15 Les craintes d’Urquart

 

Le navire continua sa course et les hommes d’équipage demeurèrent convaincus de l’exceptionnelle réussite de leur capitaine. Le temps était beau, le vent fort et constant, et la goélette progressait à bonne allure. La glace ne fut embarrassée ni par des glaciers ni par aucun obstacle tant qu’ils suivirent de près la carte du vieux Rorsefne et ils purent ainsi naviguer de jour comme de nuit.

Une nuit qu’Arflane se tenait sur la passerelle en compagnie d’Urquart, ils aperçurent à l’horizon une lueur qui ressemblait aux prémices de l’aube. Arflane consulta le vénérable chronomètre de la timonerie. Les six coups du quart intermédiaire allaient sonner dans quelques minutes : trois heures du matin.

Arflane rejoignit Urquart sur la passerelle. Le harponneur semblait troublé. Il humait l’air de la nuit, tournant la tête de tous côtés dans le cliquetis de ses boucles d’oreille en os. Arflane, lui, ne sentait rien.

— Vous savez ce que c’est ? demanda-t-il à Urquart.

Urquart poussa un grognement et se frotta le menton. Comme le navire se rapprochait de la source de la lueur rouge, Arflane commença lui aussi à percevoir un parfum nouveau, sans pouvoir cependant l’identifier.

Sans un mot, Urquart quitta la passerelle et se dirigea vers l’avant, soupesant son harpon de la main droite. Il paraissait anormalement nerveux.

Une heure plus tard, la lueur à l’horizon emplissait la moitié du ciel et illuminait la glace de rayons rouge sang. C’était un spectacle étrange : l’odeur que portait le vent était devenue beaucoup plus forte, une odeur acre de moisi complètement inconnue d’Arflane. Il fut troublé à son tour. L’atmosphère paraissait plus chaude et le pont tout entier était inondé de l’étrange clarté. Les vergues d’ivoire, les bittes d’amarrage, les écoutilles et les crânes de baleine sur la proue, tout reflétait cette lueur ; dans la timonerie, le visage de l’homme de barre était rouge, de même que ceux des hommes de garde qui posaient sur Arflane des regards perplexes. La nuit s’était quasiment transformée en jour, bien que le ciel fût d’un noir profond – plus noir que d’habitude, eût-on dit, à cause du contraste avec la lumière sinistre devant eux.

Hinsen sortit sur le pont et monta l’escalier des cabines pour rejoindre Arflane.

— Que se passe-t-il, mon capitaine ?

Il frissonna violemment et s’humecta les lèvres.

Arflane l’ignora, gagna la timonerie et consulta la carte de Rorsefne. Il ne s’était pas servi de la carte originale du vieillard mais d’une copie plus lisible. Il la déroula et l’examina dans la lueur rouge et vacillante. Hinsen s’approcha et regarda la carte par-dessus son épaule.

— Bon sang ! murmura Arflane. C’est là et nous ne l’avions pas vu. Cette écriture est si difficile à lire. Est-ce que vous parvenez à lire, monsieur Hinsen ?

Les lèvres d’Hinsen bougeaient tandis qu’il essayait de déchiffrer les pattes de mouche que Rorsefne avait écrites de sa main tremblante peu avant de mourir. Il secoua la tête et eut un sourire d’excuse.

— Désolé, mon capitaine.

Arflane posa deux doigts sur la carte.

— Il nous faut un lettré.

— Manfred Rorsefne, mon capitaine ? Je crois qu’il pourrait faire l’affaire.

— Allez le chercher, monsieur Hinsen.

Hinsen hocha la tête et quitta la timonerie. Une incroyable puanteur flottait à présent dans l’air. Arflane éprouvait des difficultés à respirer car de la poussière s’insinuait dans sa bouche et dans sa gorge.

La lueur, teintée à présent de rayons jaunes, était irrégulière. Elle vacillait sur la glace et sur le navire. La goélette se trouvait tantôt partiellement dans l’ombre, tantôt tout entière illuminée.

Arflane se souvenait de quelque chose qui l’avait terrifié longtemps auparavant. Il commençait à deviner le sens de l’inscription du vieux Rorsefne quand Manfred Rorsefne apparut dans la timonerie en se frottant les yeux.

