Jeudi 9 mai 2143
Le nouvel uniforme était raide ; il lui grattait le cou et les poignets. Quant au pantalon, il était mal taillé.
— Arrête un peu d’ajuster ton uniforme, le gronda Jacinta. Avec les maillages, ça ne passera pas inaperçu.
Sid retira sa main de son entrejambe. À l’autre bout de la limousine, Chloe Healy regardait ailleurs, diplomate. C’était elle qui avait apporté l’uniforme, ce matin-là. Et fait venir la limousine. Le tout étant payé par NorthernMetroServices. Sid ne voulait pas d’une nouvelle tenue. L’ancienne lui convenait très bien, même si, force lui était de l’admettre, elle était un peu miteuse à côté de la nouvelle, d’un noir profond, d’un lustre qui trahissait son coût sans doute astronomique. Avec les rubans colorés discrets accrochés à sa poitrine, il était vraiment très élégant. Un vrai chef compétent, dynamique et digne de confiance.
Au moins la chemise blanche était-elle à lui.
La limousine remonta Collingwood Street, avec sa chaussée flanquée de bâtiments en pierre gris-brun. Il y avait un portrait de Ian orné d’un ruban noir dans toutes les vitrines.
— C’est vous qui avez organisé ça ? demanda Sid à Chloe.
— Non, c’est spontané.
La seconde moitié de Collingwood Street, avant le croisement de Cathedral Square, était équipée de barrières de sécurité. Beaucoup de gens attendaient le passage du corbillard derrière les grillages en métal hauts d’un peu plus d’un mètre.
— Mon Dieu, murmura Jacinta.
— Il a quand même empêché une bombe D d’exploser dans cette ville, expliqua Chloe.
Sid et Jacinta se regardèrent, puis détournèrent les yeux. La limousine vira à droite dans St Nicholas Street et s’arrêta devant la cathédrale. Le vieux et majestueux bâtiment était isolé par de nouvelles barrières, le long desquelles étaient postés des agents de sécurité en uniforme. Sid se demandait combien de personnes étaient venues rendre un dernier hommage au héros qui s’était sacrifié pour sauver la ville. Des milliers, au moins.
— N’oubliez pas, pas plus de trente secondes avec le maire, le prévint Chloe tandis que les portières se déverrouillaient.
— Oui, acquiesça Sid d’un ton exagérément docile.
La limousine qui les précédait venait de déposer le maire. Après d’âpres négociations, Chloe et l’équipe du magistrat étaient convenues que ce dernier arriverait le premier, mais qu’il ne monopoliserait pas Sid sur le chemin de la cathédrale. Et puis, ils ne seraient pas assis l’un à côté de l’autre durant la cérémonie pour éviter toute rumeur de connivence, car les deux hommes n’étaient pas encore alliés.
Sid sortit sur le trottoir. Le soleil était haut dans le ciel azur et un air chaud s’engouffrait dans les rues anciennes de Newcastle, charriant l’odeur de la ville. Au nord de la cathédrale, les chênes avaient conservé leur vivacité printanière, produisaient une lueur émeraude un peu floue dans la lumière du soleil. Après l’ambiance stérile et feutrée de la limousine, cela faisait un véritable déluge de sensations. D’autant que des centaines de personnes le regardaient.
Soudain, des applaudissements. Sid mit quelques secondes à comprendre que c’était lui qu’on applaudissait. Il adressa un sourire discret à la foule et hocha la tête pour montrer sa gratitude. Il passa devant les gens sans les regarder, craignant de croiser le regard d’une ancienne petite amie de Ian.
— Inspecteur Hurst.
Le maire était devant lui, la main tendue. Les nombreux journalistes massés de part et d’autre de la cathédrale ne rataient pas une miette de cette rencontre.
Sid lui serra la main.
— Monsieur le maire, merci d’être venu.
— C’est normal. La ville doit énormément à l’inspecteur Lanagin. Il a démontré, si besoin en était, que nous avons raison de soutenir notre police comme nous le faisons.
