CHAPITRE 23

C’est une journée chargée.

Ethan rentre chez lui rassurer sa mère, bidouiller quelques trucs sur son ordinateur et restituer la voiture à son voisin. Il n’a plus cours, mais il doit passer au lycée pour régler deux ou trois détails. Nous avons promis de revenir au commissariat à une heure afin de répondre aux questions d’un inspecteur concernant le meurtre. Après quoi, nous filons au box de stockage, dans le Bronx. Quand nous arrivons à l’hôpital de Teaneck, il est presque six heures du soir.

Dans une grande enveloppe, j’ai apporté les trois derniers mois de ma sauvegarde mémoire, une copie de ma dissertation inachevée sur la première peste du sang et deux ou trois lettres que j’ai écrites à mon frère. Je veux montrer à Baltos ce qu’était « mon » futur. Je suis sûre qu’il trouvera un moyen de lire les cartes mémoire. Peut-être qu’il ne sortira jamais de prison. Mais, au moins, j’espère que ça changera sa façon de voir les choses.

Nous avons dû demander à l’inspecteur l’autorisation de lui rendre visite, et nous avons bien entendu accepté la présence de l’agent armé posté devant sa porte.

C’est bizarre, quand nous entrons dans sa chambre, Baltos n’a pas l’air mécontent de nous voir. À part son gros pansement à la jambe, il paraît plutôt en forme. Il nous accueille presque comme des amis.

– C’est gentil de passer, dit-il avec une légère pointe d’ironie seulement.

Il se tourne vers Ethan.

– Qui es-tu? Je n’ai pas arrêté d’y penser depuis hier. Même pendant mon sommeil, ça m’a tracassé. Je te connais.

Ethan secoue la tête.

– Je ne pense pas. Si je vous avais déjà rencontré, je m’en souviendrais.

– Je ne parle pas de cette époque. Non, bien plus tard. Dans les années 2060. Tu étais beaucoup plus âgé, mais je suis sûr de te connaître.

Ethan hausse les sourcils.

– Normal que je n’en aie aucun souvenir, alors.

– Dis-moi ton nom, ça me reviendra peut-être.

– Ethan Jarves. Je suis né en janvier 1996.

– Oh, non… c’est pas vrai !

– Si.

– Évidemment. Le chercheur.

– Je ne sais pas. Je vais faire de la recherche ?

– Oui, tu travaillais avec Mona, mais tu n’étais pas comme elle. Tu étais mon héros. J’ai toujours voulu te rencontrer.

Il a les yeux brillants. Presque trop. Je crois que ça y est, à ses yeux, Ethan est passé du statut de pion de Monopoly à personne réelle.

J’ai aussi les yeux qui brillent. Ça m’intéresse, cette version du futur où mon bien-aimé Ethan devient un grand chercheur.

Je suis de plus en plus convaincue que la personne qu’il fallait empêcher de mourir le 17 mai n’était pas Mona mais Ethan.

– Tu es un expert en voyage temporel, reprend Baltos. En fait, j’espérais que tu pourrais m’aider à retourner là-bas.

Il laisse échapper un rire étrange.

– J’ai une amoureuse là-bas, mon premier amour, et elle me manque terriblement.

On dirait qu’il plaisante, mais pas complètement.

– Je n’ai aucune idée de comment procéder, avoue Ethan. Je ne suis pas encore un chercheur, je n’ai que dix-huit ans.

Baltos acquiesce lentement, les larmes aux yeux.

– Je ne retournerai jamais là-bas, hein ?

Il nous regarde tour à tour, Ethan et moi.

Cette fois, il est vraiment sérieux. Je réalise avec une certaine amertume que le futur dont il vient doit être sacrément mieux que le mien pour qu’il ait envie d’y retourner.

– Non, je ne pense pas.

– Moi non plus.

Il pousse un profond soupir.

– Bah… C’est toi, l’expert en la matière. Tu es un type brillant. Une chance que je ne t’aie pas tué hier.

Je serre la main d’Ethan dans la mienne en me mordant les lèvres pour ne pas hurler.

Lui, il fait preuve d’un calme remarquable.

– Ouais, moi aussi, je préfère.

J’inspire profondément pour tenter de me reprendre.

– Monsieur Baltos, j’ai une question à vous poser.

– Vas-y.

– Qui est Teresa Hunt ?

– Une de mes ex.

– Et Jason Hunt ?

Tout à coup, il perd son assurance.

– Son fils. Enfin, c’est mon fils aussi, selon elle.

– Allan Cotes ?

– Le type qu’elle a épousé y a deux ans. Il élève le gamin.

– Vous savez où elle se trouve en ce moment ?

