12

Bailiff Hollow

Williamsport, Indiana

 

 

 

Junior n’aimait pas les petites villes. Il y avait grandi et il savait comment elles fonctionnaient. Si quelqu’un crachait par terre à dix heures du matin, on en parlait chez le coiffeur à midi. Tout le monde était au courant des affaires de tout le monde et l’on prêtait un surcroît d’attention aux étrangers de passage.

Cette petite ville-ci était précisément le genre d’endroit où un homme se faisait d’emblée remarquer s’il n’était pas autochtone. Perdue au beau milieu des terres à maïs, ses habitants étaient en majorité des fermiers, avec peut-être un pilote de ligne ou un ancien militaire à la retraite, voire quelques artistes loufoques taillant des vitraux. Ce genre-là.

Cette petite ville-ci était également le lieu de résidence d’un sénateur des États-Unis dont la famille avait ici des terres depuis l’époque où elle les avait dérobées aux Indiens. Ce sénateur n’allait pas tarder à apprendre une petite leçon.

Junior sourit. Le sénateur David Lawson Hawkins, républicain bon teint, était un veuf très strict avec trois enfants adultes et huit petits-enfants, mais rien de cela n’avait d’importance. Le sénateur Hawkins allait, soit marcher droit, soit se faire écraser.

Junior consulta l’écran du GPS monté sur le tableau de bord du camion de location. Il avait choisi un plateau-cabine, vieux de deux ans, pour ne pas trop se faire remarquer. Le véhicule était un gros Dodge Ram qui ressemblait à la douzaine d’autres qu’il avait doublés ou croisés sur la route entre ici et Indianapolis en faisant un crochet par Lafayette. Cela devrait lui laisser quelques minutes de plus avant que les autochtones ne remarquent sa présence, et il ne lui en fallait pas plus.

Il n’avait pas de rendez-vous et le garde du corps du sénateur ne serait pas ravi de le voir, mais il était à peu près certain que Hawkins lui parlerait. Junior avait un argument propre à garantir, à coup sûr, l’attention de son interlocuteur.

Junior sourit. Et si le gorille lui faisait des embrouilles ? Eh bien, peut-être qu’il pourrait flinguer le connard. Exactement comme ce flic.

Il fut pris d’une bouffée d’adrénaline en repensant à la scène. Tous les journaux écrits ou télévisés en avaient parlé pendant des jours. Ils pensaient que c’était lié à un gang, ce qui lui convenait parfaitement. Il avait changé les canons des Ruger et s’était servi d’une meule pour réduire les anciens en copeaux d’acier qu’il avait vidés dans un collecteur d’eaux pluviales. Il avait également acheté un nouveau pack de munitions, et jeté toutes les vieilles balles, au cas où ils auraient trouvé un moyen quelconque de les identifier grâce à la composition du plomb, par exemple.

Il avait une veine de cocu. Ils n’avaient pas le moindre indice. Il avait buté un flic et s’en était tiré. Un contre un, mano a mano. Et cette sensation qu’il avait éprouvée ? Il voulait la revivre. Bientôt.

Bien sûr, il ne s’agissait pas de continuer à descendre des flics. Une fois, passait encore, mais deux, ça commençait à faire… Si un autre flic se retrouvait avec deux balles de 22 dans la tête, ils renforceraient à coup sûr leur traque. Tant qu’ils penseraient que c’était une affaire de gang, ils interpelleraient les suspects habituels et il serait tranquille. Mais s’il éliminait un autre policier quelque part ailleurs avec le même mode opératoire, ils seraient prêts à remuer ciel et terre.

Tuer quelqu’un par ici serait même pire. Il n’y avait qu’une seule route d’accès, et même avec son pick-up passe-partout, un imbécile quelconque n’ayant rien de mieux à faire pourrait s’en souvenir, voire même relever le numéro : Non, monsieur, ce n’était pas le pick-up de Bill, pas non plus celui de Tom, ni de Richard, c’était le Dodge d’un étranger, et oui monsieur, il se trouve que j’ai relevé le numéro, vu qu’ça m’a rendu curieux, et tout ça…

Il avait prévu le coup, bien sûr. Il avait échangé les plaques avec un véhicule d’occasion garé dans un parking d’Indianapolis, pas loin de l’endroit où il avait loué le Dodge, et il les remettrait, une fois qu’il en aurait terminé. Malgré tout, il serait malavisé de sous-estimer les flics même ici en pleine cambrousse.

