CHAPITRE XIV

Tout le monde sortit, me laissant seule avec l'homme que j'avais connu sous le nom de Rory.

Sa cotte de mailles scintilla quand il bougea. Sa barbe rousse — teinte en roux — avait des reflets cuivrés à cause du soleil. Un homme de grande taille, un aiglon d'Erinn, comme l'autre.

Il sortit son couteau et entailla sa paume.

— Rory, dis-je. Puis, me reprenant : Sean.

— Il est rouge, dit-il. Erinnien. Cela fera-t-il ton affaire ?

Je montrai le trône du Lion.

— Demande-lui.

— Peu m'importe ce que tu es. Je me moque du Lion. Je te veux, toi, petite.

Il se détourna et s'assit sur le trône. J'ouvris la bouche pour protester, puis la refermai. Sa Maison était aussi ancienne que la mienne. Le Lion d'Homana n'en voudrait pas à l'aigle d'Erinn.

— Ce qui est arrivé, dit-il, n'était pas prévu pour te faire du mal. Ton caractère nous était bien connu. Tu es une fille à la langue acérée, qui ne voulait pas entendre parler des hommes. Et surtout pas du prince d'Erinn.

« Je n'ai jamais eu besoin de supplier une fille. Rory et moi, nous avons l'habitude de trouver facilement des partenaires de lit.

Il ne le disait pas pour se vanter, énonçant seulement un fait.

— Nos pères nous ont fiancés quand j'avais quatre ans, avant ta naissance. Sans réfléchir à ce que nous pourrions désirer ou ressentir.

Je le regardai sans dire un mot.

— Je savais ce que je voulais quand il a été temps de penser au mariage. Mais je me doutais aussi de ce que tu éprouverais : tu avais une telle envie de liberté, et personne ne te comprenait. Pas même tes frères...

Je me souvins du jour où il m'avait demandé de lui montrer ce qu'était la forme-lir.

— J'ai pensé à t'envoyer chercher. Mais je savais que cela ne conviendrait pas. Je suis allé trouver Rory, qui partage beaucoup de mes sentiments. A nous deux, nous avons inventé l'histoire qui devait gagner le cœur d'une princesse cheysulie.

— Tu t'es fait voleur.

— Non. L'argent que j'ai dépensé était le mien.

— Tu as pris le cheval de Brennan.

— Je l'ai rendu depuis, petite.

— Ces hommes étaient tes gardes, alors ?

— Oui. Venus me protéger en terre étrangère.

— Tu as prétendu avoir assassiné ton frère.

— J'ai dit que je le craignais. Et puis, l'histoire était vraie, sauf que c'était moi qui lui avais presque fendu le crâne. Nous avons juste échangé nos places et romancé un peu ce que nous t'avons raconté.

— Combien de temps cela devait-il durer ?

— Pas si longtemps, crois-moi ! Rory était censé me rejoindre plus tôt, mais Liam l'a retenu. Je voulais seulement attendre que tu sois sûre de désirer ce mariage, puis je t'aurais dit la vérité.

— Ainsi, Rory devait venir me trouver en prétendant être Sean, afin de m'indiquer que j'avais un autre choix que celui d'épouser l'homme que je croyais devoir épouser...

— C'était subtil, petite. Si tu acceptais d'épouser le prince d'Erinn, j'étais là. Si tu étais d'accord pour épouser plutôt Rory Barbe-Rousse, j'étais là aussi.

— Mais Strahan est intervenu. Tu sais ce qu'il a fait, et le résultat.

— Keely...

— Je ne suis pas digne du prince d'Erinn, ni même d'un bâtard royal qui pourrait hériter si son frère n'a pas de fils.

— Je veux la femme qui est devant moi. Peu importe l'Ihlini. C'est une fille vive et solide, et je serais idiot d'en vouloir une autre.

— Rory t'a dit ça.

— Nous sommes très semblables, lui et moi. Il aurait pu gagner ton cœur...

— Il a failli. C'était un vrai prêtre, Sean ! Qu'aurais-tu fait ?

— J'aurais arrêté la cérémonie. Rory le savait. Il m'avait dit que ce que nous avions manigancé n'était pas juste pour toi. ( Un sourire éclaira son visage. ) Mais nous ne savions pas lequel d'entre nous tu allais nommer.

Il ne le savait toujours pas. Et ça me convenait parfaitement.

— Tu as joué cette comédie pour être sûr que j'épouserais l'homme que je voulais, pas à cause de son titre mais parce que je l'avais choisi. Comment sais-tu que je ne vais pas épouser Rory ? Bâtard ou non, tu m'as prouvé que cela n'a pas d'importance.

Sean pâlit.

— Lequel de nous choisis-tu ?

— Le prince d'Erinn, mon seigneur.

Il sourit. Puis une idée lui vint à l'esprit.

— Pour toi, c'est Rory !

— Oui, dis-je. Je crois que tu devrais partir.

Le malheureux tremblait de tous ses membres. Il avait avancé jusqu'au bord du précipice, et je venais de le pousser.

Il alla à la porte, puis se retourna et cria :

— Veux-tu que j’aille le chercher ?

Il y avait de la colère et de l'angoisse dans sa voix. Ma satisfaction mourut. Je n'avais pas envie de lui faire de mal.

— Je voudrais que tu ailles nous chercher des épées, Sean, et un prêtre. Si je dois devenir princesse d'Erinn, ce sera à la façon érinnienne, celle des cileann.

— Comment sais-tu ça ? demanda-t-il, sidéré.

— Aileen me l'a dit.

Sean sourit à travers sa barbe.

Je soupirai.

— Ne t'a-t-on jamais appris qu'on ne fait pas attendre une dame ?

La porte se referma. Je me tournai vers le Lion.

— Tu as gagné, dis-je. Tu l'emportes toujours, n'est-ce pas ?

Il ne répondit pas. Mais je n'en avais plus besoin. J'avais ma réponse.

Je m'assis sur l'estrade, les bras autour des genoux.

— C'est un garçon vif et solide, l'aiglon de Liam... Il fera l'affaire. ( Je me mordillai pensivement un ongle. ) S'il me laisse posséder une épée...