Chapitre 9
Actualité et perspectives : gestion et
prévention des risques systémiques
Selon Goodhart Huang [2000] « il est
inévitable de prêter à des institutions insolvables, puisque le
coût social du risque systémique […] est largement supérieur à
celui d’un renflouement ». Cette assertion, formulée
relativement à l’exercice du prêt en dernier ressort par les
Banques centrales nationales, se transpose aisément à celui du prêt
en dernier ressort international. Ainsi, selon Eichengreen Ruhl
[2000], faisant particulièrement référence aux crises des marchés
émergents de la deuxième moitié de la décennie 1990 et du début de
la décennie 2000, « les coûts du défaut et de la
restructuration sont si importants qu’il n’est pas cohérent
temporellement pour les Institutions Financières Internationales de
ne pas intervenir si les prêteurs privés refusent de prolonger les
échéances, de restructurer la dette, ou de prêter à
nouveau ».
Cet arbitrage en faveur de la stabilisation des
systèmes de financement, domestique comme international, fait
aujourd’hui, l’objet d’un quasi-consensus (8.3.3.). Ce n’était pas
le cas au début des années 2000 : ainsi, le « rapport
Meltzer » (Meltzer Alii [2000])
sur le fonctionnement des Institutions financières internationales,
commandé par le Congrès des États-Unis, et rédigé par une
commission composée de onze économistes de renommée mondiale,
conclut à l’unanimité de ses membres sur le souhait d’une
restriction du rôle du Fonds Monétaire International à fournir de
la liquidité à court terme, alors même que le contenu global du
rapport fait l’objet d’un vote contraire par trois membres de la
commission1. De
manière générale, ce texte, qui a fait l’objet d’une très large
diffusion, présente la particularité d’être le reflet d’une
conception du prêt international en dernier ressort comme strict
décalque du prêteur en dernier ressort à la Bagehot, c’est-à-dire réservé aux institutions
remplissant systématiquement un éventail de conditions
d’éligibilité, au premier rang desquelles l’exigence de
solvabilité.
Revenons brièvement sur la chronologie des
opérations internationales de renflouement d’urgence. La série
s’ouvre sur la crise mexicaine de 1994-1995, dont l’ampleur amène
la communauté internationale à prendre des décision
concrètes : après le programme multilatéral de refinancement
de la dette publique mis en œuvre en février/mars 1995, un
doublement des ressources mobilisables par le Fonds Monétaire
International en cas de nouvelles crises internationales a été
décidé au Sommet du G7 à Halifax (15-17 juin 1995,
cf. 7.2.2.), de même que le
renforcement de son dispositif de surveillance des
économies émergentes en l’invitant à porter « une attention
particulière aux pays susceptibles d’avoir une influence
importante sur l’économie mondiale » et à dispenser
« des conseils clairs et directs […] aux gouvernements qui
semblent éviter de prendre les mesures qui s’imposent ».
On connaît la suite, comme autant de
manifestations de l’intensification de la globalisation financière
face à laquelle les cadres étatiques et supranationaux de
régulation s’avéreront désarmés. En définitive, sur la longue
période, le « risque pays » concernant les économies
émergentes, qui inclut les risques de défaut relatifs aux
investissements de portefeuille et/ou aux prêts bancaires de même
que les risques d’expropriation concernant les IDE (i.e. contrôle des changes, législations sur le
rapatriement des bénéfices, etc.) s’est réduit, mais sa nature
s’est modifiée. La globalisation financière et ses corollaires, à
savoir la mutilation de la souveraineté des États de même que la
soumission de l’évolution économique, sociale et politique à la
contingence des intérêts particuliers, ont accru les risques de
marché, rendant les pays émergents plus sensibles aux aléas de la
conjoncture et aux comportements des opérateurs privés. Ces
risques, révélés par la crise mexicaine et « l’effet
tequila », caractérisent, également, les autres crises de
marchés émergents, et sont aujourd’hui à nouveau d’actualité,
notamment en ce qui concerne les pays en transition.
Or, le désaccord de fond qui sous-tend le débat
relatif à la gestion et à la prévention des risques systémiques n’a
pas été réellement tranché. Schématiquement, il y a « aléa moral », dès lors que l’action du
prêteur en dernier ressort précipite les processus contre lesquels
il tente de procurer une assurance collective. Autrement dit, dans
l’exemple d’une intervention de renflouement international, les
prêts du Fonds Monétaire International, en tant qu’assistance
financière disponible aux pays qui traversent des crises
financières, sont susceptibles d’entraîner un relâchement de la
discipline monétaire et budgétaire, voire d’inciter les
investisseurs internationaux à prendre davantage de risques
lorsqu’ils sont convaincus de n’en subir que partiellement les
conséquences2. Le
prêteur en dernier ressort doit alors définir la règle
d’intervention la mieux à même de diminuer cet aléa : par exemple, en exerçant son pouvoir de
renflouement de manière discrétionnaire, pour créer une
imprévisibilité sur l’éventualité de son intervention selon une
logique dite « d’ambiguïté constructive ». [Goodhart et
Huang, 2000] Cette problématique concerne aujourd’hui et de manière
urgente, outre les pays émergents dans le cadre de leurs échanges
de capitaux avec l’extérieur, absolument tous les pays dont les
systèmes de financement domestiques comportent une proportion
significative de finance directe.
Encadré 62 : Croissance du PIB par zones,
1980-2009 (en haut) et flux nets de capitaux internationaux, 2008
(en bas)

La comparaison sur longue période des taux de
croissance des économies des pays en développement et émergents
avec ceux des pays à revenus élevés offre un éclairage intéressant
sur la géographie mondiale des flux de capitaux : ainsi, ces
taux de croissance, sensiblement différents jusqu’à la crise de la
dette de 1982, convergent ensuite jusqu’au début de la décennie
1990. La récurrence des crises des marchés émergents correspond à
une nouvelle – mais brève – période de concordance. Au
cours de la décennie 2000, l’écart se creuse jusqu’à 5 à
6 points de différentiel, ce qui conduit à considérer avec
prudence les observations faites sur la convergence récente des
soldes de balances de paiements courants, et les incidences
éventuelles de cette réduction de la surliquidité mondiale (à
propos du caractère mutuellement avantageux des déséquilibres de
balances de paiements courants pour les pays exportateurs et
importateurs de capitaux jusqu’en 2007-2008. [thèse de
« Bretton Woods II »], voir 8.2.2)
Finalement, à l’issue de quatre décennies de
globalisation financière, la gestion et la prévention des risques
comportant un enjeu global, c’est-à-dire des risques systémiques,
semblent prendre un tournant décisif. Outre la cohérence des
politiques économiques mises en œuvre en réponse à la crise de
2008-2009, précédemment évoquée (8.3.3.), les moyens dévolus aux
opérations de renflouement d’urgence sont finalement très largement
augmentés, notamment par le biais d’une innovation majeure :
le Fonds Monétaire International peut, désormais, émettre des
titres, qui seront souscrits par les acteurs publics (9.1.). Pour
ce qui concerne la prévention des crises, la problématique est plus
complexe du fait de la nécessité d’une harmonisation universelle
des règles et des normes. En outre, les limites souhaitables de
l’intervention publique ne sont pas forcément communément
partagées, y compris au sein d’un cercle restreint comme, par
exemple, le G20 (9.2.). Un bilan chiffré de l’avancée du processus
de globalisation financière montre pourtant que, malgré la très
récente tendance à la résorption des déséquilibres mondiaux de
balance des paiements courants (encadré 62_Ref240443765 ci-dessus_Ref240443768), dont la polarisation précède
habituellement les crises financières internationales majeures, la
complexité actuelle des systèmes de financement les rend
structurellement instables en l’absence de supervision, voire de
régulation globales (9.3.).
Problématique des opérations de renflouement
d’urgence
L’avènement de la globalisation, notamment
monétaire et financière, et le démantèlement des cadres étatiques
de régulation associé à la montée de la sphère financière
privée (le mark-to-market), qui devient
la principale source de financement des balances des paiements
(tant pour le financement des déficits que pour l’ajustement des
parités), remettent à l’ordre du jour les crises monétaires
et/ou financières (cf.
chap. 7 ; 8.2. ; 8.3.), de même que les crises
de dette, dites de seconde et troisième générations (cf. 7.1.1.). Dans ce contexte, de nouvelles
fonctions s’ajoutent à celles initialement contenues dans les
statuts des Institutions financières internationales,
particulièrement celle de prêteur en dernier ressort international
(PDRI) souvent exercée, de facto, avec
le Trésor américain, par le Fond Monétaire International lors des
crises financières et monétaires (la crise mexicaine de
1994-1995 ; la crise des monnaies asiatiques de 1997 ; la
crise russe de 1998, etc. ; cf.
7.2. et 7.3.). Ces crises sont, en effet, révélatrices de l’ampleur
des risques découlant de l’absence, d’une part, de réglementation
des activités internationales des banques et, d’autre part, d’un
PDRI capable d’enrayer les logiques de défiance contagieuse
génératrices de crises de système (à l’image de l’« effet
tequila », 7.2.2.), à la suite du défaut d’un débiteur
souverain “too big to fail” 3 et/ou d’attaques spéculatives, d’où la
nécessité de spécifier la nature de l’Institution financière
internationale à même d’assurer cette régulation, notamment
l’« art » du prêteur en dernier ressort.
À partir de la deuxième moitié de l’année 2008, la
propagation de la crise aux pays émergents et les difficultés
particulièrement graves auxquelles sont confrontés les PECO, les
contraignant à recourir massivement au Fonds Monétaire
International (entre septembre 2008 et mars 2009, huit pays en
transition ont conclu des accords avec lui pour des montants de
plusieurs milliards d’euros, la Roumanie ayant reçu l’aide la plus
massive avec 20 milliards d’euros prévus selon l’accord conclu
en mai 2009), montre d’ailleurs que cette problématique est
toujours d’actualité. Parmi les bénéficiaires récents des prêts
d’urgence du Fonds Monétaire International, il faut également citer
l’Islande (2,1 milliards de dollars en octobre 2008).
Sur le plan théorique, la problématique
contemporaine des opérations de renflouement d’urgence comporte
deux volets : d’une part, elle suppose de revenir au principe
historique de définition du prêt en dernier ressort dans un
contexte de distorsion des proportions relatives de la sphère
réelle et de la sphère financière (9.1.1.) ; d’autre part, il
s’avère que les institutions qui, de fait, coordonnent ces
renflouements, n’ont pas été conçues pour faire face à des crises
de finance globale (9.1.2.). En pratique, il est aujourd’hui
possible de dresser un premier bilan de ce mode de gestion des
crises dans le cas des « crises des marchés émergents ».
Au-delà des controverses sur les cas individuels, ce bilan présente
l’intérêt de conduire, au niveau global, à s’interroger sur les
critères de décision des organismes en charge de la stabilité des
systèmes de financement quand l’urgence ne permet pas de mettre en
œuvre la « règle » habituelle d’intervention
(9.1.3.).
Le principe d’optimalité du
renflouement : mises en perspectives historique et
théorique
Les débats contemporains relatifs à la gestion et
à la prévention des crises financières réactualisent l’analyse de
Thornton [1802 ; 1803] centrée sur les moyens de limiter
l’instabilité bancaire et le risque de système par les deux
attributs qu’il assigne à la Banque centrale : assurer la
stabilité de la monnaie et exercer le prêt en dernier ressort
(PDR). Cette analyse s’inscrit à l’avant-garde des recherches sur
les fragilités financières, de Juglar à Wicksell, Keynes puis
Minsky et Kindleberger. Ainsi Thornton démontre précisément le
mécanisme d’instabilité endogène de la finance domestique,
particulièrement d’actualité. Il décrit le processus de
sous-évaluation des risques lié à l’illusion de sécurité provoquée
par l’appréciation du prix des actifs réels (comme l’immobilier,
soubassement des subprimes), eux-mêmes
financés par les crédits.
Il souligne également la surexposition des banques
aux risques de crédit qu’amplifie l’asymétrie d’information du
marché du crédit à cause des effets
fictifs (i.e. les actuels
« actifs toxiques ») [1802, 253 ; 1803, 232-3]. Face
à ces crises d’overbanking
(encadré 63EF _Ref240210358 \h
ci-dessous), la Banque centrale doit éviter les deux écueils d’une
trop forte émission, qui déprécierait le papier, et d’une restriction excessive de la
circulation (credit crunch), qui
aggraverait la détresse commerciale.
Entre ces deux extrêmes, elle doit adopter un pilotage au cas par
cas de l’offre de monnaie, garant d’une plus grande confiance et
d’une stabilité accrue du système bancaire, afin de fixer les
anticipations (i.e. les actuelles
« politiques non conventionnelles ») [1802, 259 ;
1803, 240-1]. Malgré ces interventions, la crise bancaire peut se
transformer en crise de liquidité, lorsque la défiance contagieuse
s’empare des opérateurs à la recherche désormais d’actifs liquides
assortis d’une bonne signature.
Encadré 63 : Le mécanisme d’emballement
du crédit (overbanking) selon Henry
Thornton [1802 ; 1803] ([Cartapanis Gilles, 2003])
La conception de la monnaie de Thornton est
marquée par la nécessité d’assurer la régulation du système
financier et de crédit, grâce à un niveau suffisant de liquidité.