— C’est comme un grand feu, dit-il.

Il regarda la carte qu’Arflane lui montrait, le doigt posé sur un mot.

— Est-ce que vous comprenez ? Pouvez-vous déchiffrer mieux que nous l’écriture de votre oncle ?

Manfred fronça un instant les sourcils puis son visage s’éclaira.

— Des montagnes de feu, dit-il. C’est cela. Dans le temps, on les appelait des volcans. J’avais raison. C’est du feu !

Il regarda Arflane avec anxiété ; son air insouciant avait complètement disparu.

— Du feu…

Arflane n’essaya pas non plus de cacher l’horreur qu’il ressentait. Dans la Mythologie de la Glace, le feu était le pire ennemi de la Glace-Mère. Le feu était le Mal. Le feu détruisait. Il faisait fondre la glace. Il réchauffait ce qui aurait normalement dû être froid.

— Nous devrions jeter les grappins, capitaine, dit Hinsen d’une voix lourde.

Mais Arflane consultait la carte. Il secoua la tête.

— J’espère que tout ira bien, monsieur Hinsen. Cette route nous mène entre les montagnes de feu, pour autant que je sache. Nous ne nous en approcherons pas – du moins pas assez pour nous mettre en danger. Jusqu’à présent, les cartes de Rorsefne sont bonnes. Nous continuons notre chemin.

Hinsen le regarda avec inquiétude mais ne dit rien. L’angoisse initiale de Manfred Rorsefne semblait avoir disparu. Il regardait l’horizon avec une certaine curiosité.

— Des montagnes flamboyantes ! s’écria-t-il. Que de merveilles nous rencontrons, capitaine !

— Je me sentirai mieux quand ces merveilles-là seront derrière nous, dit Arflane dans une tentative d’humour.

Il s’éclaircit deux fois la voix, se frappa la cuisse et arpenta la timonerie. Son attention fut attirée par le visage du timonier : c’était une parodie de la peur. Arflane oublia sa propre nervosité et éclata de rire. Il lui tapa l’épaule.

— Souriez un peu, mon gars ! Si cette carte dit vrai, nous passerons à plusieurs milles à tribord de la plus proche de ces montagnes !

Rorsefne se mit aussi à rire et Hinsen lui-même esquissa un sourire.

— Mon capitaine, je prendrai la barre, si vous le voulez bien, dit Hinsen.

Arflane hocha la tête et lui tapota le bras.

— Très bien, garçon ! lui dit Arflane quand Hinsen prit sa place. Baissez-vous. Vous ne voulez pas être aveuglé ?

Il sortit sur la passerelle et observa l’horizon, le visage tendu.

Bientôt ils aperçurent les montagnes se détacher au loin. Des flammes rouges et jaunes et des volutes de fumée noire s’échappaient de leurs cratères, une lave pourpre et lumineuse coulait le long de leurs flancs ; la chaleur était effroyable et l’air empoisonné leur piquait les poumons. De temps en temps, le navire traversait un nuage de fumée, et des jeux étranges de lumières et d’ombres couraient sur les ponts et les voiles. Le sol tremblait et la glace leur apportait l’écho du grondement lointain des volcans.

Le spectacle était si inhabituel qu’ils pouvaient à peine en croire leurs yeux : on eût dit un paysage de cauchemar. La nuit était presque aussi claire que le jour et ils distinguaient les alentours sur plusieurs milles, mais la lueur était blafarde et vacillante : quand la fumée se dégageait, ils retrouvaient le ciel noir, la lune et les étoiles.

Arflane remarqua que les autres transpiraient autant que lui. Il chercha Urquart du regard et aperçut à l’avant du navire la silhouette du harponneur tenant près de lui son harpon hérissé de pointes. Il quitta la passerelle et se dirigea vers lui dans l’étrange clarté qui allongeait et déformait son ombre.

