CHAPITRE IX
David attendit.
Il se sentit tout à coup soulevé de terre et, lentement, renversé eu arrière, jusqu’à ce que son corps fût parallèle au sol. Il essaya de lever la tête, mais il se rendit compte qu’elle était presque immobilisée. Les liens étranges qui paralysaient sa nuque et ses épaules étaient moins solides que ceux qui enserraient ses membres ; c’était comme un harnais de caoutchouc velouté qui pouvait se distendre, mais dans une certaine mesure seulement.
On le fit glisser à l’intérieur de la caverne, et il eut l’impression d’entrer dans de l’eau chaude, parfumée, respirable. Lorsque sa tête quitta le sas (on l’avait fait entrer les pieds en avant) un sommeil sans rêve s’appesantit sur lui.
Quand il rouvrit ses yeux, il fut incapable de prendre conscience du temps qui avait pu s’écouler. Il éprouvait l’impression qu’il y avait une présence vivante auprès de lui, mais il n’aurait su dire, d’ailleurs, sous quelle forme exacte il ressentait cette impression. La température était celle d’une chaude journée d’été sur la Terre. Il perçut ensuite autour de lui une lumière rougeâtre assez obscure, et qui permettait à peine de voir. Il pouvait tout juste distinguer, en tournant la tête, les murs d’une petite pièce. Il n’y avait de mouvement ni de vie nulle part.
Cependant, une intelligence puissante fonctionnait non loin de lui. David le sentait avec certitude, mais d’une manière qu’il ne pouvait expliquer.
Il essaya prudemment de bouger la main et il put la soulever sans effort. Il s’assit, perplexe, et se trouva sur une surface élastique et moelleuse dont il ne put, dans le noir, discerner la nature. Une voix lui parvint soudain.
— La créature a conscience de ce qui l’environne…
La dernière partie de la phrase fut un mélange de sons confus, sans signification. David ne put déterminer de quelle direction provenait la voix. Elle arrivait de partout et de nulle part.
Une seconde voix se fit entendre. Elle était nettement différente, bien que cette différence fût subtile. Elle était plus aimable, plus harmonieuse, plus féminine en quelque sorte.
— Etes-vous bien, créature ?
— Je ne puis vous voir, dit David.
La première voix, – David pensait que c’était une voix d’homme, – se fit entendre de nouveau.
— C’est ce que j’ai dit à - - - (Ici encore des sons confus). Vous n’avez pas un équipement qui vous permette de voir l’esprit…
La fin de la phrase était brouillée mais, pour David, elle signifiait bien « voir l’esprit ».
— Je puis à peine voir la matière, dit-il. Il n’y a guère de lumière.
Un silence suivit, comme si les deux personnages invisibles se concertaient ; puis un objet fut lancé doucement dans la main de David. C’était sa lampe de poche.
— Prenez cela, dit la voix masculine. Cet objet a peut-être pour vous une signification en ce qui concerne la lumière ?
— Certes, dit David. Vous ne voyez donc pas ?
Il fit jaillir le rayon et, rapidement, éclaboussa de lumière les murs qui l’entouraient. Il n’y avait aucun être vivant dans la pièce et elle était absolument nue. La surface sur laquelle il était assis était transparente à la lumière et placée à quatre pieds environ du sol.
— C’est bien ce que je disais, reprit la voix féminine avec excitation. Le sens visuel de la créature est excité par les ondes courtes.
— Mais la plus grande partie des radiations de son appareil se situe dans l’infra-rouge, protesta l’autre. Je me suis basé là-dessus.
La lumière de la pièce s’aviva. Elle prit d’abord une teinte orange, puis jaune, puis finalement blanche.
— Pouvez-vous rafraîchir aussi la pièce ? demanda David.
— Sa température a été soigneusement réglée sur celle de votre corps.
— Je la préférerais moins chaude, dit Davis.
Une brise fraîche, agréable et reposante passa sur David. David pensa alors : « Je crois que vous êtes en communication directe avec mon esprit. C’est pourquoi, sans doute, j’ai l’impression que vous parlez ma langue, l’anglais.
— Oui, nous sommes en communication, répondit la voix masculine. Comment pourrions-nous converser autrement ?
