9
Pour moi, rien ne va de soi. L’Empire a peut-être des millions de troupes, il reste malgré tout encore fragile, encore à ses débuts, et ceux qui veulent le renverser seront toujours là. Mais ils attendront toujours le moment où ils se sentiront assez puissants pour le faire ; ils ignorent totalement que le meilleur moment pour frapper, pour eux, est maintenant, pendant que je suis encore en train de consolider mon pouvoir. Comme toujours, l’ignorance et l’apathie de la populace jouent en ma faveur.
L’Empereur Palpatine à son secrétaire droïde
Kyrimorut, Mandalore
Skirata percevait des voix étouffées et distantes : quelqu’un se disputait violemment avec le général Zey. Mais Zey était déjà mort, et cela le perturba au point qu’il décida qu’il devait être en train de rêver.
C’était bien ça. Il se réveilla dans le fauteuil mais les éclats de voix se poursuivirent. Eux, en tout cas, étaient bien réels. On se bagarrait pour de bon quelque part. Il lui fallut encore un instant pour émerger tout à fait et comprendre qu’une des voix était celle d’une femme.
Shab, Jilka s’en est finalement pris à Besany.
Il s’extirpa de son siège et remonta le couloir en courant, manquant trébucher sur Mird alors qu’ils se rencontraient à mi-chemin. Si ç’avait été des intrus, Mird les aurait mis en pièces. Donc, le problème était domestique.
— Menav ni ! Menav ni, taan !
Jilka ne parlait pas le mando’a. Encore que… Non, ce n’était pas du mando’a, mais du concordien. C’était Arla qui hurlait comme si on l’étripait en exigeant qu’on la relâche. Skirata ouvrit à la volée la porte du vestibule à l’arrière, laissant par réflexe glisser le couteau placé dans sa manche dans sa main. Il trouva Jusik qui immobilisait Arla dans une solide prise.
Et à cet instant Skirata pu voir qu’elle était vraiment la sœur de Jango. Ses yeux exprimaient la même colère blessée que rien ni personne ne pourrait apaiser.
— Désolé, Kal’buir.
Le visage de Jusik était lacéré de griffures sanglantes. Arla se figea, haletant comme pour reprendre son souffle.
— J’ai eu beaucoup de mal à la ramener ici sans rien lui briser.
— Shab.
Skirata passa la tête par la porte en hurlant.
— Mij’ika ? Mij’ika, tu es réveillé ? Medic !
À peine Jusik avait-il desserré son étreinte que Arla lui donna un bon coup de coude sur le torse.
— Lâche-moi, Mando, siffla-t-elle entre ses dents. Je te trancherai la gorge, je te le promets. Et toi, grand-père, essaie d’approcher et je t’étripe.
Skirata entendit un bruit de bottes dans le couloir. Arla donna un violent coup de boule en arrière sur le visage de Jusik. On entendit nettement le crac. Puis, aussitôt, elle s’effondra. Jusik, dont le nez pissait le sang, la rattrapa pour la déposer par terre en douceur. Skirata ne savait pas si elle s’était assommée elle-même ou si elle s’était tout bonnement évanouie. Gilamar apparut sur le seuil avec sa mallette de médecin. Son regard passa alternativement de Skirata à Jusik.
— Elle va s’en remettre, dit Jusik qui s’essuya le nez du dos de la main. Ça ne fait pas mal. Tu peux demander à Ruu.
— Quoi ?
— Coup de Force incapacitant. Désolé, mais je n’avais pas le choix.
Mird arriva sur ces entrefaites pour flairer Arla et lui lécher le visage, mais elle était complètement KO.
— C’est moins dur que de lui briser le poignet.
Skirata avait tendance à oublier la gamme de méthodes de combat que Jusik avait en réserve.
— Je ne crois pas que ça l’aurait arrêtée. Que s’est-il passé ?
— Je l’ai trouvée en train d’errer dehors, très agitée, et quand j’ai essayé de la ramener à l’intérieur, elle est devenue complètement cinglée et a cherché à m’assommer avec un bout de bois. Elle sait se battre en tout cas.
Gilamar leva un hypospray à la lumière pour le vérifier, puis s’accroupit devant Arla pour le lui planter dans le bras.
— Voilà ce qui arrive quand on arrête trop brutalement ses remèdes, dit-il. Maintenant, je sais pourquoi ils la médicalisaient autant. Je vais devoir trouver quelque chose pour remplacer la sébénodone et réduire peu à peu la dose.
— Tu me traduiras ça en basic un de ces jours, dit Skirata qui fit signe à Jusik d’approcher pour examiner ses plaies.
Il avait le nez légèrement tordu.
— Ça risque de recommencer ? Je ne peux pas m’empêcher d’entendre Vau me dire « je te l’avais bien dit ».
— Ce n’est pas parce qu’elle a été reconnue coupable de meurtres que cet incident constitue son comportement habituel, dit Gilamar. Elle est en pleine désintoxication d’un calmant qui paralyserait un Hutt, elle est traumatisée et terrifiée. Rien ne permet de penser qu’elle ne franchira pas ce stade.
— C’est toujours rassurant de le savoir, dit Skirata.
Oui, ç’avait été son idée – et celle de Jusik – de la sortir de l’asile, alors qu’il savait parfaitement que son dossier précisait « meurtrière ». Lui-même avait tué plus souvent qu’à son tour, alors il aurait eu mauvaise grâce à tiquer devant les antécédents criminels d’autrui.
— Mais jusqu’à quel point peut-elle être dangereuse ?
— Suffisamment.
Jusik posa une compresse cold-pack sur son nez et se leva en maintenant sa tête légèrement en arrière. Gilamar la lui remit droite.
— Je ne peux pas continuer à me battre comme ça avec elle.
— Bon. D’abord, pour la sécurité de tout le monde, on va fermer les portes et mettre un verrou à la sienne, annonça Skirata.
C’était une complication dont il se serait volontiers passé, mais il n’avait d’autre choix que de faire avec.
— Ça ira, fils ?
— Je survivrai.
Toute la maisonnée était à présent réveillée et chacun venait aux nouvelles pour connaître l’origine de cette agitation. Un petit groupe s’était assemblé à la porte, mené par Fi et Vau.
— On va la bouger d’ici, dit Fi.
Parja et lui n’avaient pas l’air surpris du tout. Skirata admira la capacité de sa famille à faire face à n’importe quel événement.
— Il ne vaut mieux pas qu’elle reprenne conscience avec tout ce monde autour d’elle, ajouta Fi.
Vau secoua la tête.
— Je te l’avais bien dit.
— Ouais… Je sais.
Skirata regarda ailleurs lorsque Gilamar réaligna le nez de Jusik. Il ressentit la douleur quand le cartilage se remit en place avec un chlick sec.
— Mais on ne peut pas la ramener au centre med, et même si on trouvait de la famille Fett sur Concord Dawn, ils ne pourraient pas s’occuper d’elle dans son état. Donc il faut trouver une solution.
— Qu’est-ce qui te fait croire qu’on peut la guérir là où le Centre Valorum a échoué ? demanda Vau.
