Otoko avait tendance à maigrir lors des grandes chaleurs de l’été.
À Tôkyô, lorsqu’elle était encore une petite fille, elle ne s’inquiétait guère de cette perte de poids et s’en apercevait pour ainsi dire à peine. Elle n’en eut clairement conscience que vers vingt-deux ou vingt-trois ans, une fois qu’elle se fut installée à Kyôto. Sa mère le lui fit également remarquer.
« Toi aussi, tu maigris en été, n’est-ce pas ? Tu tiens cela de moi, lui disait-elle. Nous avons les mêmes points faibles. Je pensais que tu avais un tempérament très énergique, mais, sur le plan physique, tu es bien ma fille. Il n’y a pas à discuter là-dessus.
— Je n’ai pas le moins du monde un tempérament énergique !
— Tu as un tempérament violent.
— Mais pas du tout ! »
Sans aucun doute, la mère d’Otoko pensait à la liaison de sa fille avec Oki en parlant ainsi de « tempérament énergique » ou « violent ». Mais ne fallait-il pas plutôt voir là l’ardeur d’une jeune fille à qui sa passion avait fait perdre la tête ?
Elles s’étaient installées à Kyôto afin que Otoko y oubliât son chagrin et sa mère, par prudence, avait tenu à ce que ni l’une ni l’autre ne mentionnassent jamais le nom d’Oki. Mais dans cette ville étrangère où elles ne connaissaient personne et où personne, sinon elles-mêmes, ne pouvait consoler leurs deux cœurs blessés, elles ne purent manquer de remarquer que Oki était continuellement présent dans leurs pensées. Pour sa mère, Otoko était comme un miroir où se réfléchissait l’image d’Oki et Otoko voyait sa mère comme un second miroir réfléchissant la même image. Et, à leur tour, les deux miroirs leur renvoyaient leurs images réciproques.
Un jour qu’elle écrivait une lettre, Otoko ouvrit le dictionnaire et son regard tomba sur le caractère chinois signifiant « penser ». Tandis qu’elle lisait des yeux les autres sens de ce caractère, qui peut vouloir dire également « penser beaucoup à quelqu’un », « ne pouvoir oublier » ou encore « être triste », son cœur se serra. Il ne lui était même plus possible de consulter un dictionnaire ; là encore, elle retrouvait Oki. D’innombrables mots la faisaient penser à lui. Pour Otoko, rattacher tout ce qu’elle voyait et tout ce qu’elle entendait à Oki n’était rien de moins que vivre. Si elle avait encore quelque conscience de son corps, c’était bien parce que Oki l’avait étreint et l’avait aimé.
Otoko comprenait parfaitement que sa mère souhaitât la voir oublier Oki. C’était l’unique désir de cette femme seule, sans autre enfant. Mais Otoko, elle, ne souhaitait pas oublier. Ce n’était même pas qu’elle ne pouvait pas oublier, mais bien plutôt qu’elle ne le voulait pas. Elle semblait se raccrocher au souvenir qu’elle gardait d’Oki, comme si vivre sans cela lui eût été impossible. Si elle avait pu, à dix-sept ans, quitter la clinique psychiatrique et sa chambre dont la fenêtre avait des barreaux de fer, ce n’était nullement parce que sa passion pour Oki s’était calmée, mais parce qu’il semblait qu’elle se fût à jamais implantée en elle.
Un jour que Oki lui faisait l’amour, Otoko avait gémi de douleur et l’avait supplié d’arrêter. Oki avait desserré son étreinte, et elle avait ouvert les yeux. Ses prunelles sombres étaient brillantes et comme embuées de larmes.
« Je ne vois pas votre visage, petit garçon. Il est aussi flou que s’il était dans l’eau. » Même dans un moment pareil, la toute jeune fille qu’elle était, avait appelé Oki « petit garçon ».
« Si jamais vous mouriez, je ne pourrais plus vivre, vous savez. C’est vrai, je ne le pourrais plus. » Des larmes brillaient aux coins de ses yeux. Ce n’était pas des larmes de tristesse qui mouillaient ainsi ses yeux, mais des larmes de soulagement.
« Mais alors, si tu meurs, il n’y aura plus personne pour se souvenir de moi, avait dit Oki.
— Si l’homme que j’aime meurt, je ne supporterais pas de continuer à vivre en me souvenant de lui. Je ne le pourrais pas. Je préfère mourir. Vous ne m’en empêcheriez pas, n’est-ce pas ? » Otoko appuya son visage contre la gorge d’Oki et secoua la tête.
Oki garda le silence quelque temps, pensant qu’il ne s’agissait là que des mièvreries d’une jeune fille amoureuse, puis il dit : « Si quelqu’un braquait son revolver sur moi ou me menaçait de son couteau, je suppose que tu n’hésiterais pas à t’interposer entre cet homme et moi pour me protéger ?
