Chapitre 6
Premières tentatives de régulations supranationales de la finance globalisée
Parallèlement à l’émergence, au cours de la décennie 1980 et au début de la décennie suivante, d’un espace financier global structuré de fait par les décisions de politique économique (politique monétaire, politique budgétaire, politique de change) prises par le pays – les États-Unis – qui constitue le centre de gravité de cet espace financier, un certain nombre de tentatives de régulation supranationales se font jour.
La première problématique clef faisant l’objet de mesures publiques coordonnées, au cours des années 1980, est la dynamique des marchés de change marchéisés (6.1.). Dans ce domaine, aucune réponse véritablement satisfaisante n’est apportée à la question centrale de la coordination des interventions, du point de vue notamment du cours de change du dollar, monnaie internationale de fait. Les accords (« Accords du Plaza », « Accords du Louvre ») conclus sans structure de régulation formelle se révèlent fragiles face aux tensions exercées sur et par les décisions nationales de politique économique. Quant aux structures institutionnelles, à l’image du Système Monétaire Européen, elles sont vulnérables face aux comportements spéculatifs suscités par la faiblesse relative d’une partie des monnaies faisant partie du dispositif. Les notions théoriques de « zones cibles » (Williamson) et de taxe internationale sur les opérations de change (Tobin), bien que largement débattues, ne feront finalement pas l’objet d’une mise en œuvre véritablement conforme au principe : ainsi, le Système Monétaire Européen diffère sur plusieurs caractéristiques essentielles de la théorie des zones cibles ; quant à la « Taxe Tobin », bien que toujours d’actualité, elle suscite la réticence de nombreux gouvernements.
Simultanément à la problématique des marchés de change, et en liaison avec celle-ci, le caractère récurrent pris dès la seconde moitié de la décennie 1980 par la crise du financement extérieur des pays en développement (6.2.) conduit à coordonner, sous l’égide du Fonds Monétaire International qui donne son aval préalable, les processus de traitement de dette. L’acteur central de ces processus de traitement est le « Club de Paris », qui renégocie les dettes publiques bilatérales, lesquelles constituent une partie substantielle des financements extérieurs des pays les plus pauvres. Le « Club de Londres » intervient – éventuellement – ensuite, pour la renégociation des dettes détenues par les créanciers privés. Malgré la mise en pratique, à partir de la fin de la décennie 1980, du principe de réduction du montant total des créances détenues sur les pays dont l’insolvabilité ne fait aucun doute, la litanie des dates des accords négociés (tableau 20 ci-dessous) ne laisse aucun doute sur l’insuffisance des moyens mis en œuvre par rapport à l’ampleur du problème de la dette des pays les plus pauvres. Toutefois, un sous-groupe de pays, les « marchés émergents », ayant rapidement retrouvé un accès satisfaisant aux financements extérieurs privés, semble profiter des opportunités offertes par la globalisation financière, bien que la sensibilité aux réappréciations de risque des investissements dont ils font l’objet pose problème.
Tableau 20 : Opérations de traitement de la dette des pays en développement, 1980-1998, en millions de dollars
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Source : Banque Mondiale
Cette instabilité, et, plus généralement, le caractère surdéterminant des épisodes de déstabilisation touchant la sphère financière par rapport au fonctionnement de la sphère réelle, constituent d’ailleurs un enjeu global (6.3.). Le cadre micro-économique standard de la Théorie de la finance ne permet plus d’appréhender les comportements des agents, ce qui explique en partie les difficultés à les infléchir par des mesures de politique économique. Il en résulte, au niveau macro-économique des économies domestiques, de véritables « crises de globalisation » (c’est-à-dire, successivement, mimétiques puis systémiques). Les gouvernements des pays du Nord tentent de répondre à ces externalités par la concertation, dans le cadre privilégié du G5, puis du G7/8 et du G20, ce dernier consacrant l’intégration des pays émergents à ces sommets internationaux.
La dynamique des marchés de change : recherche de modalités d’intervention publique coordonnée
Dans la seconde moitié de la décennie 1980, plusieurs axes de réflexion dans la problématique de la dynamique des marchés de change en régime de flottement se dégagent. En premier lieu, la tentative de régulation coordonnée issue des « Accords du Plaza » et des « Accords du Louvre » illustre, simultanément, la difficulté à coordonner les interventions des Banques centrales, et l’insuffisance croissante des ressources dont elles disposent dans leurs interventions sur les marchés de change (6.1.1.). Par ailleurs, la notion de « zone cible », définie par Williamson, suppose une règle d’intervention rigoureusement définie, à même de régler les problèmes de coordination – le fonctionnement du Système Monétaire Européen se rapprochant de ce principe (6.1.2.). Enfin, la Taxe Tobin, qui fait toujours débat actuellement, suppose d’intervenir non plus sur les mécanismes de fixation des prix (les parités), mais sur les volumes de capitaux échangés sur les marchés de change, en diminuant la rentabilité des opérations non motivées par une contrepartie commerciale (6.1.3.).
Les « accords du Plaza » et « du Louvre » : un cadre de régulation fragile
Durant les premières années d’appréciation du dollar, apparentée à un vote de confiance des marchés en faveur de la politique de R. Reagan, l’Administration américaine donna l’impression d’une « douce négligence » (“benign neglect policy”). L’érosion de la compétitivité et les pressions en faveur de mesures protectionnistes afférentes, ont alors permis de reconsidérer les avantages prêtés au « dollar fort », a fortiori dans un contexte d’inflation maîtrisée, ouvrant une période de flottement géré (“dirty floating”). Les gouvernements des pays industrialisés ont cherché à ramener (et à maintenir) le dollar à des niveaux plus réalistes, objectif des « Accords du Plaza » (22 septembre 1985) où les ministres des Finances du G5 appellent à une appréciation des devises concernées par rapport au dollar, grâce à l’intervention des Banques centrales (graphique 32 ci-après), assortie d’un engagement des États-Unis à réduire leur déficit budgétaire.
Ces accords sont complétés par les « Accords du Louvre » (22 février 1987) au terme desquels est fixée comme priorité, pour les pays du G5 plus le Canada, la réduction des déséquilibres (excédents ou déficits), notamment par les ajustements de change nécessaires comparativement aux fondamentaux (i.e. un dollar pour 1,80 DM et pour 150 yens, environ), dans un cadre de coopération internationale. L’absence de correction du déficit courant américain et la recrudescence des anticipations inflationnistes engendrent, alors, des anticipations de hausse des taux. Lorsque celles-ci furent validées par la hausse des taux allemands (octobre 1987), les États-Unis dénoncèrent une violation des accords.


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Sur la période représentée, la progression du volume des réserves de change des Banques centrales mondiales est linéaire. Dans le même temps, le ratio de ces réserves par rapport aux flux quotidiennement échangés sur les marchés de change, dont la progression est exponentielle, connait une évolution extrêmement défavorable. Sans compter les stocks d’or, ce ratio est, en effet, de presque 15 % en 1977 – au cours des trois années qui suivent, sa valeur est divisée par trois. Entre 1980 et 1986, il continue à diminuer de manière régulière pour se stabiliser ensuite autour de 1 %. Sans expliquer totalement la relative impuissance des autorités publiques à infléchir le cours de leurs monnaies sur les marchés de change, ce constat donne à penser que, dès le début des années 1980, l’efficacité des interventions des Banques centrales passe sans doute principalement par les effets d’annonce qui en résultent.
Graphique 32 : Évolution des réserves de change mondiales par rapport aux marchés de changes, 1977-1995, en milliards de dollars et en %
Ces tensions sur les marchés financiers marquent, alors, la fin d’une période caractérisée par la conjonction de la décélération du rythme de l’inflation (désinflation) et de la hausse des taux d’intérêt nominaux (les taux d’intérêt réels restant quasiment inchangés) qui avait provoqué, dès 1982, une envolée boursière, les cours étant, en cinq ans, multipliés par 4 au Japon, 3,5 au Royaume-Uni et en France, 3 aux États-Unis et en RFA [Guillaume, Delfaud alii, 1992, 407], initiant une « bulle spéculative » qui éclate en octobre 1987. En effet, la chute de Wall Street (le 19 octobre 1987, le fameux « lundi noir » où l’indice Dow Jones baisse de 22,6 %) et la contagion sur les autres places financières provoquèrent un Krach boursier.
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Dans l’exemple de la France, le parallèle entre la convergence du taux d’inflation autour de 2 à 3  % et le maintien durable du taux d’utilisation des capacités de production en dessous de 85  % (exceptions faites des années 1988 à 1991) apparaît nettement.
Graphique 33 : Taux d’inflation et d’utilisation des capacités de production, France, 1978-1995, en %
Mais l’injection massive de liquidités par les Banques centrales permet la reprise des marchés, notamment boursiers, efface rapidement ce krach et éloigne le spectre de 1929, n’affectant pas, ainsi, la poursuite de la désinflation des pays industrialisés favorisée par la baisse du prix des matières premières et la modération des revendications salariales, et accélérée par la récession de même que par les capacités excédentaires de production1 (graphique 33 ci-dessus). En effet, conjuguée aux effets différés du contre-choc pétrolier2, la détente monétaire allait contribuer à relancer l’activité mondiale en 1988-1989 et favoriser la poursuite de la dépréciation du dollar. Les mesures de redressement budgétaire prises aux États-Unis interrompirent ce mouvement de baisse, les interventions massives des Banques centrales jointes aux effets différés de la faiblesse du dollar sur les comptes extérieurs US furent couronnées de succès.
