Le lierre complètement dans l’ombre à présent et ils commençaient à se réveiller : non plus les quatre ou cinq à capuchon noir qui n’arrêtent pas de voler et de s’appeler toute la journée mais les moineaux entrant et ressortant dans les épaisseurs touffues se chamaillant se battant peut-être invisibles dans un bruit d’ailes de feuilles froissées Me rendant compte tout à coup qu’il ne devait pas être loin de cinq heures Pensant que j’aurais de la veine si je le trouvais encore à son bureau Dans la rue on pouvait toujours sentir la chaleur enfermée accumulée pas encore le moment où elle ressortirait peu à peu des murs mais en quelque sorte le point d’équilibre maintenant c’est-à-dire l’air les pierres et les briques à une température égale si bien que marcher entre les façades ou à travers les murs devait être à peu près pareil comme si tout était composé d’une même et unique matière serrée opaque uniformément tiède Ils avaient relevé la tente au-dessus de la terrasse l’ombre des maisons montait déjà à la hauteur du premier étage la chaleur venant ici d’en bas des dalles chauffées toute la journée comme si elle montait rayonnait des profondeurs incandescentes de la terre À l’intérieur il faisait un peu plus frais Je dis Non que ce n’était pas la peine qu’il la passe à la cabine je dis Non je la prendrai ici j’ai juste deux mots à Souhaitant qu’on lui ait proposé cet après-midi la moitié des terrains de la ville à acheter pensant que j’aurais dû venir lui téléphoner aussitôt après le départ de la mangeuse de meubles j’aurais toujours eu le temps d’ici neuf heures demain matin de vider les tiroirs Il n’y avait que cinq ou six personnes à des tables et dans le fond les éternels jeunes gens cramponnés à ces (J’ai dit ce n’est pas possible c’est un bureau il y a certainement quelqu’un il n’est pas encore cinq heures voulez-vous insister encore) machines les secouant tapant dessus se bousculant poussant des cris d’oiseaux dans le crépitement des points marqués Le voyant de l’une d’elles représentait le pont d’un porte-avions voguant sur une mer bleu électrique des petites lumières s’allumant brillant dans la pénombre avec cette fixité cette inhumaine permanence contrastant avec la respirable lumière du jour qui

Et alors passer le restant de sa vie dans un bureau dont on n’ouvre même plus les volets sous le prétexte de la poussière et de la chaleur même en plein hiver, occupé à ces choses passionnantes que sont la distillation du contenu de bouteilles poisseuses et les additions de sacs de sulfate ou de journées d’ouvriers en conservant au fond d’un tiroir sans avoir le courage de la déchirer une vieille photo qu’on se garde bien d’en sortir comme si on redoutait que non pas la lumière du soleil puisqu’elle n’y pénètre jamais mais simplement celle d’une simple ampoule électrique recouverte aux trois quarts de chiures de mouches soit capable en l’éclairant d’en faire surgir, exhumer non pas ce qui ne fut qu’un instant (une simple lamelle d’une infime épaisseur dans la masse du temps et sur laquelle on figure simplement assis dans un fauteuil d’osier) mais une confuse, une inextricable superposition d’images, mordant les unes sur les autres comme ces illustrations dans le dictionnaire ou certaines méthodes de culture physique homme courant ou homme sautant photos prises sur une plaque fixe à l’aide d’un appareil dont l’obturateur s’ouvre et se ferme à des intervalles très rapprochés...

(il me le passa disant Tenez écoutez vous-même Entendant alterner par-delà le bruit des soucoupes entrechoquées et le crépitement des mitrailleuses le bourdonnement lointain et le silence le bourdonnement et le silence pouvant imaginer là-bas le bureau aux murs nus excepté ce grand plan de la ville cumulant économiquement les fonctions d’œuvre d’art et de carte des opérations Il y avait plusieurs avions ou plutôt sans doute le même avion représenté dans les positions les phases différentes de l’attaque d’abord minuscule presque un point très haut dans l’échancrure entre deux nuages puis un peu plus bas son dessin se précisant puis un peu plus près encore le soleil rouge aux rayons rouges visible sur ses ailes les images successives de l’avion décrivant une courbe un piqué une ampoule électrique s’allumant tour à tour derrière le verre dépoli illuminant l’une après l’autre chacune des images à chaque crépitement de la mitrailleuse (le bourdonnement s’arrêta il y eut un déclic sans doute avait-elle fini de se recoiffer et de se repoudrer Je dis Allo est-ce que je pourrais parl) de sorte que par ses successives apparitions l’avion semblait grossir se rapprocher par saccades (je dis Comment Il est déjà parti Mais il est à peine Quoi Jusqu’à lundi Mais nous ne sommes que vend...) puis une ampoule s’alluma derrière le geyser jaune et rouge couronné de fumée qui jaillissait du pont du porte-avions Ils poussèrent tous de grands cris donnant des tapes dans le dos de celui qui jouait et se mirent à secouer frénétiquement la machine Une des deux géantes en maillot de bain coiffées d’un béret de marin américain qui encadraient le pont du porte-avions s’était aussi allumée cyclamen électrique l’autre était vêtue d’un maillot rayé blanc et bleu genre petit matelot Je reposai l’appareil)

... bandes où sur un fond noir on peut voir un cheval ou un homme moustachu et nu courir prendre leur élan s’élever et retomber passant successivement par toutes les attitudes intermédiaires du galop de la course et du saut chaque image empiétant sur la précédente ou plutôt semblant dériver d’elle engendrée par elle en quelque sorte se décollant d’elle comme si elles étaient toutes emboîtées les unes dans les autres à la façon de ces tables gigognes, par exemple :

la femme osseuse à l’aspect de nihiliste russe penchée au-dessus du plateau pour présenter tenue à bout de bras l’assiette de gâteaux, lui-même tendant la main dans le geste d’en...

(petits gâteaux farineux durs Me demandais où elle les trouvait Boutique spécialisée sans doute Machins russes peut-être ou plutôt hollandais Fournitures pour armateurs grandes pêches morutiers baleiniers et expéditions polaires Imputrescibles à l’eau de mer à l’acide sulfurique et sans doute aussi au suc gastrique Pouvais encore les sentir deux heures après comme des morceaux de bois dans mon Comment dit-on dans ces récits de naufrages ? Reste encore dix caisses de biscuits salés pimican ou quoi pélican deux et demi par jour et par homme et trois gorgées d’eau douce jusqu’à)

... prendre un, puis le buste de la femme se dédoublant, une fois, deux fois, trois fois, quatre fois, dans les positions successives qu’il occupe en même temps que l’assiette de gâteaux au bout du bras pivote dessinant une traînée blanche vers le vieil homme barbu qui embarrassé par sa tasse et engoncé dans le transatlantique fait de vains efforts pour atteindre l’assiette, la main de la femme prenant alors un gâteau, le posant sur sa soucoupe, les images transparentes de l’avant-bras dessinant dans ce mouvement un éventail ouvert à partir du coude, et à ce moment l’occupant du fauteuil d’osier en train de tourner la cuiller dans sa tasse pour faire fondre le sucre, le petit gâteau qu’il a lui-même pris tout à l’heure posé, incliné, sur le bord de la soucoupe

À une fenêtre du sixième étage en face une femme sortit un édredon des couvertures et un traversin qu’elle posa successivement à cheval sur le balcon puis elle disparut Le toit de zinc était d’un gris plus bleu

