CHAPITRE XII
Une gifle mouillée réveilla Juo Jombro. L’ancien chef de section des Écumeurs du silence ouvrit les yeux et vit une surface de métal gris sur laquelle s’appuyait son visage… son corps… ses mains… Il était toujours sur le canot ! Ou bien… Il tâtonna à la recherche du harnais. Il ne l’avait plus. Et son arme… Ah ! les Surveillants lui avaient enlevé son arme avant de le transporter dans le canot. Ou dans le vaisseau ? Il n’était pas très sûr de ce détail.
En s’évanouissant, il avait eu l’impression terrifiante que les hommes le balançaient dans le vide. Et maintenant…
Une voix de femme lui criait dans les oreilles des mots qu’il ne comprit pas. Elle se mit à geindre comme si… Mais il pensa que cet élément parasite appartenait au cauchemar qu’il venait de quitter. Il essaya de chasser le bruit, les paroles de l’inconnue et ses gémissements.
Une silhouette se pencha sur lui. De longs cheveux blond pâle tombaient sur une combinaison d’or chaud : c’était une vision fantastique.
Non… Il referma les yeux. De nouveau, une compresse humide se posa sur son front, sa joue, son nez. Une compresse humide et parfumée. Il devina que la jeune femme s’était servie d’un morceau de sous-vêtement pour lui baigner le visage. Encore une chance qu’elle ait su trouver de l’eau dans le canot.
Il grogna, ouvrit les yeux définitivement. Elle existait bien. Mais elle n’avait rien d’une apparition féerique. Sa belle combinaison de soie jaune était déchirée en plusieurs endroits, maculée de traînées noires et de taches de sang. Sa main droite, violacée, énorme, ressemblait à un abcès près d’éclater. Ses mèches blondes, poissées, collaient à son visage sanguinolent. Son regard brillait de fièvre. Des sons tremblants roulaient sur ses lèvres sèches.
Elle parlait un idiome de la Présence qu’il croyait bien connaître. Mais il ne comprenait pas la moitié de ce qu’elle disait, soit que son propre cerveau ne fût pas encore en état de fonctionner, soit que l’inconnue elle-même fût trop mal en point pour s’exprimer de façon normale.
Finalement, il se rendit compte qu’elle lui demandait de l’aider, en lui montrant sa main enflée. Elle se tenait à genoux près de lui, dans le couloir du canot. Elle avait l’air épuisée et malade. Il lui prit la main, d’instinct.
— C’est une vipère rouge qui t’a fait ça, hein, c’est ce que tu dis ?
Alors, il se réveilla tout à fait. Le programme supérieur s’enclencha dans son cerveau. Il sauta sur ses pieds, maîtrisant aussitôt une situation qui lui échappait totalement une minute plus tôt. Ushaïa aurait pu s’étonner, si elle en avait eu la force, de l’extraordinaire transformation subie en quelques secondes par l’homme qu’elle venait de ranimer. Elle aurait pu en être terrifiée. Mais elle était trop malade pour être accessible à la peur.
Elle s’abandonna à Juo qui la poussa, la portant à moitié, jusqu’au poste de secours du canot. « Pourvu, pensa-t-il, que le moniteur soit encore en état de marche ! » Il l’était. Enfin, il en avait l’air. Et Juo anticipait déjà sur le diagnostic. « La morsure est ancienne. La fille est à la limite. Les gélules n’agiront pas assez vite. Il faudrait une injection. Une ampoule… Un injecteur à pression… À défaut, une seringue…» Il n’était pas conscient de ses gestes ni de ses décisions. Ou du moins, il l’était avec le retard habituel. En même temps, son esprit enregistrait une multitude de données et les traitait à la vitesse d’une opération électronique.
« Toujours dans le canot… seul avec cette fille blessée et piquée par un serpent… le canot au sol… endommagé… mais pas trop gravement… des cadavres de chiens à l’extérieur… un cadavre d’ours… le corps d’un Surveillant… une odeur de gaz corrosif…»
— Je suis resté inconscient plus de trois heures, dit-il à haute voix. Une belle performance. Il y a eu un combat entre le Mina-Jona et l’appareil inconnu qu’on venait de détecter quand les Surveillants m’ont attaqué. Peut-être une navette de Technoïs ? Tu es une survivante d’un vaisseau technoï ? demanda-t-il à la jeune femme qui ne pouvait plus l’entendre. Non, tu parles le langage populaire de la région. Tu es…
Il ne savait pas ce qu’elle était. Il verrait plus tard. Il lui fit l’injection sans attendre la décision du moniteur. Très vite, sous l’effet du programme stimulant, il visitait le canot, ne découvrait ni mort ni blessé, rassemblait des armes et des provisions, vérifiait le fonctionnement de divers mécanismes, s’assurait ainsi que le véhicule ne pourrait probablement jamais plus voler. Laissant la visiteuse inconnue aux soins du moniteur, il but un quart de litre de jus de fruit vitaminé, avala une ration gluco-protéique et se fit l’injection prévue à la phase trois de son traitement.
