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Bonnes nouvelles. Niner va bien, et Darman aussi. Enfin, au moins sont-ils tous les deux en bonne santé. Ne va pas dire qu’on ne vous rend jamais service, Mereel – il a fallu sacrement manœuvrer pour obtenir ce travail d’entretien pour l’Armée Impériale, et si tu nous accordes un peu de temps, et que ça vaut le coup, on pourra t’avoir une ligne sécurisée…
Gaib, de Gaib & TK-0 Inc., chasseur de primes high-tech – spécialisé dans l’obtention de données cachées et de matériel introuvable
Terrain
d’atterrissage,
siège des Forces Spéciales Impériales,
Cité Impériale
— Un barbouze, dit Bry. Aucun doute. C’est un barbouze. D’un hochement de tête évasif, il désigna l’agent impérial s’avançant vers la navette. Son nom – si c’était le vrai, ce dont Darman doutait – était Sa Cuis, et il n’avait rien de l’homme d’action héroïque d’un holovid.
Ce n’était jamais le cas. Et c’était précisément cela qui les rendait dangereux.
Darman le regarda attentivement, ce qu’il pouvait faire sans problème sous un casque à vision panoramique.
— Aucune raison de nous briefer sur la rampe de lancement, dit Ennen. On ne manque pas de temps, et on ne manque certainement pas de troupes, maintenant. Donc tous ces briefings de dernière minute, ça veut juste dire qu’ils ne nous font pas confiance et qu’ils nous soupçonnent de vouloir divulguer des trucs.
— Pourquoi, alors qu’on a été spécifiquement choisis pour ça ?
Niner, un pied sur la rampe, avait l’air pressé de partir.
— Le reste de l’ancien commando est chargé des obligations courantes.
— Peut-être qu’on nous a choisis parce que Palpy nous trouve trop indulgents avec les Jedi et qu’il préfère nous éjecter, marmonna Bry. Ou il pense qu’on sait où ils sont parce qu’on s’entendait bien avec certains des Padawans.
Darman ne voulait pas évoquer leurs relations avec les Jedi.
— Pourquoi est-ce que vous ne la bouclez pas en attendant le briefing ? dit-il sèchement. Il y a des fuites et on le sait. Des Jedi se sont fait la paire ; ils avaient des sympathisants. Et, de toute façon, il y a des gars dans l’unité qui ne les aiment pas trop.
Les deux nouveaux venus – Darman les considérait carrément comme des étrangers débarquant dans son groupe – se turent un instant.
— C’était pour dire, c’est tout, dit finalement Ennen, agressif. C’est quoi ton problème, vieux ?
— Je n’ai pas l’habitude de servir avec des shabuire.
— Ah ouais, t’es un des Mandos, hein ? Les grandes gueules. Des sauvages teigneux.
Les commandos n’avaient pas tous été formés par des Mandaloriens. Il y avait aussi certains aruetiise parmi les sergents triés sur le volet de Jango. Darman redressa les épaules, prêt à en découdre, mais Niner s’interposa entre eux.
— Udesii, Dar… Laisse tomber.
— Ouais, il a été entraîné par un Corellien. Pas étonnant qu’il soit resté sur la touche pendant la guerre à se faire les ongles…
— Whoa. On n’a jamais eu de désaccords entre nous, et ce n’est pas maintenant que ça va commencer, O.K. ? Alors doucement, tous les deux – et toi aussi, Bry, parce que je t’entends protester en sourdine.
Difficile de rater quelque chose avec le système audio des casques. Niner s’était toujours efforcé d’être le sergent Kal pour son groupe, et il reprenait le rôle à cet instant, les rappelant à l’ordre pour leur bien. Darman se sentait paumé. Il était écartelé entre le besoin qu’il avait de ce sens très fort de la famille et de la sécurité qu’il éprouvait en tant que Mandalorien, et celui d’oublier ce qui allait avec : une femme morte et un fils qu’il ne pouvait pas voir grandir.
Mais ce n’était pas à lui que cela arrivait. C’était un autre Darman qui avait subi ça. Il s’accrochait à ce détachement pour vivre ses journées. La nuit, cependant… quand il fermait les yeux, il ne pouvait s’empêcher de penser à ce qui était arrivé au corps d’Etain. Il n’en savait tout simplement rien. Les Mandaloriens n’étaient pas le genre à faire trop cas des dépouilles, mais il ne lui restait rien d’elle, pas même un morceau d’armure.
Je veux juste savoir où elle a fini. Alors je pourrai peut-être tenir le coup.
— Le barbouze ne vient pas avec nous, j’espère ? demanda Bry. Il ne manquerait plus que ça.
La direction vers laquelle était tournée la tête d’un type casqué n’était jamais une indication de celle où il portait son regard, sans parler de ce qu’il pouvait détecter avec ses senseurs. Aussi Cuis n’avait-il aucune raison de savoir qu’il était l’objet de leur attention, de leur discussion et de leur méfiance. Les trois hommes pouvaient ainsi bavarder sur leur canal privé sans être entendus. Les bras croisés ou les pouces glissés sous la ceinture, ils évitaient par ailleurs de faire des gestes automatiques, de sorte qu’un observateur ne saurait même pas qu’ils étaient en pleine discussion.
Niner ne participait pas. L’idée que les comlinks puissent être sur écoute le rendait parano. Et rien ne pouvait lui ôter cette idée de la tête.
— Et qu’est-ce que ce RG pourrait faire qu’on ne peut pas, nous ? demanda Ennen. Il est plutôt grassouillet.
— C’est peut-être un tireur d’élite, dit Bry.
— Et peut-être que son oncle l’a pistonné.
— Ou peut-être que non, et qu’il le paye en étant là.
Darman préférait observer Cuis. Quelque chose, chez cet homme, le dérangeait au-delà du niveau normal de suspicion. N’importe qui, dans ce genre de boulot, s’imaginerait être l’objet de spéculations et de bavardages au sein des troupes, mais Cuis semblait réagir comme s’il écoutait la discussion – il avait des réactions subliminales, quasi invisibles, mais bien réelles. Et il n’avait pas l’air à son aise alors qu’il traversait ce bout de ferrobéton isolé. Cet homme était capable de faire disparaître les individus, sans poser de questions, et cependant sa démarche apparaissait presque timide, hésitante.
Darman était certain qu’il n’allait pas se mettre à courir.
Il était difficile de dissimuler les petits détails à un clone. Darman avait vécu toute sa vie branché sur les plus infimes variations des expressions faciales et du langage corporel – et de la voix, et de l’odeur – parce que, à l’instar de ses frères, il avait passé le plus clair de son temps parmi des hommes aux traits en apparence identiques aux siens. En réalité, ils ne l’étaient pas. Et chacun d’eux apprenait à repérer le petit détail et les réactions qui caractérisaient tout un chacun. Et cette capacité se reportait sur l’observation du monde qui les entourait. Les détails étaient essentiels. Des vies en dépendaient.
Darman en conclut que Cuis pouvait soit entendre leur conversation, soit… en percevoir le ton. Ennen et Bry étaient méprisants et arrogants, mais pas hostiles. Peut-être…
— Peut-être, murmura Darman, que c’est un utilisateur de la Force. Alors ne lui donnez rien à remarquer.
— Tu le penses, dit Bry. Vraiment.
Je connais ceux qui se servent de la Force. Je les connais d’une façon que tu ne pourras jamais concevoir. Je connais leurs réactions, la manière dont ils gèrent les choses que nous ne pouvons pas détecter, les choses qui quelquefois les trahissent à nos yeux de types ordinaires. Parce que j’ai été aussi proche d’une Jedi qu’un type ordinaire peut l’être.
— Oui, dit Darman. Je le pense.