(tacatac des mitrailleuses encore dans les oreilles les plots lumineux couleur de berlingots s’allumant et s’éteignant soutien-gorge cyclamen et le béret de marin américain crânement posé sur l’oreille tandis que la bouche sourit de toutes ses dents de porcelaine Me demandant où il avait appris ce sourire de dentifrice américain proconsulaire VOTEZ VOTEZ VOTEZ bonasse et sévère à la fois indéfectible que ni la pluie ni le vent UNION POUR LE PROG ni les déchirures pourpres qui balafrent la photographie ne parviennent à décourager La porte en claquant les repoussant tous pêle-mêle dans le même univers clinquant de sourires pharmaceutiques d’œillades prometteuses de clameurs et de moteurs à réaction Entendant mon pas traverser le silence de la cour les portes du garage grincer Les ressorts de la voiture grincèrent aussi le démarreur tournant avec un bruit de ferraille puis j’arrêtai me rappelant qu’il faut compter jusqu’à trente pensant que sur la même photo on pourrait voir :)

le modèle debout à ce moment le dos au poêle toute droite son corps blanc transparent empiétant sur celui de la femme lorsque, assise sur son tabouret et redressée, elle se chauffe aussi le dos au poêle de sorte que le triangle noir se confond avec la tache des cheveux plats coupés à la Jeanne d’Arc, le Hollandais traversant l’étendue de plancher entre le buffet (au fond) et l’endroit où il va poser le pied de l’appareil photographique, visible tout entier (lorsqu’il est près du buffet, farfouillant à l’intérieur), puis, à mesure qu’il avance, ses pieds, ses jambes, ses cuisses sortant peu à peu du champ, puis le haut de la casquette franchit lui-même le bord supérieur du cadrage, puis la visière, puis le front, le nez, jusqu’à ce que finalement (pendant qu’il procède aux divers réglages) le champ tout entier soit occupé par le quadrillage de la chemise écossaise à travers lequel on pourrait voir, comme derrière une grille, l’occupant du fauteuil d’osier qui a posé maintenant sa tasse sur un tabouret penché à son tour en avant, les avant-bras appuyés sur les cuisses écartées, les deux mains jointes dont l’une tient la blague à tabac et l’autre la pipe qu’il est en train de bourrer tandis qu’à ce moment

il en tomba quelques-uns jaune-blond frisés entre mes pieds je vis alors que le plancher était maculé de taches. Couleur tombée du pinceau trop chargé. Constellation.

il était maintenant penché sur l’appareil C’est un truc épatant, dit-il, je l’ai acheté en All

rondes comme des pains à cacheter avec parfois une couronne de bavures tentaculaires. Patinées, grisées, ou plutôt pastellisées par la poussière. Près de la pointe de mon soulier droit il y en avait une bleu-noir presque de la grosseur d’une pièce de cinq francs, puis, un peu à gauche, toute une pléiade de petites aux teintes suaves rose fané turquoise amarante et une vert Nil avec comme une couronne de petits satellites carmin, puis un vide, puis le plancher gris verdâtre traversé par une mince entaille claire couleur sapin jaunâtre mais plus clair que les brins de tabac, écharde sautée sans doute récemment sur le bord d’une lame puisqu’elle n’avait pas encore eu le temps de griser, puis de nouveau un paquet de taches agglutinées comme ces grappes de ballons qu’on promène au bout d’une perche dans les foires mais pas ces tons criards au contraire lilas pourpre un bleu très pâle presque gris et une série de tons terreux

le modèle maintenant assis au bord du divan les jambes jointes les pieds seulement appuyés sur la partie antérieure de la plante les talons soulevés de façon à maintenir horizontales ses cuisses sur lesquelles elle a posé la soucoupe (ce n’est qu’après qu’elle reprendra la pose, à la demande du Hollandais qui veut « garder un souvenir », posant alors soucoupe et tasse sur la couverture rayée et s’allongeant de nouveau)

Encore un peu de thé ? dit-elle

je me rappelle que la partie de son ventre dans l’ombre était d’un vert délicat transparent comme un glacis Dans la lumière c’est-à-dire sur le léger renflement immédiatement au-dessous du nombril et le flanc gauche il était blanc nacre

se soulevant et s’abaissant imperceptiblement au rythme de sa respiration Partie concave légèrement plus bas que l’os de la hanche Puis je me rendis compte que c’était le reflet de cette couverture à raies vertes

il appuya sur le déclic revenant s’asseoir sur son tabouret tandis que le mécanisme grésillait, disant On a le temps de compter jusqu’à... Tout à coup le bruit changea soudain plus fort sa grosse tête rouge brique sursautant se tournant vivement vers l’appareil sa bouche disant Mince alors ! nous restâmes tous figés peut-être une seconde encore puis le grésillement cessa De nouveau il dit Mince Il y a quelque chose qui n’a pas dû marcher sauta de son tabouret se dirigea vers l’appareil marmonnant entre ses dents Je tournai rapidement la tête vers elle rencontrai ses yeux marron me considérant ni hardis ni effrontés simplement curieux circonspects comme ceux d’un chat je me détournai Il nous regardait : Hé qui est-ce qui connaît quelque chose à ces trucs-là ? Pas moi dis-je je n’ai jamais rien compris à la mécanique je ne

(descendant desserrant le frein la poussant hors du garage jusque dans la cour à la lumière ouvrant le capot et le regardant bloc piqué de rouille froid inanimé avec cet aspect à la fois dérisoire et hostile que prennent invariablement les choses – montres poignées de portes robinets de lavabos moteurs – quand elles refusent de fonctionner Le levier de la pompe à essence était recouvert d’une couche pelucheuse de poussière collée par la graisse Au bout d’un moment je sentis l’odeur puis elle déborda m’inonda les doigts Je les essuyai Sur mon index du noir restait incrusté dans les petits sillons circulaires de la peau Par contraste avec le noir les fines lignes en saillie avaient l’air plus roses obscènes Empreinte des criminels alors on pourrait... Je fis le tour du moteur revins m’asseoir continuant à m’essuyer les doigts puis gardant le chiffon dans la main gauche j’essayai de nouveau de le mettre en marche Les murs nus de la cour répercutaient le grincement du démarreur À la fin je renonçai descendis contournai de nouveau la voiture et restai à le contempler inerte mort avec ses tubulures noircies de cambouis ses boulons ses fils compliqués inutiles l’âcre odeur de l’essence flottant maintenant picotant mes narines aussi inerte que le caillou originel le bloc de minerai à partir duquel on l’a fabriqué ferrugineux et arrosé d’un peu de pétrole lui aussi extrait des profondeurs de la terre exhalant sa puanteur minérale glacée grise c’est-à-dire pas bleutée mais d’une couleur qui serait comme la négation même de la couleur comme celle d’un métal terne du plomb par exemple Au-dessous du carburateur sur le carter il y avait maintenant une tache marron huileuse qui s’élargissait Je revins m’asseoir et allumai une cigarette)

depuis un moment la femme n’avait pas reparu à la fenêtre La couverture dessinait un triangle effilé pendant la pointe en bas Trois rayures rouges rapprochées couraient parallèlement à l’un des bords Le traversin était cassé en deux par l’appui du balcon, aplati comme une poupée de son Quelle saloperie ! dit-il : maintenant ça vient de se déclencher sans même que je le touche vous avez vu ? Il cessa de tripoter l’appareil et se tourna vers moi : Il n’en reste plus qu’une Est-ce que tu sais prendre une photo ?

