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Nous avions conquis tous les systèmes stellaires. Nous avions un empire. Quand les villes apprenaient que nos armées arrivaient, les populations s’enfuyaient avant même qu’un seul coup de feu soit tiré. À présent, nous nous cramponnons à un pitoyable secteur de planètes poussiéreuses, nous ramassons les miettes que les lâches aruetiise nous jettent pour nous laisser nous battre à leur place, et ils se servent de nous comme bétail reproducteur pour leurs armées de clones. Les aruetiise nous traiteront toujours comme des animaux qu’ils utiliseront à leur guise jusqu’à ce que nous soyons de nouveau capables de relever la tête.
Lorka Gedyc, commandant des Death Watch Mandaloriens – non dispersés, simplement en ba’slan shev’la, attendant le moment propice pour revenir
Cargo Cornucopia, au large de Ralltiir
point de rendez-vous
Le cargo de Ny Vollen sortit de l’hyperespace juste au moment où elle s’apercevait qu’il y avait quelque chose dans sa salopette qu’elle n’y avait pas mis.
La poche du pantalon béait. Elle n’avait rien remarqué jusqu’à ce qu’elle se penche vers les commandes et que le tissu s’accroche à l’accoudoir de son siège. Quand elle regarda ce qui la déformait, elle trouva les creds qu’elle avait remis dans la main de Skirata avant de quitter Mandalore – un tas de plaques de cinq cents et de mille.
Je n’ai pas besoin de tes creds. Shortie. Et je me fiche de ce que tu as en réserve. Personne ne m’accusera de dépouiller un homme riche. N’importe quel homme, en fait.
— Espèce de vieux cabochard, marmonna-t-elle en regardant les plaques de plastoïde.
Elle n’avait même rien senti quand il les lui avait glissées dans la poche. Il ferait un super pickpocket ; d’ailleurs, sans doute l’avait-il été par le passé.
— Devine où je vais fourrer tout ça…
Mereel se mit à rire.
— Parfait. Quand est-ce que je pourrai commencer à t’appeler Mama ?
— Quand les Kaminoens ont trituré vos gènes, ils ont de toute évidence bousillé celui de la subtilité, hein ?
Ordo ne rit pas, mais Prudii, Jaing et Mereel ne s’en privèrent pas. Quatre Nulls, c’était le maximum que Ny pouvait supporter en même temps. Les six ensemble… c’était une meute. Pas indisciplinée, pas turbulente, non. Juste… prête à tout. Elle sentait la puissance à l’état brut et une concentration totale en eux ; ils étaient comme des fauves attendant d’être lâchés. Même Mird ne lui donnait pas cette impression.
— On cherche à bien faire, dit Jaing. Mais Buir n’a pas souvent l’occasion de rencontrer des gens qu’il aime bien et à qui il peut faire confiance, surtout des femelles de son âge.
— Le gène de la diplomatie a été éjecté aussi, à ce que je vois.
— C’est une question de temps, Ny. Nous en avons moins que ce que nous devrions avoir.
Jaing avait le talent rare d’aller droit au but ; il ne proférait pas des vérités avec la brutalité d’Ordo, mais était tout aussi capable de dire tout haut ce que les autres pensaient tout bas. Oui, ils étaient tous en sursis, et il y avait de grandes chances pour qu’elle leur survive. Et leur père aussi.
— Les choses ne sont pas toujours aussi simples, dit-elle.
Mereel afficha son expression de gosse innocent, auquel Ny réagit instantanément, comme toujours, quoiqu’elle sache parfaitement qu’il était loin d’en être un.
— On aime bien que tu sois là, dit-il. Et Buir est seul depuis des années – bien avant Kamino. On sait qu’il a un faible pour toi parce qu’il te dit des choses qu’il ne dirait jamais à personne.
— Par exemple qu’il a des milliards de foutus creds ?
— Il t’a dit qu’il venait de Kuat, dit Jaing. Et c’est vrai qu’il a dit aussi qu’il était milliardaire. C’était la nuit où tu l’as vu pour la première fois, tu te rappelles ?
Ny se rappelait parfaitement. Oui, c’était vrai. Et les Nulls n’oubliaient jamais rien. Avec les mémoires eidétiques dont les avaient pourvu les Kaminoens, ça ne risquait pas.
— J’ai cru qu’il plaisantait.
Ordo, tassé dans le siège du copilote, leva les yeux de la console de navigation.
— Mereel, tais-toi, tu veux ?
— Tu sais, Buir n’a pas mon charme naturel avec les femmes, alors il n’abordera sûrement jamais le sujet lui-même et…
— J’ai dit tais-toi.
Se retournant, Ordo tendit le bras derrière lui pour agripper fermement l’épaule de Mereel.
— Ny a perdu son mari. Elle n’est peut-être pas prête pour ça. Ses sentiments pour Buir ne sont peut-être pas ce que tu penses. Laisse-la tranquille, d’accord ?
Ny n’avait jamais vu les clones se disputer entre eux. Elle avait imaginé qu’ils étaient toujours sur la même longueur d’onde, baignant comme les jumeaux dans une sorte d’harmonie mystique, mais elle se trompait. Ils étaient comme n’importe quelle famille, avec leurs désaccords et leurs chamailleries. Et elle détestait être la cause de celle-ci.
— Hé, Ordo, ce n’est pas grave.
Son intervention évoquait quelque chose que lui aurait dit Besany, une leçon qu’il aurait absorbée, mais peut-être aussi le pensait-il vraiment.
— Je ne le prends pas mal du tout, dit-elle. Mereel voulait juste… Oh, allez, vous deux, faites la paix. O.K. ?
Elle comprenait pourquoi Skirata était aussi permissif avec ses fils. Elle aussi serait prête à leur accorder tout ce qu’ils lui demandaient.
— Il y a les mariages arrangés, dit-elle prudemment, et les mariages forcés.
Jaing sourit.
— Oui, mais où est-ce qu’une pensionnée comme toi pourras rencontrer un autre milliardaire excentrique à ton âge ?
— Je n’ai pas de pension, dit-elle, serrant les dents pour ne pas rire.
Si elle riait, elle ne ferait que les encourager.
— Donnez-moi seulement le temps de réfléchir. Et n’allez pas embêter votre père avec ça non plus.
— Tu vois ? Elle a déjà le truc de la mère en elle.
Mereel n’avait en rien été découragé par la rebuffade d’Ordo.
— La prochaine fois, ce sera : Attendez, que j’aille en parler à votre père…
Ny savait que Mereel ne pouvait avoir appris ce genre de chose que par les holovids. Ces clones avaient un père dévoué, mais ils n’avaient jamais connu de mère, ni rien qui puisse y ressembler. Devant leurs plaisanteries constantes sur le sujet, elle se demandait si cela les perturbait à un niveau inconscient, ou si c’était juste parce qu’ils aimaient leur père. Voyant leurs frères s’installer dans une vie heureuse, peut-être souhaitaient-ils la même chose pour Skirata, parce que, dans leur esprit, c’était la panacée pour un cœur blessé.
Ny n’était pas immunisée contre cela. L’idée de remplir le vide de sa vie serait bien trop facile à saisir sans réfléchir. Pour quelle autre raison se serait-elle jetée dans cette histoire, alors qu’elle aurait pu vivre tranquillement en tant que veuve sans jamais craindre que l’Empire puisse venir démolir sa porte ?
Jaing inséra une sonde dans la console de navigation et consulta son datapad.
— Et c’est parti… Affichage du faux tachymètre en ordre. Nous arrivons tout juste de Phindar. Y avons-nous tous passé du bon temps ?
