CHAPITRE X
Ronko était entouré de gardes pointant leurs armes sur lui. Il regardait les pavés rouges de sang. Kronagoul très calme, le prévint.
— Ne tente rien, tu serais abattu immédiatement.
Les larmes aux yeux, la gorge nouée, Ronko parvint tout de même à répondre :
— Je n’ai rien à perdre, monsieur Kronagoul, plus maintenant…
— Si, ta vie. Vous étiez filmés, vous étiez acteurs dans ce film. Involontaires, bien sûr, mais vous l’étiez. Pour toi il n’est pas question de mourir. Elle, évidemment, son sort était scellé à partir du moment où elle est entrée dans le film.
— Comment ? Personne ne pouvait savoir que je reviendrais du monde où vous m’aviez expédié, murmura Ronko comme dans un rêve.
— Nous ne le savions pas, c’est exact. Et ton apparition nous a stupéfiés. C’est alors que M. Loxam a eu une idée de génie : faire un film dans le film ! Génial, n’est-ce pas ?
Et il ajouta sur le même ton :
— Ce que nous venons de tourner sera raccordé au film qui se termine au moment où tu abats l’intrus qui a kidnappé Anza, tu te souviens ?
Ronko secoua péniblement la tête.
— Mais, le film était fini…
— En principe, oui. Seulement, lorsque tu es réapparu on a décidé de changer le script. De le poursuivre, plutôt. Quelle publicité ! Si en plus de l’aventure et de l’action on pouvait montrer aux clients qu’ils peuvent de surcroît vivre une extraordinaire histoire d’amour… tu te rends compte ?
— Et vous vous êtes servi de ma Thésa pour ça !
— Les caméras ne vous ont jamais lâchés.
— Vous êtes ignobles ! Ainsi Loxam connaissait le pouvoir de la balle. Et le bureau ? Je croyais que Loxam ne voulait pas qu’on le voie ?
— On ne le verra pas, la séquence a été coupée. Du moins jusqu’à ce qu’on l’ait évacué.
Devant l’air triste, malheureux de Ronko, Kronagoul eut un haussement d’épaules…
— De quoi te plains-tu ? lança-t-il. Tu as connu la passion la plus totale, la plus absolue et Thésa ce qu’elle désirait : la mort. C’est notre règle, notre loi et tu dois l’accepter. Maintenant, un conseil, oublie ce que tu as vu…
Ronko le regarda.
— Ce que j’ai vu et ce que je crois savoir, n’est-ce pas ?
— Tu ne sais rien du tout. M. Loxam ne goûte guère qu’on le voit tel qu’il est et connaissant sa susceptibilité là-dessus, disons que j’ai pris l’initiative malheureuse de t’expédier dans un autre monde. Mais à quoi bon reparler de cela ?
Kronagoul s’avança et lui posa la main sur l’épaule.
— Rien n’est changé, dit-il. Tout redevient comme avant.
Ronko ne répondait pas. Il continuait à regarder la rue, la rue pleine de sang. En plus de la douleur, l’horreur était en lui.
— Eh bien, Ronko, tu ne réponds pas ? Au fait voici les clés de ta nouvelle maison. M. Loxam te l’offre. Tu vois, il t’aime bien.
Comme Ronko ne faisait aucun mouvement, le réalisateur, irrité, jeta les clés sur le trottoir puis fit un signe aux gardes.
Ils partirent.
Le rouquin, lui, resta seul.
À jamais seul…