— Nous avons un intérêt particulier à la libérer. Eux voulaient juste l’empêcher de vadrouiller dans les rues.
Gilamar semblait fournir des efforts pour paraître de bonne humeur, même s’il n’était pas heureux du tout, et Skirata n’avait pas besoin d’être un Jedi pour le sentir.
— Kal, sortir les gens de leur folie est un boulot de longue haleine si c’est la conséquence d’un traumatisme. Mais les déséquilibres de la chimie du cerveau sont relativement faciles. Il suffit de rajouter de l’huile, « pharmaceutiquement » parlant.
— Je peux peut-être y arriver, dit Jusik d’une voix déformée par son nez cassé. Je me débrouille plutôt bien avec les cerveaux.
— Il arrache Fi à la mort, et soudain il s’improvise neurochirurgien, dit Gilamar en lui adressant un clin d’œil. Peux-tu visualiser ce qui se passe dans le cerveau d’Arla qui provoque le problème ? C’est comme ça que tu as soigné Fi, non ? Tu as vu quelque chose avec ton œil intérieur et tu l’as manipulé avec la Force.
Jusik haussa les épaules. Skirata se rendit soudain compte de la présence de Scout. Elle s’était frayé un chemin dans le groupe et regardait Jusik avec intensité, comme s’il disait quelque chose que personne d’autre qu’elle ne pouvait entendre.
— C’est sûrement possible, dit enfin Jusik. Le cerveau est une machine. Les pensées, les sentiments, les souvenirs… Tout est une question de boutons électriques qu’on allume et qu’on éteint. Je crois que nous manipulons tout ça très souvent, mais sans en avoir conscience.
— Nous ? demanda Scout.
— Les utilisateurs de la Force.
Quelque chose avait frappé l’imagination de la jeune Jedi. Skirata pouvait le voir clairement inscrit sur son visage.
— Le spectacle est terminé, ad’ike, dit-il. Il est temps d’aller dormir pour être en forme demain matin.
Alors que tous les autres prenaient le chemin de leurs chambres. Scout se retourna vers Jusik comme si elle brûlait de lui poser une question, mais ne jugeait pas approprié de le faire. Besany s’attarda.
— Je vais la maintenir sous sédatif jusqu’à ce que nous trouvions de la sébénodone, dit Gilamar. Au mieux, ça la calmera, mais au pire ça pourrait réellement lui nuire. Ce produit-là a une longue liste d’effets secondaires permanents. O.K., je retourne me coucher, et on verra où elle en est au matin.
Personne n’avait jamais trop posé de questions sur les victimes d’Arla. Skirata remarqua, comme cela lui arrivait de temps à autre, que les Mandaloriens avaient une réaction différente de celle des aruetiise face au côté violent de la vie. Pendant des millénaires, ils s’étaient chargés des travaux trop dangereux ou trop difficiles pour les armées d’autres planètes et avaient pourchassé les plus violents criminels de la galaxie. Se faire tuer faisait partie du jeu. Quand on vivait de cette façon, il y avait toujours quelqu’un qui vous attendait quelque part pour vous descendre. Dans les contrées plus raffinées, mieux nourries de la galaxie, un seul assassinat plongeait les médias et les voisins dans l’horreur pendant des semaines. Ici… ça faisait simplement partie de la vie, et seules les circonstances comptaient. Il n’y avait aucune gloire à être un tueur, et aucune honte non plus, à moins que le meurtre ait été ori’suumyc – « trop loin », trop éloigné des règles de conduite Mando acceptables.
On considérait donc que Arla avait ses raisons jusqu’à preuve du contraire. Toutefois, malgré son illustre frère, elle n’était pas mandalorienne, et Skirata dut se rappeler qu’il ne savait pratiquement rien d’elle.
— Qu’est-ce que tu as fait pour la provoquer ? demanda Besany à Jusik.
Lequel prit un peu la mouche.
— Rien, si ce n’est que je suis un homme.
— Je n’ose même pas imaginer ce que les hommes ont pu lui faire pour qu’elle en ait aussi peur.
Elle examina un peu son nez puis lui prépara une tasse de shig qu’il but avec réticence.
— Et ce qui l’a poussée si près du gouffre, ajouta-t-elle.
— En tout cas, elle n’a aucune chance de s’en sortir tant que nous ne l’aurons pas découvert.
— Peut-être qu’elle a toujours eu des problèmes mentaux, dit Skirata. Tout simplement. Si tous ceux qui ont eu une enfance difficile devaient devenir des psychopathes, la moitié de la galaxie passerait son temps à s’entretuer.
Sa remarque avait une dureté qui n’était pas intentionnelle. Besany esquissa un froncement de sourcils.
— Est-ce qu’Ordo a appelé ?
— Non. C’est normal.
— Bon, d’accord. Je suppose qu’il nous donnera des nouvelles quand il le pourra, dit-elle en bâillant. Ce sera super de retrouver Niner et Darman. Sans eux, il manque quelque chose dans cette maison. Bonne nuit, Kal’buir.
Il était 3 heures du matin. Skirata se demanda à quoi ressemblait une vie sans histoires. Mais ses garçons seraient bientôt rentrés, et il avait un tout nouveau fils en Jusik, et cela l’aidait à appréhender sous un angle moins menaçant les difficultés qui le guettaient.
C’est pour eux que je le fais. C’est pour ça que ça en vaut la peine. Il faut résoudre un problème à la fois. Et au bout du compte…
— Comment te sens-tu, Bard’ika ? demanda-t-il en lui ébouriffant les cheveux. Tu veux un analgésique ?
— Ça ira, merci, répondit Jusik. Ce n’est pas mon premier œil au beurre noir.
— Tu devrais prendre plus de temps pour te guérir toi-même, tu sais. Ça n’aurait rien d’égoïste.
— Fi a toujours besoin d’une thérapie. Et je suis sûr que je peux faire quelque chose pour Arla. Il faut juste que je découvre quoi. Kal’buir, si tu pouvais sentir les choses dans la Force… La détresse qui émane d’elle est terrible. C’est comme si elle pleurait en permanence.
Skirata trouva très révélateur que Jusik use pour parler de ses pouvoirs d’un terme aussi technique – une thérapie. Il exprimait ses capacités dans la Force comme des outils du monde réel qui obéissaient aux lois de la physique, qui pouvaient être compris et expliqués. Il n’avait jamais été très mystique. Parfois, Skirata avait même l’impression que ses pouvoirs l’embarrassaient parce qu’ils n’étaient pas logiques, et qu’il avait besoin de les fixer et de les définir.
Si seulement ils avaient tous pu être comme lui. Si les Jedi avaient tous été comme lui, nous n’aurions jamais été en guerre contre eux.
— Va dormir, Bard’ika, dit-il.
Il passa devant la chambre d’Arla, juste pour s’assurer que tout était rentré dans l’ordre. Mird était couché en boule devant la porte, un de ses yeux dorés ouvert et fixé sur Skirata, les narines frémissant brièvement comme pour renifler son odeur. Le strill dormait d’ordinaire au pied du lit de Vau. Soit on lui avait assigné le rôle de sentinelle, soit il avait décidé de lui-même de monter la garde devant la porte d’Arla.