— Je trépigne d’impatience à l’idée d’y retourner, dit Prudii en bâillant. Où que ce soit.
Ordo ne participa pas à leurs blagues. Il était le frère sérieux, constamment sur le pont et contrôlant tous les détails. Besany lui ressemblait beaucoup. Ny était sûre que leurs enfants seraient superbes mais qu’ils seraient aussi des perfectionnistes trop sévères à qui il faudrait expliquer les plaisanteries.
Le Cornucopia prit la direction du point de rendez-vous avec le contact de Mereel, un autre vaisseau de fret en route pour une station commerciale, rien de particulier, rien de dangereux. Ny se demandait où elle devrait s’arrêter pour faire le plein de vivres au retour. Ordo suivit les traces du transpondeur sur le moniteur en pressant ses écouteurs sur une oreille.
— Mereel, tu peux confirmer que c’est bien TK ? Vaisseau de service hyperdrive enregistré sous la division des franchises HealthDrive en tant que 8-0-5.
— C’est lui. Envoie-lui le code.
Réception de la confirmation.
Ordo, les yeux fixés sur l’écran, hocha plusieurs fois la tête. Quoi qu’il se passe, Ny ne pouvait entendre la conversation.
— O.K. Ny, arrime-toi à l’appontement 9-delta et ils viendront nous y rejoindre.
Une simple routine, se disait-elle. Elle s’y était arrêtée une bonne douzaine de fois car la station était pratique pour les réparations d’urgence ou pour faire une pause si elle empruntait les deux routes principales entre le Noyau et le Bras de Tingel – généralement la Voie Hydienne, parfois la Perlemienne. Elle n’avait rien de plus à faire que ce qu’elle avait fait à chaque voyage depuis les quarante dernières années. Si quelqu’un montait à bord, elle n’était qu’une pilote avec quatre passagers Mandaloriens payants, tout simplement. Elle laissa l’ordinateur se charger de l’approche finale et s’étonna de constater que, même après quatre décennies de transport de fret, elle détestait toujours autant lâcher le palonnier et abandonner son vaisseau aux systèmes automatisés.
Le Cornucopia se posa sur la plate-forme. Des serre-câbles vinrent immobiliser le train d’atterrissage avec un clonk alarmant, un processus habituel qui lui donnait à cet instant la désagréable impression d’être menottée.
Mereel mit son casque afin de sceller son armure, puis vérifia son blaster.
— O.K., on laisse TK s’amarrer pour une réparation, et je m’occupe du transfert dans le sas, dit-il. Et je tiens juste à vous rappeler, shabuire, que j’ai déjà entubé les conserves de viande.
— Et tu étais doué ? demanda Ny.
— J’ai grugé les gihalls, et ils connaissent les clones mieux que personne. Ordo l’a fait, lui aussi. On est des pros de l’arnaque ! lança-t-il encore avant de disparaître vers l’écoutille du pont arrière.
Ils entendirent ses bottes marteler l’échelle.
— Il ne s’attend pas à avoir des problèmes, si ? demanda Ny en imitant la forme d’un blaster de son index et de son pouce replié.
— Simple habitude, dit Ordo. On ouvre la porte sur un quartier dangereux.
— C’est une escale pour cargos, rien de plus.
— Tout quartier devient dangereux quand on débarque.
Prudii ricana pour lui-même.
— Tu seras ori’mando un jour, Ny…
Le transfert ne prit que quelques minutes, mais des minutes qui lui parurent des heures. Ny descendit vers les portes latérales de l’aire de chargement puis regarda un droïde et un jeune humain en combinaison HealthDrive manœuvrer un camion à répulsion lourdement chargé pour lui faire franchir le sas intérieur. À croire qu’ils avaient dévalisé la réserve d’un intendant impérial.
— Quelqu’un a demandé un joint de culasse ? demanda Gaib.
— Bien. C’est bon de te voir en situation.
Mereel, d’un signe de tête, désigna les caisses en plastoïde d’un gris terne alors que le camion s’arrêtait devant lui. Il en ouvrit une.
— Quatre costumes, Gaib. Tu as acheté les accessoires assortis dans toutes les couleurs de la mode printanière ?
— Dix costumes, rectifia TK-O en se glissant entre son associé humain et Mereel. Nous savons que vous aimez vous déplacer en force. Alors nous avons pensé : pourquoi ne pas en prévoir quelques-uns de plus ? C’est plus facile que de retourner en chercher d’autres.
— Tu penses à tout, dit Mereel.
— Avec un cerveau positronique, c’est possible.
Le droïde plongea ses manipulateurs dans les caisses et commença d’en sortir les plaques blanches d’armures plastoïdes.
— Saviez-vous qu’un cerveau organique est composé à soixante pour cent de graisse ? C’est dégoûtant. Comment pouvez-vous supporter d’avoir toute cette bouillie dans la tête ?
Mereel posa une plaque contre son torse pour évaluer la taille.
— C’est le nouveau style ? Pas mal. Pas aussi classe qu’une Kama et pauldron, mais utile avant tout.
Jaing et Prudii descendirent l’échelle et se jetèrent sur les casques. Ils devaient ôter les com et les composants de l’interface pour les remplacer par leurs propres systèmes de sécurité. Et ils avaient l’air réellement ravis de le faire. Ny avait du mal à ne pas les voir comme des gamins – lourdement armés, aguerris et formés pour tuer, mais des gamins tout de même. Ils avaient la capacité touchante d’apprécier les choses avec une âme d’enfant.
— Aurez-vous besoin d’autre chose ? demanda TK-O en tendant un bras vers Mereel, paume métallique ouverte.
— Oh, je crois que ça nous occupera un moment.
Mereel posa un tas de crédits en espèces dans les manipulateurs du droïde. Ny essaya d’estimer le prix approximatif des fournitures au tas de jetons – cinq cent mille, un million ? – puis se rappela que les intérêts d’une seule semaine sur les fonds de Skirata ne seraient même pas écornés par une telle somme. Les chiffres dépassaient tout bonnement l’entendement.
J’aurais préféré qu’il ne me parle pas de cette fortune. Je ne lui avais rien demandé.
Ny apprenait à ne jamais poser trop de questions en présence de ceux avec qui elle vivait désormais. Pas seulement à cause de la réaction qu’elle pouvait provoquer. Ce qui l’en dissuadait, c’était surtout le risque d’entendre les réponses et de regretter de n’avoir pas su se taire, parce qu’une fois quelle avait l’information, quelqu’un qui aurait besoin de la connaître pourrait toujours la lui extorquer.
Mais ces armures l’intriguaient, et elle posa malgré tout la question, plus pour calculer les chances de se faire prendre que pour apprendre quoi que ce soit.
— Ces dix armures ne leur manqueront pas, alors ? dit-elle.
— On a obtenu un contrat pour réviser les systèmes de certaines d’entre elles, expliqua Gaib. Comme ça, on peut signaler les défectueuses comme des retours. Sauf qu’on ne le fait pas. Elles passent sous la rubrique à garder et vendues pour profit raisonnable. Et cette nouvelle armée est bien plus grande que celle de la République – ils sont des millions et des millions. Alors un millier d’armures qui disparaissent passeront complètement inaperçues.
— Et on ne remarquera pas non plus que ça leur coûte deux cents créds pour chaque servo que je leur facture, dit TK-O qui fouilla dans un casque dont il sortit deux minuscules puces et un fil d’or fin comme un cheveu. Vous savez que nous aurions pu réceptionner votre arrivage pour vous, n’est-ce pas ? Vous auriez pu rester chez vous. Livraison à domicile, service cinq étoiles.
