XXII

Quand André, enfin débarrassé du jeune M. Gaston, se présenta chez M. Gandelu, il fut effrayé de son affaissement et de l'affreuse altération de ses traits.

—Monsieur Verminet, dit-il.
—Monsieur Verminet, dit-il.

Sa franche et joyeuse physionomie présentait une désolante expression de

découragement et d'hébétude. Sa pâleur était livide, son teint terreux, tout le sang de ses joues affluait à ses paupières violacées et gonflées, sa lèvre inférieure pendait inerte.

Il avait pleuré, et, en essuyant ses larmes du revers de sa manche, il avait marqué sur son visage de grandes taches noirâtres.

Cependant, lorsque parut André, l'œil vitreux de M. Gandelu s'éclaira, et il se leva à demi de son fauteuil.

—Ah!... c'est vous, dit-il d'une voix dolente, cela m'a fait du bien de vous voir! Bénie soit la bonne aventure qui vous amène.

André secoua tristement la tête.

—Ce n'est pas une bonne aventure, prononça-t-il.

—Alors, seulement l'entrepreneur remarqua sa gravité inaccoutumée, et les plis de son front.

—Qu'avez-vous, André, demanda-t-il vivement, vous surviendrait-il quelque ennui?

—Je suis menacé d'un grand malheur monsieur.

—Vous!... que me dites-vous là...

—Hélas!... monsieur, la vérité. Et les conséquences de ce malheur peuvent être pour moi le désespoir... la mort.

Un flot de colère soudaine empourpra la face blêmie de l'entrepreneur.

—Saint bon Dieu!... s'écria-t-il, d'un ton farouche, n'y aurait-il donc pas de Providence! Que fait-elle? Sera-ce éternellement le lot des justes, des honnêtes, des bons, de souffrir ici-bas; de pleurer, d'être misérables!... Les coquins et les méchants, eux, prospèrent et triomphent, il n'y a de chance et de bonheur que pour eux...

Il s'interrompit, et fixant André:

—Je suis ton ami, garçon, reprit-il, je veux t'être utile.

—Je venais, monsieur, plein de confiance, vous demander un service.

—Ah!... vous avez pensé à moi!... Eh bien! je suis content. Votre main, André, j'aime à sentir une main loyale dans la mienne, cela me remet un peu de vie au cœur... Parlez!...

Le jeune artiste se recueillit un moment.

—C'est le secret de ma vie, monsieur, fit-il enfin, avec une certaine solennité, que je vais vous confier.

M. Gandelu ne répondit pas, mais de son poing fermé il se frappa rudement la poitrine, et ce geste, mieux que tous les serments, garantissait son inviolable discrétion.

André n'hésita donc pas, et taisant seulement les noms, il raconta la touchante et simple histoire de ses amours, son ambition, ses espérances, et finit en exposant exactement la situation actuelle.

Quand il eut terminé:

—Que puis-je faire? demanda M. Gandelu.

—Me permettre, monsieur, de céder l'entreprise que vous m'aviez confiée à un de mes amis. Je garderai en apparence la direction et la responsabilité des travaux, en réalité je ne serai plus qu'un ouvrier... Cette combinaison me donnera ma liberté, et en même temps le moyen de gagner en quelques heures, chaque matin, ce qu'il me faut pour vivre...

—Et c'est là ce que vous appelez un grand service?

—Monsieur...

—Silence!... interrompit l'entrepreneur avec une brutalité affectée. Vous ferez de l'entreprise ce que vous voudrez, m'entendez-vous, et de la maison aussi... Vous la démolirez si cela peut vous faire plaisir. Pour qui donc me prenez-vous? Quand le vieux père Gandelu aime quelqu'un, mon garçon, ce n'est pas à demi, et ce quelqu'un peut disposer de lui et de sa bourse...

Il se leva vivement, et allant ouvrir une grande caisse de fer scellée dans un des angles du cabinet, il en tira une liasse de billets de banque qu'il plaça devant André.

—Dans une guerre, disait-il, comme celle que vous allez entreprendre, il faut de l'argent, et beaucoup... en voici. Oh!... ne froncez pas les sourcils!... Vous me rendrez cela quand et comme vous voudrez.

L'empressement de ce digne et brave homme, qui oubliait ses chagrins pour ne s'occuper que des siens, touchait André jusqu'aux larmes.

—Mais je n'ai pas besoin d'argent, monsieur, commença-t-il d'une voix émue, j'ai quelques économies...

D'un geste, M. Gandelu lui imposa silence.

—Prenez ces 20,000 francs, commanda-t-il, vous m'encouragerez ainsi à vous dire quel service je comptais vous demander quand je vous ai fait prier de monter près de moi.

Refuser, c'eût été s'obstiner dans une fierté mal placée. André accepta et attendit.

L'entrepreneur avait regagné son fauteuil et le coude sur son bureau, le front dans sa main, il semblait s'oublier dans les plus douloureuses méditations.

—Mon cher André, commença-t-il enfin, d'une voix rauque et brève, vous avez pu, l'autre jour, mesurer toute l'étendue de ma misère. Mon fils est un malheureux, et j'ai cessé de l'estimer...

Le jeune artiste avait deviné qu'il allait être question de Gaston.

—Il a certes des torts bien graves, monsieur, répondit-il, mais il est jeune.

M. Gandelu eut un sourire navrant.

—Mon fils est vieux.... prononça t-il, comme le vice. J'ai réfléchi et je l'ai jugé. Hier, il m'a menacé de se tuer... Lui, se suicider!... il est trop lâche, et ce n'est pas cela que je crains. Ce que je redoute, c'est qu'il finisse par déshonorer mon nom.

André frémit. Il songeait aux faux que lui avait avoués le jeune drôle.

—Jusqu'à ce jour, poursuivit l'entrepreneur, j'ai été d'une faiblesse indigne. Il est trop tard pour se montrer sévère. Je cèderai donc. Ce pauvre sot est épris jusqu'à la folie d'une indigne créature nommée Rose, que j'ai fait enfermer; je suis décidé à la lui rendre... Je me résigne aussi à payer ses dettes. C'est une lâcheté, je le sens... mais je suis son père, je ne l'estime plus... je l'aime toujours... Il a déchiré mon cœur, les lambeaux sont encore à lui.

Le jeune peintre se taisait, épouvanté des souffrances que trahissait cette horrible résignation.

—Je ne m'abuse pas, reprit après une pause M. Gandelu, mon fils est perdu. Je ne puis qu'essayer de faire la part du feu. Si cette Rose n'est pas une créature absolument perverse, on peut utiliser son influence sur ce malheureux. Mais qui se chargera des négociations!... Qui obtiendra de mon fils un aveu sincère de ses dettes?... André, j'avais compté sur vous.

Consentir à entreprendre le sauvetage du jeune M. Gaston, c'était de la part d'André un acte de dévouement héroïque, à un moment où il n'avait pas trop de toutes les forces de son intelligence pour l'œuvre de son propre salut.

Distraire sa pensée de Sabine, menacée du plus effroyable malheur qui puisse frapper une jeune fille, lui semblait presque un crime, et exigeait le plus énergique effort de sa volonté.

Pourtant, si égoïste que soit la passion vraie, il jugea qu'il devait cela et plus encore à cet honnête homme, qui venait de mettre si généreusement à sa disposition le seul élément de succès qui lui manquât, et un des plus puissants.