Ceci le conduit à insister sur l’état de confiance vs défiance qui conditionne le degré de préférence
pour la liquidité des agents et la vitesse de circulation des
instruments de crédit, donc le risque de liquidité [1802, 96-7,
99-100 ; 1803, 34, 38-9]. La valeur du papier crédit reflète
alors le degré de confiance que les agents lui confèrent, qui varie
selon les périodes. Plus précisément, face à une encaisse de
transaction a priori incompressible,
l’encaisse de spéculation dépend du taux d’intérêt (i) et de cet état de confiance. En conséquence, en
période de croissance et de prospérité économiques, la préférence
pour la liquidité diminue ; en période de récession, elle
augmente fortement et devient insensible au coût d’opportunité de
sa détention, donc à (i).
Ce rôle prépondérant joué par (i) permet donc à Thornton d’établir le principe de
l’élasticité de la demande de fonds prêtables et d’asseoir son
analyse des crises bancaires fondées sur l’emballement du crédit
(overbanking) : lors des phases de
confiance, l’incitation à emprunter est forte lorsque (i) espéré est plus élevé que (i) auquel les opérateurs empruntent [1802,
253-4 ; 1803, 234]. Ainsi, lors d’une période
d’« euphorie des affaires », pour reprendre Juglar, la
demande de prêts peut s’avérer insatiable et déclencher une
dynamique cumulative, auto-entretenue par les anticipations de
hausse des prix et de surprofit en réponse à la dépréciation
attendue de la monnaie qui diminue (i)
réel [1802, 255-6 ; 1803, 236-7]. Plus généralement, l’analyse
de Thornton relative à l’overbanking
est centrée sur les excès et les imprudences des banques quant à
l’octroi des crédits, et des agents quant à la demande de crédit,
commis dans l’euphorie d’une confiance sans réserve dans l’avenir,
génératrice de comportements oublieux des crises passées
(disaster myopia).
L’analyse de ces comportements de fuite vers la
sécurité lors des phases de méfiance conduit Thornton à avancer
deux idées forces particulièrement d’actualité : 1) les
banques retrouvent lors de ces phases leur rôle de market maker, autrement dit l’intermédiation
bancaire contribue fortement à l’efficience du marché des fonds
prêtables ; 2) le rétablissement de la régularité des
paiements et de la confiance nécessite une Banque centrale dotée
d’une rationalité publique via sa
fonction de prêteur en dernier ressort (PDR), ou prêteur ultime.
Enfin, ces crises peuvent déboucher sur des contagions de faillites bancaires qui résultent du
basculement des comportements (ou des anticipations) des déposants,
porteuses d’un risque de système [1802, 187 ; 1803, 158]. Dans
ces contextes de crise, l’action du PDR agit comme une assurance de la continuité des paiements en réponse
à des causes internes de crise (internal
drain, i.e. chute de la
confiance et thésaurisation) ou à des causes externes (suspension
de convertibilité, external drain,
changes défavorables et exportations d’or), assurance qui comporte
un risque d’aléa moral [1802, 181, 187-8, 253 ; 1803, 149-50,
159, 233] pouvant se traduire par une montée des spéculations
hasardeuses (adventurous
speculation).
De même, la crise de 2008-2009 nous permet un
nouveau « retour réflexif à Keynes » à propos de
l’« irrationalité » et de l’injustice qui président à
cette nature, dont l’endémisme renvoie à « l’aveuglement au
désastre » (“disaster myopia”),
particulièrement manifeste durant les phases d’euphorie
caractérisées par une confiance sans réserve, génératrices de
comportements oublieux des crises passées et animés d’anticipations
mimétiques et de comportements grégaires, fondement des crises
comme moment d’un cycle, donc récurrentes et consubstantielles au
système capitaliste de même que, plus généralement, à toute société
humaine. En effet, dans ce contexte où les individus présents sont
hétérogènes, acteurs de situations de confrontation (et
d’agrégation) d’opinions différenciées et concurrentes en
« période tranquille », et dont les comportements
procèdent d’une rationalité limitée, nourrie d’informations
asymétriques et incomplètes, une « période de crise »,
caractérisée par l’absence de repères crédibles, appelle à une
grégarisation des comportements.
Les institutions de Bretton Woods face aux crises de finance
globale
L’analyse de Thornton et celle de Keynes
présentent finalement des similarités frappantes dans la
description des épisodes de crise avec les modes de fonctionnement
actuels des systèmes de financement de l’économie. Toutefois, ces
analyses sont cantonnées aux systèmes de financement domestiques,
en l’absence de risque systémique global. De même, les institutions
de Bretton Woods et en particulier le
Fonds Monétaire International, sont dotées de statuts rédigés avant
l’essor du processus de globalisation financière et des risques qui
s’y rapportent. En conséquence, les interventions d’urgence en cas
de déstabilisation majeure des marchés de capitaux internationaux
(soit l’exercice du prêt international en dernier ressort [PDRI])
exigent une véritable redéfinition des règles d’accès aux finance
ments multilatéraux (encadré 64_Ref240339935 ci-dessous_Ref240339941), notamment pour limiter les effets,
inévitables, d’aléa moral. En effet, dès lors qu’un PDRI procure
une assurance collective contre le risque systémique, susceptible
d’être anticipée, son intervention a pour conséquence d’encourager
des comportements qui rendent la concrétisation de ce risque plus
probable.
L’imperfection des marchés de capitaux, autrement
dit la présence d’une information incomplète et asymétrique entre
les prêteurs et les emprunteurs jointe à l’aversion pour le risque
et la solvabilité limitée, rend, généralement, impossible
l’obtention de résultats optimaux. Si les emprunteurs, privés et
publics, sont partiellement assurés contre les risques
(i.e. les banques centrales savent que
le Fonds Monétaire International exercera, sans doute, sa fonction
de prêteur de facto en dernier ressort,
idem pour les banques domestiques de
second rang vis-à-vis du renflouement par la Banque centrale
nationale et, incidemment, pour les investisseurs privés comme
c’est, généralement, le cas), ils sont incités à tirer davantage
parti de l’incomplétude et de l’asymétrie informationnelles (la
situation réelle du pays, l’état des finances publiques, le degré
d’avancement des réformes, et, durant la crise déclenchée en 2007,
la qualité des bilans, la réputation et la crédibilité des
emprunteurs, la qualité des projets, etc.) en prenant des risques
excessifs quant à l’octroi de prêts et/ou aux choix de portefeuille
pour les banques commerciales, quant à l’orientation de la
politique économique pour les autorités publiques.
Parallèlement, l’existence même d’un PDRI recèle
une ambiguïté consubstantielle puisque son action est,
simultanément, une violation du fonctionnement des marchés et une
des conditions à leur pérennité. Cette ambivalence continue
d’alimenter un débat, dont l’origine remonte à F. Baring
[1797] et dont les références majeures sont les œuvres de
H. Thornton [1802, 1803] (cf.
supra) et de W. Bagehot [1873]. Toutefois, ces analyses
font référence au refinancement d’institutions bancaires au sein
d’un système de financement domestique et non à l’échelle
supranationale d’une Institution multilatérale. La transposition de
ce schéma à l’échelle internationale [Meltzer, 2000] renvoie à des
interrogations complémentaires, comme l’unicité vs multiplicité des instances publiques de prêt en
dernier ressort [Kindleberger, 1978, 172-3] ; le degré
d’articulation entre réglementation prudentielle, supervision
bancaire, système de notations et l’intervention du prêteur en
dernier ressort [Goodhart, 1988, 8 ; 63] ; ou encore le
niveau d’imprévisibilité sur l’éventualité et les modalités
d’intervention du PDRI, spécifiant les contours d’une
« ambiguïté constructive » attachée à sa fonction de
régulation du Système monétaire et financier international.
[Goodhart Huang, 2000]
En référence à ce « cahier des charges »
le Fonds Monétaire International dispose, en théorie, de nombreux
atouts pour remplir la fonction de PDRI. D’abord, sous sa forme
originelle d’une assistance mutuelle entre États, dans un cadre
multilatéral, le FMI possède d’ores et déjà les germes d’une
légitimation politique internationale du prêt en dernier ressort en
tant qu’acte de souveraineté monétaire respectant les souverainetés
nationales. C’est, en outre, la seule institution dotée
sui generis d’une vision
macro-économique des interdépendances internationales du point de
vue de leur cohérence globale. Ensuite, le Fonds Monétaire
International dispose d’un attribut de souveraineté monétaire
internationale via les DTS, dont
l’originalité est d’être crées ex
nihilo, c’est-à-dire sans couverture par un autre actif
(i.e. un dépôt en monnaie nationale ou
des réserves déposées au Fonds, Encadré 64_Ref240340507 ci-dessous_Ref240340510). Partant, ils confèrent au Fonds
Monétaire International un pouvoir « inconditionnel » de
création monétaire, donc une offre globale de liquidités
internationales quasi illimitées, indispensables à l’action de
renflouement dévolue au prêteur en dernier ressort.
Encadré 64 : L’intervention du Fonds
Monétaire International : mise en perspective théorique
Selon Aglietta Moatti [2000], quatre modèles,
éventuellement simultanément vérifiés, peuvent rendre compte de
l’action du Fonds Monétaire International depuis sa création. Ces
modèles sont synthétisés dans le tableau ci-dessous :

1. Accords généraux d’emprunt.
2. Facilité d’ajustement structurel, Facilité d’ajustement structurel renforcée, Facilité de transformation systémique.
3. Nouveaux accords d’emprunt.
4. Facilité de réserve supplémentaire, Lignes de crédit contingentes.
* Modèles d’assurance.
** Principe de souveraineté monétaire internationale. Ces deux types de modèles sont exclusifs l’un de l’autre.
2. Facilité d’ajustement structurel, Facilité d’ajustement structurel renforcée, Facilité de transformation systémique.
3. Nouveaux accords d’emprunt.
4. Facilité de réserve supplémentaire, Lignes de crédit contingentes.
* Modèles d’assurance.
** Principe de souveraineté monétaire internationale. Ces deux types de modèles sont exclusifs l’un de l’autre.
Encadré 65 : Principe de fonctionnement
des DTS
Avec la création des Droits de Tirage Spéciaux
(DTS), approuvée lors de la Réunion annuelle des Gouverneurs du FMI
à Rio de Janeiro (29 septembre 1967) et entrée en vigueur sous
la forme d’un amendement aux statuts du Fonds Monétaire
International le 28 juillet 1969, l’ambition du Fonds
Monétaire International et des autorités américaines était d’ériger
cette monnaie (définie, à l’origine, par un poids d’or égal à celui
du dollar, soit 35 DTS pour une once d’or fin, puis depuis
1991 [révision au 1er janvier
1996], par un panier de monnaies composé de 39 % de dollar,
21 % de deutsche mark, 18 % de yen, et 11 % de franc
français et de livre sterling, et qui, avec l’avènement de l’euro,
est désormais composé, depuis le 1er janvier 2001, de 45 % de dollar, de
29 % d’euro, de 15 % de yen et de 11 % de livre
sterling) en actif de réserve international émis par le Fonds
Monétaire International afin de déconnecter, en développant son
utilisation, la croissance de la liquidité mondiale des pressions
exercées sur la balance des paiements américaine.
Dans les faits, le DTS n’est resté qu’une simple
unité de compte utile pour comptabiliser les opérations du Fonds et
établir le taux central d’une monnaie, avec une émission
confidentielle (de 1969 à 1981, le Fonds Monétaire International a
émis 21,4 milliards de DTS, soit 5 % des réserves
publiques totales de la période, exception faite de l’or).
Aujourd’hui (2009), dans le contexte de la Grande crise où les
marchés financiers, notamment interbancaires, sont restés, en dépit
de l’injection massive de liquidités, longtemps inopérants, les DTS
redeviennent utiles. Ainsi, le Fonds Monétaire International a-t-il
annoncé (13 août 2009) une distribution de 283 milliards
de dollars (près de 200 milliards d’euros) de DTS à ses
186 membres, ce qui offrira aux États des liquidités
protectrices en cas de crise de change ou de risque de défaut. Ces
distributions sous la forme d’allocations « générales »
(250 milliards de dollars) et « spéciales »
(33 milliards) permettront aux pays qui ont adhéré au Fonds
Monétaire International après 1981, date de la dernière allocation,
de recevoir pour la première fois des DTS. Ce sont
100 milliards de dollars qui iront aux pays en développement,
dont 18 milliards aux États les plus pauvres. À l’issue de ces
deux allocations, la valeur des DTS détenus par l’ensemble des
membres du Fonds Monétaire International sera presque décuplée pour
atteindre 204 milliards de DTS, soit environ
316 milliards de dollars.
Enfin, le Fonds Monétaire International dispose
d’instruments, comme les Facilités de réserve supplémentaire
(Supplement Reserve Facility, SRF) et
les Lignes de crédit contingentes (Contingent
Credit Lines, CCL), adaptés à l’endiguement des effets de
contagion des crises (encadré 64_Ref240339935 p. 318REF
_Ref240340844). Le Fonds Monétaire International possède
donc théoriquement les qualités pour s’affirmer comme le pilier
central de la nouvelle architecture financière internationale.
