9

Dans le bureau du directeur Zeus

Après un court moment, le directeur Zeus ouvrit la porte si violemment que celle-ci sortit de ses gonds. Regardant derrière lui, Perséphone aperçut Hadès à une table dans un coin de la pièce, puis le directeur lui boucha la vue.

— Oups !

Il rattrapa la porte chancelante avant qu’elle puisse tomber sur Perséphone et l’appuya contre le mur extérieur.

— Veuillez demander au gardien de la réparer, dit-il à madame Hydre.

— Certainement, répondit-elle. C’est la quatrième fois que cela arrive ce mois-ci, murmura la tête verte à l’intention de Perséphone.

— Eh bien ! Perséphone. Entre ! tonna Zeus.

Nerveusement, elle entra dans le bureau en se faufilant derrière lui. Elle avait déjà vu le directeur de loin, dans les couloirs ou sur une scène, mais elle n’avait jamais été aussi près de lui qu’alors. Ce n’était pas comme s’il fréquentait Athéna et ses amies, après tout. Il devait bien faire plus de deux mètres de haut, pensa-t-elle en le voyant au-dessus d’elle comme ça. Il avait les muscles saillants et une tête massive recouverte de cheveux roux qui étaient beaucoup plus en désordre que ses propres boucles rousses.

Se rappelant ses bonnes manières, Perséphone tendit bravement la main.

— Merci de me recevoir, dit-elle.

Le directeur Zeus lui tendit une grosse patte. Une large bande d’or encerclait son poignet. Comme il secouait la main de Perséphone de haut en bas, elle sentit de petites décharges électriques la traverser.

— Content de te rencontrer ! rugit Zeus.

Ses yeux bleus perçants la fixaient.

— Je ne sais pas pourquoi il n’y a pas plus d’élèves qui viennent me rendre visite. C’est presque comme s’ils avaient peur de moi, ou quelque chose comme ça. Eh bien, entre, entre. Tout se passe bien pour toi en classe, n’est-ce pas ?

Perséphone hocha la tête.

— Ça, c’est ma petite déesse !

Zeus lui asséna une claque dans le dos qui l’envoya valser de l’autre côté de la pièce tandis qu’une autre décharge lui traversa l’épine dorsale. Elle atterrit à moitié affalée en travers de la table où Hadès était assis, mais elle réussit néanmoins à rester sur ses jambes.

— Euh, salut, dit-elle en le regardant à travers sa tignasse échevelée.

— Salut, dit-il avec réserve.

Ses yeux foncés cherchaient les siens comme pour évaluer s’il restait un peu d’amitié entre eux. Après la manière dont elle l’avait traité la veille, Perséphone ne pouvait pas lui en tenir rigueur.

Comme elle se redressait, Zeus montra la chaise à côté de celle d’Hadès.

— Assise ! commanda-t-il.

Lorsqu’elle s’exécuta, il s’assit de l’autre côté de la table en face d’eux, joignant les mains et jetant des regards à l’un et à l’autre comme s’il attendait qu’ils parlent.

Au début, venir en cet endroit lui avait paru une bonne idée, mais maintenant qu’elle y était, Perséphone n’en était plus aussi sûre. Elle n’était jamais venue dans le bureau de Zeus avant, donc elle l’examina avec un authentique intérêt pour ne pas avoir à expliquer sa visite.

Il y avait un peu partout une variété de chaises constellées de grosses marques de roussi. Un bureau énorme jonché de papiers, de dossiers et de bouteilles de Jus de Zeus vides occupait presque toute la pièce. Derrière le bureau, il y avait un impressionnant trône doré, qui semblait plus approprié et confortable pour Zeus que la minuscule chaise d’élève sur laquelle il essayait maintenant de garder son équilibre.

— Tu veux partager mon repas ? demanda Hadès en attirant son attention.

— Non merci, dit Perséphone en jetant un coup d’œil aux deux assiettes à moitié pleines de nectaronis au fromage.

— Alors, ça ne te dérange pas si nous terminons le nôtre ? demanda Zeus.

Prenant une énorme quantité de nectaronis sur sa fourchette, il l’enfourna dans sa bouche.

— Hadès m’a beaucoup parlé de toi, dit-il, la bouche pleine.

— Oh ? dit Perséphone en se raidissant un peu et en jetant un regard du côté d’Hadès, se demandant ce qu’il avait pu lui dire.

Hadès se redressa lui aussi, semblant sur le qui-vive. Puis il se racla la gorge comme s’il essayait d’attirer l’attention de Zeus.

Celui-ci se mit à rire, projetant de petits morceaux de pâtes sur la table.

— Ne t’en fais pas. Il ne m’a dit que du bien.

Il repoussa son assiette et se frotta le ventre.

— Alors, dit-il en les regardant tous les deux.

À côté d’elle, Hadès se raidit davantage, de toute évidence inquiet de ce que Zeus allait dire.

— Est-ce vous avez prévu d’aller à la sauterie des moissons demain soir ?

Hein ? Était-il en train de laisser entendre qu’ils devraient y aller… ensemble ? Les adultes pouvaient parfois vraiment manquer de subtilité.

Une ombre traversa le visage d’Hadès lorsqu’il déposa sa fourchette.

— Je suis occupé. Il y a beaucoup de nouveaux fantômes qui arrivent, ces temps-ci.

— Il y a toujours beaucoup de nouveaux fantômes qui arrivent aux Enfers, dit Zeus en relevant un sourcil.

— J’avais complètement oublié la danse, admit Perséphone.

Mais elle ne lui dit pas qu’elle n’avait pas prévu d’y aller de toute manière. Elle avait cru que sa mère ne le lui permettrait pas. Mais depuis la soirée précédente, les choses avaient changé, bien sûr.

