LA MISSION

Je levai le bras droit pour me protéger et l'aiguillon attaché à mon poignet par sa courroie battit l'air. Je le saisis et, m'en servant comme si c'était un bâton, frappai le bec ouvert qui tentait de m'attraper comme si j'étais un morceau de nourriture sur la haute assiette plate du toit du cylindre. Il s'élança à deux reprises et je le frappai deux fois. Il recula de nouveau la tête et rouvrit le bec, se préparant à

m'attaquer encore. À cet instant, je poussai le commutateur de l'aiguillon sur la position « marche » et, quand le grand bec fondit sur moi, je frappai avec violence pour essayer de le faire s'écarter.

L'effet fut saisissant : il y eut le subit éclair de lumière jaune scintillante, la gerbe d'étincelles et un cri de douleur et de rage du tarn qui battit aussitôt ailes et s'éleva hors de ma portée dans un déplacement d'air qui manqua me projeter par-dessus le du toit. J'étais à quatre pattes, essayant de me relever, trop près du bord. Le tarn tournait autour du cylindre, en poussant des cris perçants ; puis il commença à

s'éloigner de la cité. Sans savoir pourquoi et tout en pensant que mieux valait pour moi que cette bête s'en aille, je saisis mon sifflet à tarn et émis sa note aiguë. L'oiseau géant donna presque l'impression de frissonner, puis il tournoya, perdit de l'altitude, la regagna. S'il ne s'était pas agi d'un monstre ailé, j'aurais cru qu'il luttait avec lui-même, créature mentalement torturée. C'est la nature sauvage du tarn, l'appel des montagnes lointaines, de l'espace, qui s'opposaient au faible conditionnement auquel il avait été

soumis, qui s'opposaient à la volonté d'hommes minuscules avec leurs objectifs personnels, leur psychologie élémentaire de stimuli et de réactions, leurs filins de dressage et leurs aiguillons.

Finalement, poussant un sauvage cri de colère, le tarn revint vers le cylindre. Je saisis la courte échelle-montoir attachée à la selle et qui se balançait follement et l'escaladai, puis m'assis et bouclai la large ceinture qui devait m'empêcher de faire une chute mortelle.

Le tarn est guidé au moyen d'une courroie de gorge à

laquelle sont fixées généralement six bandes de cuir, ou rênes, passées dans un anneau de métal sur l'avant de la selle. Les rênes sont de différentes couleurs, mais on les distingue d'après leur place sur l'anneau et non par leur couleur. Chaque rêne s'attache à un petit anneau sur la courroie de gorge et les anneaux sont disposés à intervalles réguliers. En conséquence, le mécanisme est simple. On tire sur la bande ou rêne qui est fixée à l'anneau se rapprochant le plus de la direction où l'on veut aller. Par exemple, pour atterrir ou perdre de l'altitude, on utilise la rêne quatre, qui exerce une pression sur l'anneau quatre placé sous le cou du tarn. Pour prendre un essor ou de l'altitude, on tire sur la rêne un qui exerce une pression sur l'anneau situé sur le dos du cou du tarn. Les anneaux de la courroie de gorge, correspondant à l'emplacement des rênes dans l'anneau central de selle, sont numérotés dans le sens des aiguilles d'une montre.

L'aiguillon peut parfois être aussi utilisé pour guider l'oiseau. On frappe celui-ci dans la direction opposée à celle où l'on veut aller et l'oiseau, reculant devat l'aiguillon, va dans cette direction. Cependant cette méthode n'offre guère de précision, car les réactions de l'oiseau sont purement instinctives et il ne s'éloigne pas toujours dans l'exacte tangente désirée. De plus, abuser de l'aiguillon a ses dangers. Il tend à devenir moins efficace si l'on s'en sert souvent, et le cavalier est alors à la merci du tarn. Je tirai sur la rêne un et, plein de terreur et d'exaltation, je sentis la puissance des ailes gigantesques battant l'air invisible. Mon corps oscillait follement, mais la ceinture de selle tenait bon. Pendant une minute, incapable de respirer, je me cramponnai - effrayé et exultant - à l'anneau de selle, la rêne numéro un enroulée autour de ma main. Le tarn continua à s'élever et je vis la Cité des Cylindres s'enfoncer au-dessous de moi comme les pièces arrondies d'un jeu de construction posées dans les luisantes collines vertes. Je n'avais encore rien éprouvé de pareil et, si un homme s'est jamais senti semblable à un dieu, je pense que ce fut mon cas pendant ces premiers instants sauvages et exaltants. Je regardai vers le bas et aperçus Tarl l'Aîné sur son propre tarn, qui montait pour me rattraper. Quand il fut proche, il me cria quelque chose d'un ton joyeux, mais les mots restèrent indistincts dans le sifflement de l'air.

— Ho, petit ! criait-il. Cherches-tu à atteindre les lunes de Gor ?

Soudain, je me rendis compte que la tête me tournait, tout au moins un peu, mais le magnifique tarn noir continuait à s'élever, bien que ce fût maintenant avec effort; ses ailes battaient furieusement avec une ténacité mal récompensée l'air raréfié qui offrait une moindre résistance. Les collines et les plaines de Gor étaient un flamboiement de couleurs très loin au-dessous de moi et, peut-être par un effet de mon imagination, il me sembla presque voir la courbure de la planète. Je pense, à présent, que c'était l'effet conjugué de la raréfaction de l'air et de mon excitation. Heureusement, avant de perdre connaissance, je tirai sur la quatrième rêne et le tarn étendit les ailes, puis les leva au-dessus de son dos et plongea comme un faucon qui attaque, à une vitesse qui me coupa le souffle. Je relâchai les rênes, les laissant pendre de l'anneau de selle, ce qui est le signal pour un vol régulier en ligne droite : pas de pression sur l'anneau de gorge. Le grand tarn déploya brusquement ses ailes, captant l'air dessous, et commença à voler sans àcoups droit devant lui, ses ailes battant lentement mais régulièrement à une vitesse de croisière qui nous mènerait bientôt loin des tours de la citée. Tari l'Aîné, qui semblait content, se rapprocha. Il désigna la cité derrière nous, déjà

éloignée de plusieurs kilomètres.

— Je te défie à la course ? criai-je.

— D'accord ! hurla-t-il.

Il fit virer son tarn tout en parlant et prit la direction de la ville. J'en fus tout déconfit. Son habileté était telle qu'il avait acquis une avance apparemment impossible à

rattraper. Je parvins finalement à faire tourner l'oiseau et nous nous élançâmes dans le sillage de Tarl l'Aîné. Certains de ses cris dérivaient jusqu'à nous. Il pressait l'allure de son tarn par une série de cris destinés à communiquer son excitation à sa monture ailée. L'idée me traversa l'esprit qu'on devrait dresser les tarns à réagir aux ordres verbaux aussi bien qu'aux rênes numérotées et à l'aiguillon. Qu'on ne l'ait pas fait me semblait stupéfiant.

Je criai à mon tarn en goréen et en anglais :

— Har-ta! Har-ta! Plus vite ! Plus vite !

Le grand oiseau parut comprendre ce que je voulais, ou peut-être est-ce seulement qu'il se rendait brusquement compte que l'autre tarn menait la course, mais une remarquable transformation s'opéra en ma noire monture emplumée. Son cou se raidit et ses ailes claquèrent soudain dans le ciel comme des fouets; son regard s'enflamma et tout ce qu'il avait d'os et de muscles parut tressaillir de puissance. En une ou deux vertigineuses minutes, nous eûmes dépassé Tarl l'Aîné, a sa profonde stupéfaction, et nous étions posés de nouveau, dans une rafale de battements d'ailes, sur le sommet du cylindre d'où nous étions partis quelques minutes plus tôt.

— Par la barbe des Prêtres-Rois, rugit Tarl l'Aîné, comme il amenait son oiseau sur le toit, c'est le tarn des tarns !

Les tarns, lâchés, reprirent à tire-d'aile le chemin des tarneries et Tarl l'Aîné et moi descendîmes dans mon appartement. Il éclatait de fierté.

- Quel tarn ! s'émerveillait-il. J'avais un bon pasang d'avance et cependant tu m'as dépassé ! (Le pasang est une mesure de longueur goréenne équivalant à onze cents mètres environ.) Ce tarn, reprit-il, a été élevé pour toi, choisi spécialement dans les couvées des plus beaux de nos tarns de guerre. C'est en pensant à toi que les éleveurs ont travaillé, multipliant les croisements, les dressages, les améliorations.

Sur le toit, commentai-je, j'ai bien cru qu'il allait me tuer. Les Éleveurs de Tarns ne semblent pas dresser tellement bien leurs prodiges.

Non, le dressage est parfait ! protesta Tarl l'Aîné. Il ne faut pas briser l'âme du tarn, pas celle du tarn de guerre. Il est dressé de telle sorte que la décision de servir ou de tuer son maître dépend de la force de celui-ci. Tu en viendras à

connaître ton tarn et il en viendra à te connaître. Vous ne ferez qu'un dans le ciel, le tarn sera le corps, toi l'esprit et la volonté. Tu vivras avec le tarn en état de paix armée. Si tu deviens faible ou désemparé, il te tuera. Aussi longtemps que tu resteras fort, son maître, il te servira, te respectera, t'obéira. (Il fit une pause.) Nous n'étions pas sûrs de toi, ton père et moi mais, aujourd'hui, je suis convaincu. Tu as dompté un tarn, un tarn de guerre. Dans tes veines doit couler le sang de ton père, naguère Ubar, Chef de Guerre, à

présent Administrateur de Ko-ro-ba, cette Cité des Cylindres. Je fus surpris, car c'était la première fois que j'entendais dire que mon père avait été Chef de Guerre de la Cité ou qu'il était en ce moment même son fonctionnaire civil suprême ou, aussi bien, que la Cité s'appelait Ko-ro-ba, expression devenue archaïque signifiant: «marché de village». Les Goréens ont coutume de ne pas révéler facilement les noms. Pour eux, en particulier dans les Basses Castes, ils ont fréquemment un vrai nom et ce qu'on appelle le nom coutumier. Souvent, seuls les plus proches parents connaissent le vrai nom.

