CHAPITRE XX

L’ENFANT DE LA NUIT

La douleur était moins forte que Barbee ne l’avait craint. Le silence de cette chute en tourbillon et qui n’en finissait plus s’interrompit quand la voiture percuta le granit de la corniche. Le corps de Barbee fut saisi, déchiré, broyé. Une seconde durant, la torture fut insupportable, mais à peine s’il sentit le coup final.

Obscurité, puis reprise de conscience. Une des roues avant de l’automobile tournait encore au-dessus de lui. Puis le bruit du moteur qui allait en s’affaiblissant. Du liquide qui s’écoulait tout près. Il eut peur du feu, et se tira comme il put de dessous la masse de métal brisé.

Un moment de bonheur en découvrant qu’aucun os important n’était cassé. À peine s’il saignait. Trébuchant sous la morsure glacée du vent mouillé, il atteignait la route, quand il entendit l’aboi de la louve blanche, là-bas, en surplomb.

Il voulut fuir l’appel surnaturel et triomphant, mais sa vigueur avait fait place à des tremblements. Il s’affala sur le caillou mouillé, ne put se relever…

« Alors, Barbee ! »

Elle avait fait halte sur le bord de la route, là où la voiture avait quitté le virage, et elle dardait sur lui, d’en haut, des yeux verts sardoniques. Sa voix ? celle d’April Bell avec un rien de malice tendre :

« Alors, tu as essayé de t’en aller ? »

Il lui jeta une poignée de gravier :

« Va te faire fiche ! sanglota-t-il, tu ne peux même pas me laisser mourir en paix ? »

Mais elle n’en avait cure et s’approchait de lui, sautant gracieusement de roc en roc… Puis il sentit l’agréable odeur de son poil, et elle lui passait une langue chaude sur le visage :

« Va-t’en ! (Il s’était assis, tout endolori qu’il était et, faiblement, il cherchait à la repousser.) Que diable veux-tu de moi ?

– Je veux seulement t’aider si tu as besoin de moi, Barbee… Je te suivais et je suivais cet enchaînement afin de t’aider à te libérer. Je sais que ça doit être douloureux. Tu vas d’abord te sentir perdu. Mais d’ici un moment ça ira mieux.

– Tu crois ça, toi ! » dit-il, amer.

Et il se rejeta en arrière, contre le rocher, sans la perdre de vue : elle leva la griffe, elle fit étinceler son œil vert qui brillait d’amusement. Même en louve, elle était belle, gracieuse, svelte, comme elle l’avait été en jeune personne rousse, le pelage d’un blanc de neige. Il n’en eut pas moins un haut-le-cœur, voulut reculer et lui jeta en un cri rauque :

« Fiche-moi le camp, tu entends ! Est-ce que tu ne peux même pas me laisser mourir ?

– Non, Barbee, désormais, tu ne mourras plus jamais !

– Ah ! et pourquoi pas ?

– Parce que, Barbee… Je te le dirai mais pas maintenant. Je sens un enchaînement en train de se former, et il faut que nous nous en servions… C’est en rapport avec ton ami Sam Quain. Mais il ne peut plus rien contre toi, et je vais revenir… »

Le baiser froid qu’elle lui donna le surprit.

Elle avait bondi sur la route et elle le laissait couché là, sur son roc… Quoi ! même la mort lui était refusée ? Il ne comprenait pas… Peut-être qu’elle avait triché avec la probabilité de manière à le sauver, de même que la louve et le grand tigre avaient, mais en sens contraire, causé la mort de Rex Chittum ? Tout ce qu’il savait, ce dont il était sûr, c’est qu’il n’avait pas réussi à se tuer.

Et il resta là, couché sur le sol, à trembler de froid sous la pluie qui tombait toujours, trop mal en point pour penser davantage. Il attendait, malade d’appréhension et sans espoir, le retour de la louve blanche, mais elle ne revenait pas… Un peu plus tard, il se sentit mieux, et le grincement du changement de vitesse d’un camion lui donna l’espoir qu’il pourrait s’abriter de l’eau du ciel, au moins.