je me levai

tu n’as qu’à appuyer là c’est facile Attends que je sois installé C’est dommage tu ne seras pas dessus

venant de dehors j’entendais les coups réguliers tombant sur les couvertures Le son paraissait descendre mollement du ciel gris parvenir dédoublé comme de très loin Truc pour battre les tapis à manche souple torsadé comment s’appelle en osier ou quoi dessinant des boucles un trèfle des huit entrelacés comme ces ornements en galon doré sur les képis des officiers mais moins...

vas-y maintenant Tu n’as qu’à appuyer

je croyais qu’on n’avait pas le droit de les battre l’après-midi Seulement avant neuf heures du matin

bravo espérons que celle-là au moins sera bonne c’était la dernière le film est fini

(me demandant si en téléphonant à cette heure je pourrais réussir à obtenir qu’ils m’envoient un dépanneur J’essayai encore De nouveau le bruit grinçant métallique et vain se répercuta s’exaspérant renvoyé d’un mur à l’autre puis le silence Je descendis claquai la portière fis le tour et refermai le capot Avec ses deux phares elle avait l’air de me regarder stupide Plutôt coléoptère que rhinocéros c’est-à-dire simplement une de ces carapaces minces et vides dont les fourmis ont dévoré l’intérieur stoppée en pleine charge au milieu de l’avenue déserte parsemée de papiers de détritus et restant là de guingois affaissée un genou à terre pour ainsi dire penchant vers l’avant du côté où le pneu était à plat l’air d’une bête à la fois terrifiante stupide avec ses flancs barbouillés d’inscriptions et eux à qui il ne manquait que des flèches et des arcs jacassants palabrant dans le soleil épais frustrés inquiets maigres sa pomme d’Adam montant et descendant tandis qu’il continuait à mastiquer ce sandwich le soleil apparaissant et disparaissant pâteux ou plutôt poisseux brillant un instant sur les chromes rouillés du pare-chocs la glace la pâte gluante à l’intérieur de la bouche édentée puis s’effaçant de nouveau les ombres noires des balcons des banderoles s’évanouissant comme si tout s’aplatissait redevenait de ce gris uniforme jaunâtre poussiéreux puis plus rien que des dos et toutes les mains tendues hérissées de doigts le fusil brandi ballottant un moment au-dessus à bout de bras ils réussirent à le maîtriser le fusil disparut

Ma montre marquait cinq heures et demie Je rouvris la portière pris le dossier que j’avais laissé sur le siège claquai de nouveau la portière rentrai dans le vestibule pénétrant dans la fraîcheur humide la vieille odeur de moisi de mort À mi-chemin du premier étage je fis demi-tour sortant de nouveau les clefs de ma poche redescendis m’assis au volant et tentai une dernière fois le coup en donnant de petites poussées sur l’accélérateur le démarreur ferraillant de nouveau désespérément à vide puis tout à coup le bruit changea je lâchai la clef le bruit continuant je restai un moment à l’écouter donnant de légers coups d’accélérateur puis je le lâchai aussi attendant encore un moment sans bouger retenant ma respiration secoué par les légères trépidations À la fin je descendis allai ouvrir la porte cochère Elle ne cala pas quand je démarrai Je la laissai en travers de la rue barrant à moitié le trottoir me gardant bien de couper le contact écoutant s’il tournait toujours tandis que je revenais fermer la porte cochère la verrouillant de l’intérieur ressortant par la petite porte j’enlevai ma veste la posai sur le siège par-dessus le dossier et démarrai)

sans doute lui pouvait-il voir cela : c’est-à-dire comme sur ces photos des méthodes d’éducation physique, comme si cet obturateur n’avait pas cessé de s’ouvrir et de se refermer pendant tout ce temps, comme s’il continuait encore, la dernière photo prise (celle où il ne figurait pas, ce qui expliquait que la seule qu’il eût gardée en sa possession fût celle où le visage du Hollandais avait laissé cette empreinte triple et floue), à s’ouvrir et à se refermer devant la même et unique pellicule toujours en place de sorte qu’on pourrait maintenant y voir (se superposant au quadrillage de la chemise écossaise, à la tache claire étendue sur la table à modèle puis à la silhouette fuligineuse du Hollandais traversant de nouveau la pièce après la prise de l’ultime photo), à peu près au milieu du rectangle et coupé environ à mi-cuisse, le buste du modèle à présent revêtu d’une veste, les cuisses nues, tourné vers la droite, le Hollandais occupant au même moment la place où le modèle s’était tenu debout un peu plus tôt pour se chauffer mais accroupi, lui, devant le poêle dont il est en train de secouer le cendrier avant de le recharger, de sorte que les cuisses blanches et transparentes du modèle traversent son dos, jusqu’à ce qu’il se relève, debout l’instant d’après et légèrement sur la gauche du poêle dans lequel il enfourne des bûches, le fauteuil d’osier vide à présent, son ancien occupant se tenant alors devant la toile posée sur le chevalet si bien que c’est vers lui qu’est tourné le modèle et qu’ils...

Je n’aurais jamais pensé qu’on puisse en mettre là : presque dans la campagne déjà, bien après le cimetière des voitures, burlesques insolites les pieds de leurs portants de bois dans l’herbe du bas-côté leurs taches acides délavées jaune rose vert artificiel devant les feuilles tendres défilant rapidement déclamatoires et racoleuses UNION DEMOCR VOTEZ PROGR TOUS RASSEMBL proposant pêle-mêle aux gitans aux pompistes des dernières stations-service et aux habitants des bicoques à toits de tôle leurs portraits cravatés aux visages interchangeables bienveillants pensifs respectables me le rappelant la dernière fois que je l’avais vu assis à cette terrasse de café s’exerçant déjà à prendre cet air important

il fit semblant de ne pas me voir je continuai à marcher puis j’entendis le bruit de la chaise repoussée et qu’on courait derrière moi

il me rattrapa me tapa sur l’épaule Alors on ne reconnaît plus les amis ? il avait toujours ce même air à la fois supérieur inquiet et condescendant comme quand il me faisait valoir ses timbres de Memel ou me laissait entrevoir des photos de femmes nues entre les feuilles de ses cahiers Mais maintenant il n’essayait plus d’être élégant Du moins en un sens Sa tenue négligée à la limite du débraillé et du râpé quoique correcte avait quelque chose d’étudié et d’agressif

je ne t’avais pas vu dis-je

il me jeta un regard mauvais puis reprit aussitôt son air important Tu prends un verre ?

je suis pressé

tu as tout de même le temps de prendre un verre

non dis-je j’ai un rendez-vous Si tu veux je m’assieds cinq minutes Nous revînmes ensemble vers sa table Il rangea une chemise et des papiers dans une serviette déjà bourrée qu’il enleva du fauteuil vide et posa par terre contre le pied du guéridon Nous nous assîmes Il me regardait toujours de ce même air important sceptique et réprobateur J’ai appris que tu as été en Espagne

oui

très romantique dit-il

oui très romantique

et alors ?

alors quoi ? Je suppose que tu en sais aussi long que moi Je montrai la serviette : Tu es en train de devenir un personnage important

très romantique répéta-t-il Tu as joué à quoi ?

à rien Laisse tomber

je considère que ma place est ici à travailler de toutes mes forces à

bien sûr

je ne suis pas un jeune bourgeois romantique dit-il Je lutte contre le fascisme partout où il est et j’ai conscience d’aider nos camarades espagnols plus que

laisse tomber dis-je nous ne sommes pas dans une réunion publique

en tout cas certainement plus qu’en allant me promener là-bas pour

oh laisse tomber Je ne sais même pas moi-même ce que j’ai été y faire

tu le reconnais ?

