Mais Mlle de Sauvebourg se souciait peu de M. de Clinchan.

Elle avait jugé la grandeur de l'amour qu'elle inspirait à Octave, et elle s'était mis en tête de tout faire pour l'augmenter encore.

Se faire aimer jusqu'à l'aberration, jusqu'à la stupidité, d'un homme qu'on disait supérieur par l'esprit et par l'intelligence, qui devait avoir l'expérience de la passion, lui semblait une tâche digne de son ambition et mettait un intérêt palpitant dans sa vie.

Faire prendre, dès l'abord, à Octave, le pli de sa volonté et de ses caprices, c'était prudence et prévoyance. C'était, de plus, s'exercer pour plus tard, quand elle serait à Paris, quand elle serait une femme à la mode, et son succès ici devait lui donner la mesure de l'empire qu'elle exercerait là-bas.

Octave fut pris, et tout autre l'eût été à sa place. Elle avait le don de la séduction, et jamais plus merveilleuse comédie d'amour ne fut jouée par la plus raffinée des coquettes.

Le jour de son mariage, elle était radieuse. Mais ce grand contentement était une affectation et une bravade. Elle se sentait observée. Lorsque sortant de l'église elle traversa la double haie des habitants de Bivron rangés sur son passage, elle surprit plus d'un regard malveillant.

Un malheur plus direct et plus réel l'attendait au château de Mussidan, qu'elle allait habiter désormais.

Elle y trouva Montlouis, et si grande que fût son audace, elle ne put s'empêcher de rougir jusqu'à la racine des cheveux quand on le lui présenta.

Lui, heureusement, qui avait prévu le moment, avait eu le temps de s'y préparer, et il fit bonne contenance.

Mais si respectueusement qu'il s'inclinât, Mlle Diane, devenue Mme de Mussidan, crut distinguer dans ses yeux cette expression d'ironique mépris et de menace, qu'elle avait aperçue dans les yeux de Dauman.

—Cet homme ne peut rester ici, pensa-t-elle, il ne restera pas.

Demander à Octave le renvoi de Montlouis était simple et prompt. Mais c'était chanceux aussi. C'était en quelque sorte provoquer ce jeune homme à dire ce qu'il savait du passé.

Le plus sage était de lui faire bonne figure et de déterminer son renvoi à la première bonne occasion.

Or, cette occasion ne pouvait se faire attendre longtemps. Octave était fort mécontent de son secrétaire.

Montlouis qui était plein de zèle, quand il habitait Paris avec son patron, se relâchait singulièrement depuis son séjour à Mussidan. Il avait renoué des relations avec cette jeune fille de Châtellerault qu'il adorait, et il ne se passait pas de semaine qu'il ne disparût quelquefois deux jours entiers. Cela ne pouvait durer.

Ce ne fut cependant pas de ce côté que partit le premier coup qui atteignit la jeune mariée. De ce côté, elle était en garde, et c'est surtout ce qu'on ne saurait prévoir, le hasard, l'impossible, qu'il faut craindre.

Il y avait une douzaine de jours qu'elle était vicomtesse de Mussidan, quand un après-midi, Octave lui proposa une promenade à pied. Elle jeta un châle sur ses épaules, et ils partirent, gais comme des amoureux en vacances.

Ils suivaient le chemin charmant qui tourne le bourg de Bivron, quand tout à coup ils entendirent de grands aboiements dans un taillis qui borde la route.

Un chien de forte taille en sortit presque aussitôt, qui, toujours aboyant, se précipita sur la jeune femme. Elle ne put retenir un cri. Elle reconnaissait Bruno.

L'épagneul, arrivé à elle, s'était dressé, et, appuyant ses pattes de devant sur sa poitrine, avançait son museau fin et intelligent.

—A moi Octave!... balbutia-t-elle.

Mais déjà M. de Mussidan avait écarté l'épagneul.

—Ce chien vous a fait peur, mon amie? demanda-t-il.

—Oui!... une peur affreuse!...

Elle était fort pâle, en effet, et plus tremblante que la feuille. Elle frémissait de cette reconnaissance, des suites qu'elle pouvait avoir. M. de Mussidan, lui, observait les allures de Bruno.

Tout surpris de la réception qui lui était faite, le bel épagneul s'était assis un peu à l'écart, et son œil parlant semblait demander une explication.

—Ce chien, à coup sûr, ne voulait pas vous faire mal, dit enfin Octave.

—N'importe!... Chassez-le.

Et elle-même s'avança sur Bruno, son ombrelle levée, comme pour le frapper. Mais le chien ne s'enfuit pas. Croyant que son ancienne amie voulait jouer avec lui, comme autrefois, il se mit à décrire autour d'elle des cercles rapides, jappant joyeusement, poussant de petits cris de plaisir, comme pour la défier et la provoquer à le poursuivre.

—Mais ce chien vous connaît, Diane, remarqua M. de Mussidan.

—Moi!... d'où?... Comment?...

—Regardez plutôt.

Bruno, en ce moment, lui léchait la main.

—Au fait, répondit-elle sans savoir ce qu'elle disait, il est possible que je l'aie caressé je ne sais où, et qu'il ait plus de mémoire que moi... Cependant, je ne me sens pas fort rassurée; venez, Octave; allons-nous-en.

Il la suivit, et il eût vite oublié cet incident si Bruno, tout joyeux d'avoir retrouvé quelqu'un de connaissance, ne s'était obstinément attaché à leurs pas.

—C'est singulier, répétait Octave, tout à fait singulier.

Il avait tout fait pour effrayer l'épagneul et il allait ramasser des pierres pour les lui jeter, quand, dans un champ, à vingt pas de lui, il aperçut un paysan qui bêchait.

—Eh!... mon brave!... lui cria-t-il, connaissez-vous ce chien?

—Oui bien, monsieur.

—A qui appartient-il?

—A notre maître, monsieur, à M. Norbert de Champdoce.

Ce nom seul secoua la jeune dame de Mussidan comme le choc d'une pile électrique.

—En effet, s'écria-t-elle vivement, je me souviens, à cette heure... j'ai vu souvent ce chien chez la mère Rouleau, et je lui donnais du pain... Il suivait toujours cette malheureuse qui est partie avec ce vilain homme... Oui, je le reconnais maintenant, il doit s'appeler Bruno. Ici, Bruno!...

Le chien accourut; et elle se baissa, bien moins pour le caresser que pour cacher son visage qu'elle sentait plus rouge que le feu.

Octave reprit le bras de sa femme sans ajouter un mot. Le soupçon venait de l'effleurer de son aile de chauve-souris. Cette scène ne lui paraissait pas naturelle, l'agitation de Diane était bien extraordinaire. De vagues défiances, indéterminées, qu'il n'eût su comment traduire, s'éveillaient en lui.

Mme Diane, de son côté, était horriblement tourmentée. Cet accident était un avertissement. Il lui révélait l'étendue du péril qu'elle bravait tous les jours.

Elle se maudissait d'avoir été si faible, si pusillanime, si lâche! Comment une femme forte comme elle avait-elle pu perdre la tête à ce point? Pourquoi se défendre si énergiquement de connaître ce chien? à quel propos?... Quelle maladresse que cette explication ensuite!... Est-il donc vrai que la voix de la conscience peut étouffer celle de la raison!...

