Le sentiment de responsabilité et de solidarité n'en prend pas moins une vivacité supérieure quand c'est en moi et par moi que s'est produit le mal moral. Alors, c'est le même sujet intelligent qui conçoit l'idéal et qui se voit réellement en contradiction avec cet idéal. De plus, il se demande s'il n'aurait pas pu, par l'intermédiaire de l'idée et de l'amour, trouver en soi un moyen de réaliser le mieux. La force de l'idée devient ainsi force de résistance, révolte contre soi-même; et l'effort contre soi, n'est-ce pas la suprême douleur?
Maintenant, si, au lieu d'avoir présente à l'esprit une action passée, vous avez présente à l'esprit une action à venir, l'antinomie est moins éloignée de sa solution, au moins dans l'ordre scientifique et pratique. En effet, ce n'est plus une chose inutile et «vide» que de songer à l'avenir et de s'y attribuer la responsabilité du mal comme du bien, car ici la pensée de ma responsabilité dans le mal peut empêcher le mal d'être fait. Cette idée n'est pas pratiquement illusoire, puisqu'elle agit. Elle ne l'est pas non plus scientifiquement, puisque la force des idées et de l'amour est pour nous incalculable, progressive, indéfiniment susceptible d'accroissement. Enfin, au point de vue métaphysique, ne pouvant savoir ce qu'est notre individualité et son rapport avec l'universel, nous avons le droit d'admettre qu'il n'existe pas une antinomie insoluble entre la réalité fondamentale et cette responsabilité que nous prenons, que nous voulons avoir, que nous nous imposons; c'est un fardeau que nous mettons sur nos épaules, toujours glorieux alors même que nous succombons parfois sous le faix.
De là dérivent pour nous, en quelque sorte, trois règles de conduite morale et intellectuelle qui résument tout ce qui précède. 1o Il faut pratiquement agir comme si nous étions responsables du bien et aussi du mal. 2o Il faut scientifiquement soutenir que cette idée de notre responsabilité tend à se réaliser elle-même. 3o Il faut métaphysiquement soutenir qu'il n'y a pas contradiction démontrée entre cette idée active de notre responsabilité morale et la réalité dernière, où notre individualité s'unit à toutes les autres individualités, et où nous devenons, pour notre part, solidaires du monde entier. C'est parce que nous sommes un avec l'univers et cependant distincts des autres que nous pouvons être responsables dans notre volonté radicale. L'idée de liberté est l'expression connaissable de l'inconnaissable fondement du moi, du toi et du tous. Cette idée, jointe à l'impossibilité d'en démontrer théoriquement la contradiction avec le réel, sert de fondement à notre liberté pratique, par la force qu'elle développe en nous et qui modifie la direction primitive du déterminisme. Les antinomies spéculatives auxquelles donne lieu la notion de responsabilité expriment notre ignorance du rapport qui relie l'individu à l'universel. Notre pensée, à sa manière, s'élève au-dessus de cette opposition, puisqu'elle conçoit à la fois l'individu et l'univers; notre volonté doit aussi la dépasser et, dans le jugement moral comme dans l'acte moral, elle doit, en une certaine mesure, faire abstraction des personnes; elle doit se désintéresser de la question des individualités et des imputabilités, non par dédain de l'individu, mais, au contraire, par respect de l'individualité et par conscience des limites imposées à notre science. Pour nous en tenir à ce qui est certain, condamnons et repoussons le mal partout où il se manifeste, mais surtout en nous, où il devient plus présent, plus immédiat, où il devient nous-même; aimons le bien partout où il se montre, mais surtout chez les autres, où il est un bien vivant et un objet d'amour personnel.
CONCLUSION
I. Mouvement de la philosophie moderne en Allemagne, en Angleterre et en France.
II. Résumé de la méthode suivie pour la recherche d'une conciliation. Moyens-termes scientifiques intercalés entre les doctrines adverses.
III. Inductions métaphysiques.—Problème final et nécessité de le résoudre moralement par l'action.
I.—L'accord progressif des doctrines doit se faire moins par la destruction des systèmes que par leur superposition en un plus vaste édifice, dont les diverses assises se soutiennent au lieu de se nuire. Ces diverses assises ne sont, en somme, que nos propres puissances intérieures projetées à l'origine des choses: intelligence, sensibilité, volonté. Les systèmes métaphysiques ont beau chercher à connaître ce qui est réellement et indépendamment de nous, nous ne pouvons nous représenter ce qui est que d'après ce que nous sommes. De là la philosophie de l'intelligence, la philosophie de la sensibilité, la philosophie de la volonté, l'une intellectualiste, l'autre esthétique au sens étymologique du mot, l'autre morale.
La première assise de l'édifice philosophique est formée par tout ce que le matérialisme contient de positif sur les conditions nécessaires des choses, que Socrate et Platon appelaient μηχαναι αιτιαι αναγκαιαι. La liaison mécanique des phénomènes, d'où résulte la stabilité de l'univers, est l'objet même de l'intelligence ou de la science. Nous ne connaissons et comprenons que ce que nous expliquons par la logique appliquée à la quantité et au mouvement, c'est-à-dire par la mathématique universelle et le mécanisme universel. Mais n'y a-t-il rien de plus? C'est ce que soutiennent les purs matérialistes. Pour eux, l'explication de l'univers est toute simple: c'est comme un vaste jeu de dés ou de dominos qui, en s'ajustant par leurs bouts similaires, selon des combinaisons mathématiques, forment des dessins de toute sorte. Il reste à savoir ce que sont en eux-mêmes les dés, les molécules, les atomes. Ce jeu de surfaces satisfait l'intelligence abstraite, mais il n'explique même pas le fait de sentir, la simple sensation. Or, il faut bien qu'il y ait sous l'intellectuel du sensible proprement dit, sous le formel du réel. Et cette réalité, nous ne pouvons la comprendre que par analogie avec ce que nous appelons sentir, désirer. De là la tendance à placer dans les choses, comme face interne et vraiment psychique, non plus physique, quelque chose d'analogue à nos sensations, à nos plaisirs, à nos douleurs, à nos désirs. «Le mouvement est un désir,» disaient Aristote et Platon.
La seconde assise de la construction philosophique, c'est donc le sensible, dont le mécanique ou, ce qui revient au même, l'intellectuel pur n'est que le dehors. Cette assise fut ajoutée par Socrate, Platon, Aristote, mais ils ne purent s'empêcher de se figurer encore le sensible sous forme intellectuelle, comme tendance à une fin plus ou moins entrevue par une intelligence, comme finalité proprement dite. S'appuyant sur ce que le plaisir, fond de la sensation, semble la conscience d'une harmonie, ils ont cru que l'harmonie était un concours de moyens vers une fin. Cette finalité n'était, nous l'avons fait voir, que du mécanisme retourné,—conception encore plus subjective que le mécanisme pur. C'était une sorte d'art humain placé dans les choses et ajouté à la science. Mais, quelque contestable que soit le mode de représentation finaliste et esthétique, quand on le transporte ainsi dans l'univers, ce qui demeure incontestable, c'est qu'on ne peut pas faire du réel avec du logique pur ou du mécanique pur, parce qu'alors il n'y aurait plus que des rapports abstraits sans termes concrets; et le concret, c'est ce que nous saisissons en le sentant. Il n'y a pas d'autre moyen pour nous d'entrer en possession du réel que de sentir: c'est ce que Kant a parfaitement montré, et c'est ce que les anciens ou, parmi les modernes, les cartésiens avaient trop oublié.