David eut un geste de compréhension. C’était pour cette raison qu’il ne percevait parfois que des sons confus. Quand ses interlocuteurs disaient un mot qui n’étaient pas accompagné d’une image que son propre esprit pût interpréter, ce mot ne pouvait être reçu que sous forme de sons confus, qui étaient comme des parasites mentaux.
— Dans l’histoire ancienne de notre race, reprit la voix féminine, des légendes rapportent que nos esprits étaient fermés l’un à l’autre et que nous communiquions à l’aide de symboles par l’œil et par l’oreille. Votre question, m’amène à me demander s’il n’en est pas ainsi pour votre race.
— Il eu est ainsi, répondit David. Depuis combien de temps suis-je dans la caverne ?
— Pas tout à fait une rotation planétaire, répondit la voix masculine. Nous nous excusons pour les ennuis que nous avons pu vous causer, mais c’était le première fois que nous avions l’occasion d’étudier, vivante, une des nouvelles créatures de la surface. Nous en avons recueilli plusieurs auparavant, dont une il n’y a pas longtemps, mais aucune ne fonctionnait et les renseignements que nous avons pu obtenir par l’étude de spécimens de ce genre sont nécessairement limités.
David se demanda si c’était Griswold qui avait été le corps récemment recueilli. Il demanda avec circonspection :
— Est-ce que vous avez fini de m’examiner.
— Vous craignez qu’on ne vous fasse du mal, répondit vivement la voix féminine. Il y a dans votre esprit l’impression nette que nous pourrions être assez sauvages pour agir sur vos fonctions vitales dans le but de nous instruire. Quelle horrible pensée !
— Je regrette de vous avoir offensée. C’est simplement que je ne suis pas habitué à vos méthodes.
— Nous avons appris tout ce qu’il nous est nécessaire de savoir, dit la voix masculine. Nous pouvons très bien faire un examen de votre corps, molécule par molécule, sans avoir besoin d’aucun contact physique. Les renseignements que nous fournissent nos mécanismes psychiques sont tout à fait suffisants.
— Qu’est-ce que c’est que ces mécanismes psychiques dont vous parlez ?
— Etes-vous habitué aux transformations effectuées par l’entendement matériel ?
David esquissa une moue :
— Je crains que non, fit-il.
Un silence suivit, puis la voix masculine dit brièvement :
— Je viens d’examiner votre esprit. Je crois, à en juger par sa texture, que votre compréhension des principes physiques est insuffisante pour que vous puissiez comprendre mes explications.
David eut l’impression qu’on le remettait à sa place.
— Je m’excuse, dit-il.
— Je voudrais vous poser quelques questions, poursuivit la voix masculine.
— Je vous en prie, Monsieur.
— Que signifie le mot par lequel se termine la phrase que vous venez de prononcer ?
— C’est simplement une appellation de politesse.
Silence.
— Ah, oui, je vois. Vous compliquez vos symboles selon la personne à qui vous vous adressez. Mais… dites-moi, Créature, vous irradiez une énorme chaleur. Etes-vous malade, ou est-ce normal ?
— C’est tout à fait normal. Les morts que vous avez examinés étaient sans doute à la température du milieu qui les environnait. Mais quand nos corps fonctionnent, ils gardent une température constante qui nous convient mieux.
— Vous n’êtes donc pas des natifs de cette planète ?
— Avant de répondre à cette question, dit David, puis-je vous demander quelle serait votre attitude à l’égard de créatures comme moi si elles étaient originaires d’une autre planète ?
— Vos pareils et vous, je vous l’assure, vous ne nous inspirez, en dehors de la curiosité que vous éveillez en nous, que de l’indifférence. Je vois dans votre esprit de l’inquiétude au sujet des mobiles qui pourraient nous pousser. Je vois que vous craignez réellement notre hostilité. Rejetez ces pensées.
— Ne pouvez-vous pas lire dans mon esprit la réponse à vos demandes ? Pourquoi me posez-vous des questions spéciales ?
— En l’absence de toute communication précise, je ne puis percevoir que les émotions et les attitudes générales. Mais vous ne pouvez pas comprendre. Pour une information précise, la communication doit s’accompagner d’un effort de la volonté. Si cela peut contribuer à vous apaiser, je puis vous dire que nous avons déjà toutes les raisons du monde de croire que vous appartenez à une race qui n’est pas née sur cette planète. D’abord la composition de vos tissus est absolument différente de celle de tous les êtres vivants qui ont existé ici. La chaleur de votre corps, d’autre part, indique que vous venez d’un autre monde, plus chaud.
