16
Vos prouesses au sabre laser ne sont que puérile vanité. Vos pouvoirs physiques dans la Force ne sont rien de plus que des talents de prestidigitateur, des tours de passe-passe pour éblouir les êtres ordinaires que vous devriez servir. Vous profanez ces pouvoirs en les utilisant en tant qu’armes à la guerre. Et vous êtes incapables de comprendre le devoir unique, simple et intransigeant du vrai Jedi. Le Jedi est le lion de pierre à la porte qui dit : « Je défendrai ces êtres de ma vie, et cela est mon seul dessein. » Etain Tur-Mukan est morte pour sauver une vie, un homme qu’elle ne connaissait même pas, mais quelle s’est sentie obligée de sauver, et c’est cela qui la rendait plus forte dans la Force et faisait d’elle une Jedi plus vraie qu’aucun de vous, acrobates, illusionnistes, philosophes spécieux et vides.
Kina Ha, Chevalier Jedi ; âge approximatif de mille ans minimum
Kyrimorut, Mandalore
— Arla ? C’est moi. Je peux entrer ?
Jusik frappa et attendit une réponse. La porte était fermée de l’extérieur, mais il devait lui laisser le contrôle du seul sanctuaire qu’elle possédait. Laseema écouta, concentrée, la tête penchée.
— Elle était dans un état lamentable pendant que vous étiez à Keldabe, dit-elle en ajustant l’équilibre des assiettes sur le plateau. Hallucinations, spasmes musculaires, vomissements – la totale… J’ai dû appeler Fi pour qu’il lui prodigue ses soins pendant que Scout la calmait. Il est vraiment très doué.
— Il a eu une formation de médic de combat pour l’escouade, dit Jusik. Je pense toujours à lui en tant que sniper. J’ai tendance à oublier son côté médic.
— C’est la première fois qu’elle s’en va aussi loin, au point de ne pas pouvoir se laver et s’habiller elle-même. C’est ce qui m’inquiète le plus.
— En quoi consistaient ses hallucinations ?
— La seule chose que j’ai pu comprendre était qu’elle avait l’impression de brûler ; des flammes venaient vers elle.
Jusik n’en savait pas assez pour ne serait-ce qu’interpréter cela comme un indice révélateur d’un problème sous-jacent. Il n’avait jamais vu personne manifester les symptômes d’un tel repli sur soi auparavant. C’était perturbant. Lorsqu’il ouvrit la porte, Arla s’agitait violemment sur le lit, haletante, visiblement en proie à la douleur. Elle avait les yeux à demi ouverts.
— Laissez-moi mourir, marmonna-t-elle, apparemment lucide. Si vous compreniez, vous me libéreriez de cette horreur.
Jusik se tourna vers Laseema.
— Il vaudrait mieux aller chercher Mij’ika.
C’était médicalement au-delà de ses compétences.
— Arla, ça va passer. Je sais que ça n’en donne pas l’impression, mais ce sera bientôt fini.
Il posa la main sous sa tête, sentit ses cheveux emmêlés et humides sous ses doigts, puis se demanda comment les médics arrivaient à supporter l’odeur de la maladie au quotidien. Elle fit un effort pour fixer son regard sur lui.
— Ça ne finira pas, murmura-t-elle. Ce ne sont pas les remèdes. C’est moi.
— Quand nous aurons nettoyé votre organisme de toutes ces drogues, alors nous pourrons vous soigner. Nous le pouvons.
— Non. C’est toujours là. Et ça le restera.
Gilamar arriva avec un assortiment d’hyposprays. Pour un homme qui venait de tuer un ancien compagnon d’armes, il était d’un calme étrange.
— Qu’est-ce qui ne va pas, Arla ? Crampes d’estomac ? Vomissements ? Migraines ?
Il plaça un senseur de tension à la pliure de son coude.
— Un peu basse, dit-il. Nous allons commencer par remédier à ça.
— Mes muscles se contractent… Stang, mes jambes…
— D’accord.
Gilamar lui fit deux injections puis se releva.
— Ça va faire effet très vite, Arla. Tenez bon. Maintenant, dites-moi : où êtes-vous et que voyez-vous ?
— La chambre… la fenêtre… vous… Bardan… et Lassema était ici.
— Donc, vous n’hallucinez pas. Vous allez vous sentir comme un vrai paquet de nerfs pendant encore deux jours. Pour l’instant, quel est votre plus gros problème ?
Arla roula sur le côté et repoussa une des couvertures.
— Je voudrais arrêter de penser. Je veux que tout ça s’arrête.
Gilamar se pencha pour murmurer à l’oreille de Jusik.
— Elle est lucide et se sent patraque. À part contrôler sa tension, je ne peux pas faire grand-chose jusqu’à ce qu’il y ait un problème mécanique ou médicamenteux.
Jusik resta assis près d’Arla pendant une demi-heure à essayer de ressentir son état mental, mais il n’éprouva rien d’autre que la sensation de la voir constamment éviter de regarder quelque chose suspendu juste devant ses yeux. Il avait tendance à percevoir des images superposées et semblait même les discerner quelque part derrière ses yeux et au niveau de son palais. Puis il sentit Zey et Kina Ha approcher. Kina Ha était très remarquable dans la Force ; le poids du temps et de l’expérience emmagasiné dans son être était tel que la Force donnait l’impression de s’être enroulée autour d’elle. Zey était désormais un étrange mélange : l’ancien Maître, impatient et frustré comme un soupir involontaire, mais presque complètement englouti dans un terrible regret qui se manifestait avec des hauts et des bas tel un rythme cardiaque.
— Si nous pouvons aider, dit Zey, dites-le.
Kina Ha prit place avec une lenteur majestueuse et inclina son long cou pour regarder Arla dans les yeux.