Il s'assit donc près de M. Gandelu, et froidement ils discutèrent la conduite qu'il convenait de tenir.

La prudence, la dissimulation même étaient indispensables.

Les derniers événements avaient si bien démoralisé le jeune M. Gaston qu'on pouvait tout obtenir de lui. Mais il fallait se hâter. Il était clair que s'il venait à soupçonner seulement les véritables dispositions paternelles, il s'empresserait d'en abuser.

Il fut donc arrêté qu'André aurait carte blanche, et que l'entrepreneur ne céderait jamais, en apparence, qu'à ses sollicitations.

Ainsi, ils comptaient substituer à l'autorité paternelle, dont la faiblesse était démontrée, un pouvoir étranger, nouveau, qui saurait se faire craindre et respecter.

L'événement devait justifier leurs prévisions.

Le jeune M. Gaston était bien plus abattu, bien plus désespéré encore que ne le supposait André, et c'est avec des transes inexprimables qu'il attendait en se promenant dans la cour, le retour de son ambassadeur.

Dès qu'il le vit paraître sur le seuil de la maison, il courut à lui.

—Eh bien!... que dit papa?...

—Votre père, répondit André, est fort irrité. Cependant je ne désespère pas de lui arracher quelques concessions.

—Il ferait mettre Zora en liberté?...

—Peut-être.

Le spirituel jeune homme eut une exclamation de joie.

—Quelle veine!... s'écria-t-il.

Et après quelques pas d'une danse délirante:

—Du coup, ajouta-t-il, je lui achète un huit-ressorts! v'lan...

André prévoyait bien quelque chose comme cela.

—Doucement, cher monsieur, fit-il; modérez-vous. Si votre père vous entendait, Mme Zora serait en grand danger de rester là où elle est...

—Allons donc!...

—C'est ainsi. Persuadez-vous bien que votre père ne vous rendra Zora et ne paiera vos dettes qu'autant que vous lui promettrez de changer de conduite et d'être plus raisonnable à l'avenir.

—Oh!... pour promettre, j'en suis.

—Je le crois... et votre père aussi. C'est pourquoi, en échange de ses concessions, il voudra plus que des promesses... il exigera des garanties.

Ce mot parut refroidir sensiblement la joie du jeune M. Gaston.

—Hein!... fit-il des garanties!... Je la trouve mauvaise! Est-ce que ma parole ne suffit pas?... Quelles garanties veut donc papa?

—Franchement, cher monsieur, je l'ignore. C'est à nous de les trouver. Je les lui proposerai ensuite de votre part, et si elles sont acceptables, il les acceptera, j'en mettrais la main au feu.

M. Gandelu fils l'examina d'un air comiquement surpris.

—Elle est bien bonne!... ricana-t-il. Vous faites donc de papa ce que vous voulez!...

—Non... mais ainsi que vous l'aviez deviné, j'ai sur son esprit une certaine influence. Vous en faut-il une preuve?... Je viens d'obtenir de lui de quoi payer les billets que vous savez...

—Les billets de Verminet?

—Je crois que oui... Je parle de ceux où vous avez eu la faiblesse de contrefaire une signature...

Les yeux de l'intéressant jeune homme papillotèrent.

Si inepte qu'il fut, il était horriblement tourmenté du son imprudence, et quand il y pensait, il se sentait comme un brasier dans la cervelle...

Il comprenait qu'elle pouvait avoir des conséquences épouvantables que n'arrêteraient ni les influences ni la grande fortune de son père.

—Quoi! fit-il en battant des mains, papa a lâché les fonds!... fameuse affaire!... Donnez, donnez bien vite...

Mais André secoua la tête avec un sourire goguenard.

—Pardon!... dit-il, je ne dois me désaisir de l'argent qu'en recevant les billets; donnant, donnant. Mes ordres à cet égard sont formels. Seulement, si rien ne vous retient, nous pouvons aller les retirer aujourd'hui même, à l'instant. Le plus tôt sera le mieux...

Le jeune M. Gaston ne répondit pas immédiatement. Une grimace de désappointement remplaçait son triomphant sourire.

—Je la trouve mauvaise!... dit-il enfin. Merci de la confiance. Ah! papa est un rusé vieillard, comme dit Augustin.

Cependant il prit son parti.

—Enfin, ajouta-t-il, puisqu'il le faut... allons-y gaiement!... Je vais passer un pardessus, monsieur André, et je suis à vous.

Il était pressé d'en finir, car au bout de moins d'un quart d'heure, il reparut pimpant.

—C'est rue Sainte-Anne, dit-il, en prenant le bras d'André; nous irons bien jusque-là à pied, hein?

C'est rue Sainte-Anne, en effet, que le sieur Verminet (Isidore) a installé le «siège social»—pour parler comme ses circulaires,—de la Société d'escompte mutuel dont il est le seul directeur gérant.

La maison qu'il a choisie et décorée de sa plaque de marbre, à lettres d'or, ne paie pas de mine. Le passant qui par hasard remarque sa façade noire qui raille les ordonnances de voirie, ses persiennes sales et mal assujetties, les vitres crasseuses et poudreuses des fenêtres, manque rarement de se dire:

—Quelle diable d'industrie exerce-t-on là dedans?...

L'industrie de Verminet n'est pas aisée à définir.

La Société d'escompte mutuel, disent les prospectus, est fondée à seule fin de procurer du crédit à ceux qui n'en ont plus, et de l'argent à ceux qui n'en ont pas.

Idée d'une philanthropie sublime, mais d'une pratique difficile.

La façon d'opérer de Verminet, qu'il appelle son «système financier,» est pourtant des plus simples.

Un malheureux commerçant perdu, ruiné, à la veille de la faillite, s'adresse-t-il à lui? Il le console, lui fait signer des billets pour la somme dont il a besoin, et lui remet en échange... d'autres billets, signés par quelque autre négociant non moins perdu, ruiné, et aussi près de la faillite que le premier.

Et à chacun d'eux, il dit:

—Vous ne trouvez pas d'argent sur votre signature?... En voici une qui est de l'or en barre et que vous escompterez aussi aisément qu'un billet de banque.

C'est pourquoi, bravement il perçoit une commission, payable comptant, par exemple, de deux pour cent sur le montant des billets souscrits.

A ceux que ne satisfait pas une seule signature, il en procure deux, trois, quatre... Ah! il n'est pas regardant!

—Comment Verminet trouve-t-il des clients?

On se l'explique quand on sait tout ce dont est capable le pauvre commerçant obsédé par le fantôme de la faillite, il perd la tête, il se débat... Il se raccroche à une signature comme un homme qui se noie à un brin d'herbe.

Parfois cet échange de signatures réussit pour un jour. Tel dont la situation est connue trouve crédit sur la position inconnue d'autrui. L'échéance n'en est que plus terrible.

Ce qui est sûr, c'est que quiconque entre chez Verminet ayant encore quelques chances de rétablir ses affaires, en sort irrémissiblement perdu.

Ceci est déjà bien, et cependant ce n'est que la partie morale des opérations de la Société d'escompte mutuel.

Ses revenus les plus importants et les plus réguliers, elle les tire de tripotages infiniment moins avouables encore.