Junior connaissait un escroc qui avait piqué un jour un paquet de matériel informatique, puis placé une annonce dans le journal local pour revendre tout le fourbi. Junior trouvait ça dingue mais le gars ne s’était pas inquiété. Jamais les flics n’iraient imaginer que quelqu’un soit aussi stupide, lui avait-il expliqué. Ils n’auraient pas eu l’idée de regarder les petites annonces.

Il avait eu tort. Ils avaient regardé. Et ils l’avaient épinglé.

Il y avait quantité de types en cage qui se croyaient plus malins que la police, surtout dans des coins perdus comme celui-ci.

Junior n’était pas dupe, lui. Il savait comment les flics procédaient. S’ils recherchaient un certain type de camionnette, s’ils avaient ne serait-ce que ce seul renseignement, ils étaient capables de vérifier auprès de toutes les agences de location dans trois États en espérant avoir de la chance. Et même s’il avait utilisé un faux permis de conduire et une fausse carte de crédit qu’on ne pouvait relier à lui, ce vieux chapeau de cow-boy porté bas sur le front risquait de ne pas suffire comme déguisement.

Il hocha la tête, renonçant à son fantasme d’abattre le garde du corps. Il savait qu’il valait mieux ne pas énerver les enquêteurs. D’ailleurs, les gardes du corps étaient comme des chiens : ils faisaient ce qu’on leur avait dit de faire, et le patron du mec avait dû lui dire de se tenir à carreau. Junior en était quasiment sûr.

Un nouveau coup d’œil au GPS. Il y avait programmé les coordonnées de la ferme. Tout ce qu’il lui restait à faire, c’était suivre la carte. Ça ne devait plus être bien loin.

Dix minutes plus tard, Junior arriva devant la grille de la propriété, une large barrière battante à cadre d’acier destinée à empêcher le passage du bétail. Elle n’était même pas verrouillée. Il souleva le câble qui l’attachait au poteau, l’ouvrit, remonta dans le camion, entra, puis ressortit refermer la barrière. Inutile d’attirer l’attention sur lui. On n’oubliait pas les gens qui s’amusaient à laisser les barrières ouvertes alors qu’il y avait du bétail susceptible de s’enfuir.

La maison était une vieille bâtisse d’un étage, récemment repeinte et fort bien entretenue. Située à huit cents mètres de la barrière, elle se dressait au bout d’une route incurvée qui sinuait à travers un champ de maïs. Les épis faisaient un mètre quatre-vingts de haut et semblaient bientôt prêts à être moissonnés. Junior n’y connaissait pas grand chose en matière agricole. Même s’ils avaient cultivé surtout de la canne à sucre et du soja sur l’exploitation de son oncle, en Louisiane, tout le monde avait un petit potager – pour le maïs, les tomates, les carottes, les haricots, les trucs comme ça.

Le temps qu’il gare le camion sous l’ombre bienvenue d’un cotonnier, près d’un plateau GMC plus récent que le sien, le chauffeur-garde du corps était déjà en train de traverser la cour.

C’était un homme de forte carrure, d’un mètre quatre vingt-cinq au moins. En short, T-shirt et baskets, révélant, constata Junior, une musculature imposante. Un haltérophile, à coup sûr, et sans doute boxeur ou pratiquant les arts martiaux à en juger par ses muscles.

Il portait son arme planquée dans une banane sous le T-shirt. Certains de ces étuis étaient pourvus d’attaches en Velcro, de sorte qu’il suffisait, pour dégainer, de détacher le rabat d’une main et de saisir l’arme de l’autre. Ce n’était pas aussi rapide qu’un étui de ceinture mais au milieu d’un été brûlant, il n’était pas facile de justifier le port d’une veste ou même d’un gilet sans manches.

