M'auroit-on joué pièce et fait supercherie?
Ah! vraiment, ma raison, vous seriez fort jolie!
Touchons un peu pour voir: en effet, c'est bien lui.
Malepeste du sot que je suis aujourd'hui!
De grâce, n'allez pas divulguer un tel conte;
On en feroit jouer quelque farce à ma honte:
Mais, Pandolfe, aidez-moi vous-même à retirer
L'argent que j'ai donné pour vous faire enterrer.

PANDOLFE.

De l'argent, dites-vous? Ah! c'est donc l'enclouure[62]!
Voilà le nœud secret de toute l'aventure!
A votre dam[63]. Pour moi, sans m'en mettre en souci,
Je vais faire informer[64] de cette affaire ici
Contre ce Mascarille; et, si l'on peut le prendre,
Quoi qu'il puisse coûter, je le veux faire pendre.

ANSELME, seul.

Et moi, la bonne dupe à trop croire un vaurien,
Il faut donc qu'aujourd'hui je perde et sens et bien
Il me sied bien, ma foi, de porter tête grise,
Et d'être encor si prompt à faire une sottise;
D'examiner si peu sur un premier rapport...
Mais je vois...

SCÈNE VI.—LÉLIE, ANSELME.

LÉLIE, sans voir Anselme.

Maintenant, avec ce passe-port,
Je puis à Truffaldin rendre aisément visite.

ANSELME.

A ce que je puis voir, votre douleur vous quitte?

LÉLIE.

Que dites-vous? Jamais elle ne quittera
Un cœur qui chèrement toujours la nourrira.

ANSELME.

Je reviens sur mes pas vous dire avec franchise
Que tantôt avec vous j'ai fait une méprise;
Que parmi ces louis, quoiqu'ils semblent très-beaux,
J'en ai, sans y penser, mêlés que je tiens faux;
Et j'apporte sur moi de quoi mettre en leur place.
De nos faux monnoyeurs l'insupportable audace
Pullule en cet État d'une telle façon,
Qu'on ne reçoit plus rien qui soit hors de soupçon.
Mon Dieu! qu'on feroit bien de les faire tous pendre!

LÉLIE.

Vous me faites plaisir de les vouloir reprendre;
Mais je n'en ai point vu de faux, comme je croi.

ANSELME.

Je les connoîtrai bien: montrez, montrez-les-moi.
Est-ce tout?

LÉLIE.

Oui.

ANSELME.

Tant mieux. Enfin je vous raccroche,
Mon argent bien-aimé; rentrez dedans ma poche;
Et vous, mon brave escroc, vous ne tenez plus rien.
Vous tuez donc des gens qui se portent fort bien?
Et qu'auriez-vous donc fait sur moi, chétif beau-père?
Ma foi, je m'engendrois[65] d'une belle manière,
Et j'allois prendre en vous un beau-fils fort discret[66]!
Allez, allez mourir de honte et de regret.

LÉLIE, seul.

Il faut dire: J'en tiens. Quelle surprise extrême!
D'où peut-il avoir su sitôt le stratagème?

SCÈNE VII.—LÉLIE, MASCARILLE.

MASCARILLE.

Quoi! vous étiez sorti? Je vous cherchois partout.
Eh bien, en sommes-nous enfin venus à bout?
Je le donne en six coups au fourbe le plus brave.
Çà, donnez-moi que j'aille acheter notre esclave:
Votre rival après sera bien étonné.

LÉLIE.

Ah! mon pauvre garçon, la chance a bien tourné!
Pourrois-tu de mon sort deviner l'injustice?

MASCARILLE.

Quoi! que seroit-ce?

LÉLIE.

Anselme, instruit de l'artifice,
M'a repris maintenant tout ce qu'il nous prêtoit,
Sous couleur de changer de l'or que l'on doutoit[67].

MASCARILLE.

Vous vous moquez peut-être?

LÉLIE.

Il est trop véritable.

MASCARILLE.

Tout de bon?

LÉLIE.

Tout de bon; j'en suis inconsolable.
Tu te vas emporter d'un courroux sans égal.

MASCARILLE.

Moi, monsieur! Quelque sot[68]: la colère fait mal,
Et je veux me choyer, quoi qu'enfin il arrive.
Que Célie, après tout, soit ou libre ou captive,
Que Léandre l'achète, ou qu'elle reste là,
Pour moi, je m'en soucie autant que de cela.

LÉLIE.

