LÉLIE.
MASCARILLE.
Au nom de Jupiter[33], laissez-nous en repos,
Et ne nous chantez plus d'impertinens propos!
Un autre, après cela, quitteroit tout peut-être
Mais j'avois médité tantôt un coup de maître,
Dont tout présentement je veux voir les effets
A la charge que si...
LÉLIE.
De ne me mêler plus de rien dire ou rien faire.
MASCARILLE.
LÉLIE.
MASCARILLE.
Lélie sort.
Menons bien ce projet; la fourbe sera fine,
S'il faut qu'elle succède[34] ainsi que j'imagine.
Allons voir... Bon, voici mon homme justement.
SCÈNE IX.—PANDOLFE, MASCARILLE.
PANDOLFE.
MASCARILLE.
PANDOLFE.
Je suis mal satisfait de mon fils.
MASCARILLE.
Vous n'êtes pas le seul qui se plaigne de l'être:
Sa mauvaise conduite, insupportable en tout,
Met à chaque moment ma patience à bout[35].
PANDOLFE.
Ensemble.
MASCARILLE.
Toujours de son devoir je tâche à l'avertir,
Et l'on nous voit sans cesse avoir maille à partir[36].
A l'heure même encor nous avons eu querelle
Sur l'hymen d'Hippolyte, où[37] je le vois rebelle,
Où, par l'indignité d'un refus criminel,
Je le vois offenser le respect paternel.
PANDOLFE.
MASCARILLE.
PANDOLFE.
MASCARILLE.
Et comme l'innocence est toujours opprimée!
Si mon intégrité vous étoit confirmée,
Je suis auprès de lui gagé pour serviteur,
Vous me voudriez encor payer pour précepteur:
Oui, vous ne pourriez pas lui dire davantage
Que ce que je lui dis pour le faire être sage.
Monsieur, au nom de Dieu, lui fais-je[38] assez souvent,
Cessez de vous laisser conduire au premier vent;
Réglez-vous; regardez l'honnête homme de père
Que vous avez du ciel, comme on le considère;
Cessez de lui vouloir donner la mort au cœur,
Et, comme lui, vivez en personne d'honneur.
PANDOLFE.
MASCARILLE.
Ce n'est pas qu'en effet, dans le fond de son cœur,
Il ne tienne de vous des semences d'honneur;
Mais sa raison n'est pas maintenant la maîtresse.
Si je pouvois parler avecque hardiesse,
Vous le verriez dans peu soumis sans nul effort.
PANDOLFE.
MASCARILLE.
S'il étoit découvert; mais à votre prudence
Je le puis confier avec toute assurance.
PANDOLFE.
MASCARILLE.
Par l'amour qu'une esclave imprime à votre fils.
PANDOLFE.
De voir que je l'apprenne encore par ta bouche.
MASCARILLE.
PANDOLFE.
MASCARILLE.
A son devoir, sans bruit, désirez-vous le rendre?
Il faut... J'ai toujours peur qu'on nous vienne surprendre:
Ce seroit fait de moi, s'il savoit ce discours.
Il faut, dis-je, pour rompre à toute chose cours,
Acheter sourdement l'esclave idolâtrée,
Et la faire passer en une autre contrée.
Anselme a grand accès auprès de Truffaldin;
Qu'il aille l'acheter pour vous dès ce matin:
Après, si vous voulez en mes mains la remettre,
Je connois des marchands, et puis bien vous promettre
D'en retirer l'argent qu'elle pourra coûter,
Et, malgré votre fils, de la faire écarter;
Car enfin, si l'on veut qu'à l'hymen il se range
A cet amour naissant il faut donner le change;
Et de plus, quand bien même il seroit résolu[40],
Qu'il auroit pris le joug que vous avez voulu,
Cet autre objet, pouvant réveiller son caprice,
Au mariage encor peut porter préjudice.
PANDOLFE.
Je vois Anselme; va, je m'en vais faire effort
Pour avoir promptement cette esclave funeste,
Et la mettre en tes mains pour achever le reste.
MASCARILLE, seul.
Vive la fourberie, et les fourbes aussi!
SCÈNE X.—HIPPOLYTE, MASCARILLE.