Il s’approchait d’Urquart quand il le vit s’effondrer à genoux sur le pont, près de la proue. Le harpon tomba devant lui. Arflane se hâta et remarqua que le visage d’Urquart était aussi blanc que la glace, même dans cette lumière. L’homme marmonnait, les yeux clos, et son corps était secoué de violents soubresauts. Peut-être était-ce dû à la nature de la clarté mais Urquart paraissait incroyablement petit, comme si le feu l’avait fait fondre. Arflane lui toucha l’épaule, stupéfait d’un tel changement chez un homme qu’il tenait pour un modèle de courage et de sang-froid.

— Urquart ? Êtes-vous malade ?

Les paupières du harponneur s’ouvrirent, découvrant des yeux blancs qui roulaient dans leurs orbites. Son visage, battu par la neige, le froid et le givre, était agité de tics.

Pour Arflane, une telle attitude était proche de la trahison. Il avait pris Urquart pour exemple. Il tendit le bras, saisit les larges épaules du harponneur et le secoua furieusement.

— Urquart ! Allez, bon sang ! Secouez-vous un peu !

Les yeux se refermèrent et l’étrange murmure se poursuivit. Arflane gifla violemment le harponneur du revers de la main.

— Urquart !

Urquart sursauta sous le coup mais ne réagit pas ; puis il se jeta face contre terre, les bras en croix, comme s’il se prosternait devant le feu. Arflane se détourna et se demanda s’il était opportun de déranger un homme en proie à de telles émotions. Il revint rapidement sur la passerelle et ne dit rien à Manfred Rorsefne en le rejoignant. Des hommes d’équipage se montraient à présent sur le pont ; ils semblaient à la fois terrifiés et fascinés en découvrant la source de la lumière et de la puanteur.

Arflane porta le porte-voix à ses lèvres.

— Rejoignez vos couchettes, les gars ! Nous allons passer loin de ces montagnes et à l’aube elles seront derrière nous. Retournez en bas ! Il vous faudra être frais et dispos pour le travail du matin !

À contrecœur, en grommelant, les marins regagnèrent leurs quartiers. Comme le dernier groupe s’engageait dans l’escalier des cabines, Janek Ulsenn apparut sous la passerelle de commandement. Il jeta un bref regard à Arflane puis parcourut le pont avant de s’arrêter près du mât d’artimon. Petchnyoff sortit quelques secondes plus tard et se dirigea également vers le mât d’artimon. Arflane lui cria dans le porte-voix :

— Retournez à votre couchette, monsieur Petchnyoff ! Ce n’est pas votre tour de garde ! Les passagers font ce qu’ils veulent, mais vous, n’oubliez pas votre devoir !

Petchnyoff s’arrêta et défia Arflane du regard. Arflane brandit le porte-voix.

— Nous n’avons pas besoin de votre aide ! Je vous remercie. Retournez à votre cabine.

Petchnyoff se tourna alors vers Ulsenn, comme s’il quémandait un ordre. Ulsenn lui fit un signe de la main et Petchnyoff redescendit l’escalier de mauvaise grâce. Ulsenn le suivit peu après. Arflane pensa qu’ils ruminaient probablement ensemble leurs funestes pensées mais, tant qu’aucun incident n’affectait l’expédition, il se moquait de ce que les deux hommes pouvaient comploter.

Un peu plus tard, il ordonna le changement de garde et recommanda aux nouvelles vigies de surveiller plus particulièrement toute apparition d’une crevasse ou d’une traînée de vapeur qui indiquerait la présence d’un de ces petits lacs chauds formés par des geysers souterrains sans aucun doute présents dans cette région. Puis il décida de s’accorder un peu de repos. Hinsen s’était levé bien avant son tour de garde ; c’est pourquoi Manfred Rorsefne accepta de partager avec lui la garde du matin.

Avant d’ouvrir la porte de sa cabine, Arflane jeta un dernier coup d’œil sur le pont. L’étrange lumière rouge jouait toujours sur la forme prosternée d’Urquart comme si elle exécutait une danse de victoire. Arflane se passa la main dans la barbe, hésita, puis entra dans sa pièce et ferma derrière lui. Il enleva sa veste et la posa sur le couvercle du coffre, puis il s’approcha d’un tonneau qui se trouvait dans un coin de la cabine, versa de l’eau dans un baquet et nettoya la sueur et la poussière de son visage. L’image d’Urquart lui revint à l’esprit : il ne pouvait comprendre pourquoi cet homme était affecté à ce point par les montagnes de feu. Bien entendu, tout le monde était troublé par le feu, puisqu’il était l’ennemi héréditaire, mais la terreur d’Urquart était hystérique.