Au niveau de la Première Connaissance, il est dit que savoir le nom réel de quelqu'un donne un pouvoir sur cette personne, une possibilité d'utiliser son nom pour des envoûtements et d'insidieuses pratiques magiques. Peut-être subsiste-t-il quelque chose de ce genre sur notre Terre natale où l'usage du prénom d'une personne est réservé à ceux qui la connaissent intimement et sont présumés ne pas lui vouloir de mal. Le nom de famille, qui correspond au nom coutumier sur Gor, est un bien commun, un son public qui n'est pas sacré et, par là même, n'a pas à être protégé. Bien entendu, au niveau de la Seconde Connaissance, les Hautes Castes, du moins en général, jugent à sa valeur la superstition sans fondement des Basses Castes et utilisent leurs propres noms relativement librement, en le faisant suivre la plupart du temps par le nom de leur ville. Ainsi, je dirais que je m'appelle Tarl Cabot de Ko-ro-ba ou, plus simplement, Tarl de Ko-ro-ba. Je préciserai en passant que les Basses Castes croient communément que les noms des Hautes Castes sont en fait des noms coutumiers et que les Hautes Castes cachent leur vrai nom.

Notre discussion se termina de façon subite. Il y eut un bruit d'ailes derrière les fenêtres de mon appartement et Tarl l'Aîné bondit à travers la pièce et me plaqua au sol. Au même moment, le carreau de fer d'une arbalète, tiré à travers une des étroites ouvertures, heurta le mur derrière mon siège de pierre et ricocha avec violence dans la pièce. J'entrevis brièvement par la meurtrière un casque noir, tandis qu'un guerrier monté sur un tarn, tenant encore une arbalète, tirait sur la rêne numéro un et s'éloignait de la fenêtre. De grands cris retentirent. Je courus à la fenêtre et vis plusieurs carreaux partir du cylindre et voler dans la direction de l'assaillant en fuite qui était maintenant presque à un demipasang réussit à s'échapper.

— Un membre de la Caste des Assassins, m'apprit Tarl l'Aîné

en regardant le petit point qui diminuait dans le lointain. Marlenus, qui voudrait être Ubar de tout Gor, connaît ton existence.

Qui est Marlenus ? demandai-je, bouleversé.

Tu l'apprendras demain matin, répliqua Tarl l'Aîné. Et, au cours de la matinée, tu apprendras pourquoi tu as été

amené sur Gor.

- Pourquoi pas maintenant ? protestai-je.

— Parce que le matin viendra bien assez vite, m'assura Tarl l'Aîné.

Je le regardai.

- Oui, répéta-t-il, demain viendra bien assez vite. Et ce soir?

Ce soir, répondit-il, nous nous enivrerons.

Le lendemain matin, je me réveillai, gelé et frissonnant, sur la natte-lit dans l'angle de mon appartement. C'était peu avant l'aube. Je coupai le courant dans la natte et repliai les pans faisant office de couverture. Elle était maintenant froide au toucher parce que j'avais réglé le thermostat horaire de manière à ce qu'elle soit refroidie une heure avant le jour. On n'aspire guère à rester dans un lit glacial. Je conclus que je détestais les appareils goréens visant à séparer les mortels de leur lit tout autant que les réveils ordinaires et les radioréveils de mon propre monde. D'autre part, un bruit semblable à des battements de lance sur un bouclier de bronze me résonnait dans le crâne, un mal de tête qui chassait de mon esprit toutes considérations mineures telles que l'attentat dont j'avais été la cible de la veille. Même si la planète explosait, on s'arrêterait encore pour enlever un petit caillou malencontreusement entré dans sa sandale. Je me redressai, jambes croisées, sur la natte qui revenait à

température ambiante. Je me levai avec effort, allai en trébuchant jusqu'à la cuvette de toilette sur la table et m'aspergeai la figure d'eau.

Je me souvenais de la nuit précédente, mais de façon assez imparfaite. Tarl l'Aîné et moi avions fait une tournée dans les tavernes des divers cylindres et je me rappelle avoir dangereusement déambulé à pas chancelants et en chantant des refrains paillards sur différents ponts étroits, larges de moins d'un mètre et dépourvus de garde-fous, avec le sol quelque part en dessous - à quelle distance, je n'en avais à

ce moment-là pas la moindre idée. Si nous étions sur les ponts élevés, ce devait être à plus de trois cents mêtres ! Tarl l'Aîné et moi avions dû boire trop de ce breuvage fermenté

préparé avec une habileté démoniaque à partir du grain jaune Sa-Tarna et appelé Pagar-Sa-Tarna, Plaisir de la Fillede-la-Vie, mais presque toujours abrégé en « Paga ». J'avais nettement l'impression que je ne voudrais plus jamais y toucher. Je me rappelais aussi les jeunes femmes de la dernière taverne, si toutefois il s'agissait bien d'une taverne, lascives dans leurs soieries de danse, Esclaves Plaisir élevées pour la passion comme des animaux. S'il y a des êtres nés esclaves et d'autres nés libres, ainsi que le soutenait Tarl l'Aîné, ces femmes étaient des esclaves-nées. Il était impossible de les imaginer autrement que ce qu'elles étaient, mais elles aussi devaient se réveiller péniblement quelque part, des efforts pour se lever, avoir besoin de se laver. Je me rappelais, en particulier, une jeune au corps de panthère, sa chevelure noire en désordre sur des épaules brunes, les bracelets à ses chevilles, leur bruit dans l'alcôve fermée par des rideaux.

L'idée que j'aurais aimé avoir celle-là pendant plus que l'heure pour laquelle j'avais payé me traversa l'esprit. Je la chassai de ma tête douloureuse, fis un effort infructueux pour éprouver un sentiment décent de honte et échouai. J'étais en train de boucler ma ceinture sur ma tunique quand Tarl l'Aîné entra dans la pièce.

— Nous allons à la Chambre du Conseil, m'annonça-t-il. Je le suivis.

La Chambre du Conseil est la salle où les représentants élus par les Hautes Castes de Ko-ro-ba tiennent leurs séances. Chaque cité a une Chambre semblable. Elle se trouvait dans le plus vaste des cylindres et sa hauteur sous plafond était six fois celle d'un étage normal. Le plafond était éclairé comme par des étoiles et les murs étaient de cinq couleurs, disposées en bandes latérales, soit, en commençant par le bas, du blanc, du bleu, du jaune, du vert et du rouge, les couleurs des castes. Des bancs de pierre, sur lesquels étaient assis les membres du Conseil, s'étageaient le long des murs, une rangée pour chacune des Hautes Castes. Ces rangées étaient de la couleur de la section de mur derrière elles, la couleur de la caste.

Le gradin le plus proche du sol - preuve d'un certain statut préférentiel -, le blanc, était occupé par les Initiés, Interprètes de la Volonté des Prêtres-Rois. Dans l'ordre, les gradins ascendants - bleu, jaune, vert et rouge - étaient occupés par les représentants des Scribes, des Constructeurs, des Médecins et des Guerriers.

Je remarquai que Torm n'était pas assis sur le gradin des Scribes. Je ris sous cape. « J'ai trop de bon sens, avait dit Torm, pour me mêler des frivolités du gouvernement. » La Cité pourrait être assiégée que Torm ne s'en apercevrait même pas, pensai-je.

Je fus heureux de noter que ma propre caste, celle des Guerriers, jouissait du statut le moins élevé; si cela avait dépendu de moi, les Guerriers n'auraient même pas été une Haute Caste. Par ailleurs, je n'approuvais pas que les Initiés soient à la place d'honeur car il me semblait que c'étaient des membres improductifs de la société, plus encore que les Guerriers. Concernant ces derniers, on pouvait au moins soutenir qu'ils assuraient la protection de la Cité, mais que dire des Initiés, sinon peut-être qu'ils procuraient quelques palliatifs à des maux et calamités causés en grande partie par eux.

Au milieu de l'amphithéâtre se trouvait un siège de cérémonie et, sur ce trône, revêtu de son costume officiel un simple vêtement marron, le plus humble issu de l'assemblée -, était assis mon père, Administeur de Ko-ro-ba, ancien Ubar, Chef de Guerre de Cité. À ses pieds, il y avait un casque, un bouclier, une lance et une épée.

— Approche, Tarl Cabot, dit mon père, et je me plaçai devant son trône, me sentant le point de mire toute l'assistance. Derrière moi se tenait Tarl l'Aîné. J'avais remarqué que ses yeux bleus de Viking ne gardaient presque aucune trace de la nuit précédente. Je le détestai cordialement, pendant un instant.

Tarl l'Aîné parla.

— Moi, Tarl, Soldat de Ko-ro-ba, donne ma parole que cet homme est prêt à devenir membre de la haute Caste des Guerriers.

Mon père lui répondit, employant les formules rituelles.