— Certainement. Je serais heureuse de donner ma vie pour vous…
— Ce n’était pas à cela que je pensais. Si je me trouvais soudain en danger, est-ce que tu me défendrais tout de suite, sans même réfléchir ? Est-ce que tu te porterais à mon secours sans la moindre hésitation ? »
Otoko acquiesça. « Bien sûr…
— Aucun homme ne ferait cela pour moi. Seule une petite fille comme toi me protégerait, au péril de sa vie !
— Je ne suis pas une petite fille ! Je ne suis pas une petite fille ! répéta Otoko à deux reprises.
— Qu’est-ce donc qui n’est plus petit en toi… ? » dit Oki en cherchant les seins d’Otoko.
Oki songeait à l’enfant qu’attendait alors Otoko. Si lui-même venait soudain à mourir, qu’adviendrait-il de cet enfant et de sa mère ? Mais cela, Otoko ne l’apprit que plus tard, en lisant Une jeune fille de seize ans.
Lorsque sa mère lui avait fait remarquer qu’elle maigrissait durant les grandes chaleurs de l’été, n’avait-elle pas voulu insinuer qu’ainsi ce n’était plus le souvenir d’Oki qui faisait maigrir sa fille ?
Otoko, en dépit de sa constitution délicate, de ses épaules tombantes et de sa fine ossature, n’avait jamais été gravement malade. Naturellement, après son accouchement prématuré, sa séparation d’avec Oki, son suicide manqué, son internement dans une clinique psychiatrique, elle avait maigri, s’était affaiblie et ses yeux brillaient d’un éclat anormal. Néanmoins, son corps avait repris des forces bien avant que son cœur, lui, ne fût guéri. En raison de la vigueur même de son jeune corps, Otoko en venait presque à juger déplacée l’indicible douleur que son cœur continuait à éprouver. Nul ne se serait aperçu de sa tristesse s’il n’y avait eu, lorsqu’elle songeait à Oki, une telle mélancolie dans ses yeux. Mais cette ombre de mélancolie qui se lisait dans son regard et qui n’était autre que son désir d’être aimée, la faisait paraître plus belle encore aux yeux d’autrui.
Petite fille déjà, Otoko savait que sa mère perdait du poids en été. Gentiment, elle essuyait son dos et sa poitrine trempés de sueur, et n’ignorait pas, bien qu’elle n’en parlât point, que la maigreur de sa mère venait de ce qu’elle ne supportait pas la chaleur. Mais Otoko, sans doute en raison de sa jeunesse, ne s’était pas aperçue qu’elle présentait la même disposition que sa mère, jusqu’à ce que celle-ci le lui fît remarquer. Otoko, avant même ses vingt ans, devait déjà avoir tendance à perdre du poids lorsque l’été était trop chaud.
À partir de vingt-cinq ans, elle n’avait plus porté que le kimono, aussi sa minceur était-elle moins apparente que si elle s’était mise en jupe ou en pantalon. Cependant, la maigreur de son corps à certains endroits était tout de même sensible. Cette perte de poids rappelait à Otoko sa mère, morte quelque temps après, et de qui elle avait hérité cette particularité.
Avec les années, semblait-il, Otoko maigrissait davantage et supportait de plus en plus mal les chaleurs de l’été.
« Quel remède pourrais-je prendre pour moins souffrir de la chaleur ? Je vois bien toutes sortes de réclames dans les journaux, mais y a-t-il un médicament en particulier que tu aies essayé ? demanda-t-elle un jour à sa mère.
— Tous ces remèdes sont plus ou moins efficaces », répondit évasivement celle-ci. Elle se tut un instant, puis reprit sur un ton différent : « Otoko, le meilleur remède pour une femme, c’est le mariage. » Otoko ne répondit pas.
« L’homme est le remède qui donne vie aux femmes. Toutes les femmes devraient prendre ce remède-là !
— Même si c’est un poison… ?
— Même dans ce cas. Il t’est arrivé, Otoko, de prendre du poison sans le savoir et, aujourd’hui encore, tu n’en es pas consciente. Cependant, il existe un antidote. Parfois, un second poison est nécessaire pour venir à bout du premier. Même si le remède est amer, ferme les yeux et avale-le d’un coup. Il se peut aussi qu’il te donne la nausée ou encore qu’il refuse de descendre dans ta gorge… »
La mère d’Otoko mourut sans que sa fille ne prît le remède qu’elle lui avait prescrit. Ce fut sans aucun doute son plus grand regret. Otoko, comme l’avait dit sa mère, n’avait jamais considéré Oki comme un poison. Même dans sa chambre de malade avec des barreaux à la fenêtre, elle n’avait pas une seule fois éprouvé du ressentiment ou de la haine à son égard. Son amour lui avait simplement fait perdre la raison. Le poison qu’elle avait avalé dans l’espoir de se tuer avait, en un rien de temps, été soigneusement retiré de son corps, sans qu’il en restât la moindre trace. De son corps aussi s’étaient retirés Oki et l’enfant qu’elle avait eu de lui et les cicatrices qu’ils avaient laissées en elle ne pouvaient manquer, à leur tour, de disparaître un jour ou l’autre. Mais l’amour d’Otoko pour Oki non seulement ne s’était pas retiré, mais n’avait rien perdu de son intensité.
