CHAPITRE IV
Hagon Balger revint de son cauchemar parmi les morts avec un épouvantable mal de tête. Les paysages brumeux et moroses du Rivage des Ombres s’estompèrent de son esprit ; le Vent Noir se retira de ses veines, et ses fonctions vitales se rétablirent comme à regret.
Il émit un sifflement douloureux, tout en se redressant. Il s’ébroua du sable dont il s’était recouvert afin que son corps ne fût l’objet d’aucune curiosité déplacée durant son absence. Puis regarda autour de lui. Le matin était proche. Il faisait plus froid, mais le vent s’était apaisé.
Hagon Balger porta une main à son front. Son affreuse migraine continuait de le poursuivre de ses élancements. Il en connaissait l’origine. Devinait que ses tortionnaires n’allaient plus tarder à se manifester. Il tenta de se lever, mais retomba lourdement. Sa respiration était lourde et bruyante, ses idées encore confuses. Le temps était loin où son éclipse dans l’au-delà le nourrissait de forces nouvelles et affermissait son ascendant sur les éléments naturels. Aujourd’hui, la partie morte qui était en lui l’asservissait presque totalement, sans contrepartie d’aucune sorte. Ses pouvoirs avaient décru, et sa vigueur aussi. Il n’était plus qu’un pantin pitoyable s’accrochant désespérément au dernier fil par lequel était reliée sa pauvre vie. Et son inextinguible haine.
Il considéra avec dégoût la plaie noire de sa hanche, aux croûtes suintantes, par laquelle ce qui lui restait de vie s’écoulait inexorablement. Songea à son passé. Á ses défaites. Il ne voulait pas mourir. Pas encore. Pas tant que sa vengeance longuement mûrie ne se serait pas accomplie.
Soudain, la douleur crânienne qui le tenaillait depuis son réveil reflua, et une voix étrangère se fit jour dans son cerveau, l’interpellant avec agacement :
— Où étais-tu, Hagon ? Nous cherchons à te joindre depuis plus d’une heure ! Crois-tu que ce soit le moment de t’évanouir de cette façon ?
— Je… je dormais, monsieur, répondit piteusement Balger en courbant la tête.
— Tu veux sans doute entendre par là que tu avais quitté la vie à un moment aussi crucial de nos accords ?
— Je ne peux pas contrôler… cela, monsieur, vous le savez bien. Mais n’ayez aucune crainte, tout se passe comme je l’avais prévu. Je maîtrise parfaitement la situation.
— Comment peux-tu être si catégorique, alors que tu viens tout juste de reprendre conscience ?
— Je le sais, monsieur, c’est tout.
— Hagon, insista la voix intérieure, cette opération représente un colossal investissement de temps et d’argent. Il ne faudrait pas que ta négligence, ou ta suffisance grotesque, rendent stériles tant d’efforts. Souviens-toi que nous t’avons sauvé de la destruction, autrefois, quand tu flottais dans l’espace, aux trois quarts mort. Sans notre secours, tu ne serais plus aujourd’hui qu’une poignée d’atomes errant dans le vide cosmique…
— Oui, oui, monsieur… Ma gratitude…
— Nous savons ce que vaut ta gratitude, cadavre ambulant, n’essaie pas de ruser. N’oublie pas que nous pouvons à tout moment, selon notre bon plaisir, moucher comme une bougie ce qui reste de vie au fond de toi. Tout ce qui est toi nous appartient. Nous pouvons contrôler chacun de tes gestes, allumer ou éteindre chacune de tes fonctions, ne perds jamais cela de vue. Tu n’es qu’une marionnette attachée à des fils invisibles…
Hagon Balger sentit avec terreur son bras droit se lever, et sans qu’il en eût conçu le mouvement, se tordre douloureusement en arrière. Il poussa un cri, et la démonstration de ses maîtres s’interrompit aussitôt.
— Mais pour l’instant, reprit la voix avec un rien de mépris, nous préférons te laisser la liberté de tes actes. Nous avons conclu un marché. Ta vie contre… tu sais quoi ?
— J’ai découvert le guide, monsieur, se défendit Balger en massant son épaule. Et j’ai fait en sorte qu’il soit contraint de quitter son repaire. Il sera très vite à ma merci…
— Et si ce garçon n’agissait pas comme tu l’espères ?
