Epilogue Le sifflet

Mercredi, 1er juin ; lundi et mardi 11 et 12 juillet Elle était allée chez elle.

Julia était retournée dans la ferme qui servait de résidence d'été à sa famille pour recevoir les soins réconfortants de sa mère qui venait le week-end voir ce qu'elle avait qui n'allait pas et lui cuisiner des petits plats. Elle savait gré au sergent-détective Emile Cinq-Mars des attentions qu'il avait eues pour elle - il l'avait décrite dans les médias comme la nana anonyme d'un motard rel‚chée, faute de preuves.

´ Tu es tombée amoureuse d'un Hell's Angel ? avait voulu savoir sa mère.

- Maman. Ne pose pas de questions.

- «a devait être terrible, non ? Tu es montée sur son Harley ? Tu n'as pas eu de rapports homosexuels, dis, Julia, ma chérie ?

- Maman ! ª

Le stratagème de l'inspecteur consistait à faire croire au plus grand nombre de voyous possible qu'ils s'étaient trompés à son sujet, qu'elle avait toujours été des leurs et non pas une taupe. S'il réussissait à semer le doute dans leur esprit, peut-être renonceraient-ils à assouvir leur vengeance. Il lui fallait aussi procéder adroitement avec ses collègues et la justice. Il ne voulait pas qu'on l'arrête pour la part, 565

quelle qu'elle f˚t, qu'elle avait prise dans cette histoire, car cela mettrait s˚rement sa vie en péril. Le plan pouvait ne pas marcher. Ils ne pouvaient

qu'espérer.

Julia savait que le Tsar avait compris qu'elle était une taupe, car elle lui avait parlé de Selwyn Noms lorsque, horrifiée par ce qu'elle avait vu et terrifiée à mort, il lui avait été impossible de résister plus longtemps à ses menaces. Au fond d'elle-même, elle ne croyait pas à la réussite du plan de Cinq-Mars. Le Tsar savait qu'elle l'avait trahi, qu'elle les avait tous trahis. Mais Emile Cinq-Mars continuait de l'inciter à la patience.

Elle demeurait donc seule à la ferme durant la semaine, essayant de s'occuper, faisant des puttings et s'employant tant bien que mal à quelques cultures dans le potager à l'abandon.

Un jour, une voiture arriva sur l'allée carrossable et la terreur lui donna des palpitations de cour. Elle s'enfuit dans les buissons et s'aplatit sur le ventre, l'oil aux aguets. A son grand soulagement, Okinder Boyle descendit de voiture. Elle fut ravie de le voir, car si elle avait un ami au monde, c'était bien lui. Elle l'entraîna dans la maison, lui servit une tasse de thé et lui donna un muffin aux canneberges qu'elle avait fait elle-même. Ć'est Emile qui m'envoie, lui dit-il.

- qu'est-ce qui se passe ? ª

On avait surpris un agent de police en train d'exhiber une photo d'elle sur le campus de l'université McGill pour essayer de vérifier sa véritable identité.

Ún flic ?

- Un ripou.

- C'est-à-dire ?

- Le Tsar est encore à vos trousses, Julia. Et alors il vous retrouvera tôt ou tard. Vous n'êtes plus en sécurité. ª

Elle éclata brusquement en larmes et Boyle la prit dans ses bras.

Lorsqu'elle se fut ressaisie, elle lui demanda ce qu'elle était censée faire.

Ńous avons eu une idée, Emile et moi. ª

Julia devait se rendre dans l'île o˘ il était né et 566

avait grandi. Un endroit suffisamment isolé pour qu'elle y soit en sécurité

et avec lequel elle n'avait aucun lien. Elle devait quitter la ferme familiale sur-le-champ et ne laisser aucune trace derrière elle. ´ Ma mère ?

- Appelez-la tout de suite. Dites-lui que vous devez partir. que vous ne pouvez pas lui dire o˘. Ne lui donnez aucun indice. Dites-lui que vous lui ferez signe dès que vous serez de nouveau en sécurité.

- quand ça ? ª

Boyle serra les dents. Mais lorsqu'il reprit la parole, ce fut d'une voix optimiste, positive. Émile dit que ça viendra. que vous devez tenir bon.

- Pourquoi faire ? qu'est-ce que ça changera ? qu'est-ce qui pourrait bien changer ?