HIPPOLYTE[41].
Je viens de tout entendre, et voir ton artifice:
A moins que de cela, l'eussé-je soupçonné?
Tu couches d'imposture[42], et tu m'en as donné.
Tu m'avois promis, lâche, et j'avois lieu d'attendre
Qu'on te verroit servir mes ardeurs pour Léandre,
Que du choix de Lélie, où l'on veut m'obliger,
Ton adresse et tes soins sauroient me dégager;
Que tu m'affranchirois du projet de mon père:
Et cependant ici tu fais tout le contraire!
Mais tu t'abuseras; je sais un sûr moyen
Pour rompre cet achat où tu pousses si bien;
Et je vais de ce pas...
MASCARILLE.
La mouche tout d'un coup à la tête vous monte[43],
Et, sans considérer s'il a raison ou non,
Votre esprit contre moi fait le petit démon.
J'ai tort, et je devrois, sans finir mon ouvrage,
Vous faire dire vrai, puisque ainsi l'on m'outrage.
HIPPOLYTE.
Traître, peux-tu nier ce que je viens d'ouïr?
MASCARILLE.
Ne va directement qu'à vous rendre service;
Que ce conseil adroit, qui semble être sans fard,
Jette dans le panneau l'un et l'autre vieillard,
Que mon soin par leurs mains ne veut avoir Célie,
Qu'à dessein de la mettre au pouvoir de Lélie;
Et faire que l'effet de cette invention
Dans le dernier excès[44] portant sa passion,
Anselme, rebuté de son prétendu gendre,
Puisse tourner son choix du côté de Léandre.
HIPPOLYTE.
Tu l'as formé pour moi, Mascarille?
MASCARILLE.
Mais, puisqu'on reconnoît si mal mes bons offices,
Qu'il me faut de la sorte essuyer vos caprices,
Et que, pour récompense, on s'en vient, de hauteur[45],
Me traiter de faquin, de lâche, d'imposteur,
Je m'en vais réparer l'erreur que j'ai commise,
Et dès ce même pas rompre mon entreprise.
HIPPOLYTE, l'arrêtant.
Et pardonne aux transports d'un premier mouvement.
MASCARILLE.
De détourner le coup qui si fort vous offense.
Vous ne vous plaindrez point de mes soins désormais.
Oui, vous aurez mon maître, et je vous le promets.
HIPPOLYTE.
J'ai mal jugé de toi, j'ai tort, je le confesse.
Tirant sa bourse.
Mais je veux réparer ma faute avec ceci.
Pourrois-tu te résoudre à me quitter ainsi?
MASCARILLE.
Mais votre promptitude est de mauvaise grâce.
Apprenez qu'il n'est rien qui blesse un noble cœur
Comme quand il peut voir qu'on le touche en l'honneur.
HIPPOLYTE.
MASCARILLE.
Mais déjà je commence à perdre mon courroux;
Il faut de ses amis endurer quelque chose.
HIPPOLYTE.
Et crois-tu que l'effet de tes desseins hardis
Produise à mon amour le succès que tu dis?
MASCARILLE.
J'ai des ressorts tout prêts pour diverses machines,
Et, quand ce stratagème à nos vœux manqueroit,
Ce qu'il ne feroit pas, un autre le feroit.
HIPPOLYTE.
MASCARILLE.
HIPPOLYTE.
Je te quitte; mais songe à bien agir pour moi.
SCÈNE XI.—LÉLIE, MASCARILLE.
LÉLIE.
Mais ta lenteur d'agir est pour moi sans pareille.
Sans que[46] mon bon génie au-devant m'a poussé,
Déjà tout mon bonheur eût été renversé.
C'étoit fait de mon bien, c'étoit fait de ma joie,
D'un regret éternel je devenois la proie;
Bref, si je ne me fusse en ces lieux rencontré,
Anselme avoit l'esclave, et j'en étois frustré,
Il l'emmenoit chez lui: mais j'ai paré l'atteinte,
J'ai détourné le coup, et tant fait que, par crainte,
Le pauvre Truffaldin l'a retenue.
MASCARILLE.
Quand nous serons à dix, nous ferons une croix.
C'étoit par mon adresse, ô cervelle incurable!