Bon Dieu oui Je le reconnais

on m’a dit que tu avais fait passer des armes pour le compte des anarchistes

non J’ai fait passer des armes sans m’occuper de

ces types-là sont des salauds tu ne le savais pas ? Tout leur travail consiste à créer la division dans les rangs du

Bon Dieu arrête tu veux ?

il me regardait toujours de ce même air important sévère venimeux Il n’y a pas deux partis révolutionnaires dit-il Il n’y en a qu’un est-ce que tu ne le sais pas ?

si dis-je Mais probablement je ne suis pas un révolutionnaire Ou en tout cas pas un bon Tu vois : un bourgeois raté et un révolutionnaire raté En somme parfaitement inutilisable

tu te crois drôle ?

non dis-je Allez il faut que je file

fais attention

comment ?

il se troubla Écoute Il faut qu’on parle

une autre fois dis-je

réfléchis

oui dis-je Je tâcherai

réfléchis

au revoir

comme tu voudras Il avait repris son air sévère froid

au revoir

comme tu voudras Il ne me regardait plus avait ressorti les papiers de sa serviette il ouvrit la chemise sans plus s’occuper de moi feuilleta quelques-uns des papiers et s’absorba dans la lecture de l’un d’eux qu’il cochait de coups de crayon bleu

Puis plus rien que les vignes les haies de cyprès les plantations d’abricotiers et les collines de loin en loin les toits d’une maison de campagne ou d’une cave dépassant d’un bouquet de pins de platanes et d’eucalyptus et parvenu en haut de la côte je la vis : à peine plus foncée que le ciel parfaitement immobile d’ici immatérielle comme une bande horizontale de peinture soigneusement passée au pinceau au-dessus du vert acide des vignes

parmi les toiles accrochées au mur il y avait un paysage avec des pins et entre les branches on pouvait voir comme des éclats de ciel enchâssés faits d’une pâte grasse bleutée comme des fragments d’émail Elle se leva enfila une veste posée avec ses autres affaires sur la chaise au pied du divan en avant des toiles retournées appuyées contre le mur On aurait dit une veste d’homme grisâtre Elle fouilla dans la poche et en sortit un paquet de Gauloises froissé Qui est-ce qui a du feu ? On aurait dit des mains de poupée dépassant à peine des manches trop longues Le vernis d’un de ses ongles était écaillé. Merci. Elle souffla la fumée par le nez. Léger duvet sur sa lèvre supérieure. Serrait la veste sur sa poitrine mais elle ne couvrait pas le bas de son ventre. Tissu laineux chiné, puis bande de chair légèrement bombée, puis ce noir frisé sauvage. Pieds nus. Plante des pieds grise sans doute de poussière

flammes jaillissant à l’appel d’air par l’ouverture du poêle en haut se tordant dessinant sur la pellicule des langues floues et serpentines tache claire de forme convulsive épineuse superposée au ventre et à la poitrine du corps nu qui s’est tenu un peu plus tôt debout et un peu en avant comme autour du ventre et de la poitrine des divers personnages que...

regardait la toile odeur de peinture fraîche térébenthine térébinthe résineux qui : Ça doit être amusant j’aimerais bien

quoi ?

elle avança le menton en direction du tableau esquissé Je ne sais pas Toutes ces couleurs

oui

dehors la femme battait toujours ses couvertures

dans sa main gauche elle tenait la soucoupe de la tasse de thé que la femme de Van Velden lui avait offerte en même temps qu’un de ces biscuits de marin hollandais et un bout de tablette de chocolat Sa cigarette entre l’index et le majeur de la main droite elle prit le morceau de chocolat et le porta à sa bouche

du menton elle désigna de nouveau la toile fraîche Vous n’aimeriez pas ?

je relevai la tête. Simplement marron. Pas provocants. Légèrement apeurés même ou plutôt précautionneux Dans l’épaisseur de la tablette de chocolat je pouvais voir la trace de ses dents comme deux coups de pelle jumeaux parallèles légèrement concaves deux petites falaises striées

Elle était vêtue d’un symbole de culotte en laine rouge qui avait glissé de ses hanches grêles passait sous le bas de son petit ventre brun

bonjour dis-je

je coupai le contact pris ma veste et le dossier sur le siège à côté de moi descendis et fermai la portière Au-dessous la mer battait calmement les rochers Elle restait plantée à me regarder sans rien dire Elle avait des traces marron de chocolat sur le pourtour des lèvres

qui tu es ? dit-elle

tu ne me reconnais pas ?

une voix de femme l’appela Cori i i i nne !

elle tourna la tête vers la maison au milieu des pins me regarda de nouveau puis partit en courant ses minuscules pieds nus gravissant le sentier sans souci des pierres Je la suivis

... flammes superposées aux divers personnages (l’occupant du fauteuil d’osier, la femme lanceuse de bombes, le Hollandais) que leurs allées et venues avaient amenés à passer successivement entre l’objectif et le poêle, leurs pâles formes transparentes se mêlant s’interférant se brouillant à tel point qu’à la fin il ne resterait plus de net que le décor de l’atelier qui, pendant tout ce temps, n’avait pas bougé, les meubles (sauf les quelques-uns – le fauteuil d’osier, la chaise – que l’on a déplacés une ou deux fois, de sorte qu’ils sont quand même visibles quoique un peu plus clairs que le reste et dédoublés ou triplés), tandis que les silhouettes des personnages se brouillent de plus en plus, s’effacent, ne laissent plus que d’immatérielles traînées, de plus en plus diaphanes, semblables à des traces douteuses

À mesure que je montais je pouvais voir de plus en plus nettement le fond de la crique sous l’eau transparente glauque constellé de points bruns oursins je suppose Puis je les vis elles-mêmes : trois sur l’appontement une assise au bord battant distraitement l’eau de ses jambes les deux autres allongées l’ombre affleurant presque L’une d’elles se redressa mit sa main en visière regardant le soleil puis se leva Je continuai à monter Sa tête apparut puis ses épaules son buste gras velu Nu il avait l’air encore plus monumental Me rappelant la fois où elle l’avait traité d’homme des cavernes et de tas de viande Il sirotait un verre Quand il me vit son visage s’éclaira

par exemple ! dit-il Il ne fit pas mine de se lever mais il agita cordialement la main qui tenait le verre l’élevant dans ma direction Quelle bonne idée ! de sa main libre il tapota le fauteuil à côté de lui Quelle bonne inspiration Assieds-toi je suis crevé cette chaleur en ville c’était intenable j’ai eu un déjeuner par-dessus le marché discuté depuis ce matin avec une bande de cons à la fin j’ai tout plaqué et j’ai... Corinne ! cria-t-il

il remua pesamment dans son fauteuil essaya de regarder derrière lui en se tordant le cou puis renonça Cette sacrée gosse ! Il n’y a jamais moyen de

laisse dis-je Je l’ai rencontrée en bas

il n’y a plus de verres je voulais qu’elle dise à la bonne d’en ap

l’autre gros homme se leva J’y vais

oh dit Paul Je ne vous ai pas présentés

il dit un nom qui ressemblait à un nom grec Le gros homme me serra la main dit Je reviens Et s’éloigna

mais voyons ! dit Paul

ça me fera faire un peu d’exercice dit le gros homme

je ne pouvais plus voir l’appontement mais maintenant le soleil devait l’abandonner Je supposai qu’elles n’allaient pas tarder à remonter je pouvais toujours entendre le ressac battre faiblement clapoter contre les rochers

qu’est-ce que c’est que cette histoire ? dit-il Tu dis que j’ai une part ?