– Non, ça fait au moins un an que je ne lui ai pas parlé.

– Et Josie Lopez ?

– Waouh, c’est quoi, un interrogatoire ?

Il me fixe en plissant les yeux.

– C’est aussi une ex. Pourquoi ?

– Toutes ces personnes ont été hospitalisées à cause d’un mystérieux virus. Et je pense que c’est en rapport avec vous.

– Bon Dieu. C’est vrai ?

Il paraît sincèrement surpris.

– Sûr et certain ?

– Presque, oui.

Il secoue la tête.

– Je ne suis pas malade. Je n’ai rien eu de sérieux depuis que je suis ici. Je ne souffre d’aucun virus mystérieux, je vous assure.

Je réfléchis avant de demander :

– En quelle année êtes-vous parti pour venir ici ?

Il hausse un sourcil.

– Avril 2068. Je n’ai jamais confié à qui que ce soit d’où je venais. À part vous deux, personne n’est au courant.

– C’est sans doute mieux. Et quand vous êtes parti, y avait-il eu des épidémies graves ? je l’interroge. Avez-vous entendu parler de la peste du sang ? On l’appelle aussi le virus Dama X.

– Jamais entendu parler. On avait éradiqué le sida, à l’époque. Il y avait des épidémies de grippe aviaire, ce genre de trucs. Rien de spécial, quoi.

– D’accord, ce sera tout. Merci.

Je me tourne vers Ethan.

– On peut y aller.

Je tends mon enveloppe à Baltos.

– Jetez-y un œil quand vous aurez le temps. Vous verrez à quel point l’avenir a changé après votre venue.

Il repose la tête sur son oreiller. Il semble surpris, un peu inquiet, mais pas complètement fermé à cette idée.

– Tu as apporté des choses avec toi ?

– Pas moi, mon père.

– D’accord, je regarderai.

Nous sommes sur le pas de la porte lorsqu’il toussote. Nous nous retournons d’un seul mouvement.

– J’ai dit que j’étais content de ne pas t’avoir tué hier, Ethan, mais maintenant que j’y pense, finalement, je regrette.

Super, j’espère qu’il n’a pas l’intention de passer à l’acte.

– Pourquoi donc ? je demande.

– Sans lui, je ne serais pas là. Je serais chez moi avec ma copine. Hier ne serait pas arrivé. Rien de tout cela ne se serait produit.

Ethan le dévisage, méfiant.

– Comment ça ?

– C’est à cause de toi que je suis là. Tu m’as parlé du jour où tu pêchais au bord de la rivière quand tu étais gamin. Tu m’as même montré un dessin. C’est comme ça que j’ai su comment venir.

Quand j’arrive enfin chez moi, il fait nuit, il est tard. Ethan veut entrer, je l’en dissuade. Je ne veux pas aller trop vite avec ma mère.

Alors que je glisse ma clé dans la serrure, j’imagine une sorte de remake de la dernière fois que je suis rentrée. Je pénètre dans le vestibule, mais cette fois le visage inquiet de ma mère n’est pas là pour m’accueillir. Je jette un coup d’œil dans la salle à manger, nulle trace du duo tant haï. Je vérifie toutes les pièces pour être sûre. Je me suis préparée à une embuscade… pour rien. Ma mère n’est même pas à la maison.

J’allume la lumière dans le salon. Je fais signe à Ethan par la fenêtre comme promis pour lui indiquer que la voie est libre. Il attend quelques secondes avant de démarrer. Je crois qu’il a du mal à me laisser. J’ai du mal à le voir partir.

En éclairant dans la cuisine, je vois un mot et une boîte de Mallomars sur le plan de travail. Mon cœur s’emballe. J’adore les Mallomars. Ma mère essaie de me dire quelque chose.

Prenna,

J’ai une réunion ce soir. Régale-toi bien avec les gâteaux, passe une bonne nuit, on se voit demain matin. On a beaucoup de choses à se dire.

Bisous

Maman

Je déguste mes biscuits. J’en mange cinq d’affilée, assise sur le plan de travail. Puis je bois un grand verre de lait. Je savoure ces plaisirs tout simples. Je ne veux plus réfléchir à quoi que ce soit aujourd’hui.

Ensuite, je me traîne jusqu’à mon lit. Je n’ai jamais été aussi fatiguée. J’espère que je ne vais pas me réveiller sur la banquette arrière de M. Douglas ou ligotée dans le sous-sol de la ferme. Je suis tellement fatiguée qu’ils pourraient me kidnapper sans que je m’en rende compte.

J’ai reçu un message d’Ethan sur mon portable.

C’est bientôt vendredi alors ?