Si elle eût dit tout simplement: «Tiens! c'est Bruno, le chien du duc de Champdoce!» son mari n'eût rien vu là de surprenant. Son trouble avait fait, de la chose la plus simple du monde, un gros événement.

La préoccupation de son mari avait été visible après cette fatale promenade. Elle avait surpris un soupçon dans un coup d'œil qu'il lui avait jeté. Comment l'effacer? Comment lui rendre sa sécurité?

A tout hasard, elle se condamna à avoir désormais une frayeur insurmontable des chiens. En apercevait-elle un, elle poussait un cri. Elle faisait tenir ceux d'Octave à la chaîne... Ah! n'importe, elle sentait le terrain brûlant sous ses pieds, il lui semblait qu'elle était environnée d'une atmosphère explosible, qui à la moindre étincelle allait s'enflammer!

De ce jour, la dame de Mussidan n'eut plus qu'une pensée: partir, quitter Bivron, fuir n'importe où, mais fuir.

Il avait été convenu qu'au sortir de l'église les jeunes époux trouveraient une chaise de poste qui les emporterait vers quelque contrée bénie, inconnue, où elle trouverait avec l'oubli et le calme, la virginité de ses impressions.

Les événements en avaient décidé autrement, et de semaine en semaine, toutes sortes de raisons les retenaient à Mussidan.

Libre, la jeune femme n'eût pas été arrêtée une minute par ces raisons qui intéressaient cependant la fortune et l'avenir; mais elle avait trop à compter avec l'opinion de ceux qui l'entouraient pour oser paraître en faire bon marché.

Tout ce qu'elle pouvait raisonnablement tenter, c'était de pénétrer Octave de son idée fixe, de ramener continuellement son esprit à cette question de départ, qu'il lui était interdit d'aborder franchement.

A l'entendre parler devant les grands parents, on eût juré qu'elle voulait vivre et mourir à Mussidan.

Mais dès qu'elle était seule avec son mari, elle avait l'art de lui faire dire, tout en semblant le contrarier, qu'ils y étaient fort mal, que leur vie y était envahie par des importuns, qu'ils s'y trouvaient comme en tutelle, qu'ils ne s'appartiendraient véritablement que le jour ou ils seraient dans leur ménage, serrés l'un contre l'autre, chez eux, enfin!

Il est certain qu'Octave était bien persuadé qu'il avait pensé tout cela avant de le dire. Il serait parti s'il l'eût pu.

—Voyons, murmurait la jeune femme, ne saurais-tu patienter un peu!

—Eh!... ni ton père et le mien n'en finissent, avec leurs tracasseries d'intérêts.

Cependant il fallait à Mme Diane plus que de la patience, car elle avait le pressentiment qu'une catastrophe était proche, elle la devinait, elle la sentait dans l'air.

La catastrophe arriva.

C'était dans les derniers jours d'octobre, le 26, un jeudi, vers les quatre heures de l'après-midi.

Elle venait d'achever sa toilette et était accoudée à une des fenêtres de sa chambre, quand tout à coup la cour du château fut envahie par une foule visiblement émue. Quelques femmes pleuraient s'essuyant les yeux du coin de leur tablier.

Presque aussitôt des paysans entrèrent, portant un brancard sur leurs épaules.

Ce brancard était entièrement recouvert d'un drap, tout taché de sang d'un côté, et sous la toile grossière, on distinguait nettement les contours raides et immobiles d'un cadavre.

A cette vue, Mme Diane se sentit glacée jusqu'à la moelle des os; elle était saisie d'horreur, et cependant elle ne pouvait s'arracher de cette fenêtre.

Le matin même, son mari et M. de Clinchan, accompagnés de Montlouis et d'un domestique nommé Ludovic, étaient partis pour chasser aux environs.

Évidemment, un de ces quatre hommes gisait sous ce drap. Lequel?...

Le doute dura peu Octave parut. Il n'avait plus figure humaine, il paraissait mourant. M. de Clinchan et Ludovic le soutenaient chacun sous un bras.

Le mort était Montlouis!...

Il ne serait donc plus nécessaire de ruser pour obtenir le renvoi de l'infortuné secrétaire. Il n'y avait plus à craindre qu'il parlât!

Cette idée abominable traversant le cerveau de la jeune femme lui donna la force de descendre pour s'informer, pour savoir... Mais, à moitié de l'escalier, elle fut arrêté par M. de Clinchan, qui montait, et qui, hors de lui, la saisit brusquement par le bras, en lui disant d'une voix rauque et brève:

—Remontez, madame, remontez...

—Mais qu'y a-t-il, au nom du ciel?

—Un malheur affreux!... Venez, rentrez chez vous; votre mari nous suit.

Elle résistait, mais il employait presque la force; il la poussa jusque dans sa chambre, et Octave s'y précipita au même moment.

En apercevant sa femme, il étendit les bras, l'attira à lui et, la serrant contre sa poitrine, il éclata en sanglots.

—Il pleure! murmura M. de Clinchan, il est sauvé! J'ai cru qu'il allait devenir fou.

Enfin, après bien des questions et des réponses incohérentes, Mme de Mussidan comprit que son mari avait tué Montlouis, à la chasse, involontairement...

Quelques heures plus tard, au salon, Ludovic expliquait cet horrible accident, le mimait pour ainsi dire; et prouvait qu'il n'y avait en rien de la faute de son maître, et qu'il fallait que la fatalité s'en fût mêlée.

Diane crut à cette fatalité.

Et cependant on ne lui disait pas la vérité.

Montlouis était mort pour elle, comme déjà le duc de Champdoce. Il était mort parce qu'il l'avait connue, qu'il possédait son secret, qu'il avait parlé. La vérité, la voici:

Après un déjeuner de chasseurs, dans les bois de Bivron, Octave, animé par une bouteille de sauterne, s'était mis à plaisanter Montlouis sur ses fréquentes absences, et à railler la femme qui en était la cause.

Ils marchaient alors seuls, un peu en arrière de leurs compagnons.

Pendant un moment, Montlouis laissa maltraiter cette femme qu'il aimait à la folie, mais à la fin, piqué par un sarcasme trop vif, il se révolta et répondit peu poliment.

C'en était assez pour irriter M. de Mussidan. Après avoir déclaré à son secrétaire qu'il ne tolérerait plus ses escapades, il lui reprocha amèrement de risquer une belle position pour une fille qui n'en valait pas la peine, qui le trompait, se moquait de lui avec d'autres, pour une drôlesse, enfin.

Montlouis était devenu plus blanc qu'un linge.

—Pas un mot de plus, monsieur, s'écria-t-il, je vous le défends!...

Son accent était si menaçant que, persuadé qu'il allait se précipiter sur lui, Octave leva la main pour le frapper.

—J'espère que nous sommes toujours amis.
—J'espère que nous sommes toujours amis.

D'un saut de côté, Montlouis esquiva le coup, mais il était ivre de fureur, et cette insulte dernière acheva de lui faire perdre la tête.

