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On s’en fout de cette histoire !
Colette savait comment elle l’annoncerait à René. Elle lui caresserait le visage, puis l’embrasserait. Elle verrait dans ses yeux s’allumer une petite lueur, malicieuse et juvénile. Elle commencerait de sa voix d’infirmière : « Il faut que je te dise… »
Elle faisait semblant de dormir pour mieux penser à lui.
René ne parlait pas beaucoup. Seuls quelques mots ponctuaient sa journée. Il n’était pas facile de deviner ce qu’il pensait, sauf lors de ces moments d’abandon. C’étaient des instants fragiles. Souvent même, alors qu’ils avaient fait l’amour, la lumière de la chambre allumée, il éprouvait le besoin d’éteindre pour parler à son aise. Le plaisir faisait resurgir celui qu’il gardait enfoui à l’intérieur, le gosse espiègle qui pendant des années amusait les autres par ses blagues.
Muriel pousse un gros soupir, tout en se passant nerveusement la main dans les cheveux. Elle jette un œil sur sa veste et la frotte d’un air exaspéré. Vincent est absent depuis longtemps maintenant. Enfin trop longtemps, dix minutes ? un quart d’heure ? pour être seulement aux toilettes. Pourquoi faut-il qu’il la contrarie tout le temps ?
— Vous croyez que Melda est partie avec le père du contrôleur ? s’interroge Aude.
Nicolas enveloppe Muriel d’un regard triste dans lequel elle croit deviner de la compassion. Elle en a marre de râler sans cesse. « Tu me traites comme du poisson pourri », Vincent le lui dit souvent, et ils semblent tous y être habitués. Est-ce qu’elle est vraiment acariâtre ? Une fois l’emportement passé, elle regrette. C’est pareil avec cette Julia, elle n’y peut rien, mais tout en elle l’énerve. Elle déteste son air, ses manières, sa façon de se tenir. Une vraie caricature de blonde vulgaire, avec ses cheveux longs, les siens sont courts et bruns, et sa robe légère qui laisse voir des formes débordantes et molles. Elle, au contraire, ne met que des pantalons et est toute menue, maigre se moque parfois Vincent, les fesses plates. Quand elle porte une robe, elle a toujours l’impression de flotter dedans.
— Est-ce que tu sais si Berthier a pris le même train que nous ? demande Muriel à Nicolas.
Aude lui caresse la cuisse pour la réconforter. Quand son amie a les cheveux plaqués en arrière, c’est signe d’angoisse ou de peur. Détendue, elle les ramène vers l’avant.
Colette adresse à Muriel un sourire qui se veut réconfortant, mais l’autre croit voir sa mère, qui lui glissait parfois en confidence, sur un ton très doux, avec l’air d’une Vierge de pietà, « Les femmes sont faites pour souffrir ».
Elle avait attendu en vain toute son enfance une colère, une dispute, pas même, un mot plus haut que l’autre, mais jamais rien n’était sorti. Les refus, les réprimandes, les punitions, tout était dit sur le même ton mesuré qui l’enveloppait et l’étouffait, sans qu’il lui soit possible de répliquer. Tout se mélange dans sa tête. Elle passe sa main dans ses cheveux. « Quand on les perd, ça veut dire qu’on ne sait pas ce qu’on veut, lui a dit une collègue au bureau. Je veux, cheveux. Vous comprenez ? C’est comme quand on en a plein le dos… » N’importe quoi. Ne pas se laisser envahir par l’angoisse.
— En tout cas, le père du contrôleur aurait dû lui proposer, répond Colette.
Muriel, d’un ton énervé, repose sa question.
— Enfin une chose est sûre : il n’était pas fait pour être flic ! conclut Nicolas.
— Mais on s’en fout de cette histoire !
— Écoute, réplique Nicolas d’un ton ferme. Vincent est parti aux toilettes. Peut-être qu’il est allé faire un tour. Laisse-le vivre un peu.
Puis se radoucissant, il ajoute :
— S’il n’est pas de retour dans un quart d’heure, je te promets qu’Aude et moi, on t’accompagne à sa recherche.
Muriel s’enfonce dans son siège. Elle en veut à Nicolas tout autant qu’elle lui sait gré d’avoir deviné les raisons de son inquiétude.