Toutefois, il ne pourra devenir l’institution supranationale
susceptible d’assurer la gouvernance politique des système
monétaires et financiers internationaux qu’à l’issue d’une réforme
touchant ses statuts, ses moyens d’action et ses missions, pour les
mettre en adéquation véritable avec les dysfonctionnements
structurels de marchés de capitaux globalisés et dont la dynamique
est surdéterminante de celle de la croissance mondiale.
Les opérations de renflouement récentes :
un bilan controversé
Schématiquement, l’intervention du Fonds Monétaire
International en tant que PDRI a lieu sur deux « plages »
de crises : la première plage correspond aux crises des
marchés émergents de la deuxième moitié de la décennie 1990 et du
début de la décennie 2000 ; la seconde correspond aux crises
des PECO, comme conséquences de la dégradation générale de la
situation d’ensemble de l’économie mondiale, à partir de 2008-2009.
Par conséquent, il est possible, avec le recul, de tirer un bilan
de la première série d’interventions de renflouement, à partir d’un
retour sur les modes de gestion respectifs des crises russe de 1998
et argentine de 2001-2002, qui constituent des cas polaires, au
sens où la première a profondément et durablement déstabilisé les
marchés de capitaux internationaux, alors que la seconde n’a eu que
des effets éminemment provisoires (encadré 66_Ref240353899 ci-dessous_Ref240353902).
Encadré 66 : Spreads des obligations
« marchés émergents » : effets des crises russe
(1998) et argentine (2001-2002)

Le graphe ci-dessus représente l’indice EMBI
(“Emerging Markets Bonds Index”) de
l’Argentine (courbe supérieure, « Argentina »), comparé
avec celui des marchés émergents dans leur ensemble (courbe
inférieure, « global »). Cet indice, élaboré et diffusé
par le groupe bancaire JP Morgan et largement utilisé pour
l’analyse des conditions de financement des pays en développement
et émergents, est calculé à partir du rendement de l’ensemble des
titres de dette négociables à revenus fixes émis en monnaie
étrangère au pays (c’est à dire en dollars). Plus précisément, le
graphique représente le spread,
c’est-à-dire l’écart, par rapport au rendement des marchés
obligataires des États-Unis. Naturellement, plus la situation d’un
pays, ou des marchés émergents dans leur ensemble, est jugée
risquée, et plus le spread s’élève. Les
périodes de crises correspondent donc aux pics sur le graphique, et
les périodes sans incidents aux cas où la courbe ne varie que
faiblement (voir également graphique 47
p. 324REF _Ref240354741).
Par ailleurs, pour savoir si les difficultés
financières d’un pays présentent ou non un risque de crise
systémique, il suffit d’analyser l’effet de ces difficultés sur le
spread global. Si celui-ci s’élève
notablement, comme dans le cas de la crise russe, cela signifie que
tous les emprunteurs voient leurs conditions de financement se
durcir. L’alourdissement de la charge de leur dette peut alors,
dans la logique d’une crise de deuxième génération (« du bas
vers le haut de la balance »), déclencher un défaut de
paiement. Chaque nouveau défaut entraîne, alors, une augmentation
supplémentaire des spreads et une
nouvelle vague de défauts. Au contraire, si les difficultés
financières d’un pays n’ont pas d’effet notable sur le spread global, comme dans le cas de la crise
argentine, cela signifie qu’elles ne sont pas potentiellement
génératrices d’un risque de système.
Plus précisément, du point de vue du Fonds
Monétaire International, dont l’objet principal est la préservation
de la stabilité de ces marchés, le principe général d’intervention
répond à une double logique :
- Soit
l’épisode de crise est potentiellement déclencheur d’un risque de
système, dont il faut empêcher la réalisation en pratiquant un
renflouement d’urgence même si les négociations relatives aux
conditionnalités (schéma 3_Ref239057610 p. 178REF
_Ref239057615) font apparaître, dans l’immédiat, des points
de désaccords. Dans ce cas, le pays en question est dit
“too big to fail”
(note 3REF _Ref240344927
p. 314REF
_Ref240344931) : ce qui
signifie, littéralement, que l’importance qu’il présente aux yeux
des investisseurs internationaux est trop grande pour qu’on puisse
le laisser en situation de défaut sans intervenir. Le Fonds
Monétaire International agit alors en tant que prêteur
obligé.
- Soit
l’épisode de crise n’est pas potentiellement déclencheur d’un tel
risque. Son défaut, dans ce cas, reste évidemment préjudiciable au
bon fonctionnement des échanges mondiaux, mais l’intervention ne
présente pas de caractère d’urgence, et ne se justifie alors que
dans le cadre d’une parfaite convergence de vues avec le
gouvernement à propos des mesures de politiques économiques à
mettre en œuvre.
En pratique, la gestion des crises mexicaine puis
asiatique, qui peuvent être identifiées à la première
configuration, conforte le Fonds Monétaire International dans sa
nouvelle fonction de « pompier-volant » [Bassoni Beitone,
1994, 149], et souligne la nécessité de futures coopérations
monétaires « régionales ». En revanche, la crise russe
réactive le débat sur les missions confiées au Fonds Monétaire
International et, plus généralement, celles d’un prêteur en dernier
ressort international afin que la présence d’un
« pompier » n’incite pas les opérateurs à jouer avec le
feu, donc à devenir des pyromanes.
Les relations entre la Russie et le Fonds
Monétaire International à la fin des années 1990 sont
particulièrement illustratives du cas d’un pays “too big to fail”. La séquence est typiquement la
suivante : le Parlement refuse de voter les mesures de
conditionnalité, à la suite de quoi le FMI passe outre et débloque
les financements prévus, arguant d’éléments justifiant ces
transferts. Le prêt historique de juillet 1998 (22,6 milliards
de dollars, dont 4,8 versés immédiatement) est ainsi accordé malgré
le refus de la Douma d’entériner le plan d’austérité annoncé en mai
par le gouvernement4. La
crise se déclenche le 26 août 1998. Certes, en septembre, du
fait d’un désaccord avec le Premier ministre E. Primakov, le
Fonds Monétaire International suspend son aide, mais il la reprend
en avril 1999. Les conséquences de la crise de l’été 1998 sur le
système financier international ont incontestablement été limitées
par l’utilisation des fonds versés par le Fonds. En effet, c’est le
prêt de juillet 1998 qui a été utilisé pour défendre le rouble
(officiellement) et permettre à une douzaine de banques russes et
étrangères de sortir du marché des bons du Trésor (selon
I. Skouratov, ancien procureur général de Russie). ([Buchs,
1999])
Encadré 67 : La crise russe de
1998 : un épisode définitivement clos ?
Il faut noter que l’impôt sur le revenu
représentait, au cours de la seconde moitié des années 1990, moins
de 5 % de l’ensemble des recettes fiscales de l’État russe, ce
qui explique en partie la crise de 1998. Les difficultés de
financement des dépenses publiques ont, en effet, conduit à
réaliser des émissions de Bons du Trésor à des taux de plus en plus
élevés. Dans ce contexte, la mise en œuvre, à partir du début des
années 2000, d’une réforme fiscale (incluant notamment l’allègement
et la simplification de l’impôt sur le revenu avec fixation d’un
taux unique de 13 % ; la baisse du taux de la TVA ;
et la réduction du taux des impôts sur les sociétés de 35 % à
24 %) a permis d’élargir la base imposable tout en réduisant
progressivement l’économie informelle. Sur le plan symbolique,
cette révision du système fiscal russe, qui constitue la principale
réforme engagée sous les mandats présidentiels de V. Poutine,
marque la fin d’une opposition systématique exercée par la
Douma sur toute proposition concernant
ce sujet.
Par ailleurs, au cours des années 2000, la Russie
connaît un essor économique facilité par la remontée des cours du
gaz et du pétrole, qui permet un désendettement général et de
grande ampleur de l’État russe (dette publique ramenée à 13 %
du PIB fin 2007 et 8 % fin 2008 contre 120 % en 1998) et
la constitution de réserves de change importantes
(473 milliards de dollars fin 2007 et 438 milliards fin
2008 contre 12 milliards de dollars en 1999). L’épisode de
1998 semble donc clos – toutefois, la diversification de
l’économie russe (les hydrocarbures représentent environ 20 %
du PIB et 80 % des exportations russes, et les taxes qui s’y
rapportent représentent 40 % du total de la collecte fiscale)
reste insuffisante pour la mettre définitivement à l’abri de
fluctuations de grande ampleur des cours des matières
premières.
Le scénario du prêt obligé réalisé par le Fonds
Monétaire International se reproduit en juin 1999, lorsque la Douma
rejette la hausse de la fiscalité sur l’essence exigée pour
débloquer un prêt de 4,5 milliards de dollars : la
première tranche est pourtant décaissée en juillet 1999.
L’élaboration du budget 2001 offre un autre exemple des rapports de
force caractéristiques des relations entre le Fonds Monétaire
International et le gouvernement russe, lors des difficultés
rencontrées à la fin des années 1990 et au début des années 2000.
Ce budget est, en effet, élaboré sans tenir compte des dépenses
correspondant au service de la dette au Club de Paris, les
autorités russes anticipant une restructuration. Malgré la bonne
tenue de son économie durant l’année 2000 (l’exercice 2000 s’étant
achevé avec un excédent budgétaire d’environ 3,7 milliards de
dollars), la Russie annonce, en janvier 2001, qu’elle ne
remboursera pas 1,5 milliard de dollars dû au premier
semestre, et demande l’ouverture de négociations sur un nouveau
rééchelonnement. Or tout accord de rééchelonnement avec le Club de
Paris est suspendu à la conclusion d’un accord avec le Fonds
Monétaire International – pour cette raison, le refus
d’inscrire au budget les échéances correspondant au service de la
dette au Club de Paris est alors interprété comme un moyen de faire
pression sur le FMI.
Par la suite, au cours des années 2000, l’essor de
l’économie russe rend le recours aux financements multilatéraux
hors de propos (encadré 67 ci-dessus). Il reste cependant que
la crise de 1998 est le cas d’école d’un renflouement d’urgence que
l’on pourrait pratiquement qualifier d’inévitable. Deux exemples
illustrent la configuration inverse, en référence aux risques de
propagation non matérialisés. Il s’agit de la crise équatorienne de
2000 et de la crise argentine de 2001-2002, potentiellement
déstabilisatrices pour les raisons suivantes :
- L’Équateur a
été le premier emprunteur souverain à se retrouver en situation de
défaut potentiel sur des « obligations Brady », issues de
la conversion des prêts bancaires contractés au cours des années
1970, selon le principe d’une réduction du montant de la dette en
rapport avec la capacité de remboursement du pays. Ayant été
l’élément clé de résolution de la crise, il semblait important
qu’elles restent parfaitement sûres aux yeux des investisseurs
internationaux.
- L’Argentine
figure parmi les premiers débiteurs euro-obligataires
mondiaux.
Malgré ces particularités, dans le cas de
l’Équateur, le signal défavorable que constituait un premier défaut
survenu sur des « obligations Brady » n’a pas constitué
un argument suffisant, compte tenu des faibles volumes mis en jeu,
pour inciter le Fonds Monétaire International à intervenir. Le cas
de l’Argentine est plus complexe : la logique d’intervention
du Fonds s’est infléchie au fur et à mesure de la déconnexion
croissante entre la prime de risque de la dette argentine
(spread “Argentina”,
encadré 66EF _Ref240353899
p. 320REF _Ref240353902) et celle
des autres marchés financiers émergents (spread “global”, idem). Sur la représentation
graphique, cette déconnexion apparaît clairement, par comparaison
avec la crise russe de 1997-1998 : celle-ci entraîne, sur une
durée d’une année environ, un doublement du spread global (avec deux pics cor respondant à un
triplement de la valeur initiale). Au contraire, dans le cas de
l’Argentine, on observe seulement deux paliers d’élévation beaucoup
moins marqués (+ 30 % environ) du spread global. À l’issue de la première année,
celui-ci décroît régulièrement, alors que la situation de
l’Argentine ne revient à la normale qu’à la fin de l’année 2004
(voir également graphique 47_Ref240354681 ci-dessousREF
_Ref240354683). Cette déconnexion illustre l’absence de
risque de système associé au défaut argentin de 2001-2002. Dans ces
conditions, le Fonds Monétaire International a interrompu, en
décembre 2001, ses versements, à la suite d’un désaccord avec le
gouvernement argentin sur le contenu des réformes économiques à
mettre en œuvre.
Par ailleurs, le cas de l’Argentine suggère que le
risque systémique peut présenter des traits circonstanciels :
dans le cas de la crise de 2001-2002, par exemple, la
multiplication des difficultés concernant les pays émergents depuis
le milieu des années 1990 avait, semble-t-il, généré un
« effet d’apprentissage » de la part des investisseurs
internationaux, qui n’ont pas sensiblement modifié leur attitude à
l’égard de ces pays dans leur ensemble à la suite des difficultés
rencontrées par l’un d’entre eux.

