Chapitre 9
Actualité et perspectives : gestion et prévention des risques systémiques
Selon Goodhart Huang [2000] « il est inévitable de prêter à des institutions insolvables, puisque le coût social du risque systémique […] est largement supérieur à celui d’un renflouement ». Cette assertion, formulée relativement à l’exercice du prêt en dernier ressort par les Banques centrales nationales, se transpose aisément à celui du prêt en dernier ressort international. Ainsi, selon Eichengreen Ruhl [2000], faisant particulièrement référence aux crises des marchés émergents de la deuxième moitié de la décennie 1990 et du début de la décennie 2000, « les coûts du défaut et de la restructuration sont si importants qu’il n’est pas cohérent temporellement pour les Institutions Financières Internationales de ne pas intervenir si les prêteurs privés refusent de prolonger les échéances, de restructurer la dette, ou de prêter à nouveau ».
Cet arbitrage en faveur de la stabilisation des systèmes de financement, domestique comme international, fait aujourd’hui, l’objet d’un quasi-consensus (8.3.3.). Ce n’était pas le cas au début des années 2000 : ainsi, le « rapport Meltzer » (Meltzer Alii [2000]) sur le fonctionnement des Institutions financières internationales, commandé par le Congrès des États-Unis, et rédigé par une commission composée de onze économistes de renommée mondiale, conclut à l’unanimité de ses membres sur le souhait d’une restriction du rôle du Fonds Monétaire International à fournir de la liquidité à court terme, alors même que le contenu global du rapport fait l’objet d’un vote contraire par trois membres de la commission1. De manière générale, ce texte, qui a fait l’objet d’une très large diffusion, présente la particularité d’être le reflet d’une conception du prêt international en dernier ressort comme strict décalque du prêteur en dernier ressort à la Bagehot, c’est-à-dire réservé aux institutions remplissant systématiquement un éventail de conditions d’éligibilité, au premier rang desquelles l’exigence de solvabilité.
Revenons brièvement sur la chronologie des opérations internationales de renflouement d’urgence. La série s’ouvre sur la crise mexicaine de 1994-1995, dont l’ampleur amène la communauté internationale à prendre des décision concrètes : après le programme multilatéral de refinancement de la dette publique mis en œuvre en février/mars 1995, un doublement des ressources mobilisables par le Fonds Monétaire International en cas de nouvelles crises internationales a été décidé au Sommet du G7 à Halifax (15-17 juin 1995, cf. 7.2.2.), de même que le renforcement de son dispositif de surveillance des économies émergentes en l’invitant à porter « une attention particulière aux pays susceptibles d’avoir une influence importante sur l’économie mondiale » et à dispenser « des conseils clairs et directs […] aux gouvernements qui semblent éviter de prendre les mesures qui s’imposent ».
On connaît la suite, comme autant de manifestations de l’intensification de la globalisation financière face à laquelle les cadres étatiques et supranationaux de régulation s’avéreront désarmés. En définitive, sur la longue période, le « risque pays » concernant les économies émergentes, qui inclut les risques de défaut relatifs aux investissements de portefeuille et/ou aux prêts bancaires de même que les risques d’expropriation concernant les IDE (i.e. contrôle des changes, législations sur le rapatriement des bénéfices, etc.) s’est réduit, mais sa nature s’est modifiée. La globalisation financière et ses corollaires, à savoir la mutilation de la souveraineté des États de même que la soumission de l’évolution économique, sociale et politique à la contingence des intérêts particuliers, ont accru les risques de marché, rendant les pays émergents plus sensibles aux aléas de la conjoncture et aux comportements des opérateurs privés. Ces risques, révélés par la crise mexicaine et « l’effet tequila », caractérisent, également, les autres crises de marchés émergents, et sont aujourd’hui à nouveau d’actualité, notamment en ce qui concerne les pays en transition.
Or, le désaccord de fond qui sous-tend le débat relatif à la gestion et à la prévention des risques systémiques n’a pas été réellement tranché. Schématiquement, il y a « aléa moral », dès lors que l’action du prêteur en dernier ressort précipite les processus contre lesquels il tente de procurer une assurance collective. Autrement dit, dans l’exemple d’une intervention de renflouement international, les prêts du Fonds Monétaire International, en tant qu’assistance financière disponible aux pays qui traversent des crises financières, sont susceptibles d’entraîner un relâchement de la discipline monétaire et budgétaire, voire d’inciter les investisseurs internationaux à prendre davantage de risques lorsqu’ils sont convaincus de n’en subir que partiellement les conséquences2. Le prêteur en dernier ressort doit alors définir la règle d’intervention la mieux à même de diminuer cet aléa : par exemple, en exerçant son pouvoir de renflouement de manière discrétionnaire, pour créer une imprévisibilité sur l’éventualité de son intervention selon une logique dite « d’ambiguïté constructive ». [Goodhart et Huang, 2000] Cette problématique concerne aujourd’hui et de manière urgente, outre les pays émergents dans le cadre de leurs échanges de capitaux avec l’extérieur, absolument tous les pays dont les systèmes de financement domestiques comportent une proportion significative de finance directe.
Encadré 62 : Croissance du PIB par zones, 1980-2009 (en haut) et flux nets de capitaux internationaux, 2008 (en bas)
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La comparaison sur longue période des taux de croissance des économies des pays en développement et émergents avec ceux des pays à revenus élevés offre un éclairage intéressant sur la géographie mondiale des flux de capitaux : ainsi, ces taux de croissance, sensiblement différents jusqu’à la crise de la dette de 1982, convergent ensuite jusqu’au début de la décennie 1990. La récurrence des crises des marchés émergents correspond à une nouvelle – mais brève – période de concordance. Au cours de la décennie 2000, l’écart se creuse jusqu’à 5 à 6 points de différentiel, ce qui conduit à considérer avec prudence les observations faites sur la convergence récente des soldes de balances de paiements courants, et les incidences éventuelles de cette réduction de la surliquidité mondiale (à propos du caractère mutuellement avantageux des déséquilibres de balances de paiements courants pour les pays exportateurs et importateurs de capitaux jusqu’en 2007-2008. [thèse de « Bretton Woods II »], voir 8.2.2)
Finalement, à l’issue de quatre décennies de globalisation financière, la gestion et la prévention des risques comportant un enjeu global, c’est-à-dire des risques systémiques, semblent prendre un tournant décisif. Outre la cohérence des politiques économiques mises en œuvre en réponse à la crise de 2008-2009, précédemment évoquée (8.3.3.), les moyens dévolus aux opérations de renflouement d’urgence sont finalement très largement augmentés, notamment par le biais d’une innovation majeure : le Fonds Monétaire International peut, désormais, émettre des titres, qui seront souscrits par les acteurs publics (9.1.). Pour ce qui concerne la prévention des crises, la problématique est plus complexe du fait de la nécessité d’une harmonisation universelle des règles et des normes. En outre, les limites souhaitables de l’intervention publique ne sont pas forcément communément partagées, y compris au sein d’un cercle restreint comme, par exemple, le G20 (9.2.). Un bilan chiffré de l’avancée du processus de globalisation financière montre pourtant que, malgré la très récente tendance à la résorption des déséquilibres mondiaux de balance des paiements courants (encadré 62_Ref240443765 ci-dessus_Ref240443768), dont la polarisation précède habituellement les crises financières internationales majeures, la complexité actuelle des systèmes de financement les rend structurellement instables en l’absence de supervision, voire de régulation globales (9.3.).
Problématique des opérations de renflouement d’urgence
L’avènement de la globalisation, notamment monétaire et financière, et le démantèlement des cadres étatiques de régulation associé à la montée de la sphère financière privée (le mark-to-market), qui devient la principale source de financement des balances des paiements (tant pour le financement des déficits que pour l’ajustement des parités), remettent à l’ordre du jour les crises monétaires et/ou financières (cf. chap. 7 ; 8.2. ; 8.3.), de même que les crises de dette, dites de seconde et troisième générations (cf. 7.1.1.). Dans ce contexte, de nouvelles fonctions s’ajoutent à celles initialement contenues dans les statuts des Institutions financières internationales, particulièrement celle de prêteur en dernier ressort international (PDRI) souvent exercée, de facto, avec le Trésor américain, par le Fond Monétaire International lors des crises financières et monétaires (la crise mexicaine de 1994-1995 ; la crise des monnaies asiatiques de 1997 ; la crise russe de 1998, etc. ; cf. 7.2. et 7.3.). Ces crises sont, en effet, révélatrices de l’ampleur des risques découlant de l’absence, d’une part, de réglementation des activités internationales des banques et, d’autre part, d’un PDRI capable d’enrayer les logiques de défiance contagieuse génératrices de crises de système (à l’image de l’« effet tequila », 7.2.2.), à la suite du défaut d’un débiteur souverain “too big to fail” 3 et/ou d’attaques spéculatives, d’où la nécessité de spécifier la nature de l’Institution financière internationale à même d’assurer cette régulation, notamment l’« art » du prêteur en dernier ressort.
À partir de la deuxième moitié de l’année 2008, la propagation de la crise aux pays émergents et les difficultés particulièrement graves auxquelles sont confrontés les PECO, les contraignant à recourir massivement au Fonds Monétaire International (entre septembre 2008 et mars 2009, huit pays en transition ont conclu des accords avec lui pour des montants de plusieurs milliards d’euros, la Roumanie ayant reçu l’aide la plus massive avec 20 milliards d’euros prévus selon l’accord conclu en mai 2009), montre d’ailleurs que cette problématique est toujours d’actualité. Parmi les bénéficiaires récents des prêts d’urgence du Fonds Monétaire International, il faut également citer l’Islande (2,1 milliards de dollars en octobre 2008).
Sur le plan théorique, la problématique contemporaine des opérations de renflouement d’urgence comporte deux volets : d’une part, elle suppose de revenir au principe historique de définition du prêt en dernier ressort dans un contexte de distorsion des proportions relatives de la sphère réelle et de la sphère financière (9.1.1.) ; d’autre part, il s’avère que les institutions qui, de fait, coordonnent ces renflouements, n’ont pas été conçues pour faire face à des crises de finance globale (9.1.2.). En pratique, il est aujourd’hui possible de dresser un premier bilan de ce mode de gestion des crises dans le cas des « crises des marchés émergents ». Au-delà des controverses sur les cas individuels, ce bilan présente l’intérêt de conduire, au niveau global, à s’interroger sur les critères de décision des organismes en charge de la stabilité des systèmes de financement quand l’urgence ne permet pas de mettre en œuvre la « règle » habituelle d’intervention (9.1.3.).
Le principe d’optimalité du renflouement : mises en perspectives historique et théorique
Les débats contemporains relatifs à la gestion et à la prévention des crises financières réactualisent l’analyse de Thornton [1802 ; 1803] centrée sur les moyens de limiter l’instabilité bancaire et le risque de système par les deux attributs qu’il assigne à la Banque centrale : assurer la stabilité de la monnaie et exercer le prêt en dernier ressort (PDR). Cette analyse s’inscrit à l’avant-garde des recherches sur les fragilités financières, de Juglar à Wicksell, Keynes puis Minsky et Kindleberger. Ainsi Thornton démontre précisément le mécanisme d’instabilité endogène de la finance domestique, particulièrement d’actualité. Il décrit le processus de sous-évaluation des risques lié à l’illusion de sécurité provoquée par l’appréciation du prix des actifs réels (comme l’immobilier, soubassement des subprimes), eux-mêmes financés par les crédits.
Il souligne également la surexposition des banques aux risques de crédit qu’amplifie l’asymétrie d’information du marché du crédit à cause des effets fictifs (i.e. les actuels « actifs toxiques ») [1802, 253 ; 1803, 232-3]. Face à ces crises d’overbanking (encadré 63EF _Ref240210358 \h ci-dessous), la Banque centrale doit éviter les deux écueils d’une trop forte émission, qui déprécierait le papier, et d’une restriction excessive de la circulation (credit crunch), qui aggraverait la détresse commerciale. Entre ces deux extrêmes, elle doit adopter un pilotage au cas par cas de l’offre de monnaie, garant d’une plus grande confiance et d’une stabilité accrue du système bancaire, afin de fixer les anticipations (i.e. les actuelles « politiques non conventionnelles ») [1802, 259 ; 1803, 240-1]. Malgré ces interventions, la crise bancaire peut se transformer en crise de liquidité, lorsque la défiance contagieuse s’empare des opérateurs à la recherche désormais d’actifs liquides assortis d’une bonne signature.