Ny a vraiment un faible pour Mird. Un os de bantha !…
Elle lui manquait déjà. Il espérait quelle s’entendait bien avec les Nulls. Mird poussa un léger grognement comme pour lui assurer qu’il avait la situation en main et qu’il était temps pour lui d’aller se reposer un peu.
Plus facile à dire qu’à faire. Skirata regarda son chrono pour calculer l’heure sur Coruscant et décida qu’Ordo n’allait pas tarder à appeler. Et puis il faudrait aussi aviser, pour Uthan, avant que le sort de Gibad ne l’éloigne trop de ce qu’on attendait d’elle.
Je suis vraiment un sale type, par moments, non ?
Sans raison apparente, il pensa soudain à Dred Priest, sûrement parce que lui aussi était un sale type, puis il se demanda si le chakaar avait entendu dire que ses camarades Cuy’val Dar étaient dans le coin. Tout le monde au Oyu’baat le savait ; Skirata supposait donc que Priest était au courant, lui aussi. Mais jusqu’à quel point pouvait-il être dangereux ?…
Non, il tient trop à sa vie. Et s’il sait que Gilamar est ici… il ne cherchera pas les ennuis.
Skirata s’installa dans la cuisine avec un mug de shig et écouta les infos pour avoir les dernières nouvelles de Gibad. Il n’apprit pas grand-chose ; presque tous les habitants étaient morts, et les expats n’étaient probablement pas pressés de se précipiter dans le plus proche studio étranger pour exprimer leur indignation.
Ai-je tort de faire pression sur Uthan alors qu’elle vient de perdre son monde ?
Au bout du compte, nous piétinons tous ceux qui ne comptent pas pour nous. La seule différence, c’est que je ne cherche pas à me mentir là-dessus.
Au bout d’un temps, son comlink sonna. Ordo était un peu en avance. Skirata ouvrit le canal, souhaitant apprendre que Dar et Niner étaient sur le chemin du retour, mais il se rendit compte qu’il leur faudrait sans doute un moment pour sortir de Coruscant.
La Cité Impériale, mon shebs, Corrie.
— Sergent ? dit une voix.
Ce n’était pas Ordo. La voix était familière, c’était celle d’un clone, mais pas un de ses garçons. Ç’aurait pu être n’importe qui ; le bruit commençait à courir un peu partout qu’il existait un havre sûr pour les déserteurs. Il était difficile de faire savoir à ceux qui avaient besoin d’aide où le trouver tout en maintenant le secret sur Kyrimorut, mais très peu connaissaient le vieux code de son comlink, et il était désormais impossible de l’utiliser pour remonter à un endroit spécifique.
— Qui le demande ? dit-il.
— C’est moi, Maze. Anciennement capitaine Maze.
Maze figurait sur la liste des personnes recherchées.
Jamais Skirata n’aurait imaginé qu’il puisse vouloir déserter, mais les soldats des ARC étaient une drôle d’équipe.
— Tu as besoin d’aide, fils ?
— J’ai entendu dire que vous vous occupiez de… d’un service de relocalisation.
Skirata éprouva un brusque soulagement. C’était exactement cela qu’il avait voulu faire. Son existence était justifiée.
— On va s’occuper de toi. Tu veux me dire où tu es ?
— Comment ça se passe ?
— Nous ne donnons aucune coordonnée sur les com. Donne-moi un point de RV et on viendra te chercher.
Maze marqua un petit temps.
— Fradian. Le terminal minéralier.
— Ça prendra peut-être quelques jours.
Le comlink de Maze n’indiquait pas le lieu d’où il appelait. Mais il aurait été déçu si un capitaine ARC n’était pas d’une prudence frisant la paranoïa.
— Tu peux attendre un peu ?
— Ouais.
Skirata avait envie de lui demander ce qui l’avait poussé à quitter le navire, mais ça pourrait attendre. Moins ils passaient de temps sur la com, mieux c’était. Il lui parlerait de la garnison impériale quand ce serait nécessaire, mais aucun ARC ne perdrait le sommeil parce qu’il avait quelques Impériaux pour voisins.
— Tu veux me donner ton numéro de comlink ? Il n’apparaît pas.
— Je suis dans une cabine publique, répondit Maze. Je vous rappelle dès que je suis à Fradian.
Il pouvait être n’importe où, alors, et il avait ses raisons de ne rien dire. Skirata coupa la com et sourit pour lui-même. Les enfants abandonnés rentraient enfin à la maison. Tout allait s’arranger, il le savait.
— Allez, Ord’ika, murmura-t-il en regardant son chrono. Appelle-moi. Dis-moi que mes gars sont en route.
Parking de
vaisseaux de fret, Quadrant G-80,
Cité Impériale
Ny regretta de ne pas avoir choisi un meilleur système de sûreté pour le Cornucopia.
Les cams externes du cargo lui offraient une vue limitée du monde extérieur, juste les endroits critiques qu’elle devait surveiller par sécurité – les rampes de chargement, les tuyaux d’échappement, la partie du sol où était posé le train d’atterrissage, et l’écoutille principale. Alors que, calée dans son siège, elle se tracassait en imaginant ceux qui pourraient rôder dans le coin, prêts à l’arrêter, elle se rendit compte de tout ce qu’elle ne pouvait pas voir.
Et d’ici quelques heures, il fera nuit en plus.
— Détends-toi, Ny.
Prudii avait l’air absorbé par son datapad, mais son champ visuel était manifestement plus large qu’elle le pensait.
— Les œufs ne vont pas se casser.
Dans la cale, une palette complète d’œufs assortis – nuna, marlello, et même les énormes œufs de ganza – était bien arrimée au pont. Ny espérait que le reste des tâches inscrites sur sa liste serait aussi facile à faire que les courses. Si elle avait su qu’ils resteraient aussi longtemps coincés ici, elle aurait emmagasiné plus de provisions que ça.
— S’il y a quelque chose à casser qui m’inquiète, ce ne sont pas les œufs, dit-elle, c’est d’autres choses. Comme des jambes et des cous…
La grande enseigne lumineuse de l’autre côté du complexe la perturbait. C’était la seule chose neuve et brillante qu’elle pouvait voir dans le quartier, lequel arborait encore les traces des tirs de canons datant de l’invasion ratée des Séparatistes – des murs criblés de trous de blasters et des vides dans les rangées d’immeubles, comme des dents manquantes dans une mâchoire. L’enseigne montrait un flic et un soldat, côte à côte, sérieux, gardiens de la nouvelle paix impériale, avec les mots : QUELQU’UN DE SUSPICIEUX ? PAS À SA PLACE ? SIGNALEZ-LE. SOYEZ LES YEUX ET LES OREILLES DE L’EMPIRE.
Ces enseignes étaient énormes, lumineuses et omniprésentes. Ça lui fichait la trouille.
— Ça déprécie l’image militaire, hein ?