Une fois rétablie la sensation au dedans du réel, que l'intelligence parcourt du dehors, il reste encore un point de vue qui paraît supérieur aux précédents: c'est celui de l'activité primitive, de la volonté radicale, fond de nos idées de cause, d'inconditionnel, d'absolu, de liberté. C'est vers ce point de vue que tend à s'élever la morale proprement dite, car la morale a pour objet la volonté même et le but le plus haut que la volonté puisse poursuivre.
Les anciens, cependant, firent toujours rentrer la morale dans la science ou dans l'art, sans assigner à la moralité une sphère qui lui fût absolument propre. L'éthique était pour eux la science du bien ou l'art du bien; et par ce bien, nous l'avons vu, ils entendaient quelque chose d'impersonnel ou de neutre, qui était la vérité, l'utilité, la beauté, sans être encore proprement la bonté. Or, la vérité n'est que la nécessité logique; l'utilité n'est que la nécessité en quelque sorte sensible, vitale et, si l'on veut, «finale». Quant à la beauté et à la grâce, elles ne font encore qu'éveiller l'idée d'un principe supérieur à la nécessité et dominant l'organisme visible. La vraie liberté idéale, qui serait l'absolu même, et la vraie moralité idéale, qui ne serait plus un bien abstrait, mais une bonté vivante, furent cependant entrevues par Platon et par les Alexandrins, comme par l'Inde, par la Perse, par la Judée. Avec le christianisme, elle s'éleva au rang d'une idée directrice et rénovatrice. Ce principe, obscurci et mutilé par la théologie romaine, rétabli dans l'ordre social par la France, proposé par elle comme idéal au monde sous les noms de liberté, d'égalité et de fraternité, semble enfin arriver de nos jours à la conscience de lui-même dans l'ordre philosophique. Kant et ses successeurs ont tous conçu la philosophie comme l'explication des choses à un triple point de vue, celui de la connaissance, celui de la sensibilité et celui de la volonté. Le mécanisme universel, tel que Descartes l'avait représenté, tel que Leibnitz l'avait accepté comme loi de la connaissance scientifique, fut l'objet propre de la Critique de la raison pure: l'organisation vivante et les lois internes du désir furent celui de la Critique du jugement téléologique et esthétique; enfin, Kant ajouta à ces deux premiers objets l'idéal nouveau d'une moralité qui serait vraiment à elle-même sa raison, sans recevoir sa loi ni des nécessités logiques et mécaniques, ni des nécessités sensibles et esthétiques. Par là, au lieu de subordonner la volonté à l'utile, à l'agréable, ou même à un bien abstrait, Kant voulut faire procéder le bien réel de la volonté même, qui, étant autonome, serait enfin libre. Mais Kant fit encore de la liberté un principe trop abstrait, la raison universelle; il fit de la loi une catégorie trop abstraite, trop logique, trop formelle, celle de l'universalité; il rejeta au second rang l'amour ou la charité, dont il semblait encore confondre l'idée typique avec le désir et le sentiment fatal. Malgré son formalisme excessif, il n'en a pas moins fait voir que l'idéale liberté doit être introduite au sommet de la philosophie comme une notion à part, dont la logique et l'art, la pensée et le sentiment ne sauraient remplir entièrement le contenu, et qui symbolise pour nous le suprême principe de l'action. Après Kant, la philosophie allemande maintint à la fois ces trois catégories de la nécessité, de la finalité immanente et de la liberté idéale. Déjà Leibnitz, avec Platon et Aristote, avait remarqué que les causes efficientes et les causes finales, les mouvements et les appétitions sont la même série prise en deux sens inverses; l'école de Kant n'eut qu'à développer cette conception pour réduire en un seul système l'universelle logique et l'art universel de la nature, où elle vit la double expression d'un principe un et inconditionnel. Hegel lui-même maintint la liberté idéale au troisième moment de l'évolution métaphysique, mais seulement comme l'unité finale du grand Tout. Schelling, dans sa dernière philosophie, et après lui Schopenhauer, placèrent au-dessus du logique et au-dessus du sensible la volonté comme principe des choses. En cette volonté Schopenhauer reconnut la liberté nouménale, où son pessimisme voudrait nous faire rentrer par l'anéantissement de toute existence matérielle et intellectuelle. Enfin les disciples de Schopenhauer ont donné à la volonté supra-consciente le nom de l'Inconscient, et ils en ont fait dériver le mécanisme et la finalité universelle, avec la perspective d'une délivrance finale par le nirvâna.
En France, à l'école sensualiste, tout entière absorbée dans le mécanisme des sensations, succéda Maine de Biran, qui rétablit dans l'homme et dans la nature le dynamisme de la vie, mais sous la forme douteuse de la force motrice. Maine de Biran rêva, lui aussi, au-dessus de la logique et de l'art, une sphère de liberté idéale, dont il n'eut qu'un sentiment trop mystique. L'influence de ses idées, d'abord mutilées par Victor Cousin, reparut ensuite: plus d'un philosophe français s'est accordé avec Maine de Biran et avec la philosophie allemande pour supposer, au-dessus du mécanisme logique et de la réalité sensible, une région de liberté qui serait en même temps celle de l'amour compris en son vrai sens. Par là, tout en s'inspirant de la philosophie évangélique et de la philosophie germanique, la philosophie française ne faisait pourtant que revenir à la tradition cartésienne. Descartes, en effet, avait déjà élevé au-dessus du mécanisme matériel une pensée qui, elle-même, lui semblait subordonnée à la liberté. Descartes avait même fait consister cette liberté dans une volonté indéterminée et indéterminable. La subordination de la pensée à la volonté, selon lui, existait non seulement dans l'homme, mais en Dieu même. Pascal, à son tour, admit trois ordres: l'un où tout est mouvement, l'autre où tout est pensée, l'autre où règne la «charité.» Enfin l'idée non plus mystique, mais pratique, de la liberté individuelle, avec celle du droit qui s'y rattache, puis l'idée de fraternité universelle, avec celle d'association qui en dérive, devinrent les conceptions dominantes de la philosophie française au dix-huitième siècle, de la Révolution française et des écoles politiques de notre époque qui ont développé les principes de la Révolution. C'est aux Français que Kant et Fichte empruntèrent, en grande partie, leur métaphysique du droit et leur philosophie de la liberté dans l'ordre social. Si on songe de plus à l'influence jadis exercée par Descartes sur Leibnitz, on reconnaîtra que la France n'avait qu'à conserver et à développer, dans l'ordre philosophique, sa propre tradition, pour s'accorder sur plus d'un point capital avec les écoles allemandes. On peut ajouter que l'idée directrice de la France, étant celle de liberté et par cela même de fraternité, est l'idée directrice de l'humanité même: notre idée nationale est précisément l'idée humaine[165]. La philosophie allemande, au contraire, s'en est tenue de préférence, dans le domaine social et politique, aux catégories de la nécessité logique et mécanique, de la science et de la force. Abandonnant à la sphère mystique de la religion la liberté idéale et «intelligible,» elle a cherché surtout son modèle pratique dans le mécanisme de la matière ou dans les lois de l'organisme vivant. L'unité qu'elle semble aujourd'hui poursuivre dans l'ordre social est celle qui subordonne les moyens aux fins comme les effets aux causes, les parties au tout, l'individu à l'État, les États faibles aux États forts, les races prétendues inférieures aux races supérieures: la science et l'art y priment la morale. Si un peuple vaut surtout par son idée directrice, et si l'idée de liberté ou de fraternité est la vraie puissance à laquelle appartient l'avenir, quelles que soient, dans le présent, les apparences contraires, ce n'est pas à l'Allemagne, c'est à la France qu'appartiendra sans doute la plus haute victoire.
