M’échapper ! M’évader de cette horrible prison « sous-marine ». Prévenir l’abominable drame qui se préparait ! Sortir du cauchemar et me mettre en travers des desseins criminels du monstre qui avait eu l’espérance de me convaincre et qui avait pu croire un instant y avoir réussi !
… Il était quatre heures du matin ; je m’étais, au sortir de cette audience diabolique, précipité dans ma chambre ou plutôt dans cette partie de la prison qui m’avait été si gracieusement réservée ; là, je m’étais jeté sur ma couche, mais le sommeil m’avait fui.
Quelques coups discrets furent frappés à ma porte… Je demandai : « Qui est là ? » et je reconnus la voix sourde et prudente du docteur qui me priait d’ouvrir : ce que je fis.
Médéric Eristal paraissait fort inquiet et affairé. Il referma la porte lui-même, après avoir écouté les derniers bruits qui venaient du fumoir-bibliothèque où von Busch-Boulet rouge et von Freemann, la Mort verte, se faisaient certainement servir l’avant-dernière bouteille de champagne, pour arroser l’avant-dernier bridge.
Il s’assit à mon chevet et me dit, la langue un peu pâteuse (je m’en aperçus tout de suite) :
« Buldeo nous laissera bien tranquilles. Je viens de lui administrer, dans un verre de skydam, un soporifique transcendant qui nous donnera la paix à tous. Méfiez-vous de Buldeo, entre parenthèses, ajouta-t-il. Du reste, c’est le capitaine lui-même qui m’a chargé de vous dire certaines choses… mais, n’est-ce pas, il ne m’a pas chargé de vous dire tout !… Cet homme – le capitaine – a besoin qu’on l’aime et mérite, du reste, qu’on le serve, malgré lui !… Comprenez-moi à demi-mot. C’est pour son bien que nous travaillons tous !… Il ne faut pas le laisser se déshonorer avec cette histoire de femme !…
– Si je vous comprends, interrompis-je, pour savoir exactement si j’avais un intérêt quelconque à continuer la conversation, il s’agirait, n’est-ce pas, de l’empêcher de commettre un crime sur la personne de Mme l’amirale von Treischke ?
– C’est cela même : vous y êtes ! Seulement, il est inutile de se servir de mots inutiles (là-dessus, il porta rapidement à ses lèvres une petite fiole qu’il remit aussitôt dans sa poche). Je vous demande pardon, j’ai pris ce soir un petit verre de trop de skydam qui m’exalte !… qui m’exalte !… et, pour me calmer, je prends un peu de cocaïne… vous permettez ?… Il n’y a rien de tel comme la cocaïne pour calmer l’irritation du skydam… et, en vérité, ce soir, pour ce que nous avons à nous dire, j’ai besoin de tout mon sang-froid, comme vous allez voir !… Je disais donc qu’il fallait lui épargner cette histoire de femme !… C’est l’avis de la señorita Dolorès et de son fiancé Gabriel lui-même, un couple honorable, comme vous avez peut-être déjà pu en juger…
– Oui, oui, certes !
– Et c’est aussi l’avis du premier officier de manœuvre, vous savez, celui que vous appelez le “midship”, à cause de sa jeunesse et de sa bonne humeur loyale… vous y êtes ?
– Oui, oui !… Alors le midship en est aussi ?…
– Quoi ! Il en est aussi ? Il est de quoi, aussi ?… Vous avez des expressions qui vous casseraient bras et jambes ! Il s’agirait d’un complot pour renverser le trône d’Espagne que vous ne parleriez pas autrement !… Il est de notre avis, voilà tout, et prêt à nous aider honorablement dans cette affaire honorable en question !… Mon cher, il ne faut pas confondre “autour avec alentour” !
– Non ! non ! fis-je en toute hâte, dans la crainte de l’avoir contrarié dans un si beau moment. Ne confondons pas !
