut admettre Mancuso. Puis il désigna les autres formes épinglées au mur.
" Ouais, c'est vrai, Bart. Une fois trouvé le moyen de repérer les b
‚timents de surface, on s'est mis à bosser sur les sous-marins. Et vous savez quoi ? Je peux encore les coincer, ces salauds, dès qu'ils remontent renifler en immersion périscopique. Tenez, voilà votre ligne de barrage. On les chope à peu près le tiers du temps, d'après mes estimations, et ils maintiennent en gros le même cap. "
La carte murale indiquait six contacts fermes. Les silhouettes étaient inscrites dans des cercles de vingt à
trente milles de diamètre.Deux autres s'ornaient d'un point d'interrogation.
" «a en laisse encore quelques-uns non repérés ", nota Chambers.
Jones opina. " Exact. Mais j'en ai six de s˚rs, huit peut-être. On ne peut pas avoir de bonnes coupes au large des côtes japonaises. Trop loin.
J'arrive à détecter des cargos qui cabotent entre les îles, mais c'est tout, admit-il. J'ai également relevé l'écho d'un gros b‚timent à double hélice en train de faire route vers l'ouest en direction des Marshall, et il m'a bien semblé, en arrivant ce matin, qu'une cale sèche était vide...
- C'est un secret, fit remarquer Mancuso avec un sourire.
- Eh bien, si j'étais vous, je dirais au Stennis de faire gaffe àcette rangée de SSK, messieurs. «a pourrait être une bonne idée d'envoyer nos subs en éclaireur, histoire de dégager le passage.
- C'est envisageable, mais ce sont surtout les autres qui m'inquiètent ", admit Chambers.
" Passerelle, pour sonar.
- Ici passerelle, parlez. " C'était l'enseigne Ken Shaw qui était de quart.
" Contact sonar possible relèvement zéro-six-zéro... sans doute contact en immersion... très faible, commandant ", rapporta le chef sonar.
La manoeuvre était automatique, après tous les exercices pratiqués depuis le départ de Bremerton, puis de Pearl. L'équipe de suivi et de contrôle de tir calcula immédiatement une route. Un technicien-analyste reprit directement les données recueillies par les sonars pour essayer de calculer la distance probable de l'objectif. L'ordinateur ne mit qu'une seconde.
" C'est un signal direct, monsieur. Distance inférieure à vingt mille mètres. "
Dutch Claggett n'avait pas vraiment dormi. En bon capitaine, il s'était simplement allongé sur sa couchette, les yeux clos - il avait même eu un rêve absurde et confus de pêche au bord de la mer, o˘ c'était le poisson qui s'approchait en rampant sur le sable derrière lui - quand avait retenti l'alerte sonar. Sans trop savoir comment, il s'était retrouvé, parfaitement éveillé, au centre
de combat, nu-pieds, en petite tenue. Un rapide coup d'oeil circulaire pour estimer profondeur et cap, et il fonçait au poste du sonar pour consulter lui-même les instruments.
" Dites-moi tout, chef.
- Pile ici, sur la bande des soixante hertz. " L'officier marinier tapota l'écran avec son crayon gras. Le signal allait et venait sans arrêt, mais il persistait, succession de points qui suintait du sommet de l'écran, tous calés sur la même bande de fréquence. Le relèvement dérivait lentement de droite à gauche.
Claggett réfléchit tout haut : " Ils sont en mer depuis plus de trois semaines...
- «a fait long pour un diesel, admit le chef. Peut-être qu'ils rentrent ravitailler ? "
Claggett se pencha sur l'écran, comme si la proximité ferait une différence. " Possible. Ou alors, il change simplement de position. Il serait logique qu'ils établissent une ligne de patrouille au large. Tenez-moi au courant.
- Bien compris, commandant.
- Eh bien ? " Claggett s'était retourné vers le poste de détection.
" Première estimation de distance, quatorze mille mètres, orientation générale vers l'ouest, vitesse approximative six naeuds. "
Claggett nota que le contact était aisément à la portée de ses torpilles ADCAP. Mais la mission lui interdisait toute initiative de cet ordre.
N'était-ce pas formidable ?
" Tenez-moi prêtes deux torpilles, dit le capitaine. Dès qu'on a parfaitement défini la route de notre ami, on s'esquive vers le sud. Si jamais il nous file le train, on essaie de le semer, et on ne tire que s'il ne nous laisse pas le choix ". Il n'eut pas besoin de regarder autour de lui pour savoir ce qu'en pensaient ses hommes. Il perçut le changement rien qu'à leur façon de respirer.
" Votre avis ? demanda Mary Pat Foley.
- Intéressant, commenta Jack après avoir contemplé quelques secondes le fax en provenance de Langley.
- C'est une occasion unique, intervint Ed Foley, au téléphone. Mais le pari est sacrément risqué.
- Ils ne sont même pas s˚rs de sa présence ", dit Ryan, en relisant le message. C'était du Clark tout craché : franc. Décidé. Positif. Le bonhomme savait penser concrètement, et il avait beau se trouver souvent au bout de la chaîne alimentaire, il réussissait à avoir une vision parfaitement claire de la situation. " Il faut que je monte là-haut avec ça, les enfants.
- Vous prenez pas les pieds dans les tapis ", conseilla MP, sourire en coin. C'était encore une béotienne pour ce qui relevait des opérations extérieures. " Je recommanderais un feu vert pour cette mission.
- Et vous, Ed ?
- C'est un risque, jack, mais on a parfois intérêt à suivre les conseils du gars sur le terrain. Si l'on veut trouver une solution politique à la crise, eh bien, il faut qu'on ait une personnalité politique sur qui compter. On a besoin de ce bonhomme, et ce pourrait bien être notre seul moyen de lui sauver la vie. " Le chef du Conseil national de sécurité
pouvait presque l'entendre grincer des dents à l'autre bout de la ligne protégée. Les deux Foley se conformaient au règlement. Plus important, ils étaient du même avis.
" Je vous recontacte dans vingt minutes. " Ryan bascula sur son téléphone normal. " J'ai besoin de voir le patron, immédiatement ", dit-il au secrétaire général de la présidence.
Le soleil se levait sur une nouvelle journée torride et sans vent. L'amiral Dubro s'aperçut qu'il perdait du poids. Son pantalon kaki commençait à
flotter à la taille, et il dut resserrer sa ceinture d'un cran. Ses deux porte-avions étaient désormais en contact régulier avec les Indiens.
Parfois, ils étaient assez proches pour être en visibilité directe, mais le plus souvent, un Harrier équipé d'un radar à balayage vers le bas se contentait de prendre un cliché depuis une cinquantaine de milles de distance. Pire encore, il avait ordre de ne rien faire pour se cacher.
Enfin, merde, pourquoi ne faisait-il pas immédiatement route vers l'est et le détroit de Malacca ? Il y avait une vraie guerre à faire. Même s'il en était venu à considérer l'invasion possible du Sri Lanka par les Indiens comme une insulte personnelle, le Sri Lanka n'était pas un territoire américain, contrairement aux Mariannes, et ses porte-avions étaient les seuls b‚timents opérationnels à la disposition de Dave Seaton.
Bon, d'accord, l'approche ne serait pas franchement discrète. pour réintégrer l'océan Pacifique, il était obligé de franchir l'un de ces nombreux détroits, aussi encombrés que Times Square àmidi. Il y avait même toujours le risque d'y croiser un sousmarin, mais il avait ses escorteurs ASW, et il pourrait malmener tout submersible qui voudrait lui bloquer le passage. Oui mais voilà, ses ordres étaient de rester dans l'océan Indien, et de tout faire pour que ça se sache.
La nouvelle s'était répandue parmi l'équipage, bien s˚r. Il n'avait même pas fait d'effort symbolique pour l'empêcher de filtrer. «a n'aurait pas marché de toute façon, et ses hommes avaient le droit de savoir ce qui se passait, à l'heure de se jeter dans la bagarre. Ils avaient besoin de savoir, de redresser le dos, de se remotiver pour passer d'une mentalité de temps de paix àcelle de la guerre ouverte - mais une fois qu'on était prêt, il fallait y aller. Or ils n'y allaient pas...
Et le résultat était le même pour lui comme pour tout autre homme ou femme de l'escadre : une amère frustration, de la mauvaise humeur, et surtout une rage grandissante. La veille, l'un de ses pilotes de Tomcat avait réussi à
s'infiltrer entre deux Harrier indiens, avec trois mètres d'écart maxi, juste pour leur montrer qui savait vraiment piloter; la manceuvre avait peut-être flanqué une trouille bleue à leurs visiteurs, mais elle n'avait rien de franchement professionnel... même si Mike Dubro n'avait pas oublié
le temps o˘ il était enseigne de vaisseau de seconde classe et s'imaginait sans peine faisant la même chose. Cela ne lui avait pas facilité leur mise aux arrêts de rigueur. Mais il ne pouvait guère l'éviter, tout en sachant fort bien que l'équipage allait regagner ses quartiers en r‚lant après le vieux con sur la passerelle qui ne savait même pas quel effet ça faisait de tenir un manche, vu que les Spad sur lesquels il avait appris à voler devait décoller avec un moteur à élastique...
" Si c'est eux qui tirent les premiers, on risque de morfler, observa le capitaine de frégate Harrison, après avoir annoncé que leur patrouille matinale s'était pointée pile à l'heure, elle.
- S'ils s'avisent de nous balancer un Exocet, on n'aura qu'à gueuler
"Accrochez-vous à vos bretelles", Ed. " C'était plutôt nul, comme blague, mais en fait Dubro ne se sentait pas vraiment d'humeur à
rire.
" Pas s'ils ont du bol et tapent en plein dans un réservoir d'essence aviation. " Allons bon, voilà son officier tactique qui sombrait dans le pessimisme. Mal barré, songea le commandant du groupe de combat.
" Montrez-leur qu'on fait gaffe ", ordonna Dubro.
quelques instants après, les navires d'escorte allumèrent leurs radars de guidage de tir et les calèrent sur les intrus indiens. Dubro put constater à la jumelle que les rampes de lancement du croiseur Aegis le plus proche étaient armées de missiles blancs, puis les rampes pivotèrent pour se détourner, de même que les faisceaux d'illumination des radars. Le message était clair
Dégagez.
Il aurait pu expédier un nouveau télégramme rageur à Pearl Harbor, mais Dave Seaton avait suffisamment de pain sur la planche, et de toute façon, les vraies décisions étaient prises àWashington par des mecs qui n'entravaient rien à la situation.
" «a vaut le coup ?
- Oui, monsieur ", répondit Ryan, qui était parvenu à sa propre conclusion, le temps de rejoindre le bureau présidentiel. Cela voulait dire faire courir de nouveaux risques à deux amis, mais c'était leur boulot, et puis la responsabilité de la décision lui revenait - enfin, en partie. C'était toujours facile à dire, même si après, ça vous g‚chait le sommeil, quand vous arriviez à dormir. " Les raisons sont évidentes.
- Et si ça rate ?
- Deux de nos hommes seront en grand danger, mais...
- Mais c'est à ça qu'ils servent ? " Le ton de Durling n'était pas vraiment amène.
" L'un et l'autre sont des amis, monsieur le président. Si vous croyez que ça m'enchante de...