— Aucune tour de Ko-ro-ba n'est plus solide que la parole de Tarl, ce Soldat de notre Cité. Moi, Matthew Cabot de Ko-ro-ba, j'accepte sa parole. Puis, en commençant par le gradin le plus bas, chaque membre du Conseil parla à son tour, se nommant et déclarant que lui aussi acceptait la parole du soldat blond. Quand ils eurent fini, mon père me revêtit des armes placées devant le trône. À mon épaule, il suspendit l'épée d'acier, attacha sur mon bras gauche le bouclier rond, plaça la lance dans ma main droite et enfonça lentement le casque sur ma tête.

Observeras-tu le Code des Guerriers ? demanda mon père.

Oui, dis-je, j'observerai le Code.

Quelle est ta Pierre du Foyer ? questionna-t-il. Pressentant ce qu'on attendait, je répliquai: — Ma Pierre du Foyer est la Pierre du Foyer de Ko-ro-ba.

Est-ce à cette Cité que tu voues ta vie, ton honneur et ton épée ? demanda encore mon père.

Oui ! répondis-je.

Alors, reprit-il en posant solennellement ses mains sur mes épaules, en vertu de mon pouvoir d'Administrateur de cette Cité et en présence du Conseil des Hautes Castes, je te déclare Guerrier de Ko-ro-ba!

Mon père souriait. J'ôtai mon casque, plein de fierté en entendant l'approbation du Conseil, traduite tant verbalement que par l'applaudissement goréen, le frappement rapide et répété sur l'épaule gauche avec la paume de la main droite.

À part les candidats au statut de Guerrier, personne de ma caste n'est autorisé à entrer armé au Conseil. S'ils avaient eu leurs armes, mes frères de caste du dernier gradin auraient fait résonner leur bouclier avec la pointe de bronze de leur lance. Cette fois-ci, ils se frappèrent sur l'épaule à la manière des civils, mettant peut-être un peu plus d'exubérance qu'il n'était compatible avec le décorum de cette grave assemblée. En tout cas, j'eus l'impression qu'ils étaient sincèrement fiers de moi, quoique je ne sache pas pourquoi. Je n'avais vraiment rien fait pour justifier leur approbation.

Je quittai la Chambre du Conseil en compagnie de Tarl l'Aîné et entrai dans une autre salle pour y attendre mon père. Dans cette pièce, il y avait une table et, sur cette table, une série de cartes. Tarl l'Aîné se dirigea immédiatement vers les cartes et, m'appelant à son côté, s'absorba dans leur lecture, signalant tel ou tel endroit.

Et ici, dit-il, en tapant la carte du doigt, c'est la Cité

d'Ar, ennemie héréditaire de Ko-ro-ba, la ville centrale de Marlenus, qui se propose de devenir Ubar de tout Gor.

— Cela a quelque chose à voir avec moi ? demandais-je.

Oui, dit Tarl l'Aîné. Tu vas te rendre à Ar. Tu vas voler la Pierre du Foyer d'Ar pour la rapporter à Ko-ro-ba.

5

LES LUMIÈRES DE LA FÊTE DES PLANTATIONS

J'enfourchai mon tarn, ce féroce et magnifique oiseau noir. Mon bouclier et ma lance étaient fixés à selle par des courroies, mon épée accrochée en bandoulière à mon épaule, côté dos. De chaque côté de la selle pendait une arme de trait

; à gauche une arbalète avec un carquois d'une douzaine de carreaux ; à droite un arc et trente flèches. La sacoche contenait l'équipement léger emporté par les tarniers en mission - notamment des rations, une boussole, des cartes, des liens de fibres et des cordes d'arc de rechange. Attachée devant moi sur la selle, droguée, tête entièrement recouverte par un capuchon d'esclave bouclé sous son menton, se trouvait une jeune femme. C'était Sana, l'Esclave de Tour que j'avais vue jour de mon arrivée sur Gor.

Je fis des signes d'adieu à Tarl l'Aîné et à mon père, tirai sur la rêne un et m'envolai, laissant la tour et leurs minuscules silhouettes derrière moi. Je remis le tarn en vol horizontal et tirai sur la rêne six, réglant ma direction sur Ar. En passant près du cylindre dans lequel Torm conservait ses rouleaux, je fus heureux d'apercevoir le petit scribe debout à

sa fenêtre retaillée. Je me rends compte maintenant qu'il devait attendre là depuis des heures. Il leva son bras vêtu de bleu dans un geste d'adieu — assez tristement, pensai-je. Je lui rendis son salut, puis détournai les yeux de Ko-ro-ba pour regarder les collines au-delà. Je n'éprouvais pas, tant s'en faut, l'exaltation ressentie lors de ma première envolée aventureuse sur le dos du tarn. J'étais troublé et furieux, consterné par les affreux détails du projet que je devais mener à bien. Je pensais à l'innocente jeune femme ligotée inconsciente devant moi.

Comme j'avais été surpris quand elle était apparue dans la petite pièce voisine de la Chambre du Conseil derrière mon père ! Elle s'était agenouillée à ses pieds dans la posture d'Esclave de Tour pendant qu'il m'expliquait le plan du Conseil.

Le pouvoir de Marlenus, en grande partie du moins, tenait à l'aura donnée par la victoire qui n'avait jamais cessé

de le favoriser, agissant comme un charme magique sur ses soldats et la population de sa ville. Jamais vaincu au combat, Ubar des Ubars, il avait audacieusement refusé de renoncer à son titre après une guerre de vallées douze ans plus tôt et ses soldats avaient refusé de le quitter, refusé de l'abandonner au sort traditionnel des Ubars trop ambitieux. Les soldats et le Conseil de sa Cité s'étaient laissé prendre à

ses flatteries, à ses promesses de fortune et de puissance pour Ar.

À la vérité, leur confiance semblait avoir été bien placée puisque maintenant Ar, au lieu d'être une cité isolée harcelée comme tant d'autres sur Gor, était une Cité centrale où

étaient gardées les Pierres du Foyer d'une douzaine d'autres, jusque-là libres. Il y avait maintenant un Empire d'Ar, un État solide, arrogant, belliqueux, trop évidemment occupé à

diviser ses ennemis et à étendre son hégémonie politique de cité à cité, à travers les plaines, collines et déserts de Gor. Un jour viendrait où Ko-ro-ba serait forcée d'affronter, avec une poignée de tarniers seulement, les hommes de l'Empire d'Ar. Mon père, en tant qu'Administrateur de Ko-roba, avait tenté de conclure une alliance contre Ar, mais les Cités Libres de Gor, dans leur orgueil et leur méfiance, leur volonté presque fanatique de protéger l'indépendance de leur destinée, refusèrent cette alliance. En fait, elles avaient, à la mode de Gor, chassé les envoyés de mon père de leur Chambre du Conseil avec les fouets normalement utilisés sur les esclaves, insulte à laquelle Ko-ro-ba aurait réagi à tout autre moment par une déclaration de guerre. Mais, comme le savait mon père, un conflit entre les Cités Libres aurait été

une vraie folie, de nature à réjouir Marlenus au plus haut point. Mieux valait que Ko-ro-ba supportât l'indignité d'être considérée comme une cité de lâches. Mais si la Pierre du Foyer d'Ar, le symbole et l'essence de l'Empire, pouvait être enlevée d'Ar, le charme de Marlenus serait peut être rompu. Il deviendrait un objet de risée, suspect à ses propres hommes, le Chef qui a perdu la Pierre du Foyer. Il aurait de la chance s'il n'était pas empalé publiquement.

La jeune femme sur la selle devant moi remua, l'effet de la drogue se dissipant. Elle geignit doucement et s'appuya contre moi. Dès que nous avions pris de la hauteur, j'avais détaché les liens qui entravaient ses jambes et ses poignets, ne laissant que la large ceinture qui la liait solidement au dos du tarn. Je ne tolérerais pas de voir le plan du Conseil exécuté en totalité, pas en ce qui la concernait, même si elle avait d'elle-même accepté de jouer son rôle dans cette mission en sachant que sa vie était en jeu. Je ne connaissais pratiquement d'elle que son nom, Sana, et le fait qu'elle était une esclave originaire de la Cité de Thentis.

Tarl l'Aîné m'avait dit que Thentis était une ville renommée pour ses hardes de tarns, située au coeur des montagnes d'où elle tirait son nom. Un commando d'Ar avait attaqué les volées de tarns et les cylindres des environs de Thentis, et la jeune femme avait été capturée. Elle avait été

vendue dans Ar le jour de la Fête de l'Amour et achetée par un agent de mon père. Pour l'exécution du plan du Conseil, il avait besoin d'une jeune femme qui consentirait à donner sa vie pour être vengée des hommes d'Ar.

Je ne pouvais pas m'empêcher de plaindre son sort, même dans le rude monde de Gor. Elle en avait trop supporté et n'était visiblement pas du bois dont on fait les filles de taverne ; l'esclavage n'aurait pas été une vie pour elle, comme il pouvait l'être pour celles-là. J'avais l'impression qu'en dépit de son collier, elle était libre. Je l'avais senti même quand mon père lui avait ordonné de se mettre debout et de m'offrir sa soumission, me reconnaissant comme son nouveau maître. Elle s'était levée, avait traversé

la pièce, pieds nus sur le sol de pierre, et s'était agenouillée devant moi, baissant la tête et levant ses mains qu'elle tendit vers moi, les mains croisées. La signification rituelle du geste de soumission n'avait pas été perdue pour moi; ses poignets m'étaient offerts comme pour être liés. Son rôle dans le plan était simple, mais s'achevait par la mort.