— Je crois qu’il fera ce que j’attends de lui, monsieur. Il sera seul, sans appui, dans un monde dont il ignore tout.
— Et si ton plan était d’ores et déjà tombé à l’eau ? Imagine que ce Gwyn ait tué le Vorkul ?
— Non, non… J’ai poussé Gwyn à pénétrer dans la maison en sachant qu’il ne pourrait réussir à prendre la Cage. C’est le Vorkul qui a gagné. Il est vivant. Et libre d’aller où bon lui semble, désormais. Ainsi que je l’avais prévu.
— Et la Cage ? La Cage est-elle intacte ? Tu sais comme c’est primordial ?
— La Cage n’a pas été touchée.
— Je serais curieux de savoir comment tu peux être sûr de tant de choses en restant immobile…
— Mes yeux voient encore assez loin pour cela…
— Le garçon a-t-il déjà quitté la maison ?
— Il s’apprête à le faire.
— Ne le perds pas de vue, Hagon…
— N’ayez pas peur. J’ai su le trouver et je saurai le garder. Et il me guidera, le moment venu…
— Il nous guidera, Hagon. Nous poursuivons le même but, n’est-ce pas ? Même si nous avons pour cela des raisons différentes…
— Bien sûr, monsieur. Je…
Balger trouva inutile de poursuivre sa phrase. Son esprit s’était brusquement vidé de l’ingérence mentale de Nader Saint-Christ. Il était de nouveau seul. Il grinça des dents, en émettant une sorte de sifflement plein de dépit et de rancœur. Autrefois, personne n’aurait osé le traiter de la sorte, surtout parmi les non-chantants. Un seul regard de lui, un seul geste et… Mais aujourd’hui, il n’était plus qu’une créature risible entre les mains de ceux-ci, un simple robot de chair qu’on pouvait tordre, meurtrir ou angoisser selon son humeur, où qu’il se trouve. L’Univers n’était pas assez grand pour échapper à ce servage humiliant.
Balger se remit debout avec difficulté, en songeant qu’il eût sans doute été préférable pour lui de n’avoir jamais fait la rencontre de Nader Saint-Christ. Ce n’était pas la première fois, au cours de ces dernières années, qu’il regrettait de n’avoir pas péri après son duel perdu sur les ponts d’ombre (2).
Mais le destin en avait décidé autrement. Il avait été recueilli à bord d’un cargo de la Compagnie de Transports Interplanétaires Saint-Christ, alors qu’il dérivait à demi mort dans le vide. L’équipe médicale de bord avait déployé toute son énergie à le ramener parmi les vivants, mais elle lui avait fait payer bien cher cette démonstration d’humanisme. Nader Saint-Christ n’était pas de ceux qui prodiguent leur mansuétude sans arrière-pensées. Il avait immédiatement compris l’intérêt de tenir sous sa coupe un être comme Balger. Un Vorkul banni, un Chanteur qui avait renoncé à sa Cage et vouait une haine sans merci à ceux de sa race.
Balger n’était pas près d’oublier l’instant où il avait repris conscience à l’infirmerie. Il était seul sous la lumière froide, entre quatre murs carrelés luisants. Et pour la première fois, cette voix acide s’était enfoncée comme un coin dans son cerveau, bousculant ses réflexions les plus intimes, faisant chavirer toutes ses certitudes.
« – Bonjour, Hagon, nous ne nous quitterons plus, désormais. »
« – Qui êtes-vous ? » avait bredouillé le blessé.
« – Mon nom est Saint-Christ. Nader Saint-Christ. Mais tu devras m’appeler « Monsieur ». Ce cargo fait route vers Galagon, la planète-usine. Il fait partie de ma flottille de commerce. En somme, tu es chez moi. »
« – Vous croyez réellement m’impressionner par ce petit jeu ? J’ai déjà rendu fou plus d’un psy qui voulait par trop fouiller dans ma tête. Je vous aurais prévenu. »
« – Mais je ne suis pas un psy, Hagon. Et désormais, tu devras me considérer comme… ton associé ! »
« – Parce que vous m’avez sauvé la vie ? »
« – Exactement. »
« – Vous vous faites des idées. »
« – Je pensais bien que tu aurais cette réaction. »
« – Je n’aime guère être tutoyé à distance. »
« – Ah… Je sens que tu cherches à remonter jusqu’à la source de mon flux mental… Oui, je le perçois très bien… Mais tu as tort. »
En disant cela, Saint-Christ lui avait infligé sa première souffrance d’esclave. C’était comme une grande main qui lui avait broyé les vertèbres cervicales, et il s’était violemment rejeté en arrière sous le coup de la douleur. Celle-ci avait aussitôt cessé.