Sid s’imagina le sourire moqueur de Ian, s’il avait été là pour entendre le politicien, et les gestes qu’il aurait faits dans le dos de l’homme. Avant de sonder la foule pour repérer des proies potentielles.
Jacinta s’approcha discrètement et tendit la main au maire, qui la serra de bonne grâce.
— Nous devrions y aller, dit-elle.
— Bien sûr, acquiesça le maire, véritable épitomé de dignité.
Ils se séparèrent. Les porteurs du cercueil attendaient à côté de l’énorme double porte ; il y avait là Eva, Lorelle, Ari et Royce O’Rouke qui avait une nouvelle occasion de montrer aux reporters du transnet son vieil uniforme. Sid leur sourit, les lèvres pincées, et sentit Jacinta lui serrer fort la main. Il avait besoin de ce contact. Remonter la nef en saluant tout ce monde se révéla beaucoup plus difficile qu’il ne l’aurait cru possible. Toutefois, c’était son travail, désormais : être vu et créer des liens. Ralph Stevens et Sarah Linsell étaient là, dans le fond, discrets, comme le leur imposait leur profession. Jenson San, la petite merde. Hayfa Fullerton, Reannha Hall, Tilly Lewis, assis sur le banc réservé au personnel de Market Street. Milligan et ses hommes, juste derrière, car il s’agissait d’être vu. Même la commissaire Passam était là, mais personne ne faisait attention à elle.
Tant de personnes qu’il ne connaissait pas. Qui n’avaient jamais croisé la route de Ian. Des gens importants à saluer, des gens qui tenaient à remercier, à soutenir les héros de la ville en ces temps troublés.
Tallulah était assise à quelques rangées de l’autel. Tête baissée, elle sanglotait en silence, essayant de ne pas se faire remarquer. Des grands personnages la flanquaient et, le visage figé, faisaient leur possible pour ne pas la regarder. Même dans son état, même avec les yeux et les joues maculés de maquillage et de larmes, elle était magnifique.
Sid s’arrêta et lui tendit la main.
— Venez avec moi, lui dit-il gentiment.
Il y eut un peu d’agitation, comme elle se faufilait jusqu’à lui. Sid l’accompagna jusqu’au premier rang, où étaient installés les parents effondrés de Ian.
— Non, protesta faiblement Tallulah.
— Vous le connaissiez. Vous teniez à lui. Nous ne sommes pas si nombreux. Restons ensemble.
Elle lui sourit avec une gratitude pathétique et prit place à côté de lui. Il serra la main des parents, dont il avait fait la connaissance la veille. Il avait passé une heure et demie horrible dans leur chambre d’hôtel à leur raconter les meilleurs moments de la vie professionnelle de leur fils. Ceux auxquels il avait assisté, en tout cas.
Jacinta lui tapota la jambe.
— Je reconnais bien l’homme que j’ai épousé, chuchota-t-elle.
Sid lâcha un soupir. Son i-e l’informa que le cercueil venait d’arriver. Les porteurs se réunirent derrière le corbillard.
Devant lui, la chorale se leva, et tout le monde l’imita. Sid se redressa aussi, son livre de cantiques pendillant dans sa main. L’énorme orgue se mit à jouer la marche funèbre.
Les doigts de Jacinta se mêlèrent aux siens.
— Quarante minutes, dit-elle. Et puis ce sera terminé. Je vais partager ce moment avec toi.
— Vraiment ? Tu es sûre ?
— Pour le meilleur et pour le pire, non ?
Ainsi, la vie de Sid redevint supportable.
***
La limousine les déposa devant leur maison de Jesmond à 13 heures. Ils n’avaient pas réussi à se libérer plus tôt. Sid n’était pas parvenu à échapper à la réception officielle à la mairie de Newcastle. Et pourtant, il n’avait aucune envie de fréquenter tous ces dignitaires, ces chefs d’entreprise, sans compter l’évêque de la ville. Le personnel de Market Street avait décidé de se retrouver dans un pub de Quayside, près du pont du Millénaire. Là, il y aurait des rires authentiques, des évocations larmoyantes de souvenirs communs, de la musique, trop de bière et un peu de drogue. Avec un peu de chance, cela se terminerait en bagarre, et un bon paquet d’entre eux finiraient la nuit en cellule de dégrisement. Voilà une façon digne de rendre hommage à Ian. La meilleure façon de dire adieu à l’un des leurs.