Qu'Anselme entreprenoit cet achat favorable;
Entre mes propres mains on la devoit livrer;
Et vos soins endiablés nous en viennent sevrer.
Et puis pour votre amour je m'emploierois encore!
J'aimerois mieux cent fois être grosse pécore,
Devenir cruche, chou, lanterne, loup-garou,
Et que monsieur Satan vous vînt tordre le cou!
LÉLIE, seul.
ACTE II
SCÈNE I.—LÉLIE, MASCARILLE.
MASCARILLE.
Malgré tous mes sermens, je n'ai pu m'en défendre,
Et pour vos intérêts, que je voulois laisser,
En de nouveaux périls viens de m'embarrasser.
Je suis ainsi facile; et si de Mascarille
Madame la nature avoit fait une fille,
Je vous laisse à penser ce que ç'auroit été.
Toutefois n'allez pas, sur cette sûreté,
Donner de vos revers au projet que je tente,
Me faire une bévue, et rompre mon attente.
Auprès d'Anselme encor nous vous excuserons,
Pour en pouvoir tirer ce que nous désirons,
Mais, si dorénavant votre imprudence éclate,
Adieu, vous dis[48], mes soins pour l'objet qui vous flatte.
LÉLIE.
Tu verras seulement...
MASCARILLE.
J'ai commencé pour vous un hardi stratagème.
Votre père fait voir une paresse extrême
A rendre par sa mort tous vos désirs contents;
Je viens de le tuer (de parole, j'entends):
Je fais courir le bruit que d'une apoplexie
Le bonhomme surpris a quitté cette vie.
Mais avant, pour pouvoir mieux feindre ce trépas,
J'ai fait que vers sa grange il a porté ses pas;
On est venu lui dire et par mon artifice,
Que les ouvriers[49] qui sont après son édifice,
Parmi les fondemens qu'ils en jettent encor,
Avoient fait par hasard rencontre d'un trésor.
Il a volé d'abord; et, comme à la campagne
Tout son monde à présent, hors nous deux, l'accompagne,
Dans l'esprit d'un chacun je le tue aujourd'hui,
Et produis un fantôme enseveli pour lui.
Enfin, je vous ai dit à quoi je vous engage.
Jouez bien votre rôle: et, pour mon personnage,
Si vous apercevez que j'y manque d'un mot,
Dites absolument que je ne suis qu'un sot.
SCÈNE II.—LÉLIE.
Pour adresser mes vœux au comble de leur joie;
Mais, quand d'un bel objet on est bien amoureux,
Que ne feroit-on pas pour devenir heureux?
Si l'amour est au crime une assez belle excuse,
Il en peut bien servir à la petite ruse
Que sa flamme aujourd'hui me force d'approuver,
Par la douceur du bien qui m'en doit arriver.
Juste ciel! qu'ils sont prompts! Je les vois en parole.
Allons nous préparer à jouer notre rôle.
SCÈNE III.—ANSELME, MASCARILLE.
MASCARILLE.
ANSELME.
MASCARILLE.
Je lui sais mauvais gré d'une telle incartade.
ANSELME.
MASCARILLE.
ANSELME.
MASCARILLE.
Il s'est fait en maints lieux contusion et bosse,
Et veut accompagner son papa dans la fosse:
Enfin, pour achever, l'excès de son transport
M'a fait en grande hâte ensevelir le mort,
De peur que cet objet, qui le rend hypocondre,
A faire un vilain coup ne me l'allât semondre[51].
ANSELME.
Outre qu'encore un coup j'aurois voulu le voir,
Qui tôt ensevelit bien souvent assassine;
Et tel est cru défunt, qui n'en a que la mine.
MASCARILLE.
Au reste, pour venir au discours de tantôt,
Lélie (et l'action lui sera salutaire)
D'un bel enterrement veut régaler son père,
Et consoler un peu ce défunt de son sort,
Par le plaisir de voir faire honneur à sa mort
Il hérite beaucoup; mais, comme en ses affaires
Il se trouve assez neuf et ne voit encor guères,
Que son bien la plupart n'est point en ces quartiers,
Ou que ce qu'il y tient consiste en des papiers,
Il voudroit vous prier, en suite de l'instance[52],
D'excuser de tantôt son trop de violence,
De lui prêter au moins pour ce dernier devoir[53].