Mais Darman ne se considérait pas comme un type ordinaire. Il avait grandi en apprenant qu’il était optimisé, la meilleure matière première formée de la meilleure façon pour devenir le meilleur dans son boulot, et à présent il avait recours à la leçon la plus importante de son enfance que le sergent Kal lui avait enseignée. Il pouvait faire tout ce qu’il était déterminé à faire ; pas parce qu’il partait avec l’atout de gènes d’un des combattants les plus coriaces de la galaxie, pas même parce qu’il recevait la meilleure alimentation et la meilleure formation qui soient depuis sa plus petite enfance, mais parce qu’il avait acquis l’attitude mentale juste. Skirata appelait cela ramikadyc – un état d’esprit de commando. C’était la croyance inébranlable d’un soldat de pouvoir tout faire, tout supporter, prendre tous les risques, et de réussir. C’était plus fort que les muscles. Ça permettait au corps d’accomplir l’impossible.
Je ne souffre pas. Toute douleur que je peux ressentir est éphémère. Rien ne peut m’atteindre. C’est à quelqu’un d’autre que ça arrive. Je me contente de l’observer en passant.
Ce mantra maintenait Darman debout alors qu’il n’avait qu’une envie : se coucher et mourir. Et c’était encore plus fort depuis ces quelques dernières semaines que ça l’avait été de toute sa vie. Kal Skirata avait enseigné à ses jeunes commandos tout un arsenal de techniques ramikadyc pour résister aux interrogatoires, autant de manières de se fermer à la réalité afin de devenir un autre qui était loin de la situation épouvantable où l’on se trouvait.
Certains se visualisaient en train de mettre leur douleur et leur peur dans une boîte, ou se concentraient sur sa réalité physique si minutieusement qu’elle se fragmentait et perdait toute matérialité ; d’autres s’imaginaient tout simplement ailleurs. Et poussé jusqu’à son point de rupture par la faim, la soif ou l’épuisement, Darman avait appris à se concentrer sur le moment à venir auquel il pouvait supporter de penser – la seconde à venir, le pas à venir, la colline à venir, le repas à venir –, l’un après l’autre, méthodiquement, jusqu’à ce qu’il ait surmonté l’épreuve.
Darman n’éprouvait pas de douleur physique, mais sa souffrance était plus qu’il ne pouvait endurer. Et jusqu’à ce qu’il trouve la meilleure façon d’y remédier pour de bon, il se refermait sur lui-même.
Je sais ce qui est arrivé. Je le revois toutes les nuits quand je ferme les yeux. Mais ce n’est pas arrivé à mon Etain, et ça ne m’est pas arrivé à moi. C’était un autre couple. C’était un holovid. Ce n’était pas nous.
Cuis s’avança droit sur Niner et lui tendit une datapuce. Il était impossible d’isoler le sergent du groupe parmi quatre hommes identiques en armure, aussi Darman eut-il la confirmation de ses doutes. Il avait deviné que Cuis était un utilisateur de la Force. Et probablement y en avait-il beaucoup d’autres dont il n’avait pas connaissance. Ce qui le rendait franchement mal à l’aise.
Je n’aime pas ceux de ton espèce. Je ne les aime pas du tout.
Évidemment, il pouvait simplement interpréter le langage corporel de Niner. Niner s’avance juste d’un pas, et le barbouze en conclut que c’est lui le chef…
Cuis se détourna de Niner pour poser un regard direct sur lui, Darman. Puis il s’avança jusqu’à lui et lui tendit la main. Personne ne serrait jamais la main des clones, sauf les officiers Jedi. D’abord, ça n’était pas un comportement militaire. Et quand Darman, instinctivement, serra la main tendue, la sensation qu’il en ressentit fut… dérangeante.
Il me teste. J’ai déjà vu les Jedi le faire. J’ai senti Etain le faire. Je connais cette impression. Oui, c’est bien un utilisateur de la Force.
Darman ne savait pas trop si cette sensation lui était désagréable parce qu’il se sentait épié ou parce qu’elle réveillait d’autres souvenirs douloureux d’elle. Cuis relâcha très vite sa main pour aller serrer celles des autres, comme s’il venait d’y penser après coup.
— Nous venons d’avoir la confirmation que Jilam Kester est bien sur Celen.
Les mouvements oculaires de Cuis – ou plutôt leur absence – informèrent Darman qu’il essayait très fort de ne plus le regarder, maintenant ; donc il avait bien senti sa réaction.
— Cette puce contient vos cartes, des plans de bâtiments, et les détails pour contacter l’informateur. Ramenez-le vivant.
Niner inséra la puce dans son datapad.
— À qui a-t-on affaire ? Un Padawan ? Un Chevalier ?
— Ce n’est pas un utilisateur de la Force. Mais il sait où ils sont, et il les trouve par un réseau de réfugiés. C’est un Ranger antarien.
— Jamais entendu parler.
— C’est un des groupes de Rangers de Secteur. Les Rangers antariens sont des agents ordinaires avec des pouvoirs de policiers et qui travaillaient avec les Jedi.
Darman en fut aussitôt fasciné, surtout que, à sa connaissance, on ne les avait jamais utilisés pendant la guerre. Ce qui, en soi, était déjà surprenant.
— S’ils travaillaient pour les Jedi, alors comment se fait-il que nous n’en avons jamais entendu parler ? Ils ne figuraient même pas sur notre liste de briefing.
Cuis hocha la tête.
— Le Conseil Jedi ne les reconnaissait pas, mais ils ne se gênaient pas pour se servir d’eux. Les Rangers aimeraient être des Jedi mais ils n’ont aucun accès à la Force. Alors ils sont là quand les Jedi ont besoin de renforts, ou pour exécuter les sales boulots dont personne d’autre ne veut se charger. Pas de gloire pour eux, rien que le danger. Tristes petites créatures. Quelle vie… Risquer la sienne pour ceux qui ne veulent même pas reconnaître leur existence…
— Honteux, dit Niner.
Seul Darman le connaissait assez pour s’interroger sur la sincérité de sa remarque qui n’était peut-être que sarcastique.
— Ce que les autres abandonnent, nous protégeons, cita Cuis qui sortit un datapad de sous sa cape. C’est la devise des Rangers de Secteur, vous savez. Je me suis souvent demandé si leur ironie était délibérée.
— Donc vous le voulez vraiment vivant, dit Ennen. Malgré les ordres.
Cuis hocha la tête, l’air plus préoccupé par son datapad.
— Oui. Même moi je suis incapable de faire parler un mort, encore que j’en connaisse certains qui pensent le pouvoir.
Darman songea brièvement à Fi et s’empressa d’effacer son image. Il n’y eut aucune réaction de Cuis. S’il était un utilisateur de la Force, mais qu’il ne figurait pas sur la liste noire, alors qu’était-il ? Jusik avait évoqué des Jedi obscurs et des Sith, mais Darman n’avait jamais trop prêté attention à la conversation. Maintenant il le regrettait. Il se demandait s’il existait des utilisateurs de la Force qui n’étaient pas contraints de se rallier à un parti, quel qu’il soit.
Puis il se souvint de la raison pour laquelle il se posait la question et se rappela que le fils auquel il pensait n’était pas son fils, mais celui d’un autre Darman, et qu’il n’avait pas le cœur brisé de ne pas le voir, qu’il n’était pas terrifié a l’idée de ne pas pouvoir l’élever. Il ne ressentait rien. Il n’osait pas.
Pourquoi est-ce que je fais ça ? Quelle importance si les Jedi que je dois traquer ressemblent à Bard’ika ?
Non, ils ne seraient pas comme lui, mais bien comme ceux qui avaient tué la femme de l’autre Darman. Ceux dont les règles dures interdisaient aux Jedi d’avoir une famille et forçaient ainsi ceux qui le souhaitaient à vivre dans le mensonge. Aussi n’avait-il aucune raison d’avoir mauvaise conscience.