« – Je te le répète, Hagon. Je suis devenu ton associé. Tu ne peux pas me refuser ce titre. D’abord parce que tu me dois d’être encore un peu en vie. Et ensuite parce que j’ai introduit dans ton cerveau un dispositif de communication mentale permanent, assorti d’un régulateur de tes fonctions neuronales. En clair, je te tiens dans le creux de ma main. Veux-tu une preuve ? »
Et Balger avait senti ses yeux se fermer brusquement. Il avait alors tourné la tête dans tous les sens, concentrant sa volonté pour desceller ses paupières, mais en vain. Nader Saint-Christ ne s’était pas vanté. Il pouvait disposer de la moindre de ses fonctions vitales. Et l’angoisse qui avait envahi le Vorkul à cette seconde ne l’avait plus jamais quitté depuis.
« – Est-ce que tu comprends, Hagon ? Je me trouve loin d’ici, et cependant je suis en toi. Je peux lire dans ton esprit, y faire l’inventaire des choses passées et des craintes présentes. Tu es lié à moi, bon gré, mal gré. »
« – Pourquoi ? Qu’attendez-vous de moi ? »
« – Tu vas travailler pour moi. Je crois que tu peux m’être d’une aide très appréciable pour un projet qui me tient à cœur. »
Hagon Balger ne put s’empêcher de frissonner en repassant le film de ces pénibles instants dans sa mémoire. Nader Saint-Christ l’avait possédé depuis ce jour, faisant à tout instant irruption dans son esprit, l’obligeant à s’avilir ou se plaisant à le torturer, selon son humeur. Balger était sa chose, son otage à vie. Et il ne se faisait aucune illusion : Saint-Christ ne le délivrerait qu’en lui donnant la mort…
Ou, pire, il ne le ferait pas.
Hagon Balger grimpa au sommet de la dune, d’où il pouvait embrasser du regard une grande étendue de lande, se demandant qui de Saint-Christ ou de ceux qui l’avaient jadis exclu de leur communauté il haïssait le plus, désormais. Mais il n’eut guère le temps d’entrevoir la réponse à cette épineuse question.
Deux silhouettes venaient d’apparaître là-bas, débouchant sur le sommet de la falaise par un sentier escarpé. La plus grande des deux tirait l’autre par la manche sans se soucier de sa mauvaise volonté à lui emboîter le pas. Puis elles tinrent une sorte de conciliabule, à l’issue duquel elles reprirent leur avance à travers la plaine, en direction de la route.
Hagon Balger grommela une injonction. Il n’avait pas prévu la présence du second garçon. Mais ce n’était finalement qu’un détail sans importance. Il suffirait d’une chiquenaude pour se débarrasser du parasite encombrant, le moment venu. Afin de conserver le guide pour lui seul.
Il décela un mouvement dans l’air au-dessus de lui, et se baissa machinalement. Mais il ne s’agissait que de mouettes, sans doute attirées par l’odeur pestilentielle de son corps. Elles piaillaient furieusement, il le devinait à leur attitude belliqueuse. Pourtant, il ne les entendait pas. Pas plus qu’il ne pouvait entendre le vent ou le ressac. La voix de Saint-Christ rompait seule son mur de silence. Pour la simple raison qu’il était sourd.
Il suivit des yeux les enfants à travers la lande pendant un court instant. Puis il sauta à bas du talus et se mit à courir en traînant la jambe.
*
* *
Nick Donovan éprouvait une sorte d’ivresse à la pensée qu’il faisait maintenant partie du monde extérieur, et pour l’heure, ce sentiment occultait son inquiétude et son chagrin. Á son côté, Mullins avait cessé de pleurnicher pour sombrer dans un demi-sommeil. Nick l’observait à la dérobée. Il ne trouva pas que ce jeune humain était si différent de lui. Et même, il fut ému par son air pitoyable, ses joues sales nervurées par les larmes séchées. Hormis le conducteur, ils étaient seuls à bord de l’autobus.