- Calmez-vous, dit le Président. quantité de nos gars sont exposés, et vous savez quoi ? Ne pas les connaître personnellement ne facilite pas la chose, bien au contraire. Je l'ai appris àmes dépens. " Roger Durling baissa les yeux sur son bureau, sur toute cette paperasse administrative et tous ces autres dossiers qui
n'avaient pas le moindre rapport avec la crise du Pacifique, mais dont il fallait s'occuper malgré tout. Le gouvernement des …tatsUnis d'Amérique n'était pas une sinécure, et il ne pouvait en ignorer aucun détail, malgré
l'importance soudain prise par certains domaines. Est-ce que Ryan pouvait le comprendre ?
Jack voyait l'amoncellement de papiers, lui aussi. Il n'avait pas besoin d'en connaître la teneur exacte. Aucun n'était revêtu du tampon Secret défense. Ce n'était que la paperasse habituelle, le train-train quotidien dont l'homme avait à s'occuper. Le patron devait cloisonner son cerveau pour gérer une telle masse de travail. Cela paraissait bien injuste, surtout vis-à-vis d'un homme qui n'avait pas particulièrement brigué la charge. Mais tel était son destin, et Durling avait accepté de plein gré le poste de Viceprésident, car il avait un tempérament à rendre service au citoyen, à vrai dire un peu comme Ryan. Oui, ils étaient vraiment spéciaux, tous les deux, se dit jack.
" Monsieur le président, je regrette d'avoir dit ça. J'ai pesé les risques mais oui, c'est vrai, c'est leur boulot. qui plus est, c'est John lui-même qui le recommande. Enfin, qui le suggère. C'est un bon agent, conscient à
la fois des risques et des avantages potentiels. Ed et Mary Pat partagent son évaluation et recommandent eux aussi le feu vert. La décision finale vous revient de droit, mais enfin, telles sont leurs recommandations.
- On n'est pas en train de se raccrocher à un fétu de paille ? " Durling hésitait toujours.
" Un fétu, non. Potentiellement, une branche bien solide.
- J'espère en tout cas qu'ils seront prudents. "
" Oh, c'est vraiment le bouquet ", observa Chavez. Le PSM était un pistolet automatique russe de calibre .215, un poil plus petit en diamètre que la .
22 long rifle avec laquelle les gamins américains (les gamins politiquement incorrects, en tout cas) apprenaient à tirer chez les Scouts. C'était également l'arme de service qui équipait militaires et policiers russes, ce qui expliquait peut-être le mépris de la pègre locale pour les flics du pays.
" Ma foi, on a toujours notre arme secrète dans la voiture ", observa Clark en soupesant le pistolet. Au moins le silencieux en améliorait-il quelque peu l'équilibre. Cela le confortait dans
l'opinion qu'il s'était faite depuis des années : les Européens n'y connaissaient rien en armes de poing.
" On va en avoir également besoin. " L'ambassade russe mettait un stand de tir à la disposition de ses agents de sécurité. Chavez accrocha une cible au r‚telier et l'expédia tout au bout du stand.
" Ote le silencieux, conseilla John.
- Pourquoi ?
- Examine-le. " Chavez obéit et vit que la version russe de l'accessoire était garnie de laine d'acier. " Efficacité limitée à cinq ou six coups. "
Ils avaient quand même à leur disposition des casques protecteurs. Clark garnit un chargeur de huit balles à col étranglé, visa le fond du stand, tira trois coups. L'arme était plutôt bruyante, mais sa cartouche à forte puissance propulsait le minuscule projectile àune vitesse supraluminique.
Il regrettait de ne pas avoir un .22 automatique à silencieux. En tout cas, le flingue était précis.
Cherenko les observait sans mot dire, furieux de constater le dégo˚t des Américains pour les armes maison, mais embarrassé en même temps parce qu'ils n'avaient peut-être pas tort. Il avait appris à tirer bien des années auparavant, et n'y avait pas montré de dispositions particulières.
C'était un talent auquel avait rarement recours un agent de renseignements, quoi qu'on en pense à Hollywood. Mais ce n'était manifestement pas le cas des deux Américains qui alignaient les coups dans le mille, à cinq mètres de distance, avec une succession de coups doubles. La série terminée, Clark nettoya son arme, inséra un nouveau chargeur et en prit un second, qu'il regarnit avant de le glisser dans sa poche revolver. Chavez l'imita.
" Et si jamais vous venez à Washington, observa Ding, on vous montrera ce dont on se sert.
- Et cette fameuse "arme secrète" ?
- C'est un secret. " Clark se dirigea vers la porte, Chavez sur les talons.
Ils avaient toute la journée pour guetter leur chance - façon de parler -
et finir d'avoir les nerfs en pelote.
C'était une journée de tempête comme une autre au-dessus de Shemya.
L'unique piste de la base était balayée par des rideaux de neige fondue que chassaient des rafales de vent à cinquante noeuds, et le bruit menaçait de troubler le sommeil des pilotes de chasse. Sous les hangars, on avait entassé les huit chasseurs pour les protéger de la furie des éléments. C'était particulièrement nécessaire pour les F-22, car personne n'avait encore estimé l'étendue des dég‚ts éventuels des intempéries sur leur revêtement lisse, et par conséquent sur leur surface équivalente radar. Il était un peu tard pour les expérimentations. Le gros de la dépression devait passer d'ici quelques heures, annonçaient les p'tits gars de la météo, même si le blizzard pouvait fort bien se prolonger encore un mois. A l'extérieur, les mécanos s'inquiétaient de la solidité
des amarres des AWACS et du ravitailleur, et ils se démenaient dans leurs gros anoraks pour s'assurer que tout était bien fixé.
Le reste de la sécurité à la base était dévolu au Cobra Dane. Sous ses allures d'écran de drive-in des années cinquante, il s'agissait en fait d'une version géante du radar à rideau de phase utilisé par les E-767
japonais, et d'ailleurs aussi par les croiseurs et destroyers Aegis des deux marines adverses. Installé à l'origine pour surveiller les tests de missiles soviétiques, puis pour les recherches dans le cadre de fIDS, sa puissance était suffisante pour lui donner une portée de détection de plusieurs milliers de kilomètres dans le vide de l'espace, et de plusieurs centaines dans l'atmosphère. Ses sondes électroniques fonctionnaient désormais en permanence, traquant les intrus mais ne repérant jusqu'ici que des appareils commerciaux - même si ces derniers étaient surveillés de très près. Un F-15E Strike Eagle armé de missiles air-air pouvait décoller en moins de dix minutes si l'un d'eux manifestait la moindre hostilité.
Cette morne routine se prolongea toute la journée. Pendant quelques brèves heures, la lumière grise qui réussit à traverser les nuages put faire croire à l'apparition du soleil, mais quand on réveilla les pilotes, les fenêtres de leurs quartiers auraient aussi bien pu être barbouillées de noir, car même les lumières de la piste étaient éteintes, afin qu'un éventuel intrus n'ait aucun repère visuel pour retrouver la base dans la pénombre.
" Des questions ? "
L'opération avait été vite montée, mais préparée avec soin : les quatre pilotes leaders avaient participé à sa conception, ils l'avaient testée la nuit précédente, et même s'il y avait encore des risques, eh bien, ils étaient inévitables.
" Et avec vos petits Eagle, vous pensez arriver à suivre le train ? "
demanda le plus gradé des pilotes. Ses galons de lieutenant-colonel ne le protégèrent pas de la repartie.
" Vous en faites pas, chef, et puis vous avez un si joli petit cul mater ", lui répondit une femme commandant avant de lui envoyer un baiser.
Le lieutenant-colonel - en fait, un ingénieur pilote d'essai détaché d'un travail de mise au point en cours sur les F-22 de la 57e escadrille de chasse basée à Nellis - ne connaissait la " vieille "Air Force qu'à partir des films et des récits du temps o˘ il n'était qu'un jeune blanc-bec, mais il prit la remarque avec (esprit qu'elle sous-entendait. Les Strike Eagle n'étaient peut-être pas furtifs mais ils étaient sacrément vicieux. Ces pilotes étaient sur le point de se lancer dans une mission de combat, et les galons importaient moins que la compétence et la confiance.
"D'accord, la bande (dans le temps, il aurait dit les gars), ce coup-ci, on joue contre le chrono. Alors, on traîne pas. "
Les équipages du ravitailleur rigolaient en coin de ce machisme des pilotes de chasse et de la facilité avec laquelle les gonzesses de l'Air Force avaient pris le pli. Malgré tout, estima l'un des hommes, ce commandant était un joli petit lot. Peut-être que quand elle serait grande, elle se rangerait à son tour pour convoler chez United', confia-t-il au capitaine qui allait être son ailier.
" On pourrait trouver pire chez un mec ", observa le commandant de Southwest Airlines.
Les ravitailleurs devaient décoller dans vingt minutes, suivis de près par un des E-3B. Les chasseurs, comme de juste, partaient les derniers. Tous les équipages avaient revêtu des combinaisons de vol isolantes et suivi les procédures réglementaires concernant (équipement de survie, une bonne blague en fait quand on survolait le Pacifique Nord à cette époque de l'année, mais le règlement c'est le
1. Fine allusion au célèbre détournement du slogan de la compagnie aérienne américaine à la fin des années soixante. Le Fly United - " Volez sur United
", mais aussi " Volez réunis " - servait de légende à une affiche satirique éloquente qui montrait un couple de canards migrateurs volant en formation... serrée (NdT).
règlement. En dernier venaient les combinaisons anti-G, toujours aussi inconfortables et contraignantes. En file indienne, les pilotes des Rapier se dirigèrent vers leurs zincs, et les équipages des Eagle, par couples. Le colonel qui dirigeait la mission déchira avec ostentation l'étiquette Rapier scratchée sur sa combinaison pour y substituer celle, officieuse, conçue par les employés de Lockheed : la silhouette du P-38 Lightning originel, sur laquelle se détachait le profil gracieux du nouvel étalon de la firme, le tout zébré d'un éclair blanc-jaune. La tradition, se dit le colonel, même s'il n'était pas né quand le dernier des légendaires bimoteurs avait été mis à la ferraille. Il se souvenait en revanche d'avoir construit des maquettes du premier chasseur à grand rayon d'action de (aviation américaine, caractéristique qui n'avait été mise à profit qu'une seule fois, et qui avait valu à Tex Lamphier, son pilote, une certaine immortalité. Cette mission-ci n'allait pas être si différente de celle effectuée à l'époque au-dessus des îles Salomon.
Les chasseurs devaient être sortis au tracteur, et avant même que les moteurs soient allumés, chacun des hommes put sentir les rafales de vent secouer la cellule de son appareil. C'était (instant des vérifications de dernière minute, quand on a des picotements au bout des doigts et qu'on se trémousse un peu sur son siège. Puis, l'un après l'autre, les appareils allumèrent leurs réacteurs et roulèrent jusqu'au bout de la piste. Alors on ralluma les feux de balisage, deux bandes parallèles bleues qui s'étiraient dans la pénombre, et les chasseurs décollèrent en rafale, à une minute d'écart, parce que décoller en duo dans de telles conditions météo était trop dangereux et qu'il valait mieux éviter les erreurs inutiles. Trois minutes plus tard, deux groupes de quatre se formaient au-dessus du plafond nuageux, o˘ le ciel était limpide, révélant les étoiles scintillantes et, sur leur droite, le rideau multicolore d'une aurore boréale, draperie ondulante verte et pourpre née du bombardement de la haute atmosphère par les particules chargées du vent solaire. Pour les pilotes de Lightning, la beauté du spectacle avait quelque chose de symbolique.
La première heure se déroula sans histoire ; les deux quatuors se dirigeaient vers le sud-ouest, feux anticollision allumés par mesure de sécurité. On vérifia le bon fonctionnement des systèmes, le calibrage des instruments, et chacun se concentra à (approche du point de ravitaillement en vol.