Jaing leva les yeux du revêtement disséqué du casque sur lequel il travaillait.
— Ce n’est pas aussi simple. C’est de la contrebande d’individus.
Ny se demanda pourquoi Jaing lui en révélait autant – ou si peu. Le droïde savait certainement qui était Niner, maintenant, et qu’il avait un kit de com illégal dans son casque. Mais à ce petit jeu entre associés, personne n’avait l’avantage. Ny n’avait pas été longue à apprendre l’écologie du crime après avoir rencontré A’den.
Nous devons tous nous taire. Si l’un de nous se fait prendre, nous sommes tous fichus. Nous devons tous nous… faire confiance.
Elle adorait l’ironie. Il y avait, comme disent les sages, un code d’honneur chez les voleurs.
Ny Vollen, contribuable et honnête citoyenne, était désormais une criminelle, et elle l’acceptait. Elle avait vu la facilité avec laquelle c’était arrivé, et pourquoi, et elle savait maintenant qu’elle ne pourrait plus jamais juger qui que ce soit parce qu’elle était aussi faillible que n’importe qui.
— Allez, Mer’ika.
Elle rassembla les plaques d’une armure sur le pont.
— Assurons-nous que nous avons le kit complet.
— À t’entendre, on dirait que tu ne nous fais pas confiance, dit Gaib, amusé.
— Oh si, répondit-elle. Si je dois me méfier de quelqu’un, c’est de ceux qui respectent les lois.
Elle avait été de ceux-là… et se demanda ce que Terin aurait pensé s’il avait été encore là pour la voir.
Il aurait compris. Elle en était certaine.
Salle de briefing de l’unité spéciale,
Q.G. de la
501e Légion,
Cité Impériale
Le commandant Roly Melusar était un sang-mêlé, mais Darman ne s’en formalisa pas.
Au contraire, il se prit instantanément de sympathie pour lui. L’homme entra dans la salle de briefing alors qu’il discutait à voix basse avec Ennen. Lequel semblait satisfait de la décision que Melusar avait prise quant à la crémation corellienne qu’il exigeait pour Bry.
Ennen vint s’asseoir à côté de Darman et de Niner.
— Alors ? demanda Niner.
— C’est un brave type, dit Ennen. Un homme décent. Bry repose en paix maintenant.
Il avait donc réussi à obtenir les rites, quels qu’ils soient, qui importaient pour lui. C’était de bon augure. Melusar avait débarqué de nulle part au cours des dernières vingt-quatre heures pour prendre le commandement de l’unité de Sa Cuis qui ne s’était ni plus ni moins que volatilisé sans explication, à la manière des barbouzes.
Melusar, debout sur l’estrade devant eux, semblait totalement à l’aise dans ce nouveau rôle. Darman essayait toujours de ne pas porter de jugement hâtif sur les êtres, mais il avait du mal à résister. Melusar était O.K. Il en avait la conviction, c’est tout.
— Où est passé le cafard ?
La voix de Fixer était un murmure grave dans le comlink du casque de Darman. C’était le surnom de Sa Cuis, encore qu’il y en ait d’autres, tous aussi peu flatteurs.
— J’espère qu’il se fait un petit marathon d’une bonne cinquantaine de klicks. Ce serait le minimum pour éliminer un peu le rembourrage qu’il a sur le cul.
Boss intervint à son tour.
— Il est sûrement dans une chambre obscure en train de démontrer à un malheureux amnésique l’importance des électrodes pour titiller la mémoire.
Darman n’osait pas tourner la tête pour les regarder dans le public restreint. Quand il passait en HUD grand-angle, il ne voyait que des silhouettes anonymes, armures et casques noirs, comme lui. Mais il était rassuré de savoir que les Delta étaient toujours là. Il ne fut fait aucune allusion à Sev – strictement aucune – et Darman n’avait pas la moindre idée de ce que devenaient les frères du disparu.
Ils étaient en vie. Et c’était tout ce qui comptait.
— L’agent Cuis a été réaffecté aux problèmes de recrutement, annonça Melusar.
Qu’est-ce que ça voulait dire ? Plus l’explication était lapidaire, songea Darman, plus la réalité serait effrayante.
— Vous me pardonnerez si je répète certaines choses qu’il vous a déjà dites, messieurs. Mais avant, prenons un instant pour nous rappeler notre camarade Bry. Je ne l’ai pas connu, mais vous tous si, et je sais qu’il vous manquera. Je suis sincèrement désolé.
Melusar – grand, châtain, osseux – se pencha sur le lutrin et quelque chose dans son visage franc et son regard direct lui rappela Bardan Jusik. L’uniforme impérial gris n’était qu’un détail, il ne représentait pas l’intégralité de l’homme. Après un bref silence, il poursuivit. Il arpentait lentement l’estrade en parlant aux commandos, appuyant son discours de gestes – mais plutôt comme s’il essayait de ne pas utiliser ses mains, rien à voir avec le numéro d’un politique –, et apparaissait comme le genre d’homme qui pensait réellement ce qu’il disait.
— La galaxie sera un endroit plus sûr pour chaque citoyen si nous éradiquons les utilisateurs de la Force, dit-il. Et je ne parle pas uniquement des Jedi, mais de tous les autres, aussi. Je comprends que, pour vous, ça puisse apparaître comme le simple verbiage d’un officier sang-mêlé et obtus qui se contente de répéter les mots de l’Empereur, mais ne vous y trompez pas : éliminer ces cultes de la Force nous procure à tous stabilité et sécurité. Jetez un coup d’œil sur nos livres d’histoire et voyez vous-mêmes combien de guerres ces utilisateurs de la Force nous ont apportées.
Melusar avait désormais l’attention de tous.
Et il savait comment les clones appelaient les êtres conçus au hasard : des sang-mêlé. Roly Melusar ne ressemblait en rien à Cuis. Il savait ce que pensaient ses hommes, et il les traitait comme les vétérans cyniques, désabusés et suspicieux qu’ils étaient.
— Waoh, murmura Fixer. Il sait qu’on n’est pas comme les autres de la 501e.
— C’est parce qu’on est en noir et qu’ils sont en blanc, dit Ennen. On doit être les méchants.
Niner ne leur dit pas de la boucler. Lui aussi avait l’air captivé par l’attitude carrée de Melusar. D’habitude, il s’agitait sur son siège quand il devait rester assis et grinçait des dents avec impatience, mais à cet instant il était comme figé – et complètement silencieux. Darman ne l’entendait même pas respirer. Il avait éteint sa com de casque à casque. Dans les autres rangées, les commandos bougeaient. Certains se penchaient en avant comme s’ils suivaient un film palpitant, alors que d’autres se laissaient aller comme s’ils découvraient qu’ils n’avaient plus besoin d’affecter l’enthousiasme de zélateurs impérialistes pour le commandant. Melusar était – pour autant qu’un officier sang-mêlé puisse l’être – un des leurs.
Voilà. C’était ça qui lui rappelait Jusik. Melusar se considérait avec eux dans ce combat, il ne se contentait pas de les commander, et ce n’était pas de la frime. Personne ne pourrait simuler aussi bien la sincérité.
Melusar continuait de marcher de long en large et de frapper le dos de sa main droite dans sa paume gauche pour ponctuer ses propos. Il parlait comme un Coruscanti normal, sans prendre des airs, des poses, sans user de voyelles dénonçant une éducation coûteuse. Quand il parlait, il semblait s’exprimer à tous ceux que Darman connaissait et aimait.
