Chapitre XX

La pirogue descendait lentement le cours du rio Pastaza. Seul Ballantine, assis à l’arrière, la redressait de temps à autre d’un rapide coup de pagaie. Là-bas, les tunduhis des Yaupis s’étaient tus et un silence total régnait sur la rivière.

C’était sans encombre que les quatre fuyards avaient franchi marais et forêt, pour retrouver les canots dissimulés par l’expédition lors du voyage aller. Le rio des Piranhas avait été descendu et, à présent, on avait dépassé les deux rochers noirs barrant le cours du Pastaza. Les Yaupis, qui jusque-là, avaient continué à surveiller ouvertement les fuyards, ne se montraient plus maintenant, car on devait avoir atteint le territoire des Moronas.

Tout à coup, le colonel Haston parut se détendre et il dit d’une voix dans laquelle se mêlaient à la fois les rires et les pleurs.

— Cinq ans !… Cinq ans, et enfin la liberté !… Et c’est à vous, Bob et à vous Bill, que je la dois cette liberté. À vous qui avez accepté de mener, à travers mille dangers, ma petite fille jusqu’à moi. À vous et à votre courage, à votre astuce. Quand je pense que, si vous n’étiez pas venu, Bob, je serais encore là-bas, à me morfondre, à descendre lentement vers la folie, alors que je n’avais que quelques pas à faire pour recouvrer ma liberté… Comment pourrais-je jamais vous prouver ma reconnaissance ? Comment pourrais-je jamais vous récompenser ?

Le rire de Ballantine éclata.

— Nous récompenser ?… Soyez sans crainte, colonel, nous avons pensé nous-mêmes à notre récompense… Du moins, j’y ai pensé, moi…

Le géant déposa sa pagaie dans le fond de la pirogue et laissa celle-ci dériver. Il tira alors de son sac un paquet assez volumineux enveloppé d’un morceau de toile nouée aux quatre coins. Il défit les nœuds et la toile s’ouvrit, découvrant une masse d’énormes pierres précieuses qui, sous les rayons du soleil, scintillaient de tous leurs feux.

— Faute de pouvoir emporter l’Idole verte, expliqua le géant, j’ai soustrait ces pierres du trésor d’Uaray contenu dans l’auge de pierre. Il y en a là pour des millions, et il m’a suffi d’un couteau pour désertir toutes ces merveilles en quelques minutes. Bien sûr, nous allons partager… Une pierre pour Lil, une pierre pour le colonel, une pierre pour le commandant, une pierre pour Bill. Une pierre pour…

Mais Morane n’écoutait déjà plus son ami. Ses regards avaient croisé ceux de Lil et, dans les yeux de la jeune fille, il avait lu une intense expression de joie reconnaissante. Reconnaissance parce qu’il l’avait préservée de tous les dangers, parce qu’il lui avait rendu un père.

Et, pour Morane, cette joie marquée sur le beau visage de la jeune Américaine était la plus belle des récompenses.

 

FIN