— Je suis vieille, dit-elle. Et rien de ce que vous avez fait ne pourra me choquer. J’ai vu tellement de choses. Quoi que ce soit, vous n’êtes pas le pire être que la galaxie ait jamais porté. Ça ne vous quittera pas, alors inutile de chercher à le fuir, mais vous pouvez l’attraper et le tenir là où vous pourrez vraiment le voir.
Jusik ne comprenait pas du tout de quoi parlait la Kaminoenne, mais elle paraissait capter ce qu’Arla s’efforçait de ne pas voir. C’était évident : un abominable souvenir. Il serait terrible de revivre ce que les Death Watch avaient fait à sa famille puis à elle, mais il semblait ne pas y avoir d’autre choix.
Zey se contentait de regarder. Jusik se recula un peu. Kina Ha prit le bras d’Arla puis en examina les coupures et les profondes blessures.
— Qu’essayez-vous de couper de vous ? demanda-t-elle.
Jusik refusait de trop conjecturer, mais il devinait qu’il s’agissait de sa culpabilité – une culpabilité amère, une culpabilité calculée. Arla ignorait que son frère Jango avait survécu. Mais il n’y avait pas de happy end à cela non plus, aussi Jusik décida-t-il de garder l’information jusqu’à ce qu’elle soit plus forte pour l’entendre.
— Ce que je suis, répondit enfin Arla.
— Et qu’êtes-vous ?
— L’une d’eux.
— De qui ?
Jusik regarda Zey, qui semblait aussi perdu que lui-même. Kina Ha avait mille ans d’âge – qu’avait-elle vu, qu’avait-elle vécu ? Plus qu’aucun être humain, dix fois plus sans doute, et encore plus qu’un Hutt, même si elle avait passé ces dix siècles dans une contemplation recluse. Elle avait eu le temps d’écouter des mondes entiers.
— Regardez, dit Arla. Je ne peux pas le dire.
Elle se mit tant bien que mal en position assise et gigota pour relever le bas de sa chemise. Jusik ne savait pas à quoi s’attendre ; il savait seulement qu’elle avait été blessée, physiquement et émotionnellement. Jango n’avait confié à Vau qu’un minimum de détails concernant le traitement que les Death Watch avaient réservé à son père pour le punir d’avoir hébergé Jaster Mereel, et à sa mère qui avait tué l’un d’eux afin que Jango – qui avait peut-être huit ans à l’époque – puisse s’enfuir. C’était la dernière image qu’il avait emportée d’eux : sa mère protégeant Arla alors âgée de quatorze ans, et son père à genoux lui hurlant de s’enfuir.
Jango les avait tous cru morts. Et Arla semblait elle aussi penser qu’elle était la seule survivante. Entre ces deux points de vue résidait un mystère.
Arla essayait toujours de relever sa chemise. Jusik n’osait pas la toucher pour l’aider. Il laissa ce soin à Kina Ha.
— Regardez, répéta Arla.
Kina Ha remonta le tissu plus haut.
— Je ne peux pas l’atteindre. Si je le pouvais, je le trancherais. Mais je serais toujours là-dedans. C’est moi qui dois partir.
Jusik se raidit pour regarder. Mais ce n’était pas aussi terrible qu’il l’avait imaginé. Il n’aurait su dire si la marque brune était un tatouage, une cicatrice ou une empreinte au fer rouge, mais il savait en revanche exactement ce que c’était, parce qu’il avait vu la même moins de deux heures plus tôt, ou à tout le moins une réplique : l’emblème des Death Watch, l’aigle en forme de W. Il n’en fut pas surpris. Ils s’étaient toujours doutés qu’elle avait été une sorte de butin de guerre, un animal qu’on utilise, et marquée de leur sceau.
— Un chirurgien pourra vous l’ôter, dit Kina Ha. Vous sentiriez-vous mieux ?
Arla rabaissa sa chemise.
— Vous ne comprenez pas. Vous ne pouvez pas l’imaginer, parce que c’est bien trop horrible.
— Quoi que ce soit, vous n’étiez qu’une enfant de quatorze ans, d’après ce que Walon m’a dit. Quand nous prenons de l’âge, nous nous tournons vers le passé et jugeons les actions de notre enfance à la lumière injuste des lois des adultes.
Arla ne se retourna pas.
— Ce n’est ni une blessure, ni une humiliation. C’est un emblème.
— Expliquez-vous.
— Après qu’ils m’ont kidnappée, après que ça a cessé d’être un cauchemar, je suis restée avec eux. Je suis devenue l’une d’eux. Je suis restée. J’aurais pu m’enfuir. Mais je suis restée.
Elle regarda Jusik par-dessus son épaule.
— Vous supporteriez d’être moi ?
— Oh shab, dit-il.
— Effacez tous mes souvenirs, supplia-t-elle. Laissez-moi mourir, ou tuez-moi, mais je ne peux plus vivre dans cette tête. J’ai tout tenté pour mourir. Mais les docteurs ne m’ont pas laissée faire.
Arla était d’une lucidité effrayante à présent. Jusik ignorait si Kina Ha avait induit une sorte de clarté en elle, mais quoi qu’il en soit, il avait sauvé une femme qui ne voulait pas être sauvée. Et il serait inutile de lui dire que les victimes d’enlèvement, les otages, les jeunes proies tombées aux mains des violeurs et autres salauds de toutes sortes finissaient très souvent par dépendre de ceux qui les faisaient souffrir, et même par les aimer, parce que ces bourreaux tenaient leur vie entre leurs mains. Les humains, en général, n’étaient pas ces superbes héros d’holovids qui se rebellaient, qui rendaient coup pour coup, mais simplement des êtres normaux qui agissaient selon leur instinct pour survivre.
— Vous savez que ce n’est pas pour cela que vous êtes mauvaise ou exceptionnelle, n’est-ce pas ? dit-il.
— Peut-être.
Arla commença à se gratter l’avant-bras, comme si le décontractant musculaire cessait de faire effet.
— Mais ce n’est pas pour autant qu’il est plus facile de vivre chaque seconde depuis l’instant où je me réveille jusqu’à celui où je m’endors.