L'Angleterre, dans l'ordre philosophique, a surtout étudié jusqu'ici le mécanisme des phénomènes ou des sensations. Cependant, ses plus récents philosophes admettent, sous l'enveloppe extérieure des choses, un dynamisme interne, dont la forme expérimentale est l'énergie musculaire; c'est là une conception qui n'est pas sans analogie avec la doctrine de Biran. En même temps, les penseurs anglais qui s'élèvent à des vues systématiques représentent l'universelle évolution, à la fois mécanique par l'extérieur et psychique par l'intérieur, comme le «symbole» d'une réalité absolue et inconditionnelle, qui est pour nous l'Inconnaissable. Il n'est pas difficile de reconnaître dans ce principe le noumène de Kant. Tel est, selon M. Spencer, l'indestructible fondement des spéculations qui se retrouvent dans toutes les philosophies et dans toutes les religions. Le nom que M. Spencer donne à la réalité persistante et éternelle, c'est la Force,—non la force à nous connue, mais la force inconnue et inconnaissable. Il n'y a pas grande différence entre cette Force universelle et la Volonté universelle de Schopenhauer; comme, de plus, elle est «absolue» et «inconditionnée,» tout en étant «conditionnante,» on pourrait lui donner sans inconvénient, avec la philosophie allemande, le nom également symbolique de liberté, qui exprime simplement en langage humain l'antithèse de l'activité primitive avec le conditionné et le nécessité. Mais les Anglais n'aiment pas ce mot, du moins en métaphysique et en morale. Dans leur physique des mœurs, ils ne font même pas figurer la liberté comme idéal, comme puissance de désintéressement et de vouloir universel. A l'exemple des Anciens, ils ramènent la morale tout entière à la science ou à l'art, sans se demander si elle n'exprimerait pas, au moins «symboliquement», quelque idéal supérieur. Il en résulte que, dans l'ordre social, la liberté demeure pour eux un moyen, non une fin: elle n'a de valeur que comme le plus utile instrument du bien-être individuel ou collectif. C'est au fond l'idée de l'utile qui est pour eux, dans la pratique, l'idée directrice. Malgré leur libéralisme si sincère, ils ne comprennent guère l'idéal moral d'une liberté absolument désintéressée, qui serait par elle-même sacrée et aimable. La notion de la moralité proprement dite disparaît à leurs yeux comme principe à part et original; l'éthique n'est plus qu'une science ou un art analogue aux autres, simple extension de la physiologie, de l'hygiène et de la sociologie.
Le défaut commun des divers systèmes métaphysiques dont nous venons de faire l'esquisse rapide, c'est, si nous ne nous trompons, le vide ou l'hiatus qu'ils laissent subsister entre la réalité et l'idéal, entre le relatif et l'«absolu,» entre le phénomène et le «noumène,» entre le connaissable et l'«inconnaissable.» La région de l'idéal demeure, soit un domaine mystique et transcendant, livré aux rêves de la foi, soit une nuit impénétrable dont ne peut nous venir rien d'utile pour la connaissance ou pour l'action. La liberté intelligible des Allemands est aussi oisive que les dieux d'Epicure; elle n'est que la totalité de l'univers ou l'unité dont le tout dérive, et on ne voit pas comment elle peut descendre dans l'homme. De même, l'inconnaissable et l'inconditionnel des Anglais est un X dont il n'y a plus à s'occuper, même en morale, une fois qu'on l'a placé, énigme insoluble, au commencement du livre de la science. Le déterminisme règne, exclusivement et sans restriction, sur la pratique comme sur la théorie. Seule, la philosophie française de nos jours s'efforce de maintenir, surtout en morale, une liberté plus pratique et moins transcendante, mais elle la représente sous la forme antiscientifique du libre arbitre. De là, entre la morale et la science, une opposition inconciliable.
Un problème se pose donc à notre époque: ne pourrait-on conserver la liberté, au moins comme idéal, dans la théorie, et donner à cet idéal un rôle actif, humain, individuel, de manière à réconcilier, sur le plus vaste terrain possible, le déterminisme et la liberté?—C'est pour contribuer à cette conciliation progressive que nous avons cherché, dans le livre qu'on vient de lire, à rapprocher peu à peu les systèmes adverses.
II.—Toutes les doctrines métaphysiques relatives à la nature de l'activité aboutissent également à quelque notion ultime et incompréhensible à laquelle elles subordonnent le reste. Si on abstrait ce que les notions dernières des systèmes ont de différent, on aura peut-être un résidu commun. Or, dans la question qui nous occupe, les éléments ultimes des systèmes nous ont paru être la notion d'une activité indéterminée, celle d'une activité déterminée et celle d'une activité déterminante; en d'autres termes, l'indifférence, la nécessité, la liberté. Mais l'indéterminé n'est qu'une notion secondaire, qui suppose une notion supérieure: nous l'avons vu, une cause n'est indéterminée que par rapport aux causes étrangères, ou par rapport aux effets qu'elle produit, en ce sens qu'elle n'est pas déterminée par eux; elle n'est pas pour cela en elle-même indétermination absolue. Le système de l'indifférence a donc pour résidu l'idée d'une puissance qui ne serait pas déterminée, mais déterminerait ses propres actes, c'est-à-dire, au fond, l'idée de l'indépendance, de la liberté. Quant au système de la nécessité, il faut savoir d'abord s'il s'agit une nécessité relative et empirique, ou d'une nécessité absolue et métaphysique. Rien n'empêche, nous l'avons vu, d'admettre la nécessité comme loi des effets ou des moyens, c'est-à-dire d'admettre que les effets sont déterminés par une cause supérieure, et que les moyens sont déterminés par la fin: cette conception des effets et des moyens comme conditionnés ou nécessités, chacun par rapport aux autres et tous par rapport à une cause supérieure, n'exclut pas la possibilité de la liberté dans la cause même. Bien plus, si par hypothèse la cause est libre, il faudra précisément que cette dépendance complète existe dans les effets. Le vrai fatalisme est celui qui soutient que le dernier mot des choses n'est pas seulement une nécessité relative, laquelle pourrait dépendre encore de quelque liberté radicale, mais une nécessité absolue et radicale elle-même. Or, ce principe suprême dont les fatalistes font la loi et l'unité de l'univers, est une puissance nécessitante, déterminante, sorte de destin qui nous offre encore pour résidu un je ne sais quoi dont dépend tout le reste. Ainsi, la nécessité ne peut exclure toute liberté que si elle s'érige en absolu, et elle ne peut s'ériger en absolu que si elle se confond pour nous avec l'indépendance. En un mot, le déterminé et le non-déterminé semblent avoir pour principe le déterminant. Une idée plus ou moins vague d'indépendance et de liberté, idée problématique d'ailleurs et comme parabolique, se trouve être ainsi l'élément dernier des systèmes. On devait s'y attendre, puisque cette idée est le produit dernier de notre pensée même: le principe de causalité métaphysique n'en est que l'expression abstraite.