Maintenant, il lui fallait à tout prix savoir ce qui s’était passé depuis qu’il avait été assommé par les Surveillants. Il connaissait l’existence du « boîtier vert », le mouchard du canot. Il y trouverait sans doute assez d’indications pour reconstituer au moins en partie, la succession des événements. À condition de pouvoir le décoder… Pendant qu’il s’occupait de la boîte, un appel clignota au communicateur du poste de pilotage. Deux notes musicales sonnèrent dans la tête de Juo l’alerte rouge.
Répondre ? Il aurait donné le quart de son sang pour savoir qui appelait le canot. Mais répondre eût été se trahir. La visiteuse blonde connaissait peut-être le résultat du combat et le sort des combattants. Dans quelques minutes, il pourrait l’interroger. Il décida de ne pas répondre.
Maintenant, il avait au moins une certitude : il devait quitter le vaisseau le plus vite possible, avec ou sans l’inconnue. De préférence avec elle. Il plaça la bande du mouchard sur le décodeur du tableau et se donna dix minutes pour l’exploiter.
Ils sortirent du canot. 10 h 10… Le soleil roulait comme une boule de flammes sur la forêt incendiée.
Juo et Ushaïa hésitaient sur la direction à prendre. Les sautes de vent avaient éparpillé le feu sur une ligne continue entre le sud-ouest et le nord-ouest. Plein ouest, les flammes crépitantes venaient lécher le sommet de la pente rocheuse.
Le plus sûr eût été de descendre jusqu’à la vallée, envahie par une végétation d’un vert cru, aux allures de jungle. Il y avait probablement une rivière. Juo et Ushaïa pourraient la suivre pour s’éloigner du canot sans risquer d’être aperçus. Mais la jeune femme pensait au camion de Reno Haban. Posséder un véhicule aurait complètement changé la situation des deux fugitifs. Et puis elle se considérait un peu comme l’héritière légitime de son ex-époux. Reno transportait du matériel et divers objets destinés à Acharac. Et, pour Ushaïa, ramener ce chargement à destination, eût été un moyen de rentrer dans son village tête haute.
Elle avait raconté à Juo les événements qu’elle venait de vivre. Lui s’était montré évasif sur ses propres tribulations. Puisque cette jeune femme semblait venir d’un village de la Présence, elle devait adorer le Pacte, croire à la Tradition, respecter les Surveillants et attendre les Maîtres.
Mieux valait ne pas la traumatiser en se présentant comme un déserteur. Presque un traître…
Ushaïa estimait que le prospecteur solitaire avait dû être tué par le feu de la navette, mais que son véhicule avait pu échapper à la destruction.
— Épargné aussi par l’incendie ? demanda Juo.
— Je suis sûre qu’il avait laissé le camion à plusieurs centaines de mètres de l’endroit qu’il avait choisi pour le rendez-vous. Pour survivre, un prospecteur doit être prudent comme un fauve.
— Allons-y. Nous verrons bien.
Au passage, Juo brûla le corps du Surveillant déchiré par les chiens, pour ne pas l’abandonner aux charognards qui tournaient dans le ciel, encore effrayés par le canot et tenus à distance par l’incendie. Ushaïa indiqua le nord-est. Ils s’élancèrent en prenant la pente par le travers. Juo portait deux sacs et son arme. Ushaïa tenait son fusil de la main gauche ; une trousse de survie pendait à son cou.
L’épais nuage de fumée qui montait de la forêt passa devant le soleil. L’air devint gris. La température fraîchit un peu, et la chaleur de l’incendie n’était guère sensible à mi-pente. Un banc de fumée presque blanche planait sur les fugitifs. Des paquets de cendre, des débris à demi consumés tombaient parfois autour d’eux, sur leurs vêtements. Ushaïa se mit à tousser. Juo lui tendit son bidon d’eau. Elle but longuement.
En biaisant le long de la pente, ils avançaient assez facilement. Malgré leur extrême fatigue, ils se hâtaient de fuir le lieu de leur providentielle rencontre. Juo savait par le mouchard qu’il y avait au moins une dizaine d’hommes dans le commando des survivants. Un seul était resté pour garder le canot pendant que les autres partaient en reconnaissance. La sentinelle s’était laissé surprendre par les chiens. Juo s’en étonna. « Tu ne connais pas ces bêtes ! s’exclama Ushaïa. Elles sont terribles. Et elles en veulent spécialement aux humains. Ton compagnon aurait dû rester à l’abri dans le canot…»
— Oui, médita Juo. Le chef de section aurait dû laisser deux sentinelles. Mais il voulait emmener le plus possible de ses hommes. Et si l’ennemi était revenu, l’homme de garde pouvait être considéré comme sacrifié.