Ah! n'aye point pour moi si grande indifférence,
Et sois plus indulgent à ce peu d'imprudence!
Sans ce dernier malheur, ne m'avoueras-tu pas
Que j'avois fait merveille, et qu'en ce feint trépas
J'éludois un chacun[69] d'un deuil si vraisemblable,
Que les plus clairvoyans l'auroient cru véritable?

MASCARILLE.

Vous avez en effet sujet de vous louer.

LÉLIE.

Eh bien, je suis coupable, et je veux l'avouer.
Mais, si jamais mon bien te fut considérable[70],
Répare ce malheur, et me sois secourable.

MASCARILLE.

Je vous baise les mains; je n'ai pas le loisir.

LÉLIE.

Mascarille! mon fils!

MASCARILLE.

Point.

LÉLIE.

Fais-moi ce plaisir.

MASCARILLE.

Non, je n'en ferai rien.

LÉLIE.

Si tu m'es inflexible
Je m'en vais me tuer.

MASCARILLE.

Soit; il vous est loisible.

LÉLIE.

Je ne puis te fléchir?

MASCARILLE.

Non.

LÉLIE.

Vois-tu le fer prêt?

MASCARILLE.

Oui.

LÉLIE.

Je vais le pousser.

MASCARILLE.

Faites ce qu'il vous plaît.

LÉLIE.

Tu n'auras pas regret de m'arracher la vie?

MASCARILLE.

Non.

LÉLIE.

Adieu, Mascarille.

MASCARILLE.

Adieu, monsieur Lélie.

LÉLIE.

Quoi!...

MASCARILLE.

Tuez-vous donc vite. Ah! que de longs devis[71]!

LÉLIE.

Tu voudrois bien, ma foi, pour avoir mes habits,
Que je fisse le sot, et que je me tuasse.

MASCARILLE.

Savois-je pas qu'enfin ce n'étoit que grimace;
Et, quoi que ces esprits jurent d'effectuer,
Qu'on n'est point aujourd'hui si prompt à se tuer?

SCÈNE VIII.—TRUFFALDIN, LÉANDRE, LÉLIE, MASCARILLE.

Truffaldin parle bas à Léandre dans le fond du théâtre.

LÉLIE.

Que vois-je? mon rival et Truffaldin ensemble!
Il achète Célie; ah! de frayeur je tremble.

MASCARILLE.

Il ne faut point douter qu'il fera ce qu'il peut,
Et, s'il a de l'argent, qu'il pourra ce qu'il veut.
Pour moi, j'en suis ravi. Voilà la récompense
De vos brusques erreurs, de votre impatience.

LÉLIE.

Que dois-je faire? dis; veuille me conseiller.

MASCARILLE.

Je ne sais.

LÉLIE.

Laisse-moi, je vais le quereller.

MASCARILLE.

Qu'en arrivera-t-il?

LÉLIE.

Que veux-tu que je fasse
Pour empêcher ce coup?

MASCARILLE.

Allez, je vous fais grâce;
Je jette encore un œil pitoyable[72] sur vous,
Laissez-moi l'observer; par des moyens plus doux
Je vais, comme je crois, savoir ce qu'il projette.
Lélie sort.

TRUFFALDIN, à Léandre.

Quand on viendra tantôt, c'est une affaire faite.
Truffaldin sort.

MASCARILLE, à part, en s'en allant.

Il faut que je l'attrape, et que de ses desseins
Je sois le confident, pour mieux les rendre vains.

LÉANDRE, seul.

Grâces au ciel, voilà mon bonheur hors d'atteinte;
J'ai su me l'assurer, et je n'ai plus de crainte.
Quoi que désormais puisse entreprendre un rival,
Il n'est plus en pouvoir de me faire du mal.

SCÈNE IX[73].—LÉANDRE, MASCARILLE.

MASCARILLE dit ces deux vers dans la maison, et entre sur le théâtre.

MASCARILLE

Aïe! aïe! à l'aide! au meurtre! au secours! on m'assomme!
Ah! ah! ah! ah! ah! ah! O traître! ô bourreau d'homme!

LÉANDRE.

D'où procède cela? Qu'est-ce? que te fait-on?

MASCARILLE.

On vient de me donner deux cents coups de bâton.

LÉANDRE.

Qui?

MASCARILLE.

Lélie.

LÉANDRE.

Et pourquoi?

MASCARILLE.

Pour une bagatelle
Il me chasse, et me bat d'une façon cruelle.

LÉANDRE.

Ah! vraiment il a tort.