- Emile dit qu'il se produira quelque chose. qu'il attend un signe. que tout sera alors différent. ª

Boyle avait dans l'île des relations disposées à fournir une chambre sans poser de questions. Il l'y conduirait dans une voiture de location puis reviendrait lui-même en ville. Ét o˘ est-ce ?

- Dans la Baie de Fundy. Au large de la côte nord de l'Etat du Maine. Au sud de l'île de Campobello, vous savez, là o˘ Roosevelt passait ses vacances ? Vous verrez, c'est particulier. ª

Sur l'île de Grand Manan, une route partant de la ville de North Head traverse vers l'ouest un haut plateau de bois et de p‚turages semés de fleurs sauvages vers un point de vue panoramique puis s'incline vers une plage de galets. De cet observatoire on voit toute la baie jusqu'à la côte du Maine et les touristes viennent y contempler le soir le coucher du soleil. Cet été-là, Julia Murdick avait parfois aperçu de là des baleines au large. Le Whistle - le Sifflet -, ainsi qu'on appelle ce point de vue panoramique, à cause du sifflet qui, par temps de brouillard, servait d'avertisseur avant que l'on ne construise un phare, attire 567

aussi les insulaires. Au tout début de son séjour dans l'île, un autochtone lui avait expliqué comment ´ distinguer les touristes des habitants du cru.

Les touristes regardent l'océan pour voir le soleil se coucher, les gens de l'endroit surveillent la route pour voir qui arrive par la colline ª. Le Sifflet est un endroit convivial o˘ l'on parle, rit et échange des plaisanteries, un milieu accueillant. On ne vous y pose pas de questions indiscrètes.

Le soir, Julia y descendait généralement boire une bière ou deux pour se mêler à la société locale o˘ fusaient les bons mots, les récits de pêcheurs, les contes d'antan. C'est un endroit joyeux. Comme son hôte le lui avait expliqué : ´ «a fait un endroit o˘ aller pour les gens qui ne savent pas o˘ aller. ª

Elle comprenait parfaitement cela. Elle-même était de ces gens à qui le Sifflet fournissait un but de promenade. On y était à l'aise, l'air y était vivifiant et, malgré l'isolement, on y était quelque part.

Elle faisait de longues promenades dans l'île, fl‚nait sur les plages de galets. Elle allait à la pêche au homard avec les hommes, qui se faisaient un plaisir de transmettre leur savoir-faire. La solitude lui pesait cependant. Elle ne montrait son tatouage à personne. Le sergent-détective Emile Cinq-Mars lui avait conseillé de ne pas le faire effacer tant que sa vie serait encore en danger. Elle risquait autrement d'attirer l'attention.

´ Mais quand ?

- «a viendra ª, lui avait-il promis. Un matin, Okinder Boyle frappa à la porte de cuisine de la maison o˘ elle habitait. Elle lui donna une accolade chaleureuse. Il commençait ses vacances et Julia fut enchantée de sa compagnie. Boyle, qui avait désormais sa propre rubrique consacrée à la criminalité, n'était plus un gratte-papier sous-paye. Ils avaient beaucoup de choses à se raconter, de sorte que la matinée et l'heure de midi passèrent vite. Il avait quelque chose à lui montrer : son île natale, 568

dont il était fier. Il mit à la mer un doris appartenant à son frère et l'emmena à Whale's Cove, à l'intérieur du barrage familial. Ce barrage avait été construit au moyen de pieux solides enfoncés dans le fond de la baie et reliés entre eux en forme de cour. A ces pieux étaient suspendus des filets dont l'extrémité principale était retenue sur la terre ferme. En suivant la marée dans l'anse en direction du rivage, les harengs se jetaient dans le filet. La forme de celui-ci faisait que les poissons, qui en épousaient les courbes, ne se déplaçaient que dans un sens sans jamais retrouver la sortie.

´ La sortie reste donc grande ouverte mais le poisson est pris au piège ?

- C'est ça. Ils ont l'habitude de longer le rivage. Ils nagent de même le long des bords du filet dont les courbes les dirigent de l'autre côté du barrage, à l'opposé de la sortie. Ils répètent inlassablement le même circuit en forme de huit modifié jusqu'à ce que le pêcheur vienne refermer le filet par le haut et fasse venir un chalutier pour vider la prise. ª

Julia pouvait comprendre cela, comprendre comment le poisson pouvait être piégé alors même que la sortie était aussi grande que l'entrée.