Ils atteignirent la forêt et s’enfoncèrent avec soulagement sous le couvert ombreux. Ushaïa qui marchait devant se laissa rejoindre.
— Je vais mieux, dit-elle. Tu m’as bien soignée.
— Ce n’est pas moi.
— Si, un peu, je sais.
— En me réveillant, tu m’as sauvé.
Il la regarda, légèrement haletant. Il était épuisé, lui. Il le savait par expérience : lorsque le programme supérieur cessait d’agir, il se retrouvait dans un état de grande faiblesse, hypoglycémique et envahi par une irrésistible somnolence. Il but quelques gorgées de jus d’orange, croqua une tablette de fructose, tout en écoutant Ushaïa. Il commençait à se faire une idée précise des événements vécus par la jeune femme. Mais il n’arrivait toujours pas à comprendre comment les chiens sauvages avaient pu venir à bout d’un Surveillant armé d’un fusil à gaz… comme celui avec lequel il avait tiré sur Goruma.
Ou alors les bêtes étaient infiniment plus redoutables qu’il ne l’avait imaginé. Une idée lui vint qu’il rejeta d’abord, mais qui se mit à le hanter. « Les chiens géants existaient-ils avant le Moratoire ? C’est peu probable. Peut-être ont-ils été créés par les Maîtres et programmés comme les Surveillants. Ils sont peut-être aussi des Surveillants… Alors, nous sommes de la même race ! »
Mais la rencontre entre la horde et le canot accidenté n’avait pas, de toute évidence, été programmée par GECO, le grand ordinateur.
Un stupéfiant roulement de moteur les fit s’aplatir dans les herbes qui tapissaient le sous-bois. Une piste sommaire traversait à cet endroit la forêt intacte. Les fugitifs se trouvaient, d’après l’estimation d’Ushaïa, à un kilomètre au sud du point où Reno Haban avait donné rendez-vous aux Technoïs. Ils n’avaient pas retrouvé le camion du prospecteur et maintenant…
— Le voilà ! souffla Ushaïa.
Ils apercevaient le véhicule à travers les feuillages du taillis. Un petit camion brun et vert, à caisse de métal, avec des roues et des chenilles intercalées, qui se traînait à dix kilomètres à l’heure sur un chemin broussailleux et semé d’ornières.
— Bon Dieu ! fit Juo.
— Quoi ? demanda Ushaïa.
Il rectifia :
— Par le Pacte ! Je veux dire : ce sont eux, les Éc… les Surveillants !
— Avec le camion de Reno !
Juo essaya de compter les hommes entassés sur le capot et la plate-forme latérale du véhicule. Deux ou trois se tenaient dans la cabine, dont au moins un officier.
— Où vont-ils ?
Ushaïa s’était posé la question à elle-même. Elle songeait à son village. Mais Acharac était loin. Et le commando naufragé n’avait aucune raison de lancer une expédition de ce côté. Ils possédaient un camion : c’était bien mieux ainsi.
Ushaïa regrettait le chargement ; mais elle pensait que le véhicule permettrait aux Écumeurs de rejoindre leur base, au lieu d’errer dans le secteur qu’ils auraient eu, peut-être, la tentation de dévaster. Elle l’expliqua à voix basse à son compagnon. Juo lui fit signe de se taire. Les Surveillants avaient des détecteurs sonores très sensibles. Mieux valait ne pas prendre de risques.
Le camion passa à moins de dix mètres des fugitifs, tapis sous les feuillages denses des hêtraies. Juo avait pointé son arme sur la piste, à toutes fins utiles, mais il n’avait aucune envie de s’en servir. Comme Ushaïa, il souhaitait voir les Écumeurs survivants le plus loin possible. Mais le camion ne changeait rien à l’affaire. Si bref qu’ait été le combat entre les deux vaisseaux, la base en avait été avertie. Elle en connaissait le résultat : la destruction du Mina-Jona. De plus, l’émetteur du canot devait lancer automatiquement un appel de détresse qui permettrait de situer l’épave.
D’ici à quelques heures, une plate-forme de secours, envoyée par Géonord, viendrait récupérer les survivants. Et Juo eût préféré ne plus se trouver dans les parages à ce moment-là.
Il estima le nombre des Surveillants à douze ou treize. Un peu plus qu’il ne le pensait d’après la bande du mouchard. Mais ça n’avait aucune importance… Le véhicule surchargé s’éloigna pesamment. Il se dirigeait à l’opposé du canot.
Juo s’étonna un instant. Mais non, attitude logique. L’officier qui commandait le groupe – il avait cru reconnaître Hab Beren – craignait toujours un retour offensif des Technoïs. « Je les avais oubliés, ceux-là ! » Il leva la tête mais ne put apercevoir qu’une minuscule rosace découpée dans le ciel gris par les feuillages épais. Non, il ne pensait pas que les Technoïs reviendraient poursuivre les naufragés. Ils s’attaqueraient plutôt à la base, plus tard. D’ailleurs, la navette avait probablement rejoint déjà le vaisseau principal en orbite. Peut-être celui-ci était-il déjà en route vers une île de Lagrange ou quelque chose de ce genre.