MASCARILLE.

Mais, ou je ne pourrai,
Ou je jure bien fort que je m'en vengerai.
Oui, je te ferai voir, batteur que Dieu confonde,
Que ce n'est pas pour rien qu'il faut rouer le monde;
Que je suis un valet, mais fort homme d'honneur,
Et qu'après m'avoir eu quatre ans pour serviteur,
Il ne me falloit pas payer en coups de gaules,
Et me faire un affront si sensible aux épaules.
Je te le dis encor, je saurai m'en venger:
Une esclave te plaît, tu voulois m'engager
A la mettre en tes mains, et je veux faire en sorte
Qu'un autre te l'enlève, ou le diable m'emporte.

LÉANDRE.

Écoute, Mascarille, et quitte ce transport.
Tu m'as plu de tout temps, et je souhaitois fort
Qu'un garçon comme toi, plein d'esprit et fidèle,
A mon service un jour pût attacher son zèle:
Enfin, si le parti te semble bon pour toi,
Si tu veux me servir, je t'arrête avec moi.

MASCARILLE.

Oui, monsieur, d'autant mieux que le destin propice
M'offre[74] à me bien venger, en vous rendant service,
Et que dans mes efforts pour vos contentemens,
Je puis à mon brutal trouver des châtimens:
De Célie, en un mot, par mon adresse extrême...

LÉANDRE.

Mon amour s'est rendu cet office lui-même.
Enflammé d'un objet qui n'a point de défaut,
Je viens de l'acheter moins encor qu'il ne vaut.

MASCARILLE.

Quoi! Célie est à vous?

LÉANDRE.

Tu la verrois paroître,
Si de mes actions j'étois tout à fait maître:
Mais quoi! mon père l'est: comme il a volonté,
Ainsi que je l'apprends d'un paquet apporté[75],
De me déterminer à l'hymen d'Hippolyte,
J'empêche qu'un rapport de tout ceci l'irrite,
Donc avec Truffaldin (car je sors de chez lui)
J'ai voulu tout exprès agir au nom d'autrui;
Et, l'achat fait, ma bague est la marque choisie
Sur laquelle au premier il doit livrer Célie.
Je songe auparavant à chercher les moyens
D'ôter aux yeux de tous ce qui charme les miens,
A trouver promptement un endroit favorable
Où puisse être en secret cette captive aimable.

MASCARILLE.

Hors de la ville un peu, je puis avec raison
D'un vieux parent que j'ai vous offrir la maison,
Là vous pourrez la mettre avec toute assurance,
Et de cette action nul n'aura connoissance.

LÉANDRE.

Oui, ma foi, tu me fais un plaisir souhaité.
Tiens donc, et va pour moi prendre cette beauté.
Dès que par Truffaldin ma bague sera vue,
Aussitôt en tes mains elle sera rendue,
Et dans cette maison tu me la conduiras,
Quand... Mais chut, Hippolyte est ici sur nos pas.

SCÈNE X.—HIPPOLYTE, LÉANDRE, MASCARILLE.

HIPPOLYTE.

Je dois vous annoncer, Léandre, une nouvelle;
Mais la trouverez-vous agréable ou cruelle?

LÉANDRE.

Pour en pouvoir juger et répondre soudain,
Il faudroit la savoir.

HIPPOLYTE.

Donnez-moi donc la main
Jusqu'au temple; en marchant je pourrai vous l'apprendre.

LÉANDRE, à Mascarille.

Va, va-t'en me servir sans davantage attendre.

SCÈNE XI.—MASCARILLE.

Oui, je vais te servir d'un plat de ma façon.
Fut-il jamais au monde un plus heureux garçon?
Oh! que dans un moment Lélie aura de joie!
Sa maîtresse en nos mains tomber par cette voie!
Recevoir tout son bien d'où l'on attend le mal!
Et devenir heureux par la main d'un rival!
Après ce rare exploit, je veux que l'on s'apprête
A me peindre en héros, un laurier sur la tête,
Et qu'au bas du portrait on mette en lettres d'or:
Vivat Mascarillus, fourbum imperator!

SCÈNE XII.—TRUFFALDIN, MASCARILLE.

MASCARILLE.

Holà!

TRUFFALDIN.

Que voulez-vous?

MASCARILLE.

Cette bague connue
Vous dira le sujet qui cause ma venue.

TRUFFALDIN.

Oui, je reconnois bien la bague que voilà,
Je vais querir l'esclave; arrêtez un peu là.