´ Julia, lui dit Boyle tandis qu'ils étaient ballottés sur l'eau. C'est terminé.

- qu'est-ce qui est terminé ?

- Regarde. ª

II tira du sac à dos qu'il avait emporté et qui contenait leur déjeuner la première page du New York Post. Elle regarda sur la une la photo de l'homme mort et lut l'article en page intérieure. ´ Je ne comprends pas, dit-elle finalement. On l'a abattu puis quelqu'un est venu découper sa chemise ? ª

Le défunt était de passage dans un hôpital de Baltimore.

´ Pour exposer sa poitrine. Tu ne reconnaîtras pas son visage, pas après l'impact des balles. Mais remarque le tatouage - l'Etoile à Huit Branches.

Et la cicatrice laissée par une opération chirurgicale. ª

Elle examina de nouveau la photo. Le Tsar était 569

mort et sous son visage recouvert, brillait l'horrible tatouage, un exemplaire plus élaboré que celui qu'elle portait elle-même.

´ Pourquoi aurait-on fait ça ? demanda-t-elle d'un ton incrédule. Je ne pige pas. qui tuerait un homme pour découper ensuite le devant de sa chemise ?

- C'est un cadeau pour toi, lui dit Boyle.

- quoi ? De qui ?

- Ton type de la CIA. Il voulait que tu le saches. ª Elle se tut.

Selwyn Noms avait fait assassiner le Russe. Il avait ordonné à l'assassin ou aux assassins de découper la chemise de la victime afin d'exposer l'Etoile à Huit Branches pour les journaux à sensation. Selwyn l'avait fait tuer pour ses propres raisons. Il avait attiré l'attention sur le tatouage pour qu'elle sache qu'elle était désormais saine et sauve. Ou qu'elle l'était davantage.

La presse décrivait la tuerie comme un massacre entre gangs rivaux. Un épisode de la guerre que se livraient les barons de la drogue. Julia Murdick savait quant à elle ce qu'il en était vraiment.

´ Vous allez rester ici quelque temps ? demanda-t-elle à Boyle.

- Deux semaines.

- Deux semaines de plus ne me feraient pas de mal. Vous pourriez peut-être me ramener ensuite en

ville ?

- Avec plaisir. Votre facteur risque a diminué, Julia. Mais vous savez, on n'est jamais s˚r à cent

pour cent.

- Risque ? ª Elle sourit. ´ Vous avez dit risque ? ª II lui rendit son sourire sans dissimuler son admiration.

Il rama pour sortir du barrage avant de remettre le moteur hors-bord du doris en marche.

Des phoques nageaient à tribord. Un guillemet, un oiseau noir aux ailes tachetées de blanc qu'elle avait appris à reconnaître durant son séjour, se laissa flotter dans leur sillage. Elle suivit longtemps du regard 570

ce petit oiseau qui nageait seul dans l'océan immense.

Bill Mathers n'était pas encore entré dans la ferme de Cinq-Mars que sa fille poussait déjà des cris à la vue des chevaux. Ils furent accueillis par Sandra Lowndes qui prit aussitôt l'enfant dans ses bras et conduisit ses invités au paddock le plus proche. Cinq-Mars sortit des écuries en s'époussetant. ´ Donna ! Bill ! Comment allez-vous ? ª Les retrouvailles furent chaleureuses par cet après-midi ensoleillé, quoique Cinq-Mars trouv

‚t étrange le sourire un peu trop appuyé qui demeura sur le visage de son coéquipier une fois finies les effusions initiales. Il s'approcha finalement discrètement de lui tandis qu'ils regardaient la fillette monter une vieille jument grise, sa mère marchant à côté d'elle pour la soutenir.

´ Pourquoi ce sourire sarcastique ?

- De quoi parles-tu, Emile ?

- «a ne te va pas. ª

La moue sarcastique s'élargit en un large sourire et, finalement, en un discret gloussement satisfait.

´ D'accord, demanda Cinq-Mars avec irritation. Accouche.

- Tu es s˚rement au courant de ce qui s'est passé à Baltimore.

- Oui. ª Cinq-Mars était en vacances au moment de l'assassinat. ÍI n'y a pas de quoi sourire. C'est d'une sauvagerie terrible. ª

L'air plus grave, Mathers acquiesça. Cinq-Mars avait raison, bien s˚r.