Nick regarda défiler le paysage, le nez plaqué contre la vitre embuée. Et aussi la ville qui approchait. C’était la première fois qu’il la voyait, autrement que dans les livres. Elle lui semblait énorme, et cependant, il savait qu’il devait en exister de plus énormes encore, pareilles à des fourmilières surpeuplées. Son exaltation baissa d’un ton, endiguée par la peur de l’inconnu. Sa mère lui avait tant de fois répété que les gens de l’extérieur lui voulaient du mal… Encore un mensonge ? Non, pas cette fois, il ne pensait pas.
Le bruit s’amplifiait à mesure que grossissaient les immeubles aux architectures bizarres. Nick avait du mal à s’y accoutumer, car il avait toujours vécu dans le silence de la lande ou le murmure de l’océan tout proche. Un flot de sons inédits déferlait par ses tympans ultrasensibles, auxquels il tâchait d’accoler des images probablement erronées. Il allait devoir tenter de s’en accommoder s’il voulait continuer son exploration. Aussi, après avoir un moment bouché ses oreilles, se laissait-il progressivement envahir, pour acquérir un peu d’entraînement, même s’il lui en coûtait quelques grincements de dents.
Il n’avait aucune idée de l’endroit où il désirait se rendre. La ville n’était qu’une étape, sur une route dont il ignorait l’issue. Il se sentait seulement obligé d’aller vers l’avant. C’était comme un appel venu de loin, dont il se devait de trouver l’origine.
Mullins se contorsionna sur la banquette, à la limite du réveil. Nick rajusta son écharpe sur le bas de son visage, et le bord de son chapeau sur ses sourcils. Il avait remarqué comme le garçon était effrayé de le voir à visage découvert, et il avait décidé de ce déguisement par prudence. De même qu’il avait pris soin de dissimuler sa Cage sous les pans d’un grand manteau. Il avait compris d’instinct qu’il devait présenter l’apparence d’un humain et dissimuler sa nature exacte. C’était un inconvénient pour quelqu’un qui, comme lui, avait toujours vécu à demi nu, sans souci des regards étrangers. Il était néanmoins prêt à y sacrifier. Pourvu qu’il puisse se mouvoir librement dans cet univers inconnu.
Mullins se frotta les yeux. Et considéra son compagnon avec une sorte de dégoût.
— Sois gentil, laisse-moi rentrer chez moi. Mes parents doivent se faire un mauvais sang d’encre.
— Non, du mauvais sang ou un sang d’encre, mais pas un mauvais sang d’encre, rectifia ironiquement Nick.
— Est-ce que tu me laisseras partir, lorsque nous serons arrivés à Läke ?
— Läke ?
— Á la ville.
— Pas tout de suite. Je vais encore avoir besoin de toi. Ensuite, tu seras libre de retourner chez toi.
— Tu m’as demandé comment te rendre à la ville, voilà, tu y es presque, alors laisse-moi partir…
— Mullins, menaça Nick d’une voix plus grave, qui conservait pourtant ses intonations chantantes, tu ne devrais pas trop te plaindre du châtiment.
Mullins revit pendant une fraction de seconde le corps de Gwyn recroquevillé sur la pelouse, et il renonça à attendrir l’étrange créature, qu’il croyait capable du pire à son égard. Il se borna à baisser la tête et grogna :
— J’ai faim.
— Est-ce qu’on peut manger, avec ça ? interrogea Nick en exhibant une pièce de monnaie.
— Oui, bien sûr, et pas mal.
— Tu t’en occuperas lorsque nous serons arrivés. Tu vois que tu peux m’être encore utile.
— Tu en as beaucoup comme ça, des pièces ?
— Quelques-unes. Ma mère en gardait un sac dans une armoire. C’est là que j’ai pris celles-ci. Elles ont de la valeur, pour la ville ?
— Tu ne feras rien sans elles, dans une ville, fit Mullins, maussade. Mais s’il te plaît, ne les montre pas à tout bout de champ, ou quelqu’un finira par les remarquer et te les volera…
— Oh !… s’exclama Nick, qui venait de saisir un élément jusqu’ici ignoré.