Jaing faisait rouler ses épaules comme si sa nouvelle armure était trop étriquée. Les Nulls étaient plus solidement bâtis que le soldat moyen, et Ny se demandait quand les effets de la bonne cuisine de Kyrimorut commenceraient à apparaître sur leur tour de taille.
— Bientôt ce seront des storms qui distribueront les tickets de parking.
Ny se pencha vers lui pour tirer sur sa ceinture.
— Je conseille vraiment d’essayer les citernes pour voir si elles ne sont pas trop petites, les gars. Les Jedi y étaient déjà à l’étroit. Et nous allons avoir six gars costauds à cacher pour sortir d’ici.
— Pas pour longtemps, dit Prudii. Et ces armures sont totalement hermétiques pendant une demi-heure.
Ny eut la vision des clones cramponnés à l’extérieur du vaisseau comme ces gosses des rues de Salgari qui s’offraient des voyages gratis sur les speeders de transport.
— Il va falloir me faire un dessin.
— Ça veut dire qu’elles peuvent aussi supporter l’immersion. Qui ira chercher des clandestins dans un réservoir plein d’eau ? Ou une citerne pleine de fuel, pourquoi pas ?
— C’est complètement dingue, dit Ny.
L’idée la fit frémir. Ce fuel était du trimosératate liquide – pas aussi volatile que du métal liquide, mais une vraie saleté tout de même.
— Vous êtes tous mabouls, les gars.
— C’est pas de notre faute, Buir’ika.
Prudii s’immobilisa, le doigt pressé dans l’oreille. Il écoutait simplement l’alimentation audio de Niner, mais il forçait le rôle au point de donner l’impression tout à fait crédible d’être franchement déjanté.
— Les gihaals nous ont conçus cinglés.
Mereel haussa un sourcil.
— Du moment que je n’ai pas à me planquer dans la cuve à ordures…
— Ils n’essaieront peut-être même pas de monter à bord, dit Ordo. Et la confiance que tu as dans la qualité du matériel militaire impérial est perturbante.
Mereel ne mordit pas à l’hameçon.
— Nous sommes tous des comiques…
— Donc c’est quoi le plan maintenant ? demanda Ny. On reste là, c’est tout ?
Elle défiait un Empereur qui avait liquidé un monde au seul motif qu’il n’était pas d’accord avec lui, et elle avait peur d’être le maillon faible qui compromettrait toute la mission. Les Nulls pouvaient traverser ce genre d’épreuve comme une fleur, mais elle risquait de les trahir en ayant l’air coupable au moment des contrôles. L’attente n’arrangeait rien. Ça lui donnait bien trop l’occasion de s’inquiéter un peu plus.
— Oui, on reste là, dit Jaing. À moins que Niner appelle pour qu’on vienne à la rescousse.
Ordo n’était pas un bavard. Il fixait le chrono sur la coque, égrenant le compte à rebours d’autre chose – son RV téléphonique avec Skirata. Toutes les six heures, pilepoil, il appelait Kyrimorut pour le tenir au courant. Ny le regarda qui fixait les secondes sur le chrono.
Cinq, quatre, trois, deux…
— Kal’buir ? Tout va bien, ici. Tu as vu les infos sur Gibad, je suppose ?
Jaing, Prudii et Mereel semblaient ignorer la conversation. Prudii était branché sur l’alimentation audio de Niner, tout en lisant un manuel technique qu’il annotait de remarques dans la marge. Jaing et Mereel regardaient quelque chose sur l’écran du datapad de Jaing.
— Eh bien, dit Jaing, bouffi de satisfaction. On dirait que mon programme « porte de derrière » a bien travaillé. C’est toujours très gratifiant de voir son rejeton grandir et faire des petits de son côté.
— C’est le deuxième que tu mets dans le système ? demanda Ny.
— Ils étaient si confiants, ces Républicains. Si innocents.
— Qu’est-ce qu’il a découvert ?
— Tu es sûre que tu veux le savoir ? Trop de connaissances donnent des aigreurs d’estomac.
Skirata avait expliqué comment Jaing avait doté le clan d’une énorme fortune rien qu’en volant un simple crédit – parfois même un demi – sur des milliards de comptes en passant par le système de remise à zéro galactique. C’était, à tout point de vue, une attaque de banque à très grande échelle : vol, escroquerie… Un délit très répréhensible. Si Jaing était entré dans une succursale de la Banque du Noyau et avait arrosé le personnel avec un blaster avant de partir avec la caisse, Ny l’aurait catalogué sous la rubrique « criminel ». Mais devant son air émerveillé par son propre génie technique, elle ne voyait qu’un jeune homme qui avait eu le pire départ qui soit dans la vie et qui rétablissait à présent l’équilibre en faveur d’autres jeunes hommes exactement comme lui.
Skirata appelait cela de la « taxation sociale ». Ny essaya de deviner jusqu’où les Nulls devraient pousser le bouchon pour qu’elle commence à les trouver effrayants ou infâmes. Même s’ils étaient gentils avec les animaux et polis avec les vieilles dames, ils n’en étaient pas moins des tueurs et des saboteurs professionnels, des hommes excessivement dangereux et qui ne s’en cachaient pas, des hommes qui avaient été éduqués pour semer la mort. Et Ny avait la chance d’être à l’intérieur de leur cercle protégé, et non une de leurs cibles au-delà de cette frontière.
Me tueraient-ils s’ils pensaient que je peux menacer le plan de Skirata ?
Elle connaissait la réponse, même si eux l’ignoraient.
— Palpy va encore se retrouver en faillite ? plaisanta-t-elle prudemment.
— C’est plutôt comme de fouiller dans ses tiroirs, dit Jaing en souriant. Il garde beaucoup de choses là-dedans, et sinon lui, ses imbéciles de sous-fifres. Chaque citoyen sur une base de données, les données partagées dans les services, les employés qui utilisent le nom de leur akk comme mot de passe… Une fois qu’on a franchi le premier niveau de sécurité, on peut se balader et récolter tout ce qu’on veut dans le système. Des données du ministère des Finances, des opérations de banque, des détails personnels sur les employés impériaux, des plans d’acquisition de matériel militaire, le planning du parc de speeders du gouvernement… Tu serais étonnée de l’image que toutes ces infos finissent par former.
— Non, je ne le serais pas, parce que j’ai beaucoup espionné pour ton compte sur les KDY, tu te souviens ?
— C’est vrai, dit Mereel. Kal’buir aime bien que ses femmes sachent vivre un peu dangereusement.
Ordo, toujours en grande discussion avec Skirata, ne s’occupait pas d’eux. Il semblait écouter plus que parler en fermant les yeux par instant comme s’il avait du mal à se concentrer. Ny l’entendit dire :
— Tiens… Ça, c’est une surprise. O.K., Buir. Ordo, terminé.
C’était inquiétant. Ordo ne laissait jamais rien au hasard, il contrôlait toujours tout. Ny ne l’avait jamais vu pris au dépourvu ou surpris par quoi que ce soit.
— Qu’est-ce qui est une surprise ? demanda Mereel.
— Devinez qui demande asile ? Maze.