Graphique 47 : Primes de risque sur les
obligations des pays émergents
Outre la controverse relative aux interventions
d’urgence en dehors des conditionnalités usuelles, se pose le
problème des volumes financiers mobilisés par ces renflouements,
particulièrement lorsque les épisodes de défauts se font rapidement
suite (graphique 47_Ref240354681
ci-dessus_Ref240356151). Avant même le
déclenchement de la crise de 2008-2009, le Fonds Monétaire
International n’était d’ailleurs pas en mesure d’enrayer seul les
crises systémiques, donc de garantir structurellement la stabilité
du système monétaire et financier international. En effet, ces
crises se traduisent par des sorties de capitaux atteignant des
montants considérables. Lors de la crise des monnaies asiatiques
(1997), les sorties nettes de capitaux provenant des cinq pays les
plus touchés (i.e. la Thaïlande, la
Malaisie, l’Indonésie, les Philippines et la Corée du Sud)
dépassent ainsi, en quelques mois, 100 milliards de dollars,
soit environ 10 % de leurs PIB agrégés.
Dès lors, les systèmes bancaires nationaux, donc
les économies elles-mêmes, sont explicitement menacés
d’effondrement à défaut d’un refinancement extérieur massif et
d’une extrême rapidité. À cette fin, les moyens du Fonds Monétaire
International se sont progressivement accrus (relèvement des
quotes-parts, émission de DTS, Accords Généraux d’Emprunts), et les
possibilités d’assistance aux États en difficulté élargies. Mais
ils restent notoirement insuffisants au regard de l’ampleur des
déséquilibres induits, dans un contexte de globalisation
financière, d’une mobilité quasi
parfaite des capitaux. Ainsi, durant la crise mexicaine
(1994-1995), 48 milliards de dollars sont mobilisés, soit
davantage que l’encours total des crédits du Fonds Monétaire
International à l’ensemble des pays en développement fin
1994.
Ce n’est pas le Fonds Monétaire International,
incapable de réunir ces fonds, mais le Trésor américain qui
organise le sauvetage, n’hésitant pas, dans ce
cas précis, en raison du caractère régional de cette
crise5, à
mobiliser 20 des 25 milliards de dollars de son fonds de
stabilisation des changes, à solliciter auprès du FED
6 milliards de crédits à court terme, et à intervenir auprès
de la BRI afin que 10 milliards de dollars de crédits soient
débloqués. Ce plan s’inscrivait, ainsi, dans une longue tradition
de régulation informelle du système
monétaire et financier international caractérisée, durant les
années 1980 et 1990, par le montage de nombreux prêts-relais au
profit des pays en développement, en attendant l’ouverture de
facilités de crédit par le Fonds Monétaire International.
La construction d’un nouveau Fonds Monétaire
International, jouant pleinement son rôle de prêteur en dernier
ressort dans le cadre d’une régulation formelle au sein d’un nouvel ordre financier
international redonnant au Politique la souveraineté cédée à
l’Économique et aux tenants du marché, exige de nouveaux moyens,
quantitatifs et qualitatifs, indispensables à sa légitimité
supranationale, de même qu’à son efficacité. [Gilles, 2002] Sur le
plan quantitatif, les capacités d’intervention d’un nouveau Fonds
Monétaire International doivent être étendues dans le sens, par
exemple, du développement des Nouveaux Accords d’Emprunt créés en
1995, jusqu’à présent plafonnés à 34 milliards de DTS, afin de
compléter les ressources ordinaires tirées des quotes-parts.
Encadré 68 : Premier emprunt obligataire
émis par le Fonds Monétaire International : les ministres des
finances du G20 souscrivent massivement
Lors du G20 (voir note 6REF _Ref240509440 p. 332REF _Ref240509451) de Londres (5 et
6 septembre 2009), les ministres des Finances ont annoncé
leurs intentions de souscrire massivement à la première émission,
par le Fonds Monétaire International, d’obligations émises et
libellées en DTS, pour élargir ses possibilités de prêts aux pays
les plus touchés par la crise. L’Union européenne a décidé de
relever de 75 à 125 milliards d’euros (environ
175 milliards de dollars) sa contribution supplémentaire.
L’Inde s’engage à souscrire à hauteur de 10 milliards de
dollars ; la Russie et le Brésil s’apprêtent eux aussi à
participer pour des montants similaires. La Chine avait annoncé,
dès le mois de juin, qu’elle contribuerait pour 50 milliards.
En revanche, aucun accord n’a été trouvé sur la réforme de
l’organisation elle-même. Les Européens totalisent actuellement un
peu plus du tiers du capital et des droits de vote, sensiblement
plus que le poids de leurs économies dans le PIB mondial. De leur
côté, depuis 1944, les États-Unis, dont la quote-part s’élève à un
peu plus de 16 %, détiennent un droit de veto suffisant à
bloquer les votes requérant une majorité qualifiée de
85 %.
Parallèlement, le Fonds Monétaire International
doit acquérir une des propriétés des Banques centrales, à savoir la
capacité de créer des réserves, en émettant des lignes de crédit
libellées en DTS destinées aux Banques centrales nationales. De
même, les instruments comme la Facilité de réserve supplémentaire
et la Ligne de crédit contingente, qui constituent d’ores et déjà
de véritables attributs de PDRI, doivent être développés. Afin de
financer ces lignes, le nouveau Fonds Monétaire International doit
pouvoir, à l’instar de l’actuelle Banque mondiale, s’endetter
auprès des marchés financiers internationaux privés, le mécanisme
des quotes-parts, donc de mutuelle d’États, étant peu adapté à la
célérité requise pour l’exercice du prêt en dernier ressort. Pour
cette raison, le 1er juillet 2009,
le Conseil d’administration du Fonds a approuvé le dispositif
autorisant l’émission d’obligations dont la souscription est
ouverte aux États membres et à leur banque centrale
(encadré 68_Ref240358165
ci-dessus_Ref240358159).
La prévention des crises : le défi
majeur
Non seulement l’empressement des États membres du
Fonds Monétaire International à augmenter ses moyens à la suite des
besoins créés par la dernière vague de financements accordés aux
PECO en 2008-2009 ne vaut pas accord sur les contenus à donner à la
réforme des modes de fonctionnement de l’institution, mais il peut
même être interprété en sens inverse. Dans cette hypothèse,
l’ampleur des financements promis, notamment, par certains pays
émergents (Chine, Inde, Russie, Brésil), serait bien plutôt la
traduction de leur souhait de montrer qu’ils ont la volonté et les
moyens de participer réellement aux décisions majeures en matière
de supervision et de régulation des marchés de capitaux
internationaux.
Concernant les modalités de gestion des crises
compatibles avec une véritable fonction préventive, le débat
s’articule autour de la nécessité de faire supporter les coûts de
l’ajustement à l’ensemble des acteurs, y compris privés, en
application d’un double principe de
« sélectivité » : d’une part, celle des États
éligibles aux renflouements d’urgence ; et, d’autre part,
celle des établissements financiers susceptibles de bénéficier de
mesures de soutien (9.2.1.). Plus généralement, les axes forts du
débat de la décennie 2000 relatif à la « nouvelle architecture
internationale », et notamment le thème de la nécessaire
transparence des marchés se trouvent remis au goût du jour par le
rôle joué par les produits financiers complexes dans la Grande
crise de la fin des années 2000. Les difficultés soulevées sont
également toujours les mêmes, à commencer par l’exigence
d’universalité des règles et normes à mettre en œuvre (9.2.2.).
Malgré ces écueils, la dégradation exceptionnelle des conditions
économiques et financières des années 2008-2009 pourrait,
paradoxalement, constituer une période propice à la conception de
réformes majeures (9.2.3.).
Impliquer le secteur privé et les
gouvernements : le principe de sélectivité de
l’intervention
Toute politique de prévention des crises suppose
nécessairement une plus grande implication du secteur privé dans la
gestion des crises (« bail
in »), ce qui suppose que des réponses politiques
soient apportées à deux questions centrales : d’une part,
jusqu’où doit aller la puissance publique pour sauvegarder des
intérêts privés ou, exposé différemment, quel est le degré de
responsabilité et d’implication que les créanciers privés doivent
assumer dans la résolution des crises ? ; d’autre part,
ne convient-il pas d’instaurer une « procédure de banqueroute
souveraine » (bankruptcy approach)
par laquelle, à l’image des firmes, les États qui ne peuvent plus
faire face à leurs engagements financiers seraient traduits devant
un tribunal des faillites réservé aux pays et aux gouvernements
convaincus d’une sorte de faillite frauduleuse [Fischer, 1999,
574] ? Ces deux interrogations renvoient aux conditions
d’optimalité de l’intervention d’un PDRI : limiter l’aléa
moral inhérent à toute action de renflouement susceptible d’être
anticipée, dans le premier cas, par les agents privés et, dans le
second cas, par des pays “too big to
fail” tirant avantage de leur situation pour faire supporter
une partie de leurs coûts d’ajustement par la communauté
internationale via les Institutions
multilatérales (9.1.3.).
Enfin, sur le plan macro-économique, la crise de
2008-2009 nous montre la nécessité de spécifier des modèles de
comportement et d’attributs des institutions financières, aux
niveaux international et national, à même d’assurer la régulation
financière internationale, en particulier l’art du prêteur en
dernier ressort, d’une part, au niveau global, soit le renflouement
par un éventuel PIDR (le FMI réformé, 9.1.2.) d’un État souverain
susceptible (prévention) ou confronté (gestion) à une crise de
troisième génération, d’autre part, au niveau domestique, soit le
renflouement par la Banque centrale de banques commerciales du pays
concerné.
Dans ce cadre, Bastidon, Gilles, Huchet [2008a, b,
2009] montrent que le prêt en dernier ressort constitue une
solution si, et seulement si, le PIDR bénéficie d’informations
fiables relatives aux marchés financier et bancaire domestiques
afin d’assurer, parallèlement à sa fonction macro-économique
traditionnelle, une fonction micro-économique de prêts sélectifs à
des banques individuelles. L’optimalité d’intervention de ce PIDR
nécessite, alors, de spécifier deux niveaux de sélectivité du
renflouement assujettis au principe d’ambiguïté constructive
[Goodhart Huang, 2000] : dans un premier temps, l’éligibilité
(ou non) des pays en crise, dans un second temps, les seules
banques solvables des pays récipiendaires selon une double logique,
celle de la recapitalisation (recapitalization
bail-out) et celle de l’évitement de la propagation
systémique de la crise (catalytic
bail-out) (encadré 69_Ref240450142 ci-dessous_Ref240450147).
Encadré 69 : Le renflouement
sélectif : deux niveaux de gestion des crises bancaires
Soit une « économie monde »
caractérisée par un ensemble N є
{1,…,N} de pays émergents et avancés.
Conformément à la classification du FMI, ces pays présentent
un risque systémique et fournissent une information de qualité
similaire : ils respectent les normes et codes internationaux
et acceptent la supervision du FMI (en juin 2008, les quatre
cinquièmes des pays membres souscrivent à la Norme Spéciale de
Diffusion des Données ou participent au Système Général de
Diffusion des Données). Et soit un Prêteur en dernier ressort
international (PDRI) disposant des informations fournies par ces
pays et d’un montant Z de liquidités.
Chaque pays i est caractérisé par le
solde des opérations financières de sa balance des paiements
(Ei) et par
les dettes (lij) contractées par le secteur bancaire
auprès des autres pays j є N du
système, arrivées à échéance à la période courante. En nommant
D le vecteur de dettes agrégées des
pays vis-à-vis du reste du système, on définit une matrice des
dettes de chaque pays envers chaque autre relativement à son
endettement total ( є [0,1]N×N. Alors, pour chaque ensemble (,
E, D), il
existe un vecteur unique de paiements p* dès lors qu’un pays au moins a une valeur
’p* + E
positive à distribuer. En cas de défaut (pi* Di), la décision de
renflouement repose sur la valeur des dettes.
Suivant Elsinger al.
(2006), le pays peut être en « défaut fondamental » (ses
créances sont inférieures à sa dette) : il est alors
inéligible au renflouement (une procédure de suspension des
paiements voire une ligne de crédit assortie de conditionnalités
ex post peuvent être mises en œuvre).
Mais si c’est le défaut d’au moins un de ses débiteurs j qui l’empêche d’honorer ses dettes, il est en
« défaut contagieux » et le PDRI propose un renflouement
X (avec 0
X ≤ Z). La
Banque centrale perçoit ce montant X,
destiné à la reconstitution des réserves de change (X 1) et au renflouement
des établissements favorablement évalués (X2 = X - X1). L’aléa moral est ici contenu grâce à
l’incertitude autour des montants mobilisés et du seuil à partir
duquel le PDRI intervient.

En t0, sur la base d’une dette à court terme
k D
(normalisée à 1) et à long terme k, les K banques
du secteur composent leur actif de réserves (e
k), d’actif à court terme
(I1 k) et
d’actif à long terme (I2
k). I1ket I2k présentent des rendements r (r 1 r 2) et, en cas de choc de liquidité en t1, des coûts de
liquidation (avec 1 2 et 1 = 0). Le choc de
liquidité se traduit par le non renouvellement à t1 d’une part
x des prêts, affectant uniformément
toutes les banques. Si l’on note Mkles liquidités disponibles sans coût à
t1 pour une
banque k, trois configurations
(ci-dessus) sont possibles :
- x k D ≤ Mk : ces banques font face au
run sans liquidation d’actifs
I2, mais
peuvent être renflouées dans une logique
d’effet catalyse (Corsetti al.,
2006), pour éviter une hausse de xD
liée à la généralisation de la défiance. Elles constituent un
premier groupe (k є [1,…, m]).