Encadré 63 : Le mécanisme d’emballement du crédit (overbanking) selon Henry Thornton [1802 ; 1803] ([Cartapanis Gilles, 2003])
La conception de la monnaie de Thornton est marquée par la nécessité d’assurer la régulation du système financier et de crédit, grâce à un niveau suffisant de liquidité. Ceci le conduit à insister sur l’état de confiance vs défiance qui conditionne le degré de préférence pour la liquidité des agents et la vitesse de circulation des instruments de crédit, donc le risque de liquidité [1802, 96-7, 99-100 ; 1803, 34, 38-9]. La valeur du papier crédit reflète alors le degré de confiance que les agents lui confèrent, qui varie selon les périodes. Plus précisément, face à une encaisse de transaction a priori incompressible, l’encaisse de spéculation dépend du taux d’intérêt (i) et de cet état de confiance. En conséquence, en période de croissance et de prospérité économiques, la préférence pour la liquidité diminue ; en période de récession, elle augmente fortement et devient insensible au coût d’opportunité de sa détention, donc à (i).
Ce rôle prépondérant joué par (i) permet donc à Thornton d’établir le principe de l’élasticité de la demande de fonds prêtables et d’asseoir son analyse des crises bancaires fondées sur l’emballement du crédit (overbanking) : lors des phases de confiance, l’incitation à emprunter est forte lorsque (i) espéré est plus élevé que (i) auquel les opérateurs empruntent [1802, 253-4 ; 1803, 234]. Ainsi, lors d’une période d’« euphorie des affaires », pour reprendre Juglar, la demande de prêts peut s’avérer insatiable et déclencher une dynamique cumulative, auto-entretenue par les anticipations de hausse des prix et de surprofit en réponse à la dépréciation attendue de la monnaie qui diminue (i) réel [1802, 255-6 ; 1803, 236-7]. Plus généralement, l’analyse de Thornton relative à l’overbanking est centrée sur les excès et les imprudences des banques quant à l’octroi des crédits, et des agents quant à la demande de crédit, commis dans l’euphorie d’une confiance sans réserve dans l’avenir, génératrice de comportements oublieux des crises passées (disaster myopia).
L’analyse de ces comportements de fuite vers la sécurité lors des phases de méfiance conduit Thornton à avancer deux idées forces particulièrement d’actualité : 1) les banques retrouvent lors de ces phases leur rôle de market maker, autrement dit l’intermédiation bancaire contribue fortement à l’efficience du marché des fonds prêtables ; 2) le rétablissement de la régularité des paiements et de la confiance nécessite une Banque centrale dotée d’une rationalité publique via sa fonction de prêteur en dernier ressort (PDR), ou prêteur ultime. Enfin, ces crises peuvent déboucher sur des contagions de faillites bancaires qui résultent du basculement des comportements (ou des anticipations) des déposants, porteuses d’un risque de système [1802, 187 ; 1803, 158]. Dans ces contextes de crise, l’action du PDR agit comme une assurance de la continuité des paiements en réponse à des causes internes de crise (internal drain, i.e. chute de la confiance et thésaurisation) ou à des causes externes (suspension de convertibilité, external drain, changes défavorables et exportations d’or), assurance qui comporte un risque d’aléa moral [1802, 181, 187-8, 253 ; 1803, 149-50, 159, 233] pouvant se traduire par une montée des spéculations hasardeuses (adventurous speculation).
De même, la crise de 2008-2009 nous permet un nouveau « retour réflexif à Keynes » à propos de l’« irrationalité » et de l’injustice qui président à cette nature, dont l’endémisme renvoie à « l’aveuglement au désastre » (“disaster myopia”), particulièrement manifeste durant les phases d’euphorie caractérisées par une confiance sans réserve, génératrices de comportements oublieux des crises passées et animés d’anticipations mimétiques et de comportements grégaires, fondement des crises comme moment d’un cycle, donc récurrentes et consubstantielles au système capitaliste de même que, plus généralement, à toute société humaine. En effet, dans ce contexte où les individus présents sont hétérogènes, acteurs de situations de confrontation (et d’agrégation) d’opinions différenciées et concurrentes en « période tranquille », et dont les comportements procèdent d’une rationalité limitée, nourrie d’informations asymétriques et incomplètes, une « période de crise », caractérisée par l’absence de repères crédibles, appelle à une grégarisation des comportements.
Les institutions de Bretton Woods face aux crises de finance globale
L’analyse de Thornton et celle de Keynes présentent finalement des similarités frappantes dans la description des épisodes de crise avec les modes de fonctionnement actuels des systèmes de financement de l’économie. Toutefois, ces analyses sont cantonnées aux systèmes de financement domestiques, en l’absence de risque systémique global. De même, les institutions de Bretton Woods et en particulier le Fonds Monétaire International, sont dotées de statuts rédigés avant l’essor du processus de globalisation financière et des risques qui s’y rapportent. En conséquence, les interventions d’urgence en cas de déstabilisation majeure des marchés de capitaux internationaux (soit l’exercice du prêt international en dernier ressort [PDRI]) exigent une véritable redéfinition des règles d’accès aux finance ments multilatéraux (encadré 64_Ref240339935 ci-dessous_Ref240339941), notamment pour limiter les effets, inévitables, d’aléa moral. En effet, dès lors qu’un PDRI procure une assurance collective contre le risque systémique, susceptible d’être anticipée, son intervention a pour conséquence d’encourager des comportements qui rendent la concrétisation de ce risque plus probable.
L’imperfection des marchés de capitaux, autrement dit la présence d’une information incomplète et asymétrique entre les prêteurs et les emprunteurs jointe à l’aversion pour le risque et la solvabilité limitée, rend, généralement, impossible l’obtention de résultats optimaux. Si les emprunteurs, privés et publics, sont partiellement assurés contre les risques (i.e. les banques centrales savent que le Fonds Monétaire International exercera, sans doute, sa fonction de prêteur de facto en dernier ressort, idem pour les banques domestiques de second rang vis-à-vis du renflouement par la Banque centrale nationale et, incidemment, pour les investisseurs privés comme c’est, généralement, le cas), ils sont incités à tirer davantage parti de l’incomplétude et de l’asymétrie informationnelles (la situation réelle du pays, l’état des finances publiques, le degré d’avancement des réformes, et, durant la crise déclenchée en 2007, la qualité des bilans, la réputation et la crédibilité des emprunteurs, la qualité des projets, etc.) en prenant des risques excessifs quant à l’octroi de prêts et/ou aux choix de portefeuille pour les banques commerciales, quant à l’orientation de la politique économique pour les autorités publiques.
Parallèlement, l’existence même d’un PDRI recèle une ambiguïté consubstantielle puisque son action est, simultanément, une violation du fonctionnement des marchés et une des conditions à leur pérennité. Cette ambivalence continue d’alimenter un débat, dont l’origine remonte à F. Baring [1797] et dont les références majeures sont les œuvres de H. Thornton [1802, 1803] (cf. supra) et de W. Bagehot [1873]. Toutefois, ces analyses font référence au refinancement d’institutions bancaires au sein d’un système de financement domestique et non à l’échelle supranationale d’une Institution multilatérale. La transposition de ce schéma à l’échelle internationale [Meltzer, 2000] renvoie à des interrogations complémentaires, comme l’unicité vs multiplicité des instances publiques de prêt en dernier ressort [Kindleberger, 1978, 172-3] ; le degré d’articulation entre réglementation prudentielle, supervision bancaire, système de notations et l’intervention du prêteur en dernier ressort [Goodhart, 1988, 8 ; 63] ; ou encore le niveau d’imprévisibilité sur l’éventualité et les modalités d’intervention du PDRI, spécifiant les contours d’une « ambiguïté constructive » attachée à sa fonction de régulation du Système monétaire et financier international. [Goodhart Huang, 2000]
En référence à ce « cahier des charges » le Fonds Monétaire International dispose, en théorie, de nombreux atouts pour remplir la fonction de PDRI. D’abord, sous sa forme originelle d’une assistance mutuelle entre États, dans un cadre multilatéral, le FMI possède d’ores et déjà les germes d’une légitimation politique internationale du prêt en dernier ressort en tant qu’acte de souveraineté monétaire respectant les souverainetés nationales. C’est, en outre, la seule institution dotée sui generis d’une vision macro-économique des interdépendances internationales du point de vue de leur cohérence globale. Ensuite, le Fonds Monétaire International dispose d’un attribut de souveraineté monétaire internationale via les DTS, dont l’originalité est d’être crées ex nihilo, c’est-à-dire sans couverture par un autre actif (i.e. un dépôt en monnaie nationale ou des réserves déposées au Fonds, Encadré 64_Ref240340507 ci-dessous_Ref240340510). Partant, ils confèrent au Fonds Monétaire International un pouvoir « inconditionnel » de création monétaire, donc une offre globale de liquidités internationales quasi illimitées, indispensables à l’action de renflouement dévolue au prêteur en dernier ressort.
Encadré 64 : L’intervention du Fonds Monétaire International : mise en perspective théorique
Selon Aglietta Moatti [2000], quatre modèles, éventuellement simultanément vérifiés, peuvent rendre compte de l’action du Fonds Monétaire International depuis sa création. Ces modèles sont synthétisés dans le tableau ci-dessous :
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1. Accords généraux d’emprunt.
2. Facilité d’ajustement structurel, Facilité d’ajustement structurel renforcée, Facilité de transformation systémique.
3. Nouveaux accords d’emprunt.
4. Facilité de réserve supplémentaire, Lignes de crédit contingentes.
* Modèles d’assurance.
** Principe de souveraineté monétaire internationale. Ces deux types de modèles sont exclusifs l’un de l’autre.
Encadré 65 : Principe de fonctionnement des DTS
Avec la création des Droits de Tirage Spéciaux (DTS), approuvée lors de la Réunion annuelle des Gouverneurs du FMI à Rio de Janeiro (29 septembre 1967) et entrée en vigueur sous la forme d’un amendement aux statuts du Fonds Monétaire International le 28 juillet 1969, l’ambition du Fonds Monétaire International et des autorités américaines était d’ériger cette monnaie (définie, à l’origine, par un poids d’or égal à celui du dollar, soit 35 DTS pour une once d’or fin, puis depuis 1991 [révision au 1er janvier 1996], par un panier de monnaies composé de 39 % de dollar, 21 % de deutsche mark, 18 % de yen, et 11 % de franc français et de livre sterling, et qui, avec l’avènement de l’euro, est désormais composé, depuis le 1er janvier 2001, de 45 % de dollar, de 29 % d’euro, de 15 % de yen et de 11 % de livre sterling) en actif de réserve international émis par le Fonds Monétaire International afin de déconnecter, en développant son utilisation, la croissance de la liquidité mondiale des pressions exercées sur la balance des paiements américaine.
Dans les faits, le DTS n’est resté qu’une simple unité de compte utile pour comptabiliser les opérations du Fonds et établir le taux central d’une monnaie, avec une émission confidentielle (de 1969 à 1981, le Fonds Monétaire International a émis 21,4 milliards de DTS, soit 5 % des réserves publiques totales de la période, exception faite de l’or). Aujourd’hui (2009), dans le contexte de la Grande crise où les marchés financiers, notamment interbancaires, sont restés, en dépit de l’injection massive de liquidités, longtemps inopérants, les DTS redeviennent utiles. Ainsi, le Fonds Monétaire International a-t-il annoncé (13 août 2009) une distribution de 283 milliards de dollars (près de 200 milliards d’euros) de DTS à ses 186 membres, ce qui offrira aux États des liquidités protectrices en cas de crise de change ou de risque de défaut. Ces distributions sous la forme d’allocations « générales » (250 milliards de dollars) et « spéciales » (33 milliards) permettront aux pays qui ont adhéré au Fonds Monétaire International après 1981, date de la dernière allocation, de recevoir pour la première fois des DTS. Ce sont 100 milliards de dollars qui iront aux pays en développement, dont 18 milliards aux États les plus pauvres. À l’issue de ces deux allocations, la valeur des DTS détenus par l’ensemble des membres du Fonds Monétaire International sera presque décuplée pour atteindre 204 milliards de DTS, soit environ 316 milliards de dollars.