Les équipages des ravitailleurs étaient intégralement formés de réservistes, pilotes de ligne dans le civil. Ils avaient pris soin de repérer les zones de moindre turbulence, ce que les pilotes de chasse apprécièrent, même s'ils s'estimaient au-dessus du lot. Il fallut plus de quarante minutes pour faire le plein de tous les appareils, puis les ravitailleurs reprirent leur vol d'attente, sans doute pour que leurs équipages puissent se replonger peinardement dans leur Wall Street journa4
se dirent les pilotes de chasse, en remettant le cap au sud-ouest.
Plus question de rigoler maintenant. Il était temps de se mettre au boulot.
Leur boulot.
Sandy Richter dirigeait la mission parce que cela avait été son idée depuis le début, des mois auparavant à la base aérienne de Nellis. Tout avait bien marché, là-bas, et tout ce qu'il lui restait à vérifier, c'était si ça allait marcher aussi bien ici. C'était sans doute son existence qu'il mettait en jeu.
Richter était dans le métier depuis ses dix-sept ans - il avait menti sur son ‚ge, sa carrure le lui permettait. Dans l'intervalle, il avait rectifié
son dossier militaire, mais ça lui faisait quand même vingt-neuf ans de service ; bientôt, ce serait la retraite et une vie plus tranquille. Et tout ce temps-là, il avait piloté des serpents et uniquement des serpents.
Un hélicoptère sans armes n'avait aucun intérêt pour lui. Il avait débuté
sur le AH-1 HueyCobra, puis avait pris du galon sur le AH-64 Apache, aux commandes duquel il avait participé à son second conflit, plus bref cette fois, au-dessus du golfe Persique. Ce modèle-ci était sans doute le dernier qu'il piloterait jamais ; il lança les turbines du Comanche et entama la 6751e heure de vol de l'appareil, s'il fallait en croire son carnet de bord.
Le double turbo démarra normalement et le rotor se mit àtourner. Les paras qui tenaient lieu d'équipe au sol couvraient le décollage avec l'unique extincteur à leur disposition. Tout juste assez gros pour éteindre une cigarette, maugréa Richter en poussant les gaz pour décoller. L'air raréfié
des montagnes avait un effet négatif sur les performances, mais pas tant que ça, et du reste, il n'allait pas tarder à se retrouver au niveau de la mer. Comme à son habitude, il secoua la tête pour s'assurer de la bonne fixation de son casque, puis mit le cap àtant les pentes boisées du Shiraishi-san.
l'est, en remon-
" Les voilà ", se dit le leader de l'escadrille de F-22. Le premier signal de détection pépia dans son casque, aussitôt suivi d'informations sur son détecteur de menaces : RADAR DE D…FENSE A…RIENNE, A…ROPORT…, TYPE J, REL»VEMENT 213. Suivaient les données retransmises par le E-3B, qui se trouvait sur zone depuis assez longtemps pour avoir pu calculer sa trajectoire. Cette nuit, le Sentry n'utilisait pas du tout son radar. Après tout, les Japonais leur avaient donné une leçon la veille, de celles qui demandent du temps pour en tirer tous les enseignements... DISTANCE
¿ L'OBJECTIF : 1 456 MILLES. Encore largement sous l'horizon de l'appareil japonais, il lança son premier ordre en vocal de la mission.
" De Lightning Leader à l'escadrille. …clatement de la formation. Top! "
Instantanément, les deux groupes de quatre appareils se divisèrent chacun en deux paires, à deux mille mètres d'écart ; toujours avec le F-22 en tête, tandis que le F-15E le suivait dangereusement près pour masquer son image radar. Le colonel maintenait un cap aussi horizontal et rectiligne que lui permettait son entraînement et il sourit au souvenir de la remarque du commandant. Joli petit cul, hein ? Elle était la première femme à voler avec les Thunderbird. Les appareils éteignirent leurs feux anticollision, et il espéra qu'elle avait un équipement de vision infrarouge en bon état de marche. Ils étaient maintenant à quatre cents milles du E-767 situé le plus au nord. Les chasseurs croisaient à cinq cents noeuds, et trente-cinq mille pieds d'altitude pour réduire leur consommation.
Les horaires de travail propres aux cadres nippons leur permirent d'entrer plus discrètement que s'ils s'étaient trouvés en Amérique. Il y avait un homme dans le hall, mais il regardait la télé, et Clark et Chavez traversèrent d'un pas décidé, comme s'ils savaient o˘ ils allaient ; de toute façon, la criminalité était un problème inconnu à Tokyo. Le souffle un peu plus court, ils entrèrent dans une cabine d'ascenseur, pressèrent un bouton,
puis' échangèrent un regard soulagé qui bien vite laissa de nouveau place à
l'inquiétude. Ding avait sa mallette. Clark était les m‚ins vides, et tous deux étaient tirés à quatre épingles : en complet, chemise blanche et cravate, ils ressemblaient à des hommes d'affaires se rendant à quelque réunion tardive. L'ascenseur s'arrêta cinq étages avant le sommet, un niveau qu'ils avaient choisi parce qu'ils n'y avaient vu aucune fenêtre éclairée. Clark passa la tête à l'extérieur, conscient que son geste lui donnait l'air louche, mais le couloir était désert.
Ils contournèrent d'un pas rapide et silencieux le noyau central de la tour, découvrirent l'escalier d'incendie, commencèrent à le gravir. Ils cherchaient des caméras de sécurité, et une fois encore, gr‚ce à Dieu, il n'y en avait pas à ce niveau. Clark jeta un coup d'oeil vers le haut, vers le bas. A part eux, personne dans la cage. Ils reprirent leur ascension, l'oeil aux aguets, tendant l'oreille avant chaque mouvement.
" Nos amis sont de retour, annonça l'un des contrôleurs dans l'interphone de bord. Relèvement zéro-trois-trois, distance quatre cent vingt kilomètres. Un... non, deux contacts, formation serrée, appareils militaires en pénétration, vitesse cinq cents noeuds, conclut-il d'une voix rapide.
- Parfait ", répondit le chef contrôleur d'une voix égale, tout en sélectionnant le mode d'affichage sur son écran, avant de basculer sur un autre canal de sa liaison d'ordres. " Aucune détection d'activité radar au nord-est ?
- Aucune, répondit aussitôt l'officier chargé des contremesures électroniques. Bien s˚r, il pourrait être en planque quelque part à nous surveiller.
- Wakarémas. "
L'étape suivante était de libérer les deux chasseurs qui patrouillaient à
l'est du Kami. Les deux F-15J étaient arrivés sur zone depuis peu, et leurs réservoirs étaient pratiquement pleins. Un autre appel ordonna le décollage de deux autres chasseurs de la base de Chitose. Il leur faudrait une quinzaine de minutes pour être en position, mais le chef contrôleur estima que ce n'était pas un problème : il avait le temps.
" Calez-vous sur eux ", ordonna-t-il à l'opérateur.
- Tu nous as déjà accrochés, hein ? se demanda le colonel. Parfait. Il maintint cap et vitesse, pour leur permettre d'avoir une bonne estimation de sa position et de son mouvement. Le reste n'était qu'une question d'arithmétique. Disons que les Eagle sont en ce moment dans les deux cents nautiques d'ici', en approche ia une vitesse approximative de mille. Six minutes avant la séparation... Il consulta son chronomètre et scruta le ciel à l'oeil nu, y cherchant un objet un peu trop brillant pour être une étoile.
Il y avait une caméra tout en haut des marches. Donc, Yamata était un brin paranoÔaque. Mais même les paranoÔaques avaient des ennemis, songea Clark, en notant que le boitier de la caméra semblait tourné vers le dernier palier. Dix marches jusqu'à celui-ci, et dix encore jusqu'au suivant, o˘ se trouvait la porte. Il décida de prendre quelques secondes pour y réfléchir.
Chavez tourna le bouton de la porte sur leur droite. Apparemment, elle n'était pas verrouillée. Sans doute une question de règlement de sécurité
incendie. Clark enregistra l'information dans un coin de sa tête, mais sortit néanmoins son attirail de monte-en-l'air.
" Eh bien, qu'est-ce que tu dis de ça ?
- Je dis que j'aimerais mieux être ailleurs. " Ding avait la torche électrique à la main tandis que John sortait son pistolet pour visser le silencieux sur le canon. " On fonce ou on y va tranquille ? "
Il n'y avait pas vraiment le choix, en fait. Une approche lente, comme s'ils vaquaient tranquillement à leurs affaires, risquait de leur faire perdre pas loin de... non, pas ce coup-ci. Clark leva un doigt, inspira un grand coup, bondit en haut des marches. quatre secondes après, il tournait la poignée de la porte du haut et l'ouvrait à la volée. Il plongea par terre, le pistolet brandi et braqué sur la cible. D'un bond, Ding passa devant lui, se redressa, braqua lui aussi son arme.
Le garde à la porte principale était en train de regarder de l'autre côté
quand la porte de service s'ouvrit. Il se retourna, machinalement, et découvrit un type imposant, allongé de biais
par térre et sans doute en train de braquer une arme sur lui. Cela l'amena à dégainer la sienne tout en cherchant des yeux d'autres cibles potentielles. Il y avait un deuxième homme qui tenait à la main une espèce de...
A cette distance, la lumière avait presque un impact physique. L'énergie de trois millions de candelas faisait de l'univers entier l'équivalent de la surface du soleil, et cette énergie satura le système nerveux central de l'homme en remontant le nerf trijumeau, dont l'une des branches joignait la rétine, par la base du cerveau, au circuit neuronal qui commande les mouvements volontaires. L'effet fut le même qu'avec les gardes en Afrique l'homme s'effondra comme une poupée de chiffon, sa main droite encore agrippée au pistolet, prise de spasmes nerveux. La lumière était si éclatante que Chavez fut légèrement ébloui par son reflet sur les murs peints en blanc; en revanche, Clark, qui n'avait pas oublié de fermer les yeux, se précipita vers la porte àdeux battants qu'il ouvrit d'un coup d'épaule.
Il découvrit un homme qui venait de quitter son siège devant la télé, l'air inquiet et surpris de cette irruption. L'heure n'était plus à la miséricorde. Clark leva son arme à deux mains et pressa deux fois la détente ; les deux projectiles atteignirent l'homme en plein front. John sentit la main de Ding sur son épaule, l'incitant à se déplacer vers la droite ; courant presque, il parcourut un corridor, examinant chaque pièce.
La cuisine, on trouve toujours du monde à la...
Effectivement. Celui-ci avait à peu près sa taille, et il avait presque dégainé son pistolet alors qu'il se précipitait vers le couloir tout en lançant un nom et une question, mais lui aussi avait été un peu trop lent : son arme n'était pas encore braquée que son adversaire était déjà prêt à
tirer. Ce serait la dernière chose qu'il verrait jamais. Il fallut à Clark une trentaine de secondes encore pour terminer d'inspecter le reste du luxueux appartement, mais toutes les autres pièces étaient vides.
" Evgueni Pavlovitch ?
- Vania, par ici! "
Clark revint sur ses pas, avec un bref regard sur les deux hommes qu'il avait tués - juste pour vérifier, en fait. Il savait qu'il se souviendrait de ces corps, comme de tous les autres, il savait
qu'ils reviendraient le hanter, et qu'il aurait à tenter de justifier leurs morts, comme toutes les autres.