- Mk x kD ≤ Mk + [(1 +
r2)/(1 + 2)]
I 2 :
ces banques font face au run, mais les
coûts supportés nécessitent un renflouement dans une logique de liquidité. Soit le groupe k є [m + 1,…,n].
- x kD > Mk + [(1 + r2)/(1
+ 2)] I
2 : ce groupe (k є [n+1,…,K]) est
insolvable donc inéligible.
En définitive, dans le cadre du principe de
sélectivité, l’incertitude est maintenue autour des seuils
d’intervention et des montants mobilisables, mais réduite par une
grille de conditionnalités claire, soit un cadre propice au
maintien d’une ambiguïté constructive. Quand une crise implique un
renflouement sélectif, l’effet préventif émane de l’intérêt, pour
les banques, à faire acte d’une plus grande capacité à mobiliser
des réserves liquides, d’où un renforcement de la résilience de
tout le secteur. Cette analyse légitime l’action du PDRI sur les
plans macro et micro-économique dès lors que l’éligibilité au prêt
s’inscrit dans une logique de conditionnalité.
Universalité des règles et transparence des
marchés : de la difficulté à réformer dans le consensus
Plus généralement, l’efficacité de la redéfinition
voire de l’extension du périmètre de la réglementation prudentielle
et de la supervision, notamment l’évolution des accords
Bâle II, d’une part, l’efficience d’une nouvelle architecture
financière internationale capable de combler une double absence,
celle relative à une véritable réglementation universelle des
activités bancaires et financières et celle concernant l’existence
d’un PDRI en mesure d’enrayer les logiques de défiance contagieuse
potentiellement génératrices de crises systémiques, d’autre part,
sont conditionnées par l’évitement de deux principaux
écueils.
D’abord, ces réformes doivent être réalisées selon
un calendrier pragmatique, donc graduel. En effet, la crise a
montré les limites de la compétence des États en matière de pouvoir
réglementaire dans les domaines bancaire et financier et son
corollaire la nécessité pour les pays d’accepter un transfert de
compétence, donc un relatif abandon de souveraineté, en matière de
réglementation et de supervision, ce qui ne manquera pas d’attiser
des résistances politiques. Parallèlement, la réforme du Fonds
Monétaire International (9.1.), seule instance supranationale à
pouvoir exercer un rôle central dans l’expertise et l’assistance
financière conditionnelle aux pays en crise [Pisani-Ferry, 2009],
c’est-à-dire à assurer la supervision des taux de change, à fournir
des évaluations sur les conjonctures et les politiques économiques
des acteurs, à procéder à la surveillance des États, notamment en
matière de soutenabilité des finances publiques, devra être
profonde et acceptée par chacune des parties en présence, ce qui
nécessitera du temps.
Le second écueil concernant la mise en œuvre de
ces réformes concerne l’excès de réglementations susceptible
d’amorcer le cercle vicieux « réglementation-innovation pour
la contourner », à l’origine de la titrisation excessive
actuelle qui a permis aux établissements financiers d’échapper à la
régulation prudentielle des fonds propres. Dans ce contexte, où les
produits dérivés (principalement sur des marchés organisés, donc en
limitant ceux négociés de gré à gré) et la titrisation (à la
condition d’être fondée sur des créances sous-jacentes clairement
identifiées) s’avèrent indispensables à la gestion des risques, les
régulateurs devront centrer leur réflexion sur l’effet de levier et
moins sur les moyens mis en œuvre pour l’obtenir. Comme le relève
Lubochinsky [2009a,b], « seul l’effet de levier peut faire
l’objet d’une régulation globale car toute régulation spécifique
d’un produit ou d’une technique donnerait lieu à une innovation
permettant de détourner cette régulation ».
Plus spécifiquement, quelques pistes de réflexion
quant à la future régulation financière internationale peuvent
être, sans exhaustivité, avancées [de Boissieu, 2009] :
l’extension de la réglementation à des opérateurs et à des
opérations jusqu’à présent non régulées, comme les banques
d’investissement et les courtiers qui, aux États-Unis, ont
disséminé les risques inhérents aux subprimes, ou les Hedge
Funds en leur imposant des obligations accrues en termes de
transparence et de reporting.
Toutefois, si le respect des réglementations prudentielles
constitue une condition nécessaire à une prophylaxie des crises de
troisième génération, elles demeureront insuffisantes si leur
application n’est pas universelle afin
d’éviter qu’aux « paradis fiscaux » s’ajoutent des
« paradis prudentiels », ce qui conforte le rôle d’un
véritable PDRI au niveau global et des autorités domestiques ou de
zone (la BCE, par exemple) au niveau des pays.
Encadré 70 : Les produits dérivés sur les
marchés de gré à gré : un facteur de risques majeur
En sus du risque lié à leur mode de prise en
compte dans les documents comptables des institutions qui achètent
et vendent les contrats, les produits dérivés sont porteurs de
risques spécifiques liés à leur négociation, en large majorité, sur
des marchés de gré à gré. Très schématiquement, sur un marché
organisé (par exemple, les marchés actions), toutes les
informations (prix et volumes) relatives aux opérations en cours
sont publiquement diffusées, en continu. Les membres du marché ne
sont admis à ce statut que selon des conditions restrictives dont
la vérification relève de la compétence de l’autorité
organisatrice, qui est par ailleurs responsable de la
centralisation des transactions, de leur compensation et du
règlement/livraison des actifs. Les caractéristiques de ces
derniers sont standardisées, ce qui garantit leur liquidité. Les
marchés de gré à gré, où les transactions interviennent directement
entre acheteurs et vendeurs, pour des produits dits OTC
(over the counter, « sur
mesure »), n’offrent pas ces garanties.
Outre le risque de défaut, que les règles de
fonctionnement des marchés organisés permettent de contenir,
l’histoire récente met en évidence les risques liés à l’opacité,
caractéristique des marchés de gré à gré. Selon Lubochinsky
[2009b], la concentration des échanges de produits dérivés sur les
marchés de gré à gré s’explique par le fait que les banques, qui
commercialisent les produits OTC, désiraient en conserver le
monopole, du fait que la complexité de ces produits les rend
difficiles à évaluer et permet donc de réaliser une marge
supérieure à celle générée par les produits financiers plus
conventionnels. Elles n’avaient donc aucun intérêt à ce que les
produits OTC s’échangent sur les marchés organisés, qui auraient
assuré la diffusion publique des informations de prix et de
volumes. Les marchés organisés ont essayé de faire concurrence aux
banques en proposant des innovations sur le contenu des contrats,
en réduisant les coûts de transaction et en proposant des modalités
de compensation, mais les tentatives d’introduction de produits
déjà négociés par les banques se sont généralement révélées
infructueuses, celles-ci souhaitant conserver une certaine opacité
de l’information.
Un deuxième axe concerne l’amélioration de la
transparence et, conséquemment, de la traçabilité des instruments
financiers et des risques inhérents. L’organisation des marchés des
produits dérivés devrait, en l’occurrence, accroître la
transparence relative à leur prix et leur liquidité, donc améliorer
la gestion du risque de contrepartie. Quant aux produits dérivés
négociés de gré à gré, une exigence en fonds propres comparables au
notionnel pourrait résoudre, partiellement, le problème du risque
de contrepartie et diminuer l’effet de levier. Pour ce qui concerne
les produits titrisés, l’obligation de transparence sur la qualité
des créances sous-jacentes devrait réduire la part non maîtrisée
des risques et limiter les effets de levier.
D’autres axes pourraient, enfin, être privilégiés
comme l’amélioration des normes comptables et prudentielles
internationales (Bâle II, normes IFRS, Solvency II, etc.) en prenant en compte
l’externalité négative que constitue la procyclicité inhérente à
ces normes qui accentue la volatilité financière et la crise
économique. De même, l’amélioration du fonctionnement et de la
gouvernance des agences de notation pourrait parfaire cette
architecture réglementaire et prudentielle.
Pour ce qui concerne le qualitatif, le nouveau
Fonds Monétaire International doit devenir le maître d’œuvre d’un
système de règles de « bonne conduite » (good practices) et de transparence (transparency) définies, non
pas au regard d’une orthodoxie néolibérale érigée en dogme
(le « Cantique de la libéralisation ») [Stiglitz, 2002],
mais dans l’optique d’un développement durable
des économies concernées. À cette fin, le nouveau Fonds
Monétaire International doit rompre avec l’idéologie selon laquelle
les hypothétiques défaillances du marché sont toujours moins graves
que les inévitables défaillances des gouvernements. Il pourrait
également posséder un droit d’ingérence économique lui permettant
de se substituer temporairement aux gouvernements en quête de
crédibilité des marchés (stabilité politique, lutte contre la
corruption, etc.), en matière de supervision et de réglementation
prudentielle de leurs marchés financiers, ou en réactivant
l’article VIII des statuts actuels du Fonds autorisant les
pays membres menacés par des mouvements de capitaux déstabilisants
à se protéger provisoirement par un contrôle des changes,
rejoignant, en cela, l’article 73 du traité de Maastricht qui
autorise l’instauration d’un contrôle des changes limité dans le
temps (six mois au plus).
Parallèlement, se pose la question du pouvoir
politique accordé au Comité Monétaire et Financier International du
Fonds Monétaire International (i.e.
l’ancien Comité intérimaire), et de sa transformation en un organe
de décision multilatéral et supranational au sein duquel aucun pays
ne disposerait de droit de veto, renouant ipso
facto avec la thèse de J.M. Keynes d’une « Banque
centrale des banques centrales » contenue dans ses
Proposals for an international clearing
union (Partie I).
De la Grande crise de 2008-2009 à la refonte
des règles de fonctionnement des marchés de capitaux
internationaux
Cet ambitieux programme de réformes pourrait,
paradoxalement, se réaliser dans le contexte particulièrement
troublé de la crise de 2008-2009 et de ses suites. Comme le
soulignait A. Gramsci dans ses « Cahiers de
prison », lors d’une crise on sent que « l’ancien meurt
et que le nouveau ne peut naître ». Dans cette lignée, la
situation de crise peut constituer un moment propice à la gestation
de réformes globales significatives (i.e. un « nouveau Bretton
Woods » qui a débuté avec la réunion du G206 à Washington le 15 novembre 2008 puis
celle de Londres le 2 avril 2009) destinées, entre autres, à
concevoir une architecture financière internationale capable
d’endiguer le risque systémique, à contenir les excès de complexité
financière, à remettre la finance au service de l’économie réelle
en corrigeant certaines dérives de la finance virtuelle, notamment
les marchés de gré à gré d’instruments dérivés, à produire des
systèmes de rémunérations et d’incitations déconnectés des prises
de risque, etc.
Lors du sommet de Londres du 2 avril 2009,
les représentants des grandes économies ont esquissé les nouvelles
règles du capitalisme mondial. Il s’agissait de mener une action
coordonnée afin de sortir de la crise qui se traduit par la
première récession mondiale depuis 1945. Un compromis s’est dégagé
entre deux « camps » : d’un côté, ceux qui, à
l’instar de l’Allemagne et de la France, insistaient sur
l’impérieuse nécessité de réglementer davantage les marchés
financiers ; de l’autre, ceux qui, à l’instar des États-Unis
notamment, exhortaient à des efforts de relance supplémentaires.
Ces deux « visions » apparaissent dans le communiqué
final dont le bilan chiffré des mesures cumulées s’élève à
1 100 milliards de dollars (819 milliards d’euros)
et dont le contenu « enterre » le consensus de
Washington, en particulier l’exigence d’austérité fiscale en
période de récession. Le Fonds Monétaire International voit ses
ressources triplées (portées à 750 milliards de dollars) et se
trouve explicitement investi d’une mission de contrôle des
politiques macro-économiques de ses membres ; les grands
acteurs de la finance, dont les principaux fonds spéculatifs,
seront placés sous surveillance ; les paradis fiscaux,
nommément désignés, sont passibles de sanctions
(encadré 71_Ref239921471
ci-dessous_Ref240509984).