La Pierre du Foyer d'Ar, de même que la plupart des Pierres du Foyer dans les Cités des Cylindres, était simplement posée sur la plus haute tour, comme pour défier ouvertement les tarniers des cités rivales. Bien sûr, elle était gardée avec soin et, au premier signe de danger sérieux; elle serait certainement mise en sûreté. Toute tentative visant la Pierre du Foyer était considérée par les citoyens d'une ville comme le pire des sacrilèges et punissable de la pire des morts mais, paradoxalement, on estimait qu'il n'y avait pas de plus grand exploit que de dérober la Pierre du Foyer d'une autre cité et le guerrier qui y parvenait était acclamé, sa ville lui accordait les plus grands honneurs et on lui croyait acquise la faveur des Prêtres-Rois en personne.

La Pierre du Foyer d'une cité joue un rôle primordiale dans diverses cérémonies. La prochaine devait être la Fête des Plantations de Sa-Tarna, la Fille-de-vie, célébrée au début de la saison de la croissance des plantes pour assurer une bonne récolte. C'est une fête complexe, observée par la plupart des cités goréennes avec des rites nombreux et compliqués. Les détails en sont fixés et exécutés principalement par les Initiés de chaque cité. Cependant, certaines parties des cérémonies sont souvent dévolues à des membres des Hautes Castes.

Dans Ar par exemple, un membre des Constructeurs se

rend de très bonne heure sur le toit où se trouve la Pierre du Foyer et place le symbole primitif de son métier - une équerre de métal - devant la Pierre en priant les Prêtres-Rois pour qu'ils accordent la prospérité à sa caste pendant l'année qui vient; plus tard dans journée, ce sera un Guerrier qui, de même, déposera ses armes devant la Pierre, suivi par d'autres représentants de chaque caste. Fait significatif, pendant que ces membres des Hautes Castes célèbrent leur partie du rite, les Gardiens de la Pierre du Foyer se retirent momentanément à l'intérieur du cylindre pour laisser, dit-on, le célébrant seul avec les Prêtres-Rois.

Enfin, point culminant de la Fête des Plantations d'Ar, et détail de la plus grande importance pour le plan du Conseil de Ko-ro-ba, un membre de la famille de l'Ubar monte la nuit sur le toit, à la lueur des trois lunes pleines avec lesquelles correspond la fête, pour jeter des grains sur la Pierre et verser des gouttes d'une boisson rouge ressemblant à du vin, faite avec les fruits de l'arbre Ka-la-na. Ce membre de la famille de l'Ubar prie ensuite les Prêtres-Rois d'accorder une abondante récolte, puis retourne à l'intérieur du cylindre, tandis que les Gardiens de la Pierre du Foyer reprennent leur veille.

Cette année-ci, l'honneur de l'offrande du grain devait échoir à la fille de l'Ubar. Je ne savais rien d'elle, excepté que son nom était Talena, qu'elle était d'après la rumeur publique une des beautés d'Ar et que j'étais censé la tuer. D'après le plan du Conseil de Ko-ro-ba, juste au moment de l'offrande, à la vingtième heure goréenne (c'est-à-dire à

minuit), je devais descendre sur le toit du plus haut cylindre d'Ar, tuer la fille de l'Ubar et emporter son corps et la Pierre du Foyer, abandonnant le premier dans la région marécageuse au nord d'Ar et rapportant l'autre à Ko-ro-ba. Sana, la jeune femme que j'avais devant moi sur la selle, revêtirait les lourdes tuniques et les voiles de la fille de l'Ubar et retournerait à sa place à l'intérieur du cylindre. Il faudrait probablement au moins quelques minutes pour que son identité soit découverte et, avant cela, elle prendrait le poison fourni par le Conseil.

Deux jeunes femmes devaient mourir pour me donner le temps de m'échapper avec la Pierre du Foyer avant que l'alarme soit donnée. Dans mon coeur, je sentais que je n'exécuterais pas ce plan. Je changeai brusquement de direction, tirant sur la rêne quatre pour guider mon tarn vers la vague bleue d'une chaîne de montagnes qui miroitait dans le lointain. La jeune femme devant moi gémit et s'ébroua, ses mains tremblantes allant vers le capuchon d'eslave bouclé

sous sa tête.

Je l'aidai à le retirer et fus ravi par le flamboiement soudain de ses longs cheveux blonds se déployant près de ma joue. Je mis le capuchon dans la sacoche de ma selle, admirant la jeune esclave non seulement pour sa beauté

mais encore plus de ne pas sembler effrayée. Il y avait pourtant de quoi terrifier n'importe quelle jeune femme: la hauteur à laquelle elle se retrouvait, la monture sauvage qui l'emportait, la perspective du sort terrible qu'elle croyait l'attendre la fin de notre voyage. Mais c'était, évidemment, une fille de la montagneuse Thentis, renommée pour ses troupes de tarns féroces. Une telle fille ne devait pas s'affoler facilement.

Elle ne se retourna pas pour me regarder, mais elle examina ses poignets, les frotta doucement. Les marques des courroies qui les enserraient au début et que j'avais enlevées étaient à peine visibles.

— Tu m'as détachée, dit-elle, et tu as enlevé mon capuchon. Pourquoi ?

- J'ai pensé que tu serais plus à l'aise, répliquai-je.

— Tu traites une esclave avec une considération inattendue, reprit-elle. Merci.

— Tu n'as pas... peur? demandai-je en hésitant sur les mots, me sentant idiot. Je veux dire... au sujet du Tarn. Tu as dû

déjà en monter. Moi, la première fois, j'étais terrorisé. La jeune femme tourna son regard vers moi, perplexe.

Les femmes sont rarement autorisées à monter sur le dos des tarns, répondit-elle. Dans des nacelles, parfois, mais pas comme un guerrier. (Elle fit une pause ; le vent passait en sifflant, un bruit régulier mêlé au claquement rythmé des ailes battantes du tarn.) Tu dis que tu as eu peur... la première fois que tu as monté un tarn ?

— Oui.

Je ris en me rappelant l'excitation et le sentiment du danger.

— Pourquoi dis-tu à une esclave que tu as eu peur?

Je ne sais pas, répliquai-je, mais le fait est que j'ai eu peur.

Elle détourna de nouveau les yeux et regarda sans la voir la tête du grand tarn qui fendait le vent.

— Je suis déjà montée une fois sur le dos d'un tarn, dit-elle amèrement, jusqu'à Ar, ligotée en travers de la selle, avant d'être vendue dans la Rue des Marques.

Ce n'était pas facile de bavarder sur le dos d'un grand tarn à cause du vent et, d'autre part, en dépit de mon envie de communiquer avec la jeune femme, je sentais que je ne le pouvais pas.

Elle fixait l'horizon et son corps se raidit tout à coup.

Ce n'est pas la route pour Ar ! s'écria-t-elle. — Je sais, répondis-je.

Que fais-tu ? (Elle se tourna d'un bloc sous la courroie pour me dévisager, les pupilles dilatées.) Où vas-tu, Maître ?

Le mot « Maître », bien qu'approprié venant de cette jeune femme qui était, légalement du moins, ma propriété, me fit sursauter.

Ne m'appelle pas Maître ! dis-je.

Mais tu es mon Maître, rétorqua-t-elle.

Je pris dans ma tunique la clef que m'avait donnée mon père, celle du collier de Sana. Je l'insérai dans la serrure sur sa nuque, la tournai, actionnant le mécanisme. J'arrachai le collier de son cou et le lançai ainsi que la clef par-dessus le dos de l'animal, les regardant tomber dans une longue et gracieuse parabole.

Elle s'assit devant moi, ses mains palpant son cou avec incrédulité.

— Pourquoi ? demanda-t-elle. Pourquoi?

Que lui dire? Que je venais d'un autre monde, que j'étais déterminé à ne pas adopter toutes les manières de faire de Gor ou que je m'étais intéressé à elle, en quelque sorte, si impuissante dans sa situation - que l'émotion qu'elle m'avait inspirée m'amenait à la considérer, non comme un instrument pour moi ou Conseil, mais comme une jeune femme pleine de vie qui ne devait pas être sacrifiée aux jeux de la diplomatie ?

- J'ai mes raisons pour te libérer, déclarai-je, mais, je ne suis pas certain que tu les comprendrais.

Et j'ajoutai tout bas, pour moi-même, que je n'étais pas tellement certain de les comprendre non plus.

--Mon père et mes frères te récompenseront, promit-elle.

— Non, répliquai-je.

— Si tu le désires, l'honneur leur commande de t'accorder ma main sans payer le prix de la fiancée.

— La route pour Thentis sera longue, dis-je.

Elle répliqua avec fierté :

— Mon prix sera de cent tarns !

Je sifflai entre mes dents : mon ex-esclave coûterait maintenant un bon prix: je n'aurais pas pu l'acheter sur ma solde de Guerrier.

— Si tu veux atterrir, reprit Sana, apparemment décidée à ce que je sois dédommagé d'une manière quelconque, je satisferai ton plaisir.

Je pensais soudain qu'il existait au moins une réponse qu'elle pourrait comprendre - elle qui fut élevée dans les codes de l'honneur de Gor - et qui la ferait taire.

— Voudrais-tu diminuer la valeur du don que je t'ai fait?

demandai-je en feignant la colère.

Elle réfléchit un instant, puis déposa avec douceur un baiser sur mes lèvres.

---Non, Tarl Cabot de Ko-ro-ba, mais tu sais bien que je ne pourrais rien faire qui diminue la valeur de ton cadeau. Tarl Cabot, j'ai de l'affection pour toi !