— Quand les avez-vous quittés ?
Arla se tut un instant.
— Quand j’ai été arrêtée pour la dernière fusillade. Cinq, six ans ? Quelque chose comme ça.
— Plutôt dix, dit-il.
Arla ferma les yeux une seconde.
— Aussi longtemps ?
Zey semblait avoir oublié de respirer. Kina Ha donnait l’impression de se reposer à présent qu’elle avait déverrouillé cette porte mentale – à charge pour Jusik de rattraper la nouvelle Arla. Il n’allait pas lui demander de détails sur les tueries, pas maintenant.
— Votre frère Jango a survécu, dit-il. Il est devenu un soldat légendaire et… eh bien, presque tous mes frères, ici, ont été clonés d’après lui. Il a créé la meilleure armée de toute l’histoire galactique.
— Je savais plus ou moins qu’il se débrouillait très bien comme chasseur de primes, répondit-elle. Les Watch étaient au courant de certaines choses. Mais vous en parlez comme s’il était mort maintenant.
Jusik en fut choqué. Il n’avait pas imaginé qu’elle puisse savoir que son frère avait survécu ; mais il ignorait alors quelle avait vécu avec les Death Watch une bonne partie de sa vie. Elle avait basculé d’une jeunesse tragiquement perdue dans quelque chose qu’il ne comprenait pas encore – une sœur qui n’avait jamais informé son frère qu’elle était encore en vie, mais qui le suivait plus ou moins de loin.
Il faut que j’arrête de combler les trous de l’histoire avec des évidences.
— Il a été tué au tout début de la Guerre des Clones. Je suis désolé.
Il ne lui paraissait pas très judicieux de lui dire tout de suite qu’il avait été tué par un Jedi, ni de lui parler de la haine que Jango avait fini par leur porter.
— Nous étions tous de bons tireurs, dit Arla. C’est pour ça que j’ai commis tant de crimes pour les Death Watch.
Elle regarda de nouveau par-dessus son épaule.
— Maintenant, vous allez m’aider à quitter ce monde rapidement ? Que croyez-vous que Jango m’aurait fait s’il avait su que j’étais avec eux ?
Jusik eut le sentiment que Jango lui aurait pardonné.
— Est-ce que les Death Watch vous chercheraient aujourd’hui s’ils étaient encore actifs ?
Elle tressaillit.
— Ils le sont ?
— Si c’est le cas, ils ne vous approcheront pas.
Arla soutint un long moment le regard de Jusik.
— Vous savez que cette accalmie aura une fin, et que je replongerai, n’est-ce pas ? dit-elle enfin.
— De toute évidence, vous ne voulez pas prendre vos remèdes.
— J’ai déjà essayé, et ça n’annule pas les souvenirs. Ça empêche seulement d’agir pour les repousser.
Jusik avait conscience de posséder peut-être les capacités nécessaires. C’était après tout ce qu’il s’apprêtait à faire à Kina Ha, Scout et Zey : effacer certaines parties de leur mémoire. Mais il hésitait à le lui proposer.
Shab, il le fallait. Elle était sous sa responsabilité personnelle.
— J’ai été un Jedi, dit-il. Je sais effacer les souvenirs. Mais en dehors de l’effacement des cinq dernières minutes, je ne peux pas garantir que le procédé est totalement inoffensif, et j’ignore aussi ce que je pourrais ôter d’autre par la même occasion.
Arla attrapa la couverture qu’elle avait plus tôt repoussée et s’en enveloppa.
— Je voulais mourir de toute façon, dit-elle. Si vous avez le pouvoir de me retirer ça de la tête… Et puis non, je ne crois pas mériter de me sentir mieux.
Jusik n’eut pas à chercher bien loin ce qui motivait son refus : Arla essayait encore de se punir d’avoir laissé les meurtriers de ses parents devenir sa nouvelle famille.
— En fait, si je m’exerce sur vous, dit-il, je me sentirai plus en sécurité quand je devrai effacer les souvenirs de mes amis Jedi, et vous pourrez toujours me fournir des informations utiles sur les Death Watch. Même si elles sont dépassées, ce sera toujours mieux que rien.
Le regard que Zey lui adressa disait clairement que son très sérieux petit Chevalier Jedi avait grandi plutôt vite depuis qu’il avait quitté l’Ordre.
— Faites-le, dit Arla. Et si vous me transformez en légume, vous me liquidez. D’accord ?
Jusik hocha la tête.
— D’accord, acquiesça-t-il.
Kyrimorut
Skirata n’arrivait pas à en vouloir à Gilamar, et ne pouvait pas davantage se mettre en colère. Priest avait récolté ce qu’il était venu chercher. Et le laisser en vie pour qu’il aille raconter son histoire – non, c’était hors de question. Gilamar avait donc fait ce que lui-même aurait dû faire quelques années plus tôt, rien que pour nettoyer le patrimoine héréditaire mando. Vau était d’accord.
Mais ça commençait à sentir un petit trop le roussi… Le clan Skirata n’avait pas le monopole des ressources mandaloriennes. Tôt ou tard, quelqu’un allait finir par les localiser. Skirata tripotait la plaque d’épaule de Priest entre ses mains comme un chapelet et fixait l’emblème en s’interrogeant sur ce qui attendait de revenir du ba’slan shev’la.
Quand on se fait descendre, est-ce vraiment important de savoir qui est à l’autre bout du blaster ou du couteau ? Oui, je pense que oui.
— Et si Reau comprenait que c’était l’un de nous ?
Ordo, appuyé sur le muret des robas, regardait une des truies avec sa nouvelle portée. Fi n’allait pas tarder à avoir ses tranches de roba fumé.
— Est-ce que nous serons encore plus recherchés par l’Empire que nous le sommes déjà ? Aucune piste ne mène ici d’un côté comme de l’autre.
— Bardan prévoit une relocation pour Kyrimorut en cas de catastrophe. Ret’lini.