Le temps avait passé. Cependant, ne s’écoulait-il pas différemment pour chacun, en empruntant des voies diverses ? Pareil à un fleuve, le temps pour l’homme parfois s’écoulait rapidement, parfois selon un rythme plus lent. Il lui arrivait aussi de ne plus s’écouler du tout et de rester là à stagner. Si le temps cosmique s’écoule à la même vitesse pour tous les hommes, le temps humain, lui, varie selon chacun. Le temps s’écoule pareillement pour tous les êtres humains, mais chaque homme se meut en lui selon un rythme qui lui est propre.
Otoko n’avait plus dix-sept ans, mais quarante ans. Pourtant, puisque Oki était toujours présent dans son cœur, elle se demandait parfois si le temps, pour elle, n’avait pas cessé de s’écouler et ne stagnait pas. Ou peut-être le souvenir d’Oki s’était-il écoulé au même rythme qu’elle, pareil à une fleur qu’emporterait le courant d’une rivière. Otoko, néanmoins, ignorait comment le temps s’était écoulé pour Oki. Bien qu’il ne l’eût certainement pas oubliée, sa vie ne s’était pas déroulée suivant le même rythme que la sienne. Le temps ne s’écoulait jamais de la même façon, même pour deux amants ; c’est là un sort auquel nul ne saurait échapper.
Aujourd’hui comme chaque matin à son réveil, Otoko, du bout des doigts, massa légèrement son front et effleura de la main sa nuque et ses aisselles. Sa peau était moite. Il lui sembla que l’humidité qui suintait de sa peau s’était transmise au kimono qu’elle mettait pour dormir et qu’elle changeait chaque jour.
Keiko aimait l’odeur de transpiration qui se dégageait d’Otoko et cette moiteur qui rendait sa peau plus soyeuse encore, et il lui prenait parfois l’envie d’arracher tous les vêtements que portait son amie. Otoko, pour sa part, ne supportait pas de sentir la transpiration.
La nuit dernière, cependant, Keiko était rentrée à minuit et demi passé et s’était assise gauchement, en évitant le regard d’Otoko.
Otoko était étendue sur le lit et, au moyen d’un éventail, abritait ses yeux de la lumière qui tombait du plafond. Elle regardait les quatre ou cinq esquisses accrochées au mur et représentant des visages d’enfants. Elle paraissait absorbée dans sa contemplation et ne jeta qu’un rapide regard à Keiko en lui disant : « Te voilà ? Tu rentres bien tard. »
À la clinique, Otoko n’avait pas été autorisée à voir le bébé prématuré qu’elle avait mis au monde. On lui avait seulement dit que ses cheveux étaient d’un noir de jais. Lorsqu’elle avait voulu en savoir davantage et avait questionné sa mère, celle-ci lui avait répondu : « C’était un joli bébé. Elle te ressemblait. » Otoko avait compris que sa mère disait cela pour la consoler. Elle n’avait jamais vu de nouveau-nés. Ces dernières années, elle avait eu sous les yeux quelques photographies d’enfants venant juste de naître et qu’elle avait trouvés affreux. Il y avait également la photographie d’un bébé encore attaché à sa mère par le cordon ombilical et cela avait semblé à Otoko particulièrement répugnant.
Aussi Otoko n’avait-elle aucune idée du visage et de la silhouette que pouvait avoir son bébé. Elle s’en faisait simplement une certaine image dans son cœur. Elle savait fort bien que ce ne serait pas le visage de sa petite fille morte qu’elle peindrait dans La Montée au ciel d’un enfant et elle ne tenait nullement, du reste, à faire une œuvre réaliste. Elle désirait seulement exprimer dans cette peinture son affliction et sa douleur d’avoir perdu cet enfant. Ce désir l’avait poursuivie pendant tant d’années qu’il était devenu une sorte de symbole dont se nourrissait sa nostalgie et vers lequel se tournaient ses pensées lorsqu’elle se sentait triste. Cette œuvre devrait également symboliser son existence jusqu’à ce jour, ainsi que toute la tristesse de son amour pour Oki.
Pourtant, en dépit de tous ses efforts, Otoko n’était pas arrivée à peindre un visage d’enfant qui répondît à toutes ces exigences. Le Christ enfant dans les bras de la Vierge Marie ou les chérubins qu’elle avait vus avaient à son sens des visages aux traits trop accentués, des expressions d’adultes faussement empreintes de sainteté. Otoko ne souhaitait pas peindre un visage aux traits aussi nets ni aussi marqués mais, au contraire, un visage indiciblement féerique, dont l’âme auréolée n’appartiendrait ni à ce monde-ci ni à l’autre monde et dégagerait une impression de douceur et d’apaisement, non exempte cependant d’une infinie tristesse. Otoko, toutefois, ne désirait pas faire une œuvre abstraite.