SCÈNE XIII.—TRUFFALDIN, UN COURRIER, MASCARILLE.

LE COURRIER, à Truffaldin.

Seigneur, obligez-moi de m'enseigner un homme...

TRUFFALDIN.

Et qui?

LE COURRIER.

Je crois que c'est Truffaldin qu'il se nomme.

TRUFFALDIN.

Et que lui voulez-vous? Vous le voyez ici.

LE COURRIER.

Lui rendre seulement la lettre que voici.

TRUFFALDIN lit.

«Le ciel, dont la bonté prend souci de ma vie,
«Vient de me faire ouïr, par un bruit assez doux,
«Que ma fille, à quatre ans par des voleurs ravie,
«Sous le nom de Célie est esclave chez vous.
«Si vous sûtes jamais ce que c'est qu'être père,
«Et vous trouvez sensible aux tendresses du sang,
«Conservez-moi chez vous cette fille si chère,
«Comme si de la vôtre elle tenoit le rang.
«Pour l'aller retirer je pars d'ici moi-même,
«Et vous vais de vos soins récompenser si bien,
«Que par votre bonheur, que je veux rendre extrême,
«Vous benirez le jour où vous causez le mien.
«De Madrid.
«Don Pedro de Gusman,
«Marquis de Montalcane.»
Il continue.
Quoiqu'à leur nation bien peu de foi soit due[76],
Ils me l'avoient bien dit, ceux qui me l'ont vendue,
Que je verrois dans peu quelqu'un la retirer,
Et que je n'aurois pas sujet d'en murmurer;
Et cependant j'allois, par mon impatience,
Perdre aujourd'hui les fruits d'une haute espérance.
Au courrier.
Un seul moment plus tard, tous vos pas étoient vains,
J'allois mettre en l'instant cette fille en ses mains
Mais suffit; j'en aurai tout le soin qu'on désire.
Le courrier sort.
A Mascarille.
Vous-même vous voyez ce que je viens de lire.
Vous direz à celui qui vous a fait venir
Que je ne lui saurois ma parole tenir;
Qu'il vienne retirer son argent.

MASCARILLE.

Mais l'outrage
Que vous lui faites.

TRUFFALDIN.

Va, sans causer davantage.

MASCARILLE, seul.

Ah! le fâcheux paquet[77] que nous venons d'avoir!
Le sort a bien donné la baie[78] à mon espoir;
Et bien à la malheure[79] est-il venu d'Espagne,
Ce courrier que la foudre ou la grêle accompagne.
Jamais, certes, jamais plus beau commencement
N'eut en si peu de temps plus triste événement.

SCÈNE XIV.—LÉLIE, riant, MASCARILLE.

MASCARILLE.

Quel beau transport de joie à présent vous inspire?

LÉLIE.

Laisse-m'en rire encore avant que te le dire.

MASCARILLE.

Çà, rions donc bien fort, nous en avons sujet.

LÉLIE.

Ah! je ne serai plus de tes plaintes l'objet.
Tu ne me diras plus, toi qui toujours me cries,
Que je gâte en brouillon toutes tes fourberies:
J'ai bien joué moi-même un tour des plus adroits.
Il est vrai, je suis prompt, et m'emporte parfois:
Mais pourtant, quand je veux, j'ai l'imaginative[80]
Aussi bonne, en effet, que personne qui vive;
Et toi-même avoueras que ce que j'ai fait part
D'une pointe d'esprit où peu de monde a part.

MASCARILLE.

Sachons donc ce qu'a fait cette imaginative.

LÉLIE.

Tantôt, l'esprit ému d'une frayeur bien vive
D'avoir vu Truffaldin avecque mon rival,
Je songeois à trouver un remède à ce mal,
Lorsque, me ramassant tout entier en moi-même,
J'ai conçu, digéré, produit un stratagème
Devant qui tous les tiens, dont tu fais tant de cas,
Doivent, sans contredit, mettre pavillon bas.

MASCARILLE.

Mais qu'est-ce?

LÉLIE.

Ah! s'il te plaît, donne-toi patience.
J'ai donc feint une lettre avecque diligence,
Comme d'un grand seigneur écrite à Truffaldin,
Qui mande qu'ayant su, par un heureux destin,
Qu'une esclave qu'il tient sous le nom de Célie
Est sa fille, autrefois par des voleurs ravie,
Il veut la venir prendre, et le conjure au moins
De la garder toujours, de lui rendre des soins;
Qu'à ce sujet il part d'Espagne, et doit pour elle
Par de si grands présens reconnoître son zèle,
Qu'il n'aura point regret de causer son bonheur.