Koga était assis dans le salon, les traits remarquablement livides, tandis que Chavez/Chekov terminait d'inspecter la pièce. Le gars devant la télé
n'avait pas réussi à sortir entièrement l'arme de son étui d'épaule - sans doute une idée qu'il avait piquée dans un film. Le problème est que ces accessoires étaient à peu près inutilisables quand il fallait dégainer précipitamment.
" Voie libre à gauche, dit Chavez, se souvenant de parler russe.
- Voie libre à droite. " Clark se força au calme, en contemplant l'homme affalé devant la télé tout en se demandant lequel de ces types avait été
responsable de la mort de Kim Norton. En tout cas, sans doute pas celui dehors.
" qui êtes-vous ? " demanda Koga d'une voix o˘ se mêlaient étonnement et colère ; il semblait avoir oublié qu'ils s'étaient déjà vus. Clark prit une inspiration avant de répondre.
" Koga-san, nous sommes venus vous sauver.
- Vous les avez tués ! " Il pointait un doigt tremblant.
" On pourra en discuter plus tard, peut-être. Voulez-vous nous suivre, je vous prie ? Vous ne risquez rien avec nous, monsieur. "
Koga n'était pas inhumain. Clark admirait sa sollicitude pour les défunts, même si de toute évidence, il ne les avait pas comptés au nombre de ses amis. Mais il était plus que temps de le sortir d'ici vite fait.
" Lequel était Kaneda ? " demanda Chavez. L'ancien Premier ministre indiqua le cadavre dans la pièce. Ding s'avança pour y jeter un dernier coup d'oeil et il réussit à ne rien dire avant de se tourner vers Clark, mais dans ses yeux se lisait une expression qu'eux seuls pouvaient comprendre.
" Vania, on dégage. "
Son détecteur de menaces commençait légèrement à déconner. L'écran était moucheté de rouge et de jaune, en même temps que la voix féminine lui disait qu'il avait été détecté, mais cette fois, Richter n'était pas dupe des indications de l'ordinateur; ça faisait toujours plaisir de se rendre compte que le satané bidule ne savait pas toujours tout.
La partie pilotage était déjà assez difficile, et même si l'Apache aurait eu l'agilité nécessaire à la mission, il valait quand même mieux être aux commandes du RAH-66. Son corps ne trahissait aucune tension apparente. Rançon de longues années d'entraînement, il était assis confortablement dans son siège blindé, l'avantbras droit calé dans la gouttière tandis que sa main manceuvrait le mini-manche latéral. Son regard scrutait régulièrement le ciel autour de lui, et ses yeux comparaient machinalement l'horizon réel à celui généré par le matériel de détection installé dans le nez de l'hélico. La ligne des toits de Tokyo était absolument parfaite pour lui. Tous ces b‚timents engendraient une flopée de signaux parasites pour l'avion-radar vers lequel il se dirigeait, et même les meilleurs ordinateurs n'auraient pu déjouer ce genre de brouillage.
Mieux encore, il avait tout le temps devant lui pour faire ça bien.
Il n'avait qu'à suivre le cours du Tone pour que le fleuve le conduise presque au but; longeant sa rive sud, il y avait une ligne de chemin de fer, et sur la ligne, un train en direction de Choshi. Le train roulait à
cent soixante kilomètres-heure, et il vint se placer àsa verticale, surveillant d'un oeil la progression du convoi, et de l'autre les évolutions de l'indicateur sur son détecteur de menaces. Il se maintenait à
trente mètres au-dessus des poteaux supports de caténaire, alignant précisément sa vitesse sur celle du train, juste àla verticale de la dernière voiture de la rame.
" Tiens, c'est marrant... " L'opérateur de Kami-Deux nota un écho, amplifié
par l'ordinateur, qui s'approchait de la position de son appareil. "
Insertion possible à basse altitude ", annonçat-il en renforçant l'image du contact sur son écran à l'intention du commandant de bord.
" C'est un train ", répondit l'homme aussitôt, comparant la position avec un relevé cartographique. C'était le problème avec ces satanés trucs quand on volait trop près du sol. Le logiciel de discrimination classique, à
l'origine acheté aux Américains, avait été modifié, mais pas dans tous ses détails. Le radar aéroporté était capable de repérer tout ce qui bouge, mais tous les ordinateurs de la planète réunis n'auraient pas suffi à
filtrer, classer et afficher tous les contacts engendrés par les voitures et les camions roulant sur les routes que survolait leur appareil. Pour désencom-tirer les écrans, le système de filtrage logiciel éliminait donc tout objet évoluant à moins de cent cinquante kilomètres-heure, mais même sur terre, ce n'était pas suffisant, pas au-dessus d'un pays possédant les trains parmi les meilleurs du monde. Pour plus de s˚reté, le responsable surveilla l'écho durant plusieurs secondes. Effectivement, il suivait la ligne de Tokyo à Choshi. Un appareil à réaction était exclu. Un hélicoptère pouvait théoriquement accomplir ce genre d'acrobatie, mais vu la faiblesse de l'écho, il devait plus probablement correspondre à la diffraction du signal sur le toit métallique de la rame, ajouté à la réflexion par les poteaux supports de caténaire.
" Recalez votre seuil de discrimination à deux cents ", ordonna-t-il à ses opérateurs. Il leur fallut trois secondes pour modifier le réglage, et effectivement, l'écho longeant la rive sud du fleuve disparut, en même temps que deux autres contacts au sol plus manifestes. Ils avaient des trucs plus intéressants à faire, vu que le Kami-Deux était chargé de corréler les données recueillies par le quatre et le Six avant de les basculer sur le qG de la défense aérienne dans la banlieue de Tokyo. Les Américains sondaient encore une fois leurs défenses, et sans doute à
nouveau avec leurs F-22 perfectionnés, pour voir s'ils étaient capables de déjouer les Kami. Eh bien, ce coup-ci, la réception ne serait pas aussi amicale. Huit intercepteurs F-15 Eagle avaient pris l'air, chaque E-767 en contrôlait quatre. Si les chasseurs américains s'approchaient encore, ils allaient le payer.
Il devait risquer une transmission vocale, et même en recourant à une salve cryptée, cela rendait nerveux le colonel, mais le boulot entraînait des risques même dans le meilleur des cas.
" De Lightning Leader à ailier. Séparation dans cinq - quatre - trois -
deux - une - top ! Séparation ! "
Il tira sur le manche, remontant et s'éloignant d'un coup du Strike Eagle qui avait passé les trente dernières minutes dans son sillage. Au même instant, sa main droite coupa la balise radar qu'il avait allumée pour amplifier l'écho renvoyé à l'AEW japonais. Derrière lui et plus bas, le F-15E et son équipage féminin s'apprêtait à plonger légèrement en virant sur la gauche. Le Lightning monta en chandelle, perdant une partie de sa vélocité.
Le.colonel alluma la post-combustion pour reprendre de la vitesse, et mit à
profit la résistance centrifuge de la cellule pour entamer une manoeuvre brutale dans la direction opposée, accélérant ainsi grandement leur séparation.
Il y avait une chance sur deux que le radar japonais ait capté un écho de son appareil, le colonel le savait, mais il savait également comment fonctionnait aujourd'hui un système radar : opérant àpuissance élevée, il détectait toutes sortes de signaux transitoires que le logiciel d'analyse associé devait filtrer avant de les présenter aux contrôleurs. Sa t‚che n'était pas foncièrement différente de celle d'opérateurs humains, sauf qu'il s'en acquittait plus vite et plus efficacement, mais il n'était pas infaillible, comme lui et les trois autres Lightning allaient s'employer à
le démontrer.
" Ils virent au sud ", annonça le contrôleur - commentaire inutile, puisque quatre personnes surveillaient désormais la progression des intrus. Ni lui ni ses camarades ne pouvaient savoir que l'ordinateur avait relevé quatre vagues échos retournant vers le nord, mais ceux-ci étaient encore plus faibles que d'autres signaux éliminés car n'évoluant pas assez vite.
D'ailleurs, ils ne reproduisaient pas non plus la trajectoire habituelle d'un appareil aérien. Puis les choses se compliquèrent.
" Détection de signaux de brouillage. "
Le Lightning de tête grimpait maintenant presque à la verticale. La manceuvre était dangereuse, car ainsi, il offrait son profil le moins furtif aux radars du E-767, mais dans le même temps, la composante latérale de la trajectoire était quasiment immobile, de sorte qu'on pouvait la confondre avec un écho fantôme, surtout au milieu du bruit de fond électronique engendré par les puissants brouilleurs des Strike Eagle. Moins de trente secondes après, les Lightning reprenaient leur vol en palier à
une altitude de cinquante-cinq mille pieds - seize mille cinq cents mètres.
Le colonel prêtait désormais une attention extrême à ses détecteurs de menace. Si les Japonais le repéraient, ils le révéleraient en utilisant leur système de balayage électronique pour arroser son chasseur de salves de micro-ondes... mais ce n'était pas le cas. La furtivité de son appareil lui permettait de se fondre dans les échos parasites. Son système détectait à présent les lobes laté-taux. Le E-767 avait basculé sur le mode haute fréquence de contrôle de tir, et le faisceau n'était pas braqué sur lui. Parfait. Il enclencha la post-combustion et le Lightning bondit à seize cents kilomètres-heure tandis que le pilote sélectionnait le mode contrôle de tir sur son affichage tête haute.
" A une heure, là, au-dessus. Je l'ai, Sandy, annonça le mitrailleur arrière. Il a même allumé ses feux. "
Le train avait fait halte à une gare de banlieue et le Comanche l'avait laissé derrière lui, pour foncer à cent vingt noeuds vers la ville côtière.
Richter avait fléchi les doigts une dernière fois, levé les yeux, et découvert, très haut dans le ciel au-dessus de lui, les feux anti-collision de l'appareil japonais. II était désormais presque à l'aplomb de celui-ci, et si perfectionné que soit leur radar, il était incapable de voir à
travers l'épaisseur de la carlingue... effectivement, il y avait maintenant une tache noire au centre de son écran de menace.
" Et c'est parti ", dit-il dans l'interphone. Sandy mit les gaz àfond, plaçant délibérément les moteurs en surrégime, tout en ramenant sèchement le manche vers lui. Le Comanche bondit vers le haut en décrivant une spirale. Le seul vrai souci était la température des moteurs. Ils étaient conçus pour être maltraités, mais là, il les poussait vraiment à leur extrême limite. Un témoin d'alerte s'alluma sur son affichage de casque, une barre verticale qui se mit à grimper en changeant de couleur presque aussi vite que le défilement de ses chiffres sur l'altimètre numérique.
" Waouh ", souffla le mitrailleur, puis il baissa les yeux et sélectionna l'affichage des systèmes d'armes, pour gagner du temps, avant de se remettre à surveiller l'extérieur. " Trafic négatif. "
Logique, estima Richter. Ils n'avaient s˚rement pas envie de voir l'air encombré autour d'un appareil aussi co˚teux que cette cible. A la bonne heure. Il l'apercevait à son tour, tandis que son hélicoptère dépassait le palier des dix mille pieds, poursuivant son ascension, pareil à l'avion de chasse qu'il était en réalité, rotor ou pas.
Il le voyait maintenant sur son écran de visée, encore trop loin pour être atteint, mais il était bien là, tache lumineuse dans la petite fenêtre au centre de son affichage tête haute. Temps de faire un petit contrôle. Il activa ses systèmes d'illumination de missiles. Le F-22
était équipé d'un radar FPI - à faible probabilité d'interception par la cible. Cela s'annonçait bien.
" On vient d'accrocher un écho, annonça l'officier de contremesures. On vient d'accrocher un écho haute fréquence, relèvement indéfini ", poursuivit-il, les yeux fixés sur ses instruments pour avoir des données complémentaires.