—Que parlez-vous de duper, s'écria-t-il, vous qui épousez la maîtresse des autres! Que parlez-vous de drôlesses, vous dont la femme n'est qu'une......

—Le mot n'était pas prononcé, qu'il tombait ayant reçu en pleine poitrine la charge entière du fusil d'Octave...

Comment M. de Mussidan cacha-t-il la vérité à Diane?... Comment ne chercha-t-il pas à savoir ce qu'il y avait au fond des affreuses imputations du Montlouis?...

Il n'osa pas. Il aimait sa femme éperdument, et la passion vraie est capable du toutes les capitulations et de toutes les lâchetés. Il sentait que jamais il n'aurait le courage de se séparer de Diane, qu'il pardonnerait quoi qu'il y eût...

Dès lors, à quoi bon s'éclairer?... Mieux valait le doute qu'une désolante réalité. Le doute! c'est encore une porte ouverte à l'illusion.

Acquitté pat les juges, grâce à l'audacieuse initiative de Ludovic, Octave n'avait pas été absous par sa conscience.

Cette jeune fille, qu'aimait Montlouis, il la fit rechercher et parvint à la découvrir après bien des démarches. Pauvre fille! elle venait de mettre au monde un fils, et chassée par sa famille, elle était près de périr de misère.

Octave la sauva du désespoir, et sans lui dire quelles raisons le guidaient, lui jura qu'il l'aiderait à élever son enfant, qu'elle avait appelé Paul, comme Montlouis.

Quelques jours plus lard, M. et Mme de Mussidan quittaient le Poitou. Plus que jamais Diane souhaitait habiter Paris. Elle avait attiré à son service une ancienne soubrette de Mlle de Puymandour, et cette fille avait été indiscrète. Diane savait qu'avant son mariage, Mlle de Puymandour avait aimé Georges de Croisenois, et elle comptait sur lui pour se venger de Norbert.

XIII

Le mariage de Norbert avec Mlle de Puymandour ne pouvait avoir même un rayon de cette lune de miel fugitive qui luit pour deux êtres étrangers rapprochés par le hasard, et brusquement unis par des convenances de famille.

Chacun d'eux en voulait cruellement à l'autre de sa propre faiblesse, et si, pour Norbert, Marie était toujours une femme imposée par une volonté despotique, elle ne pouvait, elle, lui pardonner de l'avoir épousée.

Lorsqu'aux formules de la loi lues par le maire, il répondaient: Oui! il y avait déjà entre eux un abîme de glace. Chaque jour le creusa davantage.

Et personne pour les rapprocher. Personne pour amortir les chocs continuels de deux caractères également fiers et exaspérés.

Le comte de Puymandour les avait comme abandonné.

Dès le lendemain de l'établissement de sa fille,—c'était son expression,—il n'avait plus songé qu'à en tirer parti, au profit de sa vanité. Courir le pays aux armes de Champdoce, visiter vingt personnes par jour pour avoir l'occasion de dire vingt fois «madame la duchesse ma fille» lui semblait un bonheur sublime.

Lorsque Norbert, le lendemain de la mort de son père annonça qu'il partait pour Paris, M. de Puymandour approuva de toutes ses forces sa résolution. Il lui paraissait que restant seul au pays, il y remplacerait en quelque sorte le vieux duc, et sans doute pour mieux recueillir sa succession d'autorité et d'esprit, il annonça qu'il s'établirait à Champdoce, et en effet, il s'y installa.

C'est lorsqu'elle fut arrivée à Paris, que la jeune duchesse se jugea véritablement et avec trop de raison, hélas!... la plus infortunée des femmes.

Champdoce, c'était presque la maison paternelle; ses yeux se reposaient sur des paysages connus, on venait la visiter; si elle sortait, elle rencontrait des figures amies.

Ici, tout lui semblait étranger, ennemi.

Lorsqu'elle se trouva dans cet immense hôtel de la rue de Varennes, elle se crut perdue.

Pourtant, elle devait avoir là cette vie quasi-royale que son père lui dépeignait comme une suprême jouissance ici-bas.

Le feu duc de Champdoce, si économe lorsqu'il s'agissait de lui ou de Norbert, redevenait le grand seigneur généreux et prodigue jusqu'à la folie dès qu'il croyait travailler pour ses descendants.

Cet hôtel, préparé pour ses petits-fils, était un miracle de luxe grandiose.

Tout y était somptueux, magnifique et rare, depuis les tentures jusqu'aux plus menus objets, depuis les services armoriés et l'argenterie massive jusqu'aux tableaux et aux statues qui décoraient la grande galerie.

Et le duc avait toujours si amoureusement soigné cet hôtel que tout y était disposé comme si, d'un instant à l'autre, on eût attendu le maître.

Norbert et sa femme arrivant, purent croire qu'ils rentraient chez eux après une courte absence, tant chaque chose était à sa place.

Les trois vieux valets qui avaient la garde et le soin de l'hôtel, leur dirent que leur chambre était prête et que le dîner allait être servi.

Cependant Norbert, livré à lui-même, eût été très embarrassé. Mais il avait un conseiller, le fidèle Jean, qui gardait les traditions de la bonne époque, et qui eut bientôt établi le service sur le plus grand pied.

A Paris on trouve tout à acheter, tout, même le temps. En moins de quinze jours Jean peupla les cuisines, les offices et les antichambres de valets bien dressés; il encombra les remises d'équipages et emplit les écuries de chevaux de prix.

Mais pour la jeune duchesse de Champdoce, ce mouvement, ce train princier n'animaient pas l'hôtel. Il restait pour elle vide et morne. Les valets lui faisaient l'effet d'ombres se mouvant dans un crépuscule funèbre.

Elle trouvait les appartements trop vastes, les plafonds trop hauts, les tentures lugubres, les tableaux affreusement tristes, tous les meubles trop grands et trop lourds.

Elle vivait sous l'impression continuelle d'une terreur vague, indéfinissable, le cœur serré d'une inexprimable angoisse, tressaillant au moindre bruit.

Et personne à qui confier ses peines...

Ses anciennes amies de Paris... Norbert lui avait défendu de les voir: il ne les jugeait pas assez nobles. Ils étaient en grand deuil... Norbert avait déclaré qu'ils ne feraient de visites que l'année suivante.

Elle restait donc seule, abandonnée.

Comment le souvenir de Georges Croisenois ne lui serait-il pas revenu?

Si son père l'eût voulu, pourtant, elle eût été la femme de Georges, et, à cette heure, ils seraient bien loin, ensemble, ils cacheraient leur bonheur dans quelque contrée bénie, en Italie, à Florence, à Naples. Il l'aimait, celui-là, tandis que Norbert...

Norbert menait alors une de ces existences insensées qui annoncent comme un parti pris de ruine et de suicide.

Présenté dès son arrivée au cercle de... par son oncle, le chevalier de Septvair, il fut reçu avec acclamation. On le considérait comme une conquête.

Il portait un des noms historiques de France, la renommée triplait sa fortune si considérable; il fut entouré, recherché, fêté, choyé. Il ne savait auquel entendre, tant il eut bientôt d'amis intimes, de complaisants, de flatteurs et de simples parasites.