Je me rendis compte qu'elle m'avait parlé comme une femme libre, en m'appelant par mon nom. Je l'entourai de mes bras, l'abritant de mon mieux contre le souffle cinglant et glacé du vent. Puis je me dis : cent tarns, vraiment !

Quarante peut-être, parce qu'elle était belle. Pour une centaine de tarns, on pourrait avoir la fille d'un Administrateur; pour un millier, peut-être même la fille de l'Ubar d'Ar ! Mille tarns représenteraient une formidable augmentation de la force de cavalerie d'un Chef de Guerre goréen. Sana, avec où sans collier, avait la vanité irritante et touchante des jeunes beautés de son sexe.

Je la laissai sur une tour de Thentis, l'embrassai, détachai ses mains de mon cou. Elle pleurait, avec toute l'absurdité incompréhensible de la gent féminine. Je fis s'élever le tarn, agitant la main en signe d'adieu à la petite silhouette qui portait toujours la livrée rayée en diagonale des esclaves. Son bras blanc était dressé et ses cheveux blonds flottaient derrière elle sur le toit venteux du cylindre. Je fis virer le tarn dans la direction d'Ar.

Comme je traversais le Vosk, ce puissant fleuve de quelque quarante pasangs de largeur qui s'élance le long des frontières d'Ar pour se jeter dans le golfe de Tamber, je compris que j'étais enfin à l'intérieur de l'Empire d'Ar. Sana avait insisté pour que je garde la pilule de poison que le Conseil lui avait donnée afin lui épargner les tortures qui suivraient inévitablement la découverte de son identité dans les cylindres d'Ar. Toutefois, je sortis la pilule de ma tunique et la jetai dans les eaux abondantes du Vosk. Elle constituait une tentation à laquelle je n'avais aucune envie de succomber. Si la mort était facile, je risquais de chercher moins ardemment à sauver ma vie. Des temps viendraient où, dans ma faiblesse, je devrais regretter cette décision. Trois jours furent nécessaires pour atteindre les environs de la Cité d'Ar. Peu après avoir traversé le Vosk, j'étais descendu et j'avais campé, après quoi je n'avais voyagé

que la nuit. Pendant le jour, je libérais mon tarn pour lui permettre de se nourrir comme il voulait. Ce sont des chasseurs diurnes et qui ne mangent que ce qu'ils attrapent eux-mêmes, en général une des rapides antilopes goréennes ou un taureau sauvage pris à la course et emporté dans les serres monstrueuses jusqu'à une hauteur où cette proie est mise en pièces et dévorée. Inutile de préciser que les tarns sont une menace pour tout ce qui vit et qui a l'infortune de tomber dans l'ombre de leurs ailes - même des êtres humains.

Le premier jour, à l'abri des bouquets d'arbres qui poussent çà et là dans les plaines frontalières de Gor, je dormis, mangeai mes rations et m'exerçai au maniement de mes armes pour assouplir mes muscles et combattre la raideur que peuvent provoquer des périodes prolongées à dos de tarn. Mais je m'ennuyais. Au premier abord, même la campagne était déprimante, car les hommes d'Ar, pour des raisons stratégiques, avaient dévasté une zone de quelque deux ou trois cents pasangs sur leurs frontières, coupant les arbres fruitiers, comblant les puits et semant du sel dans les terres fertiles. Ar, à des fins éminemment pratiques, s'était entourée d'un mur invisible, une région stérilisée, sinistre et presque infranchissable pour des gens à pied.

Je fus plus satisfait le deuxième jour où je campai dans un vallon verdoyant parsemé d'arbres Ka-la-na. La nuit précédente, j'avais survolé des champs de céréales d'un jaune argenté sous la lumière des trois lunes. Je maintenais mon cap grâce au cadran lumineux de ma boussole goréenne, dont l'aiguille pointe toujours vers la chaîne des Monts Sardar, résidence des Prêtres-Rois. Parfois, je guidais mon tarn d'après les étoiles, les mêmes étoiles fixes que j'avais vues au-dessus de ma tête, mais sous un autre angle, dans les montagnes du New Hampshire.

Mon camp du troisième jour fut installé dans la forêt marécageuse qui borde au nord la Cité d'Ar. J'avais choisi cette région parce que c'est la plus inhabitable à portée de vol d'Ar. J'avais vu trop de feux de villages la nuit précédente et, à deux reprises, j'avais entendu les sifflets à tarn de patrouilles proches, des guerriers qui faisaient leur ronde par groupes de trois. J'eus brièvement envie de renoncer au projet, de devenir hors la loi si vous voulez, déserteur si vous préférez, mais de sauver ma peau, d'essayer de me dégager de ce projet insensé ne serait-ce qu'avec ma vie, et même pour peu de temps.

Mais une heure avant minuit, le jour que je savais être celui de la Fête des Plantations de Sa-Tarna, je grimpai de nouveau jusqu'à la selle de mon tarn, tirai sur la rêne numéro un et m'élevai au-dessus des arbres luxuriants de la forêt marécageuse. Presque simultanément, j'entendis le cri rauque d'un chef de patrouille d'Ar: «Nous le tenons ! »

Ils avaient suivi mon tarn, le pistant depuis l'endroit où

il avait mangé dans la forêt marécageuse et, présent, tels les sommets d'un triangle convergeant rapidement, trois guerriers d'Ar fonçaient sur moi. Ils ne devaient avoir aucune intention de me faire prisonnier car, juste un instant après le cri, un carreau d'arbalète siffla au-dessus de ma tête. Je n'eus pas le loisir de me ressaisir qu'une forme noire ailée se matérialisait devant moi et, à la lumière des trois lunes, je vis un guerrier monté sur un tarn passer en me décochant un coup de lance.

Il aurait certainement atteint son but si mon tarn n'avait pas viré brusquement sur la gauche, manquant entrer en collision avec un autre tarn et son cavalier, lequel me décocha un carreau d'arbalète qui s'enfonça profondément dans la sacoche avec un bruit de cuir qui claque. Le troisième guerrier d'Ar arrivait par-derrière. Je me retournai, levai l'aiguillon dont la boucle était passée à mon poignet pour parer son coup de lame. Épée et aiguillon se rencontrèrent avec un fracas retentissant et une pluie de scintillantes étincelles jaunes jaillit. J'avais dû, à un moment donné, mettre le commutateur en position marche. Mon tarn et celui de l'assaillant reculèrent comme d'instinct devant l'éclair de l'aiguillon : j'avais, sans le faire exprès, gagné un peu de temps.

Je détachai mon arc et y ajustai une flèche tout en faisant virer mon tarn d'un coup sec dans un puissant battement d'ailes frémissantes. Je crois que le premier de mes poursuivants n'avait pas pensé que je ferais tourner l'oiseau. Ils s'attendaient à une chasse. Comme je passais devant lui, je vis ses yeux écarquillés dans le Y de son casque lorsque, dans cette fraction de seconde, il comprit que je ne pouvais pas manquer mon coup. Je le vis se raidir soudain sur sa selle et j'eus vaguement conscience que son tarn filait comme un éclair en criant.

Les deux autres hommes de la patrouille viraient pour m'attaquer. Ils foncèrent sur moi, séparés par quatre ou cinq mètres, afin de me cerner de chaque côté, de forcer mon tarn à lever les ailes et de le maintenir, pour les quelques instants dont ils avaient besoin, immobilisé entre leurs propres montures.

Je n'avais pas le temps de réfléchir, mais je me rendis compte pourtant que mon épée était maintenant dans ma main et l'aiguillon passé dans ma ceinture. Au moment où

nous nous heurtions en plein vol, je tirai d'un coup sec sur la rêne un pour faire entrer en jeu les serres ferrées de mon tarn de guerre. Et je n'ai jamais cessé de bénir les Éleveurs de Tarns de Ko-ro-ba pour le consciencieux dressage auquel ils avaient soumis le grand oiseau. Ou peut-être devrais-je bénir l'esprit combatif de ce géant ailé, mon tarn de guerre, cet être terrible que Tarl l'Aîné avait appelé le tarn des tarns. Déchirant du bec et des serres, poussant des cris à briser le tympan, mon tarn attaqua les deux autres oiseaux.

Je croisai le fer avec le plus proche des deux guerriers dans une brève passe d'armes qui n'a guère pu durer plus d'un instant. Je m'aperçus soudain, dans une sorte de vertige, que l'un des tarns ennemis tombait avec des battements d'ailes lourds et désordonnés vers les profondeurs de la forêt marécageuse, L'autre guerrier fit virer son tarn comme pour une nouvelle attaque mais, alors, il dut s'aviser subitetement que son devoir était de donner l'alarme et, me criant quelque chose d'un ton rageur, il fit de nouveau pivoter son tarn, qui fila vers les lumières d'Ar.

Avec l'avance qu'il avait, il devait se sentir tranquille, mais je savais que mon tarn était capable de le rattraper sans peine. J'alignai mon tarn sur le petit point qui battait en retraite. Quand nous approchâmes du guerrier fuyard, je plaçai une deuxième flèche sur mon arc. Au lieu de tuer le guerrier, je lâchai la flèche dans l'aile de son tarn. Celui ci pivota sur lui-même et commença à ménager son aile blessée. Le guerrier était désormais incapable de contrôler sa monture et je vis le tarn descendre maladroitement, plongeant en cercles irréguliers dans l'obscurité au dessous. Je tirai la rêne numéro un et, quand nous eûmes atteint une altitude où j'avais du mal à respirer, je mis cap sur Ar. Je désirais voler au-dessus des parcours suivis normalement par les patrouilles. Lorsque je fus proximité d'Ar, je me tapis sur la selle et espérai que la petite silhouette que les veilleurs des tours extérieures pourraient apercevoir sur une lune serait prise pour un tarn sauvage survolant la ville de très haut.

