CHAPITRE XV

Les invités s’étaient littéralement jetés sur les plats de poissons cuits aux herbes et à l’huile ou servis froids, épicés et conservés dans du vinaigre et du miel, ainsi que sur les monticules de petites sardines grillées, le tout accompagné de sauces, de haricots et de légumes à l’huile, au vinaigre ou au sel, selon le goût des cuisinières. Quand la première faim de chacun fut rassasiée, les musiciens prirent leurs instruments. Les jeunes hommes se réunirent autour de David, les jeunes femmes autour de Bonafilla, et les danses purent commencer.

Isaac était en grande conversation avec Astruch ; Raquel dansait ; Yusuf, dans un coin, déchiquetait un morceau de pain.

— Nourriture mise à part, lui dit une voix à l’oreille, les mariages, c’est plutôt ennuyeux, tu ne trouves pas ?

Yusuf sourit et se retourna.

— Oh oui. Je m’appelle Yusuf.

— Je sais. Tout le monde te connaît ici. Moi, c’est Abram Dayot, l’apprenti de maître Jacob.

— C’est bizarre qu’on ne se soit pas rencontrés avant. Tu ne vis pas chez lui ?

— Si. Tu dors dans mon lit.

— Où étais-tu passé ?

— Il m’a renvoyé chez moi.

— Pourquoi ?

— Je n’en sais rien. On ne peut pas le demander au maître, mais j’ai posé la question à maîtresse Ruth et elle m’a répondu qu’il n’y avait pas assez de place dans la maison avec tous les invités du mariage, mais je sais que ce n’est pas vrai. On aurait pu me mettre dans les combles avec les serviteurs. C’est une grande maison. Je crois qu’il y a autre chose, murmura-t-il.

— Quoi, à ton avis ? demanda Yusuf sur le même ton.

— Je crois que c’est à cause de l’étrange malade qu’ils ont accueilli. Ils n’ont pas voulu que je le voie. Tu l’as vu, toi ?

— Oui.

— Les gens racontent que c’est une sorte de monstre. C’est vrai, ça ?

— Non, absolument pas. C’est un homme tout à fait ordinaire, ajouta-t-il dans l’espoir que la conversation prendrait un autre tour.

— À quoi ressemble-t-il ?

— Il a des cheveux et une barbe noires. Et ses yeux aussi sont noirs, me semble-t-il, mais c’est difficile à dire, les volets de sa chambre sont tout le temps fermés.

— Comme quelqu’un du Sud ?

— Peut-être bien. Mais sa peau n’est pas plus sombre que la tienne, et sa façon de parler ne nous apprend rien. Il ne parle pas beaucoup, il est trop malade pour ça. Dis, on nous ressert bientôt à manger ?

— Pas avant la fin de la danse, mais ça vaut le coup d’attendre. Il y a trois moutons rôtis, des volailles en sauce et aussi un chevreau. J’étais à la cuisine quand elles ont terminé de le préparer. Mais ne va pas dire que tu es au courant.

— Bien sûr que non. Allons voir si tout est prêt.

Abram Dayot se leva et déplia son grand corps dégingandé. Il trébucha et faillit renverser une cruche de vin que son voisin rattrapa de justesse.

— Cet été, je n’ai pas arrêté de grandir, dit-il comme pour s’excuser. Je ne me rends pas compte où sont mes pieds.

— J’aimerais bien être aussi grand que toi, fit Yusuf avant que les deux garçons ne prennent le chemin des cuisines.

 

Les cuisinières avaient fini de découper les moutons rôtis ; sur les tables, les plats de viandes braisées, rôties ou en ragoût se vidaient. Serviteurs et servantes passaient et repassaient, remplissant des pots de vin qu’ils déposaient sur les tables à côté de cruches d’eau et de boissons fraîches parfumées à la menthe, destinées à étancher la soif née du festin, des bavardages et des danses.

