27

Quand Raoul sort, Amarok se lève de dessous son cocon de neige et bondit. Il était toujours à côté de la chienne qui couine en le voyant partir. Les autres remuent à peine. La neige tombe moins serré et une vague clarté noie tout, enveloppant la maison, laissant deviner la forêt en mouvement.

— Allez, retourne te coucher vers Arnatak. Elle t’appelle. Allez, va vite.

Il y a des bruits de chaîne, d’autres chiens se lèvent et voudraient approcher. Les jeunes pleurent.

— Taisez-vous ! Couchés !

Raoul contourne la maison. L’appentis bourré de fourrage est garanti du Nord par un vrai rempart de bûches empilées. Une congère s’est levée devant la porte. Raoul déblaie un peu à grands coups de botte et entrouvre tout juste ce qu’il faut pour pouvoir se glisser à l’intérieur. Aussitôt, le faisceau de la torche électrique se braque sur lui.

— C’est toi ?

— Non, c’est le pape !

— Tu y as mis le temps.

— Tu dors pas ?

— Je risque pas.

— Détourne cette lumière, tu m’aveugles.

Timax pose la lampe dont la lueur éclaire à présent le plafond bas où pendent des peaux et des feuillages desséchés.

— Qu’est-ce que t’as ?

Timax se lève. Il ne s’est pas déshabillé.

— Tu penses tout de même pas que je peux dormir, non !

— Tu t’endormais sur la table.

— Depuis que je suis là, rien à faire. Je vous entendais gueuler. Qu’est-ce que vous avez dit ?

— Rien d’intéressant.

Il s’approche et empoigne Raoul qu’il secoue.

— Tu leur as pas demandé les chiens ?

— Bien sûr que si.

— Alors ?

— Ben quoi, tu penses pas qu’ils allaient refuser.

— Faut vite partir. Ça souffle moins.

— Tu vas te coucher et fermer ta gueule. Et tu vas tâcher de roupiller. Demain, on fera des essais d’équipage. Quand ce sera bon, on partira.

— Demain matin ?

— Merde !

Raoul s’est dévêtu et s’enfile dans son sac en peaux de lièvre.

— Éteins ça.

Timax éteint. Raoul l’entend grommeler et remuer sur la paille. La chèvre tire sur sa chaîne. Après un long moment, d’une voix tout à fait paisible, comme s’il se parlait à lui-même, Raoul explique :

— On s’est entendus pour les chiens et pour le reste. On va gagner le Nord en passant voir Adjutor Lalande. Simon a des cartouches pour lui. Ça lui épargnera le voyage. Après, suffira d’éviter les postes où il y a la police. Les Indiens sont tous des amis… Les Eskimos aussi.

Raoul se tait. Il écoute la tempête qui a légèrement changé de ton. Il écoute aussi le souffle régulier du garçon. À mi-voix, il demande :

— Tu dors ?

Il soupire.

L’obscurité est absolue. La colère du ciel semble habiter la nuit sur des immensités. Raoul se couche sur le côté droit et plie ses genoux. Ses articulations craquent. Sous son oreille, la paille crépite. L’air qu’il respire est tiède. C’est un endroit où il ferait bon s’attarder quelque temps. Raoul se retourne, il éprouve dans le genou et la cuisse gauches une douleur qu’il a déjà ressentie à plusieurs reprises depuis plus d’un an. Il grogne :

— Bon Dieu ! C’est pourtant vrai que je suis plus un gamin.