ANSELME.
MASCARILLE, seul.
Tâchons à ce progrès que le reste réponde;
Et, de peur de trouver dans le port un écueil,
Conduisons le vaisseau de la main et de l'œil.
SCÈNE IV.—ANSELME, LÉLIE, MASCARILLE.
ANSELME.
Le voir empaqueté de cette étrange sorte.
Las! en si peu de temps! il vivoit ce matin!
MASCARILLE.
LÉLIE, pleurant.
ANSELME.
On n'a point pour la mort de dispense de Rome.
LÉLIE.
ANSELME.
LÉLIE.
ANSELME.
Ne perdroit pas un coup de ses dents meurtrières;
Tout le monde y passe.
LÉLIE.
MASCARILLE.
Ce deuil enraciné ne se peut arracher.
ANSELME.
Mon cher Lélie, au moins faites qu'il se modère.
LÉLIE.
MASCARILLE.
ANSELME.
J'apporte ici l'argent qui vous est nécessaire
Pour faire célébrer les obsèques d'un père.
LÉLIE.
MASCARILLE.
Il ne peut, sans mourir, songer à ce malheur.
ANSELME.
Que je suis débiteur d'une plus grande somme:
Mais, quand par ces raisons je ne vous devrois rien,
Vous pourriez librement disposer de mon bien.
Tenez, je suis tout vôtre, et le ferai paroître.
LÉLIE, s'en allant.
MASCARILLE.
ANSELME.
Qu'il me fît de sa main un reçu de deux mots.
MASCARILLE.
ANSELME.
MASCARILLE.
ANSELME.
MASCARILLE.
Donnez-lui le loisir de se désattrister[54];
Et, quand ses déplaisirs prendront quelque allégeance[55],
J'aurai soin d'en tirer d'abord votre assurance.
Adieu. Je sens mon cœur qui se gonfle d'ennui,
Et m'en vais tout mon soûl pleurer avecque lui.
Ah!
ANSELME, seul.
Chaque homme tous les jours en ressent de diverses;
Et jamais ici-bas...
SCÈNE V.—PANDOLFE, ANSELME.
ANSELME.
Pandolfe qui revient! Fût-il bien endormi[56]!
Comme depuis sa mort sa face est amaigrie!
Las! ne m'approchez pas de plus près, je vous prie,
J'ai trop de répugnance à coudoyer un mort.
PANDOLFE.
ANSELME.
Si pour me dire adieu vous prenez tant de peine,
C'est trop de courtoisie, et véritablement
Je me serois passé de votre compliment.
Si votre âme est en peine, et cherche des prières,
Las! je vous en promets, et ne m'effrayez guères!
Foi d'homme épouvanté, je vais faire à l'instant
Prier tant Dieu pour vous, que vous serez content.
Disparoissez donc, je vous prie,
Et que le ciel, par sa bonté,
Comble de joie et de santé
Votre défunte seigneurie.
PANDOLFE, riant.
ANSELME.
PANDOLFE.
Qui traite de défunt une personne en vie?
ANSELME.
PANDOLFE.
ANSELME.
J'en ai senti dans l'âme une douleur mortelle.
PANDOLFE.
ANSELME.
D'un corps aérien qui contrefait le vôtre,
Mais qui dans un moment peut devenir tout autre.
Je crains fort de vous voir comme un géant grandir,
Et tout votre visage affreusement laidir[59].
Pour Dieu! ne prenez point de vilaine figure,
J'ai prou[60] de ma frayeur en cette conjoncture.
PANDOLFE.
Dont vous accompagnez votre crédulité,
Anselme, me seroit un charmant badinage,
Et j'en prolongerois le plaisir davantage:
Mais, avec cette mort, un trésor supposé,
Dont parmi les chemins[61] on m'a désabusé,
Fomente dans mon âme un soupçon légitime.
Mascarille est un fourbe, et fourbe fourbissime,
Sur qui ne peuvent rien la crainte et le remords,
Et qui pour ses desseins a d'étranges ressorts.
ANSELME.