Il ne se demanda pas ce qu’il éprouverait s’il devait traquer ses frères, parce qu’il savait qu’ils ne pourraient jamais les trouver. La question restait donc purement théorique.
— Donc, quand vous aurez appréhendé cet homme, vous n’aurez aucune raison de rester discrets, dit Cuis. Nous voulons que même dans les cloaques les plus obscurs de l’Empire on sache qu’il n’existe absolument aucun endroit qui échappe à notre surveillance.
La navette s’éleva. Ce n’était pas un TIO/BA, et son bruit caractéristique n’était pas encore imprimé dans le subconscient de Darman comme la promesse d’exfiltration immédiate ou de vivres attendues. Mais cela viendrait en son temps, il en était certain.
Calé dans son siège, il s’efforça de ne pas penser au-delà de l’instant. S’il laissait son esprit vagabonder – s’il se demandait ce qu’il faisait là, et pourquoi il ne désertait pas à présent que Niner avait récupéré et qu’il pouvait partir, lui aussi –, alors il devrait penser à son avenir, or cela lui était impossible maintenant à moins d’affronter le passé immédiat.
Ce passé qui lui faisait trop mal. Si mal qu’il n’était même pas certain d’avoir en lui ce qu’il fallait pour être un bon père.
Mais ça, c’était un autre Darman.
Kyrimorut, Mandalore
C’était de la salive, de la salive de strill – une petite mare sur le passage dallé devant la grande salle de séjour centrale, le karyai.
Ordo la vit une fraction de seconde trop tard alors qu’il levait les yeux de son datapad en marchant. Il glissa. Walon Vau était de retour, de même que son strill, Mird. Ordo pouvait sentir sa forte odeur de musc partout.
— Shab.
Il revint sur ses pas vers la cuisine pour attraper une serpillière en pestant tout seul.
— Espèce de shabuir dégoûtant.
— Tu ne le penses pas, Ord’ika, dit Vau qui remplissait un seau au robinet de la cuisine. Tu sais bien que tu es heureux de revoir Mird. Je vais nettoyer ses saletés.
Le coupable baveux grognait de plaisir, assis la tête dans le giron de Ny qui le régalait avec une poignée de cookies sans se soucier apparemment des litres de salive qu’un strill heureux pouvait produire.
— Je t’avais trouvé un os de bantha, Mird’ika, dit Ny, penchée pour murmurer à l’oreille du strill.
Ordo admira sa capacité à pouvoir respirer aussi près de la créature.
— Mais les méchants hommes l’ont pris. Oui, je t’assure, ils ont pris ton os ! Leur akk l’a mangé. Vilain akk ! Je t’en trouverai un autre, d’accord ? Un gros nonos plein de viande !
Mird approuva en grondant de plus belle. Ordo n’oubliait rien : il se rappelait jusqu’au moindre détail l’époque où le strill le terrorisait quand il était enfant à Tipoca. Il avait failli l’abattre. Et Kal’buir aussi. Mais à présent Mird était un allié au même titre que n’importe qui à Kyrimorut, et même Skirata admirait son intelligence et son dévouement. Ny semblait en être presque aussi gâteuse que Vau.
N’empêche qu’il empestait. Et rien n’y pourrait jamais rien changer.
— Donc les storms sont des méchants hommes, Ny ? demanda Vau en trempant une serpillière dans l’eau avant de l’essorer. Méchants comment ?
— S’ils avaient repéré les Jedi, je l’aurais appris à mes dépens, répondit-elle. Est-ce que Mird peut porter des petits ?
— Mird peut porter des petits et les engendrer.
Vau se dirigea vers le passage avec la serpillière.
— Mais ne me demande pas de détails pratiques sur la reproduction hermaphrodite. Tout ce que je sais, c’est que si Mird rencontre le strill de ses rêves, alors ça se termine par une portée de petits strills.
— Et je parie qu’ils sont adorables, dit Ny en secouant affectueusement la peau flasque des bajoues de Mird. Des petites boules de peluche dorée toutes ridées. Comme toi, Mird’ika.
Mird bâilla, exhibant une effroyable dentition. Les strills étaient vraisemblablement les animaux les moins « adorables » de Mandalore, et Ordo se creusait la tête en vain pour comprendre ce que Ny pouvait leur trouver de si attrayant. Mird avait six pattes, des griffes redoutables, une grosse tête carrée avec une énorme mâchoire capable de broyer un crâne d’un seul coup, et une peau toute plissée qui semblait être largement trop grande pour son corps. Il pouvait voler, aussi, s’il trouvait un endroit suffisamment élevé pour s’élancer. L’animal était admirable – et d’une loyauté à toute épreuve –, mais deux qualités lui faisaient cruellement défaut : la beauté et le parfum. Les mâles humains trouvaient son odeur agressive ; Ordo ne faisait pas exception, c’est certain. Les femelles humaines, en revanche, ainsi que les autres espèces, ne paraissaient même pas la remarquer, ce qui expliquait probablement pourquoi un animal aussi odorant pouvait être un chasseur aussi efficace.
— Vous avez une réunion de crise, les gars ? s’enquit Ny sans cesser de caresser Mird. Je peux me rendre utile ?
— Rien qu’un briefing de routine, dit Ordo. Un des contacts de Mereel a repéré Dar et Niner, donc on a du boulot.
— Niner va bien ? Et le pauvre Darman ? Comment va-t-il ?
— Il a repris le travail. Niner aussi. En dehors de ça… On devra le découvrir nous-mêmes.
— Au moins Kal peut décompresser maintenant.
— Pas avant qu’on les ramène ici.
— Ça ne devrait pas être difficile pour vous, n’est-ce pas ? C’est vous les experts de l’exfiltration et de l’évacuation. Aucune porte ne vous résiste.
— En théorie, oui.
— Tu es un gars très prudent, Ordo.
— C’est parce que je vois tous les jours des plans devenir osik.
Ordo avait une envie folle de poser une question plus personnelle à Ny, mais Besany lui avait interdit d’évoquer son opinion quant à Kal’buir. Essayer de les marier était prématuré, l’avait-elle averti, et il y avait de fortes chances que Ny en serait effrayée.
Ordo ne comprenait pas pourquoi tout le monde évitait le sujet. A’den trouvait que tous les deux feraient un bon couple, les autres frères étaient d’accord, et Kal’buir avait besoin d’une femme. S’il ne se décidait pas plus vite. Vau finirait par le coiffer sur le poteau. Ordo n’avait jamais vu Vau manifester le moindre intérêt pour un autre être vivant, mais il avait regardé assez d’holovids pour savoir que l’amour pouvait jaillir d’improbables instants complices, or Mird pourrait très bien leur en fournir un.
— Quelque chose te tracasse, Ordo ? demanda Ny. Tu as l’air de…
Un aboiement sec de Mird l’interrompit. Relevant la tête, l’animal trottina vers la cuisine en remuant la queue. Ordo entendit des pas – des chaussures légères, pas des cetare mando – et Scout apparut dans l’embrasure. Après avoir flairé la robe de la fille, le strill, l’air presque déçu, retourna vers Ny.
— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda Scout en s’avançant doucement dans la cuisine sans cesser de surveiller Mird à prudente distance.
— Lord Mirdalan, dit Ny, je te présente Scout.
— Woh…
— Pas de problème, on peut le toucher sans danger… C’est un vrai petit amour.
Mird était ravi de l’attention dont il faisait l’objet. Scout, bien que visiblement peu convaincue que le strill soit inoffensif – réaction très sage de sa part, car il ne l’était pas –, s’accroupit malgré tout pour le caresser. Mird frotta sa tête contre son visage, s’arrêtant de justesse avant de lui baver dessus. Ordo eut l’impression qu’il cherchait à savoir qui était cette étrangère qui avait autant bouleversé Kal’buir.