La Cité d'Ar devait compter plus de cent mille cylindres, resplendissant tous des illuminations de la Fête des Plantations. Je ne doutais pas qu'Ar fût la plus grande ville de tous les pays connus de Gor. C'était une belle et magnifique cité, une digne monture pour le joyau de l'Empire, cet imposant joyau qui c'était montré si tentant pour son Ubar, le triomphant Marlenus. Et maintenant, làbas, quelque part dans merveilleux flamboiement de lumière, il y avait un humble morceau de pierre, la Pierre du Foyer de cette grande cité, et je devais m'en emparer.

6

NAR L'ARAIGNÉE

Je n'eus guère de mal à distinguer la plus haute tour d'Ar; le cylindre de l'Ubar Marlenus. Comme je descendais plus près, je vis que les ponts étaient bondés de gens qui célébraient la Fête des Plantations, dont beaucoup peut-être rentraient chez eux en titubant, ivres de Paga. Volant parmi les cylindres, il y avait des tarniers, guerriers montés qui jouissaient de la liberté sans frein de la fête, luttant de vitesse, mimant des passes armes, abattant parfois leur tarn comme la foudre les ponts pour les faire remonter à quelques centimêtres seulement des têtes terrifiées des passants. Audacieusement, je fis plonger mon tarn au milieu des cylindres, comme si j'étais un des tamiers déchaînés d'Ar. Je le fis se poser sur une de ces poutrelles acier qui émergent çà

et là des cylindres et servent de perchoir. Le grand oiseau ouvrit et ferma ses ailes, ses serres ferrées résonnant sur le juchoir de métal quand il changeait de position, allant et venant dessus. Enfin satisfait, il rabattit ses ailes contre son corps et resta immobile, à part les mouvements alertes de sa grande têe et l'éclair de ses yeux méchants qui scrutaient le flot d'hommes et de femmes sur les ponts voisins.

Mon coeur se mit à battre frénétiquement et je songeai que je pourrais encore facilement quitter Ar à tire-d'aile. Puis, un guerrier sans casque, ivre, s'approcha et me contesta le perchoir, un tarnier déchaîne de rang inférieur qui cherchait la bagarre. Si j'avais cédé, cela aurait suscité

aussitôt des soupçons car, sur Gor, la seule réaction honorable à un défi, c'est de le relever promptement.

Que les Prêtres-Rois foudroient tes os ! criai-je aussi joyeusement que je pus, en ajoutant pour faire bonne mesure : Et puisses-tu t'engraisser avec les excréments des tharlarions !

Ce dernier souhait, avec son allusion aux lézards exécrés qu'utilisaient comme monture de nombreux clans primitifs de Gor, sembla lui plaire.

Que ton tarn perde ses plumes ! clama-t-il à pleine gorge en se tapant sur la cuisse et en faisant poser son tarn sur le perchoir.

Il se pencha et me lança une outre de Paga; j'y pris une longue lampée, puis la lui renvoyai dédaigneusement dans les bras. Il reprit aussitôt son vol en braillant une chanson contant les malheurs d'une fille à guerriers, tandis que l'outre de Paga planait derrière lui au bout de ses longues courroies.

Comme la plupart des boussoles de Gor, la mienne contenait un chronomètre; je pris la boussole, la retournai et pressai le bouton qui soulevait le fond du boîtier, laissant apparaître le cadran. La vingtième heure était écoulée depuis deux minutes ! Adieu mes idées de fuite et de désertion ! Je forçai brusquement mon tarn à s'envoler et filai comme l'éclair vers la tour de l'Ubar.

Un instant plus tard, elle fut au-dessous de moi. Je plongeai aussitôt, car personne ne vient à dos de tarn dans le voisinage de la tour d'un Ubar sans de bonnes raisons. Comme je descendais, je vis le vaste toit rond du cylindre. Il semblait translucide et éclairé par en dessous d'une couleur bleuâtre. Au centre du cercle se trouvait une plate-forme basse, ronde, d'environ dix pas de diamètre, qu'on atteignait par quatre marches circulaires faisant à peu près le tour de la plate-forme. Sur celle-ci, il y avait une silhouette sombre enveloppée de draperies, toute seule. Lorsque mon tarn s'abattit sur la plate-forme et que je sautai à bas de son dos, j'entendis un cri de femme.

Je me précipitai vers le centre de la plate-forme, écrasant sous mon pied un petit panier rituel rempli de grains, envoyant promener un récipient de Ka-la-na qui se trouvait sur mon chemin et répandant le liquide rouge fermenté sur le sol de pierre. Je courus au tas de Pierres au milieu de la plate-forme, les oreilles pleines des cris de la jeune fille. J'entendis hurler des hommes et cliqueter des armes non loin de là: c'étaient des guerriers qui montaient en courant l'escalier conduisant au toit. Laquelle était la pierre du Foyer ? Je dispersai les Pierres à coups de pied. L'une d'elles devait être la Pierre du Foyer d'Ar, mais laquelle ?

Comment la distinguer des autres Pierres de Foyer de ces cités qui étaient tombées sous le joug d'Ar ?

Oui ! C'était celle qui serait rouge de Ka-la-na, qui serait jonchée de graines de céréales ! Je tâtai frénétiquement les Pierres, mais plusieurs étaient humides parsemées de grains de Sa-Tarna. Je sentis la personne lourdement vêtue qui me tirait en arrière, qui enfonçait ses ongles dans mon cou et mes épaules, m'attaquait avec toute la fureur de son corps exaspéré. Je lui décochai en retour un coup de poing, la forçant à reculer. Elle tomba à genoux et rampa soudain jusqu'à l'une des Pierres, la saisit et fit demi-tour pour s'enfuir. Une lance se brisa sur la plate-forme près de moi. Les Gardes étaient sur le toit !

Je bondis à la poursuite de la silhouette drapée, l'empoignai, la fis tourner et lui arrachai des mains la Pierre qu'elle portait. Elle me frappa et me poursuivit jusqu'au tarn qui battait des ailes avec excitation, se préparant à

abandonner le tumulte du cylindre. Je pris mon élan et attrapai l'anneau de la selle, détachant par inadvertance l'échelle-montoir. En un instant, j'avais enfourché la selle du tarn et tiré brutalement sur la rêne numéro un. La silhouette aux lourds vêtements essayait de gravir l'échelle, mais elle était gênée par le poids et la raideur de ses habits surchargés d'ornements. Je jurai quand une flèche m'érafla l'épaule, au moment où les grandes ailes du tarn battaient et où le monstre prenait son essor. Il était en l'air, le sifflement des flèches résonna dans mes oreilles, avec les clameurs des hommes furieux et un long hurlement de terreur proféré par une voix de jeune fille.

Je regardai au-dessous de moi, consterné. La silhouette lourdement vêtue était toujours cramponnée désespérément à l'échelle. Elle était maintenant au-dessus du toit et se balançait dans le vide sous le tarn, tandis que les lumières d'Ar plongeaient rapidement dans le lointain. Je dégainai mon épée pour détacher l'échelle de la selle, mais je suspendis mon geste et remis avec colère la lame dans son fourreau. Je ne pouvais pas me permettre d'emporter ce poids supplémentaire, mais je ne pouvais pas non plus me décider à libérer l'échelle et précipiter la jeune fille vers la mort.

Je jurai comme montaient vers moi les notes frénétiques des sifflets à tarns. Tous les tarniers d'Ar s'envoleraient ce soir. Je dépassai les cylindres extérieurs d'Ar et me retrouvai libre dans la nuit goréenne, filant bon train vers Ko-ro-ba. Je plaçai la Pierre du Foyer dans la sacoche dont je fis claquer la serrure, puis me penchai pour remonter l'échelle. La jeune fille geignait de terreur; ses muscles et ses doigts semblaient gelés. Même après l'avoir hissée sur le devant de la selle et attachée solidement à l'anneau, je dus arracher de force ses doigts du barreau l'échelle. Je pliai celle-ci et la fixai à sa place sur côté de la selle. J'étais désolé

pour cette jeune fille, pion impuissant dans ce déplorable jeu de conquête, les petits cris inarticulés qu'elle poussait provoaient ma pitié.

— Essaie de te ressaisir, dis-je.

Elle tremblait en gémissant.

— Je ne te ferai pas de mal, repris-je. Dès que nous serons hors de la forêt marécageuse, je te déposerai sur une route allant vers Ar. Tu seras sauve. (Je voulais ainsi la rassurer.) Demain matin, tu seras de retour à Ar, promis-je.

J'eus l'impression qu'elle balbutiait faiblement quelques mots incohérents de gratitude; elle se tourna vers moi avec confiance et passa ses bras autour de ma taille comme pour avoir une sécurité supplémentaire. Je sentis son corps innocent tremblant contre mien, sa confiance en moi, puis elle resserra soudain ses bras autour de ma taille et, avec un cri rage, me fit basculer hors de la selle. À la seconde angoissante où j'entamais ma chute, je me rendis compte que je n'avais pas attaché ma propre ceinture de selle dans l'envolée effrénée du toit du cylindre l'Ubar. Mes mains se tendirent dans le vide sans rien saisir et je tombai la tête la première dans nuit.

