CHAPITRE XXXII

– Tu as très bien dormi, un long moment, lui dit la jeune fille, d'une voix douce et tendre. Y a-t-il quelque chose que tu aimerais que je fasse ?

– Non, dit le colonel. Merci.

Puis soudain mauvais, il dit :

– Fillette, je dormirais comme une souche ficelé sur la chaise électrique, le pantalon fendu et les cheveux rasés. Je dors comme et quand j'en ai besoin.

– Moi, je ne pourrais jamais, dit la jeune fille, d'une voix pleine de sommeil. Je dors quand j'ai envie de dormir.

– Tu es adorable, lui dit le colonel. Et tu dors mieux que personne au monde.

– Je n'en tire pas vanité, dit la jeune fille, très ensommeillée. C'est comme ça et c'est tout.

– Dors, je t'en prie.

– Non. Raconte tout bas et doucement, et mets ta mauvaise main dans la mienne.

– Merde pour la mauvaise main, dit le colonel. Depuis quand est-elle si mauvaise ?

– Mais elle l'est, dit la jeune fille. Plus mauvaise ou pire que tu ne t'en douteras jamais. Je t'en prie, raconte la guerre mais ne sois pas trop brutal.

– Ordre enfantin à exécuter, dit le colonel. J'en saute et j'en passe. Le temps est couvert et c'est la cote 986.342. Quelle est la situation ? Nous enfumons l'ennemi à coups d'artillerie et de mortier. S-3 avise que S-6 voudrait que les Rouges opèrent leur jonction avant 17-00. S-6 te demande d'opérer la jonction et de faire donner le maximum d'artillerie. Des Blancs signalent que ça ne va pas trop mal de leur côté. S-6 informe que la compagnie A va virer de bord et suivre le mouvement derrière la B.

« La compagnie B s'est d'abord fait stopper par l'action de l'ennemi puis a préféré ne plus bouger, de son plein gré. S-6 ne va pas très fort – information officieuse. Il réclame davantage d'artillerie, mais il n'y a plus d'artillerie.

« Quelle idée de vouloir que je te raconte la guerre. Je me demande vraiment pourquoi. Ou pourquoi vraiment. Qui veut savoir la vérité sur la guerre ? Toujours est-il que c'est comme ça, fillette, au téléphone et plus tard j'y mettrai le bruitage et les odeurs et les anecdotes sur un tel et un tel qui s'est fait tuer, à tel moment et à tel endroit, si tu le désires.

– Je veux seulement entendre ce que tu veux bien dire.

– Je vais te dire comment c'était, dit le colonel, alors que le général Walter Bedell Smith n'en a pas encore idée. Bien que, probablement, je fasse erreur, comme cela m'est arrivé si souvent.

– Je suis bien contente que nous n'ayons pas besoin de le connaître ni l'autre non plus, celui qui est comme du nylon, dit la jeune fille.

– Nous n'aurons pas à les connaître de ce côté-ci de l'enfer, la rassura le colonel. Et de l'autre côté, je ferai garder les grilles par un détachement pour empêcher ce genre d'individus d'y entrer.

– Tu parles comme Dante, dit-elle d'une voix tout endormie.

– C'est moi M. Dante, dit-il. Pour le moment.

Et ce fut vrai pendant un temps et il traça tous les cercles. Ils étaient aussi inexacts que ceux de Dante, mais tout de même il les traça.