— Qu’ai-je à reprocher aux utilisateurs de la Force ?
Melusar fit une courte pause, comme s’il cherchait à rassembler ses idées. Comme s’il était en pleine discussion devant une bière avec ses copains dans une cantina.
— Tout. Les Jedi ont occupé des positions de pouvoir et usé de leur influence pendant des millénaires. Aucun n’avait été élu, aucun ne rendait compte de ses actes aux gens comme nous – les êtres ordinaires de la galaxie. Nous les avons financés pendant des générations. Nous les avons armés. Nous ne nous occupions pas de leurs affaires internes, et nous fermions les yeux parce nous nous imaginions qu’ils faisaient le boulot. Ces types-là avaient vraiment le don pour s’organiser et se tailler la part du lion sur notre dos à nous, pauvres corniauds. Mais il existe encore d’autres sectes, toutes capables de recommencer la même chose si on les laisse faire. La Force se manifeste comme ça lui chante, et on ne peut pas sortir son blaster contre ça. Mais la formation, les organisations secrètes, les cabales qui murmurent aux oreilles du gouvernement – ça, c’est notre affaire. Ça, on peut l’écraser.
Les commandos étaient médusés. Darman s’attendait à ce que quelqu’un se lève pour applaudir, ou au moins manifeste son enthousiasme. Melusar s’interrompit pour reprendre son souffle, regarda autour de lui et parut soudain se rappeler un point non abordé.
— Vous savez ce qui me dérange le plus ? C’est qu’ils peuvent modeler nos pensées.
Il avait vraiment l’air de croire ce qu’il disait.
— Ils ont le pouvoir de vous faire halluciner et accomplir des choses que vous ne voulez pas faire, et vous ne saurez même pas ce qui s’est passé. C’est plus dangereux que tout le reste. Mais ça va s’arrêter ici, et s’arrêter pour de bon.
Darman avait vu l’influence psychique à l’œuvre, et ça n’était pas tout à fait ainsi que cela lui était apparu. Mais bien sûr les Jedi qu’il connaissait étaient…
Etain demandait toujours la permission d’abord. Elle s’en servait pour aider Scorch à se calmer. Et Jusik, lui…
Darman parvint à tenir le coup, mais tout juste. Etain était de nouveau très vivante dans son esprit, et non plus filtrée par cette distance qu’il s’évertuait à maintenir entre la douleur et lui, et tout ce qu’il pouvait penser à ce moment était à la façon dont il avait réagi lorsqu’elle lui avait dit qu’elle avait eu un enfant et qu’il était de lui.
Il aurait tout donné pour modifier cet instant. Il aurait réécrit l’histoire afin de la prendre dans ses bras et lui exprimer sa joie. Mais ce n’était pas ce qu’il avait fait. Il s’était éloigné en silence.
On ne peut pas changer le passé. Seulement l’avenir. Arrête. Elle est partie. Arrête. Remets-toi sur les rails, trouve un sujet sur lequel te concentrer, fais quelque chose qui compte.
Le commandant Melusar parlait toujours. Pendant un temps, Darman entendit tous les mots mais sans pouvoir leur donner un sens. Alors il coupa le micro de son casque et laissa les larmes couler sur ses joues. Même en se mordant la lèvre, il ne put cette fois réussir à détourner son esprit du douloureux passé.
Quand il parvint enfin à se ressaisir, Melusar se tenait devant le premier rang, un pied sur une chaise inoccupée, les bras croisés, en train de discuter – de discuter – du problème avec un commando. C’était Jez, de l’une des escouades Aiwha, une des premières compagnies d’entraînement d’une centaine d’hommes de Skirata. Il avait ôté son casque. Leur ancien chef, le général Zey, avait été plutôt sympathique, le pauvre shabuir, mais il avait toujours donné l’impression d’avoir un fossé infranchissable autour de lui, même s’il était possible de voir ce qu’il y avait au-delà. Melusar, lui, ne créait aucune distance entre eux et lui. Il pataugeait dans la boue avec eux.
— Caf et cookies aux prochains briefings, dit Scorch, mais son ton habituellement présomptueux avait baissé de plusieurs crans. Avec peut-être un thème « commando du mois » et une caisse de bière pour l’homme le plus déterminé sur les missions.
— On pourrait aussi demander au général Vos de revenir, si c’est ce genre de commandement que tu préfères… marmonna Ennen.
Niner restait toujours bizarrement silencieux. Darman, dans l’impossibilité de s’essuyer le nez et les yeux sans ôter son casque, déglutit et renifla. Melusar continuait de parler. Jez buvait ses paroles. Tout le monde était scotché.
— Prenons un scénario, dit Melusar. Que sont devenues toutes les sectes d’utilisateurs de la Force ? Si votre gosse manifeste des pouvoirs de la Force, alors les Jedi arrivent et veulent l’emmener. Or les autres sectes ne veulent pas que leurs sensibles à la Force soient débauchés par un rival. Elles entrent donc dans la clandestinité pour éviter le Conseil Jedi. Mais maintenant que les Jedi se sont fait mettre à la porte, ces autres sectes vont-elles considérer qu’elles peuvent sortir au grand jour en toute sécurité ?
— Pas si elles jettent un œil sur ma liste de missions, répondit une voix, et tout le monde se mit à rire.
Ils emmèneraient Kad. Mais s’il n’a pas été formé pour utiliser ses pouvoirs, il mènera une vie tranquille, et Palpatine lui fichera la paix. Si les Jedi reviennent… ils le prendront.
C’est ça, ma motivation. Même en dehors de ce qui est arrivé à Etain. Même en dehors de la guerre.
La barrière que Darman avait soigneusement construite entre ses deux personnalités était finalement tombée. La douleur était presque intolérable. Si ç’avait été pire, il serait sorti, il aurait pressé son arme de poing contre sa tempe et mis un terme à son supplice une fois pour toutes ; il était au bord du précipice, hésitant entre s’en prendre violemment à tous ceux qui se trouvaient sur son chemin et se détruire lui-même. Sa souffrance était trop insupportable. Cependant, lorsque cette barrière tomba, il sentit autre chose se libérer en lui – un fils. Il avait un fils, lui, ce Darman-là, avait un fils qu’il aimait et qu’il devait désormais protéger. Et il avait une vue claire de la façon de protéger l’avenir de Kad.
Fais en sorte que ça ne se reproduise pas. Assure-toi que les Jedi ne redeviennent jamais un pouvoir politique.
Il dut encore lutter contre la douleur, mais au moins pouvait-il à présent la prendre de front et la surmonter parce qu’il avait une raison de le faire.
— Le Conseil Jedi avait bien réussi son coup en s’imposant comme l’unique voix des utilisateurs de la Force, poursuivit Melusar, sans doute totalement inconscient que, par une simple remarque, il venait de donner à Darman un nouvel objectif. Mais maintenant nous allons voir qui sont les autres. Les Korunnai, sur Haruun Kal ; ce sont tous des sensibles à la Force. Peut-être descendent-ils de Jedi perdus lors d’une mission, mais au moins nous savons où ils sont. Ils n’en font pas un culte, mais ça pourrait le devenir. Imaginez une planète remplie de gens qui pourraient être formés à faire ce que les Jedi faisaient. C’est une arme qui n’attend que d’être assemblée.
Darman songea à Jusik se défonçant pour guérir les lésions cérébrales de Fi. Puis il pensa à certains Jedi serrant la main d’un Kaminoen après avoir pris livraison d’une armée de clones. On ne savait jamais à quel genre de Jedi on aurait affaire.