– N’est-ce pas ?… Vous m’avez compris ?… J’ai toujours dit que vous étiez un garçon intelligent ! D’abord, procédons par ordre. Le capitaine est très heureux de vous avoir à son bord. Il m’a chargé de vous le dire. Une indiscrétion que vous avez commise et qu’il a peut-être provoquée (je vous l’avoue entre nous, car, au point où nous en sommes, nous pouvons nous avouer bien des choses) le met dans la cruelle nécessité de vous garder à son bord !… C’est une extrémité qu’il ne vous a pas cachée et qui, si elle ne fait pas votre affaire, fait admirablement la sienne ! Comprenez, mon cher ami, que vous êtes neutre et que, justement, le capitaine regrettait toujours qu’il n’y eût point sur Le Vengeur un neutre capable de noter avec impartialité tout ce qu’il pourrait y voir et entendre ! Vous voilà donc tout désigné, mon cher ami, pour être ce neutre-là !… ce merveilleux, unique historiographe !… Désormais, toutes les portes, même les plus closes, vous seront ouvertes ! Je suis encore chargé de vous apporter cette excellente nouvelle… Plus de mystère pour vous ! même au fond de la cale la plus profonde ! même dans la chambre des machines ! Eh ! vous devez être un peu ingénieur ?… Vous avez, paraît-il, l’autre jour, lancé un coup d’œil extraordinaire sur les bobines de travail de notre électricité reconstituée.
– Moi ! fis-je… Moi !…
– Oui, oui ! Ceci, paraît-il, n’a pas passé inaperçu de l’ingénieur en chef, le seigneur électricien Mabell, qui en a dit un mot au capitaine…
– Ah ! m’écriai-je, je comprends maintenant certaines attitudes pendant la visite du bâtiment…
– Eh ! soyez bien persuadé que ceci, maintenant, n’a plus aucune importance, puisqu’ils vous gardent !…
– J’aime mieux mourir ! murmurai-je…
– Eh ! nous n’en sommes pas là ! déclara le docteur en reportant d’un geste brusque et rapide la petite fiole à ses lèvres, puis en la faisant disparaître de nouveau dans sa poche… Je viens d’avoir une grande conversation avec la señorita Dolorès qui pourrait modifier quelque peu le programme en ce qui vous concerne… Seulement j’attire toute votre attention sur ce point important ! La señorita Dolorès prend tout sur elle !… ceci est bien entendu !… Que l’affaire manque ou réussisse, elle en est la seule responsable !… Une femme peut toujours s’expliquer avec un homme, à moins que cet homme étant le capitaine Hyx, la femme ne soit Mme l’amirale von Treischke !
– Précisons ! demandai-je en me rapprochant de lui… Vous avez dit : “Que l’affaire manque ou réussisse”… Je voudrais savoir exactement de quelle affaire il s’agit en ce qui me concerne… »
Il me regarda d’un œil sévère, puis, après le coup de la fiole de cocaïne, il se décida à prononcer le mot :
« De votre évasion !… »
Et aussitôt il se remit le doigt sur la bouche, en hochant la tête. Je lui fis signe que je comprenais et qu’il pouvait compter sur ma discrétion… Alors il me prit les deux mains et comme je commençais à parler de ma reconnaissance :
« Réservez-la pour la señorita Dolorès, avec laquelle vous traiterez de votre évasion demain…
– Si nous en parlions encore un peu ce soir ?
– Non ! non ! demain chez la señorita !… La señorita a un grand cœur dans un joli petit corps ! Elle n’admettra jamais que l’amiral vienne ici et s’en retourne tranquillement comme il est venu, avec le seul souvenir du martyre de sa femme et de celui de quelques camarades !…
– Certes ! voilà une conception de Satan ! m’écriai-je.
– Chut ! chut ! Dieu que vous êtes embêtant avec votre Satan !…
– Bonne Dolorès !…
– Bonne Dolorès ! ricana-t-il d’une façon bizarre… Bonne Dolorès… c’est à savoir !… Il faut en prendre et en laisser !… Sa bonté pour vous et pour Mme l’amirale a été bien servie, veuillez le croire, par l’étrange programme du capitaine…
– Ah ! vraiment !…
– Comment donc !… Elle en veut au capitaine de ne point la laisser se venger de l’amiral, comme elle l’avait espéré ! Ah ! vous pouvez croire qu’elle avait bien espéré se payer sur la bête !… Oui, elle en veut beaucoup au capitaine (surtout depuis qu’elle connaît tout son programme par une indiscrétion de l’Irlandais) de ce qu’il les ait justement retenus captifs, son fiancé et elle, pour qu’ils ne puissent pas atteindre à leur gré l’amiral von Treischke, dont il ne resterait pas grand-chose, je crois bien, s’ils pouvaient en approcher !… Euh ! euh !