Il retira ses bottes et ses jambières et continua sa toilette. Puis il s’allongea sur sa couchette et éprouva les plus grandes difficultés à s’endormir. En fin de compte, il eut un sommeil agité et se leva dès que le cuistot frappa à la porte pour lui apporter le petit déjeuner. Il mangea peu, se lava de nouveau et s’habilla, puis sortit sur le pont et constata aussitôt l’absence d’Urquart.

Le ciel matinal était couvert de nuages et l’on apercevait encore au loin les montagnes de feu ; à la lumière du jour, elles ne paraissaient pas aussi terribles. Arflane remarqua que les voiles avaient été noircies par la fumée et que le pont était recouvert d’une cendre grise, fine et collante.

Le navire se déplaçait lentement car les patins étaient entravés par les cendres qui nappaient la glace sur plusieurs milles alentour, mais les montagnes de feu étaient bel et bien derrière eux. Arflane, qui se sentait las et souffrant, se traîna péniblement dans l’escalier qui menait à la passerelle de commandement. Sur le pont et dans les vergues, les hommes se déplaçaient avec la même léthargie. Vraisemblablement subissaient-ils tous les effets des vapeurs respirées la nuit précédente.

Petchnyoff apparut sur la passerelle. Le premier officier venait prendre son tour de garde et il ne fit pas mine de le saluer ; Arflane l’ignora, pénétra dans la timonerie et prit le porte-voix accroché au mur. Il retourna sur la passerelle et appela le bosco qui était de service sur le pont intermédiaire.

— Bosco ! Arrangez-moi ce navire comme il faut ! Quand vous le pourrez, vous ferez nettoyer chaque centimètre carré de pont et de voilure.

D’un mouvement de main, Fydur indiqua qu’il avait compris les ordres d’Arflane.

— Très bien, mon capitaine.

— Il faudrait jeter les grappins par-dessus bord, continua Arflane. Nous resterons à l’arrêt pendant que l’on astique le navire. Il doit y avoir des étangs chauds quelque part. Nous enverrons un groupe d’hommes à leur recherche pour qu’ils nous rapportent de la viande de phoque.

Le visage de Fydur s’illumina à l’évocation de la chair fraîche.

— Oh ! oui, mon capitaine ! dit-il énergiquement.

Depuis qu’ils avaient été encalminés, Fydur semblait éviter la compagnie de Petchnyoff et d’Ulsenn ; Arflane était sûr que le bosco n’était plus dans leur clan.

Suivant les instructions de Fydur, la voilure fut repliée et les grappins jetés par-dessus bord. Leurs pointes acérées mordirent la glace et la goélette s’arrêta peu à peu. Puis un groupe de marins fut dépêché pour enfoncer les pieux qui immobiliseraient l’Esprit des Glaces jusqu’à ce qu’il soit prêt à repartir.

Dès que les hommes commencèrent à nettoyer la goélette et que les volontaires furent réquisitionnés pour partir à la recherche des étangs chauds et des phoques qui les fréquentaient, Arflane descendit l’escalier et frappa à la porte de la petite cabine d’Urquart. On bougea à l’intérieur et il y eut un coup sourd, mais aucune réponse.

— Urquart, dit timidement Arflane. Puis-je entrer ? C’est le capitaine.

Un autre bruit parvint de la cabine et la porte s’ouvrit brusquement sur un Urquart au regard frémissant. Le harponneur était torse nu. Ses longs bras vigoureux étaient couverts de tatouages minuscules et son torse musclé réduit à une masse de cicatrices blanchâtres. Mais ce fut la blessure récente qu’il portait à l’avant-bras qu’Arflane remarqua tout d’abord. Il fronça les sourcils et la montra du doigt.

— Comment cela est-il arrivé ?