Si le traitement du visage devait répondre à de tels critères, de quelle manière Otoko rendrait-elle le corps fripé d’un bébé prématuré ? Comment peindre le fond et les détails secondaires ? De nouveau, Otoko feuilleta des albums avec des reproductions de tableaux d’Odilon Redon et de Chagall. Mais les suaves chimères dont se repaissait Chagall étaient trop étrangères à son âme asiatique pour qu’elle pût s’en inspirer d’une façon ou d’une autre.
Une fois de plus, ce furent les anciennes peintures, si typiquement japonaises, représentant Kôbô daishi enfant qui lui revinrent à l’esprit. Ces portraits tiraient leur origine d’une légende qui s’attachait à la vie du saint homme et selon laquelle Kôbô daishi enfant se serait vu en rêve assis sur une fleur de lotus à huit pétales en train de s’entretenir avec le Bouddha. Dans ces peintures de style conventionnel, Kôbô daishi se tenait assis sur le calice d’une fleur de lotus, le buste bien droit. Sur les peintures les plus anciennes, il avait une expression éthérée et austère, mais ses traits s’adoucissaient et devenaient plus séduisants dans les œuvres moins anciennes, au point qu’il était parfois possible de confondre le visage du Saint Homme enfant avec celui d’une gracieuse jeune fille.
Otoko se demanda si ce n’était pas parce qu’elle pensait déjà au fond d’elle-même à La Montée au ciel d’un enfant qu’elle avait songé à représenter Keiko sous les traits classiques d’une Vierge lorsque, la nuit précédant la fête de la pleine lune, la jeune fille lui avait demandé de faire son portrait. Mais, quelque temps après, un doute naquit en elle. Ne fallait-il pas voir dans l’attirance qu’elle éprouvait pour les portraits de Kôbô daishi enfant l’expression d’un certain narcissisme ? Ne désirait-elle pas également que l’on fit son portrait ? Dans les traits du Saint Homme enfant comme dans ceux d’une Vierge, n’était-ce pas une image sanctifiée d’elle-même qu’elle recherchait ? Ce doute la transperçait, comme une épée qu’elle aurait de sa propre main, mais contre son gré, enfoncée dans sa poitrine. Elle n’essaya pas d’enfoncer l’épée plus profondément dans sa chair et finit par la retirer. Mais l’épée lui laissa une cicatrice qui la faisait souffrir de temps en temps.
Bien entendu, Otoko ne comptait pas copier servilement les peintures de Kôbô daishi enfant pour faire le portrait de sa petite fille morte ou celui de Keiko. Pourtant, elle ne parvenait pas à les chasser de son esprit. Les noms mêmes qu’elle avait choisi de donner à ses œuvres, La Montée au ciel d’un enfant et Portrait d’une Vierge, étaient en ce sens révélateurs ; dans ces œuvres, Otoko souhaitait purifier, voire sanctifier l’amour qu’elle portait à sa petite fille morte et à Keiko. Elle se sentait un peu gênée de nommer son portrait de Keiko Portrait d’une Vierge et elle avait même taquiné la jeune fille en prétendant appeler cette œuvre Abstraction pour une jeune femme peintre, bien qu’elle ne songeât nullement à peindre une œuvre abstraite. Elle désirait faire un portrait d’inspiration religieuse et débordant d’amour.
La première fois qu’elle était venue chez elle, Keiko avait pris le portrait que Otoko avait fait de sa mère pour un superbe autoportrait de son amie. Par la suite, chaque fois que son regard se posait sur le tableau accroché au mur, Otoko se rappelait la méprise de la jeune fille et surtout ses paroles. C’était l’attachement que Otoko avait pour sa mère qui l’avait amenée à la représenter en pleine jeunesse et dans toute sa beauté, mais ce choix ne trahissait-il pas également un certain narcissisme ? Peut-être Otoko, croyant peindre sa mère, et en dépit de leur grande ressemblance, faisait-elle en réalité son autoportrait ?
Une nature morte ou un paysage, cela va sans dire, sont autant d’occasions pour un peintre d’exprimer ses sentiments et son être intime. La douceur et la tristesse indulgente qui se dégageaient du portrait que Otoko avait fait de sa mère n’auraient pas manqué de se dégager aussi d’un éventuel autoportrait d’Otoko. Mais c’étaient surtout des représentations de Kôbô daishi enfant qu’émanait cette impression d’indulgence. La peinture japonaise classique compte un nombre impressionnant d’admirables œuvres bouddhiques ainsi que de superbes portraits de femmes. Si Otoko ne parvenait pas à chasser de son esprit les peintures du saint homme enfant, c’était en raison de leur grâce, mais aussi de leur suavité à laquelle venait s’ajouter un certain sentiment de piété. Otoko, qui pourtant n’était pas une sectatrice de Kôbô daishi, ne pouvait s’empêcher de les admirer. Leur suavité même ne faisait qu’accroître encore sa peine.