´ J'y suis pour quelque chose, avoua Cinq-Mars.

- Toi?

- C'est moi qui leur avais dit o˘ le trouver, c'est moi qui leur ai révélé

l'identité de son médecin.

- Tu as eu raison, Emile. C'est mieux comme ça.

- Ah oui ?

- Julia Murdick va rester en vie. N'est-ce pas ce que tu voulais ?

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- Oui, en effet ª, reconnut Cinq-Mars. Il suivait des yeux les chevaux, sa femme, l'enfant. Sa chienne, Sally, arriva en courant de l'arrière des écuries et se roula par terre à ses pieds.

´ Hier soir, commença le jeune inspecteur, j'ai regardé la télé.

- Il faut bien se distraire un peu, je suppose, commenta Cinq-Mars à mi-voix.

- Oh ? Toi, tu ne la regardes pas ? ª Cinq-Mars secoua la tête et haussa les sourcils.

´ «a m'arrive, admit-il.

- Sur la chaîne publique. Série noire ! Tu connais cette émission ? Hier, c'était Sherlock Holmes.

- Holmes est un mec bien. J'ai de l'admiration pour lui.

- C'est vrai ?

- Bien s˚r. L'intellect avant les muscles.

- Mais ce n'est pas une lavette. Il emploie les grands moyens quand il le faut. Hier soir, par exemple, Watson a été surpris en le voyant sortir un pistolet d'un tiroir. Il lui a demandé : "Nous y allons armés ?" Et Holmes a répondu - mais tu peux peut-être dire, toi Cinq-Mars, ce qu'il a répondu ? ª

Emile Cinq-Mars posa un pied sur l'échelon inférieur de la clôture du paddock sans quitter des yeux leurs épouses, la fillette, les chevaux.

L'été avait été chaud et les herbes courbées par la brise étaient hautes au-delà des clôtures, bien que la terre manqu‚t un peu d'eau.

Ć'est une sale histoire, Bill. Julia Murdick est saine et sauve, espérons-le. Le Tsar est mort mais un autre Russe le remplacera, tu peux en être s˚r. Nous avons failli à nos serments de policiers en participant à

l'assassinat d'un baron de la drogue. Pas d'inculpation. Pas de procès. Une exécution sommaire. Crois-tu que son remplaçant nous en saura gré ?

- Il ne nous associera pas à cet assassinat.

- Sans doute pas. Nous allons garder la chose secrète. Nous ajouterons la l‚cheté à la liste de nos transgressions.

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- Non, Emile.

- quoi ?

- Ne te flagelle pas.

- Tu crois que je donnerais cette satisfaction à mes ennemis ? Bill, dis-moi ce que Holmes a dit à Watson.

- Je t'en prie, toi.

- Portez toujours une arme à l'est d'Aldgate, Watson, cita gravement Cinq-Mars. C'est ça qu'il a dit. Il a raison. C'est une règle de pure logique à

laquelle j'essaie de me conformer. ª

Le petit sourire sarcastique reparut sur le visage de Bill Mathers.

´ D'accord, dit Cinq-Mars, dépité. Ote ce sourire de ton visage. Personne n'a jamais dit que tu n'étais pas un bon inspecteur. «a ne prouve pas non plus le contraire, tu as simplement de la chance. ª

Mathers ne se départit pas de son sourire.

Cinq-Mars glissa une jambe, puis la tête et les épaules, entre les traverses de la clôture. Le reste de son corps suivit. Mathers préféra passer par-dessus et ils se dirigèrent à pas lents vers l'enfant et les chevaux. ´ Holmes était un homme qui se fiait à son intelligence, à sa ruse, à ses capacités de déduction. Nous devrions tous avoir autant de chance. Il reconnaissait devoir parfois se rendre à l'est d'Aldgate, le quartier le plus dur de Londres, près des quais, et y aller armé. Pour nous, il ne s'agit plus seulement de cela. Nous sommes obligés d'aller à

l'est d'Aldgate et de négocier avec les criminels. D'autoriser le meurtre.

D'utiliser clandestinement des civils. A dire vrai, dans cette affaire, j'ai commencé par me lancer aux trousses de ma source, Selwyn Noms, et j'ai fini par conclure un pacte avec le diable en le laissant repartir libre comme l'air. Tu vas me dire que j'ai bien fait, Bill. Bien s˚r, c'est ce que je pouvais faire de mieux en l'occurrence, cela a sauvé cette jeune femme courageuse et idiote, je le sais, mais je veux te l'entendre dire.