— Ils nous appellent des Balawai, hein ? dit Jez. Tous ceux qui ne sont pas de Korunnai sont des « basse-terre », à leurs yeux, et ils n’ont pas trop d’estime pour eux…
Exactement comme les aruetiise, se dit Darman. Les Mandaloriens divisaient le monde en Mandos et non-Mandos, et le mot pouvait aussi bien désigner les étrangers que les traîtres. Tout dépendait de la façon de le prononcer. Mais en aucun cas il ne voulait dire visiteur bienvenu. Darman éprouvait toujours un malaise en découvrant qu’il avait des points communs avec des gens qui, en d’autres circonstances, seraient ses ennemis, et c’était en général les mauvais côtés, rarement les bons.
Les commandos étaient complètement détendus maintenant. Melusar savait vraiment y faire.
— Vous avez constitué un dossier sur nos amis utilisateurs de la Force, monsieur ? demanda Ennen. J’ai l’impression que oui.
— Connais ton ennemi, dit Melusar en se tapotant la tempe de son index. C’est la première arme de l’arsenal : pour s’occuper d’eux, il faut les comprendre. Oui, je les étudie depuis des années. Mais c’est le Groupe d’Enquête du Peuple qui a rassemblé les éléments.
Ennen se croisa les bras.
— Vous parlez de ce groupe de surveillance des Jedi ? Ceux qui exigent de voir les dépenses des Jedi, et dont la République s’efforçait de réduire la station HoloNet au silence ?
— Et qui est-ce qui suit l’affaire à la loupe maintenant ?… Bien vu, Ennen. Et oui, ce sont eux qui ont clamé : « On vous l’avait bien dit ! »
Zey n’avait jamais pu leur arracher un rire pendant les briefings. Quant au pauvre vieux Sa Cuis, on ignorait où il était parti, mais ses conseils n’allaient certainement pas manquer à l’Unité Spéciale de Commandos Impériaux. Roly Melusar venait de conquérir les escouades, et il lui avait fallu moins d’une demi-heure pour ça.
— Sacré vieux Roly, plaisanta Scorch. Saint Roly.
— Ça va lui rester, dit Boss.
Niner tressaillit soudain comme si quelque chose l’avait piqué. Darman se demanda s’il s’était assoupi.
— Brave type, mais dangereux.
Il n’y eut aucune réaction de la part d’Ennen, ni de l’escouade Delta. Darman était le seul à pouvoir entendre la voix de Niner.
— Mais sait-il que Palpy est un Sith ?
Donc Niner avait finalement décidé qu’il pouvait sans danger discuter sur les canaux privés. Darman lui trouva une voix tendue, mais peut-être était-ce sa paranoïa naturelle qui prenait le dessus.
— Est-ce que c’est officiel ? demanda Darman. Où as-tu entendu ça ?
— C’est ce qu’on dit. Vador a un sabre laser rouge, et Jusik dit que c’est la couleur des Sith.
— Si Melusar le sait, dit Darman qui ne se souciait pas trop des Sith, soit il s’en moque, soit il ne les considère pas comme aussi dangereux que des hordes d’utilisateurs sauvages de la Force. À moins qu’il attende simplement que Palpatine tire sa révérence.
Melusar n’eut pas à aborder le sujet. Chaque commando, dans la salle, savait en quoi consistait sa tâche ; inscrire les cibles sur sa liste. Pas besoin de raisons pour ça. Cependant, savoir pourquoi était utile, parce que le contexte permettait de se forger une image de ses proies et de ce qu’elles pouvaient faire dans une situation donnée. Quant à discuter de la conduite à avoir, des règles… Non. La République n’avait jamais encouragé ce genre de débat avec les clones, et l’Empire ne semblait pas y souscrire non plus. Melusar, toutefois, expliquait clairement pourquoi les choses devaient être faites, comme Skirata, et n’usait pas de mots presse-bouton tels que liberté ou démocratie qui voulaient dire tout ce qu’on veut et son contraire.
— Donc, nous avons d’autres infos des Services Secrets, poursuivit Melusar en se tournant vers un holo-écran qui projetait des notes sur le mur derrière lui.
Il écrivit sur son datapad, et les lignes s’inscrivaient en même temps sur l’écran.
— Nous savons qu’il reste encore des Jedi ici même dans la Cité Impériale. Et nous savons aussi que certains ont fui la planète grâce à Whiplash et d’autres organisations clandestines. Leur commandement a été presque complètement anéanti, et j’imagine qu’ils se sont regroupés autour des plus charismatiques d’entre ceux qui restent. Un nom ne cesse de revenir : celui de Maître Djinn Altis.
Il écrivit ALTIS sur l’écran et s’écarta pour le considérer en se frappant distraitement la paume de son stylet. Certains gars du premier rang secouèrent la tête.
— Jamais tombé dessus, monsieur.
— C’est parce qu’il n’a jamais fait partie du Conseil de Yoda. Il est parti de son côté. Il a fini par aider la République, mais son groupe était toujours dissident. Vieilles coutumes Jedi… Retour au b.a.-ba. Très populaire parmi les civils, car ils ont commencé à aider les victimes de la guerre.
Melusar s’interrompit pour écrire les mots ANTARIENS – JEDI BANNIS – JAL SHEY – UTILISATEURS DE LA FORCE OU NON ? comme une liste pense-bête afin de revenir à ces sujets plus tard.
— Je ne sais pas grand-chose sur leur philosophie, mais ils autorisent le mariage et ont des familles, donc ce n’était de toute évidence pas le grand amour entre Altis et Yoda.
Darman n’entendit pas le reste de la phrase.
Des Jedi qui autorisent le mariage. Les familles.
Soudain, la lame qui s’était logée dans son cœur depuis la mort d’Etain, qui l’avait saigné et vidé de tous ses espoirs, s’enfonça plus profondément encore.
Si Etain avait suivi Altis au lieu de… Rien de tout ça ne serait arrivé.
Elle aurait pu être une Jedi et une épouse, au grand jour, sans se sentir coupable. D’autres Jedi l’ont fait. Melusar venait de le lui apprendre. Darman savait que l’Ordre Jedi avait fait une entorse au règlement pour Ki-Adi-Mundi, mais là, c’était différent, c’était une philosophie Jedi dont il n’avait jamais entendu parler, et qui, d’une certaine manière, lui semblait encore pire du fait qu’elle était plus répandue.
Il ne pourrait jamais pardonner aux Jedi de les avoir séparés, Etain et lui, jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Ce n’était pas la faute de Kal’buir du tout. C’étaient les Jedi qui n’avaient pas soutenu Etain.
Et moi non plus. J’aurais dû être capable de la protéger.
Il ne pouvait pas abandonner son fils comme il avait abandonné sa femme. Il devait se dresser entre lui et tous ceux qui lui voudraient du mal – autant les Jedi qui chercheraient à le prendre parmi eux que l’Empire qui voulait éradiquer tous les utilisateurs de la Force.
Il devait le faire pour le bien de Kad. La galaxie pouvait bien aller se faire voir.
J’en connais bien plus sur les Jedi que la plupart des clones – et des sang-mêlé, aussi. Je n’ai pas peur d’eux. Je sais comment les renverser. Pour Etain, pour Kad, pour tous ceux qui comptent pour moi.
— Saint Roly, répéta Fixer en pouffant, sans se rendre compte de l’instant de lucidité de Darman. Ouais, c’est bien trouvé. C’est un vrai saint.