Un chanteur monta sur une petite estrade à côté des musiciens : les instruments entamèrent un morceau et il attaqua une chanson sur le thème des joies de l’hyménée, mêlant habilement aux couplets les noms des jeunes époux. Les paroles devinrent de plus en plus hardies et Bonafilla rougit de rire et d’embarras, ainsi que toute jeune épousée se doit de le faire. L’assistance l’applaudit et David posa la main sur la sienne.

Quand les chansons s’achevèrent enfin, on débarrassa les tables avant d’apporter des coupes de fruits – frais, secs ou conservés dans le miel et l’alcool –, ainsi que des plats de sucreries et de pâtisseries. Chacun d’eux était recouvert d’une montagne de beaux raisins secs, symboles de chance et de bonheur. Il y avait une telle abondance de mets que chacun avait à portée de la main ce qui lui plaisait le plus.

Alors que les invités s’abandonnaient à la gourmandise, l’intendant de la famille du médecin se dirigea vers maître Jacob et lui murmura quelques mots à l’oreille.

— Ah, Mordecai, dit le médecin d’un ton joyeux, un tonnelet a-t-il été prévu pour les serviteurs ? Et pour les musiciens ?

— Oui, maître Jacob, mais quelqu’un vous demande à la porte. Il prétend que c’est important.

— Qu’y a-t-il de plus important que les noces de mon frère ? répliqua Jacob, qui avait bu plus que de coutume.

— Jacob, intervint Isaac en se penchant vers lui, je pense qu’un patient a besoin de vos services. Désirez-vous que je m’en charge ? Je n’ai pas autant… J’ai moins d’obligations que vous, ce soir, se reprit-il. Où est Yusuf ? Il peut m’assister.

— Non, voyons d’abord de qui il s’agit. Venez avec moi, mon vieil ami. Cela nous fera du bien de nous dégourdir les jambes, même si nous n’allons qu’au portail.

Ils suivirent le serviteur jusqu’à la porte du jardin. Ce fut une lente procession, ponctuée par les conversations et les rires des invités.

— Voici l’homme, messire, dit l’intendant. Si je peux vous laisser seuls avec lui…

— Maître Jacob, fit un homme debout dans l’ombre de la rue. Mon maître est très malade et il aimerait que vous lui rendiez visite sur-le-champ. Ou dès que vous le pourrez, car il sait qu’il vous faudra quitter une fête de mariage. Il est réellement désolé, mais il croit qu’il va mourir si personne ne l’assiste.

— Qui est-ce ? demanda Jacob.

— Maître Pere Peyro.

— Et toi-même ? Tu ne ressembles pas à son serviteur.

— Je ne suis qu’un messager, maître Jacob. Le serviteur de maître Pere Peyro est resté auprès de lui.

— Peux-tu me dire de quoi il souffre, afin que je sache quoi apporter ?

— On m’a parlé d’un poids dans la poitrine et de halètements. Il peut à peine respirer.

— Bien.

— Je dois rentrer prévenir de votre arrivée, dit le messager avant que sa silhouette noire ne se fonde dans la nuit.

Jacob se tourna vers Isaac en titubant et le prit par le bras.

— Ah, mon ami, pardonnez-moi, mais je crois que j’ai bu plus que de raison. Entre les soucis que me cause mon patient et ceux qu’engendre ce mariage… J’ai été ridicule. Hannah ! cria-t-il. Apporte-moi de l’eau.

Une servante arriva en courant avec une cruche et un gobelet. Il but d’une seule traite avant de lui demander de remplir à nouveau le gobelet. Il lui fit ensuite verser de l’eau dans le creux de ses mains et il s’aspergea le visage.

— Voilà qui est mieux. Trouve-moi Abram, c’est un brave garçon. Dis-lui de se rendre chez maître Pere.

— Pourquoi ne me laissez-vous pas m’en occuper ? dit Isaac. Je prendrai Yusuf et un serviteur qui connaît le chemin. J’ai cru comprendre que l’affaire est grave.

— Nullement. Ce messager est un sot. Maître Pere souffre de ces accès de temps à autre. Ils lui sont très désagréables, mais ils ne sont dus qu’à la fatigue et aux préoccupations, et ils se guérissent facilement. Il a eu bien des soucis récemment.