Enfin, le Fonds Monétaire International dispose d’instruments, comme les Facilités de réserve supplémentaire (Supplement Reserve Facility, SRF) et les Lignes de crédit contingentes (Contingent Credit Lines, CCL), adaptés à l’endiguement des effets de contagion des crises (encadré 64_Ref240339935 p. 318REF _Ref240340844). Le Fonds Monétaire International possède donc théoriquement les qualités pour s’affirmer comme le pilier central de la nouvelle architecture financière internationale. Toutefois, il ne pourra devenir l’institution supranationale susceptible d’assurer la gouvernance politique des système monétaires et financiers internationaux qu’à l’issue d’une réforme touchant ses statuts, ses moyens d’action et ses missions, pour les mettre en adéquation véritable avec les dysfonctionnements structurels de marchés de capitaux globalisés et dont la dynamique est surdéterminante de celle de la croissance mondiale.
Les opérations de renflouement récentes : un bilan controversé
Schématiquement, l’intervention du Fonds Monétaire International en tant que PDRI a lieu sur deux « plages » de crises : la première plage correspond aux crises des marchés émergents de la deuxième moitié de la décennie 1990 et du début de la décennie 2000 ; la seconde correspond aux crises des PECO, comme conséquences de la dégradation générale de la situation d’ensemble de l’économie mondiale, à partir de 2008-2009. Par conséquent, il est possible, avec le recul, de tirer un bilan de la première série d’interventions de renflouement, à partir d’un retour sur les modes de gestion respectifs des crises russe de 1998 et argentine de 2001-2002, qui constituent des cas polaires, au sens où la première a profondément et durablement déstabilisé les marchés de capitaux internationaux, alors que la seconde n’a eu que des effets éminemment provisoires (encadré 66_Ref240353899 ci-dessous_Ref240353902).
Encadré 66 : Spreads des obligations « marchés émergents » : effets des crises russe (1998) et argentine (2001-2002)
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Le graphe ci-dessus représente l’indice EMBI (“Emerging Markets Bonds Index”) de l’Argentine (courbe supérieure, « Argentina »), comparé avec celui des marchés émergents dans leur ensemble (courbe inférieure, « global »). Cet indice, élaboré et diffusé par le groupe bancaire JP Morgan et largement utilisé pour l’analyse des conditions de financement des pays en développement et émergents, est calculé à partir du rendement de l’ensemble des titres de dette négociables à revenus fixes émis en monnaie étrangère au pays (c’est à dire en dollars). Plus précisément, le graphique représente le spread, c’est-à-dire l’écart, par rapport au rendement des marchés obligataires des États-Unis. Naturellement, plus la situation d’un pays, ou des marchés émergents dans leur ensemble, est jugée risquée, et plus le spread s’élève. Les périodes de crises correspondent donc aux pics sur le graphique, et les périodes sans incidents aux cas où la courbe ne varie que faiblement (voir également graphique 47 p. 324REF _Ref240354741).
Par ailleurs, pour savoir si les difficultés financières d’un pays présentent ou non un risque de crise systémique, il suffit d’analyser l’effet de ces difficultés sur le spread global. Si celui-ci s’élève notablement, comme dans le cas de la crise russe, cela signifie que tous les emprunteurs voient leurs conditions de financement se durcir. L’alourdissement de la charge de leur dette peut alors, dans la logique d’une crise de deuxième génération (« du bas vers le haut de la balance »), déclencher un défaut de paiement. Chaque nouveau défaut entraîne, alors, une augmentation supplémentaire des spreads et une nouvelle vague de défauts. Au contraire, si les difficultés financières d’un pays n’ont pas d’effet notable sur le spread global, comme dans le cas de la crise argentine, cela signifie qu’elles ne sont pas potentiellement génératrices d’un risque de système.
Plus précisément, du point de vue du Fonds Monétaire International, dont l’objet principal est la préservation de la stabilité de ces marchés, le principe général d’intervention répond à une double logique :
- Soit l’épisode de crise est potentiellement déclencheur d’un risque de système, dont il faut empêcher la réalisation en pratiquant un renflouement d’urgence même si les négociations relatives aux conditionnalités (schéma 3_Ref239057610 p. 178REF _Ref239057615) font apparaître, dans l’immédiat, des points de désaccords. Dans ce cas, le pays en question est dit “too big to fail” (note 3REF _Ref240344927 p. 314REF _Ref240344931) : ce qui signifie, littéralement, que l’importance qu’il présente aux yeux des investisseurs internationaux est trop grande pour qu’on puisse le laisser en situation de défaut sans intervenir. Le Fonds Monétaire International agit alors en tant que prêteur obligé.
- Soit l’épisode de crise n’est pas potentiellement déclencheur d’un tel risque. Son défaut, dans ce cas, reste évidemment préjudiciable au bon fonctionnement des échanges mondiaux, mais l’intervention ne présente pas de caractère d’urgence, et ne se justifie alors que dans le cadre d’une parfaite convergence de vues avec le gouvernement à propos des mesures de politiques économiques à mettre en œuvre.
En pratique, la gestion des crises mexicaine puis asiatique, qui peuvent être identifiées à la première configuration, conforte le Fonds Monétaire International dans sa nouvelle fonction de « pompier-volant » [Bassoni Beitone, 1994, 149], et souligne la nécessité de futures coopérations monétaires « régionales ». En revanche, la crise russe réactive le débat sur les missions confiées au Fonds Monétaire International et, plus généralement, celles d’un prêteur en dernier ressort international afin que la présence d’un « pompier » n’incite pas les opérateurs à jouer avec le feu, donc à devenir des pyromanes.
Les relations entre la Russie et le Fonds Monétaire International à la fin des années 1990 sont particulièrement illustratives du cas d’un pays “too big to fail”. La séquence est typiquement la suivante : le Parlement refuse de voter les mesures de conditionnalité, à la suite de quoi le FMI passe outre et débloque les financements prévus, arguant d’éléments justifiant ces transferts. Le prêt historique de juillet 1998 (22,6 milliards de dollars, dont 4,8 versés immédiatement) est ainsi accordé malgré le refus de la Douma d’entériner le plan d’austérité annoncé en mai par le gouvernement4. La crise se déclenche le 26 août 1998. Certes, en septembre, du fait d’un désaccord avec le Premier ministre E. Primakov, le Fonds Monétaire International suspend son aide, mais il la reprend en avril 1999. Les conséquences de la crise de l’été 1998 sur le système financier international ont incontestablement été limitées par l’utilisation des fonds versés par le Fonds. En effet, c’est le prêt de juillet 1998 qui a été utilisé pour défendre le rouble (officiellement) et permettre à une douzaine de banques russes et étrangères de sortir du marché des bons du Trésor (selon I. Skouratov, ancien procureur général de Russie). ([Buchs, 1999])
Encadré 67 : La crise russe de 1998 : un épisode définitivement clos ?
Il faut noter que l’impôt sur le revenu représentait, au cours de la seconde moitié des années 1990, moins de 5 % de l’ensemble des recettes fiscales de l’État russe, ce qui explique en partie la crise de 1998. Les difficultés de financement des dépenses publiques ont, en effet, conduit à réaliser des émissions de Bons du Trésor à des taux de plus en plus élevés. Dans ce contexte, la mise en œuvre, à partir du début des années 2000, d’une réforme fiscale (incluant notamment l’allègement et la simplification de l’impôt sur le revenu avec fixation d’un taux unique de 13 % ; la baisse du taux de la TVA ; et la réduction du taux des impôts sur les sociétés de 35 % à 24 %) a permis d’élargir la base imposable tout en réduisant progressivement l’économie informelle. Sur le plan symbolique, cette révision du système fiscal russe, qui constitue la principale réforme engagée sous les mandats présidentiels de V. Poutine, marque la fin d’une opposition systématique exercée par la Douma sur toute proposition concernant ce sujet.
Par ailleurs, au cours des années 2000, la Russie connaît un essor économique facilité par la remontée des cours du gaz et du pétrole, qui permet un désendettement général et de grande ampleur de l’État russe (dette publique ramenée à 13 % du PIB fin 2007 et 8 % fin 2008 contre 120 % en 1998) et la constitution de réserves de change importantes (473 milliards de dollars fin 2007 et 438 milliards fin 2008 contre 12 milliards de dollars en 1999). L’épisode de 1998 semble donc clos – toutefois, la diversification de l’économie russe (les hydrocarbures représentent environ 20 % du PIB et 80 % des exportations russes, et les taxes qui s’y rapportent représentent 40 % du total de la collecte fiscale) reste insuffisante pour la mettre définitivement à l’abri de fluctuations de grande ampleur des cours des matières premières.
Le scénario du prêt obligé réalisé par le Fonds Monétaire International se reproduit en juin 1999, lorsque la Douma rejette la hausse de la fiscalité sur l’essence exigée pour débloquer un prêt de 4,5 milliards de dollars : la première tranche est pourtant décaissée en juillet 1999. L’élaboration du budget 2001 offre un autre exemple des rapports de force caractéristiques des relations entre le Fonds Monétaire International et le gouvernement russe, lors des difficultés rencontrées à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Ce budget est, en effet, élaboré sans tenir compte des dépenses correspondant au service de la dette au Club de Paris, les autorités russes anticipant une restructuration. Malgré la bonne tenue de son économie durant l’année 2000 (l’exercice 2000 s’étant achevé avec un excédent budgétaire d’environ 3,7 milliards de dollars), la Russie annonce, en janvier 2001, qu’elle ne remboursera pas 1,5 milliard de dollars dû au premier semestre, et demande l’ouverture de négociations sur un nouveau rééchelonnement. Or tout accord de rééchelonnement avec le Club de Paris est suspendu à la conclusion d’un accord avec le Fonds Monétaire International – pour cette raison, le refus d’inscrire au budget les échéances correspondant au service de la dette au Club de Paris est alors interprété comme un moyen de faire pression sur le FMI.
Par la suite, au cours des années 2000, l’essor de l’économie russe rend le recours aux financements multilatéraux hors de propos (encadré 67 ci-dessus). Il reste cependant que la crise de 1998 est le cas d’école d’un renflouement d’urgence que l’on pourrait pratiquement qualifier d’inévitable. Deux exemples illustrent la configuration inverse, en référence aux risques de propagation non matérialisés. Il s’agit de la crise équatorienne de 2000 et de la crise argentine de 2001-2002, potentiellement déstabilisatrices pour les raisons suivantes :
- L’Équateur a été le premier emprunteur souverain à se retrouver en situation de défaut potentiel sur des « obligations Brady », issues de la conversion des prêts bancaires contractés au cours des années 1970, selon le principe d’une réduction du montant de la dette en rapport avec la capacité de remboursement du pays. Ayant été l’élément clé de résolution de la crise, il semblait important qu’elles restent parfaitement sûres aux yeux des investisseurs internationaux.
- L’Argentine figure parmi les premiers débiteurs euro-obligataires mondiaux.
Malgré ces particularités, dans le cas de l’Équateur, le signal défavorable que constituait un premier défaut survenu sur des « obligations Brady » n’a pas constitué un argument suffisant, compte tenu des faibles volumes mis en jeu, pour inciter le Fonds Monétaire International à intervenir. Le cas de l’Argentine est plus complexe : la logique d’intervention du Fonds s’est infléchie au fur et à mesure de la déconnexion croissante entre la prime de risque de la dette argentine (spread “Argentina”, encadré 66EF _Ref240353899 p. 320REF _Ref240353902) et celle des autres marchés financiers émergents (spread “global”, idem). Sur la représentation graphique, cette déconnexion apparaît clairement, par comparaison avec la crise russe de 1997-1998 : celle-ci entraîne, sur une durée d’une année environ, un doublement du spread global (avec deux pics cor respondant à un triplement de la valeur initiale). Au contraire, dans le cas de l’Argentine, on observe seulement deux paliers d’élévation beaucoup moins marqués (+ 30 % environ) du spread global. À l’issue de la première année, celui-ci décroît régulièrement, alors que la situation de l’Argentine ne revient à la normale qu’à la fin de l’année 2004 (voir également graphique 47_Ref240354681 ci-dessousREF _Ref240354683). Cette déconnexion illustre l’absence de risque de système associé au défaut argentin de 2001-2002. Dans ces conditions, le Fonds Monétaire International a interrompu, en décembre 2001, ses versements, à la suite d’un désaccord avec le gouvernement argentin sur le contenu des réformes économiques à mettre en œuvre.
Par ailleurs, le cas de l’Argentine suggère que le risque systémique peut présenter des traits circonstanciels : dans le cas de la crise de 2001-2002, par exemple, la multiplication des difficultés concernant les pays émergents depuis le milieu des années 1990 avait, semble-t-il, généré un « effet d’apprentissage » de la part des investisseurs internationaux, qui n’ont pas sensiblement modifié leur attitude à l’égard de ces pays dans leur ensemble à la suite des difficultés rencontrées par l’un d’entre eux.