Sentant quels succès lui défendait l'infériorité de son éducation, il rechercha les triomphes faciles, ceux qu'assurent l'argent dépensé, les abus des forces physiques, les excentricités bruyantes, le mépris affecté de toutes les conventions sociales.

Ne pouvant prétendre à devenir le plus élégant et le plus spirituel, il voulut au moins se distinguer par sa brutalité et son cynisme.

Il jetait l'or par les fenêtres pour installer une écurie de courses, il eut l'art d'accrocher deux ou trois duels qui furent heureux, il se montrait partout en compagnie de filles perdues.

Ses journées se passaient à monter à cheval et à faire des armes. La nuit, il soupait et il jouait. Sa femme ne le voyait plus. Quand il rentrait à l'hôtel, c'était à l'aube, les jambes flageolantes et la langue pâteuse, ayant le plus souvent perdu des sommes considérables.

Jean, ce gardien fidèle de l'honneur de la maison de Champdoce, gémissait, non de voir son maître courir à la ruine, mais de le savoir toujours entouré d'équivoques compagnons de débauche.

—Et le nom! monsieur, disait-il quelquefois, le nom!

—Eh! que m'importe, pourvu que je vive vite et que je meure bientôt!...

La vérité est que cette vie tourbillonnante attirait Norbert comme l'abîme le malheureux qui se penche au-dessus. S'abandonnant au vertige, il ne luttait plus, il ne pensait plus.

Une seule pensée émergeait de l'ombre, celle de Diane. Celle-là, quoi qu'il fît, il ne pouvait l'anéantir. Au milieu même des brouillards de l'ivresse, l'image de cette femme tant aimée se détachait lumineuse, comme une lampe dans la nuit...

Il y avait plus de six mois que cette existence sans frein durait, quand, par une belle après-midi du mois de février, au moment où il descendait à cheval la grande avenue des Champs-Élysées, Norbert aperçut une femme qui lui adressait, de la tête, un salut amical.

Elle était dans une magnifique calèche découverte, malgré le froid, enveloppée jusqu'au menton dans de précieuses fourrures.

Norbert pensa que c'était quelqu'une des demoiselles de théâtre qu'il connaissait, et par désœuvrement il poussa son cheval vers la voiture.

Arrivé à dix pas, il faillit tomber, tant sa surprise fut grande. Il venait de reconnaître Diane, Mme de Mussidan.

Il continua d'avancer cependant, et comme la voiture venait de s'arrêter, il rangea son cheval entre la portière et la contre-allée.

La jeune femme ne semblait guère moins agitée que lui, et pendant un instant ils gardèrent le silence, échangeant des regards enflammés, oppressés comme s'ils eussent pressenti quelle destinée était suspendue au-dessus de leur tête.

Enfin Norbert comprit qu'il fallait dire quelque chose, quoi que ce fût, mais parler; déjà les domestiques l'examinaient d'un œil curieux.

—Vous à Paris, madame!... balbutia-t-il.

—Oui, monsieur le duc.

—Depuis longtemps?

—Il y aura mardi deux mois que mon mari et moi sommes installés.

Elle appuya sur ces mots: Mon mari.

—Deux mois!...

—Ni plus ni moins, et c'est à peine si j'y puis croire, tant les jours ont passé vite.

Un sourire étrange passa dans ses yeux et elle ajouta:

—Mais donnez-moi donc des nouvelles de Mme la duchesse de Champdoce; se plaît-elle à Paris?

Norbert eut un geste furibond.

—La duchesse, fit-il d'une voix sourde, la duchesse...

Mme de Mussidan l'interrompit. Elle avait dégagé une de ses mains des fourrures, elle la lui tendit, en disant d'un ton moitié tendre, moitié railleur:

—J'espère que nous sommes toujours amis..., bons amis. Allons, au revoir...

Le cocher, comme si le mot: «Au revoir,» eût été un signal, toucha, et la calèche partit au grand trot de ses beaux carrossiers.

Norbert n'avait pas pris la main que lui tendait la jeune femme; il était bien trop abasourdi.

Mais il ne lui fallut pas dix secondes pour se remettre. Enlevant brusquement son cheval, il le fit voiler sur place, et, lui enfonçant les éperons dans le ventre, il le lança vers l'Arc-de-Triomphe.

—Ah! s'écriait-il, avec l'accent de la rage la plus vive, je l'aime encore! Je ne puis aimer qu'elle! je n'ai jamais aimé, je n'aimerai jamais qu'elle!...

Ainsi songeait Norbert, tout en poussant, contre toute prudence, son cheval au milieu des voitures qui sillonnaient l'avenue, cherchant des yeux la calèche de Mme de Mussidan. Il fallait qu'elle eût quitté les Champs-Élysées par une allée latérale, car il ne l'apercevait pas.

—Mais je retrouverai Diane, murmurait-il, je la chercherai, je la reverrai, je le veux; elle ne m'a pas oublié, sa voix me l'a dit...

A ce moment, une pensée de salut traversa son esprit.

—Une femme comme elle, se dit-il, ne peut pardonner franchement certaines offenses; quand elle paraît revenir, on a tout à craindre.

Malheureusement il ne s'arrêta pas à cette réflexion. Il avait tout oublié, et les pires infortunes ne lui avaient rien appris.

Et le soir même, il courait à son cercle, pensant qu'il y trouverait infailliblement quelqu'un pour lui apprendre la demeure de Mme de Mussidan.

Personne encore n'était arrivé au cercle; personne, sauf le baron Dusourd. C'était un gros homme curieux et bavard, sachant tout, se mêlant de tout, qui ne manquait pas d'esprit, capable de faire battre des montagnes, personnage problématique comme sa baronnie, fort riche d'ailleurs, et qu'on avait surnommé «La Gazette.»

C'est au baron que Norbert s'adressa, et dès les premiers mots il éclata de rire.

—Encore un!... fit-il. Comment, vous aussi, mon cher duc, vous voici amoureux de la divine vicomtesse!

Norbert devint cramoisi. Il n'avait pu encore se déshabituer de rougir.

—Oh! il n'y a pas de honte à cela, dit gravement le gros homme. Vous ne seriez pas le premier à qui Mme de Mussidan mettrait la cervelle à l'envers. Vous seriez, à ma connaissance, le... le combien seriez-vous? Mettons le cinquième.

—Le cinquième!...

—Juste!... faut-il vous énumérer les victimes? D'abord, Mussidan; il a épousé, lui. Puis, le plus jeune des Sairmeuse, puis Clairin, puis Georges de Croisenois... Vous le voyez, elle mène son char à quatre; vous, on vous mettra en arbalète...

Impatienté, Norbert tourna le dos au baron qui ne s'en offensa pas, habitué qu'il était à ces procédés. Même le gros homme riait dans ses favoris, de la malice qu'il avait eue de ne pas répondre...

C'était une leçon pour Norbert; il résolut de s'en remettre au hasard, et le hasard ne lui fit pas défaut. Le hasard est toujours exact, quand on s'engage dans une entreprise funeste, et qu'il pourrait la faire manquer.

Le lendemain même, aux Champs-Élysées, Norbert rencontra Mme de Mussidan, et il la rencontra pareillement tous les jours qui suivirent.