— Il est très câlin, dit Scout en caressant les oreilles de Mird qui en émit un long grondement de béatitude. Kina Ha sera fascinée.
— Il vaudra peut-être mieux ne pas la lui présenter, dit Ordo. Mird a une dent contre les Kaminoens.
— En tout cas, Vau a l’air de m’avoir confié le bébé, dit Ny qui repoussa Ordo d’un geste de la main. Allez, ouste. Va t’amuser avec tes copains.
— Les femmes ne sont pas exclues. Tu peux venir, si tu veux.
— Il va bien falloir que quelqu’un prépare la table pour le dîner.
Ordo se demanda si le strill avait senti la Jedi en Scout et s’il avait cru au soudain retour d’Etain. Il était difficile de savoir ce qui pouvait se passer dans la tête d’un strill, mais Mird était assez intelligent pour savoir qu’Etain était morte, pour la bonne raison qu’il avait vu son corps. Peut-être, de même qu’un humain pleurant un être cher disparu, avait-il eu l’impression de la voir, tout en sachant que ce n’était pas possible.
Était-ce ce que Darman vivait, lui aussi ? Continue-t-il à voir Etain dans les foules ? Lui arrive-t-il d’oublier de temps à autre, de voir quelque chose qui la ferait rire, et de se rappeler alors qu’elle est morte ?
Comment peut-il continuer comme ça ? Comment le pouvons-nous tous ?
Depuis qu’il avait quitté Coruscant, Ordo ne pouvait s’ôter l’idée de deuil de la tête. Il n’avait jamais perdu de frères au combat, pas comme d’autres clones, et il se surprenait à essayer d’imaginer ce que la vie serait s’il devait être ainsi brutalement séparé de ceux qu’il aimait. L’idée d’une vie sans Kal’buir ou sans ses frères était trop dure à concevoir. Et, à présent, il avait une femme, aussi, une autre personne pour qui il se tracassait, pour qui il avait peur. Vau n’avait peut-être pas tort : quand on n’aime personne, on ne peut être ni blessé ni endeuillé. La vie était un compromis entre la solitude et les inévitables hauts et bas de la joie et de la douleur.
Ordo s’avança dans la pièce principale qui formait le centre du complexe de Kyrimorut, la salle de séjour où les membres du clan mangeaient, discutaient et, plus généralement, se détendaient. Le conseil de guerre habituel était réuni – Skirata, Vau, Gilamar, les frères d’Ordo, ainsi que Jusik. Fi, Corr et Atin avaient de toute évidence mieux à faire ailleurs, sans doute avec Levet qui apprenait l’art de faire tourner une ferme à l’aide d’un holomanuel pédagogique et d’un nuna très déboussolé.
— Ord’ika… Assieds-toi, fils.
Skirata tenait un mug de shig fumant. La tisane avait la même odeur que de l’herbe behot. Autrement dit, Kal’buir avait besoin de réconfort.
— Nous avons beaucoup de choses à voir.
Skirata n’était pas le genre à se soucier des formalités, mais Ordo comprenait pourquoi Ny trouvait qu’il avait soudain acquis une certaine dose d’organisation. Elle n’avait pas vécu dans des baraquements et ne connaissait donc pas la routine quotidienne. Les Mandaloriens avaient eux aussi besoin d’un minimum de structure dans leur vie, même s’ils pouvaient paraître complètement désordonnés aux aruetiise. La journée devait commencer par un din’kartay, un survol de ce qui se passait et de ce que chacun avait à faire. Parfois, il s’agissait juste d’une brève discussion pendant le petit déjeuner, et quelquefois – comme à cet instant –, c’était plus sérieux, un peu comme une séance de planification opérationnelle.
Gilamar, assis sur un tabouret en veshok, se chauffait les mains à proximité du feu qui brûlait au centre de la pièce.
— Qui veut commencer ? Walon, si je comprends bien, tu n’as pas réussi à trouver des indices qui pourraient nous mener à Sev.
Vau ne secoua même pas la tête. Il était difficile de savoir ce qu’il pensait, et si Ordo ne l’avait pas mieux connu, il l’aurait jugé indifférent au sort du membre disparu de l’escouade Delta.
— Rien, dit-il. De toute façon, il est presque impossible de faire quoi que ce soit à Kashyyyk maintenant que notre Empereur bien-aimé a écrasé les clans de Wookiees et laissé entrer les marchands d’esclaves. Enacca est toujours sur Togoria pour organiser la résistance. Mais retrouver Sev est devenu pour elle une mission personnelle, et je me sens un peu…
Sa voix s’estompa.
— Bon. On passe à autre chose ? dit-il.
— Difficile, Walon. Nous allons étudier le moyen de récupérer Dar et Niner, et on ne peut pas ignorer Sev.
— Mais eux, nous savons où ils sont, rétorqua Vau sur un ton catégorique. Les priorités avant tout.
— O.K., dit Gilamar, qui n’avait pas l’air convaincu.
Il y eut un long silence.
— Uthan a commencé à analyser les échantillons de la kamini, reprit-il. Je crois que nous devrions lui demander de créer un antigène pour le virus FG36, si elle ne l’a pas déjà compris, ce qui est probablement le cas. C’est trop dangereux : Palpatine l’a entre les mains, même s’il ignore ce qu’il produira une fois dans la nature.
— Et tu as confiance en elle ? demanda Vau.
— Autant que je peux me fier à quelqu’un qui n’est pas l’un de nous et qui fabrique des armes de destruction massive pour gagner sa croûte.
— Crois-tu qu’elle va créer ce qu’elle dit qu’elle créera, et qu’elle n’essaiera pas de nous empoisonner tous ?
— Je n’en sais rien, répondit Gilamar. Mais je ne suis pas sûr qu’elle le sache elle-même. J’aimerais lui donner une raison de travailler pour nous au-delà de sa peur d’être éliminée si elle ne le fait pas.
— Je ne pense pas quelle succombera à notre charme bourru de Mandos, dit Skirata. Ni à la justice de notre cause. Ni même à des crédits. C’est un boulot pour psy OPS.
— Bon… Je commencerai à la convaincre de fabriquer l’antidote. Elle peut recréer le virus d’origine quand elle veut ; elle a toutes ses recherches avec elle. Nous devrons contrôler ça, juste par sécurité.
Skirata acquiesça distraitement. Il était morose depuis quelques jours. Plus précisément depuis qu’il avait posé les yeux sur Scout.
— Jaing, où en sommes-nous, question finances ?
Au moins Jaing, lui, était-il heureux. Il rayonnait de satisfaction.
— Même au taux d’intérêt le plus bas de la galaxie, nous gagnons quinze milliards de creds par an, dit-il. Ça représente pas loin de trois cents millions par semaine, sans compter les intérêts composés. Par semaine. Un retour non négligeable pour un montant dérisoire « emprunté » sur tous les comptes bancaires du système.
Les chiffres, si loin des besoins personnels ou même de l’imagination de tous ceux présents dans la pièce, en devenaient presque dénués de sens. Ordo ne pouvait penser qu’à des choses que les crédits ne pourraient jamais acheter.
Jusik, cependant, en incorrigible optimiste, applaudit.
— Oya ! On peut faire un tas de choses avec ça.
— Je parie que même Walon ne peut pas s’imaginer autant de waadas, et lui il s’est vautré dans une richesse écœurante dès sa naissance.
Skirata finit sa tisane.
— Mais ça ne va pas se remarquer, tôt ou tard ?
Jaing lui adressa un clin d’œil.
— Pas alors que c’est partagé entre des milliers de comptes séparés et investi dans des compagnies de l’autre côté de la galaxie, non.
— Ah, mon petit génie. Mon super petit génie.