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Graphique 47 : Primes de risque sur les obligations des pays émergents
Outre la controverse relative aux interventions d’urgence en dehors des conditionnalités usuelles, se pose le problème des volumes financiers mobilisés par ces renflouements, particulièrement lorsque les épisodes de défauts se font rapidement suite (graphique 47_Ref240354681 ci-dessus_Ref240356151). Avant même le déclenchement de la crise de 2008-2009, le Fonds Monétaire International n’était d’ailleurs pas en mesure d’enrayer seul les crises systémiques, donc de garantir structurellement la stabilité du système monétaire et financier international. En effet, ces crises se traduisent par des sorties de capitaux atteignant des montants considérables. Lors de la crise des monnaies asiatiques (1997), les sorties nettes de capitaux provenant des cinq pays les plus touchés (i.e. la Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie, les Philippines et la Corée du Sud) dépassent ainsi, en quelques mois, 100 milliards de dollars, soit environ 10 % de leurs PIB agrégés.
Dès lors, les systèmes bancaires nationaux, donc les économies elles-mêmes, sont explicitement menacés d’effondrement à défaut d’un refinancement extérieur massif et d’une extrême rapidité. À cette fin, les moyens du Fonds Monétaire International se sont progressivement accrus (relèvement des quotes-parts, émission de DTS, Accords Généraux d’Emprunts), et les possibilités d’assistance aux États en difficulté élargies. Mais ils restent notoirement insuffisants au regard de l’ampleur des déséquilibres induits, dans un contexte de globalisation financière, d’une mobilité quasi parfaite des capitaux. Ainsi, durant la crise mexicaine (1994-1995), 48 milliards de dollars sont mobilisés, soit davantage que l’encours total des crédits du Fonds Monétaire International à l’ensemble des pays en développement fin 1994.
Ce n’est pas le Fonds Monétaire International, incapable de réunir ces fonds, mais le Trésor américain qui organise le sauvetage, n’hésitant pas, dans ce cas précis, en raison du caractère régional de cette crise5, à mobiliser 20 des 25 milliards de dollars de son fonds de stabilisation des changes, à solliciter auprès du FED 6 milliards de crédits à court terme, et à intervenir auprès de la BRI afin que 10 milliards de dollars de crédits soient débloqués. Ce plan s’inscrivait, ainsi, dans une longue tradition de régulation informelle du système monétaire et financier international caractérisée, durant les années 1980 et 1990, par le montage de nombreux prêts-relais au profit des pays en développement, en attendant l’ouverture de facilités de crédit par le Fonds Monétaire International.
La construction d’un nouveau Fonds Monétaire International, jouant pleinement son rôle de prêteur en dernier ressort dans le cadre d’une régulation formelle au sein d’un nouvel ordre financier international redonnant au Politique la souveraineté cédée à l’Économique et aux tenants du marché, exige de nouveaux moyens, quantitatifs et qualitatifs, indispensables à sa légitimité supranationale, de même qu’à son efficacité. [Gilles, 2002] Sur le plan quantitatif, les capacités d’intervention d’un nouveau Fonds Monétaire International doivent être étendues dans le sens, par exemple, du développement des Nouveaux Accords d’Emprunt créés en 1995, jusqu’à présent plafonnés à 34 milliards de DTS, afin de compléter les ressources ordinaires tirées des quotes-parts.
Encadré 68 : Premier emprunt obligataire émis par le Fonds Monétaire International : les ministres des finances du G20 souscrivent massivement
Lors du G20 (voir note 6REF _Ref240509440 p. 332REF _Ref240509451) de Londres (5 et 6 septembre 2009), les ministres des Finances ont annoncé leurs intentions de souscrire massivement à la première émission, par le Fonds Monétaire International, d’obligations émises et libellées en DTS, pour élargir ses possibilités de prêts aux pays les plus touchés par la crise. L’Union européenne a décidé de relever de 75 à 125 milliards d’euros (environ 175 milliards de dollars) sa contribution supplémentaire. L’Inde s’engage à souscrire à hauteur de 10 milliards de dollars ; la Russie et le Brésil s’apprêtent eux aussi à participer pour des montants similaires. La Chine avait annoncé, dès le mois de juin, qu’elle contribuerait pour 50 milliards. En revanche, aucun accord n’a été trouvé sur la réforme de l’organisation elle-même. Les Européens totalisent actuellement un peu plus du tiers du capital et des droits de vote, sensiblement plus que le poids de leurs économies dans le PIB mondial. De leur côté, depuis 1944, les États-Unis, dont la quote-part s’élève à un peu plus de 16 %, détiennent un droit de veto suffisant à bloquer les votes requérant une majorité qualifiée de 85 %.
Parallèlement, le Fonds Monétaire International doit acquérir une des propriétés des Banques centrales, à savoir la capacité de créer des réserves, en émettant des lignes de crédit libellées en DTS destinées aux Banques centrales nationales. De même, les instruments comme la Facilité de réserve supplémentaire et la Ligne de crédit contingente, qui constituent d’ores et déjà de véritables attributs de PDRI, doivent être développés. Afin de financer ces lignes, le nouveau Fonds Monétaire International doit pouvoir, à l’instar de l’actuelle Banque mondiale, s’endetter auprès des marchés financiers internationaux privés, le mécanisme des quotes-parts, donc de mutuelle d’États, étant peu adapté à la célérité requise pour l’exercice du prêt en dernier ressort. Pour cette raison, le 1er juillet 2009, le Conseil d’administration du Fonds a approuvé le dispositif autorisant l’émission d’obligations dont la souscription est ouverte aux États membres et à leur banque centrale (encadré 68_Ref240358165 ci-dessus_Ref240358159).
La prévention des crises : le défi majeur
Non seulement l’empressement des États membres du Fonds Monétaire International à augmenter ses moyens à la suite des besoins créés par la dernière vague de financements accordés aux PECO en 2008-2009 ne vaut pas accord sur les contenus à donner à la réforme des modes de fonctionnement de l’institution, mais il peut même être interprété en sens inverse. Dans cette hypothèse, l’ampleur des financements promis, notamment, par certains pays émergents (Chine, Inde, Russie, Brésil), serait bien plutôt la traduction de leur souhait de montrer qu’ils ont la volonté et les moyens de participer réellement aux décisions majeures en matière de supervision et de régulation des marchés de capitaux internationaux.
Concernant les modalités de gestion des crises compatibles avec une véritable fonction préventive, le débat s’articule autour de la nécessité de faire supporter les coûts de l’ajustement à l’ensemble des acteurs, y compris privés, en application d’un double principe de « sélectivité » : d’une part, celle des États éligibles aux renflouements d’urgence ; et, d’autre part, celle des établissements financiers susceptibles de bénéficier de mesures de soutien (9.2.1.). Plus généralement, les axes forts du débat de la décennie 2000 relatif à la « nouvelle architecture internationale », et notamment le thème de la nécessaire transparence des marchés se trouvent remis au goût du jour par le rôle joué par les produits financiers complexes dans la Grande crise de la fin des années 2000. Les difficultés soulevées sont également toujours les mêmes, à commencer par l’exigence d’universalité des règles et normes à mettre en œuvre (9.2.2.). Malgré ces écueils, la dégradation exceptionnelle des conditions économiques et financières des années 2008-2009 pourrait, paradoxalement, constituer une période propice à la conception de réformes majeures (9.2.3.).
Impliquer le secteur privé et les gouvernements : le principe de sélectivité de l’intervention
Toute politique de prévention des crises suppose nécessairement une plus grande implication du secteur privé dans la gestion des crises (« bail in »), ce qui suppose que des réponses politiques soient apportées à deux questions centrales : d’une part, jusqu’où doit aller la puissance publique pour sauvegarder des intérêts privés ou, exposé différemment, quel est le degré de responsabilité et d’implication que les créanciers privés doivent assumer dans la résolution des crises ? ; d’autre part, ne convient-il pas d’instaurer une « procédure de banqueroute souveraine » (bankruptcy approach) par laquelle, à l’image des firmes, les États qui ne peuvent plus faire face à leurs engagements financiers seraient traduits devant un tribunal des faillites réservé aux pays et aux gouvernements convaincus d’une sorte de faillite frauduleuse [Fischer, 1999, 574] ? Ces deux interrogations renvoient aux conditions d’optimalité de l’intervention d’un PDRI : limiter l’aléa moral inhérent à toute action de renflouement susceptible d’être anticipée, dans le premier cas, par les agents privés et, dans le second cas, par des pays “too big to fail” tirant avantage de leur situation pour faire supporter une partie de leurs coûts d’ajustement par la communauté internationale via les Institutions multilatérales (9.1.3.).
Enfin, sur le plan macro-économique, la crise de 2008-2009 nous montre la nécessité de spécifier des modèles de comportement et d’attributs des institutions financières, aux niveaux international et national, à même d’assurer la régulation financière internationale, en particulier l’art du prêteur en dernier ressort, d’une part, au niveau global, soit le renflouement par un éventuel PIDR (le FMI réformé, 9.1.2.) d’un État souverain susceptible (prévention) ou confronté (gestion) à une crise de troisième génération, d’autre part, au niveau domestique, soit le renflouement par la Banque centrale de banques commerciales du pays concerné.
Dans ce cadre, Bastidon, Gilles, Huchet [2008a, b, 2009] montrent que le prêt en dernier ressort constitue une solution si, et seulement si, le PIDR bénéficie d’informations fiables relatives aux marchés financier et bancaire domestiques afin d’assurer, parallèlement à sa fonction macro-économique traditionnelle, une fonction micro-économique de prêts sélectifs à des banques individuelles. L’optimalité d’intervention de ce PIDR nécessite, alors, de spécifier deux niveaux de sélectivité du renflouement assujettis au principe d’ambiguïté constructive [Goodhart Huang, 2000] : dans un premier temps, l’éligibilité (ou non) des pays en crise, dans un second temps, les seules banques solvables des pays récipiendaires selon une double logique, celle de la recapitalisation (recapitalization bail-out) et celle de l’évitement de la propagation systémique de la crise (catalytic bail-out) (encadré 69_Ref240450142 ci-dessous_Ref240450147).
Encadré 69 : Le renflouement sélectif : deux niveaux de gestion des crises bancaires
Soit une « économie monde » caractérisée par un ensemble  N є {1,…,N} de pays émergents et avancés. Conformément à la classification du FMI, ces pays présentent un risque systémique et fournissent une information de qualité similaire : ils respectent les normes et codes internationaux et acceptent la supervision du FMI (en juin 2008, les quatre cinquièmes des pays membres souscrivent à la Norme Spéciale de Diffusion des Données ou participent au Système Général de Diffusion des Données). Et soit un Prêteur en dernier ressort international (PDRI) disposant des informations fournies par ces pays et d’un montant Z de liquidités. Chaque pays i est caractérisé par le solde des opérations financières de sa balance des paiements (Ei) et par les dettes (lij) contractées par le secteur bancaire auprès des autres pays j є N du système, arrivées à échéance à la période courante. En nommant D le vecteur de dettes agrégées des pays vis-à-vis du reste du système, on définit une matrice des dettes de chaque pays envers chaque autre relativement à son endettement total ( є [0,1]N×N. Alors, pour chaque ensemble (, E, D), il existe un vecteur unique de paiements p* dès lors qu’un pays au moins a une valeur ’p* + E positive à distribuer. En cas de défaut (pi* Di), la décision de renflouement repose sur la valeur des dettes.
Suivant Elsinger al. (2006), le pays peut être en « défaut fondamental » (ses créances sont inférieures à sa dette) : il est alors inéligible au renflouement (une procédure de suspension des paiements voire une ligne de crédit assortie de conditionnalités ex post peuvent être mises en œuvre). Mais si c’est le défaut d’au moins un de ses débiteurs j qui l’empêche d’honorer ses dettes, il est en « défaut contagieux » et le PDRI propose un renflouement X (avec 0 XZ). La Banque centrale perçoit ce montant X, destiné à la reconstitution des réserves de change (X 1) et au renflouement des établissements favorablement évalués (X2 = X - X1). L’aléa moral est ici contenu grâce à l’incertitude autour des montants mobilisés et du seuil à partir duquel le PDRI intervient.