" Sans doute encore un de nos échos parasites ", jugea le chef contrôleur, occupé pour l'instant à diriger ses chasseurs sur les contacts qui se rapprochaient toujours.
" Non, non, la fréquence ne correspond pas. " L'officier procéda à une nouvelle vérification de ses instruments, mais il ne trouva rien d'autre pour confirmer l'étrange pressentiment qui venait de lui glacer les membres.
" Alerte surchauffe moteur. Alerte surchauffe moteur ", lui disait la voix, puisqu'il semblait ignorer si délibérément les signaux visuels, estima l'ordinateur de bord.
" Je sais, chou ", répondit Richter.
Au-dessus du désert du Nevada, il avait réussi une montée éclair jusqu'à
vingt et un mille pieds, si loin au-delà du domaine de vol normal d'un hélicoptère qu'il s'était réellement flanqué la trouille, mais, se souvint Richter, c'était dans un air relativement chaud, alors qu'ici, il était beaucoup plus froid. Il franchissait le seuil des vingt mille pieds, gardant toujours un taux de montée respectable, quand sa cible changea de cap, s'éloignant de lui. L'appareil semblait voler en cercles à une vitesse approximative de trois cents noeuds, sans doute propulsé par un seul réacteur, l'autre servant à faire tourner les générateurs électriques qui alimentaient son radar. Il n'avait pas eu d'informations techniques à ce sujet, mais la supposition paraissait logique. Le plus important, c'est qu'il devait encore patienter quelques secondes pour l'avoir à portée de tir, mais les deux énormes turboréacteurs de l'avion de ligne modifié
étaient des cibles tentantes pour ses Stinger.
" Juste à portée, Sandy.
- Roger. " De la main gauche, il choisit les missiles sur le panneau de sélection d'armes. Les trappes latérales se déployèrent. Sous chacune étaient fixés trois missiles Stinger. En limite de manceuvrabilité, il vira en dérapage, souleva le volet de protection du bouton de mise à feu, pressa ce dernier à six reprises. Les six missiles glissèrent sur leurs rails de lancement et filèrent sur une trajectoire parabolique vers leur cible, à
deux milles de là. Sitôt après, Richter réduisit les gaz et ramena doucement le manche, pour replonger vers le bas et refroidir ses turbines poussées à bout, fixant le sol devant lui, tandis que son mitrailleur suivait la progression des missiles.
Le premier Stinger fit long feu. Les cinq autres eurent plus de succès et même si deux connurent une extinction prématurée avant d'avoir atteint la cible, quatre missiles firent mouche, trois sur le moteur droit, et le dernier sur le gauche.
" Frappes, frappes multiples. "
Le E-767, à basse vitesse, n'avait guère de chance de s'en tirer. Les Stinger avaient des charges réduites, mais les réacteurs de l'appareil répondaient aux spécifications civiles et ils étaient peu armés pour résister aux dég‚ts. Les deux moteurs s'arrêtèrent aussitôt, et celui qui servait effectivement à la propulsion se désintégra le premier. Des fragments de pale des turbines explosèrent, traversant le carénage du réacteur, déchirant l'aile droite, sectionnant les commandes de vol, ruinant les performances aérodynamiques. L'avion de ligne modifié bascula instantanément sur la droite, entamant une chute irrécupérable : surpris par ce désastre imprévu, l'équipage était totalement incapable d'y faire face. La moitié de l'aile droite se sépara presque aussitôt du fuselage et, au sol, les contrôleurs du ciel virent sur leur écran alphanumérique la marque affichant la position du Kami-Deux basculer sur le code d'urgence 7711, puis disparaître purement et simplement.
" Appareil abattu, Sandy.
- Roger. " Le Comanche descendait à toute vitesse pour foncer vers l'abri de la côte. Les moteurs avaient retrouvé une température normale et Richter espérait ne pas avoir occasionné de dég‚ts irrémédiables. Pour le reste, ce n'était pas la première fois qu'il tuait des gens.
" Kami-Deux vient de disparaître des écrans, annonça l'officier de transmissions.
- quoi ? demanda le chef contrôleur, distrait de sa mission d'interception.
- Un appel incompréhensible, comme une explosion, et puis plus aucun signal.
- Restez à l'écoute, j'ai mes Eagle à diriger. "
Le colonel savait que la t‚che devait commencer à devenir épineuse pour les 15-Echo. Leur boulot pour l'instant était de servir d'app‚t, d'attirer les Eagle japonais loin au-dessus de l'eau, pendant que les Lightning suivaient derrière pour fondre sur leurs avions-radars de soutien et refermer le piège. La bonne nouvelle était que le troisième E-767 venait de disparaître des écrans. Donc, la seconde phase de la mission s'était déroulée comme prévu. Voilà qui changeait agréablement. Et donc, pour le reste...
" Deux... de Leader, exécution, top ! " Le colonel alluma ses radars d'illumination, à vingt milles de l'avion AEW en patrouille. Puis il ouvrit les volets de ses baies d'armements, pour donner à ses missiles AMRAAM une chance de flairer leur proie. Le Un et le Deux avaient déjà acquis leur cible : il les tira. " FoxDeux, Fox-Deux sur le Zigue Nord, avec deux Slammer ! "
L'ouverture de la baie d'armements rendait les Lightning àpeu près aussi furtifs qu'un immeuble. Des échos apparurent tout d'un coup sur cinq écrans différents, accompagnés d'indications complémentaires sur la vitesse et le cap du nouveau contact. Le message d'alerte qu'y ajouta l'officier de contre-mesures résonna comme un glas.
" On est illuminé à très courte portée, relèvement zéro-deuxsept !
- Hein ? quoi ? qui est-ce ? " Il avait ses problèmes de son côté, avec ses Eagle sur le point de lancer leurs missiles sur les Américains en approche.
Kami-Six venait de passer en mode contrôle de tir, pour permettre aux intercepteurs de tirer en aveugle, comme ils l'avaient fait déjà avec les bombardiers B-1. Il ne pouvait plus interrompre la procédure.
L'ultime avertissement vint bien trop tard pour permettre une riposte. A huit kilomètres de la cible, les deux missiles passèrent sur leur propre radar de détection. Ils arrivaient à plus de Mach 3, propulsés par leurs moteurs à poudre vers une cible radar gigantesque. Le AIM-120 AMRAAM, connu de ses utilisateurs sous le nom de Slammer, faisait partie de cette nouvelle génération d'armes intelligentes. Enfin averti par le dialogue des opérateurs de contre-mesures, le pilote du 767 fit basculer son appareil sur la gauche, cherchant à déclencher un impossible plongeon en vrille, une manoeuvre désespérée, comprit-il à la dernière seconde en apercevant la lueur jaune de la tuyère du missile.
" Dans le mille,
murmura Lightning Leader. Escadrille Light-
ning, ici Leader. Zigue Nord abattu.
- Leader pour Trois. Zigue Sud abattu " , entendit-il en guise de réponse.
Et maintenant, se dit le colonel, recourant à un euphémisme particulièrement cruel en usage dans l'armée de l'air, l'heure était venue d'aller tuer quelques bébés phoques. Les quatre Lightning se trouvaient entre la côte nippone et les huit intercepteurs F-15J Eagle. Pour les flanquer à la baille, les F-15E américains allaient revenir en arrière, radars coupés, avant de l‚cher eux aussi leurs AMRAAM. Certains feraient mouche, et les chasseurs japonais survivants n'auraient plus qu'à filer sans demander leur reste, pour se jeter tout droit sur les quatre appareils de son escadrille.
Les radars de contrôle au sol ne pouvaient pas voir le combat aé
e
isous leur horizon visuel. Ce
rien. Il se d'roulait bien trop loin, qu'ils virent, c'est un avion qui fonçait vers leur côte - un des leurs, d'après son code transpondeur. Puis il s'immobilisa d'un coup et le signal du répéteur disparut. Au qG de la défense
aé
e
tienne, les donn'es transmises par les trois avions-radars abattus ne révélaient aucun indice, à un point près : la guerre déclenchée par leur pays était entrée dans une phase concrète, et elle avait pris un tour inattendu.
43
Et en avant la musique
E sais que vous n'êtes pas russes ", dit Koga. Il était assis J à l'arrière avec Chavez. Clark conduisait.
" qu'est-ce qui vous fait penser ça ? demanda John, l'air innocent.
- Le fait que Yamata pense que j'ai eu des contacts avec des Américains.
Or, vous êtes les deux seuls gaijins avec qui j'ai parlé depuis le commencement de cette folie. Mais enfin, qu'est-ce qui se passe ? demanda l'homme politique.
- Monsieur, ce qui se passe pour le moment, c'est que nous vous avons sorti des griffes d'individus qui préféraient vous voir mort.
- Yamata ne serait pas idiot à ce point, rétorqua Koga, qui ne s'était pas encore remis du choc d'avoir découvert la violence hors du cadre d'un écran de télé.
- Il a déclenché une guerre, Koga-san. que pèse en face votre mort ?
remarqua délicatement John.
- Donc, vous êtes bien des Américains. " Il insistait.
Oh, et puis merde, se dit Clark. " Oui, monsieur, c'est exact.
- Espions ?
- Agents de renseignements, rectifia Chavez. Celui qui vous gardait dans le salon...
- Celui que vous avez tué, voulez-vous dire ? Kaneda ?
- Lui-même. Il a assassiné une ressortissante américaine, une jeune femme du nom de Kimberly Norton et, à vrai dire, je ne suis pas mécontent de l'avoir abattu.
- qui était-ce ?
- La maîtresse de Goto, expliqua Clark. Et quand elle est devenue une menace politique pour votre nouveau Premier ministre, Raizo Yamata a décidé
de l'éliminer. Si nous sommes venus dans votre pays, c'était uniquement pour la récupérer ", poursuivit Clark. C'était un semi-mensonge.
" Rien de tout cela n'était nécessaire, rétorqua Koga. Si votre Congrès m'avait seulement donné une chance de...
- Monsieur, répondit Chavez ; vous avez peut-être raison. Personnellement, je n'en sais rien. Mais ça n'a plus grande importance à présent, non ?
- Eh bien alors, dites-moi donc ce qui importe!
- C'est de mettre fin à cette putain de saloperie avant qu'elle ne fasse trop de victimes, suggéra Clark. J'ai combattu dans plusieurs guerres, et ce n'est jamais marrant. Des tas de petits gars se font rétamer avant d'avoir eu la chance de se marier et d'avoir des gosses, et ça, c'est moche, d'accord ? " Clark marqua une pause avant de poursuivre. " C'est moche pour mon pays, et ce qui est bougrement s˚r, c'est que ça va être pire pour le vôtre.
- Yamata pense...
- Yamata est un homme d'affaires, intervint Chavez. Monsieur, vous feriez mieux de le comprendre. Il ne sait pas ce qu'il a déclenché.
- Oui, pour tuer, vous êtes des champions, vous autres Américains. J'ai encore pu le constater il y a un quart d'heure.
- Dans ce cas, monsieur Koga, vous aurez également constaté que nous avons laissé la vie sauve à l'un de ces hommes... "
La repartie furieuse de Clark provoqua un silence glacial de plusieurs secondes. Koga mit du temps à réaliser que c'était la vérité. L'homme étendu devant la porte était bien en vie quand ils avaient enjambé son corps : geignant, tremblant, comme
s' de d'
e
ecoue écharges 'lectriques, mais incontestablement en vie.
" Pourquoi n'avez-vous pas... ?