L'idée de liberté, comme elle nous a paru être au fond de ce qu'on nomme la «raison», nous a paru être aussi au fond de la conscience. A ce point de vue, elle est déjà moins abstraite et moins négative: elle est ce que nous désignons par le mot moi, marque de notre personnalité en face des choses extérieures, en face de l'univers. Par une intuition naturelle ou par une illusion naturelle, nous nous représentons notre activité propre sous l'idée de liberté: il nous semble qu'il y a en nous une indépendance individuelle qui consiste, non pas à exclure toute dépendance sous quelque rapport que ce soit, mais à s'affranchir progressivement de toutes les dépendances; c'est une puissance indéfinie, sinon infinie, qui nous semble pouvoir surmonter successivement tous les obstacles.
Cette idée de liberté, où coïncident la «raison» et la «conscience» mal à propos séparées par tant de psychologues, est-elle finalement démentie ou vérifiée par l'observation et par les lois de la nature, soit physiques, soit psychologiques?—Telle est la question fondamentale où se concentre tout le débat entre les systèmes adverses.
Nous avons rétabli d'abord, dans le domaine même des faits psychologiques, un élément essentiel dont l'oubli rendait suspects d'erreur tous les raisonnements des déterministes: l'influence exercée par l'idée même de la liberté. Cette idée, entre la liberté et la nécessité, est évidemment un intermédiaire. Quelle qu'en soit la valeur objective, qu'on y voie le plus sublime produit de la nécessité ou l'obscure conscience d'une liberté réelle, il est incontestable que cette idée existe et agit dans tous les esprits: elle offre donc aux déterministes et à leurs adversaires un terrain commun où ils peuvent déjà se rencontrer. Et ce terrain est celui des faits ou de l'expérience, de ce qu'on appelle la connaissance positive, qui exprime les relations vérifiables des choses, non leur essence absolue.
Dans cette sphère de l'expérience, la notion de liberté nous a paru en premier lieu une idée-force, qui produit son effet sur le mécanisme même de nos actes, selon la loi de causalité empirique.
Cette loi,—qui est plutôt la loi des effets que celle des causes,—est un rapport de détermination universelle et réciproque, qui fait que la détermination d'une chose dépend de la détermination de toutes les autres. Dans le déterminisme universel, il n'y a aucun vide, aucune solution de continuité, rien de fluide: tout est solide, plein, résistant. Enserrés dans ce monde, nous sommes attachés de toutes parts comme par les «clous de la nécessité»; nous ne paraissons pas seulement emprisonnés, mais comprimés et écrasés entre les murs de notre prison; nous ne pouvons faire un mouvement que si notre prison même, c'est-à-dire l'univers entier, se meut avec nous et nous entraîne avec le reste. A cette condition seulement tout est un, parce que tout se tient; à cette condition seulement le monde peut devenir l'objet d'une pensée une. Il semble donc que la pensée, avec l'universel déterminisme, ait imposé aux choses la loi tyrannique de la fatalité. Tel est le premier moment de la dialectique. Pourtant, malgré la prison qui m'écrase, je trouve une force de résistance dans l'idée même de liberté. Quand j'agis sous cette idée, avec la persuasion que les murs de ma prison peuvent reculer et me permettre un mouvement, ils reculent en effet. Il est vrai que je les retrouve plus loin, mais, là encore, ils semblent de nouveau être mobiles et céder à la force de l'idée. Cette idée de liberté fait donc reculer devant elle les obstacles, et on ne saurait d'avance indiquer, dans l'expérience, une limite intérieure que je ne puisse franchir par la réaction de l'idée sur cette limite même. Bien plus, quand j'accomplis certains actes, je me figure que les murs de la prison intérieure tombent et que l'espace s'ouvre devant moi.
—Illusion, diront les déterministes; les murs existent encore.—Peut-être, mais il en est de cette question comme du problème relatif à l'infinité du monde. Quelqu'un pourrait soutenir que, si j'allais assez loin, je rencontrerais les «murailles du monde»; mais si, en fait, je ne les rencontre jamais, les choses se passent pratiquement comme si ces bornes n'existaient pas.
Par là nous obtenons une liberté relative qui peut se concilier avec le déterminisme relatif. N'est-ce encore simplement qu'une nécessité prenant la forme de la liberté, ou est-ce la liberté prenant la forme de la nécessité?—Question qui concerne l'absolu des choses, et qui doit être réservée jusqu'au moment des spéculations métaphysiques. Tant que, dans l'ordre même de la pratique, il ne deviendra pas nécessaire de prendre un parti sur la nature absolue des objets, nous pourrons admettre d'un commun accord une certaine liberté de fait due à l'idée même de la liberté. En d'autres termes, le déterminisme intellectuel se change inévitablement en une sorte de liberté intellectuelle sous l'idée directrice de liberté[166].
La liberté nous a paru, en second lieu, un objet de désir, conséquemment une fin directrice dont l'influence s'exerce sur nos actes, les règle, y introduit l'harmonie. A ce point de vue, nous avons obtenu une sorte de liberté sensible et esthétique: l'évolution de nos désirs prend, elle aussi, la forme de la liberté quand nous désirons la liberté même. Ici l'indépendance psychologique compatible avec le déterminisme se rapproche davantage d'une liberté vraie, parce que le dynamisme intérieur des désirs et des sentiments enveloppe une plus évidente spontanéité que le mécanisme extérieur. La détermination mécanique n'est que le prolongement du passé; la détermination finaliste a lieu par l'idée et le désir d'une fin à venir. Il ne faut pas croire pour cela, ni qu'elle fasse éclater le mécanisme par une rupture intérieure, ni qu'elle se développe en dehors. Non, elle se développe du dedans même: l'«appétition» se révèle peu à peu comme le fond du mécanisme devenu conscient de son propre ressort et de sa propre direction. La finalité est la sensibilité et l'activité réfléchies sur elles-mêmes par l'intermédiaire de l'intelligence; elle est la pensée et le désir d'un état à venir, qui, ainsi, «devient»; mais cette pensée et ce désir d'un état futur sont actuels; ils sont produits eux-mêmes par la conscience de l'état présent, qui, à son tour, sort du passé. Il n'en est pas moins vrai qu'il y a un progrès du point de vue mécaniste au point de vue finaliste. Dans le déterminisme exclusivement mécaniste et matérialiste, chaque phénomène est l'expression nécessaire de tous les faits extérieurs ou mouvements qui ont été, rien de plus; dans le déterminisme finaliste, le phénomène est l'expression d'un certain principe intérieur toujours présent, qui a fait être le passé et produira l'avenir par la conscience même qu'il acquiert de soi. Le passé, en tant que série de phénomènes mécaniques, n'est plus alors l'expression adéquate du principe qui l'a produit, et l'avenir n'est plus simplement la reproduction mécanique du passé: il y a, dans l'avenir et dans le présent même, quelque chose de plus que dans les phénomènes extérieurs et mouvements du passé; il y a un fond interne qui ne s'est pas épuisé dans les formes antécédentes et qui enveloppe, non un passé toujours répété, mais un avenir vraiment à venir, conséquemment progressif. Quoi qu'il en soit de la finalité hors de nous, il demeure incontestable que, dans notre conscience au moins, le désir de la liberté réalise une sorte de finalité immanente, supérieure au mécanisme brut comme la vie est supérieure à ses propres organes[167].