Personne ne semblait particulièrement excité par une telle fortune. Ordo, comme tous les clones, n’avait jamais eu besoin de crédits jusqu’à ce qu’il quitte Kamino, et même alors le budget de la Grande Armée avait veillé à satisfaire tous ses besoins. Et des hommes comme Skirata étaient d’origine modeste. Personne n’allait se précipiter pour acheter une écurie d’odupiendos de course ou un yacht de luxe. Tout ça n’était que ret’lini – un plan B au cas où, l’état d’esprit mando classique voulant que l’on soit toujours préparé au pire. La fortune était une assurance contre les mauvais jours, et un moyen pour acquérir ce qu’il faudrait afin de relocaliser autant de clones que possible.
Jusqu’à maintenant… ce n’est que nous, l’escouade Yayax et le commandant Levet. Mais il est encore tôt. D’autres viendront.
— Donc nous avons de quoi acheter beaucoup de monde, dit Skirata. Mereel, ce Gaib est fiable, à ton avis ?
— Il ne m’a encore jamais fait faux bond, répondit Mereel. Il travaille avec un droïde tech nommé TK-O. Ce sont eux qui nous ont conduits à Ko Sai, tu te souviens ? Ils savent qui vend, qui achète et qui expédie quoi, où, et combien. Donc ils ont fait quelques recherches pour nous, et quelle meilleure façon d’espionner l’Empire que de fouiller dans ses acquisitions de matériel militaire ?
— Et qu’est-ce qu’ils veulent ?
— Des crédits, comme tous les mercenaires.
Skirata ne demanda même pas combien. Quelle importance, du moment que ça n’attirait pas l’attention sur Kyrimorut.
— Donc Dar et Niner sont dans la 501e Légion, Le Poing de Vador, mon shebs ! Qui c’est, ce Vador, d’abord ? Jamais entendu parler.
— Le bras droit de Palpatine. Sabre laser rouge, d’après TK-O.
— Shab, encore un Sith. Toujours la même histoire. Pourquoi est-ce que tous les Sith et tous les Jedi ne s’exilent pas sur une planète dont personne n’a jamais entendu parler pour se cogner dessus en privé et laisser le reste de la galaxie en paix ?
Skirata ne regarda même pas Jusik, ne serait-ce que pour lui dire qu’il n’était pas compris dans le lot. Il semblait avoir complètement gommé l’idée que Jusik ait pu être un Jedi. Toutefois, Ordo se demandait comment Jusik se considérait lui-même, lui qui ne faisait jamais les choses à moitié. Tous ses efforts pour devenir un Mando étaient-ils destinés à apaiser une sorte de culpabilité d’avoir été Jedi ? Il donnait vraiment l’impression de se réinventer.
— En tout cas, les querelles des manieurs de sabre mises à part, poursuivit Mereel, Vador a mis sur pied une unité spéciale d’assassins avec d’anciens commandos de la République et des ARC à l’intérieur de la 501e, uniquement pour traquer les Jedi, les déserteurs et les sympathisants.
— On dirait bien que c’est nous, dit Jusik. Et maintenant que nous savons où sont Dar et Niner, on a juste à aller les chercher, non ?
Skirata haussa les épaules.
— Ça ne devrait pas être trop dur, mais nous n’avons plus la même liberté d’aller et venir. Nous sommes l’ennemi.
— Et en quoi est-ce que ça devrait nous arrêter exactement ? demanda Vau. Ce n’est pas comme si Zey nous avait jamais donné son absolution pour faire ce qu’on faisait. D’ailleurs, il n’était pas au courant du quart de nos petits trafics.
Skirata étudia son datapad.
— Si on arrive à savoir sur quelle mission ils ont été envoyés, on ne sera peut-être même pas obligés de se poser sur Coruscant. Il suffira de se montrer et de leur dire que leur taxi est arrivé.
— Je ne pense pas que l’Empire m’ait déjà vu, dit Prudii avec sérieux. Ni Kom’rk. Hein, ner vod ? Ce qui est génial, quand on est un clone, c’est qu’on a des millions d’endroits pour se planquer. Il suffit de choper la bonne armure, et personne n’y voit rien.
— Fils, tu sais combien de fois on a fait ce coup-là ? dit Skirata.
— Oui. Et tu sais combien de fois ça a marché ?
Kom’rk regardait avec attention ses ongles.
— En fait, c’est un autre problème qu’ils se sont mis sur le dos. Ce n’est pas comme s’ils pouvaient nous prendre notre ADN pour prouver qui on est. Ou nous aligner pour une séance d’identification.
— Si, ils le pourraient, dit Mereel. Parce que nous avons des différences, mais…
— O.K. Nous sommes d’accord.
Skirata s’abstint de leur assener son sermon paternel sur les risques qu’il valait mieux éviter de prendre. C’était probablement l’opération la plus simple qu’ils avaient jamais eue à envisager. Tout ce qu’ils avaient à faire était de localiser leurs frères manquants et de se montrer au jour dit avec le transport ; pas de gardes à abattre, pas de porte à faire exploser, pas d’adversaires à combattre. Le temps que l’Empire s’aperçoive de leur disparition, Dar et Niner seraient bien au chaud à Kyrimorut.
Et Darman serait auprès de son fils.
— Autre chose ? demanda Skirata.
— Oui, qu’est-ce qu’on décide pour Dred Priest ? s’enquit Jusik. Je ne connais pas le type, mais toi, si.
Gilamar donna l’impression d’être sur le point de cracher.
— C’est un hutuun. Je me fiche qu’il soit un super soldat ; il ne sait parler que de cette suprématie osik, et on ne veut pas de gars comme lui sur Mandalore.
— Shysa ne l’écouterait jamais, de toute façon, répondit Skirata. Il est bien trop malin. Tout le monde sait que Mandalore ne redeviendra jamais un empire galactique. Shab, il y a des millénaires que nous ne sommes plus un pouvoir majeur.
— Et nous ne voulons pas l’être, renchérit Gilamar.
À présent qu’il avait enfourché son cheval de bataille, rien ni personne ne pourrait plus l’arrêter.
— Les empires sont voués à l’échec depuis le début. Quoi qu’il arrive, et même s’ils ont commencé sous les meilleurs auspices, ils deviennent trop grands et ils pourrissent. Tous tombent au bout du compte. Tous sont renversés. C’est le cycle de la nature. Restons sur la touche pour nous glisser dans les brèches que laissent les grands de ce monde.
— C’est exactement ça, dit une voix depuis le seuil.
C’était Ruu.
— Je peux entrer ?
— Évidemment, ad’ika, dit Skirata en lui faisant une place sur le banc. On doit s’ennuyer : on discute politique.
— Je ne discute pas, dit Gilamar. Je précise simplement que si je tombe sur Dred et qu’il se lance dans son couplet imbécile du « retour aux bons vieux jours », je l’étripe. Lui et sa copine timbrée.
— Aucune raison que tu tombes dessus, dit Ordo. À moins que tu ailles te balader à Keldabe.
— Vous ne croyez pas qu’il serait temps d’arrêter de nous battre pour nos propres intérêts ?
Ruu prit le mug de la main de son père et regarda dedans comme pour vérifier ce qu’il buvait.
— Je ne dis pas que ce type a raison, dit-elle, mais être à la disposition de tous les aruetii et tuer pour leur compte ne me paraît pas très judicieux. Regardez le monde où l’on vit : c’est la misère. Qu’avons-nous gagné en passant nos vies à consolider d’autres gouvernements ?
— Bien vu, dit Vau. Tu es incontestablement une Skirata.
Une réflexion étrange venant de Vau, songea Ordo, étant donné que les Mandos ne s’occupaient guère du patrimoine héréditaire. C’était une culture fondée sur l’adoption où la frontière entre la progéniture et la belle-famille demeurait très floue.
Il veut juste signifier quelle dit les mêmes choses que Kal’buir. C’est tout.