Au lieu de quoi il s’était mêlé consciencieusement aux morts-vivants, où l’on parlait pour ne rien dire, où Chloe lui avait présenté plein de gens et où des hôtesses engagées pour l’occasion avaient servi sans enthousiasme des verres de vin blanc tiède. Il aurait préféré faire une ronde de nuit dans une ZSSP. Merde, même son bureau du sixième aurait été préférable.
— Une tasse de thé, chéri ? demanda Jacinta.
— Ouais, merci.
Une fois la porte d’entrée refermée, il entreprit de retirer son uniforme. Il se frotta le cou.
— Je crois que je suis allergique, ajouta-t-il.
— Je vais te trouver de la crème.
— Non, ce n’est pas si grave.
Elle leva les yeux au ciel.
— Ah ! les hommes. Les médicaments ne sont pas une faiblesse, tu sais.
— Je sais.
Il prit un des nouveaux tabourets et s’assit derrière le comptoir de la cuisine. Jacinta versa de l’eau bouillante dans une théière en porcelaine, cadeau émouvant de ses parents.
— On n’a pas encore fait notre pendaison de crémaillère, remarqua-t-il.
— On verra ça quand on aura terminé la déco. En revanche, pas question que tes potes policiers viennent tout saccager. Honnêtement, ils se comportent encore plus mal qu’une bande d’étudiants de première année un samedi soir.
— Ce n’est pas faux. Et c’est joliment dit.
Elle prit place en face de lui.
— Tu veux descendre à Quayside ?
— Non, je gâcherais l’ambiance. Je suis au sixième étage, maintenant.
— Tu le connaissais mieux que tous ces types.
— C’est moi qui l’ai embarqué sur le Dernier Mile. C’est moi qui refusais de laisser tomber cette enquête.
— Ne t’inflige pas ça, chéri. Cette enquête était un désastre dès le début.
— Ouais, confirma-t-il en se versant du thé. L’ADH avait raison. Un putain d’extraterrestre !
— Et on sait ce qu’il faisait là ?
— Personnellement, je n’en ai pas la moindre idée, répondit Sid en sirotant son thé.
Jacinta tendit le bras et posa sa main sur la sienne.
— Évalue notre situation froidement : pour nous, c’était mieux avant ou non ?
Sid s’apprêtait à serrer la main de sa femme lorsque ses cellules intelligentes auriculaires résonnèrent d’un signal d’alarme. Un icone rouge vif apparut au centre de sa grille.
— Bordel ! s’exclama-t-il.
— Quoi ?
— Code rouge !
— Qu’est-ce que c’est ?
— Une alerte ADH.
Choquée, Jacinta porta la main à sa bouche.
— Le Zanth ?
— Je ne sais pas.
— Mon Dieu ! Sid, les enfants ! Il faut aller chercher les enfants !
— Que se passe-t-il ? demanda Sid à son i-e. Pourquoi un code rouge ?
— Les radars de l’ADH positionnés au-dessus de l’Europe du Nord viennent de détecter des vaisseaux spatiaux dans l’atmosphère de la Terre.
— Hein ?
***
Deux cent quatre-vingt-trois vaisseaux à ondes lumineuses tombaient du zénith glorieux du ciel céruléen de Newcastle. Ils volaient en silence, descendaient en se débarrassant de leur camouflage sur la ville stupéfaite, révélant leurs fuselages bleu-vert aux habitants hypnotisés de la ville. Il y en avait de toutes les tailles et de toutes les formes, des gouttes écrasées et des sphères géantes équipées d’ailerons courtauds, des engins vrillés autour de leur équateur. Il n’y en avait pas de petits, cependant.