Otoko aimait toujours Oki, son bébé mort et sa mère, mais cet amour n’avait-il pas changé depuis le temps où il était pour elle une réalité ? Se pouvait-il que l’amour qu’elle portait à ces trois êtres se fût changé en amour de soi ? Otoko, naturellement, n’était pas consciente de cette transformation. Le doute s’était insinué en elle sans qu’elle jugeât bon pour autant de s’en assurer. La mort l’avait séparée de son enfant et de sa mère, la vie l’avait à jamais séparée d’Oki ; pourtant, aujourd’hui encore, ces trois êtres vivaient en elle. Mais, en réalité, c’était elle qui vivait et, de ce fait, leur donnait la vie. L’image qu’elle gardait d’Oki n’était pas une vision stagnante, mais vivait au même rythme qu’elle. À présent l’amour que Otoko éprouvait pour elle-même donnait à ses souvenirs une coloration différente et les modifiait. Il ne lui était encore jamais venu à l’esprit que les souvenirs étaient semblables à des fantômes et à des spectres affamés. Sans doute était-il normal qu’une femme séparée à dix-sept ans de son amant et qui avait vécu jusqu’à présent sans aimer un autre homme et sans se marier se complût dans les tristes souvenirs de son amour perdu et que cette complaisance même finît par se doubler d’un certain narcissisme.
N’était-ce pas aussi par narcissisme que Otoko s’était éprise de son élève Keiko, bien qu’elles fussent l’une et l’autre du même sexe ? Si tel n’était pas le cas, Otoko n’aurait jamais eu l’idée de représenter la jeune fille sous les traits d’une Vierge ou encore assise, à l’instar de Kôbô daishi, sur le calice d’une fleur de lotus, alors que celle-ci la suppliait de la peindre nue. Otoko ne cherchait-elle pas ainsi à créer une image purifiée d’elle-même ? La jeune fille de seize ans qui avait aimé Oki demeurerait toujours en elle et ne grandirait, semblait-il, jamais. Cela, pourtant, Otoko l’ignorait et ne paraissait pas vouloir en prendre conscience.
D’ordinaire, après les nuits humides de Kyôto, Otoko, qui était extrêmement sensible à la propreté et ne supportait pas l’odeur de transpiration qui semblait adhérer à ses vêtements, se levait aussitôt de son lit. Pourtant, ce matin-là, elle resta un instant la tête posée sur l’oreiller et les yeux tournés vers les ébauches de visages d’enfants accrochées au mur et qu’elle avait longuement contemplées la veille. Bien que sa petite fille n’eût vécu sur cette terre qu’un temps très bref, elle voulait la peindre en quelque sorte sous les traits spirituels d’un enfant qui ne serait pas né et n’aurait pas vécu dans le monde des hommes ; aussi ces esquisses lui avaient-elles donné beaucoup de peine.
Tournant le dos à Otoko, Keiko dormait encore profondément. Une légère couverture de lin l’enveloppait, qui avait glissé sous sa poitrine. Elle était allongée sur le côté, les deux jambes soigneusement repliées l’une sur l’autre et recouvertes jusqu’aux chevilles par la couverture. Comme Keiko portait très souvent le kimono, ses orteils longs et fins n’avaient pas été comprimés dans des chaussures à hauts talons. Ils étaient si fins, si allongés et si différents des siens, qu’Otoko préférait éviter de les regarder. Mais lorsque, toujours sans les regarder, elle les saisissait dans ses mains, il lui semblait qu’ils n’appartenaient pas à une femme de sa génération et elle éprouvait, à les toucher, une impression aussi agréable qu’étrange, comme si les orteils de la jeune fille n’eussent pas été ceux d’un être humain.
Des effluves de parfum se dégageaient de Keiko. C’était un parfum beaucoup trop capiteux pour une aussi jeune fille. Otoko n’ignorait pas que Keiko ne l’employait qu’à de rares occasions, aussi s’étonna-t-elle qu’elle se fût ainsi parfumée la veille.
Lorsque Keiko était rentrée à minuit passé, Otoko n’avait pas pensé à lui demander d’où elle venait. Elle était bien trop absorbée alors dans la contemplation des esquisses de visages d’enfants accrochées au mur.
Keiko, sans même prendre un bain, s’était rapidement couchée et profondément endormie. Mais peut-être Otoko la croyait-elle endormie parce qu’elle-même avait sombré la première dans le sommeil.