Ordo étudia attentivement Ruu, s’interrogeant toujours sur ce qu’il pensait d’elle. Elle avait instantanément endossé le rôle de la fille mando dévouée, bien qu’elle n’ait pas vu son père depuis l’âge de cinq ans. Pour Ordo, elle était corellienne comme sa mère aruetyc. Oui, d’accord, il savait que c’était injuste, et ce n’était pas la manière de procéder des Mandos. Elle avait autant le droit que Jusik de laisser son passé derrière elle et de fouler la cin vhetin, la neige vierge d’une nouvelle vie, du moins à en juger sur ce qu’elle avait fait depuis l’instant où elle avait partagé leur vie en tant que Mando’ad. Elle n’avait même jamais demandé à être secourue.
Mais Ordo avait combattu aux côtés de Jusik. Bard’ika avait constamment risqué sa vie pour les clones. Il était un frère au même titre que Mereel.
Est-ce que je suis jaloux ? Je suis adulte. Je suis un homme marié. Je suis trop vieux pour être jaloux de nouveaux frères ou sœurs.
Ordo avait treize ans en années calendaires, mais vingt-sept biologiquement. Il était conscient d’avoir grandi trop vite pour évacuer certaines choses, voire de les expérimenter. Parfois, des petits détails le blessaient bien plus qu’ils ne le devraient.
Skirata ressentait l’humeur d’Ordo aussi bien que n’importe quel utilisateur de la Force. Il se leva et traversa la pièce pour venir s’asseoir près de lui et lui ébouriffer les cheveux.
— Ça va, fils ?
— Très bien, buir.
— Je sais que c’est un peu la pagaille, en ce moment, mais tout va s’arranger, je te le promets.
Il mentait, parce qu’Ordo savait qu’ils passeraient sûrement le reste de leur vie à se cacher avec leurs têtes mises à prix et sans jamais pouvoir baisser leur garde. Kal’buir avait cessé de compter le nombre d’arrêts de mort lancés contre lui. À présent, ils en avaient tous un. Mais beaucoup de Mandaloriens – et d’autres – vivaient ainsi et s’en accommodaient très bien, Ordo décida que ça ne l’empêcherait pas non plus d’être heureux.
— Qu’est-ce qu’on va faire des Jedi quand Uthan en aura terminé avec Kina Ha ? demanda-t-il. Tôt ou tard, on va se retrouver devant le problème.
Ordo ne fut pas dupe une seule seconde du masque rassurant qu’afficha Skirata.
— Je trouverai quelque chose, fils, dit-il. Comme toujours.
Quoi qu’il décide, ce ne serait pas facile – ni sans contrepartie. Ordo allait s’assurer que personne, ici, n’ait à en payer le prix.
Chelpori, Celen, Bordure Médiane
Chelpori était une ville insignifiante sur une planète quelconque ; – le pire choix qui soit pour se cacher. Du moins de l’avis de Niner.
L’endroit le plus facile pour disparaître sans laisser de trace était une grande ville. C’était là que Niner se serait tapi, en tout cas. Un fugitif pouvait se fondre dans la masse des visages anonymes, et plus la ville était grande, plus la population bougeait, si bien que personne ne connaissait réellement ses voisins. C’était l’idéal.
Et qu’est-ce que j’envisage de faire, moi ? De me cacher au beau milieu de nulle part, du moins là où est Kyrimorut. Nulle Part, Mandalore.
Le CR-20 se posa sur une plate-forme d’atterrissage à la périphérie de Chelpori – juste quelques rues éclairées et deux ou trois enseignes de gargotes trouant l’obscurité. Ils n’en auraient pas pour longtemps à couvrir le coin, même s’il leur faudrait passer tous les bâtiments au peigne fin. Niner tendit les accessoires incapacitants à Ennen, des gadgets laser au fluorure de deutérium pour le DC, très pratiques quand on ne voulait tuer personne. Ce qui n’empêchait pas de sacrement déguster quand on s’en recevait une décharge.
— Est-ce qu’on doit lui demander de venir gentiment ? dit Ennen.
Niner vérifia que son système incapacitant était bien chargé. Le voyant de l’indicateur était rouge vif.
— Plus rapide et plus propre que de l’assommer.
— L’info a intérêt à être fiable, dit Darman. Apparemment, elle vient de la police civile.
Niner faillit lui rappeler que Jaller Obrim était un policier civil, et qu’il ne s’était pas trop mal débrouillé. Mais évoquer Obrim serait ouvrir une porte sur cette terrible nuit au pont de Shinarcan. Il laissa tomber. Bry commença de se diriger avec Ennen vers le point de rendez-vous. L’escouade était résolument scindée en deux groupes de deux personnes ; ce n’était pas une équipe de quatre hommes comme Oméga. Pas du tout. Niner se demandait s’il allait rester assez longtemps pour avoir besoin de s’en inquiéter.
— L’Antarien est un flic civil, lui aussi, dit Bry. C’est pas comme s’il était au-dessus d’eux.
Branché sur le réseau de la police locale. Niner suivait les autres. Enfin le speeder de la patrouille apparut ; il était garé sur une voie non macadamisée en pleine ville. Personne n’en sortit pour leur parler, aussi Bry alla-t-il frapper sur la vitre latérale. Puis il s’écarta d’un pas en riant tout seul.
— Vous ne nous avez pas vu arriver, alors… dit-il quand la portière s’ouvrit.
Un policier émergea en épongeant sa tunique et son pantalon. La lumière intérieure du speeder révélait une grosse tache sombre sur son uniforme, comme s’il avait renversé quelque chose dans son giron.
— Non, on vous avait pas vus, râla-t-il. Et c’est pour ça que j’ai renversé mon caf. Vous nous avez fichu une sacrée trouille.
L’autre policier ouvrit sa portière et descendit du speeder à son tour.
— Très furtif, comme approche. C’est comme ça que vous allez traquer Kester ?
— Si vous l’avez trouvé, dit Niner.
— On surveille un type qui correspond grosso modo à la description. Enfin, il y correspondait y a encore quelques jours, en tout cas.
— Grosso modo comment ?
— Les cheveux sont différents, et il a une barbe maintenant. Difficile de dire d’après son identipuce parce quelle est un peu périmée. Un gars costaud, avec une tignasse broussailleuse blanche.
— Bon, écoutez… dit Niner. Cet homme était un Ranger en activité il y a encore quelques semaines. Et vous êtes en train de me dire que c’est tout ce que les services de police gardent dans leurs dossiers ?
— Je ne suis pas responsable des infos sur le personnel, mon pote.
Le flic secoua une jambe, l’air de plus en plus empoté dans son pantalon mouillé.
— En tout cas, il a loué une maison, et on a pu saisir des bouts de transmission de son matériel com, mais la fréquence change toutes les trois ou quatre secondes.
— Et ?…
— Et quoi ?
— Ces transmissions ?
Des bouseux. On est vraiment tous seuls, ici.
— Vous voulez bien nous les dire ?
— Ça n’a ni queue ni tête.
— Dites toujours. On est assez doués pour donner un sens aux choses qui n’en ont pas.
Le flic pinça les lèvres avec un regard réprobateur. Son badge d’identification portait le nom de NELIS P, et il avait l’insigne de lieutenant sur son casque.
— Il dit des trucs sur des gosses qu’il faudrait emmener au puits. Ça ne veut pas dire grand-chose.
Il avait raison, ça n’avait pas trop de sens. Le genre de message qui ressemblait à un code. La cible pourrait avoir été un contrebandier ou un dealer, bien sûr. Mais il n’y avait pas de gros coups juteux à faire par ici. Cette planète n’était bonne que pour s’y cacher.
Niner avait ses ordres, et il était là pour les exécuter.
— O.K. Allons le chercher.
— La maison est cernée.