L’éclat des phares l’éblouit, il agita les bras, le chauffeur lui cria quelque chose… Mais le camion avait ralenti à cause de la raideur du chemin, et, d’un élan, Barbee avait sauté à l’arrière du poids lourd. La bâche était ouverte. Personne dessous. Il n’y avait dans la caverne noire du poids lourd que quelques couvertures militaires sentant le moisi, qu’on avait dû employer pour emballer du mobilier. Il s’en entoura, se ramassa sur le dur plancher. La route noire filait devant son hébétude. Les montagnes se repliaient, puis c’étaient les premières fermes isolées qui leur faisaient suite, bientôt, les postes à essence et les stations-service. Clarendon approchait. La police, il le savait, était après lui. Et elle possédait maintenant le signalement donné par Troie, elle connaissait les vêtements qu’il portait. Mais il se sentait trop las pour prendre une décision.

Il était vaincu. Il ne restait aucun abri où se réfugier. Jusqu’à la mort qui lui avait fermé la porte. Il n’éprouvait plus rien que le désir animal d’échapper à la pluie et l’appréhension confuse en lui du retour de la louve blanche.

Mais nul œil vert ne brillait dans la nuit et une lueur d’espoir s’allumait en sa tête rembrunie. Le poids lourd laissa derrière lui les bâtiments sombres de l’Université, le clignotant au coin du campus, il tourna à gauche, pour gagner la route du bord du fleuve. Ah ! on allait passer devant Glennhaven et une décision subite s’empara de lui.

Il allait retourner auprès du docteur Glenn.

Il ne le désirait pas, il refusait le faux alibi de la folie, le dur refuge d’une cellule à l’asile. Mais la louve blanche, bientôt, ferait entendre, une fois de plus, son appel. Il lui fallait l’armure du scepticisme matérialiste de Glenn. Ça y est, le camion ralentit au virage un peu plus loin que Glennhaven, et Barbee saute sur la chaussée qui luit. Trop raide pour se mettre à courir, il tombe sur la figure. Puis, péniblement, se ramasse, si abruti, qu’il ne sent même plus la pluie le mouiller.

Oui, il était fatigué.

Il voulait un endroit sec où dormir.

Le reste, il l’avait quasiment oublié.

Mais le cri d’un chien.

Si c’était le retour du loup-garou blanc ?

Encore d’autres aboiements, comme il gagnait tant bien que mal les piliers carrés de l’entrée de Glennhaven où la lumière brillait encore dans la demeure du médecin. Il grimpa les marches du perron. Se retourna d’une détente : non ! pas de regard vert derrière lui ! Il tira le cordon, et la grande taille de Glenn se dressa sur le pas de la porte. Aucune surprise sur les traits brûlés de soleil :

« Salut, Barbee, je me disais aussi que vous reviendriez.

– La police ? dit Barbee, est-ce qu’ils sont là ?

– Ne vous occupez pas d’eux pour le moment, dit l’autre avec un sourire et le ton réconfortant, vous semblez rendu, Barbee, littéralement épuisé ! Détendez-vous, et notre personnel va vous aider à résoudre vos problèmes. Ce qui reste à faire nous regarde, vous savez. Nous nous contenterons, pour ce soir, de donner un coup de téléphone au shérif Parker pour lui dire que vous êtes ici, en sûreté, et puis nous mettrons de côté jusqu’à demain matin vos ennuis avec la loi. Vous êtes d’accord ?

– Oui !… Mais il y a une chose qu’il faut que je vous dise… Je n’ai pas écrasé Mme Mondrick. Ce n’est pas moi !… Oui ! je sais qu’il y a des taches de sang sur mon garde-boue, mais c’est un loup blanc qui l’a tuée. J’ai vu le sang couler sur son museau.

– D’accord, monsieur Barbee, nous pourrons en reparler demain. Quoi qu’il en soit, quoi qu’il soit arrivé, dans la réalité de la situation ou simplement dans votre esprit, je puis vous assurer que je m’intéresse vivement à votre cas. Vous semblez bouleversé, mais j’ai l’intention d’user de toutes les ressources de la psychiatrie pour vous venir en aide.

– Merci. Mais vous croyez toujours que je l’ai tuée ?

– Les témoignages sont convaincants… Mais n’essayez pas de nous quitter de nouveau. Il va falloir que vous vous installiez dans une chambre différente ce soir.