Junior sourit. Il préférait sa méthode. Chemise en jean déboutonnée, manches remontées jusqu’aux biceps, les pans sortis du pantalon, le tout sur un T-shirt blanc. C’était un peu chaud mais ça restait supportable. Les petits revolvers étaient plaqués contre son corps, et la chemise suffisait à les dissimuler pour peu qu’il ne fasse pas de gestes brusques ou ne fasse pas voler les pans.

Le garde du corps était là avant que Junior n’ait pu ouvrir la portière. De près, il avisa un petit tatouage sur l’avant-bras de l’homme. Un tatouage de détenu, à l’encre bleue, sans doute de stylobille. Une petite toile d’araignée. Pas mal.

« Hé, fit Junior.

– Vous n’avez pas de rendez-vous », observa le gorille. Ce n’était pas une question.

« Non, mais votre patron voudra me parler.

– Qu’est-ce que vous en savez ?

– Donnez-lui ceci. »

Avec lenteur et précaution, Junior tendit la main pour aller pêcher sur le siège voisin une enveloppe kraft 24 x 32 cachetée.

Le garde du corps prit l’enveloppe sans la regarder. Ses yeux demeuraient rivés sur ceux de Junior.

Junior regarda le tatouage. « Vous avez été détenu où ? »

Le garde du corps fronça les sourcils. « J’ai passé mon temps à imprimer des autocollants à Wabash Valley. Six ans, mec. » Il mata l’enveloppe, juste un coup d’œil, puis revint à Junior, le regard dur. « Vous allez pas causer d’ennuis à mon patron, hein ? Le gars a toujours été très bon avec moi. »

Sourire de Junior qui secoua la tête. « Pas le moins du monde. Je suis juste ici pour causer affaires.

– Attendez là. Descendez pas du camion. »

Le gorille recula, lorgnant toujours Junior, puis il fit demi-tour et regagna la maison.

Je peux te descendre, songea Junior. Tu n’es pas assez rapide à dégainer avec cette banane.

Bien entendu, il lui faudrait viser la tête. Une balle de 22 dans le corps ne ralentirait même pas ce colosse. Il fantasma autour de cette idée en souriant. Ouais. Il pouvait le descendre.

Ce ne fut pas long. Au bout de cinq minutes, le garde du corps était de retour. « Laissez tout ce que vous avez comme artillerie dans le camion », lui dit-il.

Junior acquiesça. Il était inutile de tenter de faire comme s’il n’était pas armé, même s’il avait déjà sorti les deux Ruger pour les fourrer sous le siège.

Il descendit, se laissa palper par le gorille, puis le suivit à l’intérieur.

Ils franchirent la porte de service et gagnèrent directement un grand bureau à lambris – on aurait dit du bois de pécan – avec quantité de rayonnages. On entendait de la musique sordr de haut-parleurs dissimulés, un vieil air de music-hall. Il sourit.

Le sénateur était assis derrière un vaste bureau taillé dans la même essence que les lambris. Du pécan, il en était sûr, ou peut-être alors une sorte d’érable.

« Veuillez-vous asseoir, monsieur…

– Appelez-moi simplement Junior, monsieur le sénateur. »

Hawkins avait la soixantaine, la peau tannée, le teint bronzé, l’air en forme. Cheveux poivre et sel taillés en brosse. Il était vêtu d’une chemise à carreaux en coton, d’un jean, et chaussé de bottes de travail.

Brave vieux garçon que ce sénateur, songea Junior, mais cette fois, il ne put dissimuler un sourire.

« Attends dehors, Hal, dit le sénateur à son garde du corps. Et ferme la porte, veux-tu ? »

Hal acquiesça, sortit et referma doucement la porte derrière lui.

Dès que le battant fut refermé, le sénateur Hawkins se retourna vers Junior, affichant une expression mauvaise. « À présent, il va falloir que vous me donniez une bonne raison de ne pas vous faire chasser d’ici par Hal et piétiner comme un vieux reste de hamburger trop gras.