— Tu sais, moi je n’ai jamais voulu faire de mal à personne, crut bon devoir se déculpabiliser Mullins. C’est Gwyn qui a…
— Oui, je sais, soupira le jeune Vorkul. Pas la peine d’expliquer. Et puis ça ne servirait pas à grand-chose. Mais Gwyn n’a pas conçu seul son projet. Quelqu’un lui a mis cette idée dans la tête avec un but bien précis. Est-ce que tu n’as pas remarqué un grand homme sombre sur la lande, tandis que nous filions ? Quelqu’un qui semblait regarder dans notre direction, et puis il a disparu ?
— Non, je ne me souviens pas. Mais comment peux-tu savoir tout ça ?
— Dans certaines occasions, je peux lire dans les pensées. Je n’y parvenais pas avec ma mère. C’est comme si son cerveau était blindé. Je crois qu’elle disposait de facultés mentales exceptionnelles. Du moins par rapport à toi, ou à ce Gwyn… Mais c’est étrange, parce que j’avais déjà vu cet homme rôder sur la falaise, ces derniers temps. Dire que je suis ignorant de tant de choses. Tu devras m’aider, Mullins. J’aurai besoin de toi. Plus vite j’apprendrai, plus vite tu seras libre…
Il hésita un instant, puis ajouta :
— Dis-moi, est-ce que tu vois le ciel ?
— Evidemment, il fait jour, maintenant.
— Tu vois ces lignes de fumée noire qui…
— Quelles lignes de fumée ?
— Tu ne vois rien ?
— Non, à part quelques nuages… Pourquoi ?
— Pour rien, ce n’est pas important. Mullins, dis-moi ce qu’est un Vorkul ? C’est ainsi que Gwyn m’a appelé plusieurs fois quand…
— C’est quelqu’un qui n’est pas humain, répliqua péremptoirement le jeune garçon. Quelqu’un qui chante dans l’espace. Et qui peut courir là-haut.
— Sur les lignes de fumée ! s’écria Nick, brusquement illuminé.
— J’en sais rien. Ce que je peux te dire, c’est que beaucoup de gens aimeraient posséder ce que tu portes au côté. Et qu’ils n’hésiteront pas à te tuer pour l’avoir. C’est une Cage, et ça se vend un prix fou aux collectionneurs !
— Une Cage ? répéta Nick en touchant machinalement l’organe tiède sous ses vêtements. C’est ce que Gwyn voulait ?
— Oui, et il espérait en tirer un bon prix auprès d’un revendeur.
— Pourquoi t’es-tu laissé entraîner ?
— J’en sais rien, j’en sais rien du tout. Mais par-dessus tout, fais attention à ta Cage. Ne la montre à personne, ou c’est foutu, tu es condamné. Ils se mettront à plusieurs et te la couperont.
— On peut en mourir ?
— Je ne sais pas ce qui se passe après. Je ne suis pas un Vorkul.
Mullins avait dit cela avec un peu d’impatience dans la voix. Il en avait assez de toutes ces questions. Á présent, l’autobus venait de pénétrer dans Läke. Nick sentit son cœur se serrer. Il était effrayé par la hauteur des habitations et de l’effervescence qui régnait autour d’eux. Tout ceci était encore trop nouveau pour lui.
Le véhicule contourna une place et se rangea dans une sorte de couloir. Les portes s’ouvrirent avec un sifflement.
— Descends, on y est, indiqua Mullins en le poussant légèrement.
Nick obtempéra, et ils se retrouvèrent tous deux quelques instants plus tard échoués sur un trottoir exhalant par intervalles des tourbillons de vapeur blanche, bousculés par une foule compacte. Le jeune Vorkul éprouva soudain de la difficulté à respirer. Il chancela, et pour un peu se serait affaissé au milieu de tous ces gens si Mullins ne l’avait vivement tiré à l’écart de ce courant humain. Il le fit asseoir dans un coin.
— Est-ce que ça va ? demanda-t-il avec une réelle inquiétude dans la voix.
— Oui, souffla Nick. C’est tout ce monde, je n’ai pas l’habitude.
Et il regarda en direction de la place, en songeant qu’il n’avait jamais autant ressenti sa solitude qu’au milieu de cette cohue, même au long de toutes ces années de réclusion dans la propriété de sa mère.
— Ne bouge pas de là, annonça Mullins, je vais chercher à manger.
Avant que Nick eût la présence d’esprit de le retenir, son compagnon s’était déjà évanoui dans la fourmilière de ses semblables.