– Elle a donc eu beaucoup à souffrir de l’amiral ? demandai-je.
– Comment ! vous ne connaissez pas encore l’histoire ?… Je croyais que le capitaine vous l’avait racontée, l’autre jour, au dessert… car c’est une histoire qu’il aime à raconter au dessert…
– Mais la señorita Dolorès déjeunait avec nous !…
– C’est donc cela !… Il aura jugé inutile de l’irriter davantage contre l’amiral, vu le programme qu’il avait arrêté !… Sans quoi vous n’y auriez pas échappé !… Ah ! la plus drôle des histoires sous-marines du monde !… et qui a du succès entre la poire et le fromage, je vous assure ! » (Nouveau coup de cocaïne.)
Je me disais : « Mais comment donc boit-il ainsi de la cocaïne à pleine petite bouteille, et comment la petite bouteille n’est-elle pas déjà vide ? » Mais je constatais qu’il collait sa langue sur le goulot et qu’il ne prenait en somme, chaque fois, qu’une impression de cocaïne…
« La señorita Dolorès, commença-t-il, était la plus jolie marchande de cigarettes de Vigo ; son coquet magasin avait un joli succès, augmenté encore par le succès du bar adjacent, où la mère de Dolorès, qui était presque aussi jolie que sa fille, servait dans des verres en tulipe le vin doré des Espagnes… Suivez-moi bien, mon cher ami, ce ne sera pas long !
– Je vous suis, je vous suis… Certes ! je n’ai pas envie de dormir, je vous assure !…
– Vous connaissez Vigo ?…
– Je ne suis jamais descendu dans la ville, fis-je, mais je m’y suis arrêté en escale quand je prenais à Southampton les grands steamboats de l’“Union Castle”, qui me conduisaient au Cap. On s’arrêtait là quelques heures en rade.
– Cela vous a suffi pour que vous puissiez juger maintenant de la valeur stratégique sous-marine de Vigo et de ses environs… et de ce qu’une bonne organisation sous-marine allemande, interlope, mystérieuse, sournoise, et ignorée officiellement et peut-être aussi réellement des autorités locales et certainement du gouvernement espagnol, a pu et peut encore rendre de services à la flotte sous-marine du kaiser qui guette les gros paquebots sur les chemins de l’Amérique, et dont les unités ont reçu l’ordre de doubler Gibraltar et d’aller assassiner en Méditerranée…
– Parfaitement…
– Les anfractuosités de la côte aux environs… les criques désertes et quasi inabordables pour tous autres bâtiments que les sous-marins à quelques pas de la frontière portugaise, pouvaient et peuvent encore constituer de merveilleuses stations de ravitaillement.
– Et sans compter les îles ! fis-je…
– Oh ! les îles, n’en parlons pas !… Les quelques îlots sauvages dont ils auraient pu disposer en toute sécurité au large de la rade, et qui auraient si bien fait leur affaire, n’étaient plus libres. Quelqu’un était passé là avant eux !
– Compris !
– Bien !… Je continue : Vigo n’était qu’un point en Espagne dans toute l’organisation du ravitaillement allemand pour sous-marins… Nous pouvons dire que la côte espagnole devait être organisée de la sorte d’une façon très occulte, ou tout au moins nous pouvons affirmer que les délégués allemands allaient tenter de l’organiser avec cette perfection méticuleuse que nos ennemis mettent partout, dans leurs entreprises, surtout quand il s’agit de travailler dans l’ombre !
« Or Vigo était un point aussi important pour eux sur l’Atlantique que Barcelone sur la Méditerranée… sans parler de Melilla sur la côte marocaine… et peut-être Vigo fut-il jugé le plus important de tous, puisqu’un grand chef, chargé de mettre la dernière main à l’organisation du ravitaillement sous-marin, y fut envoyé en grand secret et passa là-bas plusieurs semaines avec tout un état-major occulte, naturellement.
