15.
Le lundi matin, je me suis réveillée au son
des chasse-neige et des cris à l’intention des propriétaires des
voitures garées dans la rue pour la nuit.
Biiiip ! Biiiip !
Biiiip !
Déplacez votre voiture ! Bougez-vous
le cul !
À en croire la radio, la plupart des
grandes artères avaient été dégagées ; un coup d’œil à la
fenêtre m’a appris que le paysage devant chez moi ressemblait à une
carte postale finlandaise. Le même branle-bas de combat avait lieu
dans les rues voisines et dans toute la ville. Les pelleteuses
allaient entrer en action et les gens qui n’auraient pas retiré
leur véhicule à temps devraient recourir aux grands moyens. Les
urgences des hôpitaux aussi allaient avoir du pain sur la
planche.
La conduite serait brutale, et pour
effectuer un créneau le long de trottoirs transformés en congères
hautes d’un mètre avec la vitre arrière bouchée, il faudrait avoir
un talent démoniaque. Mieux valait prendre les transports en
commun. Aujourd’hui, je n’ai pas marché en vain sur les traces de
Nanouk. J’ai réussi à me caser dans un wagon bondé qui sentait la
sueur et la laine mouillée.
Devant l’édifice Wilfrid-Derome, une petite
chaîne de montagnes blanches dissimulait les barrières du parking.
Les voitures occupaient le moindre centimètre d’asphalte dégagé, et
les gens qui gênaient les autres avaient laissé des mots sur leur
tableau de bord.
Par politesse ? Pour expliquer qu’ils
n’en avaient pas pour longtemps ?
Dans l’ascenseur, on ne parlait que de la
tempête.
Au LSJML, tout était comme à l’accoutumée.
Sauf à la section médicolégale. Là, rien n’était plus comme avant
depuis ce fameux vendredi de septembre où LaManche avait lâché la
nouvelle. Et celle-ci avait eu sur nous l’effet d’une bombe.
Coronaires bouchées, pontage programmé pour
octobre, congé de maladie jusqu’au nouvel an.
Ce jour-là, tout le monde était présent.
Pas seulement les trois médecins légistes du labo : Michael
Morin, Natalie Ayers et Emily Santangelo, mais aussi Marc Bergeron,
notre consultant en odontologie. Nous avions tous été
effondrés.
Le patron avait déjà eu une attaque
quelques années auparavant, c’est vrai, mais il s’était rétabli
rapidement. Très vite, il était redevenu celui qui arrivait le
premier tous les matins et partait le dernier tous les soirs. Les
triples pontages, c’était bon pour les vieux messieurs à la santé
précaire, or LaManche avait à peine cinquante-huit ans.
Je me souviens d’avoir croisé son regard de
bon chien et d’avoir baissé les yeux puis regardé par la fenêtre en
me disant que ce n’était pas possible. Qu’il faisait trop beau ce
jour-là. Pensée irrationnelle, je sais, pourtant c’est exactement
ce que je m’étais dit.
La semaine suivante, LaManche avait évoqué
l’idée de trouver un remplaçant temporaire. La réponse avait été
immédiate et unanime : nous formions une bonne équipe, pas
question de remplacer qui que ce soit ! Jusqu’au retour du
patron, les médecins se chargeraient de répartir les cas et de
régler les problèmes administratifs par décision collective. Quant
au surcroît de travail, il serait partagé à égalité entre
tous.
Il en allait ainsi depuis trois mois.
Cahin-caha.
Après m’être défaite de mes multiples
couches de vêtements, j’ai enfilé ma blouse de travail et me suis
dirigée vers la salle du personnel. Le bureau de LaManche, situé
tout au bout de notre aile, là où le couloir fait un tournant,
était fermé à clé. Pas de lumière à l’intérieur. Les stores
vénitiens laissaient entrevoir un bout de table vide.
Juste à côté, il y avait le panneau de
présence. La case en face du nom du patron indiquait : congé
maladie.
J’ai eu soudain le cœur lourd.
L’opération s’est bien
passée. Il va se remettre.
Peut-être, mais ce bureau désert et cette
inscription au marqueur me donnaient le frisson.