Corinne toi et moi C’est une vieille bergerie Elle n’a jamais été partagée et sur le cadastre elle figure sous le même numéro que cette vigne sur laquelle je

Bon Dieu dit-il Ce tas de cailloux !

si ça ne te faisait rien de signer Il faut qu’il y ait aussi ta signature comme ça je pourrai l’envoyer demain par la poste à Corinne en lui demandant si elle veut bien signer aussi

tu as de ses nouvelles ? dit-il Il y a peut-être six mois qu’elle ne m’a pas écrit Elle m’avait demandé de lui trouver un acheteur pour

elles apparurent toutes les trois L’une d’elles avait un peignoir de bain géranium jeté sur son épaule Je me levai Quelle bonne surprise ! dit-elle Nous restâmes debout sauf lui disant ces choses que personne ne s’entend jamais dire et que personne n’écoute jamais De temps en temps son regard s’abaissait : au bout de son bras la main relevée paume en bas faisait un angle droit avec le bras les doigts légèrement écartés Le soleil brilla dessus puis la main revint dans le prolongement du bras les doigts retombant souples Les deux autres ne pouvaient pas non plus empêcher leurs yeux de glisser Il y avait aussi des éclats sur ses épaules sa gorge liquides étincelants tremblant à chacun de ses mouvements comme sur les ailes d’un canard sortant de l’eau Odorantes Toutes les trois sentaient le sel le parfum de leur peau et celui de la mer se mêlant

le gros homme revint portant deux verres il y eut un brouhaha d’exclamations Il se rassit

qu’est-ce que tu veux boire ? dit Paul Le fauteuil grinçait légèrement sous son poids Il portait un short crasseux Elles le regardaient scintiller C’est notre anniversaire dit-elle Odeur de mer sur elles s’exhalant Conques marines Son verre toujours à la main il feuilletait le dossier posé sur ses cuisses De la mer venait un bruit d’insecte obstiné Décroissant puis s’enflant de nouveau puis moins fort puis reprenant Guêpe importune : quand ils passaient près du bord le bruit du moteur répercuté contre la paroi rocheuse devenait assourdissant Le soleil déclinait Penché en arrière dans les rejaillissements d’écume il fit un signe de la main agita le bras en passant

il m’a fait la surprise dit-elle Je me préparais à lui faire une scène parce que je croyais qu’il l’avait oublié et puis il a sorti ça de sa poche Qu’est-ce que tu as fait de l’écrin ? – Si j’avais su je l’y aurais gardé dit-il sans relever les yeux des papiers Rien que pour le plaisir de te voir faire la gueule. Elles éclatèrent toutes de rire Se pressant autour d’elle Nausicaa. On ne cessait pas de l’entendre on aurait dit une de ces grosses mouches un bourdon S’exaspérant par moments. En plus de son short il portait un vieux chapeau de femme en paille dont les bords se dépiautaient Sa peau était blanche ou plutôt grisâtre la sienne à elle couleur de bronze clair quelques gouttes diamantines tremblaient sur sa gorge chaque fois qu’elle bougeait. Il rangea les feuilles dans le dossier le ferma le posa sur la table Il me regarda Un instant son œil perspicace indifférent peut-être légèrement soucieux c’est-à-dire comme un médecin qui regarde un type condamné Sur le point de me dire quelque chose je suppose du genre Toi et Corinne !... ou peut-être rattrapant comme l’autre au dernier moment le nom d’Hélène les mots déjà dans la bouche Il se retint détourna les yeux Mais bien sûr où faut-il que je signe ? Le bruit de guêpe décroissait je regardai le canot s’éloigner maintenant vers le large sautant ou plutôt hoquetant sur les vagues l’écume rejaillissant de chaque côté de l’étrave lui faisant comme des moustaches de chat puis il tourna et disparut derrière la pointe de rochers et le bruit ne fut plus qu’un zinzin de moustique Lui aussi disparut à son tour toujours penché en arrière et doré. Dans la crique l’eau continua à remuer longtemps après une série de courtes vagues venant frapper contre les rochers

elle avait cessé de regarder le solitaire à son doigt et parlait maintenant en se balançant d’avant en arrière dans le fauteuil les deux mains posées sur les accoudoirs ses deux cuisses jointes bombées couleur de bronze clair couvertes d’un léger duvet décoloré par l’eau de mer. Par-dessus son épaule il l’appela et elle cessa de jouer Quoi ? – On ne dit pas quoi on vient ! Ils avaient enterré des plantes et des fleurs coupées et déversaient sur elles des seaux d’eau Les plantes pendaient molles et affaissées Leurs petites mains étaient noires de boue leurs pieds nus aussi Elle en avait jusqu’aux chevilles par endroits elle avait commencé à sécher et elle était d’un gris café au lait plus clair que la peau Lave-toi les mains et va me chercher mon stylo. Elle me regarda regarda le dossier me regarda de nouveau son petit visage était sans expression Je lui fis un sourire mais elle ne sourit pas elle regarda ses mains Tu as entendu ce que je t’ai dit ?

le bruit de frelon s’éleva de nouveau furieux et il sortit de derrière la pointe dans une apothéose d’écume elle tourna la tête ils tournèrent tous la tête le soleil brilla sur le diamant à la main qui tenait le verre Il passa derrière le verre puis réapparut de l’autre côté dieu écumeux. Eh bien qu’est-ce que je t’ai dit ? Elle me jeta un regard hostile et tourna le dos Ses petits pieds nus couraient sans bruit sur le dallage de la terrasse. Je me rendis compte qu’elle me parlait elle se balançait toujours d’avant en arrière sur le fauteuil les cuisses de bronze jointes les mains de nouveau posées sur les accoudoirs Mais oui dit-elle restez donc dîner avec nous Elle me souriait aimable mais je pouvais sentir qu’elle ne me voyait même pas disant Mais si ça nous fera plaisir restez donc Fernand a pêché ce matin un loup magnifique Vous n’allez pas rentrer en ville par cette chaleur... Elle fut sur le point de dire encore quelque chose comme Puisque vous êtes tout seul ou Puisque personne ne vous attend mais elle aussi se retint. Les deux autres jetaient de temps en temps un regard au diamant puis détournaient les yeux croisant et décroisant leurs longues jambes de bronze leurs poitrines respirant doucement le regardant jeter ses brefs éclats un peu haletantes leurs lèvres légèrement entrouvertes. Sans se retourner il cria Alors ce stylo ? – Écoute dit-elle tu n’as rien trouvé de mieux que ce chapeau et ce short dégoûtant où as-tu été les chercher ? – Qu’est-ce qu’ils ont ? dit-il Cette fois il se tourna vers la maison : Alors ça vient ? La guêpe bourdonnait toujours le soleil déclinait de plus en plus l’eau était très bleue je pouvais voir l’infatigable frange d’écume le léger ressac léchant les rochers en face couleur de pain cuits par le soleil Le cap tout entier était ocre Un léger vent faisait remuer les herbes roussies, les roches le cap se reflétaient dans l’eau trop bleue en parcelles fragments paillettes de bronze déchiquetées épineuses