Une goutte aux contours cannelés volait en tête de la formation, se dirigeant vers le Dernier Mile. Semblable, notèrent les gens, au mystérieux engin qui avait été aperçu au même endroit une semaine plus tôt lorsque leur héros, Ian Lanagin, avait empêché la bombe D d’exploser. Lorsqu’il ne fut plus qu’à un kilomètre d’altitude, de fins plumets de vapeur jaillirent des anneaux déformés fixés à sa section centrale. Alors que les autres ralentissaient, celui-ci filait à grande vitesse en déroulant cinq spirales de fumée blanche.
Les employés oisifs des commerces du Dernier Mile sortirent sur Kingsway pour assister à l’arrivée de cette étrange armada. Des images prises par les iris et les maillages des personnes présentes inondèrent très vite le transnet, se propageant sur tous les mondes transspatiaux.
Le vaisseau de tête décéléra violemment et s’arrêta juste au-dessus de la rampe métallique conduisant à la phosphorescence argentée du portail. Avec une agilité étonnante, compte tenu de sa taille et de sa masse, il pivota à quatre-vingt-dix degrés et pointa son nez vers la connexion transspatiale. Un instant plus tard, il fonça tout droit vers St Libra.
Le reste de la flotte continua à descendre d’une manière plus mesurée, quoique inquiétante. Les vaisseaux formaient un genre de banc, se déplaçant de conserve, ajustant leurs positions jusqu’à englober le portail et le bunker en béton qui abritait ses systèmes.
Fuyant les appareils, des centaines de personnes s’éparpillèrent, sortirent du terminal de la douane, des hangars réservés au transit des marchandises, de la salle de contrôle des pipelines, des bâtiments administratifs et du centre de contrôle du portail. Terrorisées, elles regardaient constamment par-dessus leur épaule, car des trappes s’ouvraient dans les fuselages. Apparurent alors des sortes de termites cybernétiques, une armée de machines longues d’un mètre aux pattes flexibles et aux mandibules-outils bruyantes. Ils entourèrent le portail, s’engouffrèrent dans les portes laissées ouvertes sur les côtés du bâtiment, escaladèrent le toit en béton pour trouver des aérations dans lesquelles ils se tortillèrent.
Dix minutes plus tard, l’ovale scintillant du passage interdimensionnel se ternit avant de s’évaporer littéralement comme le rideau d’un magicien, cédant la place à des machines denses et très complexes relevant de la physique des hautes énergies. L’armée de vandales métalliques en prit possession, enfonçant ses outils entre les modules, taillant dans les conduits et arrachant des bouquets de câbles. Des lasers rouges et aveuglants s’attaquèrent aux poutrelles de la structure, envoyant des fontaines d’étincelles pareilles à des feux de Bengale sur la rampe en contrebas.
Lentement, avec une détermination monomaniaque toute cybernétique, les robots s’enfoncèrent dans les profondeurs des systèmes du générateur. Des sections entières, une fois détachées, furent emportées par les termites victorieux dans les vaisseaux qui attendaient au-dessus.
Lorsque le processus de démantèlement fut bien engagé, un engin en forme de goutte reprit silencieusement de l’altitude et disparut vers le nord.
***
Cela faisait cinquante ans que Constantine North n’avait pas vu la pyramide tronquée en plaques de verre prismatiques dans laquelle ses frères et lui avaient vécu pendant plus de quatre décennies, à l’époque où ils développaient leur empire commercial. Son vaisseau se posa sur la pelouse, devant l’entrée principale. Constantine descendit de son appareil et respira l’air de son monde natal. Le parfum de l’herbe coupée et des cerisiers en fleur raviva des souvenirs et des émotions sauvegardés dans des parties anciennes et non modifiées de son cerveau. Il goûta avec plaisir cette nostalgie, s’arrêtant pour admirer le jardin, avec ses denses alignements d’arbres et ses deux longs bassins. Les arbres avaient bien vieilli au cours des dernières décennies, conférant au panorama une allure plus naturelle, touffue.
Constantine gravit les marches de pierre jusqu’aux portes en verre de l’entrée principale en compagnie de l’avatar d’Aldred. Augustine attendait dans l’énorme atrium central, où la végétation de St Libra atteignait presque le plafond, entre plusieurs de ses fils, qui formaient sa garde prétorienne. Quand ses visiteurs furent à l’intérieur, il se mit à marcher, les jambes de son exosquelette Rex bourdonnant doucement. Il ne regarda le monstre massif que très brièvement, lui signifiant par là qu’il n’avait aucun respect pour lui.