Dès qu’elle se fut réveillée, Otoko s’approcha du lit de Keiko, jeta dans la pénombre un rapide regard sur le visage endormi de la jeune fille et alla ouvrir les volets de bois. Keiko se réveillait toujours de bonne humeur et les matins où Otoko était levée avant elle, elle sautait de son lit pour l’aider dès qu’elle l’entendait faire glisser les volets. Mais, ce matin-là, Keiko s’assit dans son lit et regarda faire son amie. Lorsque Otoko eut ouvert les volets, tiré les shôji et eut regagné la chambre, Keiko dit :
« Excusez-moi. Je n’ai pas pu fermer l’œil avant trois heures du matin… » Elle se leva et commença à ranger la literie d’Otoko.
« Est-ce la chaleur qui t’a empêchée de dormir ?
— Peut-être bien…
— Ne range pas mon vêtement de nuit. Je voudrais le laver. »
Le kimono sur le bras, Otoko gagna la salle de bains pour se baigner. Keiko se dirigea à son tour vers le lavabo et se brossa les dents à la hâte.
« Keiko, tu ne te baignes donc pas ?
— Si.
— Hier soir, il semble que tu te sois couchée sans même ôter le parfum que tu t’étais mis.
— Vous croyez ?
— J’en suis sûre ! » Otoko remarqua l’air absent de la jeune fille. « Keiko, où étais-tu hier soir ? »
Keiko ne répondit pas.
« Prends un bain. Tu ne te sens pas bien ?
— Mais si. Je me baignerai plus tard…
— Plus tard ? » Otoko regarda la jeune fille.
Lorsque Otoko sortit de la salle de bains, Keiko avait ouvert l’un des tiroirs de la commode et choisissait un kimono.
« Tu sors ? demanda Otoko, d’un ton tranchant.
— Oui.
— Tu as rendez-vous avec quelqu’un ?
— Oui.
— Avec qui ?
— Avec Taichirô. »
Sur le moment, Otoko ne comprit pas.
« Le Taichirô de M. Oki », précisa Keiko, sans la moindre hésitation, mais en omettant délibérément d’ajouter le mot « fils ».
Otoko ne sut que répondre.
« Il est arrivé hier et je suis allée l’attendre à l’aéroport d’Itami. Je lui ai promis de lui faire visiter la ville aujourd’hui, à moins que ce ne soit lui qui me la fasse visiter… Je ne vous cache rien, Otoko ! Nous commencerons par nous rendre au monastère Nisonin. Il y a une tombe dans la montagne que Taichirô désire voir.
— Une tombe… ? Dans la montagne… ? répéta Otoko, sans même entendre ce qu’elle disait.
— Oui. D’après lui, c’est la tombe d’un noble de cour qui vécut au quinzième siècle.
— Vraiment ? »
Keiko retira son kimono et tourna son dos nu vers Otoko.
« Tout compte fait, je vais mettre un vêtement de dessous à manches longues. Il semble qu’il fera chaud aujourd’hui encore, mais ce ne serait pas convenable de ne pas en porter… »
Sans un mot, Otoko regardait la jeune fille s’habiller.
« Et maintenant, le tout est de nouer solidement l’obi… »
Les mains derrière le dos, Keiko serra de toutes ses forces.
Otoko l’observait tandis qu’elle se maquillait légèrement. La glace renvoya à la jeune fille l’image de son amie.
« Otoko, ne faites pas cette tête… »
Otoko revint à elle et tenta d’adoucir l’expression sévère de son visage, mais ses traits restèrent figés.
Keiko tourna les yeux vers l’un des volets de la coiffeuse et, du bout des doigts, arrangea une mèche de cheveux au-dessus de son oreille délicatement dessinée. Ce fut comme si, par ce geste, elle mettait la dernière main à son maquillage. Puis elle fit mine de se lever, mais se ravisa et saisit un flacon de parfum.
« Mais le parfum que tu as mis hier soir ne s’est pas encore dissipé ? dit Otoko, en fronçant les sourcils.
— Aucune importance.
— Keiko, je te trouve bien nerveuse. » Otoko marqua une pause. « Pourquoi cette rencontre ?
— Il m’a écrit pour m’annoncer l’heure de l’arrivée de son avion à Kyôto. »
Otoko ne répondit pas.
Keiko se leva, replia à la hâte les deux kimonos qu’elle avait sortis avant de jeter son dévolu sur un troisième et les rangea dans la commode.
« Plie-les un peu plus soigneusement, veux-tu ? dit Otoko.
— Très bien.
— Il te faut recommencer.
— C’est bon. » Keiko, cependant, ne se retourna même pas vers la commode.
« Viens ici, Keiko ! » dit Otoko, d’une voix sévère.
Keiko s’assit devant son amie et la regarda droit dans les yeux. Otoko se détourna, puis demanda soudain :
« Tu pars sans même prendre de petit déjeuner ?
— Oui. J’ai dîné tard hier soir.
— Hier soir… !
— Oui.
— Keiko, reprit Otoko, pourquoi rencontrer ce garçon ?
— Je ne sais pas.
— Y tiens-tu tellement ?
— Oui.