En troisième lieu, la liberté nous a paru un objet d'amour moral. Ici, le sujet et l'objet ne semblent plus séparés par une aussi grande distance qu'aux autres moments de l'évolution intérieure. L'idée abstraite de liberté semblait trop éloignée d'une liberté réelle; le désir actif de la liberté, quoique plus voisin, semblait encore loin de son objet; dans l'amour de la liberté, le sujet et l'objet tendent à se confondre. En étudiant la notion morale de l'amour désintéressé et universel, nous avons trouvé que l'amour d'autrui ne serait réel qu'autant qu'il serait libre. Maintenant, l'amour vrai, le vrai désintéressement est-il réel en nous? On ne peut le démontrer. Mais à coup sûr, si le déterminisme subsiste encore dans notre amour du bien universel, du moins y a-t-il pris tellement la forme de la liberté que nous pouvons à peine distinguer cette forme du fond même[168].
Considérée dans ce triple rôle, l'idée de liberté nous a fourni une méthode d'approximation indéfinie vers la liberté réelle. Et cette méthode peut être acceptée même par les partisans de la nécessité. Nous y avons trouvé quelque chose d'analogue, en son genre, à la méthode infinitésimale de Leibnitz, qui fournit aux mathématiciens une approximation indéfinie, parce qu'elle permet de diminuer indéfiniment, au-dessous de toute quantité donnée, la différence de la variable et de sa limite.
La vraie et complète liberté envelopperait quelque chose d'absolu, et l'absolu, étant inexplicable, ne peut être l'objet d'une connaissance proprement dite. Donc, la liberté fût-elle certaine, on ne pourrait l'expliquer en elle-même, mais seulement dans ses effets. D'autre part, si ces effets sont explicables, c'est que, étant déterminés les uns par les autres et par leur cause supérieure, ils forment un mécanisme ou un organisme, dont on peut déterminer les ressorts ou les fonctions; ils forment conséquemment un déterminisme. C'est à ce point de vue que nous avons essayé une explication scientifique des formes communes de la liberté et du déterminisme. Cette explication remplit une lacune considérable dans les deux systèmes adverses. La doctrine de la nécessité, en effet, avait besoin de se compléter en montrant comment le déterminisme arrive à prendre l'apparence de la liberté; la doctrine de la liberté, à son tour, devait se compléter en montrant comment la liberté prend l'apparence du déterminisme: par là les deux systèmes devaient aller au-devant l'un de l'autre.
Résumons en un tableau les différents degrés que nous avons parcourus dans cette conciliation progressive, opérée sur le domaine de la science proprement dite.
I. Point de départ métaphysique (et invérifiable) des doctrines
nécessitaires:
Nécessité absolue au fond des choses.
II. Développement scientifique du déterminisme, dans le domaine de la nécessité relative.
1o Déterminisme mécaniste et intellectualiste, fondé sur l'influence nécessitante des idées et des mouvements qui y correspondent. (Démocrite, Hobbes, Spinoza, Leibnitz, etc.)
2o Déterminisme finaliste, fondé sur l'influence nécessitante des désirs. (Platon, les stoïciens, Leibnitz, etc.)
3o Déterminisme moral, fondé sur l'influence nécessitante de l'amour du bien. (Socrate, Platon, les stoïciens, Leibnitz, Spinoza.)
Point culminant atteint jusqu'ici par le déterminisme dans son développement historique: La nécessité morale, telle que l'ont admise les platoniciens, les stoïciens, les spinozistes, les théologiens de la grâce.
III.—Progrès nouveaux que nous avons fait faire au déterminisme, et nouveaux moyens-termes que nous y avons introduits:
1o Rectification du déterminisme mécaniste et intellectualiste par l'introduction de l'idée de liberté et de son influence.—L'idée de liberté est l'équivalent de la liberté dans l'ordre mécanique.
2o Rectification du déterminisme finaliste par le désir de la liberté.—Le désir de la liberté est l'équivalent de la liberté dans l'ordre téléologique et esthétique.
3o Rectification du déterminisme moral par l'amour de la liberté.—L'amour de la liberté est l'équivalent de la liberté dans l'ordre moral.
Point culminant vers lequel nous avons dirigé le déterminisme:
Idéal d'une liberté vraiment morale, qui serait pour l'individu un pouvoir absolu de se déterminer d'une manière désintéressée en vue de l'universel. La liberté morale serait ainsi identique à l'amour moral.
Cette série, reprise en sens inverse, représente les rectifications successives que nous avons introduites dans la doctrine qui admet tout d'abord, au fond de l'être, la liberté.
I. Point de départ métaphysique (et
invérifiable) des partisans de la liberté:
Liberté absolue en elle-même et absolument déterminante.
II. Développement scientifique du système et transformations que nous lui avons fait subir:
1o Liberté se déterminant par l'amour de la liberté universelle. Elle prend alors la forme du déterminisme moral, tel que nous l'avons rectifié en introduisant la liberté parmi les objets d'amour.
2o Liberté se déterminant par le désir de la liberté. Elle produit intérieurement un organisme de moyens en vue d'une fin; c'est l'équivalent de la nécessité téléologique, telle que nous l'avons rectifiée en introduisant la liberté parmi les objets de désir.
3o Liberté se déterminant par l'idée de la liberté. Elle produit intérieurement un mécanisme d'idées et de mouvements. Ce mécanisme équivaut à la nécessité physique et intellectuelle, telle que nous l'avons rectifiée en introduisant parmi les idées et les forces l'idée-force de liberté.
III. Effets de la liberté:
1o Actes d'amour, ayant la forme du déterminisme moral non rectifié, tel que l'ont soutenu Socrate, Platon, etc.
2o Désirs, ayant la forme du déterminisme téléologique ordinaire.
3o Idées, ayant la forme du déterminisme mécaniste ou intellectualiste ordinaire.
Terme final auquel doit tendre la doctrine de la liberté pour se réconcilier avec la science:—Déterminisme universel des phénomènes, objet de la science.
Grâce à l'intercalation de ces moyens-termes successifs, on voit que les deux systèmes adverses coïncident dans toute la partie vraiment scientifique qui s'étend entre ces deux extrêmes: nécessité absolue et liberté absolue.