« Le chef – vous l’avez deviné – c’était l’amiral von Treischke lui-même ! Et le sous-chef était un jeune lieutenant de vaisseau qui s’appelait Fritz de son petit nom et qui tomba amoureux de la jolie marchande de cigarettes.
« Toute la bande se donnait pour des Limbourgeois qui avaient fui les horreurs de la guerre, et ils habitaient hors des murs, sur la rade, un vieux château nouvellement réparé, où (s’il fallait en croire les beautés faciles de la ville) l’on s’amusait ferme.
« Fritz était donc amoureux de Dolorès. Il se ruinait en cigarettes de luxe ! Von Treischke s’en amusait et accompagnait souvent Fritz au bar où ils avaient tôt fait de vider une bouteille de xérès. Von Treischke, en d’autres temps, serait certainement tombé, de son côté, amoureux de la mère, qui en valait la peine, mais on dit qu’il aime beaucoup sa femme et qu’il lui est fidèle !… (Est-ce possible !… Le docteur ne se doute pas combien ce détail qu’il croit sans intérêt me fait souffrir.) Von Treischke se contentait donc de regarder et de donner des conseils. Il trouvait que son second était bien niais de ne point hâter les choses suivant son désir, car Dolorès riait à ses avances, faisait même la coquette, mais, au fond, se moquait carrément de Fritz !
« Elle avait tout de suite deviné qu’elle avait affaire à des Boches et elle ne pouvait les aimer. Elle aimait un Français, un petit Français de Saint-Jean-de-Luz, joli comme elle, un peu contrebandier en temps de paix, brave matelot de guerre et qui, avec son chalutier, faisait une bien belle et ardente chasse aux sous-marins de Sa Majesté… Vous y êtes ?… Dormez pas ? Non ? c’est maintenant que ça va commencer à être intéressant !… (cocaïne)…
– Allez ! allez !
– Je vous passe sur des détails amusants que le capitaine n’oublie jamais au dessert et j’arrive au fait palpitant (cocaïne). Sacré skydam !… Donc le contre-amiral faisait honte à Fritz de sa patience dans le combat et Fritz rougissait comme une Gretchen devant son premier “fiancé d’essai”, comme on dit dans la Forêt-Noire. C’était un Boche très sentimental, à la Werther. Ses propos d’amour étaient pleins de distinction. Au fond, je crois que ce n’était pas un méchant garçon, mais il avait le von Treischke, que ces manières de demoiselle finirent par agacer. “Vous déshonorez le corps, lui dit-il. Cette fille devrait être déjà à vous !”
« Toutes ces choses furent répétées par la bande du château, après l’horrible affaire et je crois bien que le von Treischke s’en vanta ! C’est ainsi que nous n’ignorons plus rien de cette singulière histoire.
« Le Fritz lui répondit : “Amiral, à vos ordres ! Je ne demanderais pas mieux.
« – Laisse-moi mener ta chère petite barque d’amour, grand niais (dumm !). Je t’amènerai la demoiselle, et n’oublie pas que tu es en service commandé !”
« Von Treischke avait toujours été très convenable avec les deux femmes. La mère de Dolorès le considérait comme un homme sérieux et peut-être même trop sérieux, car, en vérité, elle pensait peut-être qu’il aurait pu lui faire un peu la cour, par politesse, pendant que Fritz faisait les yeux doux à sa fille. Tant est qu’elle accepta sans aucune arrière-pensée l’invitation d’aller faire une petite promenade en auto, avec sa fille, après la fermeture du magasin et du bar, certaine nuit magnifiquement étoilée.
« Il y avait deux autos, l’une conduite par Fritz lui-même, l’autre par le chauffeur de von Treischke (celui-ci, entre parenthèses, se faisait appeler là-bas von Kessel, cependant que le jeune seigneur Fritz von Harschfeld était connu sous celui de Fritz Schnitze).