Ny ne se souvenait pas du capitaine Maze. À l’attitude des autres clones, elle eut l’impression qu’il s’agissait d’un solitaire dépourvu d’humour, même si Fi disait qu’il était acceptable pour une planche Alpha, quoi que ça veuille dire. Ordo semblait avoir un respect réticent pour lui qu’il décrivait comme un obstiné.
— C’est vrai ? dit Mereel. Tu dois lui manquer, Ord’ika.
— Kal’Buir est en train de chercher un moyen de l’amener à Mandalore. Il n’y est pas venu directement. Bizarre.
— Peut-être qu’il trouvait que c’était un endroit trop évident pour Kyrimorut.
— Quant à toi, Jaing… Kal’buir veut savoir si ton programme pourrait éplucher le casier judiciaire d’Arla. Il voudrait les détails des meurtres. Elle a attaqué Bard’ika, et plus ils auront d’infos sur elle, plus ils auront des chances de l’aider à se réadapter.
Ny était atterrée.
— Il va bien ?
— Le nez cassé et quelques égratignures. Il s’en sort bien.
Prudii secoua la tête ; il était clair qu’il avait des doutes. Ny eut le sentiment que les Nulls acceptaient Arla parce que les désirs de Skirata étaient des ordres, mais que s’ils avaient eu leur mot à dire, ils l’auraient laissée où elle était.
— Si elle me saute dessus avec un hachoir à viande, je risque d’oublier mes bonnes manières, dit Mereel.
Personne n’évoqua Gibad ni ne demanda comment Uthan avait encaissé la nouvelle. La vraie question était sans doute de savoir si le choc risquait de l’empêcher de poursuivre sa tâche. La promesse de pouvoir rentrer chez elle avait été sa seule motivation.
Prudii leva soudain le doigt pour faire taire tout le monde ; il avait les yeux fixés sans la voir sur la cloison alors qu’il se concentrait sur son alimentation audio.
— Hé, ça bouge pour Niner, dit-il. Melusar les a appelés, lui et Dar, pour un briefing.
— Juste tous les deux ? dit Ordo. Pas les autres ?
— Apparemment. Peut-être qu’ils ont tiré le gros lot en éliminant Camas.
— On a encore quelques heures devant nous. Quoi que ce soit, on peut attendre.
Ordo croisa les bras et parut assez détendu pour s’assoupir. Les Nulls semblaient considérer ce niveau de danger comme tout à fait normal, et Ny leur enviait leur confiance. Skirata avait vraiment fait du bon boulot en leur inculquant l’idée qu’ils étaient capables d’absolument n’importe quoi. Le fait qu’elle était ici, avec eux, en était la preuve. Ils se baladaient sous le nez de l’Empereur et le bernaient en pleine lumière comme si c’était un jeu d’enfant.
La nuit était le meilleur moment pour ce genre d’opération, avait dit Ordo, mais Ny avait toujours craint l’obscurité. Ce n’était pas pour rien que les humains avaient évolué avec cette peur profondément ancrée en eux. Les ténèbres étaient dangereuses.
Elle ajusta son siège afin de voir toutes les images transmises par les cams de sécurité, s’attendant à tout moment à entendre des coups sur l’écoutille et une grande gueule lui intimer l’ordre de descendre du cargo avec les mains derrière la tête, puis de se rendre.
— Alors, à ton avis, qu’est-ce qu’il y a sur la puce ? demanda Mereel. Des noms, des lieux, des codes ?
— Ils pourraient au moins mémoriser les choses sans les enregistrer, dit Jaing en secouant la tête. Ils sont vraiment indécrottables.
— Sacré vieux Jaller, murmura Prudii. Mais un jour, bientôt, on devra le sortir d’ici. Il finira par se faire pincer.
Ordo regarda à travers la baie d’observation. Le Cornucopia était trop élevé au-dessus du sol pour que quelqu’un puisse les voir par le cockpit, et Ny avait fait en sorte qu’il tourne le dos aux cams de sécurité qui, d’ailleurs, semblaient n’être que symboliques. Personne ne garait un vaisseau de luxe ou des cargos sur ce parking où l’on pouvait entrer comme dans un moulin. Et c’était précisément pour cela qu’elle l’avait choisi.
— Juste quand tu te dis que tous les aruetiise sont les mêmes, dit Ordo, tu en trouves un autre prêt à risquer sa vie pour toi.
Ny, l’estomac noué, retourna cette remarque dans sa tête et se considéra de l’extérieur un instant : une vieille veuve timbrée avec un cargo cabossé et des ennemis de l’État à bord, frayant avec une bande d’assassins et de voleurs et essayant de pigeonner un dictateur qui anéantissait des planètes entières rien que pour faire passer son message.
À son âge, elle aurait dû tricoter des pulls pour Kad’ika et lui raconter des histoires.
Mais terrifiée ou non – timbrée ou non –, elle avait l’impression d’avoir rajeuni de trente ans.
Baraquements
de l’Unité Spéciale de la 501e Légion,
Cité Impériale
Le silence total et étouffé qui régnait dans le bureau du commandant Melusar donna à Niner l’impression d’avoir les oreilles bouchées.
Les murs étaient couverts de feuilles de flimsi – tableaux, listes, calendriers. Une unique lampe de bureau et la projection d’une holocarte éclairaient le visage de Melusar par en dessous et lui donnaient un air cadavérique. La mise en scène semblait idéale pour se faire passer un savon. Motifs par écrit et sans caf, c’était ainsi que Skirata appelait ça, un sévère sermon « peut-mieux-faire » du commandant. Niner tenait son casque sous le bras, les circuits toujours actifs, se demandant ce que les Nulls pourraient saisir de l’entretien.
— Camas a été votre commandant, n’est-ce pas ? dit Melusar qui n’avait pas l’air de vouloir les sermonner. Ça n’a pas dû être facile de l’affronter comme ça.
C’était sans doute un test, alors. Niner était déterminé à bien s’en tirer, assez longtemps en tout cas pour arriver au point d’exfiltration. Melusar avait l’air d’un brave type, mais Niner et Darman avaient beaucoup de choses à cacher, aussi tout représentant de l’autorité impériale était-il, jusqu’à preuve du contraire, une menace.
Deux de notre ancienne escouade en fuite. Notre sergent et tous ceux que nous connaissons inscrits sur la liste des personnes recherchées. Même Zey ne nous faisait pas complètement confiance. Pourquoi Melusar serait-il différent ?
— Nous n’en étions pas conscients sur le moment, monsieur, dit Niner.
Melusar releva les yeux de l’holocarte. Il déplaçait des marqueurs virtuels à l’aide d’un stylet, chaque point vert lumineux figurant les derniers endroits où un Jedi en fuite avait été repéré. Les points verts avaient tendance à diminuer.
— Pardon ?
— Nous avons été mis en stase à notre retour de Géonosis, puis réanimés trois mois après le début de la guerre, expliqua Niner. Nous n’avons donc pas beaucoup vu Camas. La plupart du temps, c’est le général Zey qui a été notre commandant.