- Nous n'avions aucune raison de le tuer, expliqua Chavez. Je ne vais pas m'excuser pour ce salaud de Kaneda. Il n'a eu que ce qu'il mérite, et quand je suis entré dans la pièce, il s'apprêtait à dégainer son arme... et ce n'était pas un pistolet à bouchon. Mais on n'est pas au cinéma. On ne tue pas les gens pour le plaisir, et si on est venus vous sauver, c'est parce qu'il faut bien quelqu'un pour arrêter cette putain de guerre, d'accord ?
= quand bien même ce serait vrai... ce qu'a fait votre Congrês.:. comment mon pays peut-il survivre économiquement à...
- Est-ce que ce sera mieux si la guerre continue ? demanda Clark. Si le Japon et la Chine s'en prennent à la Russie, qu'estce qui vous arrivera, à
votre avis ? qui, selon vous, va réellement payer le prix de cette erreur ?
La Chine ? Je ne pense pas. "
Le premier message de Washington vint par satellite. Il se trouva qu'un des
" auto-stoppeurs " de surveillance électronique de la NSA était bien placé
en orbite pour enregistrer l'arrêt du signal - selon la terminologie de l'Agence pour la sécurité nationale - émanant de chacun des trois avions-radars japonais. D'autres postes d'écoute de l'Agence enregistrèrent des dialogues radio qui se poursuivirent encore plusieurs minutes avant de s'interrompre. Les analystes étaient en ce moment même en train de les dépouiller, annonçait le rapport que Ryan avait entre les mains.
Un seul coup au but, se dit le colonel. Enfin, il devrait faire avec. Son ailier avait descendu le dernier des 15J. L'élément sud en avait abattu trois, et les Strike Eagle avaient liquidé les quatre derniers, sitôt que leur soutien radar avait disparu, les laissant soudain vulnérables et désemparés. Il était probable que l'équipe Zoiuto avait abattu le troisième E-767. Pas une mauvaise nuit, dans l'ensemble, mais bougrement longue, se dit-il en reformant son escadrille de quatre appareils en vue de leur rendez-vous avec le ravitailleur avant les trois heures de vol pour regagner Shemya. Le plus dur était l'obligation de maintenir le silence radio. Certains de ses gars devaient être surexcités, tout imbus de leur succès, en vrais pilotes de chasse heureux d'avoir accompli leur t‚che et d'avoir survécu pour narrer leurs exploits, avec une seule envie : en parler. Mais ça changerait vite, estima-t-il, alors que le silence forcé
l'obligeait à repenser au premier avion qu'il ait jamais abattu. Il y avait trente personnes à bord. Merde, il aurait d˚ en être fier, non ? Alors, pourquoi n'était-ce pas le cas ?
Il venait de se produire un truc intéressant, nota Dutch Claggett. Ils continuaient à détecter épisodiquement des échos du SSK évoluant dans leur secteur, mais quel que soit ce b‚timent, il avait viré au nord pour s'éloigner d'eux, permettant au Tennessee de demeurer sur place. Comme tout submersible en patrouille, il était remonté en immersion périscopique pour déployer son antenne de détection électronique afin de suivre les évolutions des avions-radars japonais ces deux derniers jours et recueillir ainsi le maximum de données susceptibles d'être transmises aux autres b
‚timents de la flotte. La collecte de renseignements électroniques était déjà une des missions dévolues aux sous-marins, bien avant son entrée à
Annapolis, et son équipage comprenait deux électroniciens manifestement doués pour ça. Or, deux des appareils surveillés avaient disparu d'un coup de leurs écrans. Volatilisés. Puis, ils avaient intercepté des conversations radio apparemment affolées, d'après leur ton, et puis ces voix s'étaient éteintes une par une, quelque part au nord de leur position.
" Vous pensez qu'on serait revenus à la marque, commandant ? demanda l'enseigne Shaw, comptant sur son supérieur pour être au courant, parce que les commandants étaient censés tout savoir, même si ce n'était pas le cas.
- On dirait bien.
- Passerelle pour sonar.
- Sonar, j'écoute.
- Notre copain est remonté renifler, relèvement zéro-zéroneuf, contact probable, indiqua le chef sonar.
- Je trace sa trajectoire ", répondit Shaw, la table des cartes à
l'arrière.
en se dirigeant vers
" Alors, que s'est-il passé ? demanda Durling.
- On a descendu trois de leurs avions-radars, et notre force d'intervention a anéanti leur escadrille de chasse. " L'heure, toutefois, n'était pas à
pavoiser.
" C'est maintenant la phase la plus épineuse ?
- Oui, monsieur le président, acquiesça Ryan. Il faut qu'on entretienne la confusion encore un petit moment, mais dès àprésent, ils se doutent qu'il se passe quelque chose. Ils savent...
- Ils savent qu'il pourrait bien s'agir d'une vraie guerre, après to˚t.~Des nouvelles de Koga?
- Pas encore. "
Il était quatre heures du matin et les trois hommes en portaient les marques. Koga avait surmonté, pour l'heure, la phase de stress, cherchant à
utiliser sa tête plutôt que ses émotions, tandis que ses deux hôtes -
c'était ainsi qu'il les considérait maintenant, non sans surprise - le guidaient toujours, tout en se demandant à présent s'ils n'avaient pas commis une erreur en laissant la vie sauve au garde posté à l'extérieur de l'appartement de Yamata. Il devait s'être remis à l'heure qu'il était.
Allait-il prévenir les flics ? Ou d'autres ? Sur quoi allait déboucher l'aventure de cette nuit ?
" qu'est-ce qui me prouve que je devrais vous faire confiance ? " demanda Koga après un silence prolongé.
Les mains de Clark serrèrent si fort la jante du volant qu'elles laissèrent des marques sur le SkaÔ. C'était la faute à la télé et au cinéma si les gens posaient ce genre de questions stupides. A la télé comme au cinéma, les espions faisaient toutes sortes de trucs fort compliqués dans l'espoir de déjouer des adversaires aussi intelligents qu'eux. La réalité était différente. Vous t‚chiez toujours d'organiser les opérations avec le maximum de simplicité, parce que même les trucs les plus simples pouvaient vous péter à la gueule, et si le mec en face était vraiment si malin, il ne vous laisserait même pas l'occasion de deviner son identité ; par ailleurs, piéger les gens pour les amener à faire ce qu'on désirait ne pouvait marcher qu'à condition de ne leur laisser qu'une seule option, et même ainsi, il arrivait encore plus d'une fois qu'ils réagissent de manière inattendue.
" Monsieur, nous n'avons jamais fait que risquer notre vie pour vous, mais bon, d'accord, ne vous fiez pas à nous. Je n'aurai pas la stupidité de vous dicter la conduite à tenir. Je ne connais pas suffisamment la politique de votre pays. Ce que je vais vous dire est tout simple : Nous allons agir -
de quelle manière, je n'en sais encore trop rien, donc je ne peux guère vous en dire plus. Nous voulons mettre fin à cette guerre avec le minimum de violence, mais la violence sera inévitable. Vous aussi, vous voulez y mettre fin, n'est-ce pas ?
- …videmment que je veux y mettre fin, grommela Koga, que l'épuisement rendait peu courtois.
- Eh bien, monsieur, faites ce que vous dicte votre conscience, d'accord ?
Voyez-vous, vous n'êtes pas obligé de nous faire confiance. Nous, en revanche, Nous devons compter sur vous pour agir au mieux des intérêts de votre pays et du nôtre. "Il s'avéra que la remarque de Clark, tout exaspérée qu'elle soit, avait touché un point sensible.
" Oh... " L'homme politique réfléchit. " Oui, bien s˚r. Alors c'est donc vrai, hein ?
- O˘ peut-on vous déposer ?
- Chez Kimura, répondit aussitôt Koga.
- Parfait. " Clark dénicha l'adresse et tourna sur la nationale 122 pour s'y rendre. Puis il s'avisa qu'il avait appris un détail de la plus haute importance, cette nuit, et qu'après avoir conduit leur passager dans un endroit relativement s˚r, il devait de toute urgence transmettre cette information à Washington. Les rues vides facilitaient la t‚che, et même s'il aurait apprécié un café pour se tenir éveillé, il ne lui fallut qu'une petite quarantaine de minutes pour rallier le lotissement aux petites maisons entassées o˘ vivait le fonctionnaire du MITI. Il y avait déjà de la lumière quand ils s'arrêtèrent devant la porte, et ils laissèrent Koga descendre et gagner le perron. Isamu Kimura ouvrit aussitôt et invita son hôte à entrer avec un sourire presque aussi large que la porte de sa demeure.
qui a dit que ces gens ne manifestent aucune émotion ?
" D'o˘ vient la fuite, à votre avis ? remarqua Ding, toujours assis sur la banquette arrière.
- Brave petit... t'as pigé, toi aussi.
- Hé, je suis le seul diplômé d'université dans cette voiture, monsieur C.
" Ding ouvrit le portatif et se mit à taper sa dépêche pour Langley - comme toujours via Moscou.
" Ils ont fait quoi? aboya Yamata au téléphone.
- C'est sérieux. " Son correspondant était le général Arima qui venait luimême d'apprendre la nouvelle de Tokyo. " Ils ont pulvérisé nos défenses aériennes et ont pu repartir comme si de rien n'était.
Mais comment ? " demanda l'industriel. Ne lui avaient-ils pas-seriné que le Kami était un avion invincible ?
" On ne sait pas encore, mais je peux vous dire que c'est très sérieux. Ils ont désormais la possibilité de bombarder notre pays. "
Réfléchis, se dit Yamata, en secouant la tête pour s'éclaircir les idées. "
Général, ils ne peuvent toujours pas débarquer sur nos îles, n'est-ce pas ?
Ils peuvent nous harceler, mais pas vraiment nous blesser, aussi longtemps que nous détiendrons l'arme nucléaire...
- A moins qu'ils tentent autre chose. les Américains n'agissent pas comme nous avions été portés à l'envisager... "
Cette dernière remarque eut la vertu de piquer au vif le futur gouverneur de Saipan. C'est aujourd'hui qu'aurait d˚ commencer sa campagne. Oui, c'est vrai, il avait surestimé la portée de son action sur les marchés financiers américains, mais ils avaient quand même réussi à mutiler la flotte américaine, ils avaient quand même réussi à occuper les îles, et l'Amérique n'avait toujours pas les moyens matériels de récupérer ne f˚t-ce qu'une seule des Mariannes, l'Amérique n'avait pas la volonté politique de lancer une attaque nucléaire sur son pays. Par conséquent, ils gardaient toujours l'avantage. Ne devait-on pas s'attendre à voir les Américains riposter d'une manière ou de l'autre ? Bien s˚r que si. Yamata saisit sa télécommande et alluma la télé, prenant le début d'une retransmission de CNN : la correspondante de la chaîne se tenait apparemment près d'une bordure de quai et, derrière elle, on voyait les deux porteavions américains, toujours en cale sèche, toujours immobilisés.
" que nous dit le Renseignement demanda-t-il au général.
- Les deux porte-avions américains sont toujours sur zone, lui assura Arima. On a pu confirmer leur présence hier, tant en visuel qu'au radar, à
moins de quatre cents kilomètres des côtes du Sri Lanka.
- Donc, ils ne peuvent rien contre nous, n'est-ce pas ?
- Eh bien, non, certainement pas, admit le général. Mais nous devons prendre d'autres dispositions.
- Alors, je vous suggère instamment de les prendre, Arimasan ", répondit Yamata d'une voix si polie qu'elle en était une insulte cuisante.
au sujet de (océan Indien ?
