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43° de latitude sud

La pluie s’abattait violemment sur Quellón, et la route du bord de mer, légèrement éclairée, subissait les assauts de la houle. Le vacarme du gréement des bateaux amarrés à quai était porté par le vent jusqu’aux fenêtres de la pension Anita et, à travers, on ne voyait que l’eau dévalant à torrents sur les vitres.

La Kia aux vitres teintées avança lentement sous la pluie et vint s’immobiliser à vingt mètres de la pension.

– Bon. Passons à l’étape suivante, murmura Salamendi.

– Allons-y, alors, acquiesça Espinoza en ouvrant sa portière.

Les deux hommes se dirigèrent d’un pas rapide vers la pension, la foudre déchirant l’horizon marin arracha un éclat aux pistolets-mitrailleurs Uzi qu’ils tenaient à la main et, en atteignant la porte, ils étaient trempés jusqu’aux os.

Verónica ouvrit les yeux dans la pénombre. Le claquement qui l’avait arrachée au sommeil n’appartenait pas aux bruits de l’orage ni aux craquements familiers de cette maison en bois. Elle glissa sa main droite sous l’oreiller, sentit au creux de sa paume la surface rugueuse de la crosse du Makarov et se leva à la faveur d’un grondement du tonnerre.

Elle se tenait debout, son pistolet braqué sur la porte, quand un nouvel éclair illumina la chambre, la porte s’ouvrit brusquement et Pedro de Valdivia s’effondra sur le lit. Elle vit les deux hommes armés et tira.

Salamendi reçut la balle dans le bras gauche, l’impact le fit tourner sur lui-même et il se rattrapa au mur pour ne pas tomber.

– Lâche ton flingue ou je la tue, ordonna Espinoza en s’abritant derrière doña Anita, le canon de son Uzi calé sous le menton de la vieille dame.

– Elle ne parle pas, fils de pute, cria Pedro de Valdivia.

Verónica se rendit compte que son ami se tenait la cuisse droite à deux mains et que son pantalon était trempé de sang. Elle laissa tomber le pistolet et accueillit dans ses bras doña Anita, qui tremblait en retenant ses pleurs.

– Un Makarov. Une putain de pièce de musée, s’exclama Espinoza en ramassant l’arme.

Verónica fit asseoir doña Anita sur le lit et se précipita au secours de Pedro de Valdivia. Elle déchira un drap, lui posa un garrot et vérifia que le projectile avait bien laissé deux orifices, d’entrée et de sortie. El Petiso découvrit un éclat nouveau dans les yeux de la femme : une haine capable de vous foudroyer d’un regard.

– Tu tiens le coup ? demanda Espinoza à son compagnon.

– Elle m’a arraché un sacré bout de viande, répondit l’autre.

Espinoza ordonna à doña Anita d’aller chercher sa trousse de premiers secours, mais la femme n’eut pas la force de se lever, elle tremblait et gémissait.

– Venez avec nous, on va y aller. Et pas de coup tordu, lança-t-il à Verónica.

– Vous allez le payer, sales fils de pute, assura Pedro de Valdivia.

Ils revinrent avec la trousse, Verónica désinfecta les blessures de Pedro de Valdivia, puis posa un bandage sur la cuisse de son ami.

– Occupe-toi de mon camarade, maintenant, ordonna Espinoza.

Salamendi sourit en la voyant approcher avec les ciseaux et la regarda découper le blouson de cuir et la chemise, jusqu’à ce que la blessure se retrouve à découvert. La balle avait arraché plusieurs millimètres de chair et de tissu.

– Si vous aviez tiré un mètre plus loin, vous m’auriez dégommé le cœur, señora. Mais c’est un Makarov et, dès la sortie du canon, ses balles décrivent une parabole horizontale. Belmonte ne vous a pas appris ça ?

– Prends-t-en à moi, sale dégonflé, cracha Pedro de Valdivia.

Espinoza s’assit près de doña Anita, lui offrit un mouchoir pour qu’elle essuie ses larmes et lui caressa les mains.

– Écoutez-moi, señora. Nous allons emmener ces deux-là dans la maison où ils habitent, à Puerto Carmen. Vous allez rester bien tranquille, personne ne doit savoir ce qui s’est passé, la vie de vos amis dépend de vous. Vous comprenez ? Tenez, sur ce papier il y a un numéro de téléphone, et la seule personne qui doit nous appeler, c’est Belmonte. Si quelqu’un d’autre nous téléphone, vos amis mourront. Ils ont confiance en vous, et nous aussi.

Quand ils ressortirent de la pension Anita, l’orage s’était calmé. Le jour allait bientôt se lever, car les nuits sont courtes durant l’été austral. Serrant dans ses mains le papier que lui avait laissé Espinoza, la vieille dame vit la voiture s’éloigner sur la route côtière déserte.