LaManche avait toujours été là quand
j’avais eu besoin de lui. Il incarnait à mes yeux la sagesse, la
raison et la compassion ; il savait relativiser, qualité
héritée de tant d’années passées à côtoyer de très près la mort et
le chaos qu’elle laissait derrière elle. Et voilà que cette voix
était réduite au silence pour des problèmes de tuyauterie.
LaManche est encore
jeune. Dans mon trouble, j’ai dû m’y reprendre à deux fois
pour passer correctement ma carte d’accès. Les portes de verre ont
coulissé en chuintant. C’est trop
injuste.
La vie est
injuste. Cette phrase était la réplique préférée de ma
grand-mère, lointain souvenir qui refaisait brusquement
surface.
Et merde au destin et à ses caprices !
Impossible d’imaginer le LSJML sans LaManche. Ou plutôt, je m’y
refusais.
La salle du personnel était déserte, mais
son plancher sali indiquait que je n’étais pas la première à passer
par là. J’ai jeté quelques pièces de monnaie dans la tirelire
prévue à cet effet et me suis versé un café couleur quartz
fumé.
De retour dans l’aile médicolégale, j’ai
pressé le pas. Neuf heures dix, et la réunion du matin démarrait
généralement à neuf heures pile.
La salle de conférences de notre section
est la copie conforme de l’idée que vous pouvez avoir d’une salle
de conférences dans n’importe quel bâtiment administratif. Du vert
algue sur les murs, un carrelage gris au sol et des stores aux
fenêtres. Un téléphone sur une crédence, une table en métal et des
chaises. Un tableau noir faisant office d’écran de projection à un
bout de la pièce et, à l’autre, une porte donnant sur le cagibi
renfermant le matériel audiovisuel.
Deux médecins étaient assis dos à la
fenêtre : Ayers et Morin. Le soleil faisait briller les
cheveux châtains de la première et le crâne ambré parsemé de taches
de rousseur du second. À côté, une Santangelo épuisée, les épaules
affaissées.
Face à ces trois vieux de la vieille,
Marie-Andrea Briel, nouvelle venue dans nos murs. Elle était entrée
au LSJML en automne, pendant que j’étais à Charlotte. Je n’avais
pas vraiment travaillé avec elle car la règle du labo veut que les
nouveaux médecins n’analysent pas les cas d’homicide la première
année. Je l’avais croisée dans le couloir et échangé des bonjours
avec elle aux réunions du matin. Nos relations s’étaient arrêtées
là. Les ragots à son sujet ne parlaient pas en sa faveur.
LaManche nous avait confié un soir avant
son départ qu’un médecin avait soumis sa candidature et avait été
engagé. Selon lui, c’était loin d’être la crème de la crème, mais
cela faisait plus d’un an que le vieux Jean Pelletier était parti à
la retraite et, depuis, les quatre médecins du labo, lui compris,
effectuaient déjà le travail de cinq personnes.
À l’époque, le patron ne nous avait rien
dit de son opération à venir, bien qu’elle ait certainement déjà
été programmée et qu’il soit donc indispensable d’engager un
médecin supplémentaire.
Pourquoi cela avait-il pris si longtemps de
trouver un remplaçant pour Jean Pelletier ? Parce que le
salaire est bas et que pour travailler au LSJML il faut avoir une
connaissance parfaite du français.
Ayers et Morin m’ont accueillie avec un
sourire, Santangelo avec un petit salut de la main.
— Bonjour, Tempe ! Comment ça
va ? m’a lancé Morin dans son français des îles.
— Ça va bien.
— Tu ne pouvais pas laisser passer
l’hiver sans faire un petit coucou à Montréal ? a ironisé
Ayers qui connaît mon amour pour la neige.
— Pas de commentaire, ai-je dit en
prenant un siège.
Briel s’est contentée de lever les yeux
vers moi.
Je lui ai fait un signe de la tête et un
sourire.
Elle a aussitôt baissé le nez sur son
calepin et des rides verticales ont creusé le minuscule espace
entre ses épais sourcils noirs.
J’ai lancé un coup d’œil à Ayers, qui a
haussé les épaules, l’air de dire « va savoir ».
J’ai tenté une approche :
— J’espère que vous vous sentez chez
vous maintenant parmi nous ?