— Qu’allez-vous employer ?

— Vous le savez très bien, mon ami Isaac. C’est de vous que j’en tiens la recette – j’étais jeune homme alors. C’est votre mélange d’herbes destiné à calmer les esprits et à apaiser la douleur, infusé dans de l’eau chaude.

— Vous l’utilisez donc toujours ?

— Oui, et il en a de grandes réserves. Je pense qu’il sera déjà endormi quand Abram arrivera. Chez lui, chacun sait préparer cette infusion. S’il souffre d’autre chose, Abram m’enverra chercher. Quand il le faut, il sait se montrer plein de ressource.

 

Abram écouta le message chuchoté de la servante puis il se tourna vers Yusuf.

— Je dois y aller. Un des patients de maître Jacob a eu une attaque. C’est un chrétien et un homme important.

Yusuf regarda maître Jacob et Isaac reprendre leurs places à table.

— Ton maître ne se déplace pas ?

— Oh non, maître Pere a régulièrement ce genre d’attaque. Je sais quoi faire. Viens avec moi. On en profitera pour passer par la cuisine et on chipera d’autres gourmandises. À moins que tu préfères rester pour les danses.

— Pour les danses ?

Yusuf se leva.

— On va emmener Mordecai, l’intendant de maître Jacob. Il sera heureux d’échapper à tout ça. Il faut ranger après le départ des invités, et il n’aime pas ça.

Comme Abram se levait, une clameur s’éleva parmi les invités.

— Qu’y a-t-il ? demanda Yusuf.

— Tu n’es donc jamais allé à une noce ? Ils accompagnent la mariée jusqu’à la chambre nuptiale. C’est très distrayant, mais il faut que j’y aille. Tu peux rester si tu veux, ajouta-t-il d’un air sombre.

— Je préfère t’accompagner.

 

Bonafilla se dissimulait de son mieux derrière son voile léger tandis que David plaisantait avec les amis et les voisins bruyants qui les accompagnaient jusqu’à la maison. Tout se passait dans les règles et chacun se réjouissait. Un jeune marié qui fanfaronne et une jeune mariée timide, voilà ce que les invités voulaient.

— J’ai horreur de ces noces où la mariée se pavane et échange des quolibets avec les musiciens et les invités, dit l’une des femmes.

— On sait pourquoi elles ne sont pas nerveuses, répliqua malicieusement une commère. Mais Bonafilla a l’air plus que nerveuse, non ? On croirait qu’on la conduit au gibet.

— Elle n’a pas sa mère. Peut-être qu’elle ne sait pas exactement à quoi s’attendre. Vous pensez que maîtresse Ruth l’a mise au courant ?

— Ou sa servante. On m’a dit qu’elle avait la sienne propre.

— Elle lui a probablement bourré la tête d’histoires épouvantables. Qui va mettre au lit la mariée ?

— Ruth et sa sœur venue d’Elna, ainsi que Raquel, son amie. Les voilà !

Parmi les cris d’encouragement, les rires gras et les innombrables remarques suggestives, les quatre femmes pénétrèrent dans la maison avant de monter dans la chambre préparée pour la nuit de noces.

À l’intérieur de la maison, le tumulte de la foule se mêla à l’ultime hurlement de dame Johana quand la sage-femme recueillit enfin son fils entre ses mains.

— C’est un beau garçon, madame, annonça-t-elle. Grand, fort et de bonne allure.

— Je veux le tenir, exigea Johana, et la sage-femme le déposa tel quel dans le creux de son bras.

Elle tendit à Johana un linge propre et la femme d’Arnau essuya doucement son nez, sa bouche et son visage.

— Comme tu ressembles à ton papa ! s’extasia-t-elle.

Et, une fois de plus, les larmes ruisselèrent sur ses joues.

— Je suis si heureuse ! Que l’on aille immédiatement prévenir Arnau qu’il a un fils. Et que l’on appelle Margarida.