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En t0, sur la base d’une dette à court terme k D (normalisée à 1) et à long terme k, les K banques du secteur composent leur actif de réserves (e k), d’actif à court terme (I1 k) et d’actif à long terme (I2 k). I1ket I2k présentent des rendements r (r 1 r 2) et, en cas de choc de liquidité en t1, des coûts de liquidation (avec 1 2 et 1 = 0). Le choc de liquidité se traduit par le non renouvellement à t1 d’une part x des prêts, affectant uniformément toutes les banques. Si l’on note Mkles liquidités disponibles sans coût à t1 pour une banque k, trois configurations (ci-dessus) sont possibles :
- x k D ≤ Mk : ces banques font face au run sans liquidation d’actifs I2, mais peuvent être renflouées dans une logique d’effet catalyse (Corsetti al., 2006), pour éviter une hausse de xD liée à la généralisation de la défiance. Elles constituent un premier groupe (k є [1,…, m]).
- Mk x kD ≤ Mk + [(1 + r2)/(1 + 2)] I 2  : ces banques font face au run, mais les coûts supportés nécessitent un renflouement dans une logique de liquidité. Soit le groupe k є [m + 1,…,n].
- x kD > Mk + [(1 + r2)/(1 + 2)] I 2 : ce groupe (k є [n+1,…,K]) est insolvable donc inéligible.
En définitive, dans le cadre du principe de sélectivité, l’incertitude est maintenue autour des seuils d’intervention et des montants mobilisables, mais réduite par une grille de conditionnalités claire, soit un cadre propice au maintien d’une ambiguïté constructive. Quand une crise implique un renflouement sélectif, l’effet préventif émane de l’intérêt, pour les banques, à faire acte d’une plus grande capacité à mobiliser des réserves liquides, d’où un renforcement de la résilience de tout le secteur. Cette analyse légitime l’action du PDRI sur les plans macro et micro-économique dès lors que l’éligibilité au prêt s’inscrit dans une logique de conditionnalité.
Universalité des règles et transparence des marchés : de la difficulté à réformer dans le consensus
Plus généralement, l’efficacité de la redéfinition voire de l’extension du périmètre de la réglementation prudentielle et de la supervision, notamment l’évolution des accords Bâle II, d’une part, l’efficience d’une nouvelle architecture financière internationale capable de combler une double absence, celle relative à une véritable réglementation universelle des activités bancaires et financières et celle concernant l’existence d’un PDRI en mesure d’enrayer les logiques de défiance contagieuse potentiellement génératrices de crises systémiques, d’autre part, sont conditionnées par l’évitement de deux principaux écueils.
D’abord, ces réformes doivent être réalisées selon un calendrier pragmatique, donc graduel. En effet, la crise a montré les limites de la compétence des États en matière de pouvoir réglementaire dans les domaines bancaire et financier et son corollaire la nécessité pour les pays d’accepter un transfert de compétence, donc un relatif abandon de souveraineté, en matière de réglementation et de supervision, ce qui ne manquera pas d’attiser des résistances politiques. Parallèlement, la réforme du Fonds Monétaire International (9.1.), seule instance supranationale à pouvoir exercer un rôle central dans l’expertise et l’assistance financière conditionnelle aux pays en crise [Pisani-Ferry, 2009], c’est-à-dire à assurer la supervision des taux de change, à fournir des évaluations sur les conjonctures et les politiques économiques des acteurs, à procéder à la surveillance des États, notamment en matière de soutenabilité des finances publiques, devra être profonde et acceptée par chacune des parties en présence, ce qui nécessitera du temps.
Le second écueil concernant la mise en œuvre de ces réformes concerne l’excès de réglementations susceptible d’amorcer le cercle vicieux « réglementation-innovation pour la contourner », à l’origine de la titrisation excessive actuelle qui a permis aux établissements financiers d’échapper à la régulation prudentielle des fonds propres. Dans ce contexte, où les produits dérivés (principalement sur des marchés organisés, donc en limitant ceux négociés de gré à gré) et la titrisation (à la condition d’être fondée sur des créances sous-jacentes clairement identifiées) s’avèrent indispensables à la gestion des risques, les régulateurs devront centrer leur réflexion sur l’effet de levier et moins sur les moyens mis en œuvre pour l’obtenir. Comme le relève Lubochinsky [2009a,b], « seul l’effet de levier peut faire l’objet d’une régulation globale car toute régulation spécifique d’un produit ou d’une technique donnerait lieu à une innovation permettant de détourner cette régulation ».
Plus spécifiquement, quelques pistes de réflexion quant à la future régulation financière internationale peuvent être, sans exhaustivité, avancées [de Boissieu, 2009] : l’extension de la réglementation à des opérateurs et à des opérations jusqu’à présent non régulées, comme les banques d’investissement et les courtiers qui, aux États-Unis, ont disséminé les risques inhérents aux subprimes, ou les Hedge Funds en leur imposant des obligations accrues en termes de transparence et de reporting. Toutefois, si le respect des réglementations prudentielles constitue une condition nécessaire à une prophylaxie des crises de troisième génération, elles demeureront insuffisantes si leur application n’est pas universelle afin d’éviter qu’aux « paradis fiscaux » s’ajoutent des « paradis prudentiels », ce qui conforte le rôle d’un véritable PDRI au niveau global et des autorités domestiques ou de zone (la BCE, par exemple) au niveau des pays.
Encadré 70 : Les produits dérivés sur les marchés de gré à gré : un facteur de risques majeur
En sus du risque lié à leur mode de prise en compte dans les documents comptables des institutions qui achètent et vendent les contrats, les produits dérivés sont porteurs de risques spécifiques liés à leur négociation, en large majorité, sur des marchés de gré à gré. Très schématiquement, sur un marché organisé (par exemple, les marchés actions), toutes les informations (prix et volumes) relatives aux opérations en cours sont publiquement diffusées, en continu. Les membres du marché ne sont admis à ce statut que selon des conditions restrictives dont la vérification relève de la compétence de l’autorité organisatrice, qui est par ailleurs responsable de la centralisation des transactions, de leur compensation et du règlement/livraison des actifs. Les caractéristiques de ces derniers sont standardisées, ce qui garantit leur liquidité. Les marchés de gré à gré, où les transactions interviennent directement entre acheteurs et vendeurs, pour des produits dits OTC (over the counter, « sur mesure »), n’offrent pas ces garanties.
Outre le risque de défaut, que les règles de fonctionnement des marchés organisés permettent de contenir, l’histoire récente met en évidence les risques liés à l’opacité, caractéristique des marchés de gré à gré. Selon Lubochinsky [2009b], la concentration des échanges de produits dérivés sur les marchés de gré à gré s’explique par le fait que les banques, qui commercialisent les produits OTC, désiraient en conserver le monopole, du fait que la complexité de ces produits les rend difficiles à évaluer et permet donc de réaliser une marge supérieure à celle générée par les produits financiers plus conventionnels. Elles n’avaient donc aucun intérêt à ce que les produits OTC s’échangent sur les marchés organisés, qui auraient assuré la diffusion publique des informations de prix et de volumes. Les marchés organisés ont essayé de faire concurrence aux banques en proposant des innovations sur le contenu des contrats, en réduisant les coûts de transaction et en proposant des modalités de compensation, mais les tentatives d’introduction de produits déjà négociés par les banques se sont généralement révélées infructueuses, celles-ci souhaitant conserver une certaine opacité de l’information.
Un deuxième axe concerne l’amélioration de la transparence et, conséquemment, de la traçabilité des instruments financiers et des risques inhérents. L’organisation des marchés des produits dérivés devrait, en l’occurrence, accroître la transparence relative à leur prix et leur liquidité, donc améliorer la gestion du risque de contrepartie. Quant aux produits dérivés négociés de gré à gré, une exigence en fonds propres comparables au notionnel pourrait résoudre, partiellement, le problème du risque de contrepartie et diminuer l’effet de levier. Pour ce qui concerne les produits titrisés, l’obligation de transparence sur la qualité des créances sous-jacentes devrait réduire la part non maîtrisée des risques et limiter les effets de levier.
D’autres axes pourraient, enfin, être privilégiés comme l’amélioration des normes comptables et prudentielles internationales (Bâle II, normes IFRS, Solvency II, etc.) en prenant en compte l’externalité négative que constitue la procyclicité inhérente à ces normes qui accentue la volatilité financière et la crise économique. De même, l’amélioration du fonctionnement et de la gouvernance des agences de notation pourrait parfaire cette architecture réglementaire et prudentielle.
Pour ce qui concerne le qualitatif, le nouveau Fonds Monétaire International doit devenir le maître d’œuvre d’un système de règles de « bonne conduite » (good practices) et de transparence (transparency) définies, non pas au regard d’une orthodoxie néolibérale érigée en dogme (le « Cantique de la libéralisation ») [Stiglitz, 2002], mais dans l’optique d’un développement durable des économies concernées. À cette fin, le nouveau Fonds Monétaire International doit rompre avec l’idéologie selon laquelle les hypothétiques défaillances du marché sont toujours moins graves que les inévitables défaillances des gouvernements. Il pourrait également posséder un droit d’ingérence économique lui permettant de se substituer temporairement aux gouvernements en quête de crédibilité des marchés (stabilité politique, lutte contre la corruption, etc.), en matière de supervision et de réglementation prudentielle de leurs marchés financiers, ou en réactivant l’article VIII des statuts actuels du Fonds autorisant les pays membres menacés par des mouvements de capitaux déstabilisants à se protéger provisoirement par un contrôle des changes, rejoignant, en cela, l’article 73 du traité de Maastricht qui autorise l’instauration d’un contrôle des changes limité dans le temps (six mois au plus).
Parallèlement, se pose la question du pouvoir politique accordé au Comité Monétaire et Financier International du Fonds Monétaire International (i.e. l’ancien Comité intérimaire), et de sa transformation en un organe de décision multilatéral et supranational au sein duquel aucun pays ne disposerait de droit de veto, renouant ipso facto avec la thèse de J.M. Keynes d’une « Banque centrale des banques centrales » contenue dans ses Proposals for an international clearing union (Partie I).
De la Grande crise de 2008-2009 à la refonte des règles de fonctionnement des marchés de capitaux internationaux
Cet ambitieux programme de réformes pourrait, paradoxalement, se réaliser dans le contexte particulièrement troublé de la crise de 2008-2009 et de ses suites. Comme le soulignait A. Gramsci dans ses « Cahiers de prison », lors d’une crise on sent que « l’ancien meurt et que le nouveau ne peut naître ». Dans cette lignée, la situation de crise peut constituer un moment propice à la gestation de réformes globales significatives (i.e. un « nouveau Bretton Woods » qui a débuté avec la réunion du G206 à Washington le 15 novembre 2008 puis celle de Londres le 2 avril 2009) destinées, entre autres, à concevoir une architecture financière internationale capable d’endiguer le risque systémique, à contenir les excès de complexité financière, à remettre la finance au service de l’économie réelle en corrigeant certaines dérives de la finance virtuelle, notamment les marchés de gré à gré d’instruments dérivés, à produire des systèmes de rémunérations et d’incitations déconnectés des prises de risque, etc.
Lors du sommet de Londres du 2 avril 2009, les représentants des grandes économies ont esquissé les nouvelles règles du capitalisme mondial. Il s’agissait de mener une action coordonnée afin de sortir de la crise qui se traduit par la première récession mondiale depuis 1945. Un compromis s’est dégagé entre deux « camps » : d’un côté, ceux qui, à l’instar de l’Allemagne et de la France, insistaient sur l’impérieuse nécessité de réglementer davantage les marchés financiers ; de l’autre, ceux qui, à l’instar des États-Unis notamment, exhortaient à des efforts de relance supplémentaires. Ces deux « visions » apparaissent dans le communiqué final dont le bilan chiffré des mesures cumulées s’élève à 1 100 milliards de dollars (819 milliards d’euros) et dont le contenu « enterre » le consensus de Washington, en particulier l’exigence d’austérité fiscale en période de récession. Le Fonds Monétaire International voit ses ressources triplées (portées à 750 milliards de dollars) et se trouve explicitement investi d’une mission de contrôle des politiques macro-économiques de ses membres ; les grands acteurs de la finance, dont les principaux fonds spéculatifs, seront placés sous surveillance ; les paradis fiscaux, nommément désignés, sont passibles de sanctions (encadré 71_Ref239921471 ci-dessous_Ref240509984).