Et il se devait d’ajouter quelque chose, parce que la remarque de Melusar n’avait pas de sens, à moins qu’il soit idiot – ce que, de toute évidence, il n’était pas – ou qu’il essaye de les piéger.
— Le gros des troupes a dû se débarrasser de ses propres officiers Jedi, si bien que ça n’a pas été plus difficile pour nous que ça l’a été pour eux. Ç’a même été plus facile, en fait, monsieur. Camas nous tirait dessus.
Oméga n’avait pas appliqué l’Ordre 66, bien sûr. Ils avaient été bien trop occupés à déserter. Niner avait les tripes nouées à l’idée qu’ils n’étaient pas loin d’avoir à revivre cette abominable nuit.
— Mais il s’agit de faire le travail, sergent, dit Melusar. Il s’agit d’être professionnel. Et vous êtes toujours ici alors que d’autres non.
Seul un civil aurait considéré l’Ordre 66 comme un dilemme très simple : soit la loyauté indéfectible, soit la trahison cruelle. Ce n’était ni l’un ni l’autre. C’était compliqué. Le genre de complication qu’il n’était possible d’appréhender que si on était là, un fusil entre les mains, si tous les copains étaient morts et si on comprenait exactement pourquoi les ordres n’étaient pas facultatifs. Et c’était le genre de complication qu’il n’était pas possible, faute de temps, de discuter ou d’anticiper au beau milieu d’une crise.
C’était à cela que servaient les exercices. C’était la raison d’être des ordres. S’assurer que les situations ne s’embourbent pas et que les soldats ne perdent pas leurs moyens quand les choses se gâtaient.
Certains clones avaient bien aimé leurs commandants Jedi, ou ils les avaient haïs, ou ils ne les connaissaient pas assez pour se faire une opinion, et d’autres avaient eu le sentiment que les Jedi avaient simplement utilisé la vie des soldats pour renverser le gouvernement. Toutefois, la plupart avaient respecté les consignes, et pour une bonne raison – il n’était pas question d’ignorer les ordres formels au gré de sa fantaisie. L’armée était là pour exécuter les directives des gouvernements en place, et non pour édicter ses propres règles. Les ordres venaient de ceux qui avaient une vue d’ensemble à laquelle les sous-fifres n’avaient pas accès.
Mais nous n’avons pas obéi.
Rien à voir avec la morale. Tout à voir avec l’envie de fuir et de ne pas tuer deux ex-Jedi qui avaient tout donné pour nous. Notre copain. Et la femme de Dar.
Niner n’était pas à l’aise avec tout ça. Une partie de lui se demandait maintenant si le destin le punissait d’avoir laissé tomber les autres escouades. Ils s’étaient comportés comme des pros, même si cela leur avait brisé le cœur, et ce n’était pas le cas d’Omega.
Darman, muet, se tenait à la droite de Niner.
— C’était un boulot à faire, monsieur, dit Niner sans s’engager.
Il y avait une odeur fraîche d’herbes dans la pièce, du thé, peut-être, et une autre, métallique, d’encre ou de produit à copier.
— Rien d’héroïque. Rien que le boulot.
— Peut-être, mais je suis tout de même impressionné que vous ayez eu Camas, dit Melusar.
— Il donnait l’impression de l’avoir voulu, monsieur.
— Oh, il aurait sûrement filé s’il l’avait pu. Par contre, les Services Secrets sont pratiquement sûrs que le Ranger s’est échappé, peut-être même avec quelques Padawans. Ils ont mis bout à bout des déplacements de vaisseaux qui coïncidaient avec votre raid. Les dernières analyses nous révèlent que Kester envoie des évadés de planète en planète, et quelques Maîtres – Altis ou Vamilad.
Niner avait la sensation que la datapuce était en train de lui ronger la poche. Il était tellement habitué aux officiers Jedi qu’il s’attendait à tout instant à ce que Melusar découvre sa trahison. Mais Melusar était un homme ordinaire, et cela changeait tout.
Melusar, du bout de son stylet, pressa une touche de la console de l’holocarte.
— Vous savez pourquoi l’élimination de Camas a été un beau coup, Niner ? Parce que chaque Maître Jedi que nous éliminons diminue les chances de l’Ordre de se reconstruire. Sans les Maîtres, le culte commence à s’éteindre. Ils ont appris toutes les combines. S’ils ne peuvent pas les transmettre, s’ils ne peuvent pas s’organiser… c’est fini. Quand on coupe la tête, le corps finit par mourir.
Niner n’en était pas certain.
— Mais les Chevaliers sont plutôt malins, aussi. Tant qu’il restera un seul Jedi, ils en sauront assez sur le b.a.-ba pour trouver des sensibles à la Force et les former.
— Exactement.
Melusar regarda Darman puis hocha la tête pour lui-même en souriant.
— Tous représentent un danger.
Niner n’arrivait pas à déterminer si Melusar le mettait à l’épreuve ou s’il amorçait une révélation.
— Nous accomplirons notre tâche, monsieur, quelle qu’elle soit.
— Les Jedi n’ont plus le nombre pour eux, maintenant, Niner, et ils n’ont plus les contribuables pour financer les vaisseaux et les armes nécessaires. Ils vont se cacher pendant un temps et panser leurs plaies. Mais ils devront faire deux choses : contacter d’autres Jedi pour se regrouper et s’accrocher à des êtres ordinaires pour faire le sale boulot à leur place. Ils vont flairer la dissidence partout où ils pourront la trouver, la faire fermenter et l’exploiter. Ceux qui ont été habitués au pouvoir ne peuvent jamais y renoncer.
Niner ne le comprenait que trop bien. Sur Qiilura, Zey et Etain avaient entraîné et organisé la population locale à combattre l’occupation séparatiste. Ils appelaient cela une résistance. Lorsque les Seps avaient fait la même chose contre la République, on appelait cela exporter la terreur. Pour Niner, il s’agissait simplement de se battre par tous les moyens possibles, ce qui ne l’empêchait pas de savoir reconnaître, à tout moment, dans quel camp il se trouvait.
Ils ne valent pas mieux les uns que les autres. Et nous sommes toujours la chair à canon qui se fait écraser entre les deux.
— Monsieur, je ne comprends pas, dit-il. Est-ce que ce sont de nouveaux ordres ? Allons-nous devoir pourchasser les Jedi en cherchant les points chauds des insurgés ?
— Tout ce qui se dit dans cette pièce ne devra pas en franchir les murs.
— Compris, monsieur.
— Vous ne devrez même pas en parler à vos camarades.
Ce qui le mit mal à l’aise. Une escouade partageait tout. Niner n’avait jamais aimé consentir à quoi que ce soit avant de savoir de quoi il retournait, mais il désertait dans quelques heures, aussi s’agirait-il soit de renseignements secrets qu’il pourrait utiliser dans sa nouvelle vie, soit de quelque chose qu’il pourrait oublier sitôt que le vaisseau de Ny Vollen serait sur orbite. Darman se contentait de regarder – en s’efforçant sans doute de ne pas dérailler. Ça ne devait pas être facile pour lui d’écouter une conversation informelle concernant l’Ordre 66.