Briel a relevé la tête, les sourcils
toujours froncés.
— Oui.
— Ne laissez pas les vieilles biques
que nous sommes vous taper sur le système.
Ayers a émis un léger bêlement.
— Je sais me débrouiller.
Côté beauté, Marie-Andrea Briel n’avait pas
été bénie des dieux. Âgée d’environ trente-deux ans, elle avait un
postérieur conséquent, des cheveux noirs frisés et un teint
d’aspirine. Pour l’heure, elle avait les joues en feu.
— Je ne veux pas dire que certaines
personnes me rendent la vie difficile, non, pas du tout. Je suis
très contente d’être ici. Et très consciente de cette chance qui
m’est offerte de développer mes connaissances.
Un français sans faute, mais avec un
accent. Plus exactement, une curieuse inflexion qui n’était en
aucun cas québécoise ou européenne. Je me suis dit qu’il faudrait
que je me renseigne sur ses origines.
Morin a tendu le bras vers elle et lui a
tapoté la main.
— Tout va bien, vous faites très bien
votre travail.
Le froncement de sourcils s’est relâché.
D’un micron.
— La vieille dame d’Oka est en
bas ? m’a demandé Morin.
— Oui. J’ai commencé l’analyse samedi.
J’espère la finir aujourd’hui.
— Et après, retour dans le Sud pour
les vacances de Noël ? a demandé Ayers.
— C’est prévu !
— Pour coiffer les chiens de chasse
avec des chapeaux de lutin ? a-t-elle insisté car elle aime me
titiller sur les traditions du Sud.
— Et comment ! Ensuite, tous les
cousins se retrouveront dans mon mobile home et on boira de la
gnôle en mangeant de la peau de porc grillée.
— Alors, ne perdons pas de
temps ! est intervenu Morin. Et il a distribué la feuille de
service pour la journée d’aujourd’hui.
Coup d’œil à la page : huit autopsies.
Affluence habituelle des lundis.
Morin a passé en revue chacun des
cas.
Un conducteur de Ski-Doo, qui avait
embrassé un arbre près de Sainte-Agathe, et un deuxième qui lui
était rentré dedans. Résultat : deux morts. Conduite en état
d’ivresse, probablement.
Un pêcheur argentin mort dans un sauna du
Village gay. Son hôte présumé se trouvait dans un état critique au
General Hospital. Soupçonné, l’abus d’alcool et de
stupéfiants.
Deux hommes et une femme retrouvés morts
dans leurs lits à Baie-Comeau. Apparemment, un empoisonnement au
monoxyde de carbone.
Un homme abattu à Longueuil devant un
magasin de vêtements.
Une femme poignardée chez elle à Lac
Beauport. Le mari, dont elle était séparée, était en garde à
vue.
De toutes ces victimes, seule l’identité de
l’homme abattu à Longueuil était inconnue. On était en train de
relever ses empreintes et sa photo avait été comparée au
signalement de membres de gangs connus.
Autrement dit : rien pour
l’anthropologue que j’étais. Super. Je pourrais travailler sur la
dame d’Oka.
Briel s’est proposée pour la femme
poignardée, mais Morin s’était déjà attribué cette affaire. Sur la
feuille de service, les lettres Mo ont
été inscrites dans la case correspondante.
Santangelo a écopé des Ski-Doo.
Sa.
Ayers a réclamé le marin et le mort par
balles. Là aussi, Briel avait proposé ses services, mais ils
n’avaient pas été retenus. Concernant l’homme abattu par balles, il
s’agissait à coup sûr d’un homicide, et l’affaire du marin farci
pouvait déboucher sur des complications diplomatiques, compte tenu
de la nationalité de la victime. Ay.
Quand elle a vu Morin inscrire Br à côté des victimes retrouvées dans le chalet de
Baie-Comeau, puis lui tendre un sachet pour pièces à conviction
contenant des flacons de médicaments vendus sur ordonnance, Briel
s’est renfrognée ; ses rides se sont creusées. Ensuite, Morin
m’a tendu une enveloppe désespérément plate.
— Les dossiers ante mortem de Christelle Villejoin.
— Pas de radio ?
Il a secoué la tête.
— Des dossiers dentaires ?