il vint virer tout à fait dans le fond de la crique le moteur rugissant traînant derrière lui une queue de comète un panache courbe s’élargissant l’eau malmenée s’entrechoquant puis je le vis au bout de la corde les jambes fléchies passer rapidement filant droit coupant en oblique le sillage rebondissant deux fois puis revenant en sens inverse très vite et le coupant une deuxième fois dans un nouveau rejaillissement d’écume tandis que le canot se dirigeait à présent vers la pointe. Enfin tu as tout de même réussi à Je t’avais dit : mon stylo pas le premier truc que Oui ça va ça va ça va Ça t’aurait sans doute fatiguée de monter jusqu’à la chambre ? Sa petite culotte rouge en tricot avait glissé lui arrivait juste au-dessous du ventre on voyait le départ des aines blanches mais partout ailleurs elle était noire comme un pruneau le dos avec ses deux omoplates symétriques obliques un peu saillantes les épaules. Le gros homme reposa son verre Il avait un visage bonasse. La prochaine fois il faudra amener votre fille dit-elle Sans bouger les mains de sur les accoudoirs elle leva juste le doigt le regard filant vite entre les fentes minces de ses paupières abaissées il brilla un instant et le doigt se rabaissa. Il finit de se moucher replia soigneusement son mouchoir le remit dans sa poche Il portait de ces chaussures mi-parties blanches et marron une chemise blanche à fines raies grises et une cravate à dessins verts et jaunes Il renifla encore tout son visage gras exprimait une sorte de bonne volonté naïve Certainement dit-il Dès qu’elle sera revenue d’Angleterre Ça lui plaira certainement beaucoup. Il parlait un peu du nez en soufflant asthmatique ou quelque chose comme ça sans doute Sa cravate était fixée sur le devant de sa chemise par une barrette en or il portait une grosse chevalière en or et une alliance On disait qu’il pouvait vendre ou acheter dans l’espace d’une matinée assez de terrain pour construire tout un quartier Quand j’étais enfant je me rappelle que dans les journaux ce mot m’avait paru drôle marron médecin marron banquier marron homme d’affaires marron dans l’argot d’écolier marron voulait dire qu’on s’était fait rouler on disait aussi être chocolat On disait qu’une fois il avait acheté...

hypothéquer l’Olivette Je n’ai pas de conseil à te donner mais il me semble... Bon Dieu cria-t-il ça n’écrit même pas ! Je remplis cette maison de stylos-bille je les achète par paquets de dix pour que et il n’y a jamais moyen de... Il se tordit en arrière sur son fauteuil Retourne là-bas et rapporte-moi quelque chose qui écrive tu entends ? Elle était déjà revenue aux plantes flétries accroupie de nouveau comme un nègre sur ses talons ses genoux à hauteur du menton les mains de nouveau dans la boue elle releva la tête le regarda de ses yeux noirs dans son petit visage brillants de fureur contenue Tu as compris ? Depuis un moment il y avait quelque chose de différent je me rendis compte qu’on ne l’entendait plus je regardai du côté de la crique et je les vis : le canot pas tout à fait à la pointe arrêté dansant sur le léger ressac la silhouette du pilote maintenant penchée à l’arrière Il me fallut un moment pour le découvrir sa tête n’était qu’un point noir sur la mer je ne l’aurais jamais vue sans les aigrettes d’écume qui s’élevaient chaque fois que ses bras battaient l’eau Il avait dû tomber. Maintenant on pouvait entendre le clapotis le silence le tintement de la glace dans le verre quand il le reprit Ce que j’aime dit l’une c’est la façon dont il est monté juste avec ces trois griffes j’ai horreur de ces montures compliquées comme on en fait maintenant vous savez lourdes avec. Elles continuèrent à parler mais je ne pouvais pas comprendre J’essayai mais je n’y réussis pas Je pouvais comprendre chaque mot mais je ne parvenais pas à suivre c’était comme si elles avaient parlé dans une langue étrangère comme un agréable et léger bruit d’oiseaux langage de femmes comme quand j’étais enfant ces annonces de médecins ou ces réclames maladies des femmes quelque chose de mystérieux délicat et un peu terrifiant dont je savais que je serais à jamais exclu maladies qu’elles seules pouvaient avoir dans leurs mystérieux et délicats organes et dont quoi qu’il fasse mon corps à moi ne pourrait même pas imaginer l’existence cherchant dans le dictionnaire les noms les explications lisant des mots dont l’assemblage restait dépourvu de sens ne représentait rien de réel Même chose sans doute pour leur langage leur cerveau. De nouveau j’essayai elles parlaient de quelque chose concernant les enfants et un coiffeur je parvins à suivre le temps d’une ou deux phrases puis cela m’échappa encore comme une corde savonnée qui me glisserait entre les mains. Sans doute avait-il réussi à l’attraper : le bruit éclata brutalement s’exaspéra le canot filant déjà au-delà de la pointe puis il sortit à son tour de l’eau sembla surgir du sein de la mer arc-bouté oscillant d’avant en arrière par brusques à-coups puis tout à fait hors de l’eau à la fin se redressant glissant rapidement l’agaçant bruit de guêpe m’empêchant de nouveau de l’entendre noire glauque dans la partie de la crique sur laquelle la colline commençait maintenant à projeter son ombre pouvant voir les roches au fond par transparence ondulant comme des algues Vous ne voulez vraiment pas rester dîner ?

de nouveau je me rendis compte qu’elle me regardait depuis déjà un moment Dans ses yeux et sur son visage comme une sorte de perplexité de curiosité apitoyée et aussi une vague répugnance puis elle s’en aperçut et détourna les yeux. Trop compliqué sans doute. Je le vis briller un instant à son doigt Carats per mia cara. Guêpe insistante il revenait maintenant vers la gauche continuant à le traîner dans son apothéose d’écume deux ailes argentées jaillissant de ses pieds marchant sur l’onde Je suis Celui qui suis il vint vers eux pauvres pêcheurs tirant leurs filets vides pardonnez-nous pauvres pécheurs peinture de qui ? grisâtre, représentant au bord d’un étang vert pâle un maigre type barbu loqueteux debout dans une barque l’air de faire sa prière genre Angélus ou quelque chose comme ça misérabiliste légende LE PAUVRE PÉCHEUR mot à double sens comme Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église. Colle pas en latin Petrus et petram. Peut-être en grec ? Cela voulait-il dire nous misérables qui commettons des péchés ou bien nous qui ne prenons pas de poisson ? Il y avait aussi ventris tui le fruit de son ventre se renversant les relevant les écartant bronze clair pour se faire fructifier. Verticales maintenant Elles se levèrent toutes trois debout sur leurs colonnes de bronze parlant toujours dans leur langage incompréhensible chatoyant volubile à la fois pratique mystérieux et futile elles passèrent devant lui colonnes leurs jambes se mêlant mais il ne les regarda pas il avait des yeux de poisson mort son visage avait l’air d’un sac d’une vessie à demi pleine où tout se serait tassé dans le bas le double menton débordant sur le col la coûteuse cravate jaune et verte Merci pas trop d’alcool ça ne me réussit pas Il roulait les R comme un paysan bourguignon il regardait quelque chose sur ma gauche je tournai la tête et le vis moi aussi surgir peu à peu tête épaules buste au-dessus de la murette finissant d’escalader le sentier qui montait de la crique dans cette combinaison collante en caoutchouc d’un gris sombre luisante il avait l’air d’un crapaud un long poisson noir luisant comme verni pendait le long de sa cuisse avec cette inertie particulière des choses mortes lanière. À qui tout est maintenant égal repos. Son corps fut traîné dans la poussière attaché par les pieds au char du vainqueur tressautant déchiré par les cailloux suprême injure et lui le seul à s’en foutre puisqu’il était mort