— Mon frère, commença Constantine. Tu m’as l’air en forme. Le rajeunissement est en bonne voie, hein ?
Augustine ne bougea pas, ne le salua pas, donnant le sentiment de ne pas se rendre compte de ce qui se passait.
— Oui, mais mon traitement n’est pas aussi bon que le tien, on dirait.
— Nous avons amélioré la méthode de Bartram, c’est tout.
Augustine eut un sourire sans joie et se tourna vers le monstre.
— Qu’est-ce que c’est que cette connerie ! postillonna-t-il, perdant tout self-control. Tu invites ce… cette… cette chose dans ma maison ? Dans notre maison !
— Nos vies changent, Augustine. Tu dois le comprendre. Il n’y avait pas meilleure façon…
— Ta vie est presque terminée, petit con. J’ai passé les dix dernières minutes à supplier le général Shaikh de ne pas réduire tes vaisseaux en poussière.
— Il en serait bien incapable, mais je te remercie de ton intervention. Je vais bientôt l’appeler moi-même pour lui offrir la technologie de notre propulsion à ondes lumineuses, pour me faire pardonner ce qui s’est passé aujourd’hui. Les militaires adorent les nouvelles technologies ; ils trouvent toujours des tas de manières inédites de les utiliser.
— Et le portail ? demanda Augustine, menaçant. Tu le détruis.
— Non, je le relocalise. Cette vie est terminée, Augustine. Northumberland Interstellar, le biocarburant, l’argent… Laisse tomber tout ça. J’ai bien mieux à te proposer.
— J’ai passé mon existence à bâtir cette société ; et toi la moitié de la tienne. Tu ne peux pas faire ça ! Rends-moi mon portail. S’il le faut, je réveillerai Sirius moi-même à coup de bombes atomiques, mais je continuerai à exploiter le biocarburant.
— C’est notre portail, mon frère, et j’en ai besoin pour sauver la vie des habitants de St Libra, ces millions d’êtres humains qui sont en train de mourir de faim dans les Territoires indépendants. N’est-ce pas un objectif plus noble que le tien ?
— Les sauver ? Comment ? Laisse ce putain de portail en place, et ils pourront quitter leurs petites nations sordides et arriérées le plus simplement du monde.
Constantine soupira et se tourna vers l’avatar d’Aldred.
— Montrez-lui.
Derrière Augustine, le fouettard qui dominait le centre de l’atrium se mit à frissonner. Une de ses branches inférieures se déroula et s’abattit sur un banc en marbre, le cassant en deux. Les deux moitiés glissèrent sur les dalles polies du sol, tandis que des morceaux plus petits s’éparpillaient dans tous les sens. La branche se retira lentement, s’enroulant comme un serpent retournant à sa sieste.
Deux lasers de visée s’embrasèrent derrière des piliers de la maison, balayant le tronc du fouettard de haut en bas à la recherche d’un extraterrestre hostile.
— Mon fils ! vociféra Augustine. Vous avez tué mon fils. Vous avez tué mon frère !
— Après les crimes que nous avons commis contre lui, estimons-nous heureux qu’il ne nous ait pas rendu la monnaie de notre pièce avec un génocide.
Augustine posa un regard haineux sur la créature. Le fait que les humains soient si centrés sur eux-mêmes ne laissait pas de stupéfier Constantine. Penser large impliquait de restreindre la force des sentiments, saut intellectuel dont il savait son frère capable. Après tout, lui-même y était parvenu. Même si cela lui avait pris cinquante ans.
— Donnez-nous un peu de temps, dit Constantine à l’avatar massif. J’ai tant de choses à expliquer à mon frère.