– Le quartier des agités ?… Je parie que vous ne savez toujours pas comment Rowena Mondrick a réussi à sortir ? »

Glenn haussa les épaules :

« Oui, répondit-il, en effet, le docteur Bunzel continue à s’en inquiéter… Mais inutile de se faire du souci pour quoi que ce soit d’autre, ce soir. Ce qu’il faut que vous fassiez, c’est aller prendre une bonne douche brûlante et puis au lit… Il faut dormir.

– Dormir ?… Docteur, j’ai peur de m’endormir. Je sais que cette louve blanche va venir me chercher. Il faut qu’elle me change en animal et qu’elle me force à tuer Sam Quain. Vous ne pouvez pas la voir, même moi je ne la vois pas, pour le moment, mais aucun mur ne peut l’arrêter… La voilà, écoutez donc les chiens. »

Glenn se contentait d’approuver de la tête, un petit sourire sur le visage.

« Cette louve blanche, continuait Barbee, c’est April Bell… (Il chuchotait maintenant.) Elle a tué le docteur Mondrick. Elle m’a fait l’aider à tuer Nick Spivak et Rex Chittum. Je l’ai vue, elle était sur Mme Mondrick et elle se léchait les crocs. (Barbee claquait des dents.) Elle va revenir, tout de suite… dès que je m’endormirai, pour me forcer à prendre une autre forme et pour la suivre, pour aller tuer Sam Quain. »

Glenn haussa les épaules, encore une fois, professionnellement placide :

« Vous êtes épuisé, dit-il, surexcité… Laissez-moi vous donner quelque chose qui vous fera dormir…

– Je ne veux rien prendre, cria Barbee… Ce que j’ai, c’est plus grave qu’une simple folie ! Il faut que vous compreniez ! Ecoutez plutôt ce que Sam Quain m’a raconté ce soir !

– Un peu de calme, voyons, monsieur Barbee.

– Du calme ! écoutez plutôt !… Ce sont les sorciers, docteur !… Mondrick les appelait Homo lycanthropus. Ils ont évolué à la première période glaciaire, et depuis, ils nous hantent. Et toute la mythologie, toutes les légendes ne sont qu’un souvenir collectif de leur persécution des hommes.

– Ah ! ah !

– Et Mondrick a découvert que l’homme d’aujourd’hui est un mélange hybride de loup-garou !… »

Barbee continuait à dévider son histoire. Un instant il se souvint que Sam Quain avait émis le soupçon que Glenn lui-même pouvait être un homme sorcier, mais il récusa immédiatement cette idée. Cette curieuse impression de confiance et de sympathie s’était réveillée. Glenn l’écoutait, bienveillant. Tout ce qu’il désirait était l’aide compétente de Glenn, l’homme de la Science, le sceptique.

« … Alors, docteur, qu’est-ce que vous dites de tout ça ?

– Vous êtes malade, monsieur Barbee, rappelez-vous bien ça. Vous êtes trop malade pour apercevoir la réalité autrement que d’une manière déformée, autrement que comme le miroir de votre angoisse. Votre histoire de l’Homo lycanthropus, il me semble, est une sorte de parallèle gauchi, déformé, hystérique de la Réalité. »

Dehors, les chiens aboyaient toujours.

« … Il est vrai que certains des chercheurs de la parapsychologie ont interprété leurs découvertes comme des preuves scientifiques de l’existence d’un esprit séparé du corps qui dans une certaine mesure pourrait influencer la probabilité des événements du monde réel et qui, même, pourrait survivre à la mort physique… Oui… Il est également vrai que l’homme descend d’animaux sauvages et que nous en avons hérité des traits qui ne sont plus d’aucune utilité dans une société civilisée. L’inconscient, en effet, donne parfois l’impression d’une caverne obscure remplie d’horreurs. Les mêmes faits affreux s’expriment également dans la légende et le mythe. Il est même vrai qu’il existe de très récents spécimens de retour atavique. »

Barbee protesta avec violence :

« Mais ce genre d’explications ne peut supprimer l’existence de ces sorciers… Pas quand on pense qu’ils sont en train de chercher un enchaînement de probabilité qui leur permette de se débarrasser de Sam Quain, tout de suite, en ce moment même !… Pensez à la pauvre Nora, à la pauvre petite Pat ! Je ne veux pas assassiner Sam. Sam, cette nuit même, c’est la raison pour laquelle je refuse de m’endormir.