Débat autour du « cours de change optimal » du dollar, monnaie internationale de fait
Cette décision de coordination des taux de change prise par le G7, à partir de septembre 1985, lors des Accords du Plaza, du sommet de Tokyo (5-6 mai 1986) et, plus encore, des Accords du Louvre (février 1987), afin d’éviter, respectivement, une envolée du dollar non justifiée par les fondamentaux (« l’incitation au repli ordonné », “soft landing”) et un « atterrissage en catastrophe » (“hard crashing”) par la suite, la baisse du « billet vert », initiée deux ans plus tôt, menaçant d’échapper à tout contrôle, a été, largement, inspirée par l’analyse de J. Williamson [1984] relative à la mise en place de « zones cibles » (target zones).
La proposition d’un système de zone cible consiste, précisément, à passer d’une stratégie de type « égoïste » (i.e. les politiques de “benign neglect”) à une recherche d’accords incluant les phénomènes d’interdépendance des économies. Plus précisément, l’analyse de Williamson vise à définir, pour chaque monnaie, un taux de change effectif d’équilibre fondamental3 « susceptible de générer au cours du cycle un excédent ou un déficit du compte courant égal au flux de capitaux sous-jacents correspondant au meilleur niveau d’équilibre interne que peut obtenir le pays en l’absence de restrictions commerciales pour raison de balance des paiements ». Ces taux effectifs « ciblés », qui peuvent être des taux de changes réels ou nominaux (comme pour le SME), servent, alors, de base au calcul des taux bilatéraux fondamentaux d’équilibre, éléments centraux des plages de variations (+/- 10 %) à l’intérieur desquelles évolueraient les parités, ce qui distingue, fondamentalement, une « zone cible » d’un régime de change fixe pur.
Considérant les différentiels d’inflation entre les pays, cela implique, constamment, une parité centrale pour le taux de change nominal et une plage correspondante, les gouvernements maintenant leur taux de change, au sein de la plage, par des interventions sur les marchés des changes internationaux via leur politique monétaire ; l’idée selon laquelle ces interventions peuvent générer des anticipations stabilisatrices sur le taux de change, provenant de J.M. Keynes [1930]. Les réalignements périodiques, devant être entrepris avant d’atteindre les extrémités de la plage, préviendraient alors le risque d’attaques spéculatives (point B schéma 5 ci-dessous).
En conséquence, la proposition de Williamson diffère du fonctionnement du SME sur deux points principaux : d’abord, par rapport à l’ampleur des marges de fluctuation (plus larges que les +/- 2,25 % du SME d’avant 1993, et plus étroites que les +/- 15 % d’après la crise) qui renvoie à la question de l’arbitrage entre autonomie et discipline monétaires ; ensuite, par la nécessité de lever les plages avant d’atteindre les extrémités, si la faiblesse d’un taux de change résulte d’un problème de compétitivité, et par la possibilité d’une suspension lorsque cette faiblesse traduit une spéculation non justifiée par les fondamentaux (point A schéma 5 ci-dessous). Cette précaution permet d’éviter que les problèmes de compétitivité, quand le bas de la plage est atteint, offrent aux agents une opportunité d’attaque spéculative sur la parité. L’amortissement consistant, pour les autorités, à ignorer la plage lors d’une attaque non basée sur des causes sérieuses, leur donnerait la possibilité de laisser le taux se déprécier plutôt que d’augmenter les taux d’intérêt, assurant ainsi la pérennité du système.


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Les segments en noir représentent les frontières de la bande de fluctuation souhaitée, la portion pointillée figurant la suspension provisoire de la frontière inférieure liée à une attaque spéculative de la monnaie à la baisse, sans lien avec les fondamentaux. Les segments en gris représentent la parité centrale, et la courbe le cours de change de la monnaie considérée cotée au certain, par rapport à une devise de référence.
Schéma 5 : Illustration graphique du principe de « zone cible »
En effet, lorsqu’il apparaît évident, pour les spéculateurs, que les autorités ne modifieront pas leur stratégie économique en réaction à l’attaque, le taux de change devrait se rétablir et retourner dans la plage, les agents étant privés de l’opportunité d’un « aléa moral ». Ce système de flottement contrôlé permet, ainsi, de poser le cadre d’un partage des responsabilités et d’une cogestion globale dans les domaines monétaire et financier afin de favoriser la stabilité du système de financement international.
Cette dernière pouvait, à l’époque, s’apparenter à un « bien public » international, qu’un « juge/arbitre », le Fonds Monétaire International ou la BRI, garantirait en sanctionnant tout comportement national « déviant » de free riding. Toutefois, la mise en place de « zones cibles » entre le dollar, l’euro et le yen suppos(er)ait le respect de deux conditions, toujours non satisfaites aujourd’hui : d’une part, la réduction des déséquilibres internationaux, en l’occurrence le déficit extérieur des États-Unis comparativement aux excédents extérieurs du Japon et de l’Europe, de même que, actuellement, des pays émergents, qui peuvent nourrir des distorsions de taux de change et de flux de capitaux ; d’autre part, l’amélioration de la coordination internationale des politiques économiques des pays membres du G8 voire du G20, bien difficile à trouver durant cette période de plans de relance massifs, nationaux et non concertés, comme réponses désordonnées à la crise de 2008-2009.
La « taxe Tobin », ou le principe d’un contrôle directement exercé sur les volumes échangés sur les marchés de change
D’autres propositions ont été avancées afin de mettre « un grain de sable dans les rouages bien huilés de la finance internationale » et, ce faisant, réduire l’ampleur des « bulles spéculatives » de même que des risques de contagion. La plus connue, celle de J. Tobin [1978], remise à l’honneur lors de la crise du SME de 1993, revêt deux objectifs : d’une part, faire en sorte que les taux de change reflètent les éléments fondamentaux des économies, afin de réduire la volatilité spéculative ; d’autre part, préserver l’autonomie des politiques nationales de la « dictature des marchés ».
En d’autres termes, sa proposition vise à encourager la stabilité financière en imposant la spéculation via une taxe mondiale sur les profits réalisés lors des transactions au comptant (spot) sur les marchés des changes (ou à imposer aux banques de constituer des réserves non rémunérées proportionnées à leur position de change ouverte, particulièrement d’actualité…), afin de décourager les « aller-retour » sur les devises à finalité « purement » spéculative, en reproduisant certains effets des contrôles des capitaux… dans un contexte de globalisation financière. Au taux de 0,2 %, Tobin évalue que le coût du transfert s’élèverait, par an, à 2,4 % si l’opérateur conserve la devise pendant un mois, à 10 % si la position est close au bout d’une semaine, et à 48 % s’il réalise un « aller-retour » quotidien.
Encadré 40 : L’analyse chartiste sur les marchés de change : illustration et conditions de validité
Le cours du Franc Français, représenté ici, illustre bien les conditions de validité de l’analyse chartiste. Les deux graphiques ci-dessous portent, respectivement, sur la période 1979-1985 (graphique supérieur) et sur la période 1979-2001 (graphique inférieur).
Les méthodes chartistes sont généralement basées sur l’existence de régularités statistiques dans l’évolution du cours des actifs : en d’autres termes, si l’on arrive à déterminer les propriétés statistiques de la série, on peut en prévoir par extrapolation les valeurs futures. Dans notre exemple, entre 1981 et 1985, la série progresse de manière linéaire, avec une volatilité stable : on peut donc l’encadrer entre deux segments parallèles (graphique supérieur). Au cours de cette période, les opérateurs raisonnant dans une logique chartiste anticipent donc que les valeurs futures de la série se situeront dans le prolongement de la bande définie par la ligne de support (ligne inférieure) et la ligne de résistance (ligne supérieure).


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Toutes les opérations spéculatives consistant à parier sur l’appréciation du dollar par rapport au franc seront donc gagnantes – tant que la tendance reste vérifiée. Lorsque se produit une rupture, constatée ici en 1985 (graphique inférieur), les prévisions non vérifiées des opérateurs entraînent des pertes systématiques, amplifiées s’ils ne liquident pas immédiatement leurs positions en espérant un retour à la tendance précédente.
En pratique, les méthodes chartistes sont extrêmement diverses et généralement beaucoup plus élaborées sur le plan technique que l’exemple présenté ici, mais elles ont en commun de reposer sur l’anticipation d’une poursuite des régularités dégagées à partir des observations passées. En conséquence, leur usage amplifie les mouvements haussiers (achat pour revente ultérieure de l’actif) comme baissiers (liquidation des actifs en portefeuille). Les projets de mise en œuvre de la Taxe Tobin avaient, notamment, pour objectif de limiter l’ampleur de ce type de mouvements de capitaux en introduisant un prélèvement les rendant insuffisamment rentables.