***
Le matin suivant, le blizzard s’était calmé. Sirius brillait d’un éclat rosé sur le canyon, projetant des ombres noires sur les parois. L’éclat plus clair du système annulaire était complètement occulté par les couleurs changeantes des aurores boréales les plus intenses que la planète ait produites. Les gigantesques rivières de lumière éthérée tourbillonnaient et dessinaient des boucles au-dessus des toits couverts de neige des véhicules du convoi, s’engouffrant même parfois dans le canyon, tels les doigts d’un géant caressant une terre blanche et chiffonnée.
Antrinell guidait ce qui restait du convoi dans l’aube calme et dégagée. Angela le suivait avec lassitude. Peut-être était-ce un contrecoup normal, mais, après tout ce qu’ils avaient accompli, elle aurait préféré être plus en forme.
Il y avait trop de tristesse à surmonter, comprit-elle. Ils avaient perdu tant d’hommes, que l’accord auquel ils étaient parvenus avec St Libra ne la satisfaisait pas autant qu’il aurait dû. Ainsi fonctionnait la psyché humaine.
Ouvrir les têtes restantes pour en extraire le métavirus leur avait pris la moitié de la nuit. Une à une, les fioles avaient été détruites sous la supervision attentive de l’avatar de Barclay. Tous étaient conscients que quelque chose de bien plus immense, peut-être même de magique, surveillait le processus à travers les yeux de la créature. Toutefois, comprendre une abstraction et admettre un fait étaient deux choses différentes.
Personne ne lui faisait vraiment confiance. Ce monstre avait massacré tant de leurs camarades. L’avatar de Barclay resta donc à l’écart pendant qu’on dégageait les corps d’Atyeo et Garrick avec des haches très fines, car ils étaient scellés dans la glace compactée par le vent. Quand vint le tour d’Angela, elle se mit à genoux et frappa le sol en rythme, tout en jetant des coups d’œil furtifs à la silhouette immobile devant la Tropic-1 retournée. En dépit de ses traits solidifiés, il était évident que ce rituel humain ne l’émouvait pas le moins du monde. La créature ne connaissait manifestement pas le culte des morts. Mais elle ne pouvait pas pleurer chaque feuille qui tombait de sa myriade d’arbres ni regretter la perte des spores qui ne germaient pas. Les vies individuelles et courtes faisaient partie de son histoire très lointaine.
Lorsque Angela fut fatiguée, elle se releva et confia la hache à Ken Schmitt. Il était tellement plus facile de se déplacer sans armure de protection, même si, remarqua-t-elle, tout le monde ne s’en était pas débarrassé. Paresh, par exemple.
— Ils arrivent, annonça brusquement l’avatar.
— Qui ? demanda Tamisha.
— Les humains de Jupiter. Ils sont arrivés à Newcastle. Constantine a tenu parole, et le portail a été désactivé.
— C’est de mieux en mieux, remarqua Antrinell, amer. Même si on sort de cette jungle, on ne pourra pas rentrer chez nous.
— S’il y a un vaisseau à ondes lumineuses au-dessus de cette planète, il sera là dans moins d’une heure, murmura Rebka à l’oreille d’Angela.
— Un vaisseau à ondes lumineuses ? C’est quoi ?
— En gros, un OVNI.
— Cool.
En dépit des promesses de l’avatar, Antrinell insista pour qu’ils continuent à travailler. On fit le plein de carburant des deux biolabs. Les corps d’Atyeo et Garrick furent dégagés et enveloppés dans des sacs de couchage.
— Prenons le temps de déjeuner, dit Antrinell lorsque les corps furent installés sur le traîneau de la Tropic-2, à côté de ceux d’Elston et des autres. Après, on lancera une fusée. La météo est idéale.
Sa voix fut noyée dans une terrible explosion aérienne, qui se réverbéra sur les parois du canyon, déclenchant plusieurs microavalanches dans les hauteurs. La glace craqua et gémit sous les bottes d’Angela. Un mince halo de neige s’éleva des véhicules.
— Qu’est-ce que… ?
Tout le monde s’était baissé et jetait des regards craintifs aux rideaux de lumière moirée qui dansaient au-dessus de leurs têtes. Même l’avatar de Barclay avait sursauté – Angela l’avait vu.