Elle tient boutique, par exemple, de ces «effets de circulation» qui sont le désespoir et l'effroi de la banque. Tous les faiseurs de la coulisse savent qu'elle fait commerce de signatures assorties pour billets à des fournisseurs: depuis trois francs sur timbre ordinaire, depuis cinq francs sur timbre orné de vignettes commerciales. Il n'est guère de syndic qui ne soit sûr qu'elle fabrique pour faillites, des titres de fantaisie et des créances fictives.

On dit que Verminet gagne du l'argent.

XXIII

Doué de ce coup d'œil rapide et pénétrant, de cette vive sensibilité aux objets extérieurs, qui sont le privilège des artistes de talent, André déchiffra, en quelque sorte, l'histoire de la Société d'escompte mutuel, sur la façade de la maison de la rue Sainte-Anne.

—Hum!... voici une boutique, fit-il, qui ne me dit rien de bon.

—Pas d'apparence!... c'est vrai, objecta le jeune M. Gaston d'un ton capable, mais du fond, beaucoup de fond!... Il s'y brasse, voyez-vous, des affaires dont vous ne vous douteriez jamais. Ah!... Verminet est un gaillard qui vous sait le «truc.»

C'était justement ce que pensait André.

Son opinion était irrévocablement arrêtée sur le compte de ce personnage du tant de «trucs,» capable d'abuser de l'inepte facilité d'un jeune idiot, et qui tendait aux mineurs la plume pour faire des faux.

Il ne risqua cependant pas la moindre objection et suivit le jeune M. Gandelu fils qui semblait connaître admirablement les êtres.

Sur ses pas, il longea un corridor fort long, encore plus étroit, puant et obscur, traversa une cour humide autant qu'un puits, et gravit un escalier à rampe visqueuse, à marches traîtresses et glissantes autant que de la glaise.

Arrivé au second étage, devant une porte historiée d'inscriptions et d'avis concernant l'ouverture et la fermeture de la caisse, le jeune M. Gaston s'arrêta.

—C'est ici, dit-il à son compagnon, entrons...

Il tourna le bouton, suivant les indications de la porte, et André et lui pénétrèrent dans une vaste pièce haute de plafond, à tapisserie éraillée, ornée de banquettes de velours verdâtre, séparée en deux par un grillage à mailles serrées, derrière lequel cinq ou six employés mangeaient, car c'était l'heure du déjeuner.

Les émanations du poêle de fonte, des paperasses, des employés et des victuailles se mêlaient et se confondaient en un parfum, qui saisissait l'estomac et le nez et produisait la sensation d'une barbe de plume chatouillant l'arrière-gorge.

—M. Verminet?... demanda le jeune M. Gaston.

—En affaires! répondit insoucieusement un des commis, la bouche pleine.

—Vous trouverez sans sortir d'ici.
—Vous trouverez sans sortir d'ici.

Cette réception parut on ne peut plus inconvenante à l'intelligent jeune homme. Le traiter avec ce sans-gêne, lui!...

—Hein!... fit-il en enflant sa voix de fausset et du ton le plus impertinent qu'il put prendre, vous dites?... Je la fais aux autres, celle-là, mais on ne me la fait pas...

Il sortit en même temps de sa poche et présenta à l'employé une de ses cartes de visite, timbrées dans un angle de cette couronne de marquis dont la vue exaspérait et faisait bondir l'honnête entrepreneur.

—Si Verminet est occupé, ajouta-t-il, dérangez-le, parbleu!... Dites-lui que c'est moi qu'il laisse attendre, Gaston de Gandelu!

L'employé de la Société d'escompte mutuel fut si ému de ces airs superbes que, sans mot dire, il se dressa, prit la carte, et sortant du grillage, disparut par une porte latérale sur laquelle on lisait: Direction.

Quelle victoire pour le jeune M. Gaston. Aussi jeta-t-il à André un regard triomphant où éclatait le plus légitime orgueil.

Presque aussitôt le commis reparut.

—M. Verminet, dit-il, est en conférence, il vous prie, monsieur, de l'excuser et d'attendre; il vous recevra dès qu'il aura terminé.

Puis, jaloux sans doute de se concilier les bonnes grâces d'un homme de tant de désinvolture, et de bien poser son patron, du même coup, il ajouta en s'inclinant respectueusement:

—Le patron cause en ce moment avec le marquis de Croisenois.

—Tiens!... tiens!... tiens!... exclama le jeune M. Gaston, ce cher marquis!... Elle est bien bonne!... Dix louis qu'il sera ravi de me serrer la main.

A ce mot, de Croisenois, André avait tressailli, et tout son sang avait afflué à son visage.

Croisenois!... C'était l'homme qu'il haïssait de toute l'énergie de son être, ce misérable qui, s'armant d'un secret volé, comme l'assassin de l'ignoble couteau, allait contraindre Sabine de Mussidan à lui abandonner sa main!... C'était ce vil scélérat que M. de Breulh-Faverlay, et lui André, et Mme de Bois-d'Ardon, s'étaient juré de démasquer.

Cependant André ne l'avait jamais vu. Il comptait le jour même s'attacher à ses pas, le suivre, l'observer, surprendre son présent, fouiller son passé, sonder tous les mystères de sa vie, mais il ne le connaissait pas encore physiquement.

Et il frissonnait à cette idée qu'une porte seule le séparait de cet ennemi mortel, qu'il allait le voir, qu'il traverserait la salle, qu'ils se trouveraient face à face, que leurs yeux se croiseraient, qu'il entendrait le son de sa voix, qu'il pourrait, d'un regard, essayer de plonger au plus profond de cette âme de boue...

Si forte était son émotion qu'il avait grand peine à la dissimuler; heureusement son compagnon ne faisait nulle attention à lui.

Sur l'invitation de l'employé, le jeune M. Gaston s'était assis, et renversé sur sa chaise, les jambes croisées, les pouces dans les entournures de son gilet, il s'étalait, s'offrait de trois quarts, de profil et de face, à l'admiration ébahie des tristes hères qui écrivaient derrière le grillage.

Quand il jugea tout son effet produit, il tira André par son paletot, et penchant sa chaise vers lui:

—Vous connaissez ce cher marquis? demanda-t-il assez haut pour que personne dans la salle ne perdit un mot.

André eut une exclamation sourde, que l'autre prit pour une réponse négative.

—Quoi! fit-il, vous n'en avez pas entendu parler!... Elle est forte!... dans quel monde vivez-vous donc?... Henri de Croisenois est un de mes bons amis!... même il me doit cinquante louis que je lui ai gagnés au bac, chez Ernestine, une misère...

André n'écoutait pas.

Il était émerveillé, confondu, de cette surprise du hasard, ou plutôt de la voie mystérieuse choisie par la Providence.

Jamais, en donnant comme il l'avait projeté, sa matinée aux préliminaires de ses investigations, il n'eût découvert rien qui approchât de ce qu'il apprenait en ce moment.

C'était un indice grave qu'il recueillait, il en avait le pressentiment.

Il avait jugé Verminet, et les relations de Croisenois avec ce ténébreux maquignonneur d'affaires avaient une claire signification. De ce côté, évidemment, il fallait diriger les recherches.

André, jusqu'alors, se débattait au milieu d'épaisses ténèbres qu'il sentait vaguement peuplées d'ennemis, à cette heure il apercevait comme une lueur. Il allait s'élancer au hasard, et voici qu'il lui semblait tenir le bout du fil qui allait le guider à travers le labyrinthe d'iniquités de Croisenois.