Ceci rehausserait la capacité des décideurs à se défendre contre des attaques spéculatives et aiderait à concilier la stabilité des taux de change et l’autonomie politique nationale. En effet, les spéculateurs seraient moins enclins à lancer des attaques contre des monnaies (voire des places financières) stables (crédibles), s’ils doivent s’acquitter d’une taxe pour « entrer et sortir ». Plus précisément, même si cette méthode ne peut permettre de défendre, indéfiniment, des taux de change (des cours boursiers) surévalués, la probabilité d’attaques non motivées par des déséquilibres sérieux diminuera. En outre, cette taxe permettrait, aux Banques centrales, de reconquérir une certaine autonomie monétaire (financière) face aux marchés financiers privés, puisqu’elles seraient moins exposées au danger de fluctuations brutales du taux de change (des cours boursiers).
Pour être efficace, cette stratégie doit être, à l’instar des réglementations prudentielles et de la lutte contre les « paradis fiscaux », universelle, la taxe devant concerner toutes les juridictions avec un taux uniforme sur tous les marchés, afin d’empêcher les agents financiers de déplacer leurs opérations de change vers des places offshore (afin d’éviter qu’aux « paradis fiscaux » s’ajoutent, ou se substituent, des « paradis prudentiels »). En conséquence, cette mesure doit être mise en œuvre par une Institution multilatérale, telle que la BRI ou le FMI, autorisée à définir le taux de la taxe dans certaines limites, et nantie de pouvoirs de sanction pour les pays « déviants ». Des évaluations ont été effectuées,… en 1998, par la CNUCED [Programme des Nations Unies pour le Développement, PNUD, Rapport sur le développement humain, 1998], à la fois sur le rendement de la Taxe Tobin et sur son utilisation. En tablant sur 1 000 milliards de dollars par jour, imposés à 1 %, la Cnuced évaluait la recette globale à 720 milliards de dollars par an, et, au taux de 0,2 %, à près de 180 milliards de dollars, soit, en 1998, deux fois plus que la somme nécessaire pour éradiquer la pauvreté extrême dans le monde en cinq ans, il y a dix ans…
La problématique de la dette souveraine : un thème récurrent
Les Clubs « de Paris » (6.2.1.) et « de Londres » (6.2.2.) constituent, respectivement, les enceintes de renégociation des dettes souveraines contractées auprès de créanciers publics bilatéraux, et de créanciers privés (pour le détail de la décomposition des types de dette en fonction de l’emprunteur et du créancier, voir tableau 11 p. 152). À la fin des années 1980, il apparaît que nombre de défaillants au moment de la crise de la dette de 1982 sont toujours caractérisés par un stock de dette excédant leur capacité de remboursement, et un rationnement du crédit privé. Au contraire, les futurs « marchés émergents », ayant restauré assez rapidement leur réputation auprès des investisseurs internationaux, ont à nouveau accès aux financements extérieurs privés (6.2.3.).
Le « Club de Paris » : un acteur majeur du processus de traitement des créances insoutenables
Fondé en 1956 à l’occasion de la crise de la dette argentine survenue cette même année, le Club de Paris réunit les principaux États créanciers, pour négocier avec le gouvernement du pays débiteur. Le Club de Paris est une enceinte informelle de réunion, dont la présidence et le secrétariat permanent sont assurés par le Trésor français. Il compte 19 membres permanents. Les pays créanciers ne faisant pas partie de ce groupe peuvent être invités à prendre part aux réunions, en fonction de la proportion de créances qu’ils détiennent sur le débiteur. Le Club de Paris se réunit pratiquement tous les mois, pour des questions d’endettement d’ordre général qui sont traitées entre membres permanents, et pour l’examen des demandes déposées par les États débiteurs.
Au cours de ces réunions, le Club de Paris examine la situation d’endettement bilatéral des pays qui en font la demande. Ces pays doivent obligatoirement avoir signé au préalable un accord avec le Fonds Monétaire International, ce qui leur permet de bénéficier d’un prêt multilatéral, et surtout garantit aux créanciers que la politique économique mise en œuvre est de nature à améliorer leur capacité de remboursement4. Les négociations menées dans le cadre du Club de Paris aboutissent à un accord fixant les éléments suivants :
- Le taux de couverture, qui est le pourcentage de la dette concernée. Seule la dette à moyen et long terme est prise en considération, et le taux de couverture est habituellement compris entre 50 et 100 %.
- La période de consolidation, lorsque le traitement de dette réalisé est un traitement de flux (encadré 41 ci-dessous) : dans ce cas, seules les échéances dues aux créanciers au cours de cette période sont traitées.
- La “cut off date”, qui est la date limite de prise en compte des prêts. Les crédits accordés ultérieurement à cette date ne sont pas pris en considération.
- Les délais et termes de remboursement (période de remboursement, à laquelle est généralement associée une période de grâce). Le taux d’intérêt sur la dette renégociée ne fait pas partie des éléments de l’accord : il est fixé ensuite sur une base bilatérale, en fonction des conditions de marché.
Lorsque l’accord cadre multilatéral est signé, des accords bilatéraux de mise en vigueur des mesures retenues sont réalisés avec chacun des créanciers, en respect du principe de non-discrimination entre les créanciers : en effet, un pays dont la dette fait l’objet d’un accord avec le Club de Paris s’engage à obtenir des conditions de restructuration comparables de la part de ses autres créanciers extérieurs (créanciers bilatéraux non membres du Club de Paris et n’ayant pas participé aux négociations, et créanciers privés).
Encadré 41 : Le traitement des dettes souveraines par le Club de Paris : « traitement de flux » et « traitement de stock »
Le traitement des dettes dans le cadre du Club de Paris peut concerner, alternativement, une partie du stock de dette, identifié en fonction de la date des échéances correspondantes (« traitement de flux »), ou la totalité de ce stock (« traitement de stock »).
Le traitement de flux
Les traitements des flux sont associés à un accord conclu avec le Fonds Monétaire International pour une période donnée, au cours de laquelle les flux de capitaux entrants (revenus des exportations, réserves, revenus des actifs étrangers, Investissements Directs Étrangers [IDE], prêts et subventions) ne suffisent pas à faire face au besoin de financement extérieur (paiement des importations, service de la dette et bénéfices des Investissements Directs Étrangers). En règle générale, la période de consolidation correspond à celle couverte par l’accord avec le Fonds Monétaire International – en d’autres termes, seules les dettes dont les échéances sont dues au cours de cette période sont examinées. Si les arriérés accumulés au cours des mois précédant immédiatement l’ouverture des négociations représentent des montants jugés importants, toutefois, le stock de dette correspondant à ces arriérés peut être réintégré aux montants pris en considération.
Le traitement de stock
Mis en place à partir de 1995, le traitement de stock s’applique à l’ensemble du stock de dettes, quelles que soient les dates d’échéances correspondantes. Il s’agit alors de fournir un traitement définitif.
Ce traitement de stock s’applique dans deux situations :
- Au cas par cas, pour les pays dont l’historique de performances est jugé satisfaisant par le Club de Paris et par le FMI. Dans ce cas, les créanciers estiment ne pas avoir besoin de la contrainte d’incitation associée au traitement exclusif des dettes arrivant à échéance au cours d’une période de temps limitée.
- Le traitement de stock est également associé à la mise en œuvre de l’initiative « pays pauvres très endettés » (« PPTE »). Cette initiative, lancée en 1996 par le Fonds Monétaire International et la Banque mondiale et relancée en 1999 (« initiative PPTE renforcée »), a pour but d’appréhender de manière globale la question de la dette des pays les plus pauvres5, face au constat d’échec des mesures de traitement précédemment mises en œuvre (tableau 21 ci-dessous). Actuellement, le Club de Paris, dans le cadre de la mise en œuvre de l’initiative PPTE, joue aux côtés des Institutions Financières Internationales un rôle majeur dans la réduction de la dette des pays les plus pauvres (voir également encadré 45 p. 228REF _Ref239388163).
Tableau 21 : Dette extérieure en pourcentage du PIB : une comparaison entre les PPTE et autres pays en développement
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Source : Banque Mondiale
Au cours des années 1980, la situation d’endettement de la majorité des pays en développement, néanmoins, s’aggrave dans la mesure où les intérêts rééchelonnés se capitalisent. La crise de solvabilité frappant certains pays nécessite alors une redéfinition de la stratégie de gestion de la dette. À partir de 1989, le Club de Paris met ainsi en œuvre des régimes de rééchelonnement de dettes à plus long terme, incluant un élément d’annulation pour les pays les plus pauvres. Ainsi, le niveau de réduction de la dette contractée à des conditions de marché est passé de 33,33 % en 1988 (« termes de Toronto ») à 50 % en 1991 (« termes de Londres »), 50-67 % en 1995 (« termes de Naples »), 80 % en 1996 (« termes de Lyon ») et 90 % ou plus si nécessaire dans le cadre de l’initiative PPTE (« termes de Cologne »).
Le « Club de Londres », ou la difficulté de coordonner les décisions des créanciers privés
La restructuration des dettes est beaucoup plus complexe à mettre en œuvre dans le cas des créanciers privés qu’elle ne l’est dans le cas des créanciers bilatéraux. En effet, chacun des créanciers privés d’un État doit approuver l’accord pour qu’il puisse être mis en vigueur – or, dans le cas des eurocrédits syndiqués, il y a couramment plusieurs centaines de créanciers.