Encadré 71 : Le sommet de Londres (2 avril 2009) du G20 : détail du contenu des cinq séries de mesures préconisées
Plus précisément, cinq séries de mesures sont au cœur de la régulation du système financier mondial souhaitée par le G20.
i) Lutter contre les paradis fiscaux : l’époque du secret bancaire « est révolue » selon le communiqué final. Cette déclaration marque une rupture avec des décennies de tolérance et de participation des grandes puissances économiques à l’endroit des paradis fiscaux. Ces derniers ne pourront plus opposer le secret bancaire aux enquêtes de l’administration fiscale ou de la justice étrangères, sous peine d’être fichés sur la « liste noire » de l’OCDE7. En outre, ils seront condamnés selon une « palette de sanctions » à définir par les ministres des Finances du G20, alors qu’il est d’ores et déjà acquis que les organisations internationales ne pourront pas travailler avec les pays récalcitrants. Enfin, les engagements de coopération pris, récemment, par la Belgique, le Liechtenstein, le Luxembourg et la Suisse seront contrôlés par le FMI et le Forum de stabilité financière.
ii) Étendre le champ de la régulation : le G20 promet que tous les établissements financiers, produits et marchés qui représentent un risque pour le système financier mondial seront contrôlés, en insistant sur les fonds spéculatifs « d’importance systémique », c’est-à-dire dont la faillite menacerait l’ensemble du système (i.e. “too big to fail”, cf. supra). Ces hedge funds devront s’immatriculer auprès d’un superviseur et avoir une gestion plus transparente.
iii) Sécuriser les banques : afin d’éviter que les banques ne rationnent trop brutalement le crédit en période de crise, elles devront augmenter leurs fonds propres dès le retour de la croissance. Pour les responsabiliser aux risques qu’elles prennent, elles devront conserver dans leurs bilans une partie (5 %) des actifs qu’elles titrisent, ces créances qu’elles ont pris l’habitude de transformer en produits financiers revendus sur les marchés. Enfin, les autorités de contrôle prendront en compte le « hors bilan » des banques (i.e. cette zone comptable opaque dans laquelle sont logés de nombreux actifs risqués) dans le calcul de leurs exigences en capital.
iv) Assouplir les normes comptables : ces normes souvent élaborées par des cabinets privés, sans le contrôle des autorités politiques, ont été accusées d’avoir accentué l’impact de la crise (i.e. l’argument de procyclicité). Elles ont permis aux banques d’évaluer une partie de leurs actifs à la valeur de marché, c’est-à-dire une valeur dépréciée, voire quasi nulle en plein krach boursier. Les organismes qui les élaborent sont appelés à travailler de façon « urgente » avec les régulateurs pour les assouplir. Un standard unique de normes internationales est demandé. Le G20 pense, ainsi, pouvoir freiner les dépréciations d’actifs massives qui ont fragilisé les banques depuis l’été 2007, conduisant certaines d’entre elles à la faillite.
v) Renforcer les institutions financières internationales : au-delà du triplement de ses ressources, le FMI devient un « gendarme » de la finance internationale. Il travaillera de concert avec l’ex-Forum de stabilité financière (FSF), transformé en Conseil, pour élaborer un mécanisme d’alerte sur les risques. L’articulation de cette coopération s’annonce délicate, sachant que la supervision des banques et des marchés reste de la compétence des États.
Ces déclarations ne sont pas restées sans lendemain : ainsi, dès le 18 juin, les États-Unis et l’Union Européenne, simultanément, présentaient leurs plans de refonte de la régulation de leurs systèmes de financement. Au niveau du principe général, il s’agit dans les deux cas de créer une entité regroupant l’ensemble des régulateurs de marché, de manière à centraliser l’information, et à déclencher une éventuelle intervention publique le plus précocement possible. Aux États-Unis, ce « Conseil de surveillance de la finance » sera sous l’autorité du Secrétaire au Trésor, alors que les chefs d’État de l’Union Européenne ont choisi de faire élire le président du « Conseil européen du risque systémique » par les gouverneurs de la BCE. Ce dernier ne pourrait cependant pas contraindre les gouvernements des États membres à renflouer ou recapitaliser un établissement bancaire national en difficulté. Du côté des États-Unis, la FED est dotée de prérogatives de surveillance élargies sur les établissements du secteur financier dont la taille, l’endettement ou les liens avec le reste du système financier présentent un risque de déstabilisation globale en cas de difficulté individuelle. Ces établissements, par ailleurs, seront soumis à des contraintes renforcées en matière de fonds propres. En ce qui concerne les fonds spéculatifs, les activités de hors-bilan, les opérations de titrisation, et les marchés de dérivés, il est également prévu d’élargir les contrôles, mais sans avancée majeure, ni contenu concret des mesures à prendre à cet effet.
Finalement, ces mesures récentes reprennent l’argument du “too big to fail”, mais avec la particularité d’en tirer une règle d’action préventive. Le constat du caractère incontournable du renflouement des entités présentant ce trait distinctif ayant été définitivement établi par les conséquences « dramatiques » du non renflouement du groupe Lehman Brothers (note 12REF _Ref240511343 p. 301REF _Ref240511349), les États-Unis et l’Union Européenne en tirent la conclusion de la nécessité de soumettre ces établissements à une surveillance suffisamment étroite pour que leur gestion les mette à l’abri de difficultés majeures. Si le contenu des réformes mis en œuvre atteint ces objectifs, il devrait en résulter, non seulement, un risque moindre aux niveaux national et global, mais également un recours largement réduit aux interventions d’urgence : en effet, seuls les établissements de relativement petite taille seraient alors susceptibles de se trouver en situation de réelle difficulté – mais, précisément à cause de leur petite taille, leur renflouement n’aurait aucun caractère systématique. Ceci les contraindrait, de même que les établissements plus importants et soumis à l’obligation de surveillance renforcée, à une gestion plus vertueuse. En définitive, la capacité de supervision de la Banque centrale, et du Conseil des régulateurs de marché qui lui est associé, conditionne donc l’ensemble de l’enchaînement, qui n’est opératoire que si leur surveillance est sans faille.
Éléments d’appréciation des mutations récentes du processus d’intégration financière
Finalement, à l’issue de quatre décennies de globalisation financière, les systèmes de financement domestique et international ont atteint un degré de complexité qui est, en lui-même, un facteur d’instabilité, ce qui explique largement le consensus des autorités politiques nationales sur la nécessité urgente d’une forme de régulation supranationale véritablement opérationnelle, sinon sur le contenu des mesures à mettre en œuvre pour y parvenir. La définition conventionnelle du processus de globalisation selon les termes de la « règle des 3D » conserve, cependant, une véritable pertinence pour appréhender les faits stylisés contemporains des marchés de capitaux internationaux (9.3.1.). La dynamique du phénomène de désintermédiation de l’économie, toutefois, appelle une analyse plus détaillée, dans la mesure où les intermédiaires de marché sont, aujourd’hui, également des acteurs majeurs du financement direct de l’économie (9.3.2.). Enfin, il convient de s’interroger sur les implications en termes de proportions relatives des sphères réelle et financière d’une surliquidité de l’économie mondiale présentant des traits incontestablement structurels (9.3.3.).
Une mesure de l’avancée du processus de globalisation financière selon la « règle des 3D » : où en sommes-nous ?
Il est communément admis qu’au cours des années 1990, le phénomène de désintermédiation se traduit par un recul du financement bancaire de l’économie, tandis que les financements de marché (titres du marché monétaire, actions et obligations) prennent de plus en plus d’importance. En pratique, dans le cas de la France, que nous prendrons ici comme exemple pour évaluer l’avancée du processus de globalisation financière selon les critères de la « règle des 3D », le taux d’intermédiation financière au sens étroit, défini comme la part du crédit bancaire par rapport au total des financements reçus par les agents non financiers, est de 55 % en 1994 – il n’est plus que de 40 % environ dix ans plus tard. De même, le taux d’intermédiation financière au sens large, qui prend en compte l’ensemble des financements émanant des établissements financiers (crédits et achats de titres) recule de plus de 15 points sur la même période. On note toutefois, comme pour de nombreux autres pays du Nord, voire émergents, une stabilisation du poids des financements bancaires de l’économie nationale depuis le milieu de la décennie 2000 (graphique 48_Ref240529624 ci-dessous_Ref240529630, partie droite).


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Graphique 48 : Taux d’intermédiation en France, 1994-2009, en % (à g.) et composition de l’actif des banques françaises, 1990-2006 (à d.)
Le calcul du poids, respectivement, des crédits et des titres dans l’actif des banques françaises, met en évidence le même phénomène de désintermédiation (graphique 48_Ref240529624 ci-dessus_Ref240529630, partie gauche). En outre, il permet d’en préciser les modalités : dans le cas de la France, on observe ainsi une nette diminution de l’activité de crédit, mais surtout une progression très rapide de la partie de l’actif consacrée à l’achat de titres, qui représente 25 % environ en 2005 contre moins de 10 % en 1990. Cette progression est continue, contrairement à ce que semblerait indiquer la stabilisation des taux d’intermédiation précédemment constatée, parce qu’elle est alimentée par l’achat de titres internationaux, qui par définition ne contribuent pas au financement de l’économie nationale et ne sont donc pas comptabilisés dans le calcul de ces taux.
Nous pouvons donc d’ores et déjà mettre en évidence, ici, la coexistence d’une désintermédiation du financement de l’économie et des activités des banques d’une part ; et d’un décloisonnement de ces mêmes activités puisque, depuis 2002, le poids des banques dans le financement de l’économie nationale reste stable tandis que leurs portefeuilles titres ne cessent de prendre de l’importance dans l’utilisation des fonds qu’elles collectent, par le biais de l’achat de titres internationaux.


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Graphique 49 : Internationalisation des opérations des banques françaises (millions d’euros)
Les données relatives aux créances et engagements des banques françaises vis-à-vis de non-résidents (graphique 50_Ref240529939 ci-dessous_Ref240529944) mettent en évidence de manière plus frappante encore ce phénomène de décloisonnement, selon deux phases distinctes : entre 1993 et 2003, le rythme de croissance des volumes concernés est modéré, puis il devient extrêmement rapide entre 2003 et 2005.
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Graphique 50 : Marchés dérivés de taux de change et de taux d’intérêts (milliards de dollars)
Simultanément à ces phénomènes de désintermédiation et de décloisonnement, la déréglementation de l’activité des marchés financiers peut être appréhendée, notamment, via les volumes d’opérations enregistrés sur les marchés de gré à gré. Ces volumes sont, par définition, difficiles à connaître avec précision dès lors que les transactions ne sont pas centralisées par une autorité organisatrice de marché, mais ont lieu directement entre les parties intéressées. Toutefois, les enquêtes triennales « Marchés de change » de la Banque des Règlements Internationaux incluent des statistiques relatives aux produits dérivés de change et de taux d’intérêt, fondées sur les informations données par les principaux groupes bancaires et organismes financiers intervenant sur ces marchés. Ces statistiques (graphique 50_Ref240529939 ci-dessus_Ref240530233) font clairement apparaître, de même que dans le cas de l’internationalisation des opérations de banques, une accélération de la croissance des volumes d’opérations traitées, particulièrement sensible en ce qui concerne les produits dérivés de taux d’intérêt.
Finalement, le phénomène le plus complexe à mesurer est donc bien le processus de désintermédiation – pour ce qui concerne le décloisonnement et la déréglementation du fonctionnement des marchés de capitaux, les indicateurs disponibles indiquent sans ambiguïté que la globalisation financière est non seulement toujours en marche, mais encore qu’elle s’accélère au cours de la dernière décennie, ainsi que l’illustre l’allure exponentielle des données qui s’y rapportent (graphique 49_Ref240530542 p. 337REF _Ref240530640 et graphique 50_Ref240529939 ci-dessusREF _Ref240530648).
Les ambiguïtés de la désintermédiation : problématique de la mesure du poids du secteur bancaire dans un environnement financier complexe
L’appréhension du poids véritable des établissements bancaires dans le financement de l’économie est, en revanche, beaucoup plus délicate. Ainsi, le calcul des taux d’intermédiation, centrés sur les modes de financement des économies nationales exclusivement, n’offre pas nécessairement une image réaliste des activités des réseaux de banques domestiques qui s’y rapportent. En outre, les établissements bancaires sont aujourd’hui, de diverses manières, des acteurs majeurs de la finance de marché. On peut, ainsi, citer leur poids dans les principales capitalisations boursières mondiales (tableau 36_Ref240642260 p. 344_Ref240642272), mais également le contrôle qu’elles exercent sur les « plateformes alternatives » qui concurrencent désormais les marchés d’actions traditionnels (encadré 72_Ref240642307 ci-dessous_Ref240642315). Il résulte de cette imbrication de la finance intermédiée et de la finance de marché une transmission extrêmement rapide des chocs et des réappréciations de risque d’un compartiment à l’autre.