« “Pour faire les choses convenablement et sauver la morale”, von Treischke prit la fille avec lui et fit monter la mère avec Fritz. Ce petit chassé-croisé était encore, ma parole, d’une habileté et d’une hypocrisie suprêmes !… Après une promenade charmante dans la campagne sublunaire, ces messieurs firent entrer ces dames dans la cour du château où les domestiques très corrects et très dignes, s’avancèrent et annoncèrent que le souper était servi !… Délicate attention !… Des amis se présentèrent avec force salutations. Comment les deux pauvres femmes eussent-elles pu se douter de l’abominable machination montée par le von Treischke contre elles ?…
« … Du reste, les choses continuèrent de se passer le plus convenablement du monde, avec beaucoup de champagne et beaucoup de gaieté. Après quoi, dès le premier mot de la maman sur l’heure tardive, von Treischke se mit à la disposition pour reconduire ces dames à domicile. Fritz suivit son chef.
« Cette fois, von Treischke était avec la mère et celle-ci vit monter Dolorès dans la voiture de Fritz.
« “Il faut bien accorder cinq minutes aux amoureux”, dit en riant le faux Kessel.
« Et en route !…
« La première arrivée fut la voiture de l’amiral, qui déposa la mère de Dolorès à sa porte. La maman s’étonna de ne pas voir apparaître la voiture de Fritz, mais son jovial et aimable compagnon lui dit : “Je crois qu’ils ont trouvé les cinq minutes d’amoureux très bonnes, mais trop courtes ! Alors, ils les allongent un petit peu ! Ils n’auront pas passé par le chemin le plus raccourci ! Mais ils vont arriver, n’ayez crainte. Je connais Fritz, c’est un grand dadais !…
« – Et moi, je connais Dolorès. Vous avez raison, monsieur, je ne crains rien !…
« – Alors, chère madame, permettez-moi de vous dire bonsoir !…
« La mère de Dolorès le laissa partir. Ne croyez point qu’elle le regrettait. Elle le trouvait changé depuis quelques minutes, trop gai, trop exubérant, avec un rire qui lui faisait peur. Elle mit cela sur le compte du champagne, lequel champagne avait également tourné un peu la tête à la chère dame. Aussi elle fut heureuse de n’avoir point à recevoir son hôte à une heure pareille chez elle, même pour cinq minutes, et elle s’installa sur une chaise dans le magasin en attendant Dolorès. Là, elle s’endormit.
« Von Treischke, lui, avait repris le chemin du château. Aussitôt arrivé, il alla frapper à la porte de Fritz, dans la chambre duquel il savait qu’il retrouverait son lieutenant et Dolorès, puisque, sur son ordre, le départ de la jeune fille n’avait été qu’un faux départ et qu’elle avait dû suivre Fritz chez lui, de gré ou de force ! Attention ! nous touchons au dénouement ! » me fit remarquer, bien inutilement alors, le docteur, que je me gardais, certes, d’interrompre et que j’écoutais tout à fait normalement.
Il ne s’en arrêta pas moins quelques secondes, me regarda, regarda sa montre, hocha la tête, prit de la cocaïne et me déclara qu’il était fort perplexe, car enfin, puisque le capitaine ne m’avait point raconté cette histoire qu’il racontait à tout le monde, c’est qu’il avait sans doute de bonnes raisons pour cela !…
« Ah, ça ! mais, protestai-je, très énervé, vous n’allez pas me laisser en plan au point où nous en sommes ?
– Au point où nous en sommes, évidemment ! Je n’y pensais plus !… exprima (en hochant la tête) cet homme toujours hésitant ; mais il y a une chose à laquelle je pense, c’est qu’il est tard et qu’il faut que j’aille me coucher !… Consolez-vous, la señorita Dolorès vous racontera beaucoup mieux que moi, si elle le juge bon, la fin de cette histoire qui ne m’appartient pas !… À chacun ses responsabilités !… Bonne nuit, mon cher ami !… Dormez bien ! »
Je ne pus le retenir, et, après tout, il fit bien de partir, car j’avais une forte envie de lui dire des choses tout à fait désagréables, ce qu’il ne m’aurait peut-être pas pardonné.
Sans compter que j’aurais été coupable de m’offenser des manières d’un homme dont les malheurs domestiques avaient pu (à tout bien considérer) quelque peu déranger la cervelle…