Le Club de Londres est le cadre dans lequel se déroule la renégociation entre les gouvernements débiteurs et les banques créancières. Les groupes de créanciers, habituellement qualifiés de « commissions consultatives », se réunissent alternativement à New York, Londres, Paris, Francfort, ou ailleurs selon les préférences des parties prenantes, à la différence du Club de Paris dont les réunions ont toujours lieu à Paris. Comme dans le cas du Club de Paris en revanche, seules les dettes à moyen terme et long terme sont considérées. Il arrive toutefois exceptionnellement que la dette à court terme fasse l’objet d’une renégociation, si les montants d’arriérés accumulés sont très élevés. Par ailleurs, les restructurations ne portent habituellement que sur les échéances en principal d’une période donnée. En principe, les intérêts dus ne sont jamais rééchelonnés et doivent être versés au jour le jour.
Le déroulement des négociations suit la procédure mise en œuvre lors de la première réunion du Club de Londres, en 1970, entre le gouvernement des Philippines et ses créanciers privés. Les banques commerciales créancières forment un groupe composé d’une douzaine de membres, représentant les créanciers les plus lourdement engagés. La composition de ce comité doit également prendre en considération la nationalité des banques créancières, de manière à ce qu’il soit tenu compte de toutes les contraintes légales et fiscales qui leur sont particulières. Le comité négocie alors un accord de principe avec le gouvernement du pays débiteur. Cet accord est signé après avoir recueilli l’approbation de l’ensemble des créanciers et entre en vigueur une fois remplies les conditions préalables, notamment le paiement des frais et arriérés.
Comme dans le cas des négociations au Club de Paris, les commissions consultatives demandent de manière habituelle aux pays débiteurs de bénéficier du soutien du FMI, avant de solliciter un rééchelonnement ou faire une requête d’argent frais. De manière exceptionnelle, les commissions consultatives peuvent donner suite à un projet sans l’aval du FMI, si les banques sont convaincues que le pays mène une politique adéquate.
Encadré 42 : Les renégociations de dette des pays d’Afrique sub-saharienne au Club de Londres au cours de la décennie 1980
Au cours de la période 1980-1989, 39 accords sont conclus entre les gouvernements d’Afrique sub-saharienne et le Club de Londres, avec pour conséquence un rééchelonnement de plus de 50 % des créances détenues par des créanciers privés. En 1989, le Club de Paris possède 14 % (sur un total de 24 milliards de dollars) de la dette extérieure de l’Afrique sub-saharienne. Ce montant total de dette est très inégalement réparti, puisque le Nigéria et la Côte-d’Ivoire en possèdent 55 %. Cependant, la plupart des pays de la zone dépendent des créanciers privés pour le financement à court terme des importations, d’où la nécessité impérative de solliciter le Club de Londres pour la renégociation des dettes présentant des arriérés de paiement. Le tableau 22 ci-dessous illustre cet impératif : en effet, bien que le montant de dette privée contractée par les gouvernements d’Afrique sub-saharienne soit relativement peu important y compris dans le cas des plus « gros débiteurs », onze d’entre eux font l’objet de quatre accords de renégociation ou plus sur une période de neuf ans, certains de ces accords intervenant d’ailleurs avant même la survenue de la crise de 1982.
Tableau 22 : Accords de rééchelonnement de dettes conclus par les pays d’Afrique sub-saharienne, 1980-1989
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Source : Club de Paris
Ce tableau illustre par ailleurs la prépondérance de la dette publique (ici bilatérale) dans le stock de dette accumulé par les pays les plus pauvres, de même qu’il dresse un constat d’échec de la stratégie de rééchelonnement des dettes mise en pratique jusqu’à l’« initiative Brady » : en effet, un pays cumule 12 opérations de rééchelonnement sur la période 1980-1989 (Zaïre), tous créanciers confondus, et dix d’entre eux entre quatre et neuf opérations. Dans ces conditions, on comprend mieux le principe de réduction de dette comme traduction opérationnelle du constat d’insolvabilité de la majeure partie des pays en développement.
Au cours de la première moitié de la décennie 1980, puis dans le cadre de la mise en œuvre de l’initiative Baker (encadré 34 p. 165REF _Ref238196442), les accords conclus dans le cadre du Club de Londres associent rééchelonnement et « apport d’argent frais », permettant de poursuivre les remboursements. Certains accords spécifient également le maintien des lignes commerciales à court terme. On parle de « prêts concertés », chaque banque étant habituellement tenue de contribuer au nouvel apport en fonction de la proportion de créances qu’elle détient sur le pays débiteur. Toutefois, dès la fin de la décennie 1980, comme pour ce qui concerne la dette bilatérale, les problèmes de solvabilité avérés de certains débiteurs conduisent les « commissions consultatives » à restructurer en réduisant le montant de la dette renégociée. Ces réductions de dette sont généralement mises en œuvre sur la base d’un menu d’options de type « Brady », parmi lesquelles les rachats de dette, les échanges de dettes contre actifs, et les échanges de dettes contre des dettes de nature différente (pour le détail de ces options voir section 5.3.3.).
Une problématique scindée, entre rationnement du crédit et émergence
Les caractéristiques du financement extérieur des pays en développement au début des années 1990 reflètent le phénomène de désintermédiation, avec pour corollaire la prédominance d’une logique court-termiste dans les décisions d’investissements, qui affecte les marchés de capitaux internationaux dans leur ensemble. Il s’agit, en effet, majoritairement d’investissements de portefeuille, dont le volume double entre 1990 et 1995 ; et d’investissements directs, dont la croissance est cependant moins rapide. L’augmentation des flux provenant des autres sources de financement, qu’ils soient privés, obtenus par le biais de prêts bancaires, ou publics, n’est pas significative. Les flux non générateurs de dette, c’est-à-dire les titres de propriété (actions), prennent une importance croissante (tableau 23 ci-après). Ce point est essentiel du point de vue de la capacité des débiteurs à résister à des incidents de conjoncture : les versements impliqués par les investissements en actions sont contingents par rapport à la situation économique du pays qui les reçoit.
Cet afflux de capitaux peut être expliqué simplement en termes d’analyse risque-rendement : dans cette perspective, le rendement élevé des titres émis par certains pays en développement au début de la décennie 1990 justifie l’inclusion d’une proportion de ces titres dans un portefeuille d’obligations à risque faible mais à rendement inférieur, selon une analyse de type Markowitz. En pratique, seuls les marchés émergents présentent un couple rendement-risque intéressant, dès lors que leurs taux de croissance sont relativement plus élevés que ceux des autres pays en développement, et que l’environnement économique qui les caractérise est porteur d’un degré de risque global plus acceptable. Pour ces raisons, la décennie 1990 consacre la scission de la problématique du financement extérieur des pays en développement, les marchés émergents se détachant comme sous-groupe distinct caractérisé par une contrainte spécifique : le problème clef n’est pas ici, le rationnement du crédit, mais la volatilité des flux de capitaux entrants – avant même que ne surviennent les crises de la deuxième moitié de la décennie, le rapport défavorable entre investissements de portefeuille, relativement surpondérés, et investissements directs étrangers, relativement sous-pondérés, augure mal de la capacité à éviter des retraits de capitaux déstabilisants en cas de réappréciation des risques par les investisseurs internationaux.
Tableau 23 : Ressources à long terme des pays en développement (milliards de dollars), 1990-1995
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Source : Banque Mondiale
Dans le détail géographique, le doublement du volume des capitaux privés à destination des pays en développement durant les cinq premières années de la décennie 1990 est très inégalement réparti. Les pays dits « émergents » d’Amérique latine et d’Asie attirent, en effet, 80 % du total. Au contraire, les flux de capitaux en direction de l’Afrique sont constitués pour les trois quarts de capitaux publics, qui ne représentent que 3 % de ce même total dans le cas, par exemple, de l’Amérique latine, selon un schéma que préfiguraient les formes du financement extérieur des pays en développement au cours des deux décennies précédentes.
Par ailleurs, pour les débiteurs dont la situation est la plus défavorable, l’accès minimal aux marchés de capitaux internationaux passe nécessairement par la conditionnalité des Institutions Financières Internationales, avec pour conséquence un mode d’« ajustement » dont les traits induits peuvent être à l’origine de la persistance dans le temps de ce même ajustement. Par exemple, la priorité donnée aux secteurs d’activités immédiatement générateurs de recettes d’exportations a pour conséquence une dépendance extrême par rapport aux cours mondiaux des produits de base. Plus généralement, la mise en œuvre de politiques d’ajustement excessivement axées sur le court terme, si elles prennent la forme d’une réduction du niveau d’investissement public, pèsent sur la croissance à venir et, donc, sur l’équilibre futur de la balance des paiements.
Encadré 43 : Pourquoi des Institutions financières internationales ?