C’était le mot d’ordre mando synonyme de prudence – au cas où. Tout le monde avait un plan B. Jaing, avec son esprit business, l’avait baptisé secours immédiat hors place.
— Je pense que nous devrions avoir un refuge sur Cheravh.
— Pourquoi rester dans le secteur de Mandalore ?
— C’est vrai, on pourrait simplement quitter Mandalore et l’Empire, puis trouver une planète loin d’ici, dit Skirata. Construire une petite ville, s’installer, laisser les Death Watch commettre une grosse erreur avec Palpy et se faire bouffer tout cru, ou laisser Shysa mener sa guérilla. Fabriquer des produits pharmaceutiques de pointe. Boire du net’ra gal sur le porche, s’offrir une grande armée de petits-enfants pourris gâtés, vieillir et laisser tous les autres se charger des combats.
Ordo le considéra avec un léger froncement de sourcils.
— La logistique, Kal’buir. Pour un trou perdu comme Cheravh, il faudrait qu’on embarque tout, et le fret, ça se remarque.
C’était tout Ordo, ça – le bon sens. Skirata dut se rappeler que toute cette histoire concernait Ordo et tous les autres garçons.
La truie se releva et s’éloigna, poursuivie par ses petits. Skirata aimait Kyrimorut. Il n’y avait pas longtemps qu’ils y étaient, mais l’endroit était déjà chargé de souvenirs doux-amers. Le mémorial en cours de l’armée de clones morts à la guerre, les céréales qui perçaient la surface du champ et les coins idylliques autour du lac où il pouvait pêcher étaient autant de choses qu’il ne voulait pas quitter. Et partout où il regardait, il voyait Etain, depuis cet instant où elle l’avait laissé pour la première fois prendre Kad, encore nouveau-né, dans ses bras, jusqu’à celui où il s’était tenu devant son bûcher funéraire. C’était le shabla foyer de son clan, et tous ceux qui y vivaient avaient versé leur sang et leur sueur pour le créer. Comme Rav Bralor. Elle avait restauré chaque brique, chaque pierre, chaque planche pour lui. Une partie de lui refusait d’être séparé du bastion. Et c’était une pensée très non-mandalorienne.
Nous sommes des nomades. N’est-ce pas ce qui définit les Mando’ade ? N’est-ce pas toujours l’essence même de ce que nous sommes ? Il est dangereux de trop s’attacher à un endroit.
Il songea à Maître Altis, assez intelligent pour baser son Académie Jedi sur un vaisseau. Il était en fait impatient de rencontrer l’homme. Il le devait ; il n’aurait pas su dire pourquoi, mais il était certain qu’un Maître Jedi saurait se charger des siens. D’ici quelques heures, il le rejoindrait en terrain neutre et regarderait l’homme dans les yeux.
— Ils sont très attendrissants quand ils sont petits, remarqua distraitement Ordo.
— Quoi ?
— Les robas. Ils sont mignons.
Les petits jouaient à se battre, se chargeant les uns les autres avec leurs groins en poussant des petits cris comme s’ils y prenaient plaisir. Ils avaient encore leur livrée rousse qui leur permettrait de se camoufler dans les buissons jusqu’à ce qu’ils soient assez grands pour se débrouiller sans leur mère. Les truies robas étaient farouchement protectrices. Skirata fit un écart pour les éviter.
— Il ne faut pas trop s’attacher à eux, dit-il. Ils seront dans notre assiette au déjeuner.
Il s’en sentit coupable un bref instant.
— C’est comme Mij qui s’attache trop à Scout. Elle voudra aller retrouver ses copains Jedi un de ces jours.
Ordo continuait à regarder les bébés robas.
— Où faut-il tracer la frontière ?
— Laquelle ? Entre l’animal domestique et ce qu’on mange ?
— La protection. Sauver des gens. Maze a sauvé Zey, tout comme tu nous as sauvés. Mij et Uthan ont l’air de vouloir sauver Scout. À partir de quand est-ce qu’il devient déraisonnable de vouloir sauver le monde ?
Sauver était un instinct, un réflexe inconscient. Skirata n’avait même pas eu à réfléchir avant de s’interposer entre Orun Wa et les jeunes Nulls pour les sauver. Il fallait le faire, c’est tout. Et il ne le regrettait pas une seconde ; il ne lui était jamais venu à l’esprit qu’il pourrait y perdre la vie, ou que cela pourrait avoir des répercussions dramatiques sur les années à venir, et même s’il l’avait su cela n’aurait rien changé. Ça n’avait pas d’importance. Maze, de toute évidence, avait ressenti la même chose avec Zey. Des soldats étaient prêts à donner leur vie pour leurs camarades. C’était ainsi que tournait la galaxie, du moins la meilleure part de la galaxie – des êtres étaient si attachés à d’autres qu’ils n’hésitaient pas à se mettre en danger pour leur permettre de vivre.
— Est-ce encore un de ces sermons hypocrites ? demanda-t-il.
— Jamais, Buir.
— Ne t’en fais pas. Même moi je m’aperçois que je peux être partial. Ny s’arrange pour que je ne l’oublie pas.
Skirata se rendit compte qu’il commençait à parler d’elle de façon naturelle, comme si elle avait toujours fait partie de sa vie. S’avançant dans l’enclos, il s’immobilisa, surveillant l’énorme truie du coin de l’œil. Elle pourrait aisément lui briser une jambe en lui fonçant dessus, et il préférait ne pas imaginer l’effet qu’auraient ses défenses sur ses parties fragiles. Deux des petits s’écartèrent des autres pour trottiner vers lui.
Petit déjeuner ou animal domestique ? Tu as raison, Ordo, il n’y a aucune logique là-dedans.
Les bébés voulaient juste voir s’il leur apportait de la nourriture ; ils apprenaient déjà à fouiller la boue pour y trouver leur dîner. Il eut un petit pincement au cœur, mais pas au point d’être poussé à les prendre dans ses bras pour les ramener dans la maison, même s’il savait que c’était exactement ce que feraient beaucoup de gens.