– Libre à vous, monsieur le sénateur, dit Junior. Mais vous savez que je ne suis pas assez stupide pour venir ici avec le seul exemplaire de cette photo. Vous pouvez être également certain que j’ai des amis qui savent où je suis, et qui ont d’autres clichés du même genre -et certains bien pires. Qu’il m’arrive quoi que ce soit, et vous savez ce qui se produira.

– Espèce de fils de pute. »

Junior fronça les sourcils. « Vous êtes un homme intelligent, monsieur le sénateur, et vous avez passé la moitié de votre existence en politique. Combien de temps selon vous pourrez-vous continuer à garder un tel secret ?

– Cela fait quarante ans jusqu’ici. »

Junior hocha la tête. « La femme, les enfants, les petits-enfants, tout cela forme une couverture parfaite, mais ça n’a plus d’importance, désormais, pas vrai ? Ce qui est fait est fait. »

Le sénateur soupira et Junior vit bien qu’il cédait. « Que voulez-vous ? demanda-t-il. De l’argent.

– Non, monsieur. »

Hawkins le regarda, ébahi.

« Je n’ai besoin que d’une chose. J’ai besoin d’un vote. En échange, vous aurez tous les exemplaires de toutes les photos, et nous n’échangerons plus un seul mot de toute notre vie. »

Le sénateur Hawkins le fusilla du regard. « Et je suis censé faire confiance à un maître chanteur ?

– Ce n’est pas comme si vous aviez des masses de choix, monsieur le sénateur. »

Hawkins réfléchit. « Et si je dis non ?

– Alors les photos – toutes les photos – apparaîtront sur le web et à la une dès demain. Vous voulez que vos petits-enfants découvrent que vous avez passé de longs week-ends en Pennsylvanie avec un autre homme ? Le frère d’un juge de cour d’appel ? Que vous marchiez à voile et à vapeur avant même de rencontrer grand-maman ? »

Hawkins secoua la tête. « Non, sûrement pas.

– Parfait, dit Junior. Alors, nous pouvons faire affaire. »

Il y eut une longue pause et Junior éprouva un bref accès de nervosité. On ne pouvait jamais être sûr dans des situations pareilles. Le gars pouvait perdre les pédales et s’emporter, et avec ses flingues laissés dans le camion, il ne se sentait pas vraiment à l’aise. Hal l’écrabouillerait comme un vulgaire cafard. Certes, le sénateur le paierait, mais ça n’aiderait guère Junior.

Finalement, Hawkins répondit : « J’ignore pour qui vous travaillez, Junior, mais laissez-moi vous dire ceci : si ces documents sortent, je suis ruiné. Si cela se produit, je n’aurai plus rien à perdre. Notre ami Hal a des amis, lui aussi. Ils vous retrouveront, et vous leur direz qui vous a envoyé, avant qu’ils vous épargnent d’autres souffrances, et vos commanditaires, quels qu’ils soient, subiront le même sort que vous. Me suis-je bien fait comprendre ? »

Junior sentit un frisson le parcourir. L’homme était parfaitement sérieux, il avait suffisamment entendu de gens parler vrai pour le reconnaître quand c’était le cas. Le sénateur était en train de lui dire qu’il lui était plus facile de faire ce que Junior voulait que de le tuer, mais que si les choses tournaient mal, c’est-ce qu’il pourrait faire. Ce qu’il ferait.

Junior acquiesça. « Ouais, je vous ai compris.

– Très bien. Que voulez-vous ? »

Junior le lui dit.

« C’est tout ? » Il paraissait abasourdi. « Mon Dieu, vous n’aviez pas besoin de faire ça. Vous aviez déjà mon vote.

– L’homme pour qui je travaille ne prend aucun risque », dit Junior.

Et il sortit. Une fois remonté dans le camion et les flingues dans leur étui, il se sentit nettement mieux. Hawkins pouvait se montrer un ennemi retors et Junior n’était pas mécontent d’en avoir fini avec lui.

 

Washington, DC

 

Il y avait certains avantages à vivre à Washington, estima Toni. L’un d’eux était que les nouvelles étaient vite périmées. Le téléphone allait encore sonner de temps en temps avec des coups de fil des médias, mais au moins les journalistes avaient quitté leur trottoir. Ils étaient repartis maltraiter une autre victime, ce qui voulait dire que l’existence de Toni pouvait commencer à redevenir normale.