— Apparemment, les sœurs Villejoin ne
portaient pas les médecins dans leur cœur. Le contenu des dossiers
remonte à des siècles.
Génial !
Morin est passé à des questions de budget,
que le ministère s’apprêtait à réduire. Rien de neuf sous le
soleil. Tous les ans, les subventions diminuent. Pour plaisanter,
on dit que les autopsies seront bientôt payées au poids du
cadavre.
Nous nous levions de nos sièges quand Briel
a pris la parole.
— J’ai engagé une étudiante.
Nous nous sommes tous figés.
— Une étudiante ? a répété Morin,
en levant un sourcil.
— Je démarre un nouveau projet, j’ai
besoin d’une assistante pour les recherches.
— Un nouveau projet ?
Le sourcil s’est encore élevé d’un
cran.
— Montréal demeure la dernière ville
du Canada et des États-Unis de plus d’un million d’habitants qui
n’ajoute pas de fluor à son eau potable, alors que plusieurs
agglomérations des îles de l’Ouest le font déjà, comme
Pointe-Claire, Dorval, Beaconsfield, Baie-d’Urfé, Kirkland ou
certaines parties de Dollard-des-Ormeaux et de
Sainte-Anne-de-Bellevue.
Ayers a poussé un léger grognement. La
question n’était pas neuve.
Briel n’y a pas prêté attention.
— Le gouvernement du Québec est en
faveur d’une adjonction de fluor dans le système d’assainissement
des eaux à Montréal et propose même des subventions, mais la ville
s’y oppose. Des statistiques rapportent que le taux de caries chez
les enfants est de soixante-dix-sept pour cent plus élevé à
Montréal que dans les régions du Québec où l’eau est fluorée. Cette
situation fait de l’île de Montréal un laboratoire naturel,
permettant de comparer le taux de caries chez les enfants de la
ville buvant de l’eau non fluorée et ceux des banlieues qui boivent
de l’eau fluorée. Et c’est ce sur quoi nous travaillerons, mon
assistante et moi-même.
— Tous les frais devront passer
par…
— J’ai obtenu une subvention.
— N’avez-vous pas déjà une étudiante
pour vous assister dans vos recherches ?
— J’ai dû m’en séparer.
— Et comment s’appelle cette
étudiante ? a demandé Santangelo.
— Solange Duclos. Elle est en
quatrième année de biologie à l’université de Montréal. Elle
viendra six heures par semaine, à partir de mardi prochain.
— Vous ne pensez pas que vous auriez
dû nous en parler avant de l’engager ? a jeté Santangelo sur
un ton pincé. Ne serait-ce que pour des questions de
sécurité.
Briel a piqué un fard. Ses joues rouges
m’ont rappelé Chris Corcoran. Et Edward Allen Jurmain et ce
salopard de délateur. Je me suis promis de creuser la question dès
que j’en aurais fini avec la dame d’Oka.
— … de la renommée du labo. Je compte
soumettre mes résultats à l’Académie américaine des sciences
médicolégales et les publier dans le Journal
of Forensic Sciences ainsi que dans le Journal of the Canadian Dental Association.
Ayers a voulu dire quelque chose, Morin ne
lui en a pas laissé le temps.
— Vous êtes nouvelle parmi nous, vous
avez déjà bien des choses à intégrer.
Briel a redressé les épaules.
— Je ne suis pas sans expérience. J’ai
un internat en pathologie anatomique et clinique et j’ai déjà fait
plusieurs post-docs.
— Nous croulons sous le travail, a
fait remarquer Ayers. Rien qu’aujourd’hui, vous avez déjà deux
autopsies à pratiquer.
— Ça ne me dérange pas de travailler
tard le soir. Ni le week-end. J’effectuerai mes recherches sur mon
temps libre.
Ayers a secoué la tête. Santangelo a écrit
quelque chose sur sa feuille de service. Morin a
déclaré :
— Vous aurez accès uniquement à notre
section. Et Mme Duclos, comme votre précédente étudiante, ne
doit en aucun cas entrer à la morgue ou dans une quelconque partie
du building dont l’accès est réservé. En plus, pour des questions
de sécurité, elle devra fournir un CV détaillé, précisant ses
occupations antérieures.
— C’est déjà fait.