— Alors, c’est toi qui as voulu cette rencontre, n’est-ce pas ? » Bien que le trouble de la jeune fille ne laissât pas subsister le moindre doute à ce sujet, Otoko avait néanmoins tenu à s’en assurer en lui posant la question. « Pourquoi cela ? »
Keiko ne répondit pas.
« Dois-tu absolument le voir ? » Otoko baissa les yeux. « Je préférerais que tu t’en abstiennes. N’y va pas, Keiko !
— Mais, pourquoi ? En quoi tout cela vous regarde-t-il ?
— Cela me regarde autant que toi.
— Mais, Otoko, vous ne le connaissez même pas !
— Après ce qui s’est passé à Enoshima, tu peux encore rencontrer ce garçon ? »
Otoko reprochait à Keiko, après sa nuit passée à Enoshima avec le père, de rencontrer à présent le fils comme si de rien n’était. Mais elle ne parvenait pas à prononcer le nom d’Oki ni celui de Taichirô.
« M. Oki est votre ancien amant, mais vous n’avez jamais rencontré Taichirô et vous n’avez rien à voir avec lui. Il est le fils de M. Oki, c’est tout, dit Keiko. Ce n’est pas votre fils, Otoko… »
Les paroles de Keiko blessèrent Otoko. Elles lui rappelèrent que, peu de temps après la mort de son enfant, la femme d’Oki avait donné le jour à une petite fille.
« Keiko, tu veux séduire ce garçon, n’est-ce pas ?
— C’est lui qui m’a écrit pour m’annoncer l’heure de l’arrivée de son avion.
— Êtes-vous donc si intimes pour que tu sois allée l’attendre à l’aéroport et pour que vous vous promeniez ensemble à Kyôto ?
— Otoko, je n’aime pas le mot “intimes”…
— Tu préfères sans doute m’entendre dire qu’il n’est pour toi qu’une “relation”… ? » De la paume de la main, Otoko essuya la sueur glacée qui mouillait son front blême.
« Tu es un être effrayant, Keiko ! »
Une lueur étrange passa dans les yeux de la jeune fille. « Otoko, je hais les hommes !… »
« Reste ici, Keiko ! Reste ici ! Si tu vas le rejoindre, ne reviens plus jamais dans cette maison !
— Otoko ! » Les yeux de Keiko semblaient humides.
« Qu’as-tu l’intention de faire à Taichirô ? » Les mains d’Otoko tremblaient sur ses genoux. Pour la première fois, elle avait appelé le jeune homme par son nom.
Keiko se leva. « Je m’en vais, Otoko.
— Reste ici, je t’en prie.
— Otoko, frappez-moi ! Frappez-moi comme vous l’avez fait le jour où nous sommes allées au Temple des Mousses… ! »
Otoko ne répondit pas.
Keiko resta immobile un instant, puis elle se précipita dehors.
Otoko s’aperçut soudain que son corps était trempé de sueur. Elle demeura sans bouger, les yeux fixés sur les feuilles des arundinaria dans le jardin, que le soleil matinal faisait étinceler. Puis elle se leva et se rendit à la salle de bains. Sans doute ouvrit-elle trop fort le robinet, car le bruit de l’eau la fit tressaillir. Elle le referma précipitamment de manière que seul un mince filet d’eau s’écoulât et commença à se laver. Elle retrouva un peu de son calme, mais continua néanmoins à sentir dans sa tête comme une masse dure. Elle passa une serviette humide sur son front et sur sa nuque.
De retour dans sa chambre, Otoko s’assit face au portrait de sa mère et aux esquisses de visages d’enfants. Un sentiment de dégoût vis-à-vis d’elle-même la parcourut. Sa vie commune avec Keiko était à l’origine de ce dégoût, mais il s’étendait à son existence entière et faisait d’elle un être misérable et comme vidé de ses forces. Pourquoi avait-elle vécu jusqu’à ce jour, pourquoi vivait-elle encore ?
Otoko eut soudain envie d’appeler sa mère. Elle se souvint alors du Portrait de la vieille mère de l’artiste de Nakamura Tsune{49}. C’était la dernière œuvre de ce peintre avant qu’il ne précédât sa mère dans la mort. Le fait que sa dernière œuvre fût un portrait de sa vieille mère était l’une des raisons pour lesquelles ce tableau bouleversait Otoko. Elle n’en avait eu sous les yeux qu’une reproduction et, bien qu’il lui fût difficile de se prononcer de façon certaine sans avoir vu l’original, cette simple reproduction l’avait profondément émue.