— Youpi ! couina Rebka, qui sautait partout comme une petite fille de dix ans en agitant les bras vers le ciel. Ils sont là ! Eh ! c’est Raul qui pilote !
Et elle sautilla de plus belle en faisant tournoyer ses bras avec enthousiasme.
Incrédule, Angela vit une énorme goutte sombre transpercer les rubans placides d’une aurore boréale pour descendre dans le canyon. Comme tous les naufragés sans espoir, elle avait du mal à croire à l’arrivée de ses sauveteurs.
Le vaisseau ralentit et se redressa, tournant sa large base vers le sol, puis se posa à une cinquantaine de mètres. De minuscules étincelles émeraude parcoururent ses anneaux déformés, comme s’il générait des gouttelettes de concentré d’aurore boréale. Rebka prit Angela par le bras et l’entraîna dans son sillage.
— Viens, il faut que tu fasses la connaissance de Raul.
— Qui est Raul ?
— Mon frère. Enfin, il faudrait lui demander ce qu’il en pense ! Pour être tout à fait honnête, j’ai été une petite sœur assez difficile à vivre.
Encadré par son écharpe et son bonnet en laine, son visage était tellement plein de vie qu’Angela ne put s’empêcher de sourire, la joie de Rebka étant comme une force de la nature.
Un sas s’ouvrit sur deux hommes couverts d’une matière noire et lisse semblable à celle que pouvait produire la cape métamoléculaire de Rebka. Leurs visages étaient toutefois visibles. Rebka lâcha un cri strident et entoura de ses bras le plus grand et le plus jeune des deux personnages.
— Maman, c’est Raul !
— Angela DeVoyal, dit-il, impressionné. La Angela DeVoyal. Je vous prie de m’excuser, mais cela fait si longtemps que nous attendons tous de vous rencontrer.
— Comme je vous comprends, acquiesça Angela avant d’éclater de rire, tant ce qu’elle venait d’entendre lui paraissait surréaliste.
Ils n’avaient pas grand-chose à emporter. La plupart des survivants ne se donnèrent même pas la peine d’aller chercher leurs effets personnels dans les véhicules. Contrairement à Angela. Son sac contenant les objets qu’elle avait achetés chez Birk-Unwin était tout ce qu’elle possédait ; elle avait attendu vingt ans de pouvoir dépenser l’argent qu’elle avait gagné à Holloway. De l’argent on ne pouvait plus difficile à gagner et donc très important.
Après avoir récupéré son sac couvert de givre dans la Tropic-2, elle désactiva les cellules du véhicule, en veille depuis le soir précédent. Vu qu’elles fonctionnaient à haute température, les rallumer par un froid pareil leur aurait sans doute été fatal, risque qu’Elston avait refusé de courir. Les lumières du tableau de bord s’éteignirent. Pour la première fois depuis dix-huit jours, les gémissements des machines ne résonnèrent plus dans ses oreilles.
Dix-huit jours ?
Elle se surprit à trembler. Le voyage qu’ils avaient fait avait été trop intense, trop viscéral pour n’avoir duré que dix-huit jours. Rien ne pourrait lui faire oublier l’énormité de ce qu’elle avait enduré, pas même la joie d’avoir retrouvé Rebka.
Angela s’éloigna de la Tropic tandis que Ken, Sakur et Tamisha portaient le brancard de Botin vers le vaisseau. L’avatar de Barclay attendait sur la rivière gelée. La chose non humaine était aussi impassible qu’à l’accoutumée, parfaitement immobile, tandis que les épais rubans lumineux de l’aurore boréale le caressaient. Comme si elle communiait avec la tempête. En esprit, Angela vit à travers sa coquille humanoïde ; elle imagina l’âme de ces plantes, la force vive fabuleusement complexe qui occupait cette planète tout entière telle une couronne accrochée à une étoile. Immense, immortelle, le triomphe d’une évolution dépassant de plusieurs milliards d’années ce à quoi la Terre pouvait aspirer. Capable de choses que les hommes ne pouvaient même pas imaginer, même pour leurs dieux. Angela se tenait sur elle, parmi elle. Ridicule, infinitésimale, tellement brève.
