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Dès que les chiens ont démarré, la voix du policier a lancé :

— Whoa ! Whoa ! Come, come, come !

Mais tout de suite, Raoul s’est mis à tirer avec le fusil à répétition du sergent. Les détonations ont couvert les ordres et les chiens lancés sur la trace l’ont suivie sans même ralentir. S’arrêtant de tirer, Raoul a crié :

— T’as plus rien ! Assassin ! C’est le pays qui va te tuer. C’est le Nord qui va te fusiller ! Si tu viens, je te tirerai avec le 303 de ton chef.

Puis il est parti à travers bois, très vite, coupant droit en direction de son attelage.

— Faudrait pas qu’Amarok s’empoigne avec leur chien de tête. Ça ferait du joli !

À son arrivée, il trouve l’attelage de la Police arrêté sagement derrière son propre traîneau. Les chiens grondent un peu, mais, dès qu’il commence à leur parler, ils se calment et frétillent bientôt.

— Vous allez me suivre, les petits.

Il va démêler ses traits. Au passage, il a un regard rapide pour le corps toujours recroquevillé de Timax. Il souffle :

— C’est fait.

Son attelage reformé, il vient prendre place derrière son traîneau et donne l’ordre de marche. Amarok démarre. L’autre attelage suit docilement. Ce sont des bêtes splendides, toutes croisées malamute et husky. Raoul parle à Timax comme s’il pouvait encore l’entendre. Presque sans émotion.

— Si l’autre est fou, y va reprendre la piste pour gagner le village cris. Sinon, y va essayer de m’avoir. Seulement, faut pas qu’il attende.

Raoul se met dans la peau de ce policier qui doit être assez jeune.

— Le village cris, il a pas une chance sur mille d’y arriver. Y va me suivre pour me tirer comme un lièvre.

Il est secoué d’un ricanement.

— Faut lui laisser sa chance, faut pas aller trop loin.

Il se met à examiner le terrain et trouve bientôt un emplacement qui lui paraît idéal pour y passer la nuit. Il doit bien rester deux bonnes heures de jour. Le vent tient sa cadence. Le ciel s’empourpre à l’ouest et le froid ne faiblit pas.

— Les bêtes pourraient aller un moment.

Il s’arrête pourtant.

Première chose, il remet en place le corps pétrifié de Timax qui commençait à glisser sur la droite. Il rabat le capuchon de manière à cacher entièrement le visage et cette barbe qui n’est plus qu’un bloc brun et luisant.

Prenant bien son temps, comme un coureur de bois que rien ne presse, il place les lignes d’attache pour ses chiens et pour ceux des M.P. Il dételle les bêtes qu’il mène une par une à leur place et qu’il enchaîne pour la nuit. Il ne laisse en liberté qu’Amarok qui, de lui-même, a déjà pris sa place près du traîneau. Quand Raoul défait le harnais du chien de tête des policiers, il y a des grognements. Le king dog essaie de lui échapper pour aller se mesurer à Amarok qui l’attend de pied ferme. Un coup bien appliqué sur le museau lui apprend que Raoul n’est pas homme à se laisser mener par un chien.

Si le policier l’a suivi, dès qu’il approchera, Amarok préviendra. Le trappeur continue donc d’organiser son bivouac, d’alimenter le feu qu’il vient d’allumer, de faire dégeler à manger pour lui et pour les chiens. Il n’a pas à déplacer le corps roide de Timax pour trouver de la nourriture, il y a tout ce qu’il faut dans les bagages fort bien organisés des policiers.

Raoul découvre une grosse provision de cartouches et un fusil de réserve. Il y joint les armes du sergent. Tout compte fait, sa Winchester qu’il manie depuis tant d’années lui suffit.

Il mange tranquillement. Il donne aux chiens ; à deux mètres du foyer bien chargé, il roule un paquet de couvertures et lui imprime la forme d’un corps. Il remet encore quelques grosses branches sur le feu, puis, reprenant sa carabine et ses cartouches, il appelle doucement Amarok et s’engage sur la piste par laquelle ils sont arrivés.

En venant, il a repéré l’endroit idéal pour s’embusquer. À cent pas de la piste au bord d’une plaque de roche, des buissons courts et très épais ont poussé qui forment comme un bourrelet à cet espace découvert. Raoul et son chien s’y glissent. La lune est à peine levée. Des ombres très longues s’entrecroisent sur la neige qui recouvre la roche. Elles sont comme un filet irrégulier où la lumière semble se prendre. La seule vie de la nuit est le vent, et ce foyer que Raoul domine et qui continue de veiller un mort.