– Je vous en prie, monsieur Barbee, ne voulez-vous pas essayer de comprendre ? Votre crainte du sommeil n’est rien d’autre que votre crainte des vœux inconscients que le sommeil libère. La sorcière de vos rêves, il se peut très bien que ce soit tout simplement votre amour coupable pour Nora Quain, et que vos idées d’assassinat ne soient que la conséquence de votre jalousie inconsciente et de la haine que vous éprouvez pour son mari.

– Non ! dit Barbee.

– À présent, vous repoussez mes hypothèses. Mais il faut vous habituer à les accepter, à les affronter, à vous montrer réaliste. C’est le but de notre thérapeutique. Il n’y a rien d’unique, rien d’exceptionnel dans vos angoisses, je vous assure. Tout le monde s’exprime ainsi…

– Tout le monde est porteur de sang de sorcier.

– Bien sûr, monsieur Barbee, vous exprimez là une vérité fondamentale. Ces conflits existent chez chacun d’entre nous… »

Un bruit de pas… Non, ce n’était pas la louve blanche, mais l’infirmière Graulitz au visage de cheval, et la musculeuse Hellar. Barbee se retourna indigné vers le médecin.

« Vous feriez mieux de les suivre docilement, monsieur Barbee. Elles vont vous mettre au lit et vous aider à vous endormir.

– J’ai peur de dormir, dit Barbee, je ne veux pas… »

Il partit en courant… Mais les deux Amazones vêtues de blanc amidonné, l’avaient déjà rattrapé par les bras, et il capitulait, exténué. On le ramena dans sa chambre de l’annexe. Une douche chaude le calma. Le lit aux draps immaculés l’attirait, trompeur.

« Je monte la garde dans le corridor, dit Mlle Hellar, et je vous fais une piqûre si vous ne vous endormez pas tout de suite. »

Il n’eut pas besoin de piqûre. Le sommeil l’engloutit… Il luttait de son mieux, quand quelque chose lui fit regarder la porte de sa chambre.

Silencieusement, le panneau du bas était en train de se désintégrer. La louve blanche apparut par l’ouverture. Elle s’installa au milieu de la pièce, le surveillant d’un œil, amusée, la langue rouge agitée devant les crocs blancs.

« Vous pouvez attendre jusqu’à l’aurore, lui dit-il, mais vous ne réussirez pas à me faire changer de corps. Parce que je ne me rendormirai pas. Rien à faire !

– Tu n’as plus besoin de t’endormir, dit-elle (elle avait la voix de velours d’April Bell). Je viens de raconter à ton demi-frère ce qui était arrivé sur le mont Sardis et il en est ravi. Il affirme que tu dois être terriblement fort, parce que même les infirmières ne se sont aperçues de rien. Il dit aussi que tu peux maintenant te métamorphoser à volonté, sans l’aide du sommeil, étant donné qu’il n’y a plus de résistance humaine à vaincre.

– Qu’est-ce que tu racontes ? Qu’est-ce que les infirmières n’ont pas aperçu ? Et qui est mon demi-frère ?

– Tu ne sais pas ? Et Archer ne t’a rien raconté ?… Je le reconnais bien là. Il voulait sans doute que tu passes une année entière ici, pour retrouver tes dons ancestraux. Comme pour moi, à quarante dollars par heure ! Mais le clan ne peut plus attendre. Je te donne ton congé aujourd’hui, moi ! Parce que nous avons du pain sur la planche. Il y a l’affaire Sam Quain, et ton sang humain t’a fait témoigner d’une certaine résistance.

– Je n’y comprends rien, dit Barbee. Je ne croyais même pas que j’avais de la famille. Bien sûr, je n’ai jamais connu mes parents. Ma mère est morte à ma naissance et mon père a été placé à l’asile peu après. J’ai été élevé à l’orphelinat, jusqu’à l’Université. À ce moment-là, je suis venu prendre pension chez Mme Mondrick.

– Contes de fées, tout ça ! dit la louve blanche. Il y a effectivement eu un Luther Barbee, mais sa femme et lui avaient été payés pour t’adopter. Il se trouve qu’ils ont découvert le petit monstre inhumain que tu étais, très vite. C’est pourquoi il a fallu tuer cette femme. Quant à l’homme, il a fallu s’en débarrasser… pour qu’il ne parle pas.

– Alors quoi ?… Que suis-je ?