Comme à ce jeu où le perdant est condamné à retrouver un objet caché, et le cherche guidé par des indications railleuses, il entendait au dedans de lui-même une voix qui lui criait:

—Tu brûles.

De plus, il se trouvait que cet inepte garçon, dont il devenait le mentor, était lié avec le misérable. Pourquoi n'en tirerait-il pas de précieuses indications?

—Vraiment, lui demanda-t-il, vous êtes l'intime de M. de Croisenois?...

—Parbleu!... répondit le jeune M. Gaston. Demandez plutôt à Adolphe de chez Brébant... vous allez voir, tout à l'heure. Je suis surtout du dernier bien avec une dame qui lui coûte les yeux de la tête, tandis que moi... Ah! elle est bien drôle!... mais mystère!... comme dit Léonce, beaucoup de mystère!...

Il s'interrompit, la porte de la direction venait de s'ouvrir, laissant passage au sieur Verminet et au marquis.

M. Henri de Croisenois portait un costume du matin, fort élégant, à la mode, mais non ridicule, comme celui de Gandelu fils.

Il mâchonnait son éternel cigare et fouettait son pantalon de drap gris clair, du bout d'une badine de cuir de Russie à pomme d'or...

D'un coup d'œil, d'un seul coup d'œil où il concentra toute son âme, tout ce qu'il avait d'intelligence, de pénétration, de finesse, André vit assez Croisenois pour ne l'oublier jamais, pour être à même de faire encore son portrait de mémoire, au bout de vingt ans.

Il lui trouva l'air faux et traître, et sous les apparences du viveur de bonne compagnie, insoucieux et sceptique, il crut reconnaître une astuce réfléchie, une méchanceté froide, et cette redoutable détermination des gens prêts à tout.

Le regard, surtout, le frappa par sa mobilité. Les yeux lui parurent troubles, inquiets, effarouchés comme ceux de l'homme qui, ayant fait un mauvais coup, sait qu'il a tout à craindre, et attend le danger de partout et à tout instant.

—Il est impossible, pensa André, que cet homme ne soit pas un scélérat.

A cinq pas, le marquis avec ses petites moustaches fines et soyeuses jouait encore le jeune homme, mais André reconnut qu'en réalité, il devait être bien plus vieux que son âge.

Sous les artifices d'une toilette savante, sous le coldcream et la poudre de riz, l'artiste distinguait les traits flétris du libertin surmené.

Les émotions du jeu, les nuits de débauches, les anxiétés d'une existence précaire, les plaisirs exhorbitants, avaient ridé les tempes, éclairci les cheveux, fané les lèvres et bridé les paupières veuves de cils.

M. de Croisenois semblait d'ailleurs de la meilleure humeur du monde, et c'est du ton le plus gai que Verminet et lui achevaient la conversation commencée, ou plutôt la résumaient, comme on fait presque toujours après un long entretien, au moment de se séparer.

—Il demeure donc bien entendu, disait le marquis, que je n'ai pas à me préoccuper des affaires qui ne concernent que vous et moi.

—Inutile!... j'aviserai!...

—N'y manquez pas, surtout!... Diable!... Un retard, un malentendu, un oubli auraient des conséquences graves.

Cette recommandation suggéra une idée sérieuse à Verminet, car, se penchant vers son «client,» il se mit à lui parler très bas... et ils riaient.

—Que disaient-ils? André avait beau écouter de toutes ses forces, pas une syllable n'arrivait jusqu'à lui.

Mais c'était beaucoup déjà de savoir que ce noble personnage et le directeur du la Société d'escompte mutuel avaient des intérêts communs.

Le jeune M. Gaston, lui aussi, prêtait l'oreille, entièrement dépité de n'être pas remarqué, malgré ses hum! répétés.

Bientôt, n'y tenant plus, il s'avança vers M. de Croisenois, quitte à l'interrompre, plus que jamais arrondissant le dos, la bouche en cœur et la main largement tendue.

—Eh! eh!... fit-il en exagérant encore son insupportable ricanement, ce cher marquis!... Est-elle assez bonne!... Si je m'attendais à vous trouver ici, par exemple!... Ah ça!... que devenez-vous, on ne vous voit plus. Et Sarah?... joue-t-on toujours chez elle?...

Si le marquis fut satisfait de la rencontre, à coup sûr il n'y parut guère. Il sembla surpris, mais non agréablement. Ses sourcils même se froncèrent.

Cependant il serra du bout de ses doigts gantés de gris-clair la main qui lui était tendue, en disant du ton le moins encourageant:

—Ravi de vous voir, cher monsieur, en vérité.

Mais il ne dit que cela, et tournant assez peu civilement le dos au jeune M. Gaston, il continua à s'adresser à Verminet.

—Pour le reste, disait-il, toutes les difficultés sont levées, et comme il n'y a pas une minute à perdre, voyez aujourd'hui même, Martin-Rigal et Mascarot...

André tressaillit. Ces gens dont parlait Croisenois n'étaient-ils pas des complices?... Il voyait des complices partout.

En tout cas, ces deux noms se gravèrent dans sa mémoire comme le poinçon dans le métal sous le puissant effort du balancier.

—Père Tantaine venu ce matin, répondit Verminet.—M'a donné rendez-vous pour quatre heures chez patron.—Y rencontrerai Van Klopen; lui parlerai pour belle amie!...

Le marquis haussa les épaules en éclatant de rire.

—Par ma foi!... fit-il, j'oubliais cette diablesse de femme, et nous sommes en plein carnaval; il faut des robes, il faut de la soie, il faut des dentelles... Parlez à Van Klopen, mon cher, parlez... mais vous savez, pas de largesses... Je me moque à cette heure de Sarah comme de ça.

Ça, c'était le claquement de l'ongle de son pouce sous sa dent.

—Compris!... approuva Verminet, connu et compris.—Évitons imprudence, cependant; brusquer dangereux.—Mouvement possible de ce côté!...—Liquidations à la douce plus sûres que les autres!...

—Oh!... de ce côté, dit M. de Croisenois, rien à craindre!...

Une dernière fois, il serra la main du directeur de la Société d'escompte mutuel, et ajouta:

—Allons!... salut, à demain!...

Tout était convenu. Le marquis traversa rapidement le bureau, et sortit après un léger salut au jeune M. Gaston, sans daigner remarquer la présence d'André, qui, du reste, se dissimulait de son mieux.

M. Gandelu fils, lui, s'était rapproché du jeune peintre.

—Étonnant, murmurait-il!... épatant!... Hein!... quel chic!... Il est vraiment marquis, Jules de chez Bonnefoy me l'a dit... et il est mon ami, vous avez vu?

Évidemment, il allait poursuivre et donner d'étourdissants détails sur Sarah, cette dame qui... cette dame que... lorsqu'il fut interrompu par la voix du sieur Verminet.

—A vos ordres!... messieurs, criait cet honorable financier. Prenez peine de passer.—Mille pardons!—Très pressé.—Une heure déjà!... et pas paru bourse.—Coulisse inquiète!...

Lorsque André et le jeune M. Gaston entrèrent, refermant soigneusement la porte derrière eux, M. Verminet avait déjà regagné son siège de cuir.

M. Verminet est mieux que ses bureaux, plus brillant que son personnel.

D'abord il est propre. Sa tenue qui est celle des jeunes employés à la liquidation,—les plus élégants des boursiers,—fait l'éloge de son tailleur.