Je me souviens d'avoir entendu pendant un instant, diminuant peu à peu comme le vent, son rire de triomphe. Je sentis mon corps se raidir pendant la chute, se préparant à

l'impact. Je me rappelle m'être demandé si je sentirais le choc de l'écrasement et avoir supposé que oui. D'une façon parfaitement absurde, j'essayai de me détendre, de relaxer mes muscles, comme si cela avait quelque importance. J'attendis le choc, j'eus conscience d'une vive douleur en traversant des branches que je brisai au passage et d'un plongeon dans une substance douce, souple, flexible. Je perdis conscience.

Quand je rouvris les yeux, je me retrouvai en partie prisonnier d'un vaste entrelacs de larges fibres élastiques qui formaient un filet, de peut-être un pasang de large, à travers lequel, en de nombreux points, jaillissaient les arbres monstrueux de la forêt marécageuse. Je sentis le filet, ou la toile, trembler et je m'efforçai de me lever, mais je m'aperçus que j'étais incapable de me mettre debout. Ma chair adhérait à la substance collante des larges fibres. Approchant de moi, d'une démarche légère en dépit de son volume, avançant d'un pas dansant sur les fibres, survint une des Araignées des Marais de Gor. Je fixai le ciel bleu, voulant que ce soit la dernière image qu'il me reste du monde. Je frissonnai lorsque la bête s'arrêta près de moi. Je sentis le léger attouchement de ses pattes de devant, je sentis le déplacement exploratoire des poils sensitifs de ses appendices. Je la regardai et elle abaissa sur moi ses quatre paires d'yeux nacrés avec une expression interrogatrice, pensai-je. Alors, à ma grande stupéfaction, j'entendis un son reproduit mécaniquement demander :

— Qui es-tu ?

Je frémis, croyant que j'avais fini par perdre la raison. Au bout d'un instant, la voix répéta la question, légèrement plus fort, puis ajouta:

— Es-tu de la Cité d'Ar ?

— Non, répondis-je, jouant mon rôle dans ce que prenais pour une hallucination fantastique au cours de laquelle je conversais follement avec moi-même. Non, je n'en suis pas. Je suis de la Cité Libre e Ko-ro-ba.

Quand j'eus déclaré cela, le monstrueux insecte se pencha et j'aperçus les mandibules, semblables à des couteaux recourbés. Je me raidis dans la perspective d'une brusque morsure latérale de ces mâchoires pareilles à des tenailles. Au lieu de cela, de la salive ou une sécrétion du même genre - fut répandue sur la toile dans mon voisinage, ce qui annula son pouvoir adhésif. Une fois libéré, je fus soulevé délicatement dans les mandibules et porté au bout de la toile, où l'araignée saisit une fibre pendante, descendit et me déposa sur le sol. Elle s'éloigna alors de moi sur ses huit pattes, mais sans me quitter une seconde du regard nacré de ses yeux multiples.

J'entendis de nouveau le son mécanique. Il disait:

— Mon nom est Nar et je suis du Peuple des Araignées. Je remarquai alors pour la première fois, attaché son abdomen, un appareil traducteur assez semblable à ceux que j'avais vus à Ko-ro-ba. Il transposait apparemment en sons du langage humain des impulsions sonores au-dessous de mon seuil auditif. Mes propres réponses étaient certainement adaptées d'une manière similaire à un registre que l'insecte pouvait comprendre. Une des pattes de l'insecte manipula un bouton sur l'appareil traducteur.

— Entends-tu ceci ? demanda-t-il.

Il avait ramené le volume sonore à son intensité

originelle, celle à laquelle il avait posé sa première question.

Oui, dis-je.

L'insecte parut soulagé.

J'en suis heureux, déclara-t-il. Parler fort ne me paraît pas convenable pour des créatures douées de raison.

— Tu m'as sauvé la vie, dis-je. Merci.

Ma toile t'a sauvé la vie, corrigea l'insecte. (Il resta un instant silencieux puis, comme s'il sentait mon appréhension, il déclara:) Je ne te ferai pas de mal. Le Peuple des Araignées ne fait pas de mal aux créatures douées de raison.

— Je t'en suis reconnaissant, affirmai-je.

La remarque qui suivit me coupa le souffle.

Est-ce toi qui as volé la Pierre du Foyer d'Ar?

J'hésitai puis, convaincu que la créature n'avait aucun amour pour les hommes d'Ar, je répondis affirmativement.

— Cela me fait plaisir, commenta l'insecte, car les hommes d'Ar ne se conduisent pas bien avec le Peuple des Araignées. Ils nous font la chasse et ne laissent de vivants parmi les nôtres que le nombre suffisant pour filer la Fibre Cur-lon utilisée dans les filatures d'Ar. S'ils n'étaient pas des créatures douées de raison, nous les combattrions.

Comment as-tu su que la Pierre du Foyer d'Ar avait été

volée ? demandai-je.

La rumeur est venue de la ville, répandue par toutes les créatures douées de raison, qu'elles rampent, volent ou nagent. (L'insecte leva une patte de devant dont les poils sensoriels tremblèrent sur mon épaule.) On se réjouit grandement sur Gor, mais pas dans la Cité d'Ar.

— J'ai perdu la Pierre du Foyer, répliquai-je. J'ai été joué par celle que je suppose être la fille de l'Ubar, jeté à bas de mon tarn, et je n'ai été sauvé de la mort que par ta toile. Je crois que ce soir il y aura de nouveau de la joie dans Ar, quand la fille de l'Ubar rapportera la Pierre du Foyer.

La voix mécanique parla de nouveau.

— Comment la fille de l'Ubar rapporterait-elle la Pierre du Foyer d'Ar alors que tu as dans ta ceinture l'aiguillon des tarns ?

Je fus frappé de la vérité de son propos et stupéfait de n'y avoir pas pensé plus tôt. J'imaginai la jeune fille seule sur le dos du tarn féroce, sans même un aiguillon pour se protéger, si l'oiseau attaquait. Ses chances de survie semblaient à présent plus minces que si j'avais coupé

l'échelle-montoir au-dessus des cylindres d'Ar quand elle était suspendue, impuissante en mon pouvoir, cette perfide fille de l'Ubar Marlenus. Bientôt le tarn voudrait se nourrir. Le jour devait être levé depuis plusieurs heures.

— Il faut que je retourne à Ko-ro-ba, repris-je. J'ai échoué.

— Je te mènerai à la limite du marécage, si tu veux, proposa l'insecte.

J'acceptai, en remerciant cette créature douée de raison qui me hissa doucement sur son dos et partit d'une vive allure élégante, frayant son chemin avec délicatesse à travers la forêt marécageuse.

Nous étions en route depuis peut-être une heure lorsque Nar, l'Araignée, s'arrêta net et leva en l'air ses deux pattes de devant, étudiant les odeurs, s'efforçant de discerner quelque chose dans l'air humide et dense.

— Il y a un tharlarion carnivore, un tharlarion sauvage, dans le voisinage, dit Nar. Cramponne-toi !

Heureusement, je suivis aussitôt son conseil, enfonçant profondément mes mains dans les longs poils noirs qui couvraient son thorax, car Nar s'élança soudain vers un arbre du marais qui était à côté et monta à toute vitesse dans ses branches hautes. Environ deux ou trois minutes plus tard, j'entendis le grognement affamé d'un tharlarion sauvage et, un instant après, le cri perçant d'une jeune fille terrifiée.

Du dos de Nar, je pouvais voir le marais avec ses roseaux et ses nuées d'insectes minuscules. D'un rideau de roseaux à quelque cinquante pas sur la droite et à une dizaine de mètres plus bas surgit, trébuchant et criant, la silhouette engoncée d'un être humain lancé dans une course désespérée, les mains tendues en avant. À ce moment, je reconnus les lourdes tuniques de brocart, maintenant éclaboussées par la boue et déchirées, de la fille de l'Ubar. À peine était-elle apparue dans la clairière, pataugeant dans les eaux verdâtres peu profondes près de nous, que la tête redoutable d'un tharlarion sauvage pointa à travers les roseaux, ses yeux ronds et luisants brillant d'excitation; le vaste arc de sa gueule s'ouvrit. Presque trop rapide pour être visible, une espèce de longue lanière brune, sa langue, jaillit de sa gueule et s'enroula autour de la petite silhouette désemparée de la jeune fille. Elle poussa des cris d'horreur en s'efforçant d'arracher de sa taille cette lanière collante, laquelle commença à revenir vers la gueule de la bête. Sans réfléchir, je sautai à bas du dos de Nar, saisis une des longues lianes parasitaires en vrilles qui enlaçaient les formes noueuses des arbres du marécage. En un instant, j'avais atterri dans une giclée d'éclaboussures au pied de l'arbre et je courus vers le tharlarion, l'épée haute. Je m'élançai entre sa gueule et la jeune fille, abattis ma lame d'un geste vif et tranchai d'un coup cette horrible langue brune.

Un cri perçant de souffrance déchira l'air lourd de forêt et le tharlarion se dressa tout debout sur ses pattes de derrière, pivota sur lui-même sous l'effet de douleur et ramena son tronçon de langue brune dans sa gueule avec un affreux claquement sec. Puis tomba à la renverse en soulevant des gerbes d'eau, roula sur le côté pour se remettre sur ses pattes et commença à faire aller et venir rapidement sa tête pour scruter les alentours. Presque aussitôt, ses yeux se fixèrent sur moi ; sa gueule, maintenant pleine d'une écume incolore, s'ouvrit, révélant ses rangées de dents.