Melusar était-il au courant ? Savait-il, pour Etain, qui elle avait été, ce qui lui était arrivé ? Niner se creusa la tête pour essayer de retrouver qui avait été présent et donc capable d’avoir bavardé. Pas de clones, ça, c’était sûr, mais il y avait eu beaucoup de flics des FSC dans le coin, et ils avaient beau savoir se taire sous le commandement d’Obrim, tout le monde, un jour ou l’autre, finissait par cracher le morceau.
— Compris, monsieur, dit Niner.
— Sergent, ce bureau est insonorisé, et je le passe au peigne fin pour y trouver d’éventuels dispositifs de surveillance chaque fois que j’ouvre la porte.
Melusar était un homme selon son cœur.
— Ceci doit absolument rester entre nous.
Waoh, il est nerveux. Ou il veut vraiment nous mettre à l’Épreuve.
— Compris, monsieur.
— Votre escouade était très proche du général Jusik, n’est-ce pas ? Dites-moi ce que vous pensez de lui.
Niner avait à présent l’impression que ses tripes formaient un énorme paquet de nœuds. Ça ne transparaissait pas sur ses traits, de cela il était sûr, parce que les clones apprenaient à Tipoca l’art et la manière de présenter un visage inexpressif aux Kaminoens. Ce qui évitait aux soldats ordinaires de se faire reconditionner. Pour les commandos protégés par leurs féroces sergents instructeurs, c’était une simple habitude, mais qui se révélait très utile.
— Tout dépend de ce que vous voulez dire, monsieur. En tant que soldat ?
— En tant que Jedi.
— Il a quitté l’Ordre, monsieur. Il en avait honte à la fin. Il s’est querellé avec ses Maîtres, a dit à Zey qu’ils avaient perdu leur autorité morale et qu’il ne voulait plus être un Jedi. Si vous cherchez à savoir s’il rassemblerait des survivants – non, pas lui.
Et c’était vrai. Mais Niner espérait seulement ne pas l’avoir dit avec trop de conviction.
— Simple curiosité, dit Melusar. J’avais entendu dire qu’il avait claqué la porte, or tourner le dos au pouvoir est plutôt inhabituel pour la plupart des espèces.
Melusar avait l’air de vouloir laisser tomber. Niner était à présent en état d’alerte maximale.
— N’oubliez pas que tous les utilisateurs de la Force ne sont pas des Jedi, et qu’ils ne sont pas tous en fuite. Certains d’entre eux sont ici-même et se font passer pour un des nôtres. Mais je ne marche pas. Le seul parti qu’ils tendent à défendre est le leur.
Niner se concentra sur les lumières vertes de l’holocarte afin de ne pas lâcher quelque chose qu’il regretterait. Parle-t-il de Vador ? Sait-il pour Palpatine ? Si oui, il a signé son arrêt de mort. Dommage. Mais je ne peux pas l’aider.
Niner était à présent douloureusement conscient de l’heure qui avançait et retardait leur évasion, mais au moins les Nulls sauraient-ils pourquoi Darman et lui seraient en retard.
— Vous êtes bien silencieux tous les deux.
Darman reprit soudain vie, faisant une peur bleue à Niner qui n’avait pas la moindre idée de ce qu’il allait pouvoir dire.
— Nous n’avons pas grand-chose à dire, monsieur.
— Vous savez pourquoi je vous dis tout ça ?
— Non, monsieur.
— Parce que j’ai besoin de quelques hommes de confiance pour les moments difficiles.
Sa façon de minimiser les choses lui rappelait Vau.
— Je ne doute pas de la loyauté et de la discipline de chaque soldat, mais il nous faudra parfois faire certaines choses dont les Services Secrets n’ont pas besoin d’être informés. Et d’après ce que j’ai entendu dire au cours de l’année passée… vous avez le profil. Vous aviez un sergent très indépendant en Skirata. Vous lui étiez complètement loyaux, ainsi qu’à la Grande Armée. Par on ne sait quel procédé extraordinaire, tous les rapports de la République vous concernant, tous les fichiers de vos casques et tout ce qui intéresse votre service a désormais disparu de l’unité centrale de la Défense.
Melusar marqua un temps d’arrêt.
— J’en connais assez sur vous par la guerre. Vous n’avez pas déserté avec les autres alors que vous en aviez l’occasion, mais vous n’avez pas trahi Skirata non plus. Ça ne doit pas être facile.
Melusar ne pouvait savoir à quel point ce n’était pas facile. Niner avait horriblement honte d’être à deux doigts d’invoquer un prétexte pour sortir. Pour déserter. Il ne pouvait toujours pas s’ôter de la tête qu’il s’agissait d’un piège. Mais Melusar prenait aussi un gros risque en leur confiant qu’il comptait mettre les Services Secrets sur la touche. Il n’était leur chef que depuis quelques heures. De toute évidence, il n’était pas du genre à perdre du temps.
— Qu’attendez-vous de nous, monsieur ? demanda Niner.
Il n’avait plus qu’une heure ou deux au plus à jouer ce petit jeu.
— Nous sommes prêts.
— Je ne suis pas convaincu que les Services Secrets n’ont pas d’utilisateurs de la Force parmi eux. Ils pensent que nous, pauvres mortels ordinaires, ne le remarquons pas, mais je peux généralement les repérer. Donc… je devrai parfois vous assigner une mission à leur insu, parce qu’ils ne pourront jamais être du côté du citoyen moyen. Ils essaient de recruter le plus possible d’utilisateurs de la Force. Ou du moins est-ce ainsi que j’ai interprété leur demande de ramener vivants tous les Jedi et le menu fretin recherchés.
Le dégoût semblait lui sortir par tous les pores.
— Personnellement, je préférerais dépenser le budget de la sécurité pour acquérir plus de chiens de meute akks.
Donc, on ne change rien. Oméga et les Nulls avaient passé toute la guerre à faire les choses dans le dos des Services Secrets et de l’état-major. Et pas parce que c’étaient des utilisateurs de la Force.
Mais Melusar avait vraiment une dent contre tout ce qui possédait des pouvoirs de la Force. Niner se demandait ce qui avait bien pu lui arriver pour qu’il soit aussi féroce, aussi enragé contre eux. Ses arguments étaient tout à fait fondés, mais chaque cellule de son corps exsudait la haine et la défiance.
— Est-ce que ça vous gêne ? demanda calmement leur commandant.
— Nous comprenons parfaitement, monsieur, dit Darman avant que Niner ait eu le temps de répondre.
— Parfait, dit Melusar, visiblement soulagé. Dommage que nous n’ayons pas le probe général Jusik dans nos rangs. Un utilisateur de la Force qui ne cherche pas le pouvoir nous serait très utile.
Niner espéra qu’Ordo avait entendu ça. Cette remarque pouvait signifier un tas de choses. Elle pouvait être une proposition indirecte à Jusik que – évidemment – Bard’ika aurait le bon sens de refuser. Elle pouvait être un piège. Niner commençait à haïr ce monde qui le faisait douter et se méfier du moindre mot qu’on lui adressait. Il avait envie de vivre dans une société où bonjour n’avait d’autre sens que bonjour.