déjà à mi-chemin de la maison elles s’arrêtèrent le regardant aussi s’avancer à travers les pins avec son trophée de bêtes mortes Le gros type s’était levé il dit Bonsoir docteur avec son accent bourguignon s’inclinant un peu Il ne répondit pas l’eau ruisselait encore sur son visage il s’était arrêté et tiraillait sa cagoule de chaque côté penchant chaque fois la tête pour faire sortir l’eau de ses oreilles Il avait cet air ennuyé et absent qu’ils ont tous et même excédé adopté semble-t-il une fois pour toutes sans doute appris en même temps que la première dissection. Elles s’approchèrent de lui leurs longues jambes de bronze passant les unes devant les autres s’entrecroisant comme des jambes de chevaux il ne fit pas attention à elles non plus elles se penchèrent pour regarder les poissons leurs ventres de bronze se plissant. Il y avait aussi un poulpe bleuâtre nacré que je n’avais pas vu flasque aussi pendant Les enfants avaient oublié leur jardin et s’étaient aussi rapprochés. Il releva la tête de sur les papiers et dit Les terrains derrière la gare nous sont passés sous le nez L’autre cessa de tirailler sur sa cagoule puis regarda le gros homme celui-ci se contenta d’abaisser les paupières. Alors tu le trouves ce stylo ? Il tourna un instant la tête vers la maison un des papiers glissa de la chemise et tomba il se baissa et le ramassa L’a appris tout à l’heure, dit-il de nouveau tourné vers la silhouette luisante désignant en même temps le gros homme d’un mouvement du menton disant le nom grec impossible à se rappeler Celui-ci fit oui de la tête il avait l’air penaud d’un paysan qui vient de se faire rouler à la foire il fit encore une fois oui renifla regardant le visage serti par la cagoule et qui continuait à ne rien exprimer d’autre que cette permanente mauvaise humeur à la fois méprisante et résignée Il se contenta de hausser les épaules marmonnant quelque chose comme ça devait arriver ou je le voyais venir ou j’en étais sûr. Ses pieds sortant des jambes de la combinaison étaient cachés par des chaussettes de grosse laine l’eau ruisselait lentement sur les dalles de schiste il y avait déjà une petite mare Il dit à voix haute Qu’est-ce qu’il peut faire froid mince ! Le plus grand des deux petits garçons portait la même petite culotte en tricot rouge qui lui glissait sur les reins on pouvait voir le commencement de la raie entre ses petites fesses Il leva les yeux vers elle son visage arrivait un peu plus haut que sa hanche il levait alternativement un pied puis l’autre trépignant lentement sur place comme s’il avait envie de faire pipi Demande à papa dit-elle. Il abaissa les yeux sur lui l’air toujours aussi ennuyé accablé détacha le poulpe de sa ceinture et le lui donna. Il partit en courant les flasques tentacules traînant derrière lui dans la poussière les autres courant autour de lui. Au bout de quelques mètres le côté qui raclait le sol se couvrit d’une couche gris sombre. Elle était à ce moment à mi-chemin de la maison le stylo dans un de ses poings fermés arrêtée les regardant Eh bien cria-t-il ça vient ? Elle s’approcha sans cesser de regarder les autres traînant le poulpe tendit le stylo au bout de son bras raide la tête toujours tournée en arrière et dès qu’il l’eut pris partit à son tour en courant Ils criaient et sautaient d’excitation de temps en temps celui qui le tenait faisait semblant de le jeter sur les autres ce n’était plus qu’une sorte de torchon noirâtre déchiqueté quand le char s’arrêta elles vinrent en cortège le réclamer pour lui faire des funérailles décentes mais il refusa de les recevoir. Ou peut-être leur permit-il de l’emporter. Magnanime. L’ombre de la colline arrivait maintenant jusqu’aux rochers de l’autre côté de la crique l’eau tout entière était devenue sombre les roches striées vert pâle cessaient à quelques mètres du bord puis on pouvait voir onduler le fond de galets chaque vague en se brisant ne s’étalait pas plus loin qu’une bande d’un mètre environ Des gens descendaient la colline en face encore au soleil portant des cabas et des paniers pendant au bout de leurs bras les deux enfants qui les précédaient sautèrent des derniers rochers sur la plage et se mirent à courir on pouvait entendre les galets rouler sous leurs pieds avec un bruit de dragées

il avait cessé de se déboucher les oreilles et les regardait sans rien dire ils les regardèrent tous. Les parents arrivèrent à leur tour sur la plage il y avait apparemment deux familles les hommes étaient en manches de chemise et portaient des pantalons sombres les femmes avaient des chapeaux de soleil aux couleurs criardes leurs jambes étaient pâles ils posèrent leurs cabas par terre et se mirent à déballer des choses enveloppées dans des serviettes. La petite mare d’eau à ses pieds continuait à s’agrandir son visage exprimait seulement le même ennui Je me demande en quelle langue il faudrait rédiger cette pancarte dit-il Qui est-ce qui a oublié de remettre la chaîne ? – Il n’y a rien à faire ils passent par-dessus on ne peut pas les empêcher. On aurait dit qu’il ne l’avait pas entendue Un moment il resta encore la tête tournée les regardant sans que son visage exprimât ni plus ni moins de déplaisir À la fin il se détourna et sans un mot se dirigea vers la maison Il marchait d’une manière embarrassée le poisson noir et luisant lui battant toujours la cuisse elle hésita puis partit à sa suite Ses reins étaient creusés par un sillon vertical qui se déplaçait doucement à chacun de ses pas. Elles n’étaient plus que deux maintenant Alors vous ne voulez décidément pas rester ? dit-elle. Il y avait je ne sais quoi dans l’air l’heure le soleil se déchirait dans l’eau s’éparpillait en croissants de bronze liquide serpentins se tortillant se fragmentant et se reconstituant parcelles de métal clair sur l’eau sombre l’ombre remontait maintenant le long des rochers gris tout à coup éteints et sous l’eau d’un vert presque blanc leur surface parsemée de points noirs comment s’appellent ces petits coquillages en forme de chapeaux chinois collés comme des ventouses ? ou peut-être des oursins. Une nouvelle fois il ressurgit de derrière le cap avec ses moustaches d’écume encore dans le soleil là-bas le bruit ressurgissant aussi ils cessèrent de regarder les gens installés sur la plage pour le regarder quelqu’un dit qu’il était infatigable Toute la journée au bureau dit-elle il ne pense qu’au moment où il pourra Le moteur couvrant alors le bruit de sa voix puis il cessa brusquement le canot continuant sur sa lancée ralentissant l’avant s’abaissant progressivement tandis qu’il se dirigeait vers l’appontement Je me rendis compte qu’il avait simplement baissé le régime il ne faisait plus maintenant qu’un faible bruit saccadé de ralenti Du tuyau d’échappement sortaient régulièrement des petites bouffées de fumée bleue il me semblait que je pouvais la sentir puant puis je le vis qui déjà sortait de l’eau portant ses trucs au bout de chaque bras remontant la grève les pique-niqueurs s’étaient arrêtés de manger et le regardaient l’un d’eux le couteau en l’air tenant dans leurs mains à hauteur de leurs bouches les sandwiches ou les tartines entamées toutes les têtes tournées vers lui Il entra dans le hangar à bateaux et en ressortit les mains libres il avait enfilé un peignoir Le Grec s’était de nouveau assis