Urquart grogna et recula d’un pas dans la cabine encombrée, un peu plus grande qu’une armoire. Une cloison était masquée par le coffre abritant ses affaires tandis que l’autre était réservée à la couchette. Des fourrures parsemaient le lit et le sol. Dominant la cabine minuscule, l’énorme Urquart était appuyé contre la paroi. Sur le haut du coffre étaient posés un couteau et un bol de sang.

C’est alors qu’Arflane comprit : Urquart avait versé son sang pour la Glace-Mère. C’était une coutume presque abandonnée par les dernières générations. Quand un homme avait blasphémé ou offensé de quelque façon la Glace-Mère, il donnait son sang et le répandait sur la glace, donnant ainsi un peu de sa chaleur et de sa vie à la divinité. Arflane se demanda quel blasphème Urquart croyait avoir pu commettre, bien que cela fût sans doute en rapport avec sa crise de nerfs de la nuit précédente.

Arflane fit un signe de tête interrogateur en direction du bol.

— Que s’est-il passé la nuit dernière ? demanda-t-il de la manière la plus banale possible. Avez-vous péché contre la Glace-Mère ?

Urquart lui tourna le dos et remit ses fourrures aux poils emmêlés.

— J’ai été faible, grogna-t-il. Je me suis couché devant l’ennemi.

— Il ne nous a fait aucun mal, répondit Arflane.

— Je sais quel mal il a fait, dit Urquart. J’ai agi ainsi que je croyais devoir agir. J’espère que c’est assez.

Il noua les cordons de sa veste, s’approcha du hublot et l’ouvrit ; puis il prit le bol et jeta le sang sur la glace.

Après avoir refermé le hublot, il lança le bol sur le coffre, traversa la pièce pour prendre son harpon et s’immobilisa, le visage aussi impassible qu’à son habitude, attendant qu’Arflane le laisse passer.

Arflane ne bougea pas.

— Je vous le demande par camaraderie, Urquart, dit-il. Si vous pouviez me dire ce qui s’est passé la nuit dernière…

— Vous devriez le savoir, grogna Urquart. C’est vous qui êtes son élu, pas moi.

Le harponneur faisait référence à la Glace-Mère, mais Arflane était toujours intrigué. Il était cependant évident qu’Urquart ne dirait rien de plus. Arflane fit demi-tour et sortit dans la coursive. Urquart le suivit en se baissant un peu pour ne pas se cogner la tête aux poutres. Ils montèrent sur le pont. Urquart s’avança sans un mot et se mit à grimper dans les gréements du mât de misaine. Arflane le regarda jusqu’à ce qu’il eût atteint les vergues supérieures, son harpon sous le bras, et qu’il se fût accroché aux cordages pour regarder les montagnes de feu, désormais à bonne distance.

Arflane eut un geste d’impatience, vexé par la morosité du harponneur, et il retourna sur la passerelle.

Au soir, le navire était débarrassé de toute trace de cendre mais le groupe de chasseurs n’était pas encore revenu. Arflane aurait voulu leur donner des instructions plus précises pour qu’ils rentrent avant la tombée du jour, mais il s’était dit qu’ils n’auraient aucune difficulté à trouver un étang. Ils avaient pris une petite barque et avaient dû avancer à bonne allure ; l’Esprit des Glaces devait à présent attendre leur retour et, comme il était peu probable qu’ils voyagent de nuit, la matinée serait sans doute également perdue. Une fois de plus, Arflane devait prendre la garde intermédiaire et serait de quart à minuit. Alors que la cloche sonnait les quatre coups qui annonçaient la fin du premier, il décida d’aller dormir pour rattraper le sommeil perdu la nuit précédente.

La soirée était calme ; il fit un tour rapide sur le pont avant de gagner sa cabine. On entendait les bruits discrets de marins au travail, quelques conversations à mots couverts mais rien ne venait troubler la paix qui régnait sur le navire.

Quand il arriva près du gaillard d’avant, Arflane leva les yeux. Urquart était toujours là-haut dans les gréements, et immobile comme s’il avait gelé. Il était bien plus difficile de comprendre l’étrange harponneur qu’il ne l’aurait cru, se dit-il. Mais il était à présent trop las pour s’en préoccuper. Il retourna vers la passerelle et entra dans sa cabine. Il s’endormit rapidement.