Le pire était d'ignorer ce qui s'était passé. Toutes les liaisons avec les trois Kami abattus s'étaient interrompues avec l'élimination du Deux. Le reste de leurs informations relevait plus de déductions que de connaissances précises. Les stations de suivi au sol avaient copié les émissions du quatre et du Six, jusqu'au moment o˘ celles-ci avaient brutalement cessé à la même minute. Il n'y avait eu aucun signe évident d'alerte de la part des trois avions-radars. Ils avaient simplement arrêté
d'émettre, ne laissant pour seule trace que quelques débris épars à la surface de (océan. quant aux chasseurs, au moins détenaient-ils les enregistrements des conversations radio. Le drame s'était joué en moins de quatre minutes. D'abord les commentaires confiants, laconiques, des pilotes de chasse fondant sur leur cible, puis une série de quoi ? suivis de cris pour demander instamment qu'on reconnecte leurs radars, puis d'autres cris en découvrant qu'ils étaient illuminés. Un des pilotes annonça un coup au but, avant de disparaître aussitôt des ondes - mais un coup au but par qui, par quoi ? Comment le même appareil qui avait abattu les Kami pouvait-il avoir simultanément descendu les chasseurs ? Les Américains n'avaient que quatre exemplaires de ce tout nouveau et si co˚teux F-22. Orles Kami les suivaient au radar. Par quel tour de magie... ? C'était bien là le problème : ils n'en savaient rien.
Les spécialistes de la défense aérienne et les ingénieurs, qui avaient mis au point les systèmes de radar embarqués les meilleurs du monde, hochèrent la tête avec un bel ensemble et baissèrent les yeux ; tous éprouvaient une intense humiliation personnelle, mais sans savoir pourquoi. Sur dix avions, cinq étaient détruits, quatre seulement restaient opérationnels, et s'ils avaient une certitude, c'est qu'ils ne pouvaient plus prendre le risque de les engager au-dessus de l'océan. L'ordre fut émis également de déployer les E-2C de réserve mais ces derniers appareils, d'origine strictement américaine, étaient moins efficaces que les E-767 qui les avaient remplacés. Les officiers devaient se résoudre à la dure réalité des faits : d'une manière ou de l'autre, la défense aérienne de leur pays venait d'être sérieusement compromise.
I1 était sept heures du soir, et Ryan s'apprêtait à rentrer chez lui.quand le fax crypte se mit à bourdonner. Son téléphone sonnait avant même que la feuille imprimée ne commence à sortir.
" Vous n'êtes donc pas fichus de garder un secret ? demanda une voix furieuse au fort accent russe.
- SergueÔ ? quel est le problème ?
- Koga reste notre meilleure chance de mettre fin aux hostilités, et quelqu'un de chez vous est allé dire aux Japonais qu'il est en contact avec vous ! " Golovko criait presque. Il l'avait appelé depuis chez lui (o˘ il était trois heures du matin). " Vous cherchez à le faire tuer ?
- SergueÔ NikolaÔtch, bordel de merde, est-ce que vous allez vous calmer ?
" Jack se rassit dans son fauteuil - entre-temps, sa page de fax avait fini d'arriver. Elle provenait directement des spécialistes des transmissions de l'ambassade à Moscou, sans aucun doute sur ordre de leurs homologues russes. " Oh, merde... D'accord, on a réussi à le tirer d'affaires, pas vrai ?
- Vous êtes infiltré à un très haut niveau, Ivan Emmetovitch...
- Ma foi, ce n'est pas à vous que j'apprendrai que ça n'a rien de sorcier.
- Nous ferons tout pour découvrir de qui il s'agit, je vous le garantis. "
Il y avait encore de la colère dans sa voix.
Si c est pas formidable, songea Ryan, fermant ses paupières douloureuses.
Le service de contre-espionnage russe appelé à témoigner devant la cour fédérale.
" Peu de gens encore sont au courant... Je vous recontacte.
- Je suis ravi d'apprendre que vous restreignez la diffusion d'informations sensibles à des individus si dignes de confiance, Jack. " On raccrocha.
Ryan bascula l'interrupteur et composa de mémoire un autre numéro.
" Murray.
- Ryan. Dan, j'aimerais vous voir, au plus vite. " Il appela ensuite Scott Adler. Puis il se rendit à nouveau chez le Président. Il avait l'impression que le point positif de son rapport serait que le camp adverse avait fait un usage maladroit d'informations de premier ordre. Une fois encore, il en était certain, Yamata se comportait en hommes d'affaires plus qu'en espion professionnel. Il n'avait même pas pris la peine de maquiller les renseignements en sa possession, au risque d'en révéler la source. L'homme n'avait pas conscience de ses limites. Tôt ou tard, cette faiblesse allait lui co˚ter cher.
Parmi les dernières instructions de Jackson avant son départ dans le Pacifique, il y avait l'ordre à douze bombardiers B-1 B de la 384e escadre aérienne de décoller de leur base au sud du Kansas, de s'envoler vers l'est, via Laies aux Açores, et de rallier Diego Garcia, dans l'océan Indien. Le vol de seize mille kilomètres prit plus d'une journée, et quand les appareils se posèrent enfin sur la plus lointaine de toutes les bases américaines, leurs équipages étaient complètement vannés. Les trois KC-10
acheminant les mécanos et la logistique atterrirent peu après, et bientôt tout ce petit monde était endormi.
" qu'est-ce que tu me dis là ? " insista Yamata. L'idée le glaçait. Son propre domicile, violé... Mais par qui ?
" Ce que je vous dis, c'est que Koga a disparu et que Kaneda est mort. L'un de vos gardes est encore en vie, mais tout ce qu'il a vu, c'est deux ou trois gaijins. Ils l'ont maîtrisé, et il ne sait même pas comment.
- quelles dispositions a-t-on prises ?
- L'affaire a été confiée à la police, dit à son patron Kazuo Taoka. …
videmment, je n'ai pas dit un mot au sujet de Koga.
- Il faut le retrouver, et vite. " Yamata regarda dehors. La chance lui souriait encore. Après tout, le coup de fil l'avait trouvé chez lui.
" Je ne sais pas...
- Moi, si. Merci du tuyau. " Yamata raccrocha sèchement, puis donna un autre coup de fil.
Murray franchit rapidement les contrôles de la Maison Blanche il avait laissé dans la voiture son arme de service. Il n'avait pas vécu un mois plus facile que le reste du gouvernement. II s'était loupé dans l'affaire Linders avec une erreur de débutant. Du cognac mélangé à un médicament antigrippa4 se répéta-t-il pour la centième
fois, en se demandant ce que Ryan et le Président pourraient bien trouver à
lui dire. Le dossier criminel volait en éclats, et sa seule satisfaction était de ne pas avoir traîné un innocent devant les tribunaux, plongeant le Bureau dans l'embarras. qu'Ed Kealty soit ou non réellement coupable de quoi que ce soit était une question secondaire pour le responsable du FBI.
Si vous ne pouviez apporter de preuve à un jury, alors l'inculpé était innocent, point final. Et l'homme allait de toute façon bientôt quitter les responsabilités publiques. C'était déjà ça, se dit Murray tandis qu'un agent du Service secret le conduisait non pas vers le bureau de Ryan, mais vers celui situé dans l'angle opposé de l'aile ouest.
" Salut, Dan, dit Jack en se levant pour l'accueillir.
- Monsieur le président ", dit aussitôt Murray. Il ne connaissait pas l'autre homme qui se trouvait dans la pièce.
" Bonjour, je suis Scott Adler.
- Enchanté. " Murray lui serra la main. Oh, réalisa-t-il, le type qui a mené les négociations avec les Japs.
On avait déjà pas mal avancé. Ryan n'arrivait pas à croire qu'Adler soit l'auteur de la fuite. Les seuls autres au courant àpart lui étaient le Président, Brett Hanson, Ed et Mary Pat, peutêtre quelques secrétaires. Et Christopher Cook.
" Ces diplomates japonais, sont-ils surveillés de près ? demanda Ryan.
- Ils ne vont nulle part sans quelqu'un pour les tenir à l'oeil, lui assura Murray. Vous pensez à une affaire d'espionnage ?
- Probable. Il y a eu une fuite très importante.
- «a doit être Cook, dit Adler. Ce ne peut être que lui.
- Bien. Mais d'abord, je dois vous apprendre un certain nombre de choses, indiqua le chef du Conseil national de sécurité. Il y a moins de trois heures, nous avons anéanti leurs défenses aériennes. On pense avoir abattu dix ou onze appareils. " Il aurait pu poursuivre mais s'en abstint. Il restait toujours la possibilité que la fuite vienne d'Adler, après tout, et la phase suivante de l'opération Zoiuto devait être une surprise complète.
" «a va les rendre nerveux, et ils ont toujours leurs armes nucléaires. Une combinaison dangereuse, Jack ", remarqua le secrétaire d'…tat aux Affaires étrangères.
Nucléaires ? s'étonna Murray. Bon Dieu.
" Ont-ils changé d'attitude dans les négociations ? " demanda le Président.
Adler fit un signe de dénégation. " Pas le moins du monde, monsieur. Ils sont prêts à nous restituer Guam, mais ils veulent se garder le reste des Mariannes. Ils ne reculent pas d'un iota, et rien de ce que j'ai pu dire n'a réussi à les ébranler.
- Bien. " Ryan se retourna. " Dan, nous avons été en contact avec Mogataru Koga...
- C'est l'ex-Premier ministre, n'est-ce pas ? " demanda Dan, qui voulait être s˚r de bien suivre le mouvement. Jack acquiesça.
" C'est exact. Nous avons infiltré deux agents de la CIA au Japon sous une fausse identité de Russes, et ils ont rencontré Koga sous cette couverture.
Mais Koga s'est fait lui-même enlever par le type qui, d'après nous, semblerait mener la danse. Il aurait révélé à Koga qu'il était au courant de ses contacts avec des Américains.
- Ce doit être Cook, répéta Adler. Aucun autre membre de la délégation n'est au courant, et Chris se charge de mes contacts officieux avec leur numéro deux, Seiji Nagumo. " Le diplomate marqua un temps d'arrêt, puis laissa éclater sa colère. " C'est vraiment un comble, non ?
- On lance une enquête pour espionnage ? " demanda Murray. Détail significatif, nota-t-il, le Président laissa à Ryan le soin de donner la réponse.
" Vite fait bien fait, Dan.
- Et ensuite ? " Adler voulait savoir.
" Si c'est bien lui, on n'a qu'à le retourner, ce salaud. " Murray approuva d'un vigoureux signe de tête l'euphémisme en cours au FBI.
" que voulez-vous dire, jack? demanda Durling.
- C'est l'occasion ou jamais. Ils pensent avoir une bonne source de renseignements et, à l'évidence, ils cherchent à les exploiter. A la bonne heure, poursuivit Jack. Nous pouvons en tirer avantage. On va leur refiler quelques informations bien juteuses, puis on n'aura plus qu'à les leur foutre dans le cul. "
Le plus urgent était d'étayer la défense aérienne des îles métropolitaines.
Cette décision ne fut pas sans causer un certain émoi au qG, de la défense nippone, et pour accentuer le malaise, elle se basait sur des informations partielles et non l'ensemble de données précises qui avait servi à préparer le plan stratégique global auquel le haut commandement militaire essayait de se tenir. Le meilleur système d'alerte radar que possédait leur pays était embarqué sur les quatre destroyers Aegis de classe Kongo qui patrouillaient au large des Mariannes du Nord.