 

Après qu’Ester eut déployé de considérables efforts, aidée ou gênée par les autres femmes, Bonafilla se retrouva en chemise de nuit en soie brodée. Elles la mirent au lit, tirèrent sur elle le drap et se préparèrent à sortir.

— Raquel, demanda la jeune femme en la retenant par la main, que vais-je lui dire ?

— Je ne sais pas, répondit-elle. Je pense que cela dépendra de ce qu’il dira. Mais vous allez devoir faire de votre mieux. Nous ne pouvons plus vous aider dorénavant.

— Je vais faire semblant de dormir.

— Ce n’est pas une bonne idée, à mon avis. Bonne chance, ajouta Raquel, et elle sortit.

Quand David entra dans la chambre nuptiale, il ne restait plus qu’une seule bougie allumée. Elle se trouvait à l’autre bout de la pièce, de sorte que les tentures du lit laissaient dans l’ombre le visage de Bonafilla. Il portait toujours sa tenue de noces, un bel habit taillé dans une pièce d’étoffe de qualité. Sa grâce surannée lui seyait particulièrement : elle lui donnait un air impérieux, si bien qu’il ressemblait à un prophète ou à un roi de la Bible venu rendre son jugement. Il prit la bougie et s’approcha du lit. Bonafilla était couchée sur le dos et elle le regardait, les yeux écarquillés par la peur. Il se retourna, alluma trois autres bougies et posa celle qu’il tenait sur une table afin qu’elle éclairât le visage de la jeune femme. Il prit place au pied du lit.

— Asseyez-vous, Bonafilla, dit-il. Je n’aime pas baisser les yeux quand je parle à quelqu’un.

Surprise, elle se mit en position assise.

— Il est temps que nous ayons une franche conversation. Cela nous a été impossible jusqu’ici.

— J’ai sans cesse été…

— Je vous en prie, interrompit-il avec fermeté. Laissez-moi parler. Vous aurez tout le temps de me répondre quand j’en aurai terminé. J’ai participé à la cérémonie de ce soir pour une seule et unique raison. Une personne qui connaît les mœurs de ce monde m’a convaincu que vous répudier avant le mariage serait non seulement cruel mais aussi ridicule.

— Qui est-ce ? fit Bonafilla d’une petite voix. Raquel ?

— Non. Que connaît-elle de la vie ? La femme à qui j’ai parlé m’a montré que j’aurais plus à perdre qu’à gagner. Elle m’a raconté calmement, dans le détail et sans exagération ce que vous avez fait en venant à Perpignan. Elle m’a aussi dit pourquoi, à son avis, vous l’avez résolu.

— Vous êtes donc au courant ? dit Bonafilla avant de fondre en larmes.

— Ne pleurez pas. D’autant plus que la faute vous incombe. C’est perdre du temps et compliquer les choses. Elle m’a expliqué la raison de votre étrange comportement depuis votre arrivée ici. M’a-t-elle dit la vérité ? J’aimerais le savoir.

— Que vous a-t-elle dit ?

— Qu’il exigeait de l’or pour garder le silence sur son infamie.

Bonafilla secoua la tête.

— Non, il ne m’a pas demandé de l’or. Ce sont des informations qu’il voulait, plus que je ne pouvais lui donner.

— Des informations ? Vous en êtes certaine ? Mais peu importe. Laissez-moi achever et vous me direz plus tard ce qu’il exige. C’est hier soir que je lui ai parlé. J’ai longuement réfléchi à ses paroles avant de décider de souper avec vous et la famille. Je voulais vous observer et voir quel était votre comportement devant les autres convives. Je prendrais ensuite une décision. Ce fut limpide. J’ai compris que vous ne pensiez qu’à vous-même…

— C’est faux ! s’écria Bonafilla. Je pense toujours à autrui.

— Uniquement pour savoir ce qu’on pense de vous. N’est-ce pas la vérité ?

— Peut-être. Parfois, murmura-t-elle en retombant dans l’ombre.

— J’ai également vu à quel point vous étiez seule et apeurée. J’ai compris que Raquel n’était pas votre amie, rien de plus qu’une relation.

— Je n’ai aucune amie, dit Bonafilla d’une voix lugubre.