Encadré 71 : Le sommet de Londres
(2 avril 2009) du G20 : détail du contenu des cinq séries
de mesures préconisées
Plus précisément, cinq séries de mesures sont au
cœur de la régulation du système financier mondial souhaitée par le
G20.
i) Lutter contre les
paradis fiscaux : l’époque du secret bancaire
« est révolue » selon le communiqué final. Cette
déclaration marque une rupture avec des décennies de tolérance et
de participation des grandes puissances économiques à l’endroit des
paradis fiscaux. Ces derniers ne pourront plus opposer le secret
bancaire aux enquêtes de l’administration fiscale ou de la justice
étrangères, sous peine d’être fichés sur la « liste
noire » de l’OCDE7. En
outre, ils seront condamnés selon une « palette de
sanctions » à définir par les ministres des Finances du G20,
alors qu’il est d’ores et déjà acquis que les organisations
internationales ne pourront pas travailler avec les pays
récalcitrants. Enfin, les engagements de coopération pris,
récemment, par la Belgique, le Liechtenstein, le Luxembourg et la
Suisse seront contrôlés par le FMI et le Forum de stabilité
financière.
ii) Étendre le champ de
la régulation : le G20 promet que tous les
établissements financiers, produits et marchés qui représentent un
risque pour le système financier mondial seront contrôlés, en
insistant sur les fonds spéculatifs « d’importance
systémique », c’est-à-dire dont la faillite menacerait
l’ensemble du système (i.e. “too big to fail”,
cf. supra). Ces hedge funds
devront s’immatriculer auprès d’un superviseur et avoir une gestion
plus transparente.
iii) Sécuriser les
banques : afin d’éviter que les banques ne rationnent
trop brutalement le crédit en période de crise, elles devront
augmenter leurs fonds propres dès le retour de la croissance. Pour
les responsabiliser aux risques qu’elles prennent, elles devront
conserver dans leurs bilans une partie (5 %) des actifs
qu’elles titrisent, ces créances qu’elles ont pris l’habitude de
transformer en produits financiers revendus sur les marchés. Enfin,
les autorités de contrôle prendront en compte le « hors
bilan » des banques (i.e. cette
zone comptable opaque dans laquelle sont logés de nombreux actifs
risqués) dans le calcul de leurs exigences en capital.
iv) Assouplir les
normes comptables : ces normes souvent élaborées par
des cabinets privés, sans le contrôle des autorités politiques, ont
été accusées d’avoir accentué l’impact de la crise (i.e. l’argument de procyclicité). Elles ont permis
aux banques d’évaluer une partie de leurs actifs à la valeur de
marché, c’est-à-dire une valeur dépréciée, voire quasi nulle en
plein krach boursier. Les organismes qui les élaborent sont appelés
à travailler de façon « urgente » avec les régulateurs
pour les assouplir. Un standard unique de normes internationales
est demandé. Le G20 pense, ainsi, pouvoir freiner les dépréciations
d’actifs massives qui ont fragilisé les banques depuis l’été 2007,
conduisant certaines d’entre elles à la faillite.
v) Renforcer les
institutions financières internationales : au-delà du
triplement de ses ressources, le FMI devient un
« gendarme » de la finance internationale. Il travaillera
de concert avec l’ex-Forum de stabilité financière (FSF),
transformé en Conseil, pour élaborer un mécanisme d’alerte sur les
risques. L’articulation de cette coopération s’annonce délicate,
sachant que la supervision des banques et des marchés reste de la
compétence des États.
Ces déclarations ne sont pas restées sans
lendemain : ainsi, dès le 18 juin, les États-Unis et
l’Union Européenne, simultanément, présentaient leurs plans de
refonte de la régulation de leurs systèmes de financement. Au
niveau du principe général, il s’agit dans les deux cas de créer
une entité regroupant l’ensemble des régulateurs de marché, de
manière à centraliser l’information, et à déclencher une éventuelle
intervention publique le plus précocement possible. Aux États-Unis,
ce « Conseil de surveillance de la finance » sera sous
l’autorité du Secrétaire au Trésor, alors que les chefs d’État de
l’Union Européenne ont choisi de faire élire le président du
« Conseil européen du risque systémique » par les
gouverneurs de la BCE. Ce dernier ne pourrait cependant pas
contraindre les gouvernements des États membres à renflouer ou
recapitaliser un établissement bancaire national en difficulté. Du
côté des États-Unis, la FED est dotée de prérogatives de
surveillance élargies sur les établissements du secteur financier
dont la taille, l’endettement ou les liens avec le reste du système
financier présentent un risque de déstabilisation globale en cas de
difficulté individuelle. Ces établissements, par ailleurs, seront
soumis à des contraintes renforcées en matière de fonds propres. En
ce qui concerne les fonds spéculatifs, les activités de hors-bilan,
les opérations de titrisation, et les marchés de dérivés, il est
également prévu d’élargir les contrôles, mais sans avancée majeure,
ni contenu concret des mesures à prendre à cet effet.
Finalement, ces mesures récentes reprennent
l’argument du “too big to fail”, mais
avec la particularité d’en tirer une règle d’action préventive. Le
constat du caractère incontournable du renflouement des entités
présentant ce trait distinctif ayant été définitivement établi par
les conséquences « dramatiques » du non renflouement du
groupe Lehman Brothers
(note 12REF _Ref240511343
p. 301REF _Ref240511349), les
États-Unis et l’Union Européenne en tirent la conclusion de la
nécessité de soumettre ces établissements à une surveillance
suffisamment étroite pour que leur gestion les mette à l’abri de
difficultés majeures. Si le contenu des réformes mis en œuvre
atteint ces objectifs, il devrait en résulter, non seulement, un
risque moindre aux niveaux national et global, mais également un
recours largement réduit aux interventions d’urgence : en
effet, seuls les établissements de relativement petite taille
seraient alors susceptibles de se trouver en situation de réelle
difficulté – mais, précisément à cause de leur petite taille,
leur renflouement n’aurait aucun caractère systématique. Ceci les
contraindrait, de même que les établissements plus importants et
soumis à l’obligation de surveillance renforcée, à une gestion plus
vertueuse. En définitive, la capacité de supervision de la Banque
centrale, et du Conseil des régulateurs de marché qui lui est
associé, conditionne donc l’ensemble de l’enchaînement, qui n’est
opératoire que si leur surveillance est sans faille.
Éléments d’appréciation des mutations récentes
du processus d’intégration financière
Finalement, à l’issue de quatre décennies de
globalisation financière, les systèmes de financement domestique et
international ont atteint un degré de complexité qui est, en
lui-même, un facteur d’instabilité, ce qui explique largement le
consensus des autorités politiques nationales sur la nécessité
urgente d’une forme de régulation supranationale véritablement
opérationnelle, sinon sur le contenu des mesures à mettre en œuvre
pour y parvenir. La définition conventionnelle du processus de
globalisation selon les termes de la « règle des 3D »
conserve, cependant, une véritable pertinence pour appréhender les
faits stylisés contemporains des marchés de capitaux internationaux
(9.3.1.). La dynamique du phénomène de désintermédiation de
l’économie, toutefois, appelle une analyse plus détaillée, dans la
mesure où les intermédiaires de marché sont, aujourd’hui, également
des acteurs majeurs du financement direct de l’économie (9.3.2.).
Enfin, il convient de s’interroger sur les implications en termes
de proportions relatives des sphères réelle et financière d’une
surliquidité de l’économie mondiale présentant des traits
incontestablement structurels (9.3.3.).
Une mesure de l’avancée du processus de
globalisation financière selon la « règle des 3D » :
où en sommes-nous ?
Il est communément admis qu’au cours des années
1990, le phénomène de désintermédiation se traduit par un recul du
financement bancaire de l’économie, tandis que les financements de
marché (titres du marché monétaire, actions et obligations)
prennent de plus en plus d’importance. En pratique, dans le cas de
la France, que nous prendrons ici comme exemple pour évaluer
l’avancée du processus de globalisation financière selon les
critères de la « règle des 3D », le taux d’intermédiation
financière au sens étroit, défini comme la part du crédit bancaire
par rapport au total des financements reçus par les agents non
financiers, est de 55 % en 1994 – il n’est plus que de
40 % environ dix ans plus tard. De même, le taux
d’intermédiation financière au sens large, qui prend en compte
l’ensemble des financements émanant des établissements financiers
(crédits et achats de titres) recule de plus de 15 points sur
la même période. On note toutefois, comme pour de nombreux autres
pays du Nord, voire émergents, une stabilisation du poids des
financements bancaires de l’économie nationale depuis le milieu de
la décennie 2000 (graphique 48_Ref240529624 ci-dessous_Ref240529630, partie droite).

Graphique 48 : Taux d’intermédiation en
France, 1994-2009, en % (à g.) et composition de l’actif des
banques françaises, 1990-2006 (à d.)
Le calcul du poids, respectivement, des crédits et
des titres dans l’actif des banques françaises, met en évidence le
même phénomène de désintermédiation (graphique 48_Ref240529624 ci-dessus_Ref240529630, partie gauche). En outre, il permet
d’en préciser les modalités : dans le cas de la France, on
observe ainsi une nette diminution de l’activité de crédit, mais
surtout une progression très rapide de la partie de l’actif
consacrée à l’achat de titres, qui représente 25 % environ en
2005 contre moins de 10 % en 1990. Cette progression est
continue, contrairement à ce que semblerait indiquer la
stabilisation des taux d’intermédiation précédemment constatée,
parce qu’elle est alimentée par l’achat de titres internationaux,
qui par définition ne contribuent pas au financement de l’économie
nationale et ne sont donc pas comptabilisés dans le calcul de ces
taux.
Nous pouvons donc d’ores et déjà mettre en
évidence, ici, la coexistence d’une désintermédiation du
financement de l’économie et des activités des banques d’une
part ; et d’un décloisonnement de ces mêmes activités puisque,
depuis 2002, le poids des banques dans le financement de l’économie
nationale reste stable tandis que leurs portefeuilles titres ne
cessent de prendre de l’importance dans l’utilisation des fonds
qu’elles collectent, par le biais de l’achat de titres
internationaux.

Graphique 49 : Internationalisation des
opérations des banques françaises (millions d’euros)
Les données relatives aux créances et engagements
des banques françaises vis-à-vis de non-résidents
(graphique 50_Ref240529939
ci-dessous_Ref240529944) mettent en
évidence de manière plus frappante encore ce phénomène de
décloisonnement, selon deux phases distinctes : entre 1993 et
2003, le rythme de croissance des volumes concernés est modéré,
puis il devient extrêmement rapide entre 2003 et 2005.

Graphique 50 : Marchés dérivés de taux de
change et de taux d’intérêts (milliards de dollars)
Simultanément à ces phénomènes de
désintermédiation et de décloisonnement, la déréglementation de
l’activité des marchés financiers peut être appréhendée, notamment,
via les volumes d’opérations
enregistrés sur les marchés de gré à gré. Ces volumes sont, par
définition, difficiles à connaître avec précision dès lors que les
transactions ne sont pas centralisées par une autorité
organisatrice de marché, mais ont lieu directement entre les
parties intéressées. Toutefois, les enquêtes triennales
« Marchés de change » de la Banque des Règlements
Internationaux incluent des statistiques relatives aux produits
dérivés de change et de taux d’intérêt, fondées sur les
informations données par les principaux groupes bancaires et
organismes financiers intervenant sur ces marchés. Ces statistiques
(graphique 50_Ref240529939
ci-dessus_Ref240530233) font clairement
apparaître, de même que dans le cas de l’internationalisation des
opérations de banques, une accélération de la croissance des
volumes d’opérations traitées, particulièrement sensible en ce qui
concerne les produits dérivés de taux d’intérêt.
Finalement, le phénomène le plus complexe à
mesurer est donc bien le processus de désintermédiation – pour
ce qui concerne le décloisonnement et la déréglementation du
fonctionnement des marchés de capitaux, les indicateurs disponibles
indiquent sans ambiguïté que la globalisation financière est non
seulement toujours en marche, mais encore qu’elle s’accélère au
cours de la dernière décennie, ainsi que l’illustre l’allure
exponentielle des données qui s’y rapportent
(graphique 49_Ref240530542
p. 337REF _Ref240530640 et
graphique 50_Ref240529939
ci-dessusREF _Ref240530648).
Les ambiguïtés de la désintermédiation :
problématique de la mesure du poids du secteur bancaire dans un
environnement financier complexe
L’appréhension du poids véritable des
établissements bancaires dans le financement de l’économie est, en
revanche, beaucoup plus délicate. Ainsi, le calcul des taux
d’intermédiation, centrés sur les modes de financement des
économies nationales exclusivement, n’offre pas nécessairement une
image réaliste des activités des réseaux de banques domestiques qui
s’y rapportent. En outre, les établissements bancaires sont
aujourd’hui, de diverses manières, des acteurs majeurs de la
finance de marché. On peut, ainsi, citer leur poids dans les
principales capitalisations boursières mondiales
(tableau 36_Ref240642260
p. 344_Ref240642272), mais
également le contrôle qu’elles exercent sur les « plateformes
alternatives » qui concurrencent désormais les marchés
d’actions traditionnels (encadré 72_Ref240642307 ci-dessous_Ref240642315). Il résulte de cette imbrication de
la finance intermédiée et de la finance de marché une transmission
extrêmement rapide des chocs et des réappréciations de risque d’un
compartiment à l’autre.
Revenons brièvement sur les deux façons de définir
le taux d’intermédiation d’une économie, dont la première est plus
restrictive que la seconde :
- Le taux
d’intermédiation au sens étroit mesure la part prise par les
banques dans le financement des agents non financiers résidents,
sous forme de crédit uniquement.
- Le taux
d’intermédiation au sens large mesure la part prise par les banques
et les autres organismes du secteur financier (assurance, OPCVM…)
dans le financement des agents non financiers résidents, sous forme
de crédits et d’acquisition de titres.