Revenons brièvement sur les deux façons de définir le taux d’intermédiation d’une économie, dont la première est plus restrictive que la seconde :
- Le taux d’intermédiation au sens étroit mesure la part prise par les banques dans le financement des agents non financiers résidents, sous forme de crédit uniquement.
- Le taux d’intermédiation au sens large mesure la part prise par les banques et les autres organismes du secteur financier (assurance, OPCVM…) dans le financement des agents non financiers résidents, sous forme de crédits et d’acquisition de titres.
Encadré 72 : La directive MIF « Marchés d’Instruments Financiers » : la fin du monopole des Bourses de l’Union Européenne
La directive MIF, adoptée par la Commission européenne le 1er novembre 2007, a pour objectif principal d’organiser l’harmonisation des espaces financiers des pays membres de l’Union Européenne. Elle comporte également deux autres volets. La protection accrue des investisseurs renvoie à l’obligation de conseil renforcé de la part des établissements financiers. Tous les placements proposés (actions, obligations, OPCVM, etc.) doivent être adaptés aux situations individuelles, la preuve en étant conservée sous forme de document récapitulatif rempli et signé par le client, obligatoirement archivé par l’établissement. Le second volet concerne la fin, pour les entreprises de marché des pays membres, du monopole des opérations sur titres. En d’autres termes, les « Bourses », qui sont des entreprises comme les autres, sont désormais susceptibles d’être confrontées à une concurrence à l’intérieur de leurs espaces nationaux sur les titres dont elles assurent la cotation.
En conséquence, les établissements de marché ont désormais une « obligation de meilleure exécution ». Dans l’exemple de la France, avant la mise en œuvre de la directive MIF, le monopole du traitement des ordres de bourse était détenu par Euronext-Bourse de Paris. Les établissements financiers n’avaient donc pas le choix du prestataire pour l’exécution de ces ordres. Le secteur étant désormais ouvert à la concurrence, de nouvelles « plateformes de négociation » des opérations boursières ont fait leur apparition (soit, actuellement, quatre plateformes, pour 30 à 35 % de parts de marché sur les places financières européennes : Chi-X, Turquoise, Bats Europe et Nasdaq OMX Europe). Dans ce contexte, le principe de « meilleure exécution » consiste, pour l’établissement financier, à sélectionner le prestataire offrant la meilleure prestation en termes de prix, de liquidité du marché, d’efficacité du service de règlement/livraison…
En pratique, l’introduction de la concurrence dans les opérations sur titres a rempli les objectifs que se fixait la Commission européenne : Nyse Euronext, le groupe transatlantique dont font partie Euronext Paris et la plupart des grandes places financières d’Europe occidentale (exceptions faites de Londres et Francfort), a baissé, dès juillet 2008, ses frais de transaction de 30 %. En outre, le groupe a créé sa propre plateforme alternative, proposant des prestations comparables à celles de ses concurrents, c’est-à-dire une offre transnationale de titres les plus couramment échangés. Sur le plan de la structure des systèmes de financement, l’essor de l’activité des plateformes de négociation alternatives contribue à « brouiller » encore la frontière entre intermédiation et financement de marché. En effet, Turquoise, créée en septembre 2008 et qui a déjà capté 5 à 7 % du marché, est contrôlée par neuf établissements bancaires – la Société Générale, BNP Paribas, Citigroup, Crédit Suisse, Goldman Sachs, Merrill Lynch, Morgan Stanley, Deutsche Bank et UBS.
Cette définition standard des taux d’intermédiation comporte une limite : elle ne prend, en effet, en considération que les financements accordés par des établissements nationaux à des agents également nationaux. Il est donc indispensable, en complément de l’examen du taux d’intermédiation, d’étudier l’évolution du rapport titres/crédit au bilan des banques. Non seulement ce rapport permet de mesurer de manière plus complète les parts respectives que prennent les financements directs et indirects dans les systèmes bancaires domestiques, mais en outre il renseigne sur leur capacité à résister à une crise financière majeure8. En effet, son augmentation (plus de titres, moins de crédit) correspond à une amélioration ou, au contraire, à une détérioration de la capacité des banques à mobiliser leur actif sans frais en cas de besoin, selon le type de titres détenus : les titres n’ont, a priori, pas de coût de liquidation, mais en pratique l’éventail des décotes qu’ils supportent peut être extrêmement large.
Dans le cas de la France (graphique 51_Ref240642662 ci-après_Ref240642673), que nous comparerons ici avec celui des États-Unis, le partage titres/crédit dans les financements apportés aux agents non financiers résidents (graphe de gauche) montre clairement une réintermédiation de ces financements au cours de la décennie 2000. Toutefois, la prise en considération de l’ensemble des financements accordés par les banques françaises quelle que soit la nationalité des destinataires (graphe de droite) conduit à un tout autre constat. Si l’on mesure le rapport entre valeurs mobilières et crédits au bilan des banques, on constate cette fois, à l’exception des années 2000 et dans une moindre mesure 2001, que ce rapport progresse de manière continue depuis deux décennies. Il atteint, en fin de période, une valeur de 0,75 environ. En pratique, dans le cas de la France, la réintermédiation du financement de l’économie nationale n’entre donc pas en contradiction avec une augmentation relative de la part des titres dans l’actif des banques. En bref, les banques françaises prêtent aux agents résidents et achètent les titres émis par les agents non résidents.


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Le graphique de gauche représente le rapport entre titres et crédit dans le Taux d’Intermédiation au sens Large (TIL), c’est-à-dire le total des financements apportés aux agents non financiers résidents par les établissements de crédit résidents, sous forme de crédit ou d’achat de titres. Il mesure donc la part relative de ces financements réalisée sous forme de crédits, conformément au mode de fonctionnement traditionnel des établissements bancaires. Dans le graphique de droite, cette proportion est mesurée par rapport à l’ensemble des financements réalisés par les établissements financiers, quelle que soit la nationalité des bénéficiaires.
Graphique 51 : Le partage titres/crédit dans le cas des banques françaises
Dans le cas des États-Unis (graphique 52_Ref240642745 ci-après_Ref240642751), depuis que les séries qui permettent de calculer les taux d’intermédiation existent, c’est-à-dire depuis le début des années 1950, l’intermédiation de l’économie n’a cessé de croître. En particulier, l’intermédiation de l’économie a nettement progressé au cours des décennies 1990 et 2000, sous l’effet des crédits accordés aux ménages et des rachats simultanés d’actions par les entreprises : on a donc un accroissement des volumes de crédit et un recul du total des financements aux entreprises (graphe de droite). Au niveau du rapport titres/crédit (graphe de gauche), on constate sur les deux dernières décennies une relative stabilité, pour des valeurs comprises entre 0,30 et 0,40, soit environ la moitié de la valeur calculée pour la France. Concernant les données les plus récentes, on voit par ailleurs, depuis 2002, une tendance à la diminution du rapport titres/crédit, les maxima ayant été atteints en 1993 et 2002 pour une valeur de 0,40.
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Le graphique de gauche représente le rapport des titres détenus aux prêts réalisés par les établissements financiers des États-Unis, quelle que soit la nationalité des bénéficiaires des financements. Le graphique de gauche représente le TIL (aire délimitée par la courbe supérieure), soit la part des financements des agents non financiers résidents réalisés par les établissements de crédit résidents, sous forme de crédits ou d’achat de titres. L’aire délimitée par la courbe inférieure (en blanc) représente les financements destinés aux ménages (par construction, l’aire grisée représente les financements destinés aux entreprises et aux administrations).
Graphique 52 : Partage titres/crédits et poids des ménages dans le financement intermédié de l’économie aux États-Unis
Les États-Unis et la France illustrent respectivement deux cas opposés : en France, les ménages pèsent relativement peu dans les financements de l’économie domestique (graphique 53_Ref240643044 ci-après_Ref240643049) ; aux États-Unis, au contraire, les crédits dont ils sont bénéficiaires pèsent très lourd dans le total des financements aux agents non financiers (graphique 52_Ref240642745 ci-dessus_Ref240643087). Plus précisément, en France, la part des ménages dans le total des financements de l’économie est de 40 % au milieu de la décennie 1990 et de 50 % actuellement. Elle reste de toute manière largement inférieure à celle des ménages aux États-Unis, qui sur la même période passe de deux tiers environ à un peu moins des trois quarts des financements sous forme de crédit. La conséquence est simple : comme les ménages pèsent très largement dans le financement bancaire de l’économie, le rapport titres/crédit tend nécessairement à rester faible puisque les ménages sont le seul secteur institutionnel qui ne peut se financer que sous forme de crédit.
En définitive, pour la France le rapport titres/crédit se situe autour de 70 % avec une forte proportion de titres internationaux dans les portefeuilles. Pour les États-Unis ce même rapport n’est que de 30 % environ, soit un niveau relativement faible, lié au poids des crédits aux ménages. Les statistiques de la fin de l’année 2008 et des deux premiers trimestres 2009 montrent toutefois, pour la première fois depuis cinq décennies, une réduction de l’endettement des ménages, alors que la dette de l’État fédéral s’accroît extrêmement rapidement – or l’État s’endette essentiellement sous forme de titres, dont la détention par les investisseurs non-résidents est nettement moins élevée aux États-Unis qu’en France (40 % aux États-Unis, contre les deux tiers environ en France). Si cette tendance s’inscrivait dans la durée, elle occasionnerait donc une élévation significative du rapport titres/crédit.


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Graphique 53 : Poids des ménages dans le financement intermédié de l’économie, France, 1994-2009
Finalement, une mesure exhaustive de l’intermédiation des économies suppose donc, inévitablement, de prendre en considération, d’une part, la partie croissante de l’actif des organismes financiers qui ne correspond pas au financement de l’économie domestique ; et, d’autre part, le rôle joué par ces organismes en tant qu’acteurs des marchés de titres9. Schématiquement, la seule prise en considération de la définition standard des taux d’intermédiation conduit, pour la dernière décennie, au constat d’une « pause » dans le processus de désintermédiation, concernant aussi bien les pays du Nord, ainsi que la France et les États-Unis l’illustrent, que les pays émergents10. La prise en considération des indicateurs élargis de mesure du poids des organismes financiers ne permet pas une conclusion aussi tranchée : en particulier, parce que ces organismes sont désormais également des acteurs majeurs de la finance directe.
Tableau 36 : Comparaison des capitalisations boursières bancaires sur les places de Paris, New York, Londres, Francfort et Milan
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Source : Banque de France
La part prise par le secteur bancaire dans les capitalisations des principales places financières est très variable selon les cas. Ainsi, à Paris, la somme des capitalisations boursières des quatre premiers groupes est de 7 % environ, soit une situation intermédiaire entre New York et Francfort (4 % environ) et Milan (environ 20 %) ; Londres (10 % environ) est dans une situation comparable à celle de Paris. Il convient de préciser que les secteurs bancaires allemand et surtout italien sont nettement plus concurrentiels que ceux de la France ou du Royaume-Uni : la part de marché des cinq principaux établissements représente, ainsi, 20 (Italie) à 30 % (Allemagne) du marché national, contre 50 % environ dans le cas de la France et du Royaume-Uni.
À première vue, le faible poids des principales capitalisations boursières bancaires dans la capitalisation totale des places de New York et de Londres est simplement le reflet d’une économie dont le financement est très désintermédié – exception faite, nous l’avons vu, des ménages.
Dans le cas de la Grande crise de 2008-2009, le poids des principaux établissements bancaires dans la capitalisation boursière prend une importance particulière : en effet, plus cet indicateur a une valeur élevée, plus le niveau des indices boursiers calculés par pondération du prix des titres selon les capitalisations boursières (c’est le cas du CAC 40 [Paris], du Dax [Francfort], du Footsie [Londres] et du MIB [Milan], mais pas du Dow Jones [New-York] qui est calculé comme une simple moyenne arithmétique) chute rapidement en cas de mauvaises nouvelles concernant le secteur bancaire. Ce décrochage brutal des indices boursiers renforce alors l’aversion au risque des investisseurs et la « fuite vers la qualité », qui à la limite se traduit par l’illiquidité des segments dont le degré de risque est considéré comme rédhibitoire.