A chaque rencontre, ils avaient échangé quelques mots, et au commencement de la semaine suivante, après bien des hésitations, Diane finissait par promettre à Norbert que le lendemain, à trois heures, elle ferait arrêter sa calèche près du bois, qu'elle descendrait comme pour marcher un peu, et qu'elle lui accorderait une entrevue.

Mme de Mussidan avait dit: A trois heures...

Bien avant deux heures, Norbert était au rendez-vous, bouillant d'impatience, torturé par l'incertitude.

Il se demandait: Est-ce bien moi qui attends ici, comme autrefois au sentier de Bivron?

Que d'événements, cependant; que de changements survenus!...

Ce n'était pas Diane qui allait venir. Ce serait la comtesse de Mussidan, la femme d'un autre.

Lui-même, il était marié.

Ce n'était pas le caprice d'un père, qui les séparait à cette heure, c'était le devoir, la loi, la société.

Pourquoi, se disait-il dans sa folle exaltation, Diane et lui ne s'affranchiraient-ils pas de vains préjugés? Pourquoi ne quitteraient-ils pas, elle son mari, lui sa femme?...

L'heure passait cependant.

Depuis une heure, Norbert avait consulté sa montre soixante fois au moins.

—Si elle allait ne pas venir!...

Comme il disait cela, il vit une voiture s'arrêter et une femme en descendre.

C'était elle.

Rapidement elle gagna les arbres, et franchit un espace vide, sans s'inquiéter des ronces, pour arriver plus vite à la petite allée.

Norbert s'inclinait, mais elle, sans mot dire, lui prit le bras et l'entraîna plus avant dans le bois.

Il avait beaucoup plu les jours précédents, et l'allée où avait attendu Norbert était fort boueuse. Mais cela n'arrêta pas Mme de Mussidan.

—Marchons! disait-elle d'une voix brève, marchons, on peut nous apercevoir de la route... J'ai pris toutes mes précautions, ma voiture et mes gens m'attendent à une des portes de Saint-Philippe-du-Roule, mais je puis avoir été épiée, suivie... Marchons!...

—Vous n'aviez pas ces frayeurs, autrefois!...

—J'étais ma maîtresse, alors. Ma réputation était toute ma fortune, mais elle m'appartenait, j'avais le droit de la risquer; en la perdant, je ne faisais tort qu'à moi seule.... En me mariant, j'ai reçu en dépôt l'honneur de l'homme qui me donnait son nom. Je saurai le garder intact.

—Dites que vous ne m'aimez plus.

Elle s'arrêta brusquement, écrasa Norbert d'un de ces regards glacés dont elle avait le secret, et lentement répondit:

—Vous avez perdu la mémoire, monsieur le duc, moi je me rappelle une lettre...

D'un geste suppliant, Norbert l'interrompit.

—Grâce!... balbutia-t-il, ayez pitié!... Vous me plaindriez si vous connaissiez l'horreur du châtiment!... J'étais devenu fou, aveugle, stupide... Jamais je ne vous ai aimée comme à cette heure...

Un sourire glissa sur les lèvres de Mme de Mussidan. Norbert ne lui apprenait rien, mais elle voulait, il lui fallait ce mot: la certitude.

Norbert et sa femme entraient.
Norbert et sa femme entraient.

—Hélas! murmura-t-elle, que puis-je vous répondre? un mot terrible et fatal: trop tard!...

—Diane!...

Il essaya de prendre la main de la jeune femme, elle se rejeta en arrière.

—Oh! pas ainsi, monsieur le duc, dit-elle d'un air véritablement égaré, ne m'appelez pas ainsi... Vous n'en avez pas le droit... C'est assez d'avoir perdu la jeune fille, ne déshonorez pas la jeune femme!... Il faut m'oublier, entendez-vous?... C'est pour vous dire cela que je suis venue. L'autre jour, en vous apercevant, je n'ai pas été maîtresse de mon premier mouvement; ce cœur que vous avez possédé tout entier s'élançait vers vous, et je vous ai fait signe... Ne cherchez pas à vous prévaloir de ma faiblesse... Je vous ai dit: «Nous sommes amis...» J'étais folle. Nous ne pouvons même pas être amis, nous devons devenir l'un pour l'autre... des étrangers.

Les paroles du baron, au cercle, sonnaient encore aux oreilles de Norbert.

—Vous êtes moins sévère pour M. de Sairmeuse, fit-il amèrement, pour M. Georges de Croisenois, pour...

—Que prétendez-vous dire! interrompit-elle d'un ton hautain. Ces messieurs sont les amis de mon mari. Tandis que vous...

Elle lui prit les poignets qu'elle serra comme en un étau, entre ses mains délicates, et penchant son visage vers celui de Norbert, jusqu'à le toucher presque:

—Vous oubliez encore, poursuivit-elle, qu'à Bivron on affirmait que j'étais votre maîtresse!... Croyez-vous que la calomnie n'a pas su pénétrer jusqu'à mon mari!... Un jour qu'on prononçait votre nom devant lui, j'ai vu le soupçon et la haine dans ses yeux... Grand Dieu!... s'il se doutait, quand je rentrerai, que votre main vient de toucher la mienne, il me chasserait comme une misérable... Est-ce que la porte de notre maison ne vous est pas à tout jamais fermée?...

—Ah!... je suis bien malheureux!...

—Trouvez-vous donc mon sort digne d'envie!... Mais à quoi bon gémir! On ne change pas sa destinée. Soyez homme... et s'il vous reste quelque affection... pour moi, prouvez-le-moi en ne cherchant jamais à me revoir.

Norbert était désespéré, il la conjurait de rester encore, il s'attachait à elle...

—Ah!... s'écria-t-elle, ne m'ôtez pas mon courage!...

Et, se dégageant vivement, elle regagna sa voiture qui partit au galop.

Elle s'éloignait, mais elle venait de verser dans le cœur de Norbert un poison plus subtil que celui qu'elle destinait au duc de Champdoce.

C'est qu'elle le connaissait, comme le virtuose de génie l'instrument dont il tire des sons merveilleux; elle savait quelles cordes vibraient en lui, et comment il fallait les attaquer. Elle était certaine qu'avant un mois il serait à ses pieds, qu'elle reprendrait sur lui un empire plus absolu que jamais, et qu'il l'aiderait à exécuter contre lui-même l'abominable projet qu'elle avait conçu.

Et rien ne devait la gêner, car elle était libre, quoi qu'elle eût dit, libre comme l'air.

Ses calculs, d'ailleurs, étaient justes.

Après l'avoir suivie comme son ombre, mais à distance, pendant quinze jours, Norbert s'enhardit jusqu'à l'aborder aux Champs-Élysées. Elle se fâcha, mais non assez pour qu'il ne reparût plus. Il reparut... Elle pleura... N'importe, il revint encore.

Sa défense parut héroïque à Norbert, et cependant, peu à peu, elle faiblit; il devint plus pressant; elle lui accorda une entrevue, puis deux...

Mais quelles entrevues!... Elles avaient lieu à l'église, quelquefois, ou dans un musée, ou au bois... et c'est à peine s'il avait le temps de lui serrer furtivement la main.