Juo se mit à genoux, lutta contre un vertige dû à la faiblesse, ramassa ses armes et ses bagages.
— Maintenant, il faut filer d’ici ! Le plus vite possible ! ajouta-t-il avec un rire de dérision, en boitillant un pas ou deux.
— Vous ne voulez pas rejoindre les vôtres ? demanda Ushaïa d’un air grave.
— Non, dit-il. Les miens…
— Qui êtes-vous réellement ?
Elle le regardait avec anxiété. Il lui prit délicatement la main : sa main droite blessée qui commençait à désenfler. Il admira ses seins nus sous son blouson ouvert et déchiré. Bien sûr, elle avait utilisé son bandeau de poitrine pour les compresses. Il rit encore.
— Je vais essayer de te raconter.
Il pensait avoir reconstitué la succession des événements depuis sa tentative d’évasion manquée, à l’aube, sur le Mina-Jona.
— … Les officiers de Surveillance repèrent la navette technoïe et décident de l’attaquer. Pourquoi ? Je crois bien que j’aurais approuvé cette décision si j’avais été avec les autres, dans une situation normale. La navette était une de ces machines que nous devons détruire… Ils n’ont pas réfléchi à sa provenance, ni aux risques qu’ils couraient. Peut-être n’ont-ils pas agi en pleine conscience. Peut-être se trouvaient-ils sous le contrôle du fameux programme supérieur… Impossible de le savoir avec certitude. Le programme pourrait être un avantage extraordinaire, dans certaines circonstances. C’est aussi une servitude permanente…
Ushaïa inclina la tête. Juo parlait depuis longtemps, très longtemps. La jeune femme avait l’impression que son compagnon déversait dans son oreille les pensées qui lui venaient, sans chercher à s’expliquer vraiment, comme s’il réfléchissait à haute voix. Mais elle l’écoutait avec une attention extrême. Et aussi une certaine inquiétude. Elle regrettait un peu de l’avoir réveillé. Mais il l’avait soignée à son tour. Et peut-être, en faisant route avec lui, avait-elle de bonnes chances de regagner son village. Mais elle avait peur.
Juo reprit lentement, les yeux baissés :
— Avant de passer à l’action, le Commandant décide de mettre le canot en état d’alerte, avec un groupe d’intervention à bord. Il faut l’envahir…
— Tu es toujours à bord ?
— Oui. Le groupe attaque le canot par l’extérieur et me surprend au moment où je me préparais à sortir. Je suppose que j’ai été assommé et traité ensuite avec une faible quantité de gaz incapacitant. Le Commandant avait dû ordonner de me mettre hors circuit, mais de ne pas me tuer.
« Pendant ce temps, les officiers du Mina-Jona se préparent au combat. Ils n’ont pas le temps de s’occuper de moi. Alors, on m’abandonne dans le canot. Les officiers sont probablement toujours sous l’effet du programme supérieur. Ils oublient leurs rancunes et leurs jeux dans un souci d’efficacité…»
— Tu as eu de la chance ! fit Ushaïa.
— Peut-être, dit Juo en haussant les épaules. Une minute de plus, et je sautais en ballon.
— Tu avais eu toute la nuit pour t’évader. Et rien ne prouve que tu aurais réussi.
Il regarda sa compagne rêveusement.
— Et puis nous ne nous serions pas rencontrés.
Ushaïa frissonna. Juo poursuivit calmement :
— Le Mina-Jona rejoint la navette alors que celle-ci vient de se poser pour le contact avec Reno Haban. Il commence à larguer des bombes grasses pour coller l’appareil ennemi au sol. Après, ils essaieront de pénétrer à bord pour l’identifier et peut-être de capturer des survivants. Le canot est prêt à se détacher de la plate-forme, avec un commando d’une douzaine d’hommes, plus un officier, pour cette mission.
Ushaïa sourit.
— Oui, oui… Ils vont se suicider !
— La navette riposte brutalement, avec des armes supérieures. La technologie militaire a aussi progressé dans les îles de l’espace ! De plus, les Maîtres n’ont sûrement pas doté leurs chiens de garde de leurs armes les plus puissantes… La bataille est finie aussitôt que commencée !
— Je l’ai vu, dit Ushaïa. De mes yeux !
— Le Mina-Jona explose comme tu me l’as raconté. Le canot a le temps de prendre l’air. Ou peut-être est-il éjecté automatiquement. Mal contrôlé ou peut-être saisi dans le champ de force de la navette, peut-être endommagé par l’explosion du vaisseau, il ne peut se redresser. Il file au ras de la forêt, accroche les cimes des arbres et atterrit en catastrophe sur une pente découverte. Importants dommages matériels, mais pas de victimes.
— Tu as tout compris, dit Ushaïa avec admiration.