Il entendait à peine sa voix.

— Ou plutôt, je n’en ai plus. Elles sont mortes de la fièvre, comme mes deux sœurs et ma mère. Il ne me reste plus que ma marâtre, mes frères et mon père. J’ai eu si peur de les quitter et de venir dans cette ville étrangère.

— Voilà qui m’apporte davantage d’explications. Après une nuit d’insomnie, j’en ai conclu que cette femme avait raison. Ce n’est peut-être pas un début de mariage idéal, mais du moins est-il honnête. Avec la fortune que m’ont laissée mes parents et votre dot, qui est encore plus considérable, nous pourrons vivre ensemble en toute indépendance. C’est important. La femme m’a démontré qu’au lieu de connaître vos vertus et vos talents puis de découvrir votre mauvais côté, je commencerai par connaître vos faiblesses et discernerai ensuite vos forces. Maintenant, si vous portez déjà un enfant…

— David, fit-elle d’un ton désespéré, si c’est le cas, nous ne le saurons pas. À moins que vous ne préfériez m’écarter jusqu’à ce que nous le sachions puis prendre une décision à mon égard. C’est votre droit, ajouta-t-elle timidement.

Il eut l’air surpris.

— Voilà une réponse courageuse, mais ne rien savoir est ce qui convient le mieux à l’enfant et à nous-mêmes. Pour moi, tout enfant que vous porterez depuis cet instant jusqu’au neuvième mois suivant mon trépas sera le mien. Me comprenez-vous ? Il ne s’est rien passé dans la forêt. Vous êtes vierge. Souvenez-vous-en. En plus des promesses que nous nous sommes faites ce jour, vous allez me jurer que vous préserverez ce secret jusqu’à la tombe.

— Sur ma vie, je vous le promets, dit-elle avec ferveur. J’ignorais qu’un homme pût être si bon.

— Ce n’est pas de la bonté, Bonafilla. J’ai simplement compris que je vous désirais ardemment, et ce que j’ai entendu n’y change rien. Mais il reste encore une chose à faire.

— Laquelle ?

David tira une courte dague de sa bottine.

— Quoi ? Vous n’allez pas me tuer ? s’écria-t-elle en se pelotonnant dans le lit. Après tout ce que vous avez dit, vous ne pouvez pas me tuer, n’est-ce pas ?

— Ne soyez pas sotte. Vous n’êtes vraiment qu’une enfant. Ça aussi, la femme me l’a dit.

Il rejeta les draps, remonta sa manche gauche et, en souriant, passa rapidement la lame sur sa peau.

— Que faites-vous ?

Quand le sang jaillit de la coupure, il frotta son bras sur la chemise de nuit de Bonafilla et sur ses cuisses avant de tacher le drap.

— Pour répondre à votre question, je sauve l’honneur de ma femme, dit-il. Voyons si vous méritez tout le mal que je me donne.

Il lui ôta sa chemise de nuit, approcha la bougie et la contempla.

— Même si la seule chose que vous m’apportiez était votre beauté, sans votre honnêteté ni votre courage, cela déjà vaut bien plus qu’une petite estafilade.

— Vous me trouvez vraiment jolie ? demanda-t-elle, nerveuse.

— Je n’ai jamais vu une femme aussi belle. Venez, mon épouse, pansez mon bras pour que je puisse quitter mes bottes sans ensanglanter tout ce qui nous entoure.

Bonafilla ne put s’empêcher de rire. Elle saisit son mouchoir de soie et essuya le sang de son bras avant de le nouer sur la plaie. Son mari la prit dans ses bras.

— Vos bottes… murmura-t-elle.

— Ce n’est pas le moment de penser à ça…

Au matin, en dépit des tragiques événements survenus au cours de la nuit, c’est une Ester plus que surprise qui étala le drap souillé sur le balcon en fer forgé. Ceux qui s’étaient assemblés dans la rue apprirent ainsi ce dont nul ne doutait hors de la maison, à savoir que la jeune et belle maîtresse Bonafilla était une femme vertueuse et pure.