Darman ne voulait pas d’un saint pour patron. Il voulait un soldat, et il voulait avoir confiance en lui comme il avait confiance en Kal’buir. Vador… Vador avait un sabre laser. Il utilisait la Force. Ce qui faisait de lui un ennemi potentiel, quelqu’un qui aurait légitimement intérêt à pourchasser Kad, soit pour le tuer, soit pour l’enrôler dans le club des Sith. Les Sith et les Jedi n’étaient que les deux faces d’une même pièce, c’est ce que disait Skirata.
Mais Roly Melusar était un homme ordinaire qui ne se faisait aucune illusion sur les Jedi, ou sur toute autre secte ayant recours à la Force.
— Hé ! murmura Scorch. Tu sais quoi ? On dit que Vador cherche de nouveaux donneurs de clones. C’est peut-être ça, le recrutement sur lequel ce gros lard de Cuis travaille.
Darman avait toujours le sentiment que Cuis était un utilisateur de la Force. Et s’il recrutait… il était hors de question que Kad fasse partie du lot.
Iri Camas était le premier Jedi que Darman avait combattu, mais il ne serait pas le dernier.
Kyrimorut, Mandalore
Skirata, tourmenté, fendait des bûches dans la cour.
Par le passé, il avait été celui qui partait à la guerre et laissait une famille derrière. Aujourd’hui, il était celui qui attendait des nouvelles, et soudain il eut une bien meilleure idée de ce qu’Ilippi avait dû vivre lorsqu’ils étaient mariés. L’attente était pénible. Même avec les plus récents comlinks et transpondeurs pour rester en contact – un luxe que son ex-femme n’avait jamais connu –, les minutes étaient toujours longues et vides, n’attendant que d’être comblées par de pernicieuses spéculations.
Ainsi c’est à cela que ça ressemble, de rester à l’arrière. Désolée, Ilippi. Je n’ai jamais vraiment compris.
Chaque fois qu’il abaissait la hache sur les troncs de résineux, l’odeur forte lui emplissait les narines. C’était probablement elle qui avait à nouveau réveillé ses souvenirs. L’odeur médicinale sucrée de la résine lui rappelait ses premiers mois de mariage, quand il était fou amoureux d’une serveuse corellienne de night-club nommée Ilippi. Jiro et lui avaient essayé de lui enseigner quelques qualités essentielles pour une épouse mandalorienne comme il faut – en l’occurrence comment fabriquer un abri de fortune, un vheh’yaim, et à cuisiner sur un feu de camp. Elle n’avait jamais compris comment couper des bûches. Il s’en moquait, il l’aimait. Ils avaient une petite baraque à Shuror où elle n’avait jamais eu à cuisiner sur un feu de camp, et il n’avait jamais cru que le feu de leur amour finirait par s’éteindre.
Je peux passer des mois, et même toute une année, sans penser une seule fois à elle. Et maintenant elle est de nouveau là, comme si c’était hier.
Cependant, il ne la retrouvait pas chez Ruu. Sa fille tenait tellement de lui que c’en était troublant. Si elle commençait à manifester des symptômes de tous ses défauts, ce serait comme de vivre avec un reproche vivant impossible à ignorer, et il saurait alors pourquoi le destin avait décidé de les réunir.
Des bottes crissèrent quelque part sur sa gauche. Skirata vit bientôt Vau pénétrer dans son champ visuel.
— Si tu t’inquiètes, dit celui-ci, tu as juste à les contacter.
Les yeux de Skirata restèrent fixés sur la bûche en équilibre sur le billot. Il avait eu trop d’accidents avec les haches pour se laisser distraire.
— S’ils sont en plein travail délicat, je pourrais tout foutre en l’air…
Skirata aligna sa hache, l’abattit et trancha une autre bûche en deux moitiés bien nettes. C’était une sorte de méditation – rien de mystique, simplement vivre l’instant en répétant des gestes simples et nécessaires sans réfléchir. La meilleure façon d’apaiser l’esprit.
Exactement comme maintenant, en fait.
— Tu te rends compte que Niner et Darman pourraient avoir quitté la Cité Impériale par leurs propres moyens, maintenant ? dit Vau. Ce sont des commandos, bon sang. Se tirer de quelque part est ce qu’ils font de mieux – après y être entrés, évidemment.
— Oui, mais ils y sont toujours. Ce qui veut dire qu’ils ont besoin d’un coup de main.
— C’est bien ce qui m’inquiète.
— C’est-à-dire ?
— Darman a un fils ici. Même Niner était d’accord pour décamper à la fin. Ils avaient toutes les raisons de se tirer dès que Niner a pu remarcher. Et ils ne l’ont pas fait.
— Tu sais aussi bien que moi que, dans une situation comme celle-là, tu dois bien choisir ton moment pour déserter.
Skirata n’avait pas voulu y réfléchir, mais il se demanda s’il avait tout faux depuis le début ; les deux clones avaient peut-être envie de rester dans l’armée. Et si c’était le cas, alors tout était de sa faute. C’est lui qui avait voulu que Darman ignore la grossesse d’Etain, et ça n’avait pas été un simple mensonge mais une série quotidienne de mensonges jusqu’à ce que le gamin fasse ses premiers pas. Et si Darman ne s’était pas suffisamment attaché à lui pour le placer au centre de sa vie avant tout le reste, alors c’était parce que lui, Skirata, lui avait donné un très mauvais exemple en tant que père. Et Niner… Niner avait un sens très pointu du devoir et des responsabilités que Skirata avait encouragé.
Je les ai formés pour être des soldats parfaits. Et maintenant je veux qu’ils oublient tout ça et qu’ils reviennent ici jouer les renégats mando avec moi. Qu’est-ce que j’espérais ?
— Oui, dit Vau, comme s’il avait lui aussi poursuivi un débat intérieur pendant le long silence de Skirata. Je me fais trop de mouron. J’ai trop de temps libre. Ils attendaient juste le bon moment, c’est tout.
— À quoi bon se bagarrer pour sortir quand on peut franchir la porte en toute tranquillité, dit Skirata qui jeta un coup d’œil sur le chrono de sa plaque d’avant-bras. C’est l’heure du déjeuner. Allez viens, allons passer un bon moment de sha’kajir avec notre camarade hautement qualifié.
Sha’kajir, qui signifiait s’asseoir pour un repas, en était venu à être l’équivalent de paix ou de cessez-le-feu. Skirata trouvait l’expression remarquablement adéquate à cet instant. Tout pouvait être résolu lors d’un repas, le territoire neutre où l’on disait ce qu’on avait à dire et où chacun était traité en égal, tout au moins jusqu’à ce qu’on quitte la table. Ses négociations avec Uthan étaient toujours en cours.
Vau esquissa un sourire.
— Mij’ika a l’air d’un autre homme depuis qu’il a trouvé quelqu’un pour discuter bactériologie et obstruction urétrale congénitale. Si seulement tout le monde était aussi facile à contenter…
— Pas à table, j’espère.
— Ne t’affole pas, Kal. Avec leur jargon médical, tu ne comprendras rien à leurs histoires à soulever le cœur.
Skirata ignora la plaisanterie sans faire le moindre effort. Un an plus tôt, peut-être, il aurait ranimé leurs vieilles chamailleries, mais tous deux trouvaient désormais que leurs désaccords ne valaient plus qu’ils se fassent la guerre.
— Tu sais, Walon, je n’arrive pas à détester Uthan. J’ai essayé, mais je ne peux pas.
— Tu n’arrives pas à détester Kina Ha non plus, et tu estimes que tu le devrais, question d’honneur, je le sais.