MASCARILLE.

Fort bien.

LÉLIE.

Écoute donc, voici bien le meilleur.
La lettre que je dis a donc été remise;
Mais sais-tu bien comment? En saison si bien prise,
Que le porteur m'a dit que, sans ce trait falot[81],
Un homme l'emmenoit, qui s'est trouvé fort sot.

MASCARILLE.

Vous avez fait ce coup sans vous donner au diable?

LÉLIE.

Oui. D'un tour si subtil m'aurois-tu cru capable?
Loue au moins mon adresse, et la dextérité
Dont je romps d'un rival le dessein concerté.

MASCARILLE.

A vous pouvoir louer selon votre mérite,
Je manque d'éloquence, et ma force est petite.
Oui, pour bien étaler cet effort relevé,
Ce bel exploit de guerre à nos yeux achevé,
Ce grand et rare effet d'une imaginative
Qui ne cède en vigueur à personne qui vive,
Ma langue est impuissante, et je voudrois avoir
Celles de tous les gens du plus exquis savoir.
Pour vous dire en beaux vers, ou bien en docte prose,
Que vous serez toujours, quoi que l'on se propose,
Tout ce que vous avez été durant vos jours;
C'est-à-dire, un esprit chaussé tout à rebours[82],
Une raison malade et toujours en débauche,
Un envers du bon sens, un jugement à gauche,
Un brouillon, une bête, un brusque[83], un étourdi,
Que sais-je? un... cent fois plus encor que je ne di.
C'est faire en abrégé votre panégyrique.

LÉLIE.

Apprends-moi le sujet qui contre moi te pique:
Ai-je fait quelque chose? Éclaircis-moi ce point.

MASCARILLE.

Non, vous n'avez rien fait; mais ne me suivez point.

LÉLIE.

Je te suivrai partout pour savoir ce mystère.

MASCARILLE.

Oui? Sus donc, préparez vos jambes à bien faire,
Car je vais vous fournir de quoi les exercer.

LÉLIE, seul.

Il m'échappe. O malheur qui ne se peut forcer[84]
Aux discours qu'il m'a faits que saurois-je comprendre,
Et quel mauvais office aurois-je pu me rendre?

ACTE III

SCÈNE I.—MASCARILLE.

Taisez-vous, ma bonté[85], cessez votre entretien;
Vous êtes une sotte, et je n'en ferai rien.
Oui, vous avez raison, mon courroux, je l'avoue
Relier tant de fois ce qu'un brouillon dénoue,
C'est trop de patience, et je dois en sortir,
Après de si beaux coups qu'il a su divertir[86].
Mais aussi raisonnons un peu sans violence.
Si je suis maintenant ma juste impatience,
On dira que je cède à la difficulté;
Que je me trouve à bout de ma subtilité:
Et que deviendra lors[87] cette publique estime
Qui te vante partout pour un fourbe sublime,
Et que tu t'es acquise en tant d'occasions,
A ne t'être jamais vu court d'inventions?
L'honneur, ô Mascarille! est une belle chose;
A tes nobles travaux ne fais aucune pause;
Et, quoi qu'un maître ait fait pour te faire enrager,
Achève pour ta gloire, et non pour l'obliger.
Mais quoi! Que feras-tu, que de l'eau toute claire!
Traversé sans repos par ce démon contraire,
Tu vois qu'à chaque instant il te fait déchanter,
Et que c'est battre l'eau de prétendre arrêter
Ce torrent effréné, qui de tes artifices
Renverse en un moment les plus beaux édifices.
Eh bien, pour toute grâce, encore un coup du moins
Au hasard du succès sacrifions des soins;
Et, s'il poursuit encore à rompre notre chance,
J'y consens, ôtons-lui toute notre assistance.
Cependant notre affaire encor n'iroit pas mal
Si par là nous pouvions perdre notre rival,
Et que Léandre enfin, lassé de sa poursuite,
Nous laissât jour entier pour ce que je médite.
Oui, je roule en ma tête un trait ingénieux,
Dont je promettrois bien un succès glorieux
Si je puis n'avoir plus cet obstacle à combattre.
Bon, voyons si son feu se rend opiniâtre.

SCÈNE II.—LÉANDRE, MASCARILLE.

MASCARILLE.

Molière, tome premier / Oeuvres complètes de J.-B. Poquelin Molière
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