Est-il jeune, est-il vieux? On ne saurait le dire. Il n'a guère plus d'âge qu'une pièce de cent sous.

Il est gras, frais, rose, blond, porte ses favoris à l'anglaise, et son œil terne, qui rend bien des sensations, est glacial comme un soupirail de cave.

Sa grande préoccupation est de passer pour un homme sérieux, très sérieux, connaissant exactement la valeur de toutes choses, et c'est pour économiser le temps, qu'il a adopté le langage des nègres et du télégraphe.

—Seyez-vous, messieurs, fit-il, économisant, grâce à ce vieux mot, la syllabe as, seyez-vous.

Mais M. Gandelu fils, lui aussi, était pressé.

—Merci!... répondit-il, nous ne sommes pas des gêneurs. Un mot seulement, comme dit Geoffroy... un simple mot. Vous m'avez prêté de l'argent la semaine passée.

—Juste. En voulez-vous encore?

—Ah! mais non!... au contraire, nous venons retirer mes billets.

Un léger nuage passa sur le front du sieur Verminet.

—Échéance au quinze prochain, seulement, fit-il.

—N'importe!... j'ai le sac, et alors... vous comprenez... Si vous voulez me remettre ces chiffons...

—Pas possible.

—Hein!... vous dites!... pourquoi?

—Négociés!...

Ce mot tomba comme un coup de trique sur le crâne du jeune M. Gaston.

—Négociés!... balbutia-t-il d'une voix défaillante, vous avez négocié ma signature!... Je la trouve mauvaise, excessivement mauvaise!... Mais non, ce n'est pas vrai; vous plaisantez, hein?...

—Plaisante jamais.

Le triste garçon n'en pouvait croire ses oreilles; non, il ne pouvait imaginer que ce fût sérieux. Il était absolument décontenancé, confondu, ahuri.

—Mais ce n'est pas de jeu! reprit-il. Ce n'est pas à moi qu'on la fait, celle-là. Je retire ma mise. Si j'ai signé c'est qu'il était convenu que ces effets ne sortiraient pas de votre portefeuille, c'était entendu, promis...

—Dis pas non, mais promettre et tenir, deux. Affaire lourde, bénéfice incertain, trouvé preneur, donné papier.

L'aventure ne surprenait pas beaucoup André; il avait vaguement pressenti quelque tour de ce genre. Aussi, voyant que M. Gandelu fils perdait totalement la tête, crut-il devoir prendre la parole.

—Pardon, monsieur, dit-il au laconique directeur, il me semble que certaines circonstances... particulières, vous faisaient un devoir de respecter les conventions jurées...

Le sieur Verminet s'inclina tout d'une pièce, et au lieu de répondre:

—Honneur de parler à qui?... interrogea-t-il.

André, qui devenait de plus en plus défiant, à mesure qu'il s'engageait dans cette affaire, ne jugea pas à propos de décliner son nom.

—Je suis, dit-il évasivement, un ami de M. Gaudelu.

—Parfait.

—Je reprends, monsieur. Donc vous avez prêté à mon ami dix mille francs.

—Excusez; cinq mille.

André, un peu étonné, se retourna vers son compagnon, qui de blême qu'il était devint cramoisi.

—Que veut dire ceci? demanda-t-il.

—Une bonne charge!... Je vous avais annoncé dix mille francs, parce que j'avais besoin de la différence pour Zora, vous comprenez.

—Soit, reprit le jeune peintre. Alors, monsieur Verminet, c'est cinq mille francs que vous avez remis à M. Gandelu sur sa signature. Rien de plus naturel. Ce qui l'est moins, c'est de l'avoir incité, décidé, à... imiter la signature d'une autre personne... C'est un faux, monsieur!...

Verminet ne put s'empêcher de tressauter sur son fauteuil.

—Un faux!... murmura-t-il, pas connaissance!...

Cette rare impudence fouetta le sang du jeune M. Gaston et le tira du stupide anéantissement où il restait plongé.

—Trop forte!... s'écria-t-il, elle est trop forte. Comment, Verminet, ce n'est pas vous qui m'avez dit que pour votre garantie personnelle il vous fallait un nom au-dessus du mien!... Celle-là, on ne me la fait pas!...

C'est si bien vous, que vous m'avez mis sous les yeux une lettre en me disant: «Tenez, imitez vaille que vaille ce paraphe, c'est celui de M. Martin-Rigal, le banquier de la rue Montmartre...» Je ne voulais pas, et alors vous m'avez donné votre parole sacrée que ce n'était qu'une formalité qui ne m'engageait à rien qu'à payer exactement; que les papiers ne sortiraient pas de votre tiroir... Et vous niez!... Non, ce n'est pas délicat, et vous me faites de la peine.

Le très honorable directeur écoutait d'un air glacé.

—Accusation mensongère!... dit-il enfin, preuves absentes; société incapable d'action blâmable punie par lois.

—Et cependant, monsieur, insista André, vous n'avez pas hésité à mettre de tels billets en circulation! Avez-vous calculé les épouvantables conséquences de ce manque de parole!... Qu'arriverait-il si on présentait à M. Martin-Rigal cette fausse signature?

—Danger improbable; Gandelu créateur, Rigal endosseur. Billets échus toujours présentés à créateur.

Le jeune M. Gaston se répandait en récriminations, mais André comprit bien que toute discussion serait oiseuse, et que les raisons les plus fortes se briseraient contre une volonté mûrement réfléchie et arrêtée.

Le guet-apens était évident, mais quel était son but?

—Brisons là, fit le jeune artiste. Un seul moyen nous reste de conjurer le péril. Il faut nous mettre à la poursuite des billets et tâcher de les rejoindre.

—Sage.

—Mais pour ce faire, monsieur, il faut que vous ayez la complaisance de nous dire à qui vous les avez passés.

Le sieur Verminet eut ce geste familier des bras, qui traduit éloquemment la plus complète ignorance.

—Sais pas, fit-il, oublié.

André s'était bien juré qu'il serait patient, qu'il ne se laisserait même pas émouvoir.

Mais les forces humaines ont leurs limites. Il s'était animé peu à peu, l'impassibilité de ce froid coquin, sa superbe impudence, ses façons de parler l'agacèrent si bien qu'il oublia ses serments.

André put sauter sans se faire de mal.
André put sauter sans se faire de mal.

—Eh bien!... moi, monsieur, fit-il de cette voix de basse et sifflante, qui annonce la plus extrême fureur difficilement contenue, moi, je vous engage, dans votre intérêt, à faire un appel énergique à votre mémoire...

—Menaces!...

—...Vous prévenant charitablement que si elle vous trahit, cela va être vraiment fâcheux pour vous, oui, sur mon honneur!...

Il n'y avait pas à se méprendre au ton du jeune peintre, le sieur Verminet ne s'y méprit pas.

—Chercher à côté, fit-il.

Il se levait, comptant bien s'esquiver, mais André se jeta devant la porte.

—Vous trouverez sans sortir d'ici, prononça-t-il, et, sacrebleu!... faites vite!...

Pendant deux minutes au moins, ils restèrent immobiles en face l'un de l'autre, se toisant, se mesurant, s'évaluant. Verminet vert de peur et affreusement troublé, André tout vibrant de colère, la lèvre blanche et tremblante, l'œil flamboyant.