— Au bout du compte, dit-il, nous savons quelles vies nous devons sauver, et ce sont elles qui passent en premier. Même si nous prenons des risques insensés pour le faire.
Ordo se contenta d’opiner du chef. La mère des petits se tourna vers Skirata et émit un long grognement menaçant qui annonçait visiblement une charge imminente. Dès qu’elle baissa la tête pour attaquer, Skirata retrouva une agilité qu’il avait crue perdue depuis une bonne vingtaine d’années et vola presque par-dessus le muret. La truie fonça jusqu’à la porte à moitié ouverte et resta là à gronder, alors qu’elle aurait pu continuer et poursuivre Skirata dans le jardin. Elle était chez elle, et voulait juste que cet intrus humain malpropre fiche la paix à ses gosses.
— Elle sait qu’elle se retrouvera dans l’assiette de Fi un jour, dit Ordo. Qu’est-ce qu’elle a à perdre ?
Skirata décida d’attendre une quinzaine de jours avant de laisser qui que ce soit s’aventurer à Keldabe pour savoir s’il y avait eu des retombées après la mort de Priest. Son corps n’avait peut-être toujours pas été retrouvé. Mais Reau saurait qu’il ne lui était rien arrivé de bon.
— Viens, dit-il. Allons nettoyer nos bottes avant d’aller au rendez-vous d’Altis.
Altis était censé les appeler à tout moment pour les avertir de son arrivée. Skirata ne pouvait s’ôter de l’idée que les choses auraient pu tourner de façon radicalement différente si Altis avait dirigé le Conseil Jedi à la place de Yoda et de ses acolytes. C’était le problème avec les gens qui auraient dû diriger. Le plus souvent, ils refusaient ce pouvoir qu’ils auraient pourtant pu exercer bien mieux que d’autres.
Jusik laissa Ordo prendre l’Agresseur pour le voyage. Il était préférable d’avoir ce qu’il fallait question puissance de feu et vitesse avec soi, même si Altis et sa bande étaient aussi pacifistes qu’on peut l’être. Skirata ne prenait aucun risque en ce moment. Le chasseur sortit de l’hyperespace et attendit les coordonnées, ce qui donna à Skirata le temps de contempler par la verrière le vide absolu de l’espace constellé d’étoiles, ce qu’il n’avait que rarement l’occasion ou l’envie de faire. C’était réellement grandiose, si pur, si miraculeux et parfait comparé à ce qu’il se passait sur la plupart des planètes qu’il se demanda si le virus d’Uthan avait jamais levé les yeux vers un ciel magnifique en apparence rouge rubis sans se rendre compte qu’il était en fait à l’intérieur d’un minable humanoïde qui trichait et tuait.
C’était pour cette raison qu’il préférait ne pas perdre de temps à contempler les paysages sidéraux. Il s’en souvenait tout à coup.
Ordo, branché sur son comlink, inclina la tête.
— C’est parti, Kal’buir. C’est un cargo, l’Artilleur Wookiee. Ils se préparent à nous laisser les accoster.
— Un homme qui ne surcompense pas avec un destroyer stellaire force mon admiration, dit Skirata. Je vais le traiter avec circonspection.
La confiance était quelque chose d’étrange. Ils allaient à présent aborder un vaisseau, avec un fragile couloir de plastoïde flexible et de duracier pour seule protection contre le vide. Curieusement, les deux camps semblaient penser que c’était moins risqué que d’atterrir sur une planète. Skirata se sentit soudain très déraisonnable. Ordo manœuvra l’Agresseur pour le positionner et l’anneau d’amarrage se referma avec un grincement qui se réverbéra dans tout le chasseur.
— Pressurisation en cours, dit Ordo en pressant la commande. Vous pourrez monter à bord quand la lumière passera au vert, Maître Altis.
Skirata avait conscience que c’était un témoignage de bonne volonté. Le Jedi s’apprêtait à embarquer seul sur un chasseur mandalorien et à courir ainsi tous les risques. Peut-être l’accostage n’était-il pas une décision aussi imprudente finalement.
Skirata se leva de son siège, face à l’écoutille interne. Le panneau s’ouvrit, et il se trouva face à un humain d’aspect ordinaire – cheveux gris, la soixantaine bien tassée, peut-être même soixante-dix ans passés.
Ainsi c’était Maître Djinn Altis.
Il avait la démarche d’un ouvrier ou d’un prof de collège débraillé, mais n’avait ni robe brune, ni tunique, ni l’attitude monastique. Et il donnait simplement l’impression d’être différent.
— Je suis Kal, dit Skirata. Et voici mon fils, Ordo.
Altis tendit la main.
— Nous travaillons dans la même branche : la récupération.
— La récupération des gens.
— Nous pourrions créer un syndicat, alors.
— Mon garçon Bard’ika vous a à la bonne, dit Skirata avec un clin d’œil. Et c’est une puissante recommandation. Vous êtes toujours d’accord pour nous aider ?
— Quand voulez-vous que nous accueillions vos hôtes ?
— L’une d’eux a demandé à rester pour un temps avec nous. Quant à Kina Ha et Arligan Zey, je veux d’abord qu’on efface leurs souvenirs de ma base.
— Vous pourrez toujours nous joindre dès que vous serez prêts.
— Mais nous savions déjà que vous acceptiez de prendre ces Jedi, donc nous sommes ici pour parler plus ouvertement, n’est-ce pas ?
— En effet.
Altis mettait Skirata mal à l’aise. Il parvenait il ne savait comment à être très ordinaire et, en même temps, à émettre une autorité très ancienne.
— Nous sommes tous en cavale.
— Il m’est venu une idée, dit Skirata.
Il entendit Ordo retenir son souffle.