Les Institutions Financières Internationales font l’objet de critiques récurrentes : aussi bien de la part des tenants de l’intervention en cas de dysfonctionnement des marchés financiers internationaux, en raison de la généralisation et du contenu des mécanismes de conditionnalité ; que de celle des tenants de la logique de marché, en rapport avec la trop grande importance donnée à la logique de « gestion » (par opposition à la « prévention ») des crises.
Face à ces critiques, certains auteurs, comme Rodrik [1995], se sont attachés à trouver une justification à l’existence de prêts multilatéraux, par rapport aux opportunités offertes par les financements privés et les dispositifs bilatéraux. Les objectifs cités dans les statuts des Institutions financières internationales et, en particulier, la stabilité du Système Financier International, ne constituent pas l’objet principal de l’analyse, bien que leur nature de biens publics justifie de toute manière une intervention publique. Les arguments de Rodrik sont les suivants :
- L’argument d’incomplétude des marchés financiers internationaux (“the missing market rationale”) est considéré comme irrecevable, du fait de l’élargissement des opportunités lié au processus de globalisation financière. L’éventualité de “market failures” ne légitime d’ailleurs pas l’existence de prêts multilatéraux : l’intervention publique pourrait avoir lieu au niveau bilatéral.
- Cependant, les Institutions financières internationales ont un avantage sur les dispositifs bilatéraux dans la collecte d’information sur la qualité de l’environnement macro-économique, et l’exercice de la conditionnalité – les relations multilatérales étant moins politisées. Or ces missions ne peuvent être efficacement exercées que par un organisme disposant d’une contrainte d’incitation, ce qui est le cas d’un prêteur.
En tant que dispositif de collecte d’information et de supervision, l’intervention multilatérale présente un intérêt particulier dans le cas où le financement extérieur d’un pays en développement est largement constitué de capitaux instables. Les informations dispensées par l’attitude des organismes multilatéraux jouent alors le rôle d’un stabilisateur, notamment pour éviter une propagation à des pays dont les fondamentaux sont jugés satisfaisants. Cependant, une telle justification théorique à l’existence de prêts multilatéraux ne signifie pas nécessairement que la pratique soit conforme au principe.
Dans le cadre de la conditionnalité, Rodrik trouve une différence fondamentale entre le Fonds Monétaire International et la Banque mondiale, due au fait que la seconde se finance pour partie sur les marchés financiers internationaux, ce qui lui interdit de trop s’écarter des critères standard d’éligibilité au crédit. Le Fonds Monétaire International n’est pas, lui, tenu à cette contrainte : ses décisions peuvent donc être plus « politiques » : un crédit peut être « abusivement » accordé ; un pays dont les indicateurs macro-économiques sont satisfaisants peut, également, se voir refuser l’accès au crédit.
Les résultats empiriques, portant sur les années 1970, 1980, et la première moitié des années 1990, font apparaître une validation mitigée. Ils suggèrent, en effet, que les prêts bancaires et les IDE sont nettement accélérés par l’existence de prêts bilatéraux (entre gouvernements), mais non de prêts multilatéraux (FMI et Banque mondiale). Plus précisément, les prêts Banque mondiale n’ont aucun effet, voire un effet défavorable, sur l’accès aux financements extérieurs. Dans le cas du Fonds Monétaire International, les tests ne font pas non plus apparaître d’amélioration directe. En revanche, il apparaît clairement qu’un pays ayant concentré des investissements étrangers importants est plus susceptible qu’un autre de recevoir ensuite des prêts du Fonds Monétaire International.
La synthèse avec les arguments théoriques de Rodrik fait finalement apparaître :
- Que les relations entre gouvernements restent déterminantes dans la géographie des flux de capitaux à destination des pays en développement et émergents.
- Que l’aversion au risque des investisseurs internationaux reste relativement élevée en ce qui concerne les pays les plus pauvres, puisqu’ils refusent de s’engager sur ces pays même quand leurs politiques économiques sont validées par la Banque mondiale. La crédibilité de cet organisme n’est pourtant pas en cause, puisque ces mêmes investisseurs achètent sans réticence les titres qu’il émet sur les marchés financiers.
- Enfin, que les prêts accordés par le Fonds Monétaire International, en pratique, semblent renforcer la polarisation des flux de capitaux sur un petit nombre de pays émergents, auxquels ils s’adressent en priorité, au détriment de l’essentiel des pays en développement.
Singulièrement, c’est en définitive l’échec des Institutions Financières Internationales, et particulièrement du Fonds Monétaire International, dont les avis conditionnent l’entrée en scène de tous les autres acteurs des processus de renégociations de dette (« Club de Paris » et « Club de Londres », notamment) à restaurer dans des délais suffisamment brefs la capacité des pays en développement à servir leur dette (et donc à susciter à nouveau l’intérêt des investisseurs internationaux) qui détermine l’institutionnalisation de leur ingérence dans la définition et la mise en œuvre des politiques économiques de ces pays. Plus précisément, la persistance de situations de rationnement du crédit, sans issue prévisible, à l’horizon d’une décennie après la survenue de la crise de la dette de 1982, consacre le principe d’échecs de marché (“market failures”), justifiant finalement l’intervention multilatérale généralisée dans les processus de financement extérieur des pays en développement affectés par ces échecs. En outre, les études empiriques semblent montrer que l’intervention du Fonds Monétaire International tend à renforcer la polarisation des flux de capitaux, au sein du groupe des pays en développement, en faveur des pays émergents (encadré 43 ci-dessus) : en effet, il existe une corrélation établie entre le stock d’investissements internationaux réalisés dans un pays et les montants d’intervention dont il fait l’objet. Cette corrélation, qui se comprend comme la recherche logique de stabilisation du système de financement international par l’intervention systématique sur les marchés où les investisseurs internationaux sont largement engagés, présente cependant l’inconvénient de faire pencher la balance des décisions prises par les Institutions Financières Internationales dans le même sens que celle des décisions d’allocation d’investissement privés, alors même que ces institutions devraient œuvrer dans le sens d’un rééquilibrage, selon l’objectif de « prospérité nationale [des pays sollicitant une intervention] et internationale » assigné au Fonds Monétaire International par l’article premier de ses statuts.
Quand les activités financières prennent le pas sur l’« économie réelle »
Finalement, les tentatives de régulation supranationale dans un contexte où la sphère financière prend le pas sur la sphère réelle, ainsi que l’illustre la mise en rapport des volumes d’échanges respectifs qui s’y rapportent, comportent deux principales difficultés. D’une part, il est de plus en plus difficile de peser sur les décisions d’investissement des agents économiques, qui obéissent désormais à des logiques principalement collectives : l’information prise en considération par les marchés est principalement celle qu’eux-mêmes délivrent, notamment sous forme de signaux de prix (6.3.1.). À partir de la décennie 1990, ce type de fonctionnement, quasi autonome, de la sphère financière, est d’ailleurs à l’origine de crises présentant des caractères spécifiques, dans lesquelles la réversibilité des investissements internationaux joue un rôle déterminant (6.3.2.). D’autre part, la complexité des problématiques et les controverses qui en résultent pour ce qui concerne les réponses à apporter en termes de politiques économiques renforce les difficultés de coordination rencontrées dans le cadre des sommets internationaux (6.3.3.).
Globalisation et instabilités financières sur le plan théorique : de l’équilibre walrasien à la prédominance des logiques spéculatives
La théorie orthodoxe de la Finance, qui s’inscrit dans le paradigme néoclassique, en privilégiant les concepts d’équilibre unique et de neutralité financière, dans un contexte d’efficience des marchés, d’homothétie des comportements et d’anticipations rationnelles, est inapte, de par sa nature « désocialisée » et « anhistoricisée », à donner des réponses satisfaisantes aux questions de la montée de l’instabilité financière, la nourrissant même quelquefois par les modèles de prévision en vigueur dans les salles de marché, ou par les bases de calcul de risques utilisées par les agences de notation. En outre, cette conception dominante a souvent influencé les politiques économiques dans le sens de la “free trade faith” (i.e. « la foi dans le libre échange ») ce qui explique pourquoi, pour reprendre la formule de P. Bourdieu, les décideurs publics ont, au nom de ce programme idéologique (dogmatique ?) prétendument scientifique converti en programme politique d’action, naturellement sous-estimé les coûts de la libéralisation financière en termes d’instabilité et de distorsions sur la sphère productive des économies.
Plus précisément, la vision walrasienne de l’équilibre général fonde son analyse sur un agent représentatif rationnel, l’homo œconomicus, exprimant un type unique de comportement (i.e. l’optimisation du rendement de son portefeuille comme maximisation de son utilité), indépendamment du contexte dans lequel il évolue. Ses anticipations sont fondées sur des lois économiques stables, sans prendre en compte l’existence de ses homologues, avec lesquels il n’entretient aucune relation. En d’autres termes, dans l’univers aseptisé de la reproduction automatique, sans contradiction ni conflit, l’agent n’est pas un être social. C’est sur ces hypothèses « anthropologiques » (i.e. les agents sont des êtres de besoin et des calculateurs rationnels, à la poursuite de leur intérêt individuel, sans relations à autrui), donc comportementales, que s’édifient la théorie standard des marchés efficients de même que les modèles postulant des anticipations rationnelles. En outre, ces hypothèses justifient les explications traditionnelles du fonctionnement des marchés financiers et monétaires, où la situation « normale » est une situation d’équilibre, avec un sentier d’ajustement instantané et sans coût. Donc, tout écart à l’équilibre, résultant de chocs exogènes, est, sans délai, corrigé par le marché. La rationalité des agents est telle que, non seulement, ils possèdent tous, en permanence, et en même temps (symétrie) toute l’information nécessaire et pertinente (complétude), mais ils sont capables, de surcroît, de traiter cette information sans aucune ambiguïté et de procéder aux ajustements vers l’équilibre selon un horizon temporel très court (figure 4 ci-dessous). La « philosophie générale » de cette conception est, conséquemment, que les hypothétiques défaillances du Marché seront toujours moins graves que les inévitables impérities des gouvernements.