Le lieutenant Nelis sortit son datapad et fit apparaître un plan de la ville sur l’écran. Niner avait vu des plans de centres commerciaux sur la Cité Galactique plus grands que celui-ci.
— J’ai six équipes de surveillance à l’extérieur. Kester n’a pas quitté l’endroit depuis hier matin.
Six ? D’accord. Donc si Kester n’avait pas remarqué qu’il avait de la visite, c’est qu’il était dans un coma profond…
— Vous en êtes sûr ?
— La ville n’est pas grande, soldat. Nous l’aurions remarqué.
Quand ils arrivèrent à la maison, un cube de permabéton aux abords d’une petite zone industrielle, Niner aperçut les speeders de la police dissimulés derrière d’épais buissons. Ils étaient plutôt faciles à repérer, même sans le système optique de son casque ; il pouvait même distinguer dans son filtre à infrarouge, représentée par une tache ambrée diffuse, la chaleur des moteurs qui s’estompait. Il se demanda si les Rangers antariens avaient des lunettes de vision nocturne ou tout autre équipement sophistiqué, parce que, si c’était le cas, l’escouade pouvait déjà rayer l’élément de surprise de leurs avantages sur Kester.
Niner supposait le pire. La maison était plongée dans l’obscurité, et il était encore trop tôt pour que le gars soit couché.
— Vous avez le plan de la maison ? C’est le même que celui que vous nous avez envoyé ?
— D’après ce qu’on sait, il y a un escalier central, quatre pièces à l’étage, trois au rez-de-chaussée, une porte devant, une autre à l’arrière.
Nelis dessina un rectangle imaginaire du bout de l’index qui figurait la forme longue et étroite des fenêtres.
— Et huit fenêtres. Mais il aurait du mal à sortir par là.
Darman n’avait pas l’air d’écouter. L’icone de son champ visuel, qui apparaissait sur le côté du HUD de Niner, montrait une vue fixe de la ville, comme si Dar regardait distraitement les lumières au loin. Peut-être n’était-il pas en forme pour le job, aujourd’hui. Ils le découvriraient tous bien assez tôt. Mais ce n’était qu’une arrestation, pas un engagement avec l’ennemi, et le pire qui puisse arriver était que Kester arrive à faire un carton sur l’un d’eux. Et même ça, leur nouvelle armure pourrait le supporter.
Non, le pire serait qu’ils le tuent. C’est Vador, notre chef, maintenant, plus ce bon vieux Zey. Vador ne se contenterait pas de pousser un soupir exaspéré. Il utiliserait la Force pour nous prendre par la gorge et…
— Vivant, dit Niner, faisant signe à l’escouade d’avancer. Nous avons besoin de lui vivant, lieutenant, donc même s’il ouvre le feu, vous nous laissez faire. Maintenant, on va tous se mettre sur le même canal com, d’accord ?
— Qu’est-ce que c’est que ça ?
Darman tendit le doigt dans la direction de ce qui ressemblait à un gazomètre, à quelque deux cents mètres derrière la maison.
— Du gaz de Tibanna ? Ce n’est pas sur notre carte locale.
— Parce que c’est tout récent.
Nelis, le pantalon désormais sec, s’accouda sur le toit de son speeder pour stabiliser ses électrojumelles.
— C’est le biogaz local ; il est produit à partir des déchets pour alimenter les maisons et les groupes électrogènes. On a des fermes, ici, voyez. Vous voulez que je vous fasse un dessin ? Les nerfs et les banthas mangent de l’herbe, ils la digèrent, et après ils…
— On a compris, dit Bry. Merci.
— C’est quoi, les baraques voisines ? s’enquit Niner.
Un côté de la maison était presque adossé à une rangée de bâtisses de plain-pied.
— Des bâtiments industriels ?
Nelis tripotait le récepteur com de son casque comme s’il débloquait.
— Logements pour ouvriers. Ils construisent un nouveau gazoduc pour Orinar. Ils vont et viennent… En général, ce ne sont pas des gens de chez nous.
— Et ils n’ont pas remarqué vos speeders de patrouille qui tournaient dans le coin ?
— Si c’est le cas, ils ne sont pas allés frapper chez Kester pour le lui dire, en tout cas.
Tout le monde attendit. Niner n’était pas certain que quelques minutes ou quelques heures de plus feraient une grande différence, mais les flics essayaient toujours d’intercepter des transmissions. Lui-même chercha sur les fréquences com de son casque pour tenter de repérer quelque chose, mais ne saisit rien d’autre que des voix sporadiques sur le réseau de la police et les soupirs occasionnels de Bry.
Finalement, une voix intervint sur le réseau.
— Lieutenant, il n’a rien transmis depuis des heures. Mais on capte des mouvements à proximité de la porte de derrière.
— Visuel ? demanda Nelis.
— Scan GPR.
— Il est toujours seul ?
— Jamais vu personne entrer ni sortir depuis qu’on l’a traqué ici. Ça fait des jours.
— Restez prêts à intervenir.
Nelis se tourna vers Niner comme pour attendre ses instructions.
— Pourquoi pas maintenant ? dit-il.
— O.K. Et dégâts minimum. On veut son matériel et tout ce qui nous permettra d’obtenir des infos.
Nelis, l’air satisfait, rapprocha de sa bouche le micro de son casque.
— O.K. On se tient prêts. Fusils anti-émeute seulement, les gars.
Niner ne voulait rien laisser au hasard.
— Bry, Ennen, vous prenez la porte de derrière.
D’un geste, il scinda l’escouade.
— Je prends celle de devant avec Dar. O.K. ?
Si Kester ne se rendait pas avec quatre DC braqués sur la tête, alors il goûterait à la force persuasive du laser incapacitant. Niner ne serait pas étonné que l’homme regrette de ne pas avoir été tué sur place une fois que les Services Secrets Impériaux lui auraient mis la main dessus.
Bry et Ennen se fondirent dans l’obscurité. Niner attendit que les policiers soient à leur poste avant de remonter le long des baraques des ouvriers avec Darman. Tous deux prirent position de chaque côté de la porte d’entrée.
Puis Niner se brancha sur le comlink sécurisé des commandos.
— Bry, tu peux glisser une strip-cam sous la porte ? Qu’on voie un peu ce qui se passe à l’intérieur ?
— Vissez bien vos casques sur la tête, je place la charge, répondit Bry, essoufflé.
Il était en train de coller de la détonite sur la porte de derrière pour la faire sauter – une simple porte à charnières, comme celle de l’entrée.
— O.K. Une seconde…
Une petite icône prit vie en vacillant sur le côté du HUD de Niner. L’holocam, conçue pour optimiser la qualité de la transmission et réduite à l’épaisseur d’une feuille de flimsi, transmit l’image d’une maison en désordre, avec des caisses empilées un peu partout, comme si Kester était en plein déménagement. Niner ne pouvait repérer ni mouvement, ni bruit. Le système audio des strip-cam était plutôt limité.
C’était dans ces moments-là qu’il aurait eu bien besoin d’un Jedi qui aurait senti ce qui se passait et qui était là-dedans. Darman déposa une bande d’explosifs le long de la porte, de haut en bas, brancha le détonateur et leva le pouce en direction de Niner. Tous s’aplatirent contre le mur. Les débris, aussi mortels que des cartouches de blaster, voleraient en ligne droite sur une quinzaine de mètres ou plus.
Niner prit une forte inspiration.
— O.K. À mon signal…
— Ces caisses ne me plaisent pas, dit Ennen.
Ils pouvaient tous voir la même image relayée sur leur HUD.
— On dirait une course d’obstacles, et… Hé ! Je crois avoir vu un mouvement. J’ai l’impression qu’il est allé dans la pièce de l’autre côté du mur.
— On attend, ordonna Niner dont l’estomac se contracta.