— Vous lui demanderez de passer me
voir dans mon bureau, mardi, dès son arrivée… D’autres
questions ? a ajouté Morin en s’arrêtant sur chacun des
visages autour de la table. – Aucune réponse. – Eh bien, ce sera
tout pour aujourd’hui.
Au sous-sol, les ossements de la dame d’Oka
étaient dans l’état où je les avais laissés.
La pendule indiquait dix heures dix. En
temps ordinaire, j’aurais commencé par établir un inventaire
complet du squelette. Mais comme Hubert allait bientôt téléphoner,
j’ai décidé de sauter cette étape et de passer directement à
l’identification. Le comptage des os pouvait attendre.
Pour ne pas me laisser influencer par des
idées préconçues, je pratique toujours mes analyses avant de
consulter les dossiers. Travailler dans l’inconnu, ça équivaut
presque à un double test de contrôle.
Ayant donc déposé sur le côté les dossiers
ante mortem, j’ai entrepris d’établir
le profil biologique de la victime.
À midi, j’avais déterminé que le squelette
était effectivement celui d’une femme blanche âgée de plus de
soixante-cinq ans et souffrant d’une ostéoarthrite marquée, d’une
périostite avancée et d’une absence de dents tout à fait
significative. Hélas, rien d’assez remarquable pour me permettre
d’établir une identification définitive.
J’étais en train de sortir les dossiers
médicaux de Christelle Villejoin de leur enveloppe, quand j’ai
entendu la porte de mon antichambre s’ouvrir. Quelques secondes
plus tard, Briel faisait son apparition. Les sourcils toujours
froncés, mais avec un petit pincement des lèvres que j’ai décidé
d’interpréter comme un sourire.
— Vous faites une pause ? lui
ai-je demandé.
— Les os m’intéressent. Est-ce que je
peux vous regarder travailler ?
J’ai répondu à son absence de réponse par
une même absence de réponse.
— Je m’absente si souvent, je sais
très peu de choses de vous et je le regrette. Sous quels cieux
étiez-vous avant d’arriver chez nous ?
Elle a mal compris ma question.
— Mon père était diplomate, nous avons
beaucoup voyagé.
OK. Ça expliquait l’accent.
— Et où étiez-vous, avant
Montréal ?
— À Montpellier, en France.
— Oh, oh ! Ça doit vous faire un
choc climatique !
J’ai ri, elle pas.
— Mon mari est d’ici.
— Quand même ! Le Sud de la
France en hiver, comparé au Québec…, ai-je plaisanté en faisant de
mes mains le geste de peser deux objets. C’est plus que du
dévouement, ou je ne m’y connais pas ! – Son froncement de
sourcils ne s’est pas relâché. – Et que fait votre
mari ?
— Il est dans les affaires.
Bavarder avec elle, c’était pire que
d’arracher une dent incluse. Je me suis rappelé pourquoi j’avais
laissé tomber les rares fois précédentes. Cette fois-ci, je me suis
cramponnée.
— Vous habitez en ville ?
— Nous avons un appart, rue
Fullum.
— Sympa ! Vous pouvez venir ici à
pied.
— Oui. Alors, est-ce que je peux vous
regarder ?
Certaines choses m’horripilent au plus haut
point quand je travaille : les flics qui me pressent, les
procureurs qui cherchent à m’influencer et tous les gens qui
veulent me regarder opérer.
J’ai donc esquivé. Comme je l’avais déjà
fait, face à de précédentes demandes.
— Je suis désolée, je…
— C’est ma pause déjeuner, je
l’utilise comme je l’entends.
— Je me dépêche vraiment pour en avoir
fini au plus vite avec ce cas. Et puis, ce que je fais est d’un
ennui parfait, ai-je dit avec un sourire modeste.
— Ce n’est pas mon avis.
Je réfléchissais à une phrase de refus
claire et nette quand la porte s’est ouverte sur un second
visiteur. Ryan. Son expression m’a fait comprendre qu’il y avait un
problème.
Il a désigné les ossements sur la
table :
— C’est Villejoin ?
— Je n’ai pas encore fini.
Il a fait un signe de tête à Briel et s’est
retourné vers moi :
— L’affaire pourrait être bien pire
que prévu.