C'étaient de formidables b‚timents équipés de leur propre système de défense
aé
e
e
rienne intègr'. Sans être aussi mobiles que les E-767, ils 'taient toutefois plus puissants et pouvaient fonctionner de manière autonome.
Aussi, dès avant l'aube, l'escadre reçut-elle l'ordre de remonter à toute vapeur vers le nord pour établir un barrage radar à l'est des iles du Japon. Après tout, la marine américaine ne bougeait pas, et s'ils reconstituaient les défenses du pays, ils avaient encore une bonne chance d'aboutir à une solution diplomatique.
Dès que le signal parvint au Mutsu, l'amiral Sato en vit la logique, et ordonna aussitôt à ses b‚timents de faire route à leur vitesse maximale. Il restait malgré tout soucieux. Il savait que son système radar SPY était tout à fait capable de détecter des avions furtifs - les Américains l'avaient démontré avec leur propre version. Il savait également que ses b
‚timents étaient suffisamment redoutables pour intimider l'adversaire. Ce qui le tracassait le plus, c'était que, pour la première fois, son pays n'avait pas l'initiative : il n'agissait pas, mais réagissait aux mouvements des Américains. Il osait espérer que c'était temporaire.
" Intéressant ", observa aussitôt Jones. Les traces ne dataient que de quelques minutes, mais il y en avait deux, représentant sans doute plus de deux unités en formation serrée, bruyantes, et qui venaient d'opérer un léger changement de cap vers le nord.
" B‚timents de surface, aucun doute, annonça l'opérateur sonar deuxième classe. On dirait un bruit de moteur... " Il se tut quand Jones entoura de rouge une autre trace.
" Et ça, c'est le battement de l'hélice. Au moins trente noeuds, ça veut dire des b‚timents de guerre rudement pressés. " Jones se dirigea vers le téléphone pour appeler le ComSubPac. " Bart ?
Ron ? On a quelque chose, ici. Cette escadre de destroyers qui opérait autour de Pagan...
- Oui, eh bien ? demanda Mancuso.
- Il semblerait qu'ils foncent vers le nord. On a quelqu'un là-haut pour les réceptionner ? " Puis Jones se souvint de plusieurs coups de sonde dans les eaux autour de Honshu. Mancuso ne leur disait pas tout, comme on pouvait s'y attendre pour des opérations tactiques. Sa façon d'esquiver la question serait une réponse en soi, estima le civil.
" Pouvez-vous me tracer une route ? "
Bingo. " Laissez-moi un petit peu de temps. Disons une heure, d'accord ?
Les données sont encore un rien confuses, patron. "
La voix ne semblait pas outre mesure déçue par sa réponse, nota Jones. " A vos ordres, monsieur. On vous tiendra au courant.
- Bon travail, Jones. "
Il raccrocha, regarda autour de lui. " Chef ? On s'attelle à définir une route pour ces traces. " quelque part au nord, songeait Jones, quelqu'un était en train d'attendre. Il se demanda qui ça pouvait être, et n'aboutit qu'à une seule réponse.
Le temps travaillait dorénavant contre eux. Hiroshi Goto ouvrit le conseil de cabinet à dix heures du matin, heure locale, soit minuit à Washington, o˘ se trouvaient les négociateurs. Il était manifeste que les Américains tenaient à leur apporter la réplique, même si certains n'y voyaient qu'une ruse diplomatique, une démonstration de force obligée, pour mieux se faire entendre à la table des négociations. Certes, ils avaient sérieusement entamé leur défense aérienne, mais ça n'allait pas plus loin. L'Amérique était incapable, et sans doute peu désireuse de lancer une attaque systématique contre le Japon. Trop risqué. Le Japon détenait des missiles à
tête nucléaire, pour commencer. En outre, il possédait toujours des défenses aériennes perfectionnées, malgré les événements de la nuit passée, et la situation se ramenait en définitive à un calcul tout simple. De combien de bombardiers disposait l'Amérique ? Combien étaient en état de frapper leur pays, à supposer même qu'ils n'aient rien pour les arrêter ?
Combien de temps prendrait une telle campagne de bombardement ?
L'Améxique en avait-elle la volonté politique ? Toutes les réponses à
toutes ces questions étaient favorables à leur pays, estimaient les ministres, l'oeil toujours fixé sur le but ultime, qui scintillait, tentant, éclatant, devant eux. En outre, tous avaient plus ou moins un protecteur pour s'assurer qu'ils prendraient les bonnes décisions au bon moment. Sauf Goto, bien entendu, dont le protecteur, ils le savaient, était ailleurs en ce moment.
En attendant, leur ambassadeur à Washington devait marquer sa ferme opposition à l'attaque américaine contre le Japon, en faisant observer qu'une telle attitude n'arrangeait rien, et qu'il n'y aurait plus aucune concession tant qu'il n'y serait pas mis fin. On ferait également observer que toute attaque directe contre le territoire nippon serait considérée comme une affaire de la plus extrême gravité ; après tout, le Japon n'avait à aucun moment visé directement les intérêts vitaux de l'Amérique...
jusqu'ici. Cette menace à peine voilée devrait sans aucun doute suffire àleur faire entendre raison.
Goto approuva de la tête les suggestions, regrettant l'absence de son protecteur personnel pour le soutenir, et sachant que Yamata l'avait déjà
court-circuité en s'adressant directement à de hauts responsables de la Défense. Il faudrait qu'il s'en ouvre àRaizo.
" Et s'ils remettent ça ? demanda-t-il.
- Nous allons mettre nos défenses en alerte maximale dès ce soir, et une fois nos destroyers déployés, ils représenteront une menace toujours aussi formidable. D'accord, ils ont fait leur démonstration de force, mais jusqu'ici, ils n'ont même pas encore réussi à simplement survoler notre territoire.
- Il faut faire plus, dit Goto, qui se rappelait ses instructions. Nous pouvons accentuer la pression sur les Américains en dévoilant publiquement l'existence de notre arme ultime.
- Non ! dit aussitôt un ministre. C'est chez nous que cela risque de provoquer le chaos!
- Chez eux également ", répondit Goto, mais sans grande conviction, estimèrent les ministres. Ils constataient une fois encore que c'étaient les idées d'un autre qui s'exprimaient par sa bouche. Et ils savaient qui.
" Cela les forcera à changer de ton dans la négociation.
- Cela pourrait également les conduire à envisager une attaque d'envergure.
- Ils ont bien trop à y perdre, insista Goto.
- Et pas nous ? rétorqua le ministre, en se demandant jusqu'o˘ allait sa loyauté envers son chef, et o˘ commençait celle envers ses concitoyens. Et s'ils décident d'une frappe anticipée ?
- Impossible. Ils ne sont pas armés pour ça. Nos missiles ont été disposés avec un soin extrême.
- Oui, et notre système de défense aérienne est également invincible, railla un autre ministre.
- Le mieux serait peut-être une allusion de notre ambassadeur au fait que nous pourrions détenir des armes nucléaires, suggéra un troisième ministre.
Peut-être que ce serait suffisant. "Il y eut quelques signes d'assentiment autour de la table, et Goto, malgré ses ordres, approuva la proposition.
Le plus dur était de ne pas se laisser gagner par le froid, malgré tout leur équipement polaire. Richter se blottit dans le duvet et céda à un vague accès de culpabilité en songeant aux paras obligés de faire le guet autour du terrain de fortune qu'ils avaient aménagé sur ce flanc de montagne glacial et désertique. Son principal souci était une défaillance technique sur l'un des trois hélicoptères. Malgré les redondances de tous les systèmes, il y avait plusieurs instruments qui seraient irréparables en cas de panne. Les paras savaient ravitailler les zincs en carburant, ils savaient recharger les munitions, mais leurs compétences s'arrêtaient à peu près là. Richter avait déjà décidé de leur confier la sécurité au sol. Il suffisait qu'un malheureux peloton se pointe sur cet alpage pour qu'ils soient tous foutus. Les paras pourraient tuer tous les intrus, alors qu'un seul appel radio suffirait à mobiliser un bataillon entier en l'espace de quelques heures, et ils n'auraient aucune chance de s'en sortir. Les opérations spéciales... C'était parfait tant que tout marchait, comme tout le reste de ce qu'on fait sous l'uniforme, mais la situation actuelle leur laissait une marge de manoeuvre si mince qu'on pouvait voir au travers.
Sans parler du problème de l'évacuation, se souvint le pilote. Il aurait mieux fait de s'engager dans la marine.
".Chouette baraque. "
Les règles étaient différentes en temps de guerre, se dit Murray. Les ordinateurs facilitaient les choses, un fait que le Bureau avait mis du temps à assimiler. Une fois réunie son équipe de jeunes agents, leur première t‚che s'était réduite à une banale vérification de compte bancaire, qui
leur fournit une adresse. La maison était plutôt haut de gamme, mais quand même (encore) dans les moyens d'un haut fonctionnaire fédéral qui aurait économisé sou par sou pendant des années. Apparemment, c'est ce qu'avait fait Cook. Il faisait toutes ses opérations bancaires à la First Virginia, et un des gars du FBI était capable d'éplucher ses comptes, assez en tout cas pour constater qu'à l'instar de la majorité des gens, Christopher Cook vivait d'une quinzaine sur l'autre avec le chèque de sa paie : il n'avait réussi qu'à économiser quatorze mille dollars en cours de route, sans doute en prévision de l'inscription de ses gosses à l'université, ce qui relevait de (optimisme béat, estimait Murray, vu le co˚t des études supérieures en Amérique. Plus intéressant, une fois installé dans ses nouveaux murs, il n'avait plus touché à ses économies. Il avait un emprunt logement, mais d'un montant inférieur à deux cent mille dollars, et avec les cent quatrevingts tirés de la vente de son ancienne maison, il restait un trou non négligeable que les relevés bancaires ne pouvaient expliquer. D'o˘ tirait-il le reste de ses revenus ? Un coup de fil aux services du fisc, en prétextant une possibilité d'évasion fiscale, avait fourni d'autres archives informatiques qui avaient révélé qu'il n'avait pas d'autres revenus familiaux pour expliquer sa situation financière ; une vérification des antécédents révéla que les parents des deux époux Cook, tous décédés, n'avaient pas laissé de manne à leurs enfants. Une enquête complémentaire révéla que leurs voitures avaient été payées comptant, et que si la première accusait ses quatre ans d'‚ge, la seconde était une Buick dont la sellerie devait encore sentir le neuf, et qu'en outre elle avait été réglée en liquide. Ils se trouvaient donc en face d'un homme qui vivait largement au-dessus de ses moyens, et si le gouvernement avait souvent omis ce genre de détail dans les affaires d'espionnage, il avait depuis retenu la leçon.
" Eh bien ? demanda Murray en se tournant vers ses hommes.
- Il n'y .a pas encore matière à poursuites, mais s˚r qu'on n'en est pas loin, observa son adjoint sur l'enquête. Il faut qu'on rende visite à d'autres banques, qu'on consulte d'autres dossiers. " Ce qui exigeait un mandat officiel, mais ils savaient déjà quel juge accepterait d'instruire l'affaire. Le FBI savait toujours quels juges étaient dociles, et lesquels ne l'étaient pas.
On avait bien s˚r procédé à des vérifications similaires avec Scott Adler qui, découvrirent-ils, était divorcé, vivait seul dans un appartement de Georgetown, payait pension alimentaire et prestation compensatoire, et possédait une belle voiture, mais sinon, rien d'anormal. quant au ministre Hanson, ses années d'exercice de la profession d'avocat lui permettaient de vivre dans l'aisance et de rester insensible aux tentatives de corruption.