Mais il devait saisir sa chance, et maintenant paraissait le bon moment pour ça.
— Monsieur, dit-il, pendant la guerre, nos commandants nous laissaient sortir en ville quand nous n’étions pas de service. Nous autorisez-vous à le faire ? Ce n’est pas mentionné dans le règlement, mais…
Melusar lui assena une claque sur l’épaule comme s’il avait soudain des remords.
— Bien sûr, sergent. Un homme a le droit de se détendre et d’aller boire une bière de temps à autre. C’est bon pour le moral. Vous n’avez qu’à emmener Rede avec vous. Je me fais du souci pour ces jeunes.
Niner devait impérativement sortir, et tout de suite avant qu’il s’embourbe trop profondément.
— Merci, monsieur.
— Rompez. Et ne vous faites pas trop de souci. Vous êtes toujours les soldats que vous étiez, et tout le monde respecte ça.
Darman emboîta le pas de Niner qui marchait aussi vite que possible dans le couloir en se retenant difficilement de courir.
— Il en veut vraiment aux utilisateurs de la Force, dit-il.
— Ça t’étonne ?
— Non.
Dar avait l’air de ruminer quelque chose tout en marchant. Il fixait un point précis à quelques mètres de là.
— Mais ce sont tous les mêmes, non ? Jedi, Sith… Pour le commun des mortels, que ce soient les uns ou les autres aux commandes, ça ne change rien. Ce sont toujours les utilisateurs de la Force qui mènent le jeu, au moins en coulisse, et jamais nous.
— Tu crois que les Jedi dirigeaient la République ?
— Tu as dit que c’était un Sith. Les Jedi étaient les applicateurs des lois – même avant Palpy.
— Ça ne compte plus maintenant.
— Non, je suppose que non.
— Ça va ?
— Non, j’ai très peur. Cette galaxie s’effondre par tous les bouts.
Dar baissa la voix alors qu’ils tournaient vers le mess.
— Mon gamin… Qu’est-ce qui va arriver à mon gamin ? Tu as entendu ce qu’a dit saint Roly : il ne peut même plus faire confiance aux Services Secrets. On est passés d’un régime pourri à un autre.
— Bienvenu dans le vrai monde, ironisa Niner. Mais il y a toujours quelque part une porte marquée SORTIE.
Ils n’avaient pas besoin de prendre quoi que ce soit avec eux. Ils n’avaient rien de valeur de toute façon. Niner devait garder son casque sur la tête afin de maintenir la communication avec le vaisseau.
Rede était occupé à cirer ses bottes quand ils entrèrent dans la chambre de l’escouade. Il leva la tête, les yeux écarquillés. Non, la science ne pouvait décidément pas, en un an, entasser tout ce qu’il fallait dans la tête de ces clones Spaarti. Pauvre gosse… Ils allaient le laisser tomber au moment où il avait le plus besoin d’eux. Ennen n’était pas dans le coin.
— Vous pourrez me montrer des techniques pour la vibrolame, sergent ? demanda Rede. J’apprends vite.
— Demain, dit Niner.
Il en était malade. Il fallait carrément qu’il lui mente maintenant.
— On va juste faire un petit tour de reconnaissance en ville. Des vieux copains à voir. On sera de retour avant l’extinction des feux.
Rede esquissa un froncement de sourcils, mais sans cesser de frotter. Le plus bizarre, dans cette histoire, est qu’il semblait changer à vue d’œil. Il apprenait vraiment très vite. En l’espace d’un seul jour, il avait saisi des gestes, pris des habitudes. Quoi que la science médicale fabrique pour accélérer leur développement, les êtres humains devaient toujours faire leur apprentissage au contact des adultes avant de s’intégrer dans la tribu. Et Rede s’en sortait plus vite qu’un clone de Kamino.
Et nous l’avons fait plus vite que les sang-mêlé.
— À tout à l’heure, dit Darman d’un ton plutôt convaincant.
Niner remit son casque alors qu’ils franchissaient la porte principale et se dirigeaient vers la clôture d’enceinte. Au-delà s’étendait ce qui avait été la Cité Galactique, désormais Cité Impériale. Niner aurait sans doute pu compter sur les doigts d’une seule main le nombre de fois où il était sorti dans le monde civil.
Il ouvrit son comlink sécurisé.
— Ordo ? Tu me reçois ? On est en route.
— Excellente excuse, au fait.
Ordo avait l’air détendu.
— On a pu suivre presque toute cette discussion intime. Quel type vraiment affable, ce saint Roly.
— C’est un fou, dit Niner. Il veut monter son armée perso.
Jaing intervint.
— Je vais te dire, je suis franchement choqué. Qui est-il pour abuser aussi honteusement des privilèges du commandement ? Et tu sais quoi ?… Sa famille est de Dromund Kaas. Tu ne le trouveras pas dans ta base de données, ner vod, parce que ça ne figurait même pas dans celles de la République. Ce coin-là est dirigé par des tordus du côté obscur baptisés « les Prophètes » qui s’assurent que les prophéties de ruine et de destruction s’accomplissent. Bon, je ne suis pas un psy, mais entre les manieurs de sabre et les moines givrés, je crois deviner où votre boss s’est forgé sa détestable attitude envers nos amis aux dons paranormaux.
— Dommage qu’il soit du mauvais côté, dit Ordo. Il plairait à Kal’buir.
— Kal’buir n’aura jamais l’occasion de le regretter.
Niner marcha plus vite alors qu’ils franchissaient les barrières de sécurité.
— On rentre à la maison, vode.
— Oya manda, approuva Mereel. J’espère que vous ne verrez pas d’inconvénient à vous cacher dans un réservoir d’eau pendant qu’on se fait la malle.
Ils allaient à Mandalore. Niner avait connu peu d’occasions d’être excité, mais ce qui l’attendait ne ressemblait à rien de ce qu’il avait jamais vécu. C’était un bond dans une nouvelle vie, quelque chose qu’il ne pouvait même pas imaginer, et le fait même de ne pas savoir était en lui-même terriblement exaltant. Ce qu’il trouvait bizarre pour un homme qui avait hérité du surnom du « bilieux ».
Il s’essaierait aux travaux de la ferme. À la pêche. Il jouerait les chasseurs de primes si la vie rurale l’ennuyait. Et il trouverait une gentille fille, comme Fi.
Fi… Il n’avait pas vu son frère depuis presque deux ans.
Et Darman… Niner ne lui posa pas de question, parce qu’il n’avait pas besoin de le faire. Darman allait retrouver son fils.
— Qu’est-ce qu’il a dit, Ordo ? demanda Darman.
Il n’avait pas accès à la liaison sécurisée, mais il avait deviné que Niner discutait avec les Nulls.
— Tout va bien ?
— Tout baigne, dit Niner, regrettant de n’avoir pas pu demander à saint Roly ce qui lui était arrivé qui l’avait rendu amer au point de défier les utilisateurs de la Force des Services Secrets. On sera bientôt chez nous.