L’expression de Vau s’était adoucie et ça ne lui allait pas du tout. La nature l’avait choisi pour être un aristo brutal et implacable, un homme qui cognait sur ses serviteurs et réservait son affection à ses bêtes de race. Tout cela était inscrit dans son ossature et sur ses traits durs de patricien.
— L’espèce mise à part, ajouta-t-il, je ne peux pas m’empêcher de regretter que ma mère n’ait pas été comme elle. Très majestueuse, très gracieuse. Elle est bien plus comtesse que ma chère maman l’a jamais été.
Pour Skirata, l’âge ne changeait rien à l’affaire. Vau semblait penser que la vieillesse était synonyme de sainteté, que l’ardoise de la vie était tout bonnement effacée rien que parce qu’on était trop faible pour répondre à un coup de boule. Skirata ôta ses bottes à la porte et les posa sous l’auvent.
— Si Demagol entrait ici maintenant, vieux de quatre mille ans, qu’est-ce que tu ferais ? demanda-t-il.
— Je lui dirais de se rendre utile pour une fois et de rejoindre Uthan dans son labo pour lui donner un coup de main.
— Non, sérieusement.
— Tu veux savoir si je pointerais mon blaster sur un très vieux bonhomme et si je lui tirerais dans les genoux pour lui faire payer ses crimes eugéniques, c’est ça ?
Skirata se demanda si Vau ne pardonnerait jamais à son père haï d’avoir simplement repoussé la mort trop longtemps. Il en doutait.
— Je ne suis qu’une simple brute qui essaie d’explorer la morale, Wal’ika.
— Alors il faudrait que je me retrouve en face de lui pour connaître la réponse. Mais je suis sûr que toi tu sais quelle serait ta réaction.
— C’est vrai. Rien n’interdit de descendre un vieux sans défense. Parce que quand il n’était pas sans défense, il a fait des choses terribles à des êtres vivants sans autre raison que sa curiosité scientifique.
Skirata ôta sa cuirasse dans l’entrée. C’était une bonne protection en toutes occasions, aussi bien pour couper du bois que pour combattre les Trandoshans, et ça apportait aussi un soutien bienvenu à ses articulations vieillissantes.
— Ne t’inquiète pas, Kina Ha ne craint rien. Shab, pour les gihaal, elle était un produit défectueux. S’ils n’avaient pas pu se servir d’elle pour leurs traficotages, je doute qu’ils auraient célébré ses différences.
Deux bruits distincts attirèrent l’attention de Skirata alors qu’il s’engageait dans le passage. D’une part les tintements des assiettes et le faible bourdonnement audio d’un holorécepteur venant de la cuisine. D’autre part un son qu’il accueillait toujours avec des sentiments mitigés : le vzzzm-vzzzm-vzzzm de quelqu’un maniant un sabre laser.
Deux sabres laser, en fait. Les vrombissements insistants semblaient se chevaucher. Donc Jusik se battait contre un adversaire, et Skirata doutait que ce soit Kina Ha.
D’un signe de tête, il informa Vau qu’il allait voir ce qu’il en était. Le bruit le mena jusqu’à une des pièces vides, aux portes grandes ouvertes – une chambre attendant un déserteur en mal de toit au-dessus de la tête. Jusik, en armure mais sans casque, combattait avec Scout. Il s’arrêta aussitôt. Skirata lui fit signe de continuer sans s’occuper de lui.
— On essayait d’être discrets, pour les sabres laser, dit Jusik, tenant sa lame bien à l’écart sur sa droite tandis que Scout se remettait en position. Désolé, Kal’buir.
Skirata haussa les épaules.
— Ne fais pas attention à mes radotages. N’oublie pas que moi aussi j’en ai utilisé un.
Il s’était servi de celui de Jusik, en fait. Il s’en était emparé pour tuer un Jedi, fou de douleur et de rage juste quelques secondes après avoir vu Etain se faire trancher en deux. Il se demandait si ça posait problème à Jusik de le tenir maintenant, si la lame lui parlait de ses anciens frères abandonnés ou si elle marquait une sorte de grand tournant, le moment où il avait renoncé à son identité de Jedi.
— Les sabres laser ne sont pas snobs, dit-il. Tu peux les manier, ils ne s’occupent pas de savoir qui était ton père.
— Scout doit garder la forme, expliqua Jusik qui paraissait devoir justifier ce qu’il faisait. Il faudra qu’elle se défende de nouveau un jour.
Jusik fit une rapide pirouette, et Scout bloqua son coup avant même qu’il soit retombé sur ses pieds. Elle avait l’air d’avoir su avant lui de quel côté il allait se pencher. Elle le refit, encore et encore. Jusik se retrouva avec son sabre laser qu’il tenait presque comme un couteau, style bagarre de cantina, campé sur ses deux pieds, les genoux fléchis, se balançant d’un côté et de l’autre avant de bondir. Et même là, elle bloquait sa lame. Puis elle plongea et atteignit sa cuirasse. Une marque de brûlure s’imprima sur le revêtement vert.
— Désolée ! s’écria-t-elle en portant la main à sa bouche. Waoh… Les sabres laser ne sont pas très efficaces contre une bonne beskar’gam, hein ?
Elle s’avança pour passer un doigt sur l’armure.
— Ça a juste égratigné la peinture. Le métal n’a pas bougé.
— C’est pour ça que je porte du beskar, et pas du duracier.
Jusik baissa les yeux sur la trace, puis adressa un clin d’œil à Skirata.
— Tu vois, Kal’buir, ça va sacrément booster ma réputation. Il a combattu contre un Jedi et survécu pour frimer en exhibant les dégâts.
Même une innocente plaisanterie comme celle-ci avait le pouvoir d’évoquer l’image du chaos sur le pont de Shinarcan à Skirata. Mais il ne pouvait pas continuer à vivre en tressaillant au moindre mot. Il se força à affronter chacune des douloureuses syllabes.
— Déjeuner, ad’ike, dit-il en tapant dans ses mains pour leur faire presser le mouvement. On est en retard aujourd’hui. Si on la fait attendre, Jilka va nous passer un savon.
Dans la cuisine, Vau, Uthan et Gilamar étaient assis à la table devant les holonews pendant que Besany et Jilka aidaient Arla à servir les plats. C’était la première fois qu’Arla se joignait à eux. Elle avait l’air perdue, mais une cuisine était un endroit bruyant et chaotique, surtout quand on a passé des années dans une cellule capitonnée.
— Vous m’excuserez d’avoir apporté l’holo ici, dit Gilamar. Mais les choses ont l’air de se gâter sur Gibad.
— Pas de problème pour moi, dit Skirata qui se servit en pains-repas. Où sont passés les autres ?
— Fi, Parja et Corr sont à la chasse avec Mird, dit Besany. Kina Ha médite au bord du lac, et tous les autres sont partis pêcher ou aider Levet à semer les haricots. Laseema a emmené Kad, mais elle la bien emmailloté. J’ai oublié quelqu’un ?
— Tu me connais trop bien, Ad’ika.
Besany lui répondit par un clin d’œil. Jilka n’était pas partie avec Corr, alors peut-être que sa relation avec Besany se dégelait-elle un peu. Skirata l’espérait en tout cas.
— Quelqu’un pourrait me mettre au courant, pour Gibad ? demanda-t-il.
Uthan ne quittait pas l’écran des yeux. L’holoreportage était transmis en direct du parlement gibadan, dans le décor trompeusement paisible d’une place bordée d’arbres avec une fontaine au centre. Skirata pouvait voir les véhicules blindés devant le bâtiment et les troupes qui gardaient les énormes portes en bronzium en haut des marches, lesquelles prenaient toute la largeur de la façade à colonnades. Des infos de dernière minute défilaient sur l’écran ou apparaissaient brièvement dans des icônes fixes.