III.—Si maintenant nous nous élevons au point de vue métaphysique, quelles sont les conclusions qui semblent ressortir de la précédente analyse? A ce point de vue supérieur, le déterminisme mécanique, le déterminisme physiologique et le déterminisme sociologique apparaissent comme les simples formes ou les enveloppes d'une évolution qui doit avoir un principe plus intime. Ne voir que ces formes externes du déterminisme, c'est se mettre dans l'impossibilité d'expliquer tout le contenu de l'action mentale et morale, car la conscience est, en elle-même, plus que mécanique, plus que physiologique, plus que sociologique. Il faut tout au moins, comme nous l'avons fait, s'élever à un déterminisme idéaliste ou, si l'on préfère, idéel: il faut accorder une certaine force efficace aux idées, non plus seulement à ces relations changeantes dans le temps et dans l'espace que nous appelons mouvements. Dans ce déterminisme idéel, l'idée du moi passible, en prenant conscience de soi par une réflexion progressive, étend de plus en plus profondément son influence: elle rend le moi actuel de plus en plus indépendant de ce monde dont il fut d'abord une expression particulière et une résultante[169]. Nécessaire d'abord sous tous les rapports, la détermination humaine paraît alors s'affranchir à l'égard des nécessités mécaniques, physiologiques, sociales, pour se rattacher à des nécessités supérieures, qui elles-mêmes sont plus voisines d'un idéal de liberté et de moralité. Ainsi se réalise un indéterminisme relatif, compatible avec le déterminisme: le tissu des choses offre la flexibilité de la vie intérieure, non plus la rigidité d'une machine où les rouages sont tous extérieurs. Le déterminisme s'assouplit indéfiniment; il s'amincit en une relation d'idées à idées, encore déterminée sans doute, mais pourtant subtile et fluide: c'est d'abord la relation de l'idée du moi donné à l'idée du moi possible, puis la relation de ces deux idées à celle de l'universel. Vue du dehors, cette relation tout intellectuelle apparaît comme une solution de continuité: elle semble produire une déchirure dans le tissu matériel de l'action, en tant que ce tissu est considéré mécaniquement comme une énergie qui se conserve (mv2), ou physiologiquement comme une quantité de force nerveuse qui circule, ou sociologiquement comme une rencontre particulière de lois générales et sociales. Mais au dedans, l'harmonie subsiste entre toutes les formes de l'existence: tout est régulier et concordant; seulement, le grand ressort est devenu intellectuel au lieu de rester physique.
Ce déterminisme des idées, à son tour, quelque profond qu'il soit, n'est pas encore, pour le métaphysicien, adéquat au fond de la réalité, parce que l'idée est encore une forme de la conscience. Cette forme doit recouvrir quelque chose de plus fondamental qu'elle-même; elle suppose une énergie primitive, dont nous avons l'obscur sentiment dans le désir et dans le vouloir.
Le fond de la conscience, le psychique, voilà ce qui est vraiment irréductible au mécanisme physique, physiologique, sociologique. L'idée de liberté, c'est précisément la réflexion de la conscience sur soi par laquelle elle se conçoit comme dépassant, en son fond, toutes ses formes particulières. Dès lors la question métaphysique vient se concentrer sur ce point:—Est-ce dans le conscient et le mental qu'il faut placer l'action et la réalité, dont les forces mécaniques et physiologiques seraient elles-mêmes des dérivés et des manifestations inférieures; ou faut-il, au contraire, faire du mental une pure fantasmagorie, un «reflet,» une ombre du physique? Tout change évidemment selon l'orientation qu'on donne au courant des phénomènes et à leur déterminisme: les uns placent l'origine de ce courant dans le matériel et le mécanique, les autres la placent dans le mental. En ce dernier cas, le pôle prétendu négatif devient le pôle positif. Les deux systèmes diversement orientés coïncident par le milieu; mais la divergence se produit quand il s'agit de savoir si c'est le mécanique qui est positif et le mental négatif, ou si c'est le contraire.
Selon nous, dans ce dernier problème, l'avantage reste au mental. En premier lieu, sans le mental nous ne concevrions même pas le physique, dont la représentation est faite d'états de conscience. En second lieu, le déterminisme mental lui-même, a sa limite dans la conscience, dont il ne parvient pas à expliquer le fond et dont il explique seulement les formes ou les relations extérieures. En troisième lieu, une limite analogue et toute mentale s'impose à la science de la nature, qui n'atteint que les phénomènes et leurs rapports, non l'être et l'action. Cette limite apparaît d'abord dans l'ordre de la causalité. Précisément parce que les liens de cause à effet établis par la science ont un caractère de nécessité, ils expriment non l'absolu, mais des relations, et ils sont eux-mêmes relatifs; les lois nécessaires de la science sont les lois nécessaires de ce qu'on a justement appelé la relativité de notre connaissance; les modernes confondent à tort ce que les anciens avaient soin de séparer, le nécessaire et l'absolu: le nécessaire est le déterminisme même, l'absolu en est la limite idéale. Si donc nous déclarons tout nécessaire et relatif dans notre connaissance, c'est que nous concevons par antithèse une réalité qui ne serait plus ni relative, ni déterminée, mais absolue et déterminante dans l'ordre de la causalité: cette réalité serait la vraie cause, qui ne peut se concevoir sans une forme physique et qui ne ferait qu'un avec la liberté[170]. De même, dans l'ordre de la finalité, les nécessités sont encore relatives: nous les subordonnons à l'idée d'une réalité qui suffirait au reste et se suffirait à elle-même: ce serait la «fin absolue», identique encore à la liberté[171]. Enfin, dans l'ordre moral, la vraie moralité serait la puissance (plus que physique) de se déterminer en vue de l'universel, d'une manière désintéressée, avec la conscience de son indépendance par rapport à toute cause étrangère. La pensée aboutit donc par toutes les voies à un même idéal; elle impose une même limite à toutes les formes du déterminisme, et l'«au delà» qu'elle conçoit, elle ne peut se le représenter que comme l'affranchissement de cette activité mentale qui semble faire le fond de toute conscience. A ces divers points de vue, le moral est supérieur au physique.
Ce n'est pas tout. Puisque l'idéal moral peut être ainsi conçu par la réalité, puisque de plus cet idéal, en se concevant lui-même, se réalise progressivement et pénètre en nous, le métaphysicien peut en induire qu'il n'est pas une pure chimère. La réalité n'est pas en contradiction absolue avec une liberté progressive: elle enveloppe une puissance de liberté, c'est-à-dire d'union consciente avec le tout et d'affranchissement moral. Le vrai vouloir, dès qu'il n'est plus empêché, entravé par les fatalités du dehors, se manifeste comme désir d'union, d'équilibre, de paix, ou, si l'on veut, d'amour mutuel et de mutuel bonheur. Par cela même, c'est un bon vouloir, ou tout au moins c'en est le germe.