le plus petit arriva son visage n’était qu’un mélange de boue et de larmes Qu’est-ce qu’il y a qu’est-ce qui t’est arrivé ? Il hoquetait des paroles incompréhensibles les deux autres étaient toujours accroupis comme des nègres ils avaient étalé le poulpe au milieu de leurs plantations flétries ses tentacules écartés en étoile noirâtre immobiles ils regardaient vers nous C’est pas vrai ! cria-t-elle C’est lui qui nous en a jeté c’est lui qui a commencé ! Elle le prit contre elle et commença à lui enlever la boue autour des yeux avec le coin d’un peignoir À son doigt le solitaire étincelait faiblement son maillot était souillé de boue et de larmes Qu’est-ce qu’il y a qu’est-ce qui y avait aussi de la boue sur sa cuisse. Elle était toujours assise comme un singe sur ses talons C’est pas vrai cria-t-elle de nouveau. De l’autre côté de la crique l’ombre escaladait maintenant la colline à l’herbe roussie Au large la mer fonçait et commençait à moutonner mais à l’abri du cap elle était toujours absolument calme. Ils avaient recommencé à manger seul l’un des deux enfants continuait à le regarder invisible pour nous maintenant montant sans doute le sentier Le marin était sur l’appontement en train d’amarrer le canot. Là dit-elle ce n’est pas grave Il avait cessé de pleurer mais continuait à renifler. Toujours assise sur ses talons elle ne cessait pas de regarder vers nous de ses yeux sauvages attentifs C’est pas vrai maman c’est pas vrai je te – Ça suffit maintenant rentrez à la maison et dites à Carmen de commencer à vous baigner. Elle ne bougea pas baissa la tête arracha une des fleurs qui pendaient la tête en bas et se mit à balayer et triturer la boue devant elle Tu as entendu ce que j’ai dit ? – Qu’est-ce qui se passe ? dit-il Géant blond en peignoir à rayures rouges et vertes Il regarda le plateau chargé de bouteilles : Avec quoi est-ce que vous vous empoisonnez ? Sans écouter la réponse il tapota la tête du petit Qu’est-ce qu’on t’a fait ? Il avait cessé de renifler mais ses yeux étaient encore pleins de larmes. Chaque raie rouge était encadrée par deux petites raies blanches elles-mêmes bordées d’un filet noir Colosse aux pieds d’airain Non dit-il donne-moi de ça Avec beaucoup d’eau Comme ça merci. Il s’assit et ramena sur lui les pans de son peignoir ses jambes étaient couvertes de poils couleur bronze il faisait tourner le liquide dans son verre la glace tintait contre les parois on pouvait voir des poils de bronze par l’entrebâillement du peignoir sur sa poitrine

par-dessus la table il me tendit le dossier tenant dessus avec le pouce la feuille qu’il avait signée Ça va ? – Merci dis-je je te remercie. De nouveau il faillit dire quelque chose Arrête de faire le con sans doute ou autre chose de ce genre puis son regard redevint neutre indifférent m’abandonna Ça a bien marché ? dit-il Enveloppé dans son peignoir il buvait son verre à petites gorgées il avait l’air soucieux il ressemblait à un gosse studieux réfléchi placide C’est ce truc dit-il Je n’y arrive pas Je le loupe une fois sur deux C’est au moment où je me retourne Il parlait lentement. Je rangeai le papier signé dans la chemise. De nouveau il me regarda d’un air interrogatif l’air de dire Tout va bien ? Je fis oui de la tête oui merci. Le marin arriva à son tour En bas je pouvais voir le canot à l’amarre se balancer On aurait dit qu’il était suspendu impondérable comme un ballon au-dessus du fond de roches vert pâle. Le bras dans la manche du peignoir multicolore tapota impérieusement l’accoudoir du fauteuil vide à côté de lui. Le marin portait un tricot bleu foncé une casquette à visière vernie et un pantalon délavé. Il avait un visage de fouine pas rasé depuis trois jours il secoua la tête fit Oh si vous voulez et s’assit au bord du fauteuil Là merci ça suffit merci madame. Sous l’eau les roches striées ondulaient faiblement. Là depuis des millénaires et la mer infatigable. En bas une des femmes avait relevé sa jupe et se tenait debout les pieds dedans on voyait ses cuisses et ses genoux trop gras très blancs je pouvais aussi voir les deux pieds et la partie immergée de ses jambes verdâtres comme télescopées ondulant gélatineuses désossées Sa jupe noire relevée était plissée en accordéon elle la tenait à deux mains de chaque côté en haut de ses cuisses la frange d’une combinaison rosâtre dépassait un peu L’ombre avait fini de faire l’ascension de la colline elle recouvrait maintenant toute la pointe il y avait encore du soleil sur les deux petites îles en face. Le Grec demanda ce qu’on pouvait prendre comme poisson le marin dit Ça dépend quelle sorte de pêche vous voulez faire Il parlait d’une voix placide lui aussi réfléchi lent. Louant ses services vendant sa sueur au plus offrant astiquant les cuivres le pont d’acajou larbin s’en fout pas mal probablement plus sûr que la pêche petit boulot peinard. Il avait croisé ses pieds sous le fauteuil se tenait légèrement penché en avant les deux coudes sur les accoudoirs son verre auquel il n’avait pas encore porté les lèvres dans ses mains plus intéressé semblait-il à parler de la mer que par ce qu’on lui avait donné à boire livrant les profonds secrets poissons flânant une ou deux fois je pus voir un éclat argenté flanc brillant un instant au-dessus du fond strié des roches ou plutôt ridé pensant de nouveau à elles sous les froides et mouvantes épaisseurs d’eau depuis toujours ou plutôt plissé : vieille peau de ce vieux monde ce vieux monstre Plissé pliscénien ou quoi Plioscène Sans doute rien à voir mots qui simplement se ressemblent plésiosaure et plus loin là où elle moutonnait maintenant bleu-noir milliers de mètres de fond paraît-il tonnes et tonnes d’eau et de silence s’écrasant dans l’éternelle obscurité

des Grecs ses semblables ont abordé là autrefois hardis marins aux confins du monde connu rusés commerçants risquant leurs vies bravant les monstres les rivages innommés les récifs pour vendre et acheter comme lui il y a paraît-il quelque part par là un navire englouti quelquefois on remonte des amphores ébréchées couvertes de coquillages chenues demeures de congres et de murènes. Grec subtil au cou orné d’une cravate jaune et verte et pour l’instant penaud comme un renard qu’une poule aur... Eh bien cria-t-elle Tu as entendu ce que je t’ai dit Ne me le fais pas répéter encore une fois ! Elle ne répondit pas se leva jeta rageusement la fleur fanée et partit en courant vers la maison sans se retourner ses petits pieds nus frappant le dallage les deux autres se levèrent aussi et la suivirent mais plus lentement Ils disparurent à l’angle de la maison Projeté sans doute par la porte de la cuisine un pâle trapèze jaunâtre s’étirait sur le sol couvert d’aiguilles de pins Un moment je vis leurs ombres s’y encadrer l’une après l’autre Puis il fut de nouveau vide géométrique un peu plus jaune semblait-il que l’instant d’avant tandis que le sol les pins bleuissaient Pourtant...