Elle envisageait même de se rendre au bureau aujourd’hui. Alex avait besoin d’aide, aucun doute. Entre le procès et les opérations normales de la Net Force, la situation devenait un rien empêtrée.

Elle avait perdu de son punch, elle en était consciente. Elle n’était plus aussi affûtée qu’avant son départ pour cause de grossesse. Comme le silat, le travail exigeait des aptitudes, et si on ne les exerçait pas, on se rouillait.

Cela ne la préoccupait pas, cependant. Elle savait qu’elle pouvait retrouver son niveau, si elle le voulait vraiment. La question était : le voulait-elle vraiment ? Et c’était cette question qui la préoccupait, du moins un peu.

Un an, deux ans plus tôt, jamais l’idée ne l’aurait effleurée qu’elle puisse ne plus avoir envie de reprendre le boulot. Avant Alex – et surtout avant Petit Alex -, son travail était sa vie. Elle n’avait jamais imaginé que quoi que ce soit – le silat, ses parents, sa famille présente ou future – puisse remplacer son boulot comme point focal de son existence.

Elle s’était trompée. Elle avait trouvé quelque chose de plus important. Et ça lui faisait voir les choses d’une tout autre manière, se poser des questions qui auraient été pour elle impensables rien que quelques mois plus tôt.

Ce n’était pas non plus une fatalité, bien sûr. Elle avait connu quantité de femmes qui avaient mené les deux de front, élever une famille et poursuivre une carrière, mais il lui avait toujours semblé que l’un des deux en souffrait, même chez les meilleures et les plus brillantes. C’était une question de temps, plus que d’efforts ou de capacités. Les journées n’avaient que vingt-quatre heures, et l’on avait beau vouloir, on ne pouvait pas en faire plus que ce dont on était capable.

Et c’était la question à laquelle elle revenait sans cesse. Il y avait d’autres personnes capables de faire son boulot à la Net Force. D’autres capables d’apporter leur aide aux enquêtes et à l’administration du service. Mais qui pourrait la remplacer dans son rôle de mère pour son fils ?

Personne, bien sûr. Elle le savait. Même Gourou ne pouvait remplacer Toni. Pas quand il s’agissait de sa famille.

Le pire, c’est qu’il était impossible de le savoir. Pas à temps, en tout cas.

À la Net Force, au FBI, dans la plupart des boîtes, les résultats de vos décisions apparaissaient vite. Certes, certaines enquêtes s’étalaient sur des mois ou des années, mais la plupart du temps, quand vous preniez une décision, vous saviez assez rapidement si vous aviez eu raison ou tort.

Être parent, ça ne marchait pas ainsi. Vous preniez vos décisions sur la manière d’élever votre enfant. Vous déterminiez comment, quand et pourquoi le gronder ou l’encourager. Vous décidiez quand le guider par l’exemple, et quand lui donner une leçon. Mais chaque fois après chaque décision, il vous était impossible de savoir si vous aviez fait le bon choix. Vous ne le sauriez – ne pourriez le savoir – qu’un jour lointain, une fois votre fils devenu grand, quand vous pourriez voir les fruits de votre labeur.

Et même alors, comment le savoir réellement ? Si votre enfant se révélait être heureux, productif, brillant, amoureux et vivait tout ce que vous aviez espéré et souhaité pour lui, comment savoir en quelles proportions c’était dû à l’éducation parentale ou bien à la simple chance, à la génétique ou à d’autres influences ?

Impossible de le savoir. Et c’était ce qui rendait les décisions parentales – surtout les décisions majeures – si difficiles à prendre.

Elle soupira. Pourquoi personne ne lui avait-il parlé de tout cela avant ? Comment passer du stade où elle avait toutes les réponses dans sa vie, du stade où tout était planifié et simple à celui où elle avait l’impression d’être sur une piste menant vers un désert inconnu, près d’une pancarte : « Attention ! Ici vivent les dragons ! »

Être maman, c’était autrement plus dur qu’être agent fédéral. Ou que terrasser quelqu’un dans un combat. Bien plus dur.