Il chargea, ses grands pieds griffus battant l'eau du marais avec un bruit d'explosion. En un instant, la gueule avait cherché à me saisir et j'avais imprimé profondément l'empreinte de mon épée dans les rangées de dents de sa mâchoire inférieure. La gueule se rouvrit, je pliai les genoux et les mâchoires passèrent au-dessus de moi tandis que je frappais en l'air, transperçant le cou de l'animal. Il recula de quatre ou cinq pas avec lenteur, en vacillant. La langue, ou plutôt le tronçon de langue, jaillit deux ou trois fois hors de sa gueule comme si l'animal ne se rendait pas compte qu'il n'en disposait plus.

Le tharlarion s'enfonça un peu plus dans le marais, ses yeux à demi fermés. Je compris que le combat était terminé. De sa gorge suintait un nouveau flux de cette sécrétion incolore. Autour de ses flancs, comme il s'affaissait dans la vase, l'eau bougea et je sus que les petits lézards aquatiques de la forêt marécageuse avaient entrepris leur macabre besogne. Je me penchai et lavai la lame de mon épée de mon mieux dans l'eau verte, mais ma tunique était si boueuse et trempée que je n'avais rien pour sécher le fer. Aussi, tenant l'épée à la main, je retournai en pataugeant dans la vase au pied de l'arbre et grimpai sur le petit tertre sec à sa base. Je jetai un coup d'ceil autour de moi. La jeune fille s'était enfuie. Ce qui m'irrita, je ne sais pourquoi, tout en jugeant que c'était un bon débarras. Somme toute, qu'est-ce que j'espérais ? Qu'elle me remercie de lui avoir sauvé la vie?

Elle m'avait sans doute abandonné au tharlarion en se réjouissant de sa chance de fille d'Ubar qui faisait que ses ennemis se détruisaient mutuellement pendant qu'elle s'en tirait. Je me demandai si elle irait loin dans le marais avant qu'un autre tharlarion flaire sa trace. J'appelai :

— Nar! cherchant mon camarade l'Araignée, mais, comme la jeune fille, il avait disparu.

Épuisé, je m'assis, adossé à l'arbre, ma main ne lâchant pas la garde de mon épée.

Distraitement, avec répulsion, je regardais le corps du tharlarion dans le marais. Comme les lézards d'eau s'étaient gavés, la carcasse allégée avait roulé dans l'eau et changé de position. À présent, au bout de quelques minutes seulement, le squelette était visible, nettoyé presque complètement, les os luisant sauf là où de petits lézards grouillaient encore, en quête d'une dernière parcelle de chair.

Il y eut un bruit. D'un bond, je fus sur pied, l'épée en garde. Mais c'était Nar qui, de sa vive démarche dansante, venait à travers le marais, tenant, avec douceur mais fermeté, la fille de l'Ubar Marlenus entre ses mandibules. Celle-ci frappait Nar de ses poings menus, jurant et donnant des coups de pied d'une manière que j'estimai des plus inconvenantes pour la fille d'un Ubar. De son pas aérien, Nar escalada le tertre et la déposa devant moi, ses yeux nacrés luminescents me fixant comme des lunes blanches sans expression.

— Voici la fille de l'Ubar. Marlenus, dit Nar, qui ajouta avec ironie : Elle avait oublié de te remercier de lui avoir sauvé la vie, ce qui est étrange, n'est-ce pas , de la part d'une créature douée de raison.

— Silence, insecte ! lança la fille de l'Ubar d'une voix forte, claire et impérieuse.

Elle paraissait n'avoir nullement peur de Nar, peut être parce que les citoyens d'Ar étaient familiarisés avec le Peuple des Araignées, mais il était visible que le contact de ses mandibules lui répugnait, et elle frissonna légèrement en essayant d'enlever la sécrétion sur les manches de sa tunique.

— Et aussi, reprit Nar, elle parle bien fort pour une créature douée de raison, n'est-ce pas ?

Oui, reconnus-je.

J'examinai la fille de l'Ubar qui avait maintenant triste mine. Son Costume de Dissimulation était éclaboussé de vase et d'eau du marais et, en plusieurs endroits, le lourd brocart s'était raidi et avait craqué. Les couleurs dominantes de son Costume de Dissimulation étaient de subtils rouges, jaunes et violets, disposés en plis compliqués qui se chevauchaient. Je devinais qu'il avait fallu des heures à ses esclaves pour la revêtir de ces tuniques. De nombreuses jeunes femmes libres de Gor, et presque toujours celles des Hautes Castes, portent des Costumes de Dissimulation quoique, bien sûr, leur tenue soit rarement aussi compliquée et splendidement ouvragée que celle de fille de l'Ubar. Les Costumes de Dissimulation remplissent la même fonction que les vêtements des musulmanes sur ma propre planète, mais ils sont indubitablement plus compliqués et plus encombrants. Normalement, les seuls hommes qui peuvent regarder une femme dévoilée sont le père et le mari. Dans le monde barbare de Gor, les Costumes de Dissimulation sont jugés nécessaires pour protéger les femmes des liens de fibres des tarniers pillards. Peu de guerriers risqueront leur vie pour capturer une femme qui est peut-être aussi laide qu'un tharlarion. Mieux vaut voler des esclaves, ce qui est un délit relativement mineur et permet de s'assurer plus aisément à l'avance des charmes de la captive.

Pour l'heure, les yeux de la fille de l'Ubar flambaient de fureur en me regardant par l'étroite ouverture dans son voile. Je remarquai qu'ils étaient verts, ardents, indomptés ; des yeux de fille d'Ubar, une jeune fille habituée à commander les hommes. Je constatai aussi, mais avec beaucoup moins de plaisir, que la fille de l'Ubar était nettement plus grande que moi. À vrai dire, son corps me semblait même quelque peu disproportionné.

Tu vas me relâcher immédiatement et chasser ce sale insecte ! déclara la fille de l'Ubar.

Les Araignées, en fait, sont des insectes particulièrement propres, fis-je observer, mes yeux lui indiquant que je trouvais ses vêtements dégoûtants par comparaison.

Elle haussa les épaules d'un air hautain.

Où est le tarn ? questionnai-je.

Tu devrais plutôt demander où est la Pierre du Foyer d'Ar !

— Où est le tarn? répétai-je, plus intéressé pour le moment par le sort de ma férocé monture que par le ridicule morceau de roche pour lequel j'avais risqué ma vie.

Je ne sais pas, dit-elle, et peu m'importe !

Que s'est-il passé ? Insistai-je.

— Je ne tiens pas à être questionnée davantage ! déclara-telle. De rage, je serrai les poings.

Alors, avec délicatesse, les mandibules de Nar se refermèrent sur son cou. Un soudain tremblement de peur secoua le corps lourdement vêtu de la jeune fille ses mains tentèrent d'écarter de sa gorge les implacables tenailles chitineuses. Apparemment, la gent Araignée n'était pas aussi inoffensive que la fille de l'Ubar l'avait supposé dans son arrogance.

— Dis-lui d'arrêter, haleta-t-elle en se contorsionnant dans l'étreinte de l'insecte, ses doigts essayant en vain de desserrer les mandibules.

Veux-tu sa tête ? demanda calmement la voix mécanique de Nar.

Je compris que l'insecte, qui laisserait exterminer son espèce plutôt que de faire du mal à une créature douée de raison, devait avoir quelque plan en tête, ou du moins je le présumai. En tout cas, je répondis :

— Oui !

Les mandibules commencèrent à se refermer sur la gorge comme les branches de ciseaux géants.

Arrête ! cria la jeune fille d'une voix qui était un chuchotement affolé.

Je fis signe à Nar de desserrer son étreinte.

— J'essayais de ramener le tarn à Ar, dit la jeune fille. Je n'avais jamais encore été sur un tarn. J'ai commis des erreurs. Il l'a compris. Il n'y avait pas d'aiguillon. Sur mon geste, Nar écarta ses mandibules du cou de la jeune fille.

— Nous étions quelque part au-dessus de la forêt marécageuse, reprit-elle, quand nous avons rencontré une compagnie de tarns sauvages. Ton tarn a attaqué le chef du groupe.

Elle frissonna à ce souvenir et je la plaignis de ce qui avait dû être une expérience terrifiante - être attachée sans pouvoir rien faire à la selle d'un tarn géant engagé dans une lutte à mort pour la possession d'une compagnie, à une grande hauteur au-dessus de la forêt marécageuse.

Ton tarn a tué l'autre, continua la jeune fille, et l'a suivi jusqu'au sol où il l'a mis en pièces. (Elle tremblait à cette évocation.) Je me suis dégagée, je me suis glissée sous son aile et j'ai couru me cacher dans les arbres. Au bout de quelques minutes, le bec et les serres tout pleins de sang et de plumes, ton tarn a pris son essor. Je l'ai vu pour la dernière fois à la tête du vol de tarns.

Et voilà, pensai-je, le tarn était redevenu sauvage, son instinct avait triomphé du sifflet, du souvenir des hommes

Et la Pierre du Foyer d'Ar? demandai-je.

Dans la sacoche de la selle, répondit-elle, confirmant mon hypothèse.

J'avais fermé la sacoche à clef quand j'y avais placé la Pierre du Foyer, et la sacoche fait partie intégrante de la selle du tarn. En parlant, la jeune fille avait eu une voix brûlante de honte et je compris l'humiliation qu'elle éprouvait de n'avoir pas sauvé la Pierre du Foyer.

Ainsi, à présent, le tarn était parti, retourné à l'état sauvage qui était sa vraie nature, la Pierre du Foyer était dans la sacoche, j'avais échoué, et la fille de l'Ubar avait échoué aussi, et nous nous retrouvions face à face sur une butte verdoyante dans la forêt marécageuse d'Ar.

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