— Vous ne vous trompez pas. Je suis originaire de la Terre.
— Je ne comprends pas ce dernier mot.
— De la planète voisine, plus proche du Soleil que celle-ci.
— Vraiment ? Voilà qui est très intéressant ! A l’époque où notre race s’est retirée dans les cavernes, il y a de cela un demi-million de révolutions, nous savions que la vie existait sur votre planète, mais nous ne pensions pas que cette vie pût être intelligente. Votre race est donc douée d’intelligence ?
— Guère, dit David. Un million d’années terrestres se sont écoulées depuis que les Martiens ont quitté la surface de leur planète.
— C’est en vérité intéressant. Je vais faire tout de suite mon rapport à l’Esprit Central. Venez - - -.
— Permettez que je reste, - - - -. J’aimerais m’entretenir encore avec cette créature.
— Comme vous voudrez.
*
* *
La voix féminine dit :
— Parlez-moi de votre monde.
David s’exprima eu toute liberté. Il éprouvait une langueur agréable, presque délicieuse. Son inquiétude avait disparu et il n’avait aucune raison de ne pas répondre avec sincérité, sans rien cacher. Ces êtres étaient gentils et aimables. Il bouillait du désir de les connaître.
La présence féminine libéra soudain de son emprise l’esprit de David et celui-ci se tut.
— Je ne sais pas trop ce que j’ai pu vous raconter, maugréa David, mais je crois que j’ai parlé plus que je ne l’aurais voulu. Qu’ai-je dit exactement ?
— Rien de mal, répondit la voix féminine, rassurante, J’ai seulement effacé les inhibitions de votre esprit. C’est un acte illégal et je n’aurais pas osé le faire si - - - - s’était encore trouvé là. Mais vous n’êtes qu’une créature, et je suis tellement curieuse ! Je savais que votre méfiance était trop enracinée pour que vous me parliez librement si je ne vous aidais un peu. Et votre suspicion est si mal placée ! Jamais nous ne ferons du mal à des créatures, du moins aussi longtemps qu’elles ne nous feront pas de tort.
— Nous l’avons déjà fait, il me semble, répondit David, bourru. Nous occupons votre planète d’un bout à l’autre.
— Je vois que vous essayez encore de me mettre à l’épreuve. Vous n’avez donc pas confiance en moi ? La surface de la planète ne nous intéresse pas. Notre foyer est ici. Cependant, poursuivit la voix féminine avec un accent presque de regret, il doit y avoir un certain plaisir excitant à voyager d’un monde à l’autre. Nous savons fort bien qu’il y a dans l’Espace de nombreuses planètes et beaucoup de soleils. Et penser que des créatures comme vous héritent de tous ces biens ! Tout cela est tellement passionnant que je ne cesse de me féliciter que nous ayons perçu à temps votre arrivée. Nous tenions beaucoup à vous voir, et c’est pour cela que nous vous avons aussitôt fabriqué cette entrée…
— Quoi ?
David n’avait pu s’empêcher de pousser un cri, bien qu’il sût que les ondes sonores émises par ses cordes vocales n’étaient pas entendues. Seules les pensées de son esprit étaient perçues.
— Vous avez fabriqué cette entrée ? demanda-t-il.
— Je n’étais pas seule. - - - - m’a aidée. C’est pourquoi on nous a permis de vous examiner.
— Mais comment avez-vous procédé ?
— Mais… voyons ! En utilisant notre volonté.
— Je ne comprends pas.
— C’est pourtant simple. Ne pouvez-vous pas le voir dans mon esprit ?… Oh, j’oubliais ! Vous êtes une créature étrangère… Vous comprenez, quand nous nous sommes retiré dans les cavernes, nous avons été obligés de détruire des milliers de milles cubiques de matière pour nous faire de l’espace sous la surface. Nous n’avions aucun endroit où emmagasiner cette matière telle qu’elle était. Aussi l’avons-nous convertie en énergie et - - - -.
— Minute ! Je ne vous suis pas. Vous voulez dire que vous avez creusé votre pays de cavernes en convertissant le roc en énergie ?