Et cependant, il n'osait se plaindre, tant était terrible le tableau qu'elle lui faisait des dangers qu'elle bravait pour lui.

Enfin, après des hésitations, des larmes, toutes sortes de réticences, elle finit par lui avouer qu'elle avait trouvé un moyen de rendre leurs rendez-vous plus fréquents, plus longs, presque sans péril... c'était, mais elle n'osait le dire... c'était sans doute bien mal... c'était... qu'elle devînt l'amie de la duchesse de Champdoce!...

Cette fois, Norbert reconnut qu'elle était un ange, et il fut décidé que dès le lendemain il la présenterait à sa femme.

XIV

C'était dans les premiers jours du mois de mars, un mercredi.

Au lieu de se faire servir dans son appartement ou de courir au cercle rejoindre quelques amis, comme c'était son habitude de tous les matins, le duc de Champdoce, Norbert, avait voulu déjeuner avec la duchesse.

Il était d'une humeur charmante, souriant et causeur comme jamais sa femme ne l'avait vu depuis leur funeste mariage. Il rit, il plaisanta, il conta fort spirituellement deux ou trois anecdotes très amusantes et un peu scandaleuses, qui couraient alors les cercles et les salons de Paris.

Le café servi, il demanda à la duchesse de fumer devant elle, se fit apporter des cigares, et s'installa confortablement devant l'immense poêle de la salle à manger.

On eût dit que pour la première fois il s'apercevait qu'il était marié, qu'il était chef de famille, qu'il avait certains devoirs à remplir, et qu'il voulait s'exercer à ces jouissances si douces pour qui les connaît et les a éprouvées, de l'intérieur et de l'intimité.

Mme de Champdoce ne pouvait en revenir. Cette métamorphose si complète et si soudaine l'inquiétait et l'effrayait. Elle pressentait quelque chose d'extraordinaire et de grave, un évènement qui allait tomber dans sa vie et la changer. Et comme elle était inexpérimentée, inhabile à garder ses impressions et à feindre, ses regards interrogeaient.

Norbert, lui, attendait avec une impatience évidente que les valets eussent fini leur service et se fussent retirés.

Dès qu'il se trouva seul avec sa femme, il se rapprocha d'elle et lui prit la main, qu'il baisa galamment.

—Voici longtemps déjà, ma chère Marie, commença-t-il, non sans une certaine hésitation, que je me propose de vous ouvrir mon cœur. Une franche et amicale explication entre nous est devenue indispensable.

—Une explication!...

—Mon Dieu!... oui. Mais que ce vilain mot ne vous effraye pas... Jusqu'ici, chère amie, j'ai dû vous paraître le plus triste et le plus fâcheux des maris...

—Monsieur le duc...

—Permettez que je m'explique. Depuis que nous sommes ici, c'est à peine si nous nous sommes vus; je sors de grand matin, je rentre fort tard, nous sommes restés jusqu'à trois jours sans échanger une parole...

La jeune femme écoutait de l'air d'une personne qui doute du témoignage de ses sens. Était-ce bien Norbert qui s'accusait ainsi!...

—Je ne me suis jamais plainte, monsieur, balbutia-t-elle.

—Je le sais, Marie, vous êtes une noble et digne femme et vous êtes jeune... Il est impossible que vous ne m'ayez pas mal jugé!...

—Je ne vous ai pas jugé, monsieur.

—Tant mieux!... je n'aurai, cela étant, ni à me défendre, ni à me disculper. C'est qu'il faut que vous le sachiez, Marie, vous étiez ma chère pensée, alors même que je semblais m'éloigner de vous. J'ai peu vécu chez moi, c'est vrai, mais cela tenait à des circonstances particulières, à des nécessités de situation... à des projets... au but que je poursuis, à mille causes enfin qu'il serait long de vous énumérer. Mais pendant que vous me supposiez tout occupé de mes plaisirs, je souffrais de vous savoir seule à la maison et comme abandonnée...

Évidemment, il faisait, pour paraître bon, affectueux, ému, les plus sincères comme les plus utiles efforts. Ses expressions étaient presque tendres, mais sa voix n'avait rien même d'amical.

—Je sais les devoirs d'une honnête femme, monsieur, fit dignement la duchesse.

Norbert protesta du geste.

—De grâce, chère Marie, interrompit-il, que jamais il ne soit question entre nous de devoir. Les causes de votre isolement, vous les connaissez aussi bien que moi. Les amis de Mlle de Puymandour pouvaient-ils devenir les amis d'une duchesse de Champdoce? Non, vous me l'avez avoué.

—Aussi n'ai-je pas insisté.

—C'est vrai. D'un autre côté, cependant, notre deuil nous interdit toute visite pendant quatre on cinq mois encore.

La duchesse se leva, espérant peut-être couper court à cette conversation impatientante outre mesure.

—Eh!... monsieur, fit-elle, vous ai-je donc jamais demandé à sortir!...

—Jamais. Raison de plus, pour moi, de m'occuper de rendre votre intérieur agréable. Ah!... que de fois j'ai souhaité voir auprès de vous quelque personne de mérite, non une de ces folles qui n'ont la tête pleine que de plaisirs et de toilettes, mais une jeune femme sensée, de votre âge, de votre rang, une amie enfin... Mais où trouver une amie?... Les liaisons entre jeunes femmes sont pleines de périls!... Des premières amitiés dépendent souvent le bonheur d'un ménage...

Il s'embarrassait dans ses phrases, cherchait péniblement ses mots, en homme qui, ayant à exprimer une idée difficile, tourne longtemps autour.

—Enfin, reprit-il plus vivement, je crois avoir découvert cette compagne que je rêvais pour vous... J'ai eu l'occasion de la voir chez Mme d'Arlange, qui m'a fait son éloge, et je compte vous la présenter aujourd'hui même.

—Ici?

—Certainement. Que voyez-vous là d'extraordinaire? cette jeune femme d'ailleurs n'est pas une étrangère pour nous; elle est de notre pays, vous la connaissez.

Il se sentait rougir, il se baissa vers le poêle comme pour en ajuster la porte en ajoutant:

—Vous devez vous rappeler Mlle de Sauvebourg!

—Mlle Diane?

—Précisément.

—Oh!... je la voyais très peu. Son père et le mien étaient assez mal ensemble. Le marquis de Sauvebourg nous considérait comme de bien petites gens...

Norbert avait repris son assurance.

—Eh bien! interrompit-il, j'espère que la fille rachètera à vos yeux les défauts du père. Elle a épousé peu après notre mariage le vicomte de Mussidan, un allié des Commarin, s'il vous plaît... Bref, elle doit vous rendre visite aujourd'hui, et j'ai dit à vos gens que vous receviez...

Mme de Champdoce ne répondit pas. Elle manquait d'expérience, mais non d'esprit, ni de cette pénétration que donne le malheur, et le trouble de Norbert, son embarras, ses réticences ne lui avaient pas échappé.

Le silence durait depuis un bon moment, et commençait à devenir gênant, quand ou entendit le roulement sourd d'une voiture sur le sable de la cour.

Le timbre du vestibule frappa un coup, ce qui signifiait une visite pour madame.