Encadré 72 : La directive MIF
« Marchés d’Instruments Financiers » : la fin du
monopole des Bourses de l’Union Européenne
La directive MIF, adoptée par la Commission
européenne le 1er novembre 2007, a
pour objectif principal d’organiser l’harmonisation des espaces
financiers des pays membres de l’Union Européenne. Elle comporte
également deux autres volets. La protection accrue des
investisseurs renvoie à l’obligation de conseil renforcé de la part
des établissements financiers. Tous les placements proposés
(actions, obligations, OPCVM, etc.) doivent être adaptés aux
situations individuelles, la preuve en étant conservée sous forme
de document récapitulatif rempli et signé par le client,
obligatoirement archivé par l’établissement. Le second volet
concerne la fin, pour les entreprises de marché des pays membres,
du monopole des opérations sur titres. En d’autres termes, les
« Bourses », qui sont des
entreprises comme les autres, sont désormais susceptibles d’être
confrontées à une concurrence à l’intérieur de leurs espaces
nationaux sur les titres dont elles assurent la cotation.
En conséquence, les établissements de marché ont
désormais une « obligation de meilleure exécution ». Dans
l’exemple de la France, avant la mise en œuvre de la directive MIF,
le monopole du traitement des ordres de bourse était détenu par
Euronext-Bourse de Paris. Les établissements financiers n’avaient
donc pas le choix du prestataire pour l’exécution de ces ordres. Le
secteur étant désormais ouvert à la concurrence, de nouvelles
« plateformes de négociation » des opérations boursières
ont fait leur apparition (soit, actuellement, quatre plateformes,
pour 30 à 35 % de parts de marché sur les places financières
européennes : Chi-X, Turquoise, Bats Europe et Nasdaq OMX
Europe). Dans ce contexte, le principe de « meilleure
exécution » consiste, pour l’établissement financier, à
sélectionner le prestataire offrant la meilleure prestation en
termes de prix, de liquidité du marché, d’efficacité du service de
règlement/livraison…
En pratique, l’introduction de la concurrence
dans les opérations sur titres a rempli les objectifs que se fixait
la Commission européenne : Nyse Euronext, le groupe
transatlantique dont font partie Euronext Paris et la plupart des
grandes places financières d’Europe occidentale (exceptions faites
de Londres et Francfort), a baissé, dès juillet 2008, ses frais de
transaction de 30 %. En outre, le groupe a créé sa propre
plateforme alternative, proposant des prestations comparables à
celles de ses concurrents, c’est-à-dire une offre transnationale de
titres les plus couramment échangés. Sur le plan de la structure
des systèmes de financement, l’essor de l’activité des plateformes
de négociation alternatives contribue à « brouiller »
encore la frontière entre intermédiation et financement de marché.
En effet, Turquoise, créée en septembre 2008 et qui a déjà
capté 5 à 7 % du marché, est contrôlée par neuf établissements
bancaires – la Société Générale, BNP Paribas, Citigroup,
Crédit Suisse, Goldman Sachs, Merrill Lynch, Morgan Stanley,
Deutsche Bank et UBS.
Cette définition standard des taux
d’intermédiation comporte une limite : elle ne prend, en
effet, en considération que les financements accordés par des
établissements nationaux à des agents également nationaux. Il est
donc indispensable, en complément de l’examen du taux
d’intermédiation, d’étudier l’évolution du rapport titres/crédit au
bilan des banques. Non seulement ce rapport permet de mesurer de
manière plus complète les parts respectives que prennent les
financements directs et indirects dans les systèmes bancaires
domestiques, mais en outre il renseigne sur leur capacité à
résister à une crise financière majeure8. En effet, son augmentation (plus de
titres, moins de crédit) correspond à une amélioration ou, au
contraire, à une détérioration de la capacité des banques à
mobiliser leur actif sans frais en cas de besoin, selon le type de
titres détenus : les titres n’ont, a
priori, pas de coût de liquidation, mais en pratique
l’éventail des décotes qu’ils supportent peut être extrêmement
large.
Dans le cas de la France
(graphique 51_Ref240642662
ci-après_Ref240642673), que nous
comparerons ici avec celui des États-Unis, le partage titres/crédit
dans les financements apportés aux agents non financiers résidents
(graphe de gauche) montre clairement une réintermédiation de ces
financements au cours de la décennie 2000. Toutefois, la prise en
considération de l’ensemble des financements accordés par les
banques françaises quelle que soit la nationalité des destinataires
(graphe de droite) conduit à un tout autre constat. Si l’on mesure
le rapport entre valeurs mobilières et crédits au bilan des
banques, on constate cette fois, à l’exception des années 2000 et
dans une moindre mesure 2001, que ce rapport progresse de manière
continue depuis deux décennies. Il atteint, en fin de période, une
valeur de 0,75 environ. En pratique, dans le cas de la France, la
réintermédiation du financement de l’économie nationale n’entre
donc pas en contradiction avec une augmentation relative de la part
des titres dans l’actif des banques. En bref, les banques
françaises prêtent aux agents résidents et achètent les titres émis
par les agents non résidents.

Le graphique de gauche représente le rapport
entre titres et crédit dans le Taux d’Intermédiation au sens Large
(TIL), c’est-à-dire le total des financements apportés aux agents
non financiers résidents par les établissements de crédit
résidents, sous forme de crédit ou d’achat de titres. Il mesure
donc la part relative de ces financements réalisée sous forme de
crédits, conformément au mode de fonctionnement traditionnel des
établissements bancaires. Dans le graphique de droite, cette
proportion est mesurée par rapport à l’ensemble des financements
réalisés par les établissements financiers, quelle que soit la
nationalité des bénéficiaires.
Graphique 51 : Le partage titres/crédit dans
le cas des banques françaises
Dans le cas des États-Unis
(graphique 52_Ref240642745
ci-après_Ref240642751), depuis que les
séries qui permettent de calculer les taux d’intermédiation
existent, c’est-à-dire depuis le début des années 1950,
l’intermédiation de l’économie n’a cessé de croître. En
particulier, l’intermédiation de l’économie a nettement progressé
au cours des décennies 1990 et 2000, sous l’effet des crédits
accordés aux ménages et des rachats simultanés d’actions par les
entreprises : on a donc un accroissement des volumes de crédit
et un recul du total des financements aux entreprises (graphe de
droite). Au niveau du rapport titres/crédit (graphe de gauche), on
constate sur les deux dernières décennies une relative stabilité,
pour des valeurs comprises entre 0,30 et 0,40, soit environ la
moitié de la valeur calculée pour la France. Concernant les données
les plus récentes, on voit par ailleurs, depuis 2002, une tendance
à la diminution du rapport titres/crédit, les maxima ayant été
atteints en 1993 et 2002 pour une valeur de 0,40.

Le graphique de gauche représente le rapport des
titres détenus aux prêts réalisés par les établissements financiers
des États-Unis, quelle que soit la nationalité des bénéficiaires
des financements. Le graphique de gauche représente le TIL (aire
délimitée par la courbe supérieure), soit la part des financements
des agents non financiers résidents réalisés par les établissements
de crédit résidents, sous forme de crédits ou d’achat de titres.
L’aire délimitée par la courbe inférieure (en blanc) représente les
financements destinés aux ménages (par construction, l’aire grisée
représente les financements destinés aux entreprises et aux
administrations).
Graphique 52 : Partage titres/crédits et
poids des ménages dans le financement intermédié de l’économie aux
États-Unis
Les États-Unis et la France illustrent
respectivement deux cas opposés : en France, les ménages
pèsent relativement peu dans les financements de l’économie
domestique (graphique 53_Ref240643044 ci-après_Ref240643049) ; aux États-Unis, au contraire,
les crédits dont ils sont bénéficiaires pèsent très lourd dans le
total des financements aux agents non financiers
(graphique 52_Ref240642745
ci-dessus_Ref240643087). Plus
précisément, en France, la part des ménages dans le total des
financements de l’économie est de 40 % au milieu de la
décennie 1990 et de 50 % actuellement. Elle reste de toute
manière largement inférieure à celle des ménages aux États-Unis,
qui sur la même période passe de deux tiers environ à un peu moins
des trois quarts des financements sous forme de crédit. La
conséquence est simple : comme les ménages pèsent très
largement dans le financement bancaire de l’économie, le rapport
titres/crédit tend nécessairement à rester faible puisque les
ménages sont le seul secteur institutionnel qui ne peut se financer
que sous forme de crédit.
En définitive, pour la France le rapport
titres/crédit se situe autour de 70 % avec une forte
proportion de titres internationaux dans les portefeuilles. Pour
les États-Unis ce même rapport n’est que de 30 % environ, soit
un niveau relativement faible, lié au poids des crédits aux
ménages. Les statistiques de la fin de l’année 2008 et des deux
premiers trimestres 2009 montrent toutefois, pour la première fois
depuis cinq décennies, une réduction de l’endettement des ménages,
alors que la dette de l’État fédéral s’accroît extrêmement
rapidement – or l’État s’endette essentiellement sous forme de
titres, dont la détention par les investisseurs non-résidents est
nettement moins élevée aux États-Unis qu’en France (40 % aux
États-Unis, contre les deux tiers environ en France). Si cette
tendance s’inscrivait dans la durée, elle occasionnerait donc une
élévation significative du rapport titres/crédit.

Graphique 53 : Poids des ménages dans le
financement intermédié de l’économie, France, 1994-2009
Finalement, une mesure exhaustive de
l’intermédiation des économies suppose donc, inévitablement, de
prendre en considération, d’une part, la partie croissante de
l’actif des organismes financiers qui ne correspond pas au
financement de l’économie domestique ; et, d’autre part, le
rôle joué par ces organismes en tant qu’acteurs des marchés de
titres9.
Schématiquement, la seule prise en considération de la définition
standard des taux d’intermédiation conduit, pour la dernière
décennie, au constat d’une « pause » dans le processus de
désintermédiation, concernant aussi bien les pays du Nord, ainsi
que la France et les États-Unis l’illustrent, que les pays
émergents10. La
prise en considération des indicateurs élargis de mesure du poids
des organismes financiers ne permet pas une conclusion aussi
tranchée : en particulier, parce que ces organismes sont
désormais également des acteurs majeurs de la finance
directe.
Tableau 36 : Comparaison des capitalisations
boursières bancaires sur les places de Paris, New York, Londres,
Francfort et Milan

Source : Banque de
France
La part prise par le secteur bancaire dans les
capitalisations des principales places financières est très
variable selon les cas. Ainsi, à Paris, la somme des
capitalisations boursières des quatre premiers groupes est de
7 % environ, soit une situation intermédiaire entre New York
et Francfort (4 % environ) et Milan (environ 20 %) ;
Londres (10 % environ) est dans une situation comparable à
celle de Paris. Il convient de préciser que les secteurs bancaires
allemand et surtout italien sont nettement plus concurrentiels que
ceux de la France ou du Royaume-Uni : la part de marché des
cinq principaux établissements représente, ainsi, 20 (Italie) à
30 % (Allemagne) du marché national, contre 50 % environ
dans le cas de la France et du Royaume-Uni.
À première vue, le faible poids des principales capitalisations boursières bancaires dans la capitalisation totale des places de New York et de Londres est simplement le reflet d’une économie dont le financement est très désintermédié – exception faite, nous l’avons vu, des ménages.
Dans le cas de la Grande crise de 2008-2009, le poids des principaux établissements bancaires dans la capitalisation boursière prend une importance particulière : en effet, plus cet indicateur a une valeur élevée, plus le niveau des indices boursiers calculés par pondération du prix des titres selon les capitalisations boursières (c’est le cas du CAC 40 [Paris], du Dax [Francfort], du Footsie [Londres] et du MIB [Milan], mais pas du Dow Jones [New-York] qui est calculé comme une simple moyenne arithmétique) chute rapidement en cas de mauvaises nouvelles concernant le secteur bancaire. Ce décrochage brutal des indices boursiers renforce alors l’aversion au risque des investisseurs et la « fuite vers la qualité », qui à la limite se traduit par l’illiquidité des segments dont le degré de risque est considéré comme rédhibitoire.
À première vue, le faible poids des principales capitalisations boursières bancaires dans la capitalisation totale des places de New York et de Londres est simplement le reflet d’une économie dont le financement est très désintermédié – exception faite, nous l’avons vu, des ménages.
Dans le cas de la Grande crise de 2008-2009, le poids des principaux établissements bancaires dans la capitalisation boursière prend une importance particulière : en effet, plus cet indicateur a une valeur élevée, plus le niveau des indices boursiers calculés par pondération du prix des titres selon les capitalisations boursières (c’est le cas du CAC 40 [Paris], du Dax [Francfort], du Footsie [Londres] et du MIB [Milan], mais pas du Dow Jones [New-York] qui est calculé comme une simple moyenne arithmétique) chute rapidement en cas de mauvaises nouvelles concernant le secteur bancaire. Ce décrochage brutal des indices boursiers renforce alors l’aversion au risque des investisseurs et la « fuite vers la qualité », qui à la limite se traduit par l’illiquidité des segments dont le degré de risque est considéré comme rédhibitoire.