– Toi et moi, Barbee, nous sommes des êtres à part ! Nous sommes nés parmi les hommes, grâce à un art spécial, et à des fins particulières… Mais ni l’un ni l’autre, nous ne sommes plus qu’à peine humains.

– Oui ! Sam m’a mis au courant, l’Homo lycanthropus… Une trace dans le sang de tout le monde et la renaissance de la race sorcière par la manipulation des gènes.

– « Quain sait trop de choses, fit observer la louve blanche… La technique de rassemblement des gènes par contrôle mental de probabilités biologiques a été mise au point ici même, à Glennhaven, ajouta-t-elle, et c’est ton illustre père qui a réussi cette grande œuvre, il y a plus de trente ans déjà.

– Et qui était mon père ?

– Le vieux docteur Glenn… Ce qui fait du docteur Archer Glenn ton demi-frère. Il est de quelques années ton aîné, et c’est le résultat d’une expérience génétique légèrement moins réussie…

– Et ma mère ?

– Tu la connais… Ton père l’avait choisie en raison de ses gènes. Elle vint à Glennhaven en qualité d’infirmière. Elle avait un bel atavisme, mais, malheureusement, elle ne put surmonter la malheureuse influence de son sang humain. Elle eut la candeur de croire que ton père était amoureux d’elle et elle ne lui pardonna jamais quand elle apprit la vérité. Elle passa au camp des hommes. Mais tu étais déjà né !

– Ce n’était pas Rowena Mondrick ?

– Mlle Rowena Stalcup, à ce moment-là… Elle ignorait ses dons ancestraux, jusqu’au moment où ton père les encouragea. Elle était un peu prude, je pense, et l’idée de te donner le jour en dehors des liens du mariage l’horrifiait, même alors qu’elle te croyait encore humain…

– Et je l’ai tuée ! moi, son fils !

– Sottise, Barbee !… Ne fais pas le délicat… Et d’ailleurs, c’est moi qui l’ai tuée…

– Mais si elle est réellement ma mère…, commença Barbee.

– Elle était notre ennemie… Elle fit semblant d’adhérer à la cellule de ton père. Puis elle usa des arts qu’elle venait d’apprendre pour s’enfuir et donner les secrets du clan au vieux Mondrick. C’est ce qui a mis, d’abord, le docteur Mondrick sur la trace. Elle fut ensuite la collaboratrice du docteur jusqu’à ce que l’un de nous lui arrachât les yeux, il y a des années de ça dans le Nigeria, au moment où elle allait mettre la main sur une de ces pierres en forme de disque d’une substance plus redoutable même que l’argent, que jadis nos ennemis-hommes enterraient avec nos ancêtres assassinés afin de les faire rester dans la tombe… Cela aurait dû lui servir de leçon… Mais pas du tout. Elle continua à aider le vieux Mondrick de toutes ses forces. C’est elle qui lui suggéra de te faire subir les tests, alors qu’il allait t’embaucher à la Fondation.

– Tiens ! dit Barbee, soudain mal à son aise dans le lit où il s’agitait comme un ver coupé. Mais elle était si bonne et si gentille. Même après. Je croyais qu’elle avait de l’amitié pour moi…

– Je suppose qu’elle t’aimait, dit la louve. Après tout, tu avais des traits profondément humains. C’est même pour cette raison que nous t’avons laissé en liberté. Peut-être qu’elle espérait que tu te révolterais contre ton clan, le temps venu, et que tu passerais à l’ennemi, comme elle. Elle ignorait la force de ton atavisme.

– Comme j’aurais voulu savoir, dit Barbee.

– Ne te casse pas la tête… Elle est morte, tu te souviens, en voulant aller avertir Sam Quain ?

– Qu’est-ce qu’elle voulait lui communiquer ?

– Le nom de l’Enfant de la Nuit… Mais nous l’en avons empêchée, et toi, tu as joué ton rôle avec beaucoup d’habileté, Barbee, en prétendant être son ami qui voulait l’aider, et en consolant sa femme en larmes.

– Non ! ce n’est pas possible, dit Barbee, tu ne veux pas dire que… Non. C’est impossible. Tu ne prétends pas que…

– Si, Barbee, tu es l’un de nous… Tu es le grand, le fort, que nous avons élevé pour qu’il fût notre chef. Tu es celui que nous appelons l’Enfant de la Nuit. »