— Peut-être, mais ça ne sert plus à rien, fit-il amèrement.
— Continue quand même.
— Beren – si c’est lui – sait maintenant qu’il a affaire à des ennemis mieux armés que ses Écumeurs. Peut-être a-t-il deviné que la navette venait de l’espace. Il doit admettre que les siens ont perdu la bataille et la vie. Il craint une poursuite, des représailles. Il décide de s’éloigner très rapidement du canot. Mais pour le cas où l’ennemi n’interviendrait pas, il faut protéger le canot contre d’éventuels pilleurs d’épaves. Beren laisse seulement un homme de garde, plus ou moins sacrifié, et il s’enfuit avec les autres.
« Des chiens géants ont été attirés dans le secteur par la présence humaine. Peut-être, d’abord, celle de Reno, puis celle des Technoïs et la tienne. Ils arrivent au canot. Leurs ennemis héréditaires, les ours, arrivent aussi. Ils se battent… Maintenant, je ne peux qu’imaginer ce qui s’est passé. De toute façon, la sentinelle ne mesure pas le danger. Elle sort. Ou peut-être était-elle dehors déjà, prête à s’enfuir aussi, pour le cas où les Technoïs se manifesteraient.
« Oui, c’est ça. L’homme – un demi-robot, comme tous les Surveillants – est caché dans les rochers, prêt à filer vers la forêt. Il regarde en l’air parce qu’il croit que le danger viendra du ciel. Il se laisse surprendre et encercler par les chiens. Il en tue quelques-uns, puis il succombe…»
— Et, un peu plus tard, j’arrive au canot, dit Ushaïa.
— Et moi, les Écumeurs m’ont abandonné dans le canot. Je suis encore évanoui.
— J’essaie de rentrer dans le canot. Je vois une porte près du sol mais elle est bloquée. Puis je remarque le… le…
— Tu remarques le cockpit soulevé, et accessible par les rochers. Les chiens ont essayé d’entrer par là, car il y a des taches de sang.
— Non, c’est le Surveillant blessé qui s’est traîné jusque-là. Mais les chiens ont dû le rattraper au moment où il venait d’ouvrir le cockpit !
— Trop grosses et pas assez souples, les bêtes n’ont pu se glisser dans ce passage. Tu y es parvenue.
— Et je t’ai trouvé !
— Merci.
— Merci à toi… pour la suite !
Ils rirent ensemble pour oublier l’extrême précarité de leur situation. Et peut-être aussi la peur qu’ils s’inspiraient mutuellement.
Ils avaient atteint la vallée, où coulait une rivière étroite, vert pâle, tour à tour glauque et étincelante. L’eau, d’une pureté admirable, attirait avec force le regard de Juo. Ushaïa pouvait-elle comprendre ? Elle n’avait sûrement jamais vu un film d’avant le Moratoire, quand la mer était immonde, l’air irrespirable et les rivières putrides. Les mots « pollution », « déstabilisation », si elle les connaissait, n’étaient sans doute pour elle que des termes vaguement mystiques, dans quelque verset oublié de la Tradition.
Ils marchaient lentement, le souffle court, les pieds douloureux, les jambes raides, en suivant un sentier qui serpentait au milieu des herbes aquatiques. Au-dessus d’eux, s’étendait une épaisse voûte de feuillage qui les protégeait du soleil – au zénith – et entretenait au bord de la rivière une fraîcheur ombreuse.
Depuis la rencontre des Surveillants, à bord du camion, trois heures environ s’étaient écoulées. Mais Juo et Ushaïa n’avaient pas parcouru plus de quelques kilomètres. En fait, ils auraient dû être tous les deux dans un lit d’hôpital… Là où il y avait des hôpitaux, par exemple à la base Géonord !
La jeune femme avançait avec peine, en tenant son fusil à gaz braqué devant elle, de la main gauche. Cela ne facilitait pas sa marche. Juo lui demanda avec étonnement :
— Mais que crains-tu enfin ?
Elle lui retourna un long regard de détresse.
— Les chiens, dit-elle. Surtout les chiens. Les hommes solitaires ne sont pas belliqueux… Tes anciens compagnons doivent être loin d’ici, maintenant. Et les Nomades ne fréquentent pas ce genre de paysage. Du moins, en général.
— Les chiens, si ?
— Les chiens savent qu’il y a des hommes dans le secteur.
— Les Nomades aussi, peut-être ?
— Peut-être.
Elle essaya de sourire mais n’y parvint pas.
— Je suis un peu fatiguée, avoua-t-elle.
— Dès que nous trouverons un endroit propice, nous ferons une longue pause.
Ils repartirent en traînant les pieds sur le sentier glissant. La rivière coulait vers l’ouest et ils remontaient le courant pour se diriger du côté où Ushaïa situait son village. Juo avait définitivement choisi les vertes collines de la Terre.