Par ailleurs, la capacité des systèmes de
financement domestiques à résister à une crise de grande ampleur
– du type de celle de 2007-2009 – en fonction de la
composition de leur actif ne peut être correctement appréhendée par
le biais du taux d’intermédiation bancaire que s’ils fonctionnent
de manière relativement autonome – autrement dit, s’ils ne
sont pas décloisonnés. Dans le cas inverse, il faut principalement
prendre en considération le rapport titres/crédit. Alors, la
capacité à mobiliser les titres, et donc les coûts de liquidation
de l’actif, dépendent de la composition du portefeuille titres des
banques, donc indirectement du degré de déréglementation de
l’économie. Les problèmes de liquidité graves, ainsi, touchent
principalement les titres échangés sur les marchés de gré à gré. En
pratique, les titres, négociables par nature, peuvent alors
présenter dans certains contextes des coûts de liquidation
rédhibitoires. L’histoire récente montre bien que dans un contexte
de forte polarisation des comportements des agents économiques vers
une aversion au risque élevée, la liquidité de certains titres peut
être nulle.
Dans cette perspective, les différents types de
titres sont affectés selon leurs degrés de risque respectifs :
les obligations d’État « sans risque » conservent un coût
de liquidation nul, les obligations privées et les actions peuvent
être affectées de coûts de liquidation positifs mais relativement
prévisibles, et les autres types de titres, dont évidemment les
obligations de titrisation, sont affectés de coûts de liquidation à
la fois élevés et fortement imprévisibles. En définitive, un
système bancaire fortement désintermédié du point de vue de la
composition du bilan des banques peut donc être extrêmement
résistant aux crises, si le portefeuille reflète une forte aversion
au risque ; comme extrêmement fragile, dans le cas contraire.
Or l’effet de levier sur une seule opération, ponctuelle, peut
faire basculer les proportions relatives : c’est là toute la
difficulté des politiques de prévention actuellement en cours de
définition par les États-Unis et l’Union Européenne (9.2.3.),
reposant sur la capacité des dispositifs de supervision à ne jamais
permettre qu’un organisme potentiellement générateur de risque
systémique soit en situation de solliciter une intervention
publique.
Crise et réduction des déséquilibres de
balance courante : la fin de la surliquidité des marchés de
capitaux internationaux ?
En liaison avec les problèmes spécifiques à
l’avancée du phénomène de globalisation financière, un certain
nombre de tensions, à l’œuvre au cours de la décennie 2000,
pourraient prendre un caractère structurel. Ainsi, la polarisation
des déséquilibres de balances des paiements courants,
particulièrement manifeste dans les périodes précédant
immédiatement les crises de 1982 (« crise de la dette des pays
en développement ») et 2007-2009 (la « Grande
crise »), connaît une très forte résorption entre 2008 et 2009
(graphique 54_Ref240815922
ci-dessous_Ref240815927). Toutefois, la
divergence des taux de croissance des pays en développement et
émergents par rapport à celui des pays du Nord, à partir du début
de la décennie 2000, pour atteindre un écart de 5 points de
pourcentage environ, conduit à s’interroger sur le caractère
durable de cette résorption (encadré 62_Ref240443765 p. 312REF
_Ref240443768).

Graphique 54 : Déséquilibres des soldes
extérieurs de balance des paiements, 1979-1982, en % du PIB,
pays exportateurs de pétrole (en haut) et pays importateurs de
pétrole (en bas)
Les pays émergents ont fait l’objet d’une
propagation de la crise actuelle, contrairement à ce que l’on
avait, au départ, supposé. Toutefois, l’Asie et l’Amérique latine
connaissent, dès 2009, une reprise relativement rapide, liée au
redémarrage de leur demande intérieure tirée par les politiques
monétaires et budgétaires expansionnistes pratiquées par les
gouvernements, à la hausse de la productivité et des salaires, et à
l’essoufflement des sorties de capitaux liées aux réappréciations
de risque. Cette reprise semble d’ailleurs profiter essentiellement
aux producteurs domestiques, sans reprise des importations. Deux
éléments jouent dans ce sens : d’une part, la production
destinée à la consommation domestique et celle destinée à
l’exportation n’incorporent pas les mêmes consommations
intermédiaires ; d’autre part, les sorties de capitaux
enregistrées au cours de l’année 2008 ont entraîné une dépréciation
des taux de change à l’origine d’un renchérissement des
importations. Dans ces conditions, la reprise enregistrée par les
pays émergents place d’ailleurs les pays du Nord dans une situation
délicate : la demande d’exportations qui leur est adressée
reste peu importante ; la compétitivité des pays émergents,
améliorée encore par les dépréciations récentes subies par leurs
monnaies, alimente les incitations à délocaliser les
productions ; enfin, on ne peut exclure un redémarrage à la
hausse des prix des matières premières, en lien avec la croissance
des pays émergents11.
Pour ce qui concerne les soldes de balance courante, si cet
enchaînement est validé, les déséquilibres pourraient, en revanche,
se réduire durablement : les taux de croissance relativement
élevés des pays émergents iraient de pair avec l’essor de leur
demande interne, et ceux relativement faibles des pays du Nord avec
la compression de la demande d’importations (il suffit ici
d’observer le redressement spectaculaire du solde de la balance
courante des États-Unis à partir de 2007,
graphique 36_Ref239822250
p. 274REF _Ref239822253).

Graphique 55 : Évolution comparée de
quelques indices boursiers, 2000-2009, base 100 en janvier
2000
Le second trait commun aux périodes précédant la
crise de 1982 et celle de 2007-2009, outre la surliquidité des
marchés de capitaux internationaux, est la faiblesse relative du
rendement des placements conventionnels, principalement liée, dans
le premier cas, au ralentissement de l’activité économique dans les
pays du Nord ; et dans le second cas, au très bas niveau des
taux d’intérêt « sans risque ». En conséquence, les
investissements internationaux se sont massivement portés, au cours
de la décennie 1970, sur les pays en développement ; et au
cours de la décennie 2000, sur les produits financiers complexes.
On peut d’ailleurs noter que, dans ce dernier cas, le maintien de
la géographie des flux de capitaux établie, c’est-à-dire spécifiant
les pays du Nord comme principale destination de l’épargne mondiale
(encadré 62_Ref240443765
p. 312REF _Ref240443768), s’est
fait en dépit d’un différentiel de rendement extrêmement
important : ainsi, entre 2003 et 2007, les principaux indices
boursiers des pays du Nord voient leur valeur doublée, alors que
ceux des places émergentes sont multipliés par huit à neuf
(graphique 55_Ref239908154
ci-dessus_Ref240857536). Ceci traduit
une distorsion dans l’évaluation des risques respectifs des
placements relativement peu risqués dans les pays émergents (en
actions), et des placements plus risqués dans les pays du Nord
(sous forme de produits financiers complexes).
Cette relative méfiance des investisseurs
internationaux pour les placements dans les pays émergents a
également pour corollaire une exigence de rentabilité élevée et
régulière du capital des entreprises, particulièrement manifeste,
par exemple, dans le cas de la France en ce qui concerne la
stabilité remarquable du taux de marge des entreprises depuis la
deuxième moitié de la décennie 1980 : celui-ci apparaît comme
décorrelé du taux de croissance et des autres déterminants
habituels de la profitabilité des entreprises (coûts et taux
d’endettement de l’endettement, en particulier). Cette exigence de
rentabilité, dont la généralisation coïncide avec la montée en
puissance du processus de globalisation financière, est
particulièrement préjudiciable en période de faible croissance, dès
lors qu’elle conduit à comprimer les coûts salariaux et les
investissements à long terme, et ainsi installer un ralentissement
durable de l’activité, ainsi que l’illustre le cas de l’économie
japonaise depuis une dizaine d’années. Dans le cas de la crise de
2008-2009, l’ampleur du désendettement des agents privés aux
États-Unis, au Royaume-Uni et dans la zone euro hors Allemagne
(graphique 44_Ref239925588
p. 303REF _Ref240862575), si elle
se poursuit, devrait effectivement s’accompagner d’une croissance
modeste en raison de la compression de la consommation et de
l’investissement qui en résulte. Dans ces conditions, une véritable
sortie de crise ne pourrait intervenir que par suite de la remise
en cause de la recherche court-termiste de rentabilité élevée,
particulièrement caractéristique de la décennie écoulée. Sur ce
point, le pic d’aversion au risque enregistré en 2007 et 2008 suite
à l’illiquidité de segments entiers de produits financiers
complexes peut avoir des effets ambigus : d’une part, les
pertes finalement enregistrées sur des produits théoriquement
extrêmement rentables pourraient inciter les opérateurs à se
replier durablement sur des placements de plus faible rentabilité
maximale, mais sans incertitude majeure d’évalution des
risques ; mais, d’autre part, la baisse de rentabilité moyenne
des portefeuilles (en période « tranquille »), qui en
résulterait, pourrait accroître la pression sur les entreprises
cotées, la rentabilité des placements en actions venant ainsi
apporter une forme de compensation. Dans cette dernière hypothèse,
la croissance mondiale se trouverait durablement affectée.
1 Le comité est composé comme suit : Calomiris,
Campbell, Feulner, Hoskins, Huber, Johnson, Meltzer et Sachs (soit
8 voix pour) ; Bergstein, Levinson et Torres (soit
3 voix contre). Est par ailleurs votée à l’unanimité la
proposition d’annulation sous condition de la totalité de la dette
multilatérale des pays les plus pauvres et les plus endettés.
2 L’argument de « l’aléa moral » n’est pas
nouveau. En 1945, les banquiers américains et le House Banking Commitee, hostiles à la création du
Fonds Monétaire International, soutenaient que les gouvernements
bénéficiant de l’aide de cet organisme seraient incités à mener des
politiques « laxistes ». Ils menèrent, sans succès, des
campagnes contre la ratification par le Congrès américain de
l’organisation internationale prévue dans le Traité de Bretton Woods. Le même argument sera avancé par
certains Gouverneurs américains lors de la discussion sur le vote
de la contribution de 18 milliards de dollars que les USA
devaient fournir au Fonds Monétaire International, en novembre
1998, au titre des Accords Généraux d’Emprunt.
3 Un débiteur “too big to
fail” est entendu, ici, comme un pays dont le seul défaut
menace directement la stabilité globale du Système monétaire et
financier international ; autrement dit, dont l’incapacité à
faire face à ses obligations est susceptible de provoquer une crise
systémique. Cette formule est attribuée à P. Volcker, alors
Gouverneur du FED, pour justifier le renflouement sur fonds publics
des banques Continental Illinois et
Hanover Manufacture, en 1984. Pour une
formalisation appliquée à la crise russe (1998), voir 9.1.3. et
[Bastidon Gilles, 2001] ; [Gilles, 2002].
4 Cette crise est révélatrice d’un aléa moral lié à
un « jeu de faux-semblants » entre les autorités russes,
qui feignent de respecter les conditions posées par le Fonds
Monétaire International, selon les principes du “too big to fail”, et le FMI qui feint qu’elles le
soient. En d’autres termes, pour le FMI, refuser de secourir la
Russie, conduit à précipiter la crise, alors que, simultanément,
cette aide contribue à différer les ajustements nécessaires.
(Bastidon Gilles [2001])
5 De même, dans le cas des opérations de
renflouement des PECO en 2008-2009, la gestion des crises associe
le Fonds Monétaire International et l’Union Européenne.
6 Le G20 a été instauré en 1999 après la succession
des crises financières dans les pays émergents. Le premier s’est
tenu à Berlin. Siègent au G20, 18 pays (Afrique du Sud,
Allemagne, Arabie saoudite, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée
du Sud, États-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon,
Mexique, Royaume-Uni, Russie, Turquie) et 2 représentants de
l’Union européenne (le président du Conseil et le Gouverneur de la
BCE). Les pays membres du G20 représentent 87 % du PIB mondial
et 65 % de la population de la planète.
7 La définition d’un « paradis fiscal » de
l’OCDE retient quatre critères : impôts insignifiants ou
inexistants ; absence de transparence en matière
fiscale ; absence d’échanges de renseignements fiscaux ;
accueil bienveillant des sociétés écrans ayant une activité locale
fictive.
8 Pour une application de ce principe à la
sélectivité du renflouement des établissements bancaires en
difficulté, voir encadré 69_Ref240450142 p. 328REF
_Ref240644766.
9 Nous avons retenu le poids des organismes du
secteur financier dans les capitalisations boursières ; et la
concurrence qu’ils exercent désormais vis-à-vis des marchés de
titres traditionnels par le biais des « plateformes
alternatives ». On pourrait également citer, par exemple, le
contrôle exercé sur les marchés de produits dérivés par les
banques, qui vendent ces produits de gré à gré, et ont jusqu’à
présent réussi à faire échouer les tentatives des marchés organisés
souhaitant offrir les mêmes produits (encadré 70_Ref240643745 p. 331REF
_Ref240643722).
10 Dans le cas des pays émergents, les causes sont
spécifiques. Typiquement, la dérèglementation de l’activité
financière au cours de la décennie 1990 conduit à une
désintermédiation du financement de l’économie – mais le
phénomène s’essouffle rapidement, à cause de l’insuffisance de
l’offre de titres (privés et publics) au regard des capacités de
financement disponibles au niveau domestique.
11 Selon Patrick Artus, « Le scénario le pire
pour les pays de l’OCDE », Flash Économie
Natixis, no 400,
8 septembre 2009.