— Vous ne comprenez pas ? Dans ce cas, tout ce que je puis dire c’est que cette énergie a été emmagasinée sous une forme qui permet d’y puiser par un effort de la volonté.
— Si toute la matière qui emplissait autrefois ces vastes cavernes a été convertie en énergie, murmura-t-il, ébahi…
Il n’acheva pas sa phrase. Et c’est son interlocutrice qui enchaîna :
— Il y en a sans doute pas mal ? Certainement. Nous vivons sur cette énergie depuis un demi-million de révolutions et on calcule que nous en avons suffisamment pour vingt millions de révolutions encore. Avant même d’avoir quitté la surface, nous avons étudié les rapports de l’esprit et de la matière. Mais depuis que nous vivons dans les cavernes, nous avons perfectionné cette science à un tel degré que nous avons entièrement abandonné la matière pour ce qui concerne notre usage personnel. Nous sommes des êtres d’esprit et d’énergie purs, qui ne meurent jamais. Je suis présente ici comme vous, mais comme vous ne pouvez percevoir l’esprit…
— Des gens comme vous pourraient sûrement devenir les maîtres de l’univers, fit David, impressionné.
— Vous croyez que l’idée nous viendrait de disputer l’univers à de pauvres créatures matérielles comme vous ? C’est stupide. L’univers est tout entier ici avec nous. Nous nous suffisons à nous-mêmes.
David porta lentement les mains à sa tête. Il avait la sensation que son esprit était touché par des vrilles délicates, infiniment délicates. C’était la première fois qu’il éprouvait cette impression et, à ce contact intime, il se contracta.
— Je m’excuse encore, dit-elle. Mais vous êtes une créature si intéressante ! Votre esprit me dit que vos semblables courent un grand danger et que vous nous soupçonnez d’en être la cause. Je vous assure que nous n’y sommes pour rien.
Elle parlait avec simplicité. David ne pouvait mettre sa sincérité en doute.
— Votre compagnon a déclaré, dit-il, que la composition chimique de mes tissus diffère entièrement de celle de tous les êtres vivants de Mars. Puis-je savoir en quoi ?
— Vos tissus sont faits d’une substance nitrogénée.
— De protéine, précisa David.
— Je ne comprends pas ce mot.
— De quoi se composent vos tissus ?
— De - - - --- ---. Ils sont absolument différents. Pratiquement, ils ne contiennent pas de nitrogène.
— Vous ne pourriez donc m’offrir aucune nourriture ?
— Je crois que non. ---- dit que toutes les substances organiques de notre planète vous empoisonneraient rapidement. Il serait facile de fabriquer des composés simples du même modèle que votre type de vie, dont vous pourriez vous nourrir, mais la substance nitrogénée complexe qui forme la texture de vos tissus est absolument en dehors de nos possibilités sans une étude approfondie. Avez-vous faim ?
David pouvait de moins en moins douter de la sympathie et de l’intérêt qu’exprimait la pensée de cet esprit.
— Pour l’instant, j’ai une réserve de nourriture, dit-il.
— Il m’est désagréable de penser à vous comme à une créature anonyme, reprit la voix féminine. Quel est votre nom ?
Puis, craignant de ne pas être comprise, elle ajouta :
— Quelle identité vous donnent vos semblables ?
— Je m’appelle David Starr.
— Star… Etoile… Je ne comprends pas, sauf qu’il semble y avoir une allusion aux soleils de l’univers. Vous nomme-t-on ainsi parce que vous êtes un voyageur de l’Espace ?
— Non. Beaucoup de mes semblables voyagent dans l’Espace. « Starr » n’a pas de signification spéciale actuellement. C’est simplement un son par lequel je suis identifié, de même que vos noms sont simplement des sons. Du moins, ils n’évoquent pour moi aucune image, je ne puis les comprendre.
— Quel dommage ! Vous devriez avoir un nom qui rappellerait vos voyages dans l’Espace, votre manière de vagabonder d’un bout de l’univers à l’autre. Si j’étais une créature comme vous, le nom qui me conviendrait serait, je pense : « L’Aventurier de l’Espace ».
C’est ainsi que, prononcé par une créature vivante qu’il ne voyait pas et qu’il ne pourrait jamais voir sous sa forme véritable, David Starr entendit pour la première fois le nom sous lequel, par la suite, toute la Galaxie le connaîtrait.