— Ils ont dit à Palpy d’aller se faire voir, dit Gilamar. Depuis, le compte à rebours de l’ultimatum a commencé, et ils s’attendent à un assaut orbital total.
Aussi plaisante soit-elle, la planète ne valait pas la peine qu’on se battre pour elle, sauf pour faire passer le message au reste de la galaxie. Uthan savait probablement ce qui allait arriver. Skirata s’imagina seul et impuissant à des années-lumière de Mandalore et se demanda s’il aurait le courage de regarder l’anéantissement de Keldabe. Il en doutait. Mais ne pas regarder lui donnerait probablement une sensation de manquement au devoir.
— Docteur, vous reste-t-il encore de la famille là-bas ? s’enquit Jilka.
— De la famille indirecte, oui. Et des collègues de l’institut. Des amis.
Skirata éprouva un frisson glacé dans l’estomac. Elle n’a pas pu contacter qui que ce soit chez elle depuis trois ans. Je n’ai jamais pensé quelle pouvait avoir envie d’appeler et de parler à sa famille, mais de toute façon je n’aurais pas pris le risque. Maintenant, tout a changé. Est-ce que je la laisse appeler ?
Apparemment, il était déjà trop tard. Il glissa néanmoins son comlink vers elle sur la table. Elle croisa son regard, puis prit l’appareil.
Si elle tentait quoi que ce soit de stupide, il pourrait toujours la tuer. Le comlink était intraçable. Elle composa un code puis leva lentement l’appareil à sa bouche.
— Sessaly ? Sessaly, c’est toi, ma chérie ? Oui, c’est Qail… Oui, je vais bien, je suis en sécurité, je…
Uthan rencontra les yeux de Skirata une seconde, puis détourna la tête.
— Je ne peux pas te dire où je suis, mais tout va bien… Non, quelqu’un m’en a sortie, mais ce n’est pas ça qui compte, est-ce que toi, ça va ? Je suis en train de regarder ce qui se passe aux infos…
Skirata regretta de ne pas être plus sourd qu’il l’était, parce qu’il était affreux d’entendre la panique dans la voix d’Uthan. Elle qui avait toujours été dure comme la pierre – jusqu’à cet instant. Et c’était ça qui rendait les choses plus pénibles encore. Jusik posa la main sur son bras et s’assit près de lui. Puis, pendant quelques minutes, tous s’efforcèrent de manger et de faire comme s’ils n’entendaient pas la conversation de plus en plus chargée d’émotion. Sessaly, d’après ce qu’il avait pu comprendre, était sa cousine.
Skirata se concentra sur le reportage et s’aperçut que le présentateur, sur place, était le droïde derrière l’holocam.
O.K. Envoyez une casserole pour filmer une guerre, super – mais il va se faire griller dès que les Turbolasers entreront en scène. Qu’est-ce que c’est que cette propagande ?
— D’après nos informations, l’ultimatum est resté sans réponse, et il n’y a pas le moindre engagement du gouvernement gibadan, dit le droïde. L’empereur a désormais autorisé l’usage de la force pour rétablir l’ordre.
Skirata trouvait Gibad plutôt bien ordonné.
Oh, shab…
— Sessaly, il faut que tu ailles te mettre à l’abri maintenant.
Uthan se leva en s’enfonçant nerveusement les doigts dans les cheveux.
— Je t’en prie. Nous reparlerons plus tard. Va te mettre à l’abri ! Je t’en supplie.
Même une femme disposée à tuer des millions d’êtres avait des sentiments. Skirata lança un coup d’œil vers Gilamar, bien plus émotif que le pensaient les autres, et le vit qui souffrait avec elle. Skirata n’aurait jamais imaginé que ces deux-là puissent devenir proches.
— Non… murmura-t-elle.
Le texte déroulant, au bas de l’image, annonçait : EXPIRATION DU DÉLAI ACCORDÉ À GIBAD – LE CORPS EXPÉDITIONNAIRE IMPÉRIAL LANCE L’ASSAUT.
— Sessaly, ne bouge pas du sous-sol, tu m’entends ? Sessaly ? Sessaly !
Gilamar laissa échapper un long soupir. Uthan fixait le comlink, les yeux pleins de larmes.
— Je… je crois que les appels sortants ont été brouillés, dit-elle.
Sessaly s’en tirerait peut-être, mais Skirata refusa de trop s’appesantir sur ses chances. Uthan lui rendit le comlink et regarda fixement l’écran. Scout et Jusik l’observaient, le visage sombre, puis Scout se pencha pour poser la main sur son bras. Ce que les deux Jedi pouvaient ressentir venant d’Uthan semblait bien plus pénible encore à supporter que ce que Skirata pouvait voir.
— Qui enregistre ça ? demanda Gilamar.
Il semblait tout aussi ébranlé. Shab, il s’attachait trop à Uthan.
— Si le bombardement a commencé, ils l’ont raté.
— Un droïde, répondit distraitement Skirata. Jusqu’à ce qu’un barrage laser le dégomme.
Bizarre…
L’holocam bascula vers le ciel, se focalisa sur quelque chose dans les nuages, puis des petits points noirs apparurent et se transformèrent en chasseurs – du moins était-ce ce que pensait Skirata. Jusqu’à ce qu’il comprenne que ce n’étaient pas des appareils militaires mais des avions-pulvérisateurs droïdes.
Gilamar semblait l’avoir compris avant lui.
— Non, c’est trop immonde, même pour Palpatine.
L’assaut avait bel et bien commencé. Mais sans bombardements. Et à présent Skirata comprenait pourquoi le reporter était un droïde, parce qu’il n’y aurait aucun turbolaser braqué sur les villes de Gibad. La planète serait encore debout demain.
Les pulvérisateurs n’avaient qu’une fonction : larguer des produits chimiques. Et c’était exactement ce que cette flotte semblait faire à cet instant.
— Des armes chimiques, dit Gilamar. C’est d’une lâcheté innommable. Hutuune.
Oui, c’était une arme de lâche. Skirata se demanda si la façon de mourir à la guerre comptait vraiment à partir du moment où c’en était fini rapidement ; par contre, les moyens de destruction employés par une armée disaient clairement si une société était honorable ou si on avait affaire à une bande de sauvages. Pour lui, lâcher des produits chimiques sur une ville au lieu de larguer des troupes était pire que tout ce qu’on pouvait imaginer. Quoi que puisse penser le monde des aruetyc, les Mandaloriens avaient leur code de l’honneur, or entraîner des civils dans une guerre – en tant que cibles, boucliers ou n’importe quoi – signifiait qu’il n’existait plus de limites. Un ennemi comme cela ne méritait pas la moindre pitié, et n’en obtenait aucune.
Mais c’est Palpatine. Nous n’allons pas le combattre. Pas encore, en tout cas. Donc je mets ça en réserve pour l’avenir.
La cachette de Sessaly, dans un sous-sol, ne la sauverait pas. Ni elle, ni personne. Uthan ferma les yeux, porta son poing à sa bouche et pleura en silence alors que la cam droïde changeait de point de vue pour montrer la ville elle-même. Gilamar lui prit la main et lança un regard à Scout, ce qui, l’espace d’une fraction de seconde, les fit apparaître comme une famille.
Skirata, qui eut soudain l’impression d’être un voyeur, détourna les yeux et se demanda quel agent chimique utilisait l’Empire. Puis une pensée terrible s’imposa à lui qui se demanda s’il était vraiment chimique…