—Si ce misérable bouge, pensait André, tout à fait hors de lui, je le jette par la fenêtre.

—Ce grand garçon est bâti comme un hercule, se disait Verminet, et quel air!... il est capable de me faire un mauvais parti.

L'idée d'appeler ses employés à l'aide, lui vint bien, il la repoussa pour des raisons que ne pouvait soupçonner André.

Se sentant bien pris, il se décida à céder, et se frappant soudain le front:

—Étourdi!... s'écria-t-il, indications-là.

Il courut à son bureau et sortit d'un tiroir un volumineux agenda qu'il se mit à feuilleter prestement.

Mais André, qui ne perdait pas de vue un seul de ses mouvements, constata qu'il le tenait la tête en bas.

Cependant il parut y lire le renseignement promis.

—Ah!... fit-il: Billets Gandelu et Rigal, francs cinq mille, passés à Van Klopen, tailleur pour dames, reçu espèces, commission en compte.

Le jeune peintre se taisait.

Un mot de Croisenois lui avait appris que Verminet était en relations avec Van Klopen le couturier, et Martin-Rigal le banquier.

Or, comment Verminet avait-il fait imiter à Gaston, précisément la signature de Martin-Rigal, et pourquoi avait-il tout justement donné ces faux à Van Klopen.

Impossible de voir là un simple jeu du hasard, il fallait que des liens d'intérêt secret existassent entre ces trois hommes et le marquis de Croisenois.

—Eh bien! demanda enfin l'honorable directeur de la Société d'escompte mutuel, vous contents?

—Van Klopen aura-t-il encore les billets, murmura M. Gandelu fils.

—Ne sais.

—Qu'importe, fit André, il nous dira où ils sont... Venez Gaston.

Ils sortirent, et dès qu'ils furent dans la rue, le jeune artiste passant son bras sous celui de son compagnon, l'entraîna au pas de course dans la direction de la rue de Grammont.

—Je ne veux pas, disait-il, laisser le temps à Verminet de prévenir l'autre, je veux tomber chez Van Klopen comme un boulet.

XXIV

Mieux informé, André eût su qu'on n'arrive pas comme un boulet jusqu'à l'illustre Van Klopen.

Retranché dans le sanctuaire de ses inspirations et de ses oracles, ce redoutable tyran de la mode s'entoure de plus de gardes, de défiances et de précautions qu'un despote d'Asie au fond de son harem.

Les femmes, ses clientes, réussissent parfois à éviter l'inévitable station du salon d'attente, les hommes jamais.

Comment savoir si l'homme qui se présente n'est pas un mari furieux!...

Qu'adviendrait-il, bon Dieu!... sans cette consigne de fer?... Monsieur, avare et jaloux, pourrait donc venir surprendre madame en train de choisir et de commander la robe qu'elle compte lui faire payer malgré lui, grâce aux vertus de l'anse du panier!

Les femmes, pauvres anges!... seraient chez les couturiers des dames sur un éternel qui vive!... Ce serait là de la clientèle.

C'est pourquoi, dès le vestibule, André et le jeune M. Gaston, qui arrivaient très essoufflés, furent arrêtés par les immenses laquais dont la livrée reluisante d'or est comme l'enseigne de la prospérité de la maison.

—M. Van Klopen n'est pas visible, déclarèrent-ils.

—L'affaire est importante, cependant; insista André, elle est urgente.

—Monsieur travaille.

Prières, menaces, tentatives de corruption, un billet de cent francs même adroitement offert, furent inutiles.

André se sentait pris d'une démangeaison folle de jeter de côté ces drôles dont la politesse souriante lui semblait injurieuse, et de passer outre; mais il en était déjà à se repentir d'avoir manqué de prudence et de patience chez le sieur Verminet.

Il se résigna donc, non sans effort, et à la suite du jeune M. de Gandelu, il entra dans ce fameux salon que Van Klopen appelle son «purgatoire.»

L'aspect de l'endroit l'étonna. A tout autre moment, il eût été pris de fou-rire, en considérant les portraits de robes accrochés au mur, mais il était sous le coup de la plus vive contrariété.

—Pendant que nous allons croquer le marmot ici, le directeur de la Société d'escompte mutuel aura le temps de prévenir ce gredin de couturier et nous ne saurons rien!...

Cependant les laquais avaient dit vrai, et c'est à peine si cinq ou six clientes soupiraient dans le «purgatoire» après le bon plaisir de l'arbitre des élégances.

Toutes, à l'entrée des deux jeunes gens, se détournèrent, dévisageant ces téméraires; toutes... à l'exception d'une, pourtant; qui, assise dans l'embrasure d'une fenêtre, regardait dans la rue, en tambourinant sur les vitres du bout des ongles.

Cette indifférente, précisément, attira l'attention d'André, et à sa profonde stupeur, il reconnut Mme de Bois-d'Ardon.

—Quoi!... se dit-il, la vicomtesse chez cet ignoble couturier, après son horrible offense de l'autre jour!... Allons, M. de Breulh se trompait quand il me disait: «Celle-là est folle, mais elle a du cœur, et elle nous sera une auxiliaire dévouée!...»

Le jeune M. Gaston, pendant ce temps, se tournait et se retournait sur sa chaise; il sentait cinq paires d'yeux braqués sur lui, et il cherchait une pose avantageuse.

Après s'être étonné, André s'indignait.

—J'en aurai le cœur net, pensa-t-il, je veux lui faire honte.

Il saisit cette idée au bond, et sans souci des personnes présentes, sans réfléchir qu'il pouvait compromettre atrocement la jeune femme, il traversa le salon et alla s'incliner devant elle.

Mais elle prêtait une telle attention à ce qui se passait dans la rue, qu'elle ne s'aperçut pas qu'il était là, et qu'il fut obligé de parler.

—Madame la vicomtesse...

Elle se retourna vivement, et, apercevant André, ne put retenir un petit cri.

—Ah!... vous!...

—Oui, moi, ici!...

Le regard dont il souligna ces trois mots était trop expressif, pour que Mme de Bois-d'Ardon ne comprît pas tout ce qui se passait en lui.

Son cou et son visage, jusqu'à la racine des cheveux, se couvrirent de rougeur, et elle se leva pour répondre plus aisément à André sans être entendue.

—Ma présence vous paraît inouïe, fit-elle, et vous jugez que j'ai peu de mémoire et peu d'orgueil.

André ne répondit pas... C'était répondre.

—Eh bien!... reprit la vicomtesse avec un regard de reproche, vous me calomniez. Si je suis venue, c'est que j'ai vu de Breulh ce matin, et il m'a dit que dans l'intérêt de vos projets, je devais pardonner Van Klopen, et rester avec lui au mieux... Vous voyez, monsieur André, il ne faut jamais juger sur les apparences... surtout une femme.

Ce fut au tour du jeune artiste à devenir cramoisi. Il était vraiment malheureux de son injustice, ses yeux exprimaient le repentir et la plus ardente reconnaissance. Il joignit les mains, et d'un ton suppliant:

—Me pardonnerez-vous, madame... commença-t-il.

D'un petit geste rapide qu'il fut seul à voir, Mme de Bois-d'Ardon l'interrompit.

—Prenez garde, disait ce geste, nous ne sommes pas seuls, on nous regarde.