— Nous voulons sauver les clones et chasser tous les salopards de notre planète. Nous avons entendu parler d’endroits extraordinaires et il n’y a rien que nous ne puissions acheter, construire, inventer, voler ou éliminer. Vous avez toutes sortes de talents que la plupart des membres de mon clan ne possèdent pas, ainsi qu’un réseau de renseignements différent, aussi je pense que nous pourrions à l’occasion nous entraider.
Altis se rongea pensivement l’ongle du pouce.
— Il y a un « mais ». Je l’entends.
— Mais je ne vous aiderai que si vous ne jouez aucun rôle dans l’éventuel retour de l’Ordre Jedi au pouvoir. Nous haïssons ces shabuire pour tellement de raisons que je n’aurai jamais le temps de les énumérer.
L’éclat de rire d’Altis était proche du rugissement. Il semblait trouver cela franchement drôle, comme si Skirata était gentiment naïf quant à la politique des Jedi.
— Nous et l’Ordre Jedi dominant n’avons jamais été proches. Nous sommes le cousin maboul enfermé dans le grenier dont personne ne parle.
Il toussa pour s’éclaircir la gorge.
— C’est presque la moitié de notre communauté, en ce moment, qui n’est pas sensible à la Force, alors vous imaginez la difficulté qu’il y aurait à gérer ça pour une école plus ascétique de pensée Jedi.
— Je vais vous donner une information gratuite pour montrer ma bonne volonté. Vous pensez peut-être que vous êtes des excentriques inoffensifs, mais l’Empire vous considère comme un point de ralliement possible pour reconstruire l’Ordre Jedi, et il s’imagine que de nombreux Jedi survivants viendront se regrouper autour de vous.
Altis n’était ni indéchiffrable, ni serein, et il ne cherchait visiblement pas à l’être. Il fronça les sourcils.
— Oh. C’est inquiétant.
— Le Puits de Plett.
C’était juste de l’esbroufe ; on jette une miette d’information mal comprise et on voit ce qui en résulte. Jaller Obrim aurait été fier de lui.
— Vous envoyez toujours les enfants là-bas ?
Il se basait uniquement sur quelques mots saisis au hasard de com radio qu’avait mentionnés Darman. Skirata vit les pupilles d’Altis se rétrécir.
— Ah, Kal, vous êtes vraiment bien informé. Je devrais avoir très peur de vous.
— Pas du tout. Sauf si vous faites du mal à mes garçons. Tout ce que je dis, c’est que si vous nous rendez service de temps à autre, nous vous aiderons aussi. Vous voulez peut-être commencer en simulant votre mort. Nous sommes doués pour rendre ça très convaincant. Et nous vous aiderons à trouver un autre endroit pour vous cacher qui ne figurera pas sur les bases de données que vos collègues moins scrupuleux sont parvenus à semer.
Skirata fit une pause, autant pour reprendre son souffle que pour marquer le coup. Oui, il avait indéniablement toute l’attention d’Altis.
— Un jour, je sais que je recevrai la facture pour ça, dit Altis.
— Ce sera un service. Sûrement pour un des garçons. Peut-être pour sa famille, aussi. Comme vous, nous ne demandons qu’à pouvoir vivre en paix.
— Et maintenant, que fait-on ?
— Je vous contacterai dès que nous aurons éclairci la situation avec nos Jedi.
— Nous serons là. Prenez soin de vous, Kal Skirata.
— K’oyacyi, Maître Altis.
Altis lui adressa un clin d’œil.
— Djinn, s’il vous plaît.
Skirata le regarda en silence partir dans l’étroit boyau de plastoïde jusqu’à ce que le sas de décompression à l’autre bout se referme hermétiquement derrière lui. Ordo scella les écoutilles de l’Agresseur, attendit que le signal rouge vire au vert et désengagea l’anneau d’amarrage.
— Le voyage en valait la peine ? demanda-t-il en éloignant le chasseur de la coque de l’Artilleur Wookiee.
— Je crois que oui.
Altis était différent. Skirata ne voulait pas de cela. Ça brouillait les frontières. Avant longtemps, il serait ce que Darman l’accusait déjà d’être : trop indulgent avec les Jedi. Il n’avait pas le droit d’oublier la situation générale au seul motif que Djinn Altis ne correspondait pas aux Jedi auxquels il était habitué.
— Ne serait-ce que parce qu’il peut nous donner un tas de tuyaux sur la façon d’héberger toute une communauté sur un vaisseau nomade.
— Si tu ne peux pas te débarrasser des utilisateurs de la Force, dit Ordo, alors autant que tu t’en achètes une équipe pour toi tout seul.
— Je ne pense pas qu’Altis soit achetable, mais il sait reconnaître un intérêt mutuel quand il en voit un.
Skirata songea que son offre avait sans doute été un peu généreuse, or la façon la plus bête d’ouvrir des négociations était par une concession. Mais rien n’avait encore été décidé. Deux vieux types contraints de trouver un moyen de collaborer dans une galaxie qui voulait leurs têtes s’étaient mutuellement évalués et avaient décidé qu’ils pourraient faire affaire. C’est tout ce qui s’était passé, rien d’autre.
— Jaing avait raison. On trouvera comment les utiliser, et réciproquement.
— Donc c’est bien ça : on trace une ligne entre une sorte de Jedi et une autre.
— N’est-ce pas ce qu’on a fait pour Bardan et Etain ?
— Je suppose que si.
Ordo était un gars qui n’avait pas sa langue dans sa poche. S’il avait réellement eu des doutes quant à Altis, il les aurait ouvertement exprimés et sans mâcher ses mots. Au lieu de cela, il programma une trajectoire pour Mandalore sur le navordinateur et prépara l’Agresseur à atteindre sa vitesse de saut. La transition avec l’hyperespace laissait toujours Skirata un peu déstabilisé pendant un instant. Quand il se focalisa de nouveau sur la verrière, le serein paysage sidéral qui faisait apparaître la galaxie comme un vrai petit paradis où il ferait bon vivre avait disparu.
