Épilogue
Le Noël 1823 s’annonçait bien. Mary avait préparé une dinde aux marrons que le chien Geb et le chat Trafalgar convoitaient depuis sa mise au four. Higgins négocierait une assiette correctement garnie pour ses deux compagnons et déboucherait une bouteille de Dom Pérignon provenant de sa cave, une sorte de crypte ressemblant à celle où il avait découvert la momie.
On soignait lady Suzanna au sein d’un hôpital psychiatrique. Elle se murait dans le silence et avait eu un dernier sourire en écoutant l’inspecteur-chef réitérer son serment de préserver la momie de toute atteinte. À présent, elle se trouvait en sécurité et nul savant, esclave de sa curiosité, ne pourrait l’examiner. Higgins avait d’ailleurs réuni un comité de défenseurs des momies, décidés à protéger ces corps osiriens, témoins remarquables de la spiritualité des anciens Égyptiens.
Se souvenant de l’avertissement du médium Peter Bergeray, il avait perçu le rôle exact de lady Suzanna quand elle s’était dévoilée en évoquant une possible communication avec les morts ou ceux que l’on considérait comme tels. La société moderne condamnait cette folie-là.
L’ex-avocate n’avait pas menti : les six profanateurs étaient sortis de leur léthargie. Condamné pour trafic de cadavres, Paul Tasquinio séjournait en prison, à l’instar du faux châtelain Andrew Yagab, reconnu coupable de trafic d’armes. Délaissant la scène, Peter Bergeray se consacrait à la voyance. Kristin Sadly dirigeait une poissonnerie, sir Richard Beaulieu venait d’être nommé professeur honoraire, et Francis Carmick continuait à faire de la politique.
Higgins ouvrit son courrier. La lettre du Traveller’s Club lui annonçait l’acceptation de la candidature de Giovanni Battista Belzoni, au terme de longues délibérations. Ce n’était, certes, qu’une modeste reconnaissance, mais elle lui rendrait Londres plus sympathique.
En feuilletant le Times au coin du feu, il apprit une triste nouvelle, effaçant la satisfaction de la précédente. Le 3 décembre 1823, le Titan de Padoue était mort de dysenterie au Bénin, alors qu’il était reparti en Afrique à la recherche des sources du Niger.
Mary servit le porto. Selon son habitude, elle avait lu le journal avant son légitime destinataire.
— Je l’aimais bien, moi, ce Belzoni, déclara-t-elle. Il nous changeait des lâches, des mollassons et des crétins qui mènent le monde à sa perte. Il en faudrait beaucoup, des aventuriers de cette trempe-là ! Allez vous changer. Ce soir, dîner de gala. Et dites à vos deux bêtes de se tenir correctement.
Après avoir revêtu son smoking, Higgins classa les carnets noirs de moleskine consacrés au procès de la momie. Un détail troublant lui revint en mémoire : la porte de la crypte semblait fermée de l’intérieur. Et il n’y avait là que le corps de Littlewood et la momie.
À la réflexion, l’inspecteur-chef s’était sans doute trompé. Quand son chien se dressa et posa ses pattes terreuses sur les épaules de son smoking, il décida de tourner la page et de se consacrer à la fête de la renaissance de la lumière.
FIN
[1]De cet ouvrage, publié en Angleterre en 1820 et réédité en 1979 sous le titre Voyages en Égypte et en Nubie (Pygmalion), nous avons tiré quantité de citations placées dans la bouche de Belzoni.
[2]Les assassins.
[3]Elle naîtra quelques années plus tard.
[4]Le terme de smog, désignant le brouillard typiquement britannique, n’était pas encore utilisé.
[5]Ramsès II.
[6]La Saison, The Season, durait de mai à août. Festivités, événements culturels et mondanités animaient le Tout-Londres.
[7]Le « Mille carré ».
[8]Ce nom dérive de « Paille Maille », un jeu ressemblant au croquet.
[9]Environ mille six cents kilomètres.
[10]Né à Lichfield le 14 juin 1780 et mort à Alexandrie le 30 octobre 1827.
[11]Né à Livourne (Italie) en 1775.