Par ailleurs, la capacité des systèmes de financement domestiques à résister à une crise de grande ampleur – du type de celle de 2007-2009 – en fonction de la composition de leur actif ne peut être correctement appréhendée par le biais du taux d’intermédiation bancaire que s’ils fonctionnent de manière relativement autonome – autrement dit, s’ils ne sont pas décloisonnés. Dans le cas inverse, il faut principalement prendre en considération le rapport titres/crédit. Alors, la capacité à mobiliser les titres, et donc les coûts de liquidation de l’actif, dépendent de la composition du portefeuille titres des banques, donc indirectement du degré de déréglementation de l’économie. Les problèmes de liquidité graves, ainsi, touchent principalement les titres échangés sur les marchés de gré à gré. En pratique, les titres, négociables par nature, peuvent alors présenter dans certains contextes des coûts de liquidation rédhibitoires. L’histoire récente montre bien que dans un contexte de forte polarisation des comportements des agents économiques vers une aversion au risque élevée, la liquidité de certains titres peut être nulle.
Dans cette perspective, les différents types de titres sont affectés selon leurs degrés de risque respectifs : les obligations d’État « sans risque » conservent un coût de liquidation nul, les obligations privées et les actions peuvent être affectées de coûts de liquidation positifs mais relativement prévisibles, et les autres types de titres, dont évidemment les obligations de titrisation, sont affectés de coûts de liquidation à la fois élevés et fortement imprévisibles. En définitive, un système bancaire fortement désintermédié du point de vue de la composition du bilan des banques peut donc être extrêmement résistant aux crises, si le portefeuille reflète une forte aversion au risque ; comme extrêmement fragile, dans le cas contraire. Or l’effet de levier sur une seule opération, ponctuelle, peut faire basculer les proportions relatives : c’est là toute la difficulté des politiques de prévention actuellement en cours de définition par les États-Unis et l’Union Européenne (9.2.3.), reposant sur la capacité des dispositifs de supervision à ne jamais permettre qu’un organisme potentiellement générateur de risque systémique soit en situation de solliciter une intervention publique.
Crise et réduction des déséquilibres de balance courante : la fin de la surliquidité des marchés de capitaux internationaux ?
En liaison avec les problèmes spécifiques à l’avancée du phénomène de globalisation financière, un certain nombre de tensions, à l’œuvre au cours de la décennie 2000, pourraient prendre un caractère structurel. Ainsi, la polarisation des déséquilibres de balances des paiements courants, particulièrement manifeste dans les périodes précédant immédiatement les crises de 1982 (« crise de la dette des pays en développement ») et 2007-2009 (la « Grande crise »), connaît une très forte résorption entre 2008 et 2009 (graphique 54_Ref240815922 ci-dessous_Ref240815927). Toutefois, la divergence des taux de croissance des pays en développement et émergents par rapport à celui des pays du Nord, à partir du début de la décennie 2000, pour atteindre un écart de 5 points de pourcentage environ, conduit à s’interroger sur le caractère durable de cette résorption (encadré 62_Ref240443765 p. 312REF _Ref240443768).

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Graphique 54 : Déséquilibres des soldes extérieurs de balance des paiements, 1979-1982, en % du PIB, pays exportateurs de pétrole (en haut) et pays importateurs de pétrole (en bas)
Les pays émergents ont fait l’objet d’une propagation de la crise actuelle, contrairement à ce que l’on avait, au départ, supposé. Toutefois, l’Asie et l’Amérique latine connaissent, dès 2009, une reprise relativement rapide, liée au redémarrage de leur demande intérieure tirée par les politiques monétaires et budgétaires expansionnistes pratiquées par les gouvernements, à la hausse de la productivité et des salaires, et à l’essoufflement des sorties de capitaux liées aux réappréciations de risque. Cette reprise semble d’ailleurs profiter essentiellement aux producteurs domestiques, sans reprise des importations. Deux éléments jouent dans ce sens : d’une part, la production destinée à la consommation domestique et celle destinée à l’exportation n’incorporent pas les mêmes consommations intermédiaires ; d’autre part, les sorties de capitaux enregistrées au cours de l’année 2008 ont entraîné une dépréciation des taux de change à l’origine d’un renchérissement des importations. Dans ces conditions, la reprise enregistrée par les pays émergents place d’ailleurs les pays du Nord dans une situation délicate : la demande d’exportations qui leur est adressée reste peu importante ; la compétitivité des pays émergents, améliorée encore par les dépréciations récentes subies par leurs monnaies, alimente les incitations à délocaliser les productions ; enfin, on ne peut exclure un redémarrage à la hausse des prix des matières premières, en lien avec la croissance des pays émergents11. Pour ce qui concerne les soldes de balance courante, si cet enchaînement est validé, les déséquilibres pourraient, en revanche, se réduire durablement : les taux de croissance relativement élevés des pays émergents iraient de pair avec l’essor de leur demande interne, et ceux relativement faibles des pays du Nord avec la compression de la demande d’importations (il suffit ici d’observer le redressement spectaculaire du solde de la balance courante des États-Unis à partir de 2007, graphique 36_Ref239822250 p. 274REF _Ref239822253).


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Graphique 55 : Évolution comparée de quelques indices boursiers, 2000-2009, base 100 en janvier 2000
Le second trait commun aux périodes précédant la crise de 1982 et celle de 2007-2009, outre la surliquidité des marchés de capitaux internationaux, est la faiblesse relative du rendement des placements conventionnels, principalement liée, dans le premier cas, au ralentissement de l’activité économique dans les pays du Nord ; et dans le second cas, au très bas niveau des taux d’intérêt « sans risque ». En conséquence, les investissements internationaux se sont massivement portés, au cours de la décennie 1970, sur les pays en développement ; et au cours de la décennie 2000, sur les produits financiers complexes. On peut d’ailleurs noter que, dans ce dernier cas, le maintien de la géographie des flux de capitaux établie, c’est-à-dire spécifiant les pays du Nord comme principale destination de l’épargne mondiale (encadré 62_Ref240443765 p. 312REF _Ref240443768), s’est fait en dépit d’un différentiel de rendement extrêmement important : ainsi, entre 2003 et 2007, les principaux indices boursiers des pays du Nord voient leur valeur doublée, alors que ceux des places émergentes sont multipliés par huit à neuf (graphique 55_Ref239908154 ci-dessus_Ref240857536). Ceci traduit une distorsion dans l’évaluation des risques respectifs des placements relativement peu risqués dans les pays émergents (en actions), et des placements plus risqués dans les pays du Nord (sous forme de produits financiers complexes).
Cette relative méfiance des investisseurs internationaux pour les placements dans les pays émergents a également pour corollaire une exigence de rentabilité élevée et régulière du capital des entreprises, particulièrement manifeste, par exemple, dans le cas de la France en ce qui concerne la stabilité remarquable du taux de marge des entreprises depuis la deuxième moitié de la décennie 1980 : celui-ci apparaît comme décorrelé du taux de croissance et des autres déterminants habituels de la profitabilité des entreprises (coûts et taux d’endettement de l’endettement, en particulier). Cette exigence de rentabilité, dont la généralisation coïncide avec la montée en puissance du processus de globalisation financière, est particulièrement préjudiciable en période de faible croissance, dès lors qu’elle conduit à comprimer les coûts salariaux et les investissements à long terme, et ainsi installer un ralentissement durable de l’activité, ainsi que l’illustre le cas de l’économie japonaise depuis une dizaine d’années. Dans le cas de la crise de 2008-2009, l’ampleur du désendettement des agents privés aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans la zone euro hors Allemagne (graphique 44_Ref239925588 p. 303REF _Ref240862575), si elle se poursuit, devrait effectivement s’accompagner d’une croissance modeste en raison de la compression de la consommation et de l’investissement qui en résulte. Dans ces conditions, une véritable sortie de crise ne pourrait intervenir que par suite de la remise en cause de la recherche court-termiste de rentabilité élevée, particulièrement caractéristique de la décennie écoulée. Sur ce point, le pic d’aversion au risque enregistré en 2007 et 2008 suite à l’illiquidité de segments entiers de produits financiers complexes peut avoir des effets ambigus : d’une part, les pertes finalement enregistrées sur des produits théoriquement extrêmement rentables pourraient inciter les opérateurs à se replier durablement sur des placements de plus faible rentabilité maximale, mais sans incertitude majeure d’évalution des risques ; mais, d’autre part, la baisse de rentabilité moyenne des portefeuilles (en période « tranquille »), qui en résulterait, pourrait accroître la pression sur les entreprises cotées, la rentabilité des placements en actions venant ainsi apporter une forme de compensation. Dans cette dernière hypothèse, la croissance mondiale se trouverait durablement affectée.
1 Le comité est composé comme suit : Calomiris, Campbell, Feulner, Hoskins, Huber, Johnson, Meltzer et Sachs (soit 8 voix pour) ; Bergstein, Levinson et Torres (soit 3 voix contre). Est par ailleurs votée à l’unanimité la proposition d’annulation sous condition de la totalité de la dette multilatérale des pays les plus pauvres et les plus endettés.
2 L’argument de « l’aléa moral » n’est pas nouveau. En 1945, les banquiers américains et le House Banking Commitee, hostiles à la création du Fonds Monétaire International, soutenaient que les gouvernements bénéficiant de l’aide de cet organisme seraient incités à mener des politiques « laxistes ». Ils menèrent, sans succès, des campagnes contre la ratification par le Congrès américain de l’organisation internationale prévue dans le Traité de Bretton Woods. Le même argument sera avancé par certains Gouverneurs américains lors de la discussion sur le vote de la contribution de 18 milliards de dollars que les USA devaient fournir au Fonds Monétaire International, en novembre 1998, au titre des Accords Généraux d’Emprunt.
3 Un débiteur “too big to fail” est entendu, ici, comme un pays dont le seul défaut menace directement la stabilité globale du Système monétaire et financier international ; autrement dit, dont l’incapacité à faire face à ses obligations est susceptible de provoquer une crise systémique. Cette formule est attribuée à P. Volcker, alors Gouverneur du FED, pour justifier le renflouement sur fonds publics des banques Continental Illinois et Hanover Manufacture, en 1984. Pour une formalisation appliquée à la crise russe (1998), voir 9.1.3. et [Bastidon Gilles, 2001] ; [Gilles, 2002].
4 Cette crise est révélatrice d’un aléa moral lié à un « jeu de faux-semblants » entre les autorités russes, qui feignent de respecter les conditions posées par le Fonds Monétaire International, selon les principes du “too big to fail”, et le FMI qui feint qu’elles le soient. En d’autres termes, pour le FMI, refuser de secourir la Russie, conduit à précipiter la crise, alors que, simultanément, cette aide contribue à différer les ajustements nécessaires. (Bastidon Gilles [2001])
5 De même, dans le cas des opérations de renflouement des PECO en 2008-2009, la gestion des crises associe le Fonds Monétaire International et l’Union Européenne.
6 Le G20 a été instauré en 1999 après la succession des crises financières dans les pays émergents. Le premier s’est tenu à Berlin. Siègent au G20, 18 pays (Afrique du Sud, Allemagne, Arabie saoudite, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie, Turquie) et 2 représentants de l’Union européenne (le président du Conseil et le Gouverneur de la BCE). Les pays membres du G20 représentent 87 % du PIB mondial et 65 % de la population de la planète.
7 La définition d’un « paradis fiscal » de l’OCDE retient quatre critères : impôts insignifiants ou inexistants ; absence de transparence en matière fiscale ; absence d’échanges de renseignements fiscaux ; accueil bienveillant des sociétés écrans ayant une activité locale fictive.
8 Pour une application de ce principe à la sélectivité du renflouement des établissements bancaires en difficulté, voir encadré 69_Ref240450142 p. 328REF _Ref240644766.
9 Nous avons retenu le poids des organismes du secteur financier dans les capitalisations boursières ; et la concurrence qu’ils exercent désormais vis-à-vis des marchés de titres traditionnels par le biais des « plateformes alternatives ». On pourrait également citer, par exemple, le contrôle exercé sur les marchés de produits dérivés par les banques, qui vendent ces produits de gré à gré, et ont jusqu’à présent réussi à faire échouer les tentatives des marchés organisés souhaitant offrir les mêmes produits (encadré 70_Ref240643745 p. 331REF _Ref240643722).
10 Dans le cas des pays émergents, les causes sont spécifiques. Typiquement, la dérèglementation de l’activité financière au cours de la décennie 1990 conduit à une désintermédiation du financement de l’économie – mais le phénomène s’essouffle rapidement, à cause de l’insuffisance de l’offre de titres (privés et publics) au regard des capacités de financement disponibles au niveau domestique.
11 Selon Patrick Artus, « Le scénario le pire pour les pays de l’OCDE », Flash Économie Natixis, no 400, 8 septembre 2009.