Presque aussitôt, un domestique entra dans la salle à manger, annonçant que la comtesse de Mussidan attendait au salon.

Norbert s'était levé avec l'empressement le plus marqué. Il prit le bras de sa femme et l'entraîna presque en disant:

—Venez, Marie, venez, c'est elle!...

Ce n'était pas sans de longs débats intérieurs que Diane s'était décidée à cette étrange et audacieuse démarche, à cette visite en dehors de tous les usages reçus. Elle s'exposait, et elle ne le sentait que trop, aux plus pénibles humiliations.

Il y avait une minute au plus que Mme de Mussidan était seule dans le grand salon de l'hôtel de Champdoce, et il lui semblait qu'elle attendait depuis un siècle, quand enfin la porte s'ouvrit: Norbert et sa femme entraient.

Le moment était si décisif que le cœur de Diane cessa de battre, une sueur froide trempa la racine de ses cheveux, et si maîtresse qu'elle fût de ses sensations, sa physionomie dut trahir une horrible anxiété.

Mais ce fut l'affaire d'une seconde et il fut impossible de surprendre le secret de son angoisse. Un seul regard l'avait rassurée: la duchesse ne savait rien du passé, jamais un soupçon n'avait effleuré sa confiance.

C'est donc avec la plus gracieuse aisance, et le sourire aux lèvres, que la comtesse de Mussidan s'inclina devant Mme de Champdoce, s'excusant gaiement de son importunité.

Elle n'avait pu, disait-elle, résister un désir de revoir une ancienne voisine, la sachant si près, et elle passait sur toutes les convenances, tant elle se faisait une fête de causer du Poitou, de Bivron, de Champdoce, de ce beau pays où elle était née et qu'elle aimait tant.

La Duchesse écoutait sans un mot, sans seulement une exclamation, ce charmant verbiage. Elle avait salué très froidement et son visage disait, plus clairement peut-être que ne le veulent les règles de la bonne compagnie, la surprise que lui causait cette visite inattendue.

Il y avait là de quoi déconcerter un aplomb moins solide que celui de Mme Diane. Mais la gêne présente était si peu de chose comparée au péril couru, qu'elle trouvait au service de son audace une loquacité abondante et spirituelle qui, jusqu'à un certain point, sauvait la situation.

Établie dans une chaise longue près du foyer, elle présentait alternativement ses pieds à la flamme, détournant la tête à demi.

Elle sentait le regard de la duchesse de Champdoce arrêtée sur elle, et il lui convenait de se prêter à un examen attentif, persuadé qu'il lui serait favorable.

Norbert, lui, était resté debout, il allait et venait par le salon. Son personnage l'embarrassait extraordinairement, car il ne sentait que trop l'odieux du rôle qu'il avait accepté.

Cependant dès qu'il jugea que la glace était rompue et que les deux jeunes femmes causaient amicalement, il sortit, ne sachant plus s'il devait se réjouir ou s'affliger du succès de cette comédie indigne.

Mais une fois hors du salon, ses fugitifs remords se dissipèrent.

—Baste!... se dit-il, Diane est une femme habile, elle nous tirera très bien de là.

La tâche était plus difficile qu'il ne le pensait.

D'après ce que Norbert lui avait dit de sa femme, Mme de Mussidan pensait qu'elle serait reçue par la duchesse un peu comme le serait un ange, qui descendrait du ciel pour visiter et consoler un prisonnier.

Elle s'attendait à trouver une sorte de niaise, qui, dès la première visite, lui sauterait au cou, et qui bientôt, dans ses élans d'expansion et de reconnaissance, se livrerait tout entière.

Elle reconnut vite que Norbert, à l'exemple de trop de maris, jugeait mal sa femme, qu'elle s'adressait à une personne dont elle ne s'emparerait pas sans les plus grands ménagements, assez clairvoyante pour deviner les pièges qu'on lui tendrait s'ils n'étaient pas habilement dissimulés.

Loin de la décourager, cette difficulté l'excita. Et telle était quand elle le voulait, sa puissance de séduction que lorsqu'elle se retira le premier pas était fait.

Le soir même, Mme de Champdoce disait à son mari:

—Je crois que la comtesse est une excellente femme.

—Excellente est le mot, répondit Norbert. Tout Bivron pleurait quand elle est partie: elle était la providence des pauvres.

Intérieurement il se sentait flatté du succès de Mme Diane.

—Comme elle est adroite et futée, pensait-il.

Loin de l'effrayer, cette prodigieuse duplicité le charmait. Il y voyait une nouvelle raison d'admirer une femme d'un génie si supérieur.

N'était-ce pas pour lui, d'ailleurs, qu'elle déployait tant d'adresse, n'était-ce pas une preuve de la plus vive passion!...

Son contentement diminua beaucoup le lendemain, lorsqu'il vit Mme de Mussidan aux Champs-Élysées. Elle était triste et préoccupée.

—Qu'avez-vous, mon amie? lui demanda-t-il.

—J'ai... que je me repens amèrement d'avoir cédé aux inspirations de mon cœur et à vos supplications. Hélas!... nous avons commis une imprudence affreuse.

—Nous!... Comment cela?

—Norbert, votre femme se doute de quelque chose.

—Elle!... Impossible. Elle chantait vos louanges après votre départ.

Mme de Mussidan haussa les épaules.

—Si cela est, reprit-elle, c'est qu'elle est plus forte encore que je ne l'avais cru. Elle dissimule ses soupçons... donc elle veut les vérifier. Que me disiez-vous qu'elle était simple et crédule?... Elle est fine, au contraire, plus fine que nous. Oh!... no souriez pas, il n'y a qu'une femme pour juger une autre femme.

Le ton de Mme Diane était si grave que Norbert s'effrayait sincèrement.

—Que faire, alors? demanda-t-il, quelle conduite tenir?

—Renoncer à nous voir serait le plus sûr.

—Oh!... jamais, jamais!...

—Laissez-moi réfléchir, alors, me consulter... et en attendant, au nom du ciel, mon ami, de la prudence!...

Le résultat des réflexions de Mme de Mussidan fut que tout à coup Norbert dut changer de vie. Plus de cercle, de parties, de soupers, de nuits passées à jouer ou à boire.

Dans la journée, il se montrait avec sa femme, souvent le soir, il rentrait à l'hôtel.

Au cercle, on l'accusait de tourner au mari modèle.

Ce brusque changement n'eut pas lieu sans révoltes, il s'indignait de l'hypocrisie constante à laquelle il était condamné; mais la petite main blanche si délicate et si frêle de Mme Diane était une main de fer.

—Il faut que vous viviez ainsi, répondit-elle à ses plaintes, d'abord parce qu'il le faut, ensuite parce que je le veux. Me croiriez-vous si faible que de tolérer d'un homme qui prétend m'aimer ce que subissait votre malheureuse femme? D'ailleurs, de votre conduite présente dépend notre sécurité à venir... Il faut,

pour Mme de Champdoce, que le bonheur soit entré avec moi dans sa maison.

—Mais je ne l'ai pas volé! disait-il.
—Mais je ne l'ai pas volé! disait-il.