[12]Nous avons respecté la terminologie et le mode d’expression de Belzoni, de manière à bien percevoir ses émotions.
[13]Les ouchebtis, chargés d’effectuer certains travaux à la place du ressuscité dans l’autre monde.
[14]Ne pouvant pas déchiffrer le nom du roi, Belzoni qualifia la demeure de Séthi Ier de « tombe de l’Apis », en raison de la découverte d’un taureau momifié.
[15]Il s’agit, en réalité, de scènes extraites des « Livres funéraires royaux ». Ils retracent le parcours souterrain du soleil, auquel est assimilée l’âme du pharaon, et sa renaissance.
[16]Le ka de Ramsès II, Amon-Râ, Râ-Horakhty, et Ptah.
[17]La statue agenouillée de Paser, gouverneur de Nubie sous Ramsès II.
[18]Ils étaient protégés par les quatre fils d’Horus, symboles et garants de la résurrection.
[19]L’actuel Covent Garden.
[20]Il mourra fou et ruiné en 1840.
[21]Il sera le terrain de chasse de Jack l’Éventreur.
[22]Medou Neter.
[23]L’ancêtre de la baignoire.
[24]Buckingham ne sera occupé qu’en 1837.
[25]Livre des Morts, chapitre 30.
[26]L’œil est un hiéroglyphe qui signifie « créer, faire ».
[27]D’après un texte de Belzoni.
[28]Le Ramesseum (rive ouest de Thèbes) est le « temple des millions d’années » de Ramsès II, connu au XIXe siècle sous le nom de Memnon.
[29]Texte extrait du livre de Belzoni.
[30]Il s’agit des quatre vases aux noms de Hapy, Douamoutef, Kébehsénouf et Imsety. On les appelle « canopes » car, à l’époque grecque, on vénérait à Canope (l’actuel port d’Aboukir) un symbole d’Osiris ayant la forme d’une jarre surmontée d’un bouchon de pierre représentant le dieu de la résurrection. Lorsque les archéologues retrouvèrent des objets analogues consacrés aux fils d’Horus, en usage dès l’Ancien Empire, ils les désignèrent comme « vases canopes ».
[31]Orthographe admise dans certains pays francophones et, à nos yeux, justifiée.
[32]Des répondants (ouchebtis) provenant de la tombe de Séthi Ier.
[33]Ainsi nommé parce que le roi Charles Ier avait tenté de réorganiser la police.
[34]Le sarcophage d’albâtre de Séthi Ier, malheureusement très dégradé à cause de l’humidité de la pièce où il fut exposé, se trouve toujours au musée John Soane, à Londres.
[35]Cet obélisque se trouve toujours dans le parc de Kingston Lacy House (Dorsetshire).
[36]Ce bloc de basalte noir d’un mètre vingt sur quatre-vingt-dix centimètres et d’environ trente centimètres d’épaisseur, fut découvert à Rosette par le lieutenant Bouchard en juillet 1799 et « capturé par l’armée britannique en 1801 ». Il s’agit d’un décret du pharaon Ptolémée V.
[37]Forme tardive de l’écriture hiéroglyphique qui a perdu les signes originels.
[38]Il mettra effectivement fin à ses jours.
[39]Sir Robert Peel, qui fut le fondateur officiel de Scotland Yard en 1829.
[40]Il fallut presque deux ans de travail à deux dessinateurs, Ricci et Beechey, pour reproduire les bas-reliefs de la tombe de Séthi Ier.
[41]L’Américain Auguste Stanwood utilisa le procédé, à l’origine d’une épidémie de choléra qui le contraignit à l’abandonner.
[42]La rubrique, à savoir le début ou titre d’un texte. Le rouge (ruber) est la couleur de la puissance et de l’intensité.
[43]Le célèbre Livre des Morts, dont le titre exact est « Livre pour sortir dans la lumière ». Sont cités ici des extraits des chapitres 26, 180, 68, 2, 64, 15, 18, 24, 10, 11 et 58. Les traductions sont celles du grand égyptologue Paul Barguet qui m’a appris à lire les hiéroglyphes.