Si un matérialisme brut et un fatalisme absolu au fond des choses étaient pour le métaphysicien vérité démontrée, la perspective ouverte par l'idée de liberté deviendrait illusoire en tant qu'indéfinie et illimitée; il ne resterait que la perspective d'un déterminisme de plus en plus mobile, automoteur par la conscience de soi-même, sorte d'image et de substitut de la liberté. Mais le matérialisme absolu n'est pas démontré; la simple possibilité d'une liberté supérieure, le simple «peut-être,» suffit déjà à rendre la personne humaine sacrée pour soi, sacrée pour autrui, jusqu'au jour problématique où le matérialisme aura prouvé qu'il connaît le fond absolu des choses, qu'il est la science absolue[172]. Si une telle science est impossible, il reste permis de croire que le fond des choses est une activité tendant vers la liberté, vers l'amour, vers le bonheur. Le métaphysicien ne peut se représenter cette activité sous les formes passives de la matière extérieure; il ne peut non plus concevoir la liberté à laquelle elle tend comme une chose qu'on trouverait toute faite et toute déterminée; il est donc obligé de se représenter la volonté comme un principe vivant qui se fait et se détermine lui-même par la pensée, par le désir, par l'amour, et qui est tout entier dans l'action: «Au commencement, dit Goethe, était l'action.»
Nous arrivons au vrai et dernier problème métaphysique. Nous avons montré que, par le progrès de la liaison des faits entre eux, puis des faits avec les idées, puis des idées entre elles, puis des idées particulières avec l'idée de l'univers et de son unité, l'homme pouvait réaliser une liberté croissante; mais l'unité de l'univers, fin du vouloir, est-elle dès à présent une réalité? est-elle un principe transcendant antérieur à l'évolution même du monde et qui la règle, qui la détermine d'avance, qui produit par cela même une prédétermination, une prédestination universelle, comme la providence des théologiens? Ou, au contraire, l'unité de l'univers est-elle seulement un idéal, c'est-à-dire le résultat imparfait encore et progressivement réalisable des destinées individuelles? En un mot, la volonté universelle est-elle déjà faite, ou se fait-elle? et, si elle n'est pas faite, est-il certain qu'elle se fera?
Selon nous, l'unité du monde est un idéal, et un idéal problématique. Réaliser la liberté absolue hors de la nature, dans une divinité transcendante, c'est déplacer le problème sans le résoudre, c'est doubler l'être, comme Platon, pour l'expliquer, et c'est aussi doubler la difficulté. Bien plus, c'est, semble-t-il, la rendre insoluble par les termes mêmes: car, si la liberté absolue était déjà réalisée quelque part, elle le serait partout et en tout, elle n'aurait plus rien à faire: une liberté absolue, réelle et parfaite à la fois, ne pourrait trouver ni en soi ni hors de soi aucune borne à son action, à son entier épanouissement[173]. La catégorie de l'existence réelle ne semble donc point convenir à l'idée de la liberté: celle-ci ne peut être conçue par nous, en sa perfection, que sous la catégorie de l'idéal, en son imperfection, que sous celle du devenir. Autant est inintelligible une bonne volonté parfaite et parfaitement puissante, qui cependant n'arrive pas à réaliser ce qu'elle veut, autant il est plausible d'admettre au fond de la nature une bonne volonté soumise au temps, et qui ne peut réaliser que progressivement ce à quoi elle aspire.
Puisque l'unité du monde n'est qu'un idéal, il n'est pas certain que cet idéal soit jamais réalisé. Il y a, aux yeux de l'homme, possibilité de progrès pour les êtres qui composent le monde, parce que la réalité actuelle ne lui paraît pas adéquate à toute la réalité possible, ni à la réalité que lui-même conçoit; mais il n'y a pas certitude de progrès. Le sort du monde est donc incertain pour l'homme; celui-ci ne saurait assigner d'avance jusqu'à la fin la courbe de la destinée universelle, d'autant que cette courbe est réellement sans fin et que l'infinité échappe à ses calculs.—Cette incertitude existe-t-elle non seulement pour l'homme, mais pour n'importe quelle intelligence, fût-ce l'intelligence universelle?—Peut-être, si l'intelligence n'embrasse pas tout, n'épuise pas l'infinité et vient, en quelque sorte, se heurter à un fond inconnaissable qui la dépassera toujours.—Mais ce fond, en admettant qu'il existe, est-il lui-même indéterminé ou déterminé?—Comment répondre, puisque l'intelligence ne saisit que la détermination et conçoit l'indéterminé par une voie toute négative, indirecte, bâtarde, comme une sorte de négation d'elle-même? Un tel problème est insoluble en vertu même des lois de l'intelligence, et l'intelligence ne le pose que pour se poser une limite à elle-même. Cette limite hypothétique est pratiquement utile, parce qu'elle laisse concevoir, au delà du réel, une possibilité problématique qui peut être une possibilité de progrès indéfini. Dans cette incertitude, soit relative à nous, soit absolue, nous n'avons que deux partis à prendre: nous contenter du réel ou essayer de réaliser l'idéal, à nos risques et périls, avec l'espoir que la nature pourra fournir autant et plus que notre pensée peut concevoir.
Dans cette dernière hypothèse, le monde serait une vaste société, une république universelle en voie de formation. Au début, guerre universelle des forces, fatalité brutale, mêlée infinie des êtres s'entrechoquant sans se connaître, par une sorte de malentendu et d'aveuglement; puis organisation progressive, qui permet le dégagement des consciences et par cela même des volontés; union progressive des êtres se reconnaissant peu à peu pour frères. La mauvaise volonté serait transitoire et naîtrait, soit des nécessités mécaniques, soit de l'ignorance intellectuelle; la bonne volonté, au contraire, serait permanente, radicale, normale, et viendrait du fond même de l'être. La dégager en soi, ce serait s'affranchir du passager et de l'individuel au profit du permanent et de l'universel. Ce serait devenir vraiment libre et par cela même ce serait devenir aimant. La lutte pour la vie est la formule de la nature, l'union pour la vie est la formule de l'idéal, mais l'une n'est peut-être que le premier moment d'une évolution dont l'autre est le dernier. Je suis au milieu de nécessités sans nombre: mais enfin, si par quelque côté je suis, c'est sans doute que, par ce côté, je domine les nécessités extérieures. Je ressemble à un homme qui, au milieu des flots qui le ballottent, parvient cependant à lever la tête au-dessus des vagues; s'il surnage, il vit; s'il est englouti, il est mort. Je surnage par l'idée et le désir de l'universelle liberté.
Le problème relatif à la nature absolue de l'être,—liberté ou nécessité,—n'intéresserait que la spéculation métaphysique si la science et l'art pouvaient absorber en eux toute la morale. La science «positive,» en effet, se réduit à la science relative: si donc elle était tout, parler de liberté serait chose absurde. Quant à la pratique, «positive,» lorsqu'elle n'a pour objet que l'utile, elle nous laisse encore en pleine relativité, et la liberté absolue est ici ce qu'il y a de plus inutile. C'est seulement dans l'ordre moral que le doute spéculatif relativement à la nature dernière de l'activité devient un objet de trouble et d'inquiétude: car, en vertu même de notre théorie sur l'influence des idées, la pratique morale devra changer selon l'idée spéculative de la liberté morale. Quand, pour constituer la science, l'esprit a lié les choses par une relation nécessaire, le monde semble achevé et tout y paraît réduit à l'unité; mais, dès que la question morale se pose et que notre intérêt se trouve en formelle contradiction avec l'intérêt d'autrui, cette apparente unité du monde de la science se divise, se dissout, laisse apercevoir un abîme entre les intérêts individuels. L'unité physique n'empêche pas la division morale de subsister, la combinaison mécanique des molécules est encore une collision de forces, le concert organique des êtres vivants est encore une lutte pour la vie. Une dernière unité manque au système de l'univers: c'est celle que les êtres seuls pourraient produire en s'unissant l'un à l'autre et en identifiant leur intérêt personnel avec le bien universel[174]. Dans tout problème vraiment moral, là où l'utilitarisme cesse de fournir la solution de l'antinomie entre notre bonheur et le bonheur de tous, nous sommes mis en demeure de prendre parti pour l'unité physique ou pour l'unité morale du monde, pour le règne de la force ou pour le règne du droit et de la fraternité, qui serait aussi le règne de la liberté. Il faut agir alors comme si la liberté était réalisable ou comme si elle était irréalisable; il faut faire une affirmation ou une négation pratique et symbolique de la liberté.