A cela, que répondre? Norbert était plus follement épris que jamais, et une crainte terrible glaçait toute objection sur ses lèvres. «—Que je lui déplaise, pensait-il, et je la perds!» Et il obéissait.

Sa consolation était de voir que du moins Mme de Mussidan ne perdait pas ses peines.

Après s'être tenue longtemps sur la défensive, la duchesse n'avait pas su résister aux charmes de cette amitié si intelligente et si dévouée qui s'offrait à elle, et elle avait fini par se livrer absolument à sa plus mortelle ennemie.

Bientôt, elle n'eût plus de secrets pour elle, et enfin, un jour, en rougissant beaucoup, après de longues et intimes confidences, elle lui avoua son premier, son seul amour de jeune fille, ce grand amour dont le souvenir restait au fond de son cœur comme un précieux parfum. Elle osa nommer Georges de Croisenois.

Ce jour-là, Mme de Mussidan tressaillit de joie.

Cet aveu, elle l'attendait depuis longtemps déjà; il le lui fallait pour le succès de son plan, et elle avait tout fait pour le provoquer.

Quel parti elle en tirerait? elle ne le savait que trop, depuis tant de mois qu'elle ne songeait qu'à cela. Elle savait que les femmes ont plus perdu de femmes que les hommes n'en ont séduit.

—Je la tiens donc enfin, pensait-elle, je vais donc être vengée!

Les deux jeunes femmes étaient alors comme deux sœurs et ne se quittaient plus, pour ainsi dire. C'était à ce point que Norbert finissait par être jaloux de cette grande amitié que lui-même avait cimentée.

C'est que cette amitié ne lui donnait pas, il s'en fallait, la liberté et les facilités de relations qu'il en attendait.

Depuis que Mme Diane venait tous les jours à l'hôtel de Champdoce, il la voyait beaucoup moins qu'avant. Quelquefois il s'écoulait des semaines sans qu'il réussît à se trouver seule avec elle une minute.

Elle prenait si exactement et si adroitement ses mesures, que toujours entre elle et lui se dressait sa femme, comme dans ces farces italiennes où constamment Pierrot, quand il est près d'embrasser Colombine, rencontre sous ses lèvres le visage d'Arlequin.

A diverses reprises, il fut sur le point d'éclater; toujours Mme de Mussidan avait pour lui fermer la bouche des provisions de raisons, bonnes ou mauvaises.

Tantôt elle plaisantait sans pitié, tantôt, prenant son grand air qui lui en imposait quand même, elle disait:

—Qu'aviez-vous donc espéré?... De quelles infamies me supposez-vous capable?...

Évidemment, il était joué par Diane comme un enfant, comme un sot: il le voyait, il le sentait.

Il était clair que toutes ces manœuvres perfides tendaient vers un but. Lequel?

Norbert eût au moins dû chercher à le deviner. Il n'y pensa même pas. Toutes ses réflexions, comme de l'huile tombant sur le feu, enflammaient encore sa passion, et les déchirements de l'orgueil blessé se piquant aux exaspérations de ses désirs, il se sentait devenir fou.

Si encore il eût pu suivre Mme de Mussidan comme autrefois!... Mais dehors aussi elle était gardée, et soit qu'elle se promenât au Bois, soit qu'elle se montrât aux courses, toujours quelques cavaliers servants galopaient à la portière de sa voiture. C'était tantôt M. de Sermeuse, tantôt M. de Clairin, le plus souvent Georges de Croisenois.

Tous ces messieurs déplaisaient souverainement à Norbert; mais ce dernier avait surtout le don de l'irriter. Il le jugeait impertinent et fat. En quoi il jugeait on ne peut plus mal.

A vingt-cinq ans qu'il venait d'avoir, M. le marquis de Croisenois passait pour un des hommes spirituels de la haute société parisienne. Chose rare, sa réputation était méritée, et il n'était pas méchant. Il pouvait avoir beaucoup de jaloux, il n'avait pas d'ennemis sérieux. On l'estimait et on l'aimait pour la sûreté de ses relations et sa loyauté. Enfin, son caractère avait certains côtés chevaleresques et aventureux qui séduisaient.

Au physique, c'était un homme de taille moyenne, bien pris, très brun, ayant le front ouvert et intelligent, d'admirables cheveux noirs, le regard doux et le sourire légèrement sarcastique.

—Je voudrais bien savoir, demandait Norbert à Mme de Mussidan, quel charme vous trouvez à vous faire suivre par cet impertinent gentillâtre?

A quoi invariablement elle répondait avec un diabolique sourire:

—Vous êtes trop curieux!... Vous le saurez plus tard.

Plus prudent et mieux avisé, Norbert se fût inquiété du ton de ces réponses. Au lieu de s'emporter follement, il se fût appliqué à analyser la conduite de Diane, et il est probable que cette étude l'eût mis sur la trace de la vérité.

Mme de Mussidan poursuivait alors avec une patience infinie et des ménagements merveilleux son œuvre de destruction.

Il ne s'était pas écoulé un seul jour sans qu'il eût été question de Croisenois entre elle et Mme de Champdoce, elle avait su accoutumer l'esprit de la duchesse à envisager froidement quantité de probabilités, de possibilités même, dont la seule idée quelques mois plus tôt la faisait frémir.

Ce grand point obtenu, Mme Diane jugea que le moment était venu de rapprocher ces deux amants, et qu'une seule rencontre inopinée vaudrait ses plus savantes insinuations.

Un jour donc que Mme de Champdoce était allée prendre son amie pour une promenade, on la pria d'attendre au salon quelques minutes. Elle y entra et trouva le marquis de Croisenois.

Un même cri de surprise leur échappa, lorsqu'ils se reconnurent, et ils devinrent extrêmement pâles l'un et l'autre. Même l'émotion de la duchesse fut telle, qu'elle s'affaissa, anéantie, sur un fauteuil, près de la porte.

Georges n'était guère moins agité. Il avait profondément aimé Marie de Puymandour, et n'était pas encore consolé de son mariage.

—J'avais eu foi en vous, balbutia-t-il, d'une voix à peine intelligible, et vous avez oublié.

—Vous ne croyez pas ce que vous dites!... répondit la duchesse en se dressant à demi.

Mais presqu'aussitôt, elle se laissa retomber, en poursuivant sans se rendre compte de la gravité de ses paroles:

—Mon père commandait... j'ai obéi... j'ai été faible... je n'ai rien oublié...

Accroupie derrière une porte, Mme de Mussidan ne perdait ni un mot ni un geste, et son cœur était inondé d'une détestable joie. Elle se disait qu'une entrevue qui commençait ainsi ne serait pas la dernière...

Elle ne se trompait pas. Bientôt elle découvrit que la duchesse et Georges s'entendaient pour se rencontrer chez elle à son insu.

Mais elle était bien trop habile pour paraître s'apercevoir de rien. Elle était tranquille à cette heure, elle était récompensée de ses peines, elle n'avait plus qu'à attendre.

Que fallait-il désormais, pour amener la catastrophe si patiemment, préparée? Un hasard, une occasion, un rien, l'imperceptible vibration qui détache l'avalanche et la précipite sur la vallée.

L'occasion ne faillit pas.

Les esclaves de Paris
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