J’ai fait un autre cadeau à Altis, non ? Peut-être que je garderai cet atout pour plus tard.
Skirata avait serré la main de l’homme. Et il était encore contagieux, il portait toujours un virus qui pourrait le protéger contre l’arme biochimique FG36. Altis allait maintenant le propager à tous ses adeptes, et c’est une autre communauté qui serait immunisée.
— J’aurais dû vous présenter la facture, marmonna-t-il pour lui-même. Tant pis.
Vestiaire du
gymnase, caserne des Opérations Spéciales,
Q.G. de la 507e Légion, Centre
Impérial
C’était toujours dans la salle de bains que les meilleures idées venaient à Darman.
Sans doute était-ce l’effet apaisant de l’eau chaude sur le sommet du crâne, et du ruissellement constant de la douche. Il flottait dans un état de relaxation plus proche de l’assoupissement que de l’éveil.
Il comprenait à présent qu’il avait commis une grave erreur en ne saisissant pas la chance de déserter Mandalore quand Ordo était venu les chercher. À quoi bon essayer de faire de son mieux pour Kad de si loin alors qu’il dépendrait toujours des autres pour faire quelque chose de productif des informations qu’il leur transmettrait.
— Dar ? Tu dors là-dedans ou quoi ?
Darman laissa la voix lui passer au-dessus de la tête. C’était Niner. Il pouvait attendre.
Non, il s’y prenait comme un manche dans cette histoire. Il finirait par rester ici jusqu’à la fin de sa vie, ce qui ne serait pas aussi long que celle d’un humain normal. Il n’avait pas le temps de commettre une autre erreur. Il y avait une solution. Il en avait eu des exemples sous les yeux pendant un an ou plus.
— Dar ! Tu vas être aussi fripé que les gett’se d’un strill si tu ne sors pas rapidement de là-dedans !
Darman ne pouvait pas interrompre le cours de ses pensées pour lui répondre. Quand Fi avait eu besoin d’aide et que Skirata avait décidé de le sortir du centre med avant qu’on le débranche pour le laisser mourir, Besany et Obrim étaient allés le chercher. Quand Skirata avait eu besoin de sauver les jeunes Nulls des Kaminoens, il y était allé et avait fait le boulot lui-même. Même pendant cette terrible nuit de l’Ordre 66 – bien qu’elle se soit achevée si horriblement pour lui et Etain, et pour Niner –, Skirata et l’équipe avaient débarqué pour les évacuer.
Tu dois faire les choses pour toi-même.
Kal’buir t’a montré tout ce que tu devais savoir pour être un bon père.
Que ferait-il maintenant ?
Darman était sûr qu’il ne resterait pas là, dans une cabine de douche, alors que son fils avait besoin de lui. Kal’buir était un père fantastique, un homme patient, attentionné, et le meilleur exemple de ce qu’il est possible de faire pour changer la galaxie quand on refuse les cartes qu’on nous a distribuées.
Mais il avait beaucoup d’autres fils-clones qui tous comptaient sur lui, et il laissait trop de Jedi lui raconter des histoires larmoyantes en profitant de la culpabilité qu’il éprouvait quant à Etain. Darman se sentait de plus en plus mal de savoir tous ces Jedi sous le même toit que Kad.
Etain n’aurait pas voulu que ça se passe ainsi. Rien que pour cela, Darman était déterminé à agir maintenant.
Il irait à Mandalore – il pensait toujours qu’il allait retourner à Mandalore, bien qu’il n’y ait jamais mis les pieds – et être un vrai père pour son fils. Il aimerait rester à Kyrimorut, mais il était clair que ce serait bientôt un monde plus dangereux à présent que l’Empire était aux commandes. Ce n’était pas un endroit pour élever un enfant à demi Jedi.
Darman était désormais bien placé pour savoir ce qui arriverait à Kad si les barbouzes du Côté Obscur de l’Empire apprenaient son existence. Roly Melusar était un type super qui savait exactement ce qu’il fallait faire, mais Darman ne pouvait pas attendre la révolution aussi longtemps.
Il va falloir que tu t’en charges toi-même.
Il allait retourner à Mandalore, prendre son fils et fuir quelque part où personne ne pourrait les trouver. Il était un commando ; il était doué pour les exfiltrations, et s’il ne voulait pas être retrouvé, il savait très bien faire ce qu’il fallait pour ça aussi.
Désolé, Kal’buir, mais tu as déjà bien trop à faire en ce moment. J’ai déjà raté les dix-huit premiers mois de Kad parce que personne ne m’avait dit qu’il était mon fils.
Darman avait tout bien en tête maintenant. Il n’avait même pas besoin de se cacher pour quitter la caserne. Il avait été chargé de trouver Altis, et Melusar ignorait le jeu d’enfant que ce serait pour lui.
— Dar, ça va ?
— Oui. Arrête de te faire de souci.
Il ferma le robinet et s’essuya. Niner lui jeta un coup d’œil inquiet et baissa la voix.
— Dar, arrête de t’inquiéter pour les Jedi. Kal s’en occupe. Il est prêt à étriper le premier qui regarderait Kad d’un peu trop près.
— Je sais.
— Tu es sûr que ça va ?
— Ouais. Allons voir saint Roly. J’ai eu une idée.
— Laquelle ?
— Je parie que je pourrais le persuader de nous envoyer faire une opération sur Mandalore.
Niner se contenta de le regarder comme s’il cherchait des signes de démence dans ses yeux. Darman avait du mal à ne pas être tout à fait honnête avec son frère, mais Niner était un anxieux, et ce qu’il ignorait ne pourrait pas lui faire de mal. S’il jouait franc jeu avec lui et lui exposait tout ce qu’il avait en tête, alors il savait ce qui se passerait : Niner essaierait de l’en empêcher. Il le ferait par amour fraternel, mais il serait complètement à côté de la plaque. Il ne comprenait tout simplement pas comment le fait d’avoir un enfant pouvait tout changer.