La mission n’était pas dangereuse, ce n’était rien comparé à ce qu’ils avaient connu ces trois dernières années, mais il ne pouvait contrôler la décharge d’adrénaline qui l’assaillait chaque fois qu’il s’apprêtait à se ruer dans un bâtiment.
— À trois. Un… deux… go !
Darman pressa le détonateur.
Une fraction de seconde, la lumière blanche, la fumée et le vacarme brut réduisirent l’attention de Niner uniquement à ce qu’il avait devant lui. Il n’eut pas conscience de l’explosion de la porte de derrière, ni des icônes relayées par les HUD des autres. Il se rua par le trou béant, là où avait été la porte, et sauta par-dessus les débris de bois tandis que Darman couvrait la pièce sur la gauche.
— Couloir arrière dégagé ! cria Ennen.
Niner entendait son souffle court tandis qu’il montait les marches quatre à quatre – un escalier menant droit au palier de l’étage, pas de possibilités d’embuscades – tandis que Bry le couvrait. Il y eut une pause.
— Étage : pièce face gauche dégagée, pièce arrière gauche dégagée.
— Salle de bains arrière gauche dégagée, dit Bry. Chambre face droite dégagée.
Kester aurait eu du mal à ne pas se rendre compte que sa maison était prise d’assaut. Il devait s’être réfugié dans une des pièces du bas. Ç’aurait été tellement plus simple si Vador avait voulu qu’ils le descendent. En quelques secondes, pas plus, ç’aurait été fait.
— Dar ?
Niner ouvrit d’un coup de pied la porte intérieure sur sa gauche, le DC levé, puis balaya la pièce de sa lampe. Rien. Il se retourna ; Bry et Ennen étaient de retour dans le passage du rez-de-chaussée qui courait d’un bout à l’autre de la maison.
— Deux pièces à droite.
— Cuisine à l’arrière, dit Bry. Le tuyau de la chaudière est sur le mur du fond.
— O.K. Soit c’est un gars qui a le sommeil très lourd, soit il est ouvert à toutes les suggestions.
Ou il est assis dans une des deux pièces restantes avec un lourd blaster braqué sur la porte. Niner, d’un signe, expédia Bry dans la cuisine et brancha son système audio sur l’extérieur afin que Kester puisse l’entendre.
— Kester ? Toutes les issues sont bloquées. Pourquoi ne pas vous rendre, et l’on pourra tous rentrer tranquillement chez nous.
Silence. Ennen brandit la strip-cam pour signaler à Niner qu’il allait jeter un œil. Ce n’était pas sans risques ; si Kester était là-dedans, il devait avoir le regard fixé sur la porte. Niner s’écarta pour laisser Ennen glisser l’appareil par l’interstice sous la porte.
— S’il est encore là, dit Ennen, il se cache derrière d’autres caisses. On ne sait pas ce qu’il déménage.
Les Antariens étaient des flics. Or les flics, d’un bout à l’autre de la galaxie, avaient une attitude saine dès qu’il s’agissait d’exposer leur vie, et ils avaient tendance à savoir quand le moment était venu de décrocher. Niner décida qu’il était temps d’arrêter de jouer à cache-cache.
— Kester, les Jedi ne vous ont jamais pris, vous autres Rangers, que pour des serpillières de latrines. Ça ne vaut vraiment pas le coup de vous faire descendre pour eux maintenant.
Niner se rendit compte qu’il pensait réellement ce qu’il disait. Oui, il le pensait, c’est vrai. Il ne se faisait aucune illusion sur l’Empire, mais il n’en avait plus sur la République non plus.
— Moi aussi, je suis de la chair à canon, mon vieux. Alors vous pouvez me croire.
Le silence, toujours. À part des crissements de transparacier brisé, comme si l’un des flics marchait sur les débris des fenêtres explosées. Ennen retourna vers la cuisine sous la porte de laquelle il glissa la strip-cam, un millimètre à la fois. La pièce était complètement sens dessus dessous.
Niner rétablit la com des casques.
— On jette un coup d’œil dans la pièce de devant pour être sûr.
Il se pencha vers la porte qu’il ouvrit en grand d’un bon coup de pied. D’un rapide coup d’œil, il vit que la pièce était simplement pleine de caisses. Bizarre. Niner avait du mal à imaginer que les Jedi et leurs sympathisants puissent avoir besoin de tout ce stock.
Des armes ? Est-ce qu’ils expédient des armes ?
Il laisserait quelqu’un d’autre s’en inquiéter une fois qu’il aurait fait son débriefing. Son boulot à lui était seulement de ramener Kester pour qu’il soit interrogé. Avec près d’une vingtaine de flics dehors et une escouade de commandos armés jusqu’aux dents à l’intérieur, l’opération musclée devenait soudain vaguement disproportionnée, Kester n’avait même pas ouvert le feu.
Les commandos non plus, bien sûr. Mais les explosions des portes auraient au moins dû provoquer une réaction, quelle qu’elle soit. La grande angoisse de Niner était que Kester se soit brûlé la cervelle plutôt que d’être pris vivant.
Parce que c’est ce que je ferais. J’en finirais sur-le-champ.
— Faut qu’on en termine, dit Darman en activant son laser incapacitant. Laisse-moi l’assommer. On se donne beaucoup trop de mal pour un malheureux Ranger.
Niner fit le compte à rebours en levant la main. Cinq, quatre, trois…
— Peut-être que Vador n’a pas confiance en nous, finalement, dit Bry.
Bang.
Darman écrasa le loquet de sa botte et propulsa la porte qui s’ouvrit à la volée. Niner fut le premier à l’intérieur, prêt à tirer. Les commandos se mirent tous à crier comme un seul homme, une technique de désorientation destinée à convaincre le Ranger de se rendre – ou de jaillir de sa cache afin qu’ils puissent le neutraliser.
— À terre ! Couchez-vous par terre, Kester, là où on peut vous voir !
— Kester, lâchez votre arme !
— À terre ! Les bras bien écartés du corps !
Les lampes tactiques balayèrent la cuisine le temps d’un éclair, révélant une montagne de caisses, de conteneurs et – bizarre, ça… – le reflet d’un écran d’ordinateur. Il régnait aussi une faible odeur, peut-être de nourriture en train de pourrir. Juste au moment où Niner s’apprêtait à pousser des caisses pour se frayer un chemin, quelqu’un se leva lentement derrière eux.
Niner distingua des cheveux gris ou blancs retenus en queue de cheval. Il ne vit pas de mains levées en signe de reddition. Il braqua le faisceau de sa lampe sur le visage de l’homme et aperçut un bras à demi levé pour bloquer la lumière ; le corps était à moitié tourné, si bien que son bras droit restait invisible.
— Quoi que vous ayez en main, mon vieux, posez-le gentiment et doucement par terre, dit Niner en donnant un petit coup sur le bouton de chargement du DC qui bourdonna audiblement.
— Dar, tu es prêt ?
Darman se retenait visiblement de décharger son laser sur Kester. Niner pouvait l’entendre grincer des dents tant il serrait les mâchoires.
— Les mains au-dessus de la tête, Ranger, dit Niner. Il ne vaudrait mieux pas qu’on ait à se servir de…
Et brusquement le type se redressa et leur fit face. Niner, en même temps qu’il percevait le vzzzmmm du sabre laser, vit l’éclair d’énergie bleue et le visage qu’il illuminait soudain. Un visage qu’il ne connaissait que trop bien.
Et parce qu’il connaissait l’homme, il se figea – le temps d’un simple battement de cœur, mais ce fut trop long.
Oh, shab…
Le général Jedi Iri Camas, ex-Chef des Forces Spéciales, profita de cette demi-seconde pour dévier la décharge laser.
— … de la Force ? termina celui-ci en levant son sabre laser, prêt à défendre chèrement sa peau.