Ils s’arrêtèrent près d’un pont écroulé. À côté, sur la rive, quelques ruines envahies par le lierre, les buissons et les hautes herbes, formaient un arc de cercle autour d’un terrain nu et bizarrement piétiné. Les gros blocs de ciment qui avaient constitué le pont traçaient un gué dans la rivière. L’eau cascadait avec un chant rapide et joyeux.
En aval, un castor se promenait sur le toit rond de sa cabane, où un grand oiseau blanc aux pattes roses était venu lui rendre visite. Une longue couleuvre verte se chauffait sur une pierre en forme d’œuf, couverte de mousse grise. Un gros rongeur à fourrure sombre se glissait furtivement entre les prêles.
Le soleil changeait la surface immobile de la rivière en un miroir profond, éclaboussait de rayons vifs la cascade du gué, frisait les feuillages doux des hêtres et des aulnes et couvrait les saules d’un frémissement argenté.
Juo sentait une douce émotion précipiter les battements de son cœur. Il s’était agenouillé face à la rivière et contemplait le paysage avec un étonnement heureux. Une vive excitation le gagnait maintenant. Lui, officier de Surveillance, avait reçu mission de préserver la beauté et la pureté du monde pour les Maîtres qui reviendraient un jour. Ou bien pour les hommes qui vivraient sur la Terre de la Présence. Il était le gardien de l’Éden, il…
Mais il serra les dents pour résister à l’envoûtement. Non, les Maîtres ne reviendraient jamais. Non, la Terre de la Présence n’était pas l’Éden. Non…
Il se redressa brusquement, les muscles tendus, le regard fixe, les narines frémissantes. Un flux brûlant parcourait ses nerfs et ses veines. Ses pensées lui échappaient. Il ne maîtrisait plus tout à fait ses mouvements. Il bondit mécaniquement à l’abri d’un arbre aux branches longues et basses. Il s’accroupit contre le tronc lisse, appuya la crosse de son fusil sur sa hanche.
D’instinct, Ushaïa se glissa au milieu des taillis épais qui bordaient la rive. Elle chuchota un appel :
— Qu’est-ce qu’il y a ?
Juo ne répondit pas tout de suite. Après l’entrée en action du programme, il avait besoin d’un certain délai pour reprendre le contrôle de son cerveau.
Et le programme signifiait : danger.
— Je crois que quelqu’un nous observe, dit-il. Et se prépare peut-être à nous attaquer.
Il bondit en arrière et la rejoignit. Elle lança un cri de surprise et de peur.
— Tu as fait si vite ! C’est le… le programme ?
— Oui, je suppose. Mais il n’y a pas longtemps que je sais m’en servir et je…
Il se mordit la lèvre. Il avait beaucoup de peine à parler assez lentement pour se faire comprendre. Les mots se bousculaient sur sa langue et produisaient en se mêlant une sorte de bourdonnement inintelligible. Il se força à articuler :
— Un hom-me nous ob-serve. Il va peut-être nous at-ta-quer !
— Un homme ? Un seul ? Comment le sais-tu ?
Juo secoua la tête. Comment avait-il été averti de cette menace ? Le programme lui donnait une certaine capacité de perception à distance. À distance dans l’espace et le temps… Ce mécanisme n’était pas apparu tout de suite. Il ne fonctionnait pas encore, du moins pas encore pleinement, lorsque Juo se trouvait sur le Mina-Jona.
— Nous devons y aller, prononça-t-il lentement.
— Où ?
Il esquissa un geste si rapide que la jeune femme put à peine le distinguer.
— Dans cette maison, de l’autre côté des ruines.
— Une maison ? Il n’y a que des ruines. Je ne…
— Si. Tu vois le toit ?
— Pourquoi y aller ?
Juo crispa durement les mâchoires. Parler exigeait un effort douloureux qui perturbait l’action du programme dans son cerveau et dans son corps.
— Nous devons y aller parce que…
Il eut, l’espace d’un instant, une sensation étrange. « Est-ce que je… Est-ce qu’il y a… Est-ce que quelqu’un essaierait de me…»
C’était si difficile à exprimer. « Suis-je manipulé, guidé vers on ne sait quel destin nécessaire ? Ou bien sous l’influence d’un programme secret à l’intérieur du premier ? »
L’impression s’effaça. Mais il se savait désormais lancé dans une quête qui s’achèverait… qui ne s’achèverait peut-être jamais.
Il savait que cette quête passait nécessairement par cette maison, dont il apercevait le toit squelettique et la tour décapitée entre les hauts arbres touffus.
Mais il savait aussi qu’il était libre. Qu’il pouvait refuser de risquer sa vie en répondant à cet appel. L’avenir en serait peut-être changé ; mais c’était son droit. Et un jour… un jour, il le regretterait !
Le souvenir même de l’impression s’effaça. Désemparé, Juo regarda Ushaïa. Il lui prit le poignet, la main. La paume de la jeune femme resta inerte dans la sienne. Le phénomène d’accélération du rythme vital avait cessé, soit que le programme eût décroché, soit qu’une adaptation se fût produite.