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Dans un marché sans asymétries d’information de type walrasien (I.), la fonction d’offre est croissante et la fonction de demande décroissante en fonction des prix. L’équilibre correspond à l’unique intersection de ces deux fonctions. En cas de déséquilibre, les mécanismes de prix conduisent à un ajustement automatique. Par exemple, si l’offre est supérieure à la demande (« offre excédentaire », partie droite du graphique), la baisse du prix conduit à une diminution de l’offre et à une augmentation de la demande, donc à une convergence vers l’équilibre.
Dans un marché ne répondant pas aux hypothèses standard associées à la théorie walrasienne de l’équilibre (comportant, par exemple, des asymétries d’information) (II.), la fonction de demande reste du même type que précédemment. En revanche, la fonction d’offre est, en général, plus complexe, et présente alors plusieurs intersections avec la fonction de demande (« équilibres multiples »). Lorsque le marché s’écarte de l’équilibre, les mécanismes de prix ne permettent pas automatiquement le retour vers cet équilibre (« équilibres instables »). Ci-dessus, par exemple, on passera de l’équilibre E1 à E2 puis E3, ce qui sur le marché des fonds prêtables correspondrait à une diminution des volumes de prêt et à une augmentation des taux pratiqués. De manière générale, les marchés financiers sont caractérisés par ce type d’équilibres multiples et instables, ce qui explique les fluctuations rapides et de grande ampleur des prix des actifs échangés (cours de change, cours des titres…).
Figure 4 : L’équilibre unique et stable (« walrasien »), comparé à une configuration d’équilibres multiples
Paradoxalement, alors que la globalisation rapproche le fonctionnement réel des marchés (i.e. les opérateurs suivent, au niveau mondial, et en temps réel continu, l’évolution des cours, disposent d’un flux ininterrompu d’informations et peuvent, constamment, intervenir) du cadre théorique walrasien, ce dernier s’avère incapable d’appréhender la logique spéculative dominant les marchés monétaires et financiers. Cela tient à ce que l’évolution des marchés financiers dans un cadre globalisé, caractérisée par les « 3D » (cf. 5.3.) qui amplifient notre ignorance de l’avenir, favorise l’expression de comportements individuels spécifiques à court terme où, à la différence de l’agent représentatif, les opérateurs tiennent compte du comportement des autres agents pour définir leur choix (i.e. la réflexion des anticipations). En outre, malgré la possibilité de contacts directs, chaque agent n’a pas connaissance (ou ne peut traiter) l’ensemble des opinions des opérateurs. Cette information, cruciale dans une logique spéculative, est nécessairement imparfaite. En conséquence, il importe de considérer que les agents présents sur les marchés sont véritablement hétérogènes, acteurs de situations de confrontation (et d’agrégation) d’opinions différenciées et concurrentes, dont les comportements procèdent d’une rationalité limitée, nourris d’informations asymétriques et incomplètes.
Schématiquement, deux grandes catégories d’opérateurs peuvent être, a minima, distinguées sur les marchés [Frankel Froot, 1990] : les « fondamentalistes », qui n’observent que les variables fondamentales de l’économie afin d’asseoir leurs prévisions, et les « chartistes » (“noise traders”), qui se fondent sur l’évolution passée des taux et des cours pour extrapoler les tendances (6.1.3.). Cette typologie permet d’expliciter une double hétérogénéité, celle des comportements en liaison avec le degré d’aversion au risque, mais aussi celle des horizons temporels prévisionnels : les « fondamentalistes » forment des anticipations à moyen et long termes sans se soucier des évolutions journalières, les « chartistes » raisonnent à très court terme, d’où une certaine « myopie » qui les fait réagir aux rumeurs (noises), et cherchent à réaliser des profits spéculatifs en jouant sur la volatilité des marchés qu’ils contribuent à entretenir voire à amplifier.
Dans ce contexte, les anticipations procèdent d’un processus mimétique (comportement grégaire) : chaque opérateur fonde ses anticipations sur ce que sera l’opinion moyenne du marché, et non sur des informations économiques exogènes comme, par exemple, les profits des entreprises ou la croissance économique d’un pays. Cette approche a été initiée par J.M. Keynes lorsqu’il définit, à l’aide des métaphores des « chaises musicales » ou du « concours de beauté »6, la spéculation comme « l’activité qui consiste à prévoir la psychologie du marché », générant, ipso facto, une situation « chaotique », exposée aux enchaînements irréfléchis des foules. En d’autres termes, en situation d’incertitude irréductible où le futur n’est pas probabilisable, le mimétisme est un comportement rationnel car il permet de profiter de l’information véhiculée par le marché, forme de rationalité très différente de celle de l’homo œconomicus optimisateur dans un univers stationnaire défini par des lois économiques stables, connues de tous. Dans un processus d’imitation généralisée au sein duquel chacun copie l’autre, le prix ne reflète que la « psychologie du marché », confortée par le mécanisme des anticipations auto-réalisatrices (self-fulfilling expectations) dans lequel un prix va s’auto-confirmer même s’il diffère de son niveau d’équilibre fondamental. À chaque opinion moyenne du marché correspond un équilibre différent, qualifié dans la théorie contemporaine d’équilibres conjecturaux (ou multiples), qui invalident la conception standard selon laquelle les marchés (financiers) convergent, spontanément, vers un équilibre stationnaire unique (figure 4_Ref239384530 p. 222REF _Ref239384536).
En définitive, cette dynamique des marchés financiers permet d’asseoir la pertinence de l’analyse de J.M. Keynes qui, à propos de la distinction entre les logiques de « spéculation » (cf. supra) et « d’entreprise » (soit la prévision du rendement escompté des actifs pendant leur existence entière), écrivait, avec prescience, en 1936 :
« Le risque d’une prédominance de la spéculation tend à grandir à mesure que l’organisation des marchés financiers progresse. [Dès lors], les spéculateurs peuvent être aussi inoffensifs que des bulles d’air dans un courant régulier d’entreprise. Mais la situation devient sérieuse lorsque l’entreprise n’est plus qu’une bulle d’air dans le tourbillon spéculatif. Lorsque dans un pays le développement du capital devient le sous-produit de l’activité d’un casino, il risque de s’accomplir en des conditions défectueuses. [En définitive], outre la cause due à la spéculation, l’instabilité économique trouve une cause, inhérente à la nature humaine, dans le fait qu’une grande partie de nos activités positives dans l’ordre du bien, de l’agréable ou de l’utile procèdent plus d’un optimisme spontané que d’une prévision mathématique. »
[Keynes, 1996, 173-6]
Les crises de dette des pays en développement et émergents comme conséquence des décisions spéculatives des agents
Cette prédominance de la « spéculation » trouve une raison d’être dans le cadre de la globalisation, notamment parce que les enseignements tirés des conjonctures et des crises a priori spécifiques à une économie sont, très souvent, transposables à l’ensemble des pays, en particulier les Marchés financiers émergents (MFE), selon le scénario type suivant7. D’abord, la dégradation de la balance courante soumet, à plus ou moins long terme, le pays concerné à la contrainte intertemporelle de solvabilité, l’appel relativement aisé, dans le contexte de globalisation financière, aux financements externes, ne pouvant y suppléer.
Ensuite, le creusement du déficit des comptes courants résulte de la conjugaison d’une insuffisance d’épargne domestique et de l’appréciation du taux de change réel due aux politiques d’ajustement (via la désinflation) de même qu’à l’afflux de capitaux externes. Les autorités doivent, alors, être capables de limiter l’appréciation du change par une « stérilisation » des capitaux externes (i.e. une neutralisation de l’impact des capitaux étrangers sur la liquidité interne), ce qui nécessite des marchés de capitaux développés, de même qu’une crédibilité et une stabilité des systèmes financier et bancaire domestiques. En outre, le système fiscal, caractérisé par un faible recouvrement des impôts et de fortes inégalités, est un des « talons d’Achille » des budgets des marchés émergents, particulièrement ceux d’Amérique latine. Enfin, le financement externe privé des pays en développement est plus « vertueux » lorsqu’il revêt la forme d’Investissements Directs à l’Étranger (IDE), plus stables et non générateurs d’endettement.