— Ça devrait être plutôt amusant, dit Zeus, interrompant ses pensées. Ce serait dommage de manquer ça. Peut-être devriez-vous y aller ensemble ! poursuivit-il en frottant sa barbe rousse et bouclée. Vous pourriez vous tenir compagnie, vous savez ?

Elle n’arrivait pas à croire qu’il avait suggéré ça à voix haute ! Elle rougit, et Hadès pencha la tête par en avant. Des boucles noires tombèrent et lui cachèrent le visage.

Zeus les regarda l’un après l’autre, puis grimaça.

— Je… hum… Il faut que j’aille m’occuper de quelque chose, dit-il en se levant prestement. Je reviens tout de suite.

Hadès fit mine de se lever lui aussi.

— Reste ! aboya Zeus.

Puis il sourit, en leur faisant signe.

— Il reste encore 20 minutes avant la reprise des cours. Aucune raison pour que Perséphone et toi vous dépêchiez.

Une fois que le directeur Zeus fut parti, Hadès se tortilla sur sa chaise pendant un instant.

— Désolé de t’avoir renvoyée à la maison, hier soir, dit-il enfin en fixant son assiette. Ce n’est pas que je ne voulais pas te voir. En fait, je…

— Ça va, l’interrompit Perséphone. Tu as eu raison de me renvoyer chez moi.

— J’ai bien fait ? dit Hadès en sursautant.

Perséphone hocha la tête.

— Ma mère a appris que je m’étais enfuie. Nous avons eu une bonne discussion, et je crois qu’elle va me laisser un peu plus de liberté désormais.

— Vraiment ? dit Hadès en plongeant ses yeux foncés dans les yeux clairs de Perséphone et en souriant. C’est génial.

Perséphone eut presque le souffle coupé. Il avait les plus beaux cils du monde ! Et lorsqu’il souriait, on pouvait voir à quel point il était mignon.

— Oui, dit-elle. C’est génial.

Il y eut un long silence gêné. Hadès jouait avec sa fourchette, la faisant tinter sur le bord de son assiette. Perséphone tortillait une mèche de ses cheveux, regardant partout sauf dans sa direction. Ses yeux tombèrent par hasard sur une plante fanée posée sur un classeur. C’était un coquelicot, la fleur préférée de sa mère.

— Alors, que penses-tu de l’idée du directeur Zeus ? demanda Hadès.

— De quelle idée parles-tu ? demanda Perséphone en faisant semblant de ne pas savoir de quoi il parlait.

Hadès haussa les épaules.

— Tu sais. La danse.

— Oh ! ça, dit Perséphone. Eh bien, quoi ?

Hadès demeura silencieux pendant quelques instants, l’air de broyer du noir.

— Veux-tu m’y accompagner ? lança-t-il enfin.

Perséphone sourit. Elle avait presque renoncé à ce qu’il le lui demande !

— Merci. J’adorerais y aller avec toi, dit-elle.

Hadès lui rendit son sourire ; le plus grand sourire qu’elle ne l’ait jamais vu esquisser.

Ils souriaient toujours en quittant le bureau quelques instants plus tard. Perséphone effleura du bout des doigts le coquelicot du directeur Zeus avant de sortir. Instantanément, ses feuilles fanées redevinrent vertes et vigoureuses, et des fleurs rouges jaillirent partout sur la plante.

— Cool ! dit Hadès.

Il lui tendit la main, et Perséphone entrelaça ses doigts aux siens. Main dans la main, ils passèrent la porte béante.

* * *

Ce soir-là, à la maison, Perséphone parla de la danse à sa mère.

— Hadès m’a demandé de l’accompagner. — Elle fit une pause. — Et j’ai accepté, poursuivit-elle.

Déméter se raidit et fronça les sourcils.

— Je ne crois pas que ce soit une si bonne…

— Allez, maman, s’il te plaîîîît. Ce n’est qu’une petite fête, lui rappela Perséphone. Une danse qui a lieu à l’école. Le directeur Zeus et la plupart des professeurs y seront, alors nous serons bien chaperonnés.

— Zeus sera là ? demanda Déméter en rougissant légèrement, ses yeux s’illuminant d’une douce flamme.

— Oui, répondit Perséphone.

Si elle ne connaissait pas bien sa mère, elle aurait pu croire qu’elle avait secrètement un faible pour lui !

— Et il se trouve qu’Hadès et lui sont copains, poursuivit-elle.

— Je vois.

Déméter semblait réfléchir.

— Eh bien ! Si Zeus aime bien Hadès, j’imagine qu’il n’est pas si mal que ça.

— Il ne l’est pas, je te le promets, dit Perséphone en serrant sa mère dans ses bras.

— Tu grandis si vite, dit Déméter en soupirant. Un jour, tu vas quitter la maison et tu n’auras plus besoin de moi.

— Eh bien, j’ai certainement besoin de toi maintenant, dit Perséphone en souriant, car je ne sais pas du tout quoi porter pour la soirée !

Déméter lui retourna son sourire et mit un bras autour de ses épaules.

— Allons voir dans ton placard. Et si nous n’y trouvons rien, je vais te faire le plus joli chiton que l’on ait jamais vu.

En se mettant au lit, ce soir-là, Perséphone se sentait plus heureuse qu’elle ne l’eût jamais été. Pourtant, juste avant de s’endormir, une inquiétude lui traversa l’esprit. Elle savait que ses amies feraient de leur mieux pour accueillir Hadès, mais qu’en était-il des autres jeunes dieux et déesses ? Elle était sûre qu’ils aimeraient tous Hadès une fois qu’ils le connaîtraient. Toutefois, lui laisseraient-ils au moins la chance de se faire connaître ?