Il la regarda d’un air suppliant. Elle sourit.
— Le danger est passé ?
Juo haussa les épaules.
— Partons, dit-il.
Ushaïa eut un rire gai, presque heureux. Elle montra deux rangées de dents blanches, pas trop bien alignées mais solidement plantées dans les gencives roses. Une belle bouche en bonne santé. Ils firent quelques pas, épaule contre épaule. Puis la jeune femme lui serra à son tour le poignet.
— Je voudrais visiter cette maison !
Elle montra un pan de toiture qui évoquait un cadavre de monstre nettoyé par les charognards et le sommet de la tour, pareil à un cul de bouteille géant posé de guingois sur la margelle d’un puits.
— S’il reste quatre murs, on pourrait peut-être s’arrêter un jour et une nuit ? Je suis si fatiguée !
— Oui, dit Juo. Allons-y.
C’est compliqué, le destin… Quoi qu’il en soit, le chemin de Juo et d’Ushaïa passait par la tour étêtée et la maison en ruine sous les grands arbres.
Il leur fallut s’engager au milieu des éboulis, patauger dans une sorte de marécage constitué par une sorte d’étang à demi comblé, traverser un premier fourré, dans lequel les pommiers, les poiriers et les cerisiers, redevenus sauvages, se mêlaient à d’épais buissons épineux… Peut-être existait-il un autre accès, mais comment le découvrir dans ce labyrinthe végétal ?
En outre, plus le terrain devenait difficile, plus les deux fugitifs avaient envie d’avancer. Ils se trouvaient à proximité d’un hameau abandonné, avec la maison de la tour debout jusqu’au toit, malgré quelques pans de mur abattus, parmi les ruines entassées et recouvertes par la végétation d’une demi-douzaine d’autres constructions. Du moins, c’était le paysage que Juo et Ushaïa pouvaient deviner à travers un rideau d’arbres d’une hauteur exceptionnelle et d’une densité presque sans faille.
À distance, on avait l’impression que les chênes qui se dressaient au-dessus du village mort prenaient leurs racines dans les ruines mêmes. Quel était l’âge des arbres ? Deux, trois, quatre siècles ? Cinq siècles comme le Moratoire ?
Les deux voyageurs se trouvèrent soudain au milieu des taillis gluants. Il s’agissait d’une variété de peupliers, dont l’écorce sécrétait une colle épaisse et acide. On les utilisait souvent pour renforcer les clôtures autour des villages. Juo en avait vu au cours de ses expéditions avec les Écumeurs et Ushaïa lui expliqua qu’il y en avait à Acharac, autour du puits de stocks.
Ici, la plantation n’était, de toute évidence, plus entretenue depuis des dizaines d’années, mais les gluants semblaient se plaire dans cet habitat humide et ombreux. Ils avaient survécu en îlots, parmi les aulnes et les saules. Ils étaient particulièrement gras et serrés. Une strate arbustive de prunelliers, de roseaux et d’aubépines colmatait les brèches. Des lianes s’enroulaient vigoureusement autour des tiges. Par places, les fourrés devenaient inextricables. Le sol était légèrement boueux, grouillant d’arthropodes et de reptiles. On respirait à plein nez une odeur d’humus et de gaz putrides.
Le soleil perçait mal les feuillages et une pénombre fraîche et bourdonnante régnait sous le couvert.
Ushaïa avait tenté d’avancer entre les troncs des gluants. Les tiges les plus minces avaient le diamètre d’un canon de fusil, les plus grosses celui d’une jambe d’homme. Les premières étaient bien sûr les plus nombreuses. Pour progresser à travers les taillis, il fallait forcer son passage, l’épaule en avant. Des sortes de pustules gonflaient sur l’écorce, s’écrasant à la moindre pression, s’attachaient à la peau, aux vêtements et même au métal des armes.
Ushaïa se retourna vers son compagnon qui la suivait prudemment, avec deux ou trois mètres de retard… Elle savait que si elle se faisait piéger par le fourré, elle mourrait très vite, engluée, étouffée, asphyxiée. Sans oublier les insectes venimeux, les salamandres, les vipères et Dieu sait quoi encore. Elle eut peur.
Elle essaya de lever son fusil comme pour tirer en l’air. Mais c’était un geste instinctif et inutile. Le fusil à gaz, arme anti-personnel, ne pourrait aucunement l’aider à se dégager. Elle appela Juo.
— Je crois que je suis piégée !
— Tu peux reculer, non ?
— Peut-être. On abandonne ?
— Attends…
Lui possédait un fusil thermique capable de réduire en cendres à peu près n’importe quel objet combustible, fût-il un arbre d’un mètre de diamètre, et cela en moins d’une seconde.
— Ne bouge pas, dit-il. Je vais dégager le terrain. Avec cette humidité, je ne crois pas qu’il y ait un gros risque d’incendie. Attention !