J'accepte le raisonnement de Holmes quand il conseillait à Watson de toujours

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porter une arme à l'est d'Aldgate. La bêtise est inexcusable. Il y a des fois o˘ une arme est nécessaire. Mais nous ne sommes pas dans la fiction.

Une simple puissance de feu ne suffit plus désormais. Nous ne pouvons plus désormais lutter avec l'ennemi uniquement par la ruse et à coups d'expédients. A certains moments, nous avons intérêt à être impitoyables quand nous devons contourner la loi, autrement c'est l'ennemi qui le sera.

- Tu crois ? ª Mathers ne souriait plus. ´ Hélas oui, lui dit Cinq-Mars, et je n'ai pas l'intention d'opérer de cette manière si je peux l'éviter. Je sais o˘ une telle logique a conduit André. Pour Holmes, l'est d'Aldgate cela signifiait avoir une arme chargée. Pour nous, c'est synonyme d'escalade. qui sait o˘ ça finira ? Nos ennemis exploiteront instinctivement nos principes éthiques comme des faiblesses. Allons-nous le tolérer ? Allons-nous laisser gagner ces salauds ? Allons-nous nous réclamer de principes moraux, déclarer que nous restons dans les limites de la loi ? que le pays, la société, le monde occidental peuvent être détruits, que nous aurons au moins choisi une voie honorable, que c'est aux barbares d'en répondre devant Dieu ? Est-ce bien ce que nous voulons ? Ou allons-nous décider d'agir comme Norris et André ? Allons-nous devenir nos propres ennemis ? Allons-nous porter à la rencontre des voyous dans les rues ou dans leurs luxueuses propriétés de campagne et les traiter pour ce qu'ils sont - des ennemis, des guerriers dont seule la puissance de feu peut avoir raison ? Allons-nous nous conduire comme eux ? ª

Mathers laissa son regard errer sur les terres au loin. Il poussa un grand soupir. ´ Je pensais que nous avions gagné ª, affirma-t-il.

Cinq-Mars sourcilla. ´ Bill, il faut que tu cesses d'être aussi naÔf. Nous avons capturé l'assassin de Hagop Artinian et les Angels lui ont réservé le sort qu'il méritait. Tant mieux pour nous. Le hasard a voulu que le coupable soit un des nôtres, un flic honnête au début et qui, après être allé à l'est d'Aldgate, en est revenu corrompu puis en est mort. Peut-être sommes-nous tous fichus dès que nous franchissons cette ligne. Jusqu'ici, nous avons sauvé la vie de Julia, et Norris nous a débarrassés de notre adversaire commun, l'homme qui a essayé

de ruser avec moi pour que je la fasse sauter. Gitteridge a été liquidé.

Les Carcajous ont reçu carte blanche avec un énorme budget à cause de cet enfant qui a été tué, ce pauvre petit garçon. En attendant, la Rock Machine cherche à conclure un pacte avec les Ban-didos du Texas pour étoffer ses rangs. Je ne sais pas qui sont ces Bandidos, mais avons-nous besoin d'un autre gang international de motards dans le paysage ? quelque chose me dit que nous allons faire connaissance avec eux très bientôt. Alors en quoi sommes-nous plus avancés, Bill ? Tout a joué en notre faveur, nous avons connu quelques succès, mais dans l'ensemble, c'est un coup d'épée dans l'eau. ª

Une jument hennit bruyamment, ce qui fit rire l'enfant. Les chevaux, le chien, la fillette, les femmes et les inspecteurs s'ébattaient dans le soleil de cette belle journée, une journée mémorable, une chaude journée d'été dans un monde qu'on aurait dit libre et insouciant. Au bout de quelques instants, ils se retirèrent près du perron arrière autour d'un verre et d'un barbecue dont la fumée, poussée par le vent, monta en volutes dans le feuillage d'un érable pour s'évanouir dans le bleu du firmament.

C'était l'une de ces journées o˘ il semble que l'été ne finira plus, o˘

l'hiver n'est qu'un lointain souvenir peu susceptible de revivre, o˘ le monde semble totalement en paix avec lui-même. C'était une de ces journées o˘ l'on a envie de rêver et de se laisser vivre.

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