Tous ces phénomènes sont, en outre, amplifiés par ce que l’histoire des crises financières enseigne, à savoir le rôle central occupé par les « phénomènes de foule » [Kindleberger, 1978 ; Orléan, 1996], c’est-à-dire l’euphorie spéculative ou la fuite collective hors du réel ; en d’autres termes, l’importance des « mouvements d’humeur » sur les marchés financiers. Une explication de l’apparente irrationalité de ces phénomènes collectifs est apportée par la dynamique de contagion des anticipations et des comportements des opérateurs, ce que J.M. Keynes a appelé les “animal spirits”, soit les « instincts animaux » bien difficiles à apprivoiser. Dès lors, « dire que le marché se comporte comme une foule, c’est signifier que les individus cessent d’agir en calculateurs isolés pour devenir sensibles à ce que font les autres intervenants, jusqu’à les suivre dans leurs croyances et leurs engouements les moins raisonnés. » [Orléan, 1996, 28]
Encadré 44 : La crise mexicaine de 1994-1995 comme illustration des notions de crise mimétique et de crise systémique
Le caractère systémique de cette crise se retrouve dans trois mécanismes souvent opératoires au sein des marchés émergents : le débordement de la crise monétaire sur le marché des valeurs boursières (i) et sur le système bancaire (ii), la propagation internationale aux pays émergents assimilés à une même classe de risque par les opérateurs (iii). i) La relation entre dépréciation monétaire et crise boursière est manifeste : la valeur des titres, principalement détenus par des non résidents, dépendant du cours de la monnaie domestique par rapport au dollar, les craintes sur la soutenabilité du régime de change et sur la parité engendrent, instantanément, des « ventes en catastrophe » (“distress sales”) qui provoquent un effondrement boursier. ii) Les canaux de transmission de la crise monétaire en crise bancaire sont, également, connus : les engagements des banques sont, majoritairement, libellés en dollars et s’apprécient fortement en raison de la dévaluation, alors que, simultanément, elles sont confrontées à une « course aux retraits » (“runs”). Parallèlement, la hausse des taux d’intérêt, nécessaire pour soutenir la monnaie domestique, renchérit le coût de leurs ressources, donc le prix des crédits, ce qui affecte la solvabilité des emprunteurs et/ou la croissance (en cas de rationnement du crédit). En outre, la vulnérabilité des banques s’accroît avec la chute de la valeur de leur portefeuille de titres, d’où une réduction de leur capitalisation et, conséquemment, une révision à la baisse, par les agences de notation, de la crédibilité du système bancarisé domestique et de ses composantes, donc un moindre accès aux marchés internationaux des capitaux.
iii) La propagation internationale s’explique par cette perte de confiance dans le(s) premier(s) pays en crise qui se reporte sur la perception, par les investisseurs, des risques encourus dans l’ensemble des pays émergents, consacrant, par là même, la dimension collective des comportements financiers qui transcende les cadres nationaux. Ainsi, ces crises illustrent l’instabilité endogène à ces marchés, d’autant plus élevée que les opérateurs ont une forte préférence pour le présent, et le caractère désormais transnational de la recherche de liquidité et des compositions de portefeuille dans le contexte de globalisation financière.
Ce mécanisme est, par ailleurs, renforcé par la logique des économies de marché financier où l’agent est défini comme un portefeuille de droits/créances dont il faut défendre la valeur [Aglietta Orléan, 1998]. Partant, tout ce qui s’oppose au rendement de ce portefeuille est susceptible d’être remis en cause : la protection sociale, la fiscalité, donc la fonction politique de l’État. Cette logique financière ne rencontre, alors, aucun contre-pouvoir, en raison de la faiblesse des marges de résistance nationales de même que de la subordination des pouvoirs réels étatiques aux exigences des marchés. Deux types de contagion peuvent, dans ce contexte, être distingués : d’une part, la « contagion mimétique » qui concerne les opérateurs d’un même marché, prévalant en situation d’incertitude (le rôle des informations économiques fondamentales devient marginal) où le marché est livré à lui-même (les agents ne font qu’anticiper le comportement des autres) ; d’autre part, la « contagion systémique », soit la propagation d’une crise localisée à d’autres segments du système financier voire à d’autres pays. La crise mexicaine est, par rapport à cette taxinomie, emblématique puisqu’elle forme, à la fois, un exemple de contagion mimétique par l’effondrement du peso, et de contagion systémique (« effet tequila ») avec les crises bancaires et la propagation de la défiance à l’ensemble des marchés émergents (encadré 44 ci-dessus ; le déroulement de cette crise est traité dans le détail en 7.2.2).
G5, G7/8, G20 : la recherche d’un capitalisme organisé face à la globalisation financière
Le contexte d’instabilité des taux de change, de déséquilibres internationaux, d’entraves au commerce mondial et d’inflation, caractéristiques des années 1970 et 1980, impose aux pays de capitalisme évolué de mettre en place une régulation collective et concertée de l’économie mondiale, à l’instar du plaidoyer de J.M. Keynes [1971] en faveur d’un capitalisme organisé favorisant la coopération internationale selon trois formes principales (cf. Partie 1) : la coordination des politiques économiques, la formation d’unions régionales et le renforcement des Institutions multilatérales. Dès lors, à côté des grandes institutions (FMI, OCDE, BRI, etc.) et de la mise en place du SME le 13 mars 1979, le besoin de consultation et de coopération s’est manifesté parmi les pays de capitalisme évolué, d’où la création de nouvelles instances, dépourvues de structures permanentes et de pouvoir directement décisionnaire, comme le G5 puis le G7/8 et le G20 ; cette « hypertrophie » illustrant l’avènement puis la concrétisation de la globalisation économique et financière avec l’agrégation, aux pays de capitalisme évolué, des pays émergents.
Le G5 est, à l’origine, un groupe informel constitué des ministres des Finances et des Gouverneurs de Banques centrales des États-Unis, du Japon, de la RFA, de la France et du Royaume-Uni, dont la première rencontre eut lieu au Royaume-Uni. Après le premier choc pétrolier, les sommets se sont déroulés au niveau des chefs d’État et de gouvernement, à partir de l’impulsion donnée par le président français V. Giscard d’Estaing et le chancelier allemand H. Schmidt, à commencer par celui de Rambouillet (15-17 novembre 1975) où l’Italie, puis le Canada en 1976 (réunion de Porto-Rico, 26-27 juin), rejoignirent le G5, pour former, dorénavant, le G78.
Depuis le sommet de Londres (7-8 mai 1977), le Président de la Commission européenne participe, également, aux réunions à l’issue desquelles des communiqués mentionnant les intentions quant aux objectifs macro-économiques des pays membres sont publiés. Enfin, au sommet de Tokyo (4-6 mai 1986), les rencontres des ministres des Finances et de Gouverneurs des Banques centrales du G7 furent institutionnalisées. En outre, le G7 puis le G8 ont connu, depuis leurs créations, d’amples modifications et se sont, progressivement, politisés. Ainsi, grâce à leur appartenance aux G8, le Japon et l’Allemagne, qui ne sont pas membres du Conseil de sécurité des Nations Unies, participent à des discussions politiques internationales. De plus, le G8, qui se réunit généralement avant le Comité Monétaire et Financier International (i.e. l’ancien Comité intérimaire) du Fonds Monétaire International, exerce une influence croissante sur ses orientations. Enfin, les questions du ressort du G8 ont dépassé le cadre de la coordination des politiques macro-économiques pour concerner le fonctionnement du système de financement international, les orientations des Institutions financières internationales, mais aussi, dans un contexte de globalisation, des questions comme les migrations, le statut des réfugiés, le trafic de stupéfiants, le « recyclage de l’argent sale », l’environnement (sommet de Denver du 20-22 juin 1997), les essais nucléaires de l’Inde (sommet de Birmingham du 16-17 mai 1998), la lutte contre la « cybercriminalité » (sommet de Paris du 15-17 mai 2000), voire l’adoption d’une charte sur la société mondiale de l’information (sommet d’Okinawa du 21-23 juillet 2000).
Encadré 45 : Initiatives récentes des sommets du G8 en faveur des pays pauvres très endettés (« PPTE »)
Depuis quelques années, les sommets du G8 prennent des initiatives en faveur des Pays pauvres très endettés (« PPTE », cf. 6.2.1.). Ainsi, au sommet de Cologne (18-20 juin 1999) a été prévu un accord d’allègement de la dette de certains PPTE portant sur plus de 37 milliards de dollars. Au sommet d’Okinawa (cf. supra), les chefs d’État et de gouvernement se sont mis d’accord pour fournir un financement accru à la lutte contre les maladies infectieuses, complété par le sommet de Gênes (20-21 juillet 2001) qui a vu la création d’un Fonds mondial de lutte contre le VIH/SIDA, le paludisme et la tuberculose et durant lequel les chefs d’États africains ont été conviés afin de lancer le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD), dont le plan d’action a été élaboré lors du sommet de Kananaskis (25-27 juin 2002).