Et en même temps, elle se retournait vers la rue, en lui faisant signe de l'imiter, afin de dérober au moins leur visage à l'observation.

Le fait est que cette conversation, dont personne n'entendait mot, intriguait fort le salon. Deux dames surtout, l'une bien compromise, et l'autre totalement perdue de réputation en furent vivement choquées et se penchèrent l'une vers l'autre pour se communiquer leur opinion, sur ce qu'elles jugeaient charitablement un rendez-vous scandaleux.

Pour le jeune M. Gaston, il crevait de dépit et de jalousie. Personne ne le remarquait.

—Elle est mauvaise! marmottait-il... A-t-on jamais vu cet artiste, qui me la faisait à la vertu!... Ça ne prend pas!... C'est qu'elle est jolie, la petite!

Entre André et Mme de Bois-d'Ardon, la conversation continuait.

—De Breulh, poursuivait la vicomtesse, a déjà recueilli sur le compte de M. de Croisenois, cent fois plus de bruits fâcheux qu'il n'en faudrait pour décider un père à lui refuser sa fille. Cela ne suffît pas, puisque Mussidan a le couteau sur la gorge. Ce qu'il faut, c'est dénicher dans le passé de ce Croisenois quelque grosse infamie qui le force à se retirer...

—Je la trouverai, fit André les dents serrées, j'en ai la certitude.

—Franchement, mon pauvre monsieur, il faudrait vous hâter. Selon nos conventions, je suis charmante pour lui, il me croit sa toute dévouée, et même il me fait un peu la cour. Demain, je le présente à l'hôtel de Mussidan, c'est convenu avec le comte et la comtesse...

A grand peine, le jeune peintre maîtrisa un mouvement de rage.

—J'ai bien compris en les voyant, reprit Mme de Bois-d'Ardon, qu'il y a quelque chose, et que vous aviez deviné juste. D'abord Mussidan et sa femme, qui vivaient fort mal ensemble, se sont tout à coup rapprochés, on dirait qu'ils se serrent l'un contre l'autre, pour mieux résister au danger... Puis leur contenance, leurs mouvements, tout en eux trahit l'inquiétude, la contrainte, le désespoir... C'est avec attendrissement, avec une sorte de reconnaissance douloureuse qu'ils regardent leur fille... J'ai deviné qu'ils attendent d'elle le salut, et qu'ils l'admirent de les sauver.

—Et elle, murmura André, elle...

—Sabine, monsieur André, est sublime... oui, sublime, pour qui comme moi sait la vérité. Résolue au sacrifice elle l'a accepté, plein, entier, sans restrictions, sans murmure... Son dévouement est grand, mais ce qui est admirable, c'est qu'elle sait dissimuler à ses parents l'étendue et l'horreur de son sacrifice. Noble fille!... Elle est calme et grave comme avant, mais non davantage. Je l'ai trouvée maigrie et un peu pâlie, son front, quand je l'ai embrassée, m'a brûlé les lèvres comme un fer rouge... hormis cela, rien ne trahit ses intolérables souffrances... C'est à douter. Mais Modeste m'a parlé... C'est un rôle qu'elle joue... un rôle où elle agonise... elle mourra en souriant à ceux dont elle sauve l'honneur.

De grosses larmes roulaient lentes et silencieuses sur les joues d'André.

—Mon Dieu!... murmura-t-il, comment mériter une telle femme!...

Mais une porte s'ouvrait, et au bruit qu'elle fit, André et Mme de Bois-d'Ardon s'interrompirent et se retournèrent vivement.

L'illustre Van Klopen apparaissait.

Selon sa coutume après chaque consultation, il venait crier dans son «purgatoire»:

—A qui le tour?

Mais à la vue du jeune M. Gaston, sa physionomie changea, et c'est le sourire le plus engageant aux lèvres qu'il fit passer les deux jeunes gens, écartant d'un geste impérieux la patiente dont c'était le tour, et qui protestait contre le passe-droit.

—Sans doute, dit-il, d'un ton bonhomme, à M. Gandelu fils, vous venez me commander quelque surprise pour la délicieuse Zora de Chantemille?...

Affreuse ironie!... l'intelligent jeune homme poussa un soupir à fendre l'âme.

—Pas pour le moment!... répondit-il... Zora est un peu souffrante...

Mais André, qui avait arrangé la petite histoire à conter au couturier des reines, était trop pressé pour laisser consumer le temps en parlages inutiles.

—Nous venons, monsieur, interrompit-il, pour une affaire plus sérieuse. Mon ami, M. Gaston, va quitter Paris pour plusieurs mois, et il désire, avant de s'éloigner, retirer sa signature de la circulation. Il y tient d'autant plus que son père serait fort mécontent s'il apprenait qu'il a souscrit des billets...

—Je conçois cela.

—Eh bien!... monsieur, vous pouvez lui être fort utile.

Le jeune et intelligent Gaston se vit sauvé.

—Alors, mon cher Klopen, dit-il, remettez-nous les valeurs que vous avez signées de moi.

L'illustre couturier hocha la tête.

—Je les ai eues, fit-il... oui, je me rappelle très bien. Cinq billets de mille francs chaque, valeur en compte, signés Gandelu, endossés Martin-Rigal... Je les tenais de la Société d'escompte mutuel... J'en ai disposé.

—Pas de veine!... murmura Gaston affreusement déconcerté.

—Oui, je les ai envoyés en règlement à mes fournisseurs de Saint-Étienne-Rollon, Vrac et Cie...

Le sieur Van Klopen est peut être un coquin habile; mais il est né à Rotterdam, la finesse de détail lui manque. Bien plus, en dehors de son extraordinaire impudence professionnelle, il se trouble aisément. Et la preuve, c'est que, gêné par le regard d'André obstinément attaché sur lui, il ajouta:

—Si vous ne me croyez pas, je puis vous montrer l'honorée de ces messieurs m'accusant réception...

—Inutile, monsieur, prononça André, inutile... du moment que vous nous donnez votre parole d'honneur...

—Certes, je vous la donne, et la grande, et la vraie... Mais n'importe, laissez-moi chercher la preuve dans ce paquet de lettres...

Le couturier des reines semblait chercher avec une sorte de rage.

—Oh!... assez, monsieur, fit André, sans la moindre ironie, car il tenait à paraître dupe, ne prenez pas tant de peine... Les billets sont à Saint-Étienne... c'est un petit malheur!... Nous attendrons l'échéance. M. Gandelu ne déshéritera pas son fils pour cela... j'ai l'honneur de vous saluer...

Et comme il sentait bouillonner son sang dans ses veines, comme il craignait de ne pas rester parfaitement maître de soi, André sortit, entraînant le jeune Gaston, lequel voulait absolument consulter Van Klopen sur la tenue qu'il serait «très chic» de donner à Zora quand elle sortirait de Saint-Lazare.

Lorsqu'ils furent dans la rue, à une vingtaine de pas de la maison du tailleur pour dames, André s'arrêta, et, tirant son calepin, y écrivit, à tout hasard, l'adresse des fabricants de Van Klopen, MM. Rollon, Vrac et Cie. Quand il eut fini:

—Eh bien!... demanda-t-il à son compagnon, que pensez-vous de votre couturier?