Il avança encore de deux ou trois pas. Ushaïa se tenait maintenant en retrait sur sa droite. Il lui tourna le dos et d’une brève pression sur la détente de son arme, il lâcha un jet de feu dans les taillis.
Une trouée s’ouvrit devant lui de façon quasi instantanée. Elle n’était pas dans la bonne direction ; mais il comptait en creuser une autre dans la direction de la maison, qu’il ne distinguait plus mais qu’il situait toujours approximativement. Elle n’était pas non plus assez large. En outre, la végétation était si épaisse que la chaleur se dissipait mal. Juo reçut une gifle brûlante. Il put se protéger les yeux et il eut seulement les sourcils légèrement roussis.
Le tir avait allumé un commencement d’incendie : les flammes coururent au bord du marécage et s’éteignirent aussitôt. Juo sourit : même en utilisant le feu, un assaillant dépourvu d’armes à grande puissance et de moyens technologiques sophistiqués, n’aurait pu forcer le barrage végétal qui protégeait la maison à la tour. À condition du moins que les fourrés soient reconstitués dans leur plénitude et régulièrement entretenus… Peut-être serait-il possible, grâce aux taillis hyperdenses, de transformer le vieux village en une sorte de… de Sanctuaire. Pas un Sanctuaire pour les Maîtres qui, de toute façon, ne reviendraient jamais. Plutôt une chaumière de haute sécurité pour deux fugitifs qui auraient décidé de réunir leurs solitudes.
Une vingtaine de minutes plus tard, Juo et Ushaïa accédaient à une sorte de parc en forme de goulet, qui conduisait au vieux village, entre les chênes géants. La lumière crépusculaire révélait de nombreuses traces d’occupation du terrain : des bancs dévorés par la mousse, des statues écrasées sous les hautes herbes, de petites constructions de pierre réduites à de simples tumulus au milieu des broussailles, des barres de métal sur lesquelles avaient dû se fixer des plantes grimpantes et qui n’étaient plus que des squelettes rouillés dans l’humus gras.
Tout cela très ancien, naturellement. « Mais pas aussi ancien que le Moratoire, pensa Juo. Peut-être un siècle et demi ou deux. Pas plus…» Il se retourna pour observer le passage en zigzag qu’il avait taillé dans les fourrés à coups de thermique. Seule la fumée noire qui s’élevait encore par places lui permit de repérer l’endroit. Il ne put distinguer le moindre brasillement.
— Quelle forteresse on pourrait créer ici ! dit-il.
— Mais c’en était sûrement une, dit Ushaïa. Les taillis constituaient la première ligne de défense.
— Quelle était la seconde ligne ?
— Une clôture électrique, peut-être. Ou des pièges…
Le désir de vivre là, dans ce nid de fraîcheur et d’ombre, sous l’abri des grands arbres, loin de tous les regards, prit soudain Juo et lui piqua le cœur en lui communiquant une brusque angoisse. Depuis des années, il rêvait d’une colline où il s’arrêterait enfin. Ou peut-être rêvait-il de toutes les collines de la Terre en même temps… Et ce site, qui l’attirait en l’effrayant un peu, était exactement le contraire d’une colline.
C’était un trou au milieu d’un passage tourmenté de failles, de brèches, de combes et de cuvettes enserrant de rudes éperons rocheux et des anticlinaux en forme de muscles contractés.
Juo réfléchissait à l’intérêt stratégique de la position. Il aurait plutôt choisi pour se barricader du monde un nid d’aigle comme il en avait aperçu quelques-uns dans la région, depuis le Mina-Jona… Mais non. En réalité, il ne voulait pas un nid d’aigle : seulement une verte colline… Et ce site qu’Ushaïa et lui-même étaient en train de visiter avait certainement des avantages qu’il ne pouvait imaginer, car il connaissait mal la Terre de la Présence.
— Je suis sûr qu’il y a un autre chemin pour entrer ici, dit-il.
— Est-ce qu’il existe encore ? Il a peut-être disparu depuis cent ans !
— Ou mille ans ! Mais nous le trouverons.
— J’en doute.
— Alors, nous le referons.
— Cet endroit me fait peur.
— Moi aussi. Et en même temps, il me semble extrêmement familier.
Ils avançaient avec précaution, dans l’herbe haute et encore verte, sous les frondaisons emmêlées que soutenaient des troncs gainés de lichens sombres.
Un long cri monta des ruines. Ils s’arrêtèrent. Plus qu’un cri, c’était une plainte modulée en crescendo âpre, decrescendo lugubre et final brusque, en forme de croassement.
Juo saisit Ushaïa à bras-le-corps et la projeta sur le sol. Il atterrit à côté d’elle, foulant de tout son long le tapis d’herbe humide, fusil pointé vers la tour et les ruines. Une flamme jaillit entre les troncs. La tête de Juo se mit à bourdonner. Le programme !