Le jeune Nakamura Tsune avait fait de la femme qu’il aimait des portraits puissants et sensuels. Il utilisait beaucoup de rouge et on disait de lui qu’il peignait dans le style de Renoir. Son œuvre la plus célèbre et la mieux connue, le Portrait d’Eroshenko, exprimait presque religieusement, mais au moyen de tons chauds et harmonieux, toute la noblesse et toute la mélancolie du poète aveugle. Toutefois, sa dernière œuvre, le Portrait de la vieille mère de l’artiste, avait été exécutée avec une très grande sobriété et le peintre n’avait employé que des couleurs sombres et froides. On y voyait une vieille femme hâve et décharnée, assise de profil sur une chaise et, derrière elle, en guise de fond, un mur à moitié lambrissé. Dans ce mur, à la hauteur de son visage, une niche avait été excavée où l’on avait posé un pichet et, derrière la tête de la vieille femme, un thermomètre était accroché. Otoko ignorait s’il n’avait pas été ajouté par l’artiste pour les besoins de sa composition, mais ce thermomètre, ainsi que le chapelet qui pendait des mains de la vieille femme délicatement posées sur ses genoux, l’avaient vivement impressionnée. Ils symbolisaient en quelque sorte les sentiments de l’artiste qui allait précéder sa vieille mère dans la mort. Tel était peut-être le sens de ce portrait.
Otoko sortit d’un placard un album des œuvres de Nakamura Tsune et compara le Portrait de la vieille mère de l’artiste avec le portrait qu’elle avait elle-même fait de sa mère. Otoko avait, pour sa part, choisi de peindre sa mère jeune. Ce n’était pas sa dernière œuvre et la vieille femme était partie avant sa fille. L’ombre de la mort ne planait pas sur ce portrait. Il n’y avait aucun point commun entre cette œuvre typiquement japonaise et le portrait de Nakamura Tsune, qui avait été influencé par la peinture occidentale et pourtant Otoko, devant cette reproduction, prit conscience de la suavité qui se dégageait du portrait de sa mère. Elle ferma les yeux. De toutes ses forces, elle maintint ses paupières closes. Il lui sembla que son sang se retirait de son corps.
C’était mue par un sentiment d’amour à l’égard de sa mère que Otoko avait fait son portrait. Elle ne pouvait se la représenter qu’en pleine jeunesse et dans toute sa beauté. Quel manque de profondeur et quelle mièvrerie dans ce portrait comparé à la ferveur qui émanait de celui peint par Nakamura Tsune au seuil de la mort ! Mais la vie d’Otoko n’avait-elle pas précisément manqué de profondeur ?
Otoko n’avait pas fait ce portrait du vivant de sa mère. Après sa mort, elle s’était inspirée pour l’exécuter de l’une de ses photographies. Mais elle avait peint sa mère plus jeune et plus belle encore que sur la photographie. N’ignorant pas combien elle ressemblait à sa mère, il lui arrivait, tout en peignant, de regarder son propre visage réfléchi dans la glace. Aussi n’était-ce pas étonnant qu’une certaine suavité émanât de ce portrait, mais se pouvait-il néanmoins qu’il manquât totalement de profondeur et fût dépourvu d’âme ?
Otoko se souvint que sa mère n’avait plus jamais consenti qu’on la photographiât depuis leur installation à Kyôto. Pour l’article consacré à Otoko, un photographe de Tôkyô avait voulu les prendre toutes deux en photo, mais sa mère s’y était refusée. Pour la première fois, Otoko comprit que c’était son chagrin qui avait poussé sa mère à agir de la sorte. Elle vivait avec sa fille à Kyôto comme une femme mise au ban de la société et avait même coupé les liens avec ses amis de Tôkyô les plus intimes. Otoko se sentait également rejetée, mais elle n’avait alors que dix-sept ans et son isolement et sa solitude étaient d’un autre genre que ceux qu’éprouvait sa mère. Elle était également différente de sa mère en ce qu’elle continuait à aimer Oki, bien que son amour pour lui ne fît que la blesser.
En comparant ainsi le portrait que Nakamura Tsune avait fait de sa mère et celui qu’elle avait elle-même exécuté, Otoko se demanda si elle ne devrait pas faire de sa mère un second portrait.
Keiko était allée rejoindre Taichirô. Pour Otoko, c’était comme un abandon. Il lui sembla qu’elle ne pourrait plus jamais réprimer l’angoisse dont elle se sentait envahie.
Ce matin, Keiko n’avait pas prononcé le mot de vengeance, comme elle le faisait d’ordinaire. Elle avait déclaré qu’elle haïssait les hommes, mais ce n’était pas là un aveu qu’il convenait de prendre en considération.
Elle s’était trahie en prétextant, pour ne pas prendre de petit déjeuner, un dîner tard dans la nuit. Que voulait donc faire Keiko au fils d’Oki ? Qu’allait-il advenir d’elles et qu’allait devenir Otoko, qui depuis vingt-quatre ans vivait prisonnière de son amour pour Oki ? Otoko sentit qu’elle ne pouvait rester assise ainsi à ne rien faire.
Puisqu’elle n’avait pas réussi à empêcher Keiko de se rendre à son rendez-vous, il ne lui restait plus qu’à courir après elle et à rencontrer Taichirô afin de le mettre en garde. Mais Otoko avait oublié de demander à la jeune fille l’endroit où était descendu Taichirô, ainsi que le lieu de leur rendez-vous.