Lors de ce dernier sommet, en réponse aux événements du 11 septembre 2001, les chefs d’État et de gouvernement ont, également, annoncé un plan de lutte contre le terrorisme (mise en place d’un partenariat mondial contre la dissémination d’armes de destruction massive, adoption de mesures relatives à la sécurité des transports, mais aussi en faveur du développement durable et de l’accès à l’éducation). Enfin, communiquée le 11 juin 2005 lors du sommet de Londres, l’annulation pour dix-huit PPTE9 de 40 milliards de dollars de dettes (soit la moitié de la dette extérieure totale de ces pays et la quasi-totalité de leurs dettes multilatérales [i.e. contractées auprès du FMI, de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement], sur un total de 180 milliards de dollars pour l’ensemble des PPTE) a été largement médiatisée, présentée comme une approche « nouvelle » dans le traitement de la dette extérieure souveraine des pays du Sud les plus pauvres. Toutefois, les conditions d’éligibilité, à savoir le respect par les pays bénéficiaires des politiques néolibérales imposées par les Institutions de Bretton Woods dans le cadre de Nations n’étant pas parmi les plus « exemplaires » en termes de lutte contre la pauvreté et contre la corruption, confinent ces économies dans une spécialisation appauvrissante (production et exportation de biens primaires) qui ne permet pas d’obtenir une croissance soutenue et un développement durable seul à même de réduire la pauvreté et les inégalités.
En définitive, le G8 contribue à la coopération internationale dans sa double dimension ex ante (la prévention des crises) et ex post (la gestion des crises) en favorisant la recherche de consensus dans le plein respect des souverainetés. En effet, dans un environnement globalisé, les réunions régulières tenues à ce niveau permettent des échanges d’informations et, éventuellement, une coordination en matière de politiques budgétaire, monétaire et de change. Les communiqués publiés constituent, alors, des « effets d’annonce » (i.e. signaling channel soit des « signaux » transmis aux marchés) susceptibles d’influencer les comportements des investisseurs dans le sens d’un ancrage « rationnel » de leurs anticipations. Ils peuvent, ainsi, « guider » les marchés quant aux niveaux de taux de change souhaités par les policy makers sans comporter de données concrètes sur d’éventuelles modalités d’intervention. Ce type d’asymétrie et d’incomplétude informationnelles délibérées est nécessaire à la réduction du risque d’aléa moral susceptible d’être associé à ce genre d’intervention.
Dans ce cadre, la médiatisation des rencontres du G8 a parfois des effets pervers lorsque les attentes sont déçues comparativement aux « effets d’annonce ». Ainsi, les réactions des marchés à l’occasion des dissensions politiques entre la RFA et les États-Unis ont été une des causes du krach boursier du 19 octobre 198710. De même lors du sommet de L’Aquila (8-10 juillet 2009), loin de rassurer, l’évocation de « stratégies de sortie de crise » a, au contraire, fait baisser les Bourses mondiales qui redoutent une disparition progressive des plans de relance massifs, faisant craindre un tarissement des colossales injections de liquidités dans l’économie mondiale.
Dans un contexte d’absence de Système monétaire et financier international, d’instabilité des taux de change et de déséquilibres internationaux, les réunions du G8 consacrent la reconnaissance d’une gestion collective de l’interdépendance économique mondiale et, d’une certaine manière, le retour de l’interventionnisme public dans la régulation des affaires cambiaires, particulièrement manifeste dans la période de crise globale de 2008-200911. Toutefois, le déséquilibre majeur entre les réserves officielles de change et la masse de capitaux privés circulant à l’échelle mondiale (graphique 32 p. 205REF _Ref239319578) invalide fortement l’aptitude des Banques centrales à contenir les attaques spéculatives. En outre, la coopération ne se décrète pas, et l’histoire récente (i.e. l’absence de plans de relance concertés et d’harmonisation des politiques économiques comme stratégies coopératives de sortie de la crise de 2008-2009) tend à avaliser la thèse du « passager clandestin » (free rider) ; autrement dit, les pays concernés cherchent souvent à profiter de la coopération sans accepter d’en payer totalement le prix en limitant leur propre contribution aux efforts communs, notamment lorsque la répartition des gains de cette coopération n’est pas ex ante clairement fixée.
1 Cf. à ce propos, J.-P. Berlan Ph. Gilles, « Revenir aux besoins », Le Monde-Économie, 5 septembre 1989, pp. 19-20.
2 En décembre 1985, l’Arabie saoudite fait entériner par l’OPEP sa stratégie de reconquête du marché qui devait ramener le prix du baril de 29 à moins de 10 $ en quelques mois.
3 Dans les travaux de Williamson [1986 ; 1987], le taux de change réel évolue en fonction des fondamentaux économiques, tels que la balance courante ou le prix relatif des biens échangeables par rapport aux biens non échangeables. Par conséquent, le taux de change réel d’équilibre fondamental est le taux qui permet, simultanément, l’équilibre interne et externe d’un pays. L’équilibre interne est défini comme le niveau de production qui permet la pleine utilisation des capacités de production avec un niveau d’emploi non inflationniste. L’équilibre externe suppose la soutenabilité dans le temps de la balance courante.
4 Par voie de conséquence, la rupture d’un accord conclu avec le Fonds Monétaire International interrompt non seulement le versement des tranches successives du prêt multilatéral initialement associé à cet accord, mais également les processus de traitement de la dette souveraine, cela aussi bien dans le cadre du Club de Paris que dans celui du Club de Londres. Il s’ensuit inévitablement un phénomène de défiance sur les marchés de capitaux, qui compromet l’accès ultérieur à ces marchés.
5 Cette appréhension conduit, ainsi, les Institutions Financières Internationales à accepter pour la première fois dans le cadre de l’initiative PPTE le principe de réduction de dette portant sur le stock de dette multilatérale. Précédemment, seules les dettes détenues par des créanciers publics bilatéraux et privés étaient susceptibles de rééchelonnement, ce qui menait finalement à une impasse. En effet, au fil des accords successifs conclus dans le cadre des Clubs de Paris et de Londres, la part des créances bilatérales et privées reculait au bénéfice des dettes multilatérales. Celles-ci, non susceptibles de réduction, constituaient alors l’essentiel du stock de dette total. Prenant acte de cette situation, les Institutions Financières Internationales ont alors accepté le principe d’une réduction du montant des créances qu’elles détenaient sur les PPTE.
6 Pour Keynes [1996, 171 et 173], à l’instar d’un « concours de beauté » pour lequel les lecteurs d’un magazine doivent deviner celle que le plus grand nombre choisira comme « la belle d’entre les belles », ce que pense chacun en matière de placements est moins important que ce qu’il pense que les autres pensent ; autrement dit, « on emploie ses facultés à découvrir l’idée que l’opinion moyenne se fera à l’avance de son propre jugement ».
7 D’où vient, alors, la récurrence des crises ? Juglar [1862, 1968] relevait, déjà à la fin du xix e siècle, que si la reprise économique s’effectuait avec prudence en raison du souvenir toujours manifeste chez les agents des graves conséquences du sur-crédit, la nouvelle phase d’essor estompe progressivement la mémoire de ce désastre (disaster myopia, soit « l’aveuglement au désastre »), d’où l’idée que la stabilité est aussi déstabilisante : dans un contexte d’« euphorie des affaires », les agents sont oublieux des crises passées, donc ne retiennent pas les leçons du passé et renouvellent les mêmes erreurs, ce qui n’est pas sans rappeler la citation de Santayana reprise par A. O. Hirschman [2001, 119-120] selon laquelle « ceux qui ne gardent pas le passé en mémoire sont condamnés à le répéter ».
8 Lors du sommet annuel à Lyon (1er juillet 1996), la Russie a, pour la première fois, participé, en tant que membre, à la partie politique du sommet (G7+1). Cette participation marquera le coup d’envoi symbolique de l’intégration de la Russie à la scène économique et financière internationale entériné lors du sommet de Birmingham, le premier du G8 (15-17 mai 1998).
9 Bénin, Bolivie, Burkina Faso, Ethiopie, Ghana, Guyana, Honduras, Madagascar, Mali, Mauritanie, Mozambique, Nicaragua, Niger, Ouganda, Rwanda, Sénégal, Tanzanie et Zambie.
10 Le 19 octobre 1987, la Bourse de New York perdit 22,6 % de sa valeur capitalisée, soit presque autant que les 28-29 octobre 1929, jours durant lesquels elle avait perdu 12,8 % puis 11,7 %.
11 Parallèlement, la problématique de la coordination revient sur le devant de la scène avec l’avènement du G20, instauré en 1999 après la succession des crises financières dans les pays émergents (cf. 7.3.), qui regroupe les pays industrialisés et des pays émergents, lesquels représentent 90 % du PIB mondial, 80 % du commerce international et les 2/3 de la population mondiale (contre 14 % de la population et 65 % des richesses mondiales pour le G8). Ainsi, le sommet de Londres (2 avril 2009) aura, entre autres, montré qu’il est plus facile de se coordonner au niveau mondial via un plan de relance global par création monétaire que sur un plan de relance fiscal concerté. En effet, face au refus des pays européens (en particulier l’Allemagne) d’initier un plan de relance fiscal coordonné estimant que les « autres » (États-Unis, Japon, Chine) devaient en assumer la responsabilité, il a été décidé une augmentation des lignes de crédit d’environ 1 100 milliards de dollars (i.e. 816 milliards d’euros) sous l’égide du Fonds Monétaire International, de la Banque mondiale et des différentes banques régionales de développement, soit une relance « hors bilan » par la création de liquidités.