M. Gandelu fils était absolument rassuré.

—Je pense, mon cher bon, répondit-il, que Van Klopen n'est pas bête... Il me connaît. S'il avait fait sa tête, je lui perdais sa clientèle... et raide! Je suis bon garçon, comme dit Philippe de chez Vachette... mais je n'aime pas les scies!... Ah!... mais non!...

—Alors où croyez-vous vos billets?...

—A Saint-Étienne, parbleu!...

L'obstinée confiance du jeune M. Gaston arracha à André un geste de commisération et d'impatience.

Cette naïveté idiote, chez un garçon gâté jusqu'aux moelles par toutes les corruptions parisiennes, lui paraissait inexplicable.

—Voyons, fit-il on consultant sa montre, il est trois heures, si pressé que je sois, j'ai un quart-d'heure à vous donner.

Ils arrivaient au boulevard des Italiens, ils tournèrent à droite, remontant vers la rue de Richelieu.

—Écoutez-moi donc, reprit André, et tâchez, s'il se peut, de vous bien pénétrer de l'affreuse gravité de votre situation...

—J'écoute, mon cher bon, allez-y gaiement!...

—Il est entendu, n'est-ce pas, que Van Klopen vous a refusé crédit, et c'est pour le payer que vous vous êtes adressé au sieur Verminet.

—Naturellement...

—Rien de mieux, en effet. Mais comment expliquez-vous que ce même homme qui, le lundi, vous jugeait trop insolvable pour vous ouvrir un compte, soit allé le mardi choisir précisément les billets créés par vous à son intention pour les envoyer à ses fabricants?

L'objection était si forte, elle résumait si clairement la situation, que M. Gandelu fils en fut saisi. C'était une lueur soudaine qui éclairait le brouillard de sa cervelle.

—Cristi!... murmura-t-il, évidemment inquiet; je n'avais pas réfléchi à cela. Elle est drôle!... Voudrait-on me monter un coup? Je m'le d'mande. Mais lequel?...

—Il est à croire, cher monsieur, que Verminet et Van Klopen ont le projet de vous faire «chanter».

Ce mot sonna mal à l'oreille de l'intelligent jeune homme.

—A qui le tour?
—A qui le tour?

—Me faire chanter, moi!... déclara-t-il, ah!... mais non. Je la connais, celle-là. Ce n'est pas ce petit-là qu'on fait chanter.

André haussa les épaules.

—Alors, reprit-il, faites-moi le plaisir de chercher ce que vous répondrez à Verminet, si le jour de l'échéance, il vient vous dire: Donnez-moi 100,000 francs de ces cinq petits papiers ou je les porte à votre père.

—Je dirai... Ah!... je la trouve mauvaise, je dirai...

—Vous ne direz rien. Vous reconnaîtrez qu'on a abusé de votre simplicité, vous conjurerez Verminet d'attendre, et il attendra si vous lui signez pour cent mille francs de lettres de change payables à votre majorité...

Qu'on se fût joué de lui, voilà ce que ne put digérer le jeune M. Gaston.

—Cent mille claques!... interrompit-il, voilà tout ce qu'aura Verminet. Ah!... je suis comme cela, moi, si on m'énerve, je mets les pieds dans le plat! Payer ce farceur!... il s'en ferait mourir. Je sais bien que papa la trouvera mauvaise, et que si je lui tombais sous la main dans le premier moment, il y aurait de la casse... Mais, zut!... je jouerais les filles de l'air!...

Il était transporté d'indignation; mais, emporté par la force de l'habitude, il ne trouvait au service de sa colère d'autres expressions que ces locutions idiotes dont composent leur vocabulaire ces spirituels jeunes messieurs à veston court, qui sont les délices du boulevard.

—Je crois, reprit André, que votre père vous pardonnerait cette... imprudence plus difficilement encore que l'infamie de lui envoyer un médecin compter combien d'heures lui restaient à vivre!... Il vous pardonnerait pourtant, il est votre père... il vous aime.

—Parbleu!... A Chaillot, Verminet!...

—Non, monsieur, non. Si vous n'avez pas peur de votre père... il vous menacera d'une autre personne... il vous menacera du procureur impérial.

Du coup, l'intéressant jeune homme s'arrêta brusquement.

—Oh!... fit-il, pour une plaisanterie...

—Oui; mais le malheur est que cette plaisanterie s'appelle un faux, en bon français. Et un faux, quand il est dénoncé, c'est la cour d'assises d'abord, puis le bagne.

Le jeune M. Gaston était devenu affreusement pâle, il regardait André d'un air fou, la pupille dilatée par l'effroi, plus tremblant que la feuille fléchissant sur ses jarrets.

—Le bagne!... bégaya-t-il, non, il n'en faut pas. Anatole dit qu'on n'en meurt pas, et qu'on y est même très bien avec des protections... Mais c'est égal, je n'en suis plus, je passe la main!...

Il parut réfléchir, et avec une certaine violence reprit:

—Mais je suis buté, je ne chanterai pas. Si on me dénonce, je fais comme Cartex... Ah!... elle est bien bonne! J'invite tous mes amis à un grand dîner, et au café, v'lan!... dans l'œil!... je me tire un coup de pistolet. Les autres feront une drôle de tête... Hein! quelle réclame pour Brébant?... Toutes les dames après, tourmenteront Philippe pour qu'il les fasse dîner dans le cabinet où la chose se sera passée... Voilà comme je suis, moi!... Et dans ma poche on trouvera une lettre très spirituelle qu'on mettra dans tous les journaux!...

Il oubliait qu'il était sur le boulevard, il criait de toute la puissance de son fausset; il gesticulait, et déjà quelques passants s'arrêtaient, espérant une dispute.

André passa son bras sous le sien, et l'entraîna.

Mais Gaston avait été remué jusqu'au fond de lui-même, et toutes les cordes de son âme, muettes jusqu'alors, vibraient.

—Dix louis, poursuivait-il, que le rusé vieillard en meurt!... Pauvre père, je l'ai durement scié, tout de même. Moi qui avec rien le rendais si heureux!... Quand je restais à dîner avec lui, il mettait les petits plats dans les grands!... Ah! si c'était à recommencer!... Mais quoi!... Le jeu est fait rien ne va plus... A mon âge, je la trouve mauvaise!... Avoir vingt ans, le sac, le truc, du chic, être adoré de Zora, et éteindre son gaz... Elle n'est pas drôle!... Mais la cour d'assises... Non! j'aime mieux le pistolet!... je suis le fils d'un honnête homme!...

A son tour, André s'arrêta, examinant son compagnon avec la stupéfaction d'un vivisecteur qui entendrait parler une bête qu'il galvanise.

Le dégoût que lui avait inspiré Gaston diminua. Il lui sut gré de son énergie, si grotesquement qu'elle fut exprimée.

—Vrai... vous ne feriez pas ce que vous dites? interrogea-t-il.

—Parbleu!... Je suis cascadeur, si on veut, mais sérieux dans les grandes occasions. Ce sera dur, mais voilà ce que c'est... c'est bien fait... il ne fallait pas y aller....

Véritablement, la résolution éclatait dans ses yeux.

—J'approuve votre énergie, mon cher Gaston, reprit André, mais ne désespérons pas. Je crois, oui, je crois bien que je réussirai à arranger cette malheureuse affaire... seulement, soyez prudent, tenez-vous coi... Et n'oubliez pas que d'un instant à l'autre, je puis avoir besoin de vous.

Les esclaves de Paris
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