Pour que l'affirmation pratique de la liberté fût elle-même conforme à ce que son objet exige, il faudrait qu'elle fût libre. L'affirmation certaine de la liberté, en effet, supposerait une conscience certaine de la liberté; cette conscience, à son tour, n'existerait que dans un acte certain de désintéressement ou de vraie «charité,» seule réalisation complète de la liberté véritable. La charité ne peut se prouver que par ses œuvres, la liberté ne peut se prouver que par l'action, où elle se réalise en se concevant, où elle se conçoit en se réalisant. Toute démonstration purement logique irait contre son objet en voulant faire dépendre l'indépendance de quelque autre chose, en voulant rendre nécessaire la liberté. Et de même, si on voulait démontrer par quelle nécessité j'aime autrui, on aurait démontré par quelle nécessité je n'aime pas. Les clartés de la logique abstraite ou de la mécanique, tournées vers le dehors, seraient ici des obscurités. L'amour désintéressé, s'il existe, ne pourra se voir et s'affirmer lui-même qu'en se voulant et en se créant lui-même. Prends garde, ô Psyché trop curieuse! la lampe que tes mains tiennent, alimentée par les choses extérieures, n'a qu'une flamme propre à éclairer l'extérieur: devant elle l'amour s'évanouit; si tu veux voir l'amour, regarde dans ton cœur.
Aussi, tant que notre volonté n'aime pas, tant qu'elle n'existe que pour elle-même, elle peut douter d'elle-même, par une sorte de faiblesse apparente qui contient peut-être le secret de sa force morale; en voulant se poser seule, dans un isolement égoïste, il semble que la liberté arrive à se détruire: c'est peut-être qu'elle est, par essence, universelle. Mais notre confiance croît dans notre liberté quand elle devient nécessaire pour les autres, nécessaire pour le dévouement, nécessaire pour l'amour. C'est alors, c'est en se donnant à autrui, que la liberté se trouve le mieux elle-même. Par une étonnante union des contraires dans la sphère morale, le seul acte où je pourrais vraiment prendre possession de ma personnalité, ce serait celui où je me rendrais le plus impersonnel; l'acte où je serais le plus libre, ce serait celui où je m'attacherais à autrui: c'est seulement si je puis renoncer à moi-même que je serai enfin moi-même. L'individualité la plus haute serait, ainsi la plus haute universalité, et la suprême exaltation des personnes serait la suprême union des personnes. Par l'acte moral de dévouement, nous travaillons à cette union progressive, à cette pénétration mutuelle des volontés, à cette sorte de république où tous seraient libres, égaux et frères. Avons-nous la certitude que notre dévouement ne sera pas vain? Avons-nous même la certitude que notre désintéressement est réel, ou réellement libre? Non; cependant nous agissons, et cette action dans l'incertitude est peut-être elle-même une forme supérieure du désintéressement. La plus problématique des idées spéculatives, celle de liberté, vient se confondre avec l'acte le plus pratique de la moralité. Où cesse la science doit commencer la métaphysique, et surtout cette métaphysique en action, plus profonde peut-être que la métaphysique abstraite, cette poésie de la vie, plus inspirée peut-être que la science: vertu, dévouement, amour d'autrui.
En définitive, plus les écoles positivistes et utilitaires de notre époque nous montrent dans toutes les actions la part de l'instinctif égoïsme, même sous les formes supérieures de l'«altruisme,» plus éclate le contraste de la réalité mieux connue avec l'idéal vraiment moral que l'humanité s'obstine à poursuivre. Cet idéal existe tout au moins dans l'intelligence, et nous avons maintenant le droit de dire que, de là, il peut passer dans les actes. Le philosophe antique qui fut le plus épris du monde des idées, Platon, n'avait donc pas tort d'opposer à la Nécessité l'Intelligence, et de croire qu'on devient peu à peu semblable à l'idéal que l'on contemple.
Prométhée semble fixé pour jamais au dur rocher de la matière: les liens de la Nécessité l'enveloppent de toutes parts; il regarde autour de lui et ne voit rien qui puisse faire tomber ses chaînes; sa première pensée est une pensée de découragement, ses premières paroles sont des plaintes: «Éther immense, vents à l'aile rapide, sources des fleuves, innombrables ondulations des flots de la mer, voyez comment les dieux traitent un dieu!» Il semble que le jour qui doit terminer ce supplice ne se lèvera jamais.—Pourtant, dans ce corps captif une pensée habite qui ne connaît point de bornes, qui soumet toutes choses, même l'avenir, à ses propres lois, qui pénètre les secrets de la nécessité même, qui domine le temps, l'espace et le nombre, séjour de servitude, et qui entrevoit l'infini, sphère de liberté. L'idée de liberté est l'étincelle inextinguible ravie au foyer des dieux. A cette idée répond un désir que rien de borné ne peut satisfaire; mais ce désir insatiable, qui l'ait le supplice de Prométhée, prépare aussi sa délivrance: le dieu esclave porte déjà la liberté dans sa pensée et dans son cœur. La nécessité, du jour où elle a été comprise par l'intelligence, commence à être vaincue: savoir comment les liens sont noués, c'est savoir aussi comment on peut les dénouer. L'un après l'autre, en effet, Prométhée les dénoue: par la science, par les arts, il semble rendre ses chaînes plus flexibles et recouvrer peu à peu la liberté de ses mouvements. Néanmoins, ses liens ont beau devenir de plus en plus ténus et presque invisibles, il les retrouve par la réflexion, il les retrouve toujours. En même temps qu'il s'y voit enveloppé, il y voit aussi tous les autres hommes: il voit s'agiter, il voit souffrir ceux qui ont reçu le feu du ciel; il entend autour de lui non pas seulement les gémissements de la nature, mais ceux de l'humanité, océan dont les plaintes répondent aux siennes; il s'oublie en entendant la voix de ses frères; en apercevant les chaînes où ils se débattent, il ne voit plus celles dont il est lui-même entouré; sa pensée et son cœur volent vers eux: il voudrait les secourir. Un dernier et inflexible lien le retient encore; un infranchissable obstacle le sépare de ceux qu'il voudrait sauver par son propre sacrifice. Pourtant, la merveille que la pensée et le désir cherchaient en vain, un suprême élan de l'amour paraît l'avoir accomplie: en voulant faire tomber les chaînes de ses frères, Prométhée a fait tomber les siennes; il est près d'eux, il est à eux, il est en eux: autant qu'il est possible à l'homme, il est libre.
FIN