Il était bon de garder quelques atouts dans sa manche si c’était pour épargner des problèmes à son frère. Niner lui avait caché des choses exactement pour la même raison.
— C’est ton plan de désertion ? demanda finalement Niner.
Il murmurait si bas que Darman devait presque lire sur ses lèvres. Peut-être qu’il aurait dû parler en Mando’a – mais trop de commandos de Kamino le comprenaient aussi.
— On se tire tranquillement d’ici avec un vaisseau impérial et un réservoir plein ?
— C’est l’idée générale, oui.
— Et Rede ? À moins que tu aies un plan pour convaincre Melusar qu’on n’a pas besoin de lui ?
Darman était quasiment sûr qu’il pouvait le faire aussi. Il enfila son treillis.
— Viens, allons voir.
— Si on se retrouve quand même avec lui, il vaut mieux qu’on soit clairs sur ce qui lui arrivera une fois qu’il aura compris qu’on se fait la belle. Il ne voudra pas déserter.
— C’est une feuille vierge. Il saura entendre des arguments percutants.
— Non, ce n’est pas une feuille vierge. C’est peut-être un Spaarti, mais c’est un homme comme nous. Tu as vu la vitesse à laquelle il apprend. Et s’il n’est vraiment pas d’accord ? S’il veut nous dénoncer ?
— Alors je ferai ce que j’ai à faire.
Il vit Niner se décomposer. Il n’avait jamais aimé ce genre de dilemme. Il se prenait les pieds dans des nœuds éthiques sur le devoir, et il trouvait que le très sale boulot – comme de descendre un des siens – était allé trop loin. Darman, lui, ne voulait pas se retourner contre un frère, mais il avait tué deux gars des opérations secrètes parce que c’était eux ou lui, et qu’il avait été formé pour survivre à tout prix.
J’ai un fils à protéger maintenant. Et je descendrais toute l’année impériale s’il le fallait.
— Il y aura sûrement une meilleure solution, dit Niner.
Il n’était pas une seconde venu à l’esprit de Darman que Melusar aurait pu être rentré chez lui à cette heure avancée. Et de fait, il était encore assis dans son bureau, penché sur des rapports des Services Secrets. L’homme avait une mission, une quête qui, fondamentalement, concernait la famille – une famille qui lui avait été arrachée. Darman le comprenait tout à fait.
Est-il marié ? A-t-il des enfants ? Ou bien ne peut-il pas l’envisager avant d’avoir vengé son père ?
Darman ne posa pas la question. Il frappa sur l’encadrement de la porte et attendit. Niner s’agitait derrière lui.
— Oui ?
— Vous auriez cinq minutes, monsieur ?
— Absolument.
Darman attendit que la porte se referme derrière eux pour se planter devant le bureau de Melusar. À partir de maintenant, tout ce qu’il dirait entraînerait Niner dans le bain avec lui. Il devait être sûr que le risque en valait la peine.
Comment est-ce que je pourrais mentir à Melusar après tout ce qu’il a vécu ?
— Je pense pouvoir vous trouver Altis et son groupe, monsieur, dit-il. En fait, j’en suis même certain. Niner et moi devons simplement joindre d’anciens contacts des Services Secrets.
Il ne regarda pas Niner. C’était inutile. Il savait que le pouls de son frère était en train de battre des records.
Melusar hocha la tête.
— Continuez.
— Nous devrons aller sur Mandalore.
Melusar parut légèrement intrigué.
— Très bien. Aurez-vous besoin de quelque chose de particulier ?
Darman s’était attendu à devoir défendre son projet afin qu’il leur lâche la bride. Mais la nouvelle armée n’était pas comme l’ancienne GAR ; il en fut estomaqué. La confiance que leur commandant avait en eux était vraiment désarmante.
Je ne peux pas trahir cet homme. Ce ne serait pas juste. Mais il faut que je mette mon fils en lieu sûr.
— Rien que votre permission, monsieur, répondit-il.
— Vous l’avez. Dites-moi ce qu’il vous faut et je m’assurerai que vous l’obteniez sans avoir à répondre à des questions embarrassantes.
Melusar sortit un datapad.
— Vous envisagez d’emmener Rede ? Ce serait peut-être plus facile que de le laisser ici à spéculer.
Ça ressemblait à un ordre déguisé. Darman n’oserait pas y aller trop fort en trouvant un prétexte pour refuser. Et Melusar n’avait pas tort : Rede poserait des questions, et le pire pour tout le monde serait que d’autres commandos se rendent compte que, pour des raisons inexpliquées, l’escouade 40 ne figurait pas sur le tableau de service.
— Ce sera profitable pour lui, monsieur, dit Niner. Je veillerai à ce qu’il ne lui arrive rien.
Niner se tourna pour sortir, mais Melusar rappela Darman.
— Quoi que les Jedi vous aient fait, Darman, n’oubliez pas ce qu’on dit d’un certain plat qui se mange froid.
Darman eut droit à ce regard – tête légèrement inclinée, sourcils haussés, menton baissé – qui disait qu’il était à cent pour cent derrière ses troupes.
— La vengeance vous fait prendre des risques insensés. Je le sais. N’oubliez pas – froid.
Darman se sentait dévoré de culpabilité.
— Compris, monsieur.
Il ne s’adressa pas à Niner avant qu’ils soient de retour dans leurs quartiers. Il s’assura que Rede était en train de ronfler comme une vibroscie avant de risquer une conversation chuchotée à l’autre bout de la chambre.
— Je sais que ce n’est pas différent de ce que nous avions prévu de faire avant, dit Niner. Mais je me sens minable de mentir à Roly. Et à Rede.
— Je ne mens pas, dit Darman. Je vais donner à Melusar tous les Jedi qu’il veut.
Oui, il le ferait. Et si ça ne correspondait pas aux plans de Jaing d’offrir une porte de sortie à certains Jedi, tant pis.
Son fils était prioritaire.