C’était une perspective décourageante. Quelle pouvait être l’utilité de sa toute petite vie dans un univers abritant le Zanth et St Libra ?
Des sanglots l’arrachèrent à ses réflexions. Appuyée contre le flanc de la Tropic-3, Lulu MacNamara pleurait en serrant contre son cœur une contrefaçon de sac de grande marque et en se moquant bien que ses larmes gèlent sur ses joues couvertes de craquelures et de croûtes.
Angela la rejoignit.
— Qu’est-ce qu’il y a, ma puce ? On est sauvés. On va nous sortir d’ici.
— Je sais, gémit Lulu, mais il n’y a plus de portail. Le monstre l’a dit, je l’ai entendu. Je ne vais jamais revoir ma maison ni ma mamie. Elle va beaucoup s’inquiéter.
— Il ne faut jamais dire « jamais ». Moi, par exemple, j’ai mis vingt ans à retrouver Rebka. Ta mamie sera là à t’attendre quand tu rentreras chez toi.
— Mais comment ? supplia la jeune femme.
— Je n’en ai pas la moindre idée, répondit Angela d’un ton désinvolte. Mais c’est le futur, c’est normal. Tu prends ton élan et tu sautes sans savoir où tu vas atterrir. C’est génial, non ? Tu veux retourner chez toi, à Newcastle ? C’est simple, quand tu seras à Abellia, tu grimperas sur une pierre et tu crieras aux passants : « Qui veut rentrer avec moi ? » Si vous êtes suffisamment nombreux, vous n’aurez qu’à construire un portail par vous-mêmes.
— Ouais, comme si c’était possible. Je ne suis que serveuse.
— Lulu, tu es vivante alors que nous aurions tous dû mourir. Cette expédition a été la plus terrible, la plus effrayante, la plus brutale période de ma vie, et pourtant, je peux te dire que j’ai vu et fait des choses que tu n’imagines pas. Ça fait de toi une grande, Lulu. Dans cet univers, vivre est déjà une victoire. Maintenant, on va tous monter dans ce vaisseau pour aller dans une ville qui va dégeler gentiment. Pour la suite, on décidera plus tard. Et personne ne le fera pour nous.
— Sans doute.
Angela passa un bras autour des épaules de la jeune femme et la serra furtivement.
— Eh ! c’est la première fois que je vais monter à bord d’un vaisseau spatial. J’ai hâte ! Déjà, je suis sûre qu’il y fait chaud. Qui sait ? il y aura peut-être même une douche.
Le sas s’ouvrit, et elle découvrit un simple compartiment circulaire au plafond légèrement concave. Rien d’extraordinaire. Constitués d’un genre de mousse grise, le sol et les canapés incurvés disposés en cercle ne semblaient faire qu’un. Le personnel du convoi retira ses parkas et ses pantalons épais. Des flaques de glace fondue et sales grossirent par terre. Malgré sa technologie très avancée, le vaisseau avait le plus grand mal à gérer la présence olfactive de tant de personnes à l’hygiène douteuse.
— J’aurais une question à vous poser…, dit Angela à l’avatar de Barclay.
— Oui ?
— Avez-vous tué les mutins, ceux qui ont fui à bord de la JMT ?
— Non, Angela. Ils ne se dressaient pas entre l’arme et moi.
— Vous sentez leur présence ?
— Oui. Ils ont beaucoup souffert du blizzard. Ils n’ont pas fini de se dégager.
Angela se tourna vers Raul.
— Nous savons quelle route ils ont prise. Allons les chercher.
— Ils ne le méritent pas, grogna Antrinell, amer.
Angela le gratifia d’un sourire mauvais.
— Je sais. Mais suffisamment de personnes sont mortes sur St Libra, alors montrons à cette planète ce que cela signifie que d’être humains. Allons les récupérer, offrons-leur un repas chaud et emmenons-les à Abellia où ils seront en sécurité, comme nous.
***
Dès l’apparition des vaisseaux spatiaux, Sid et Jacinta avaient foncé à l’école pour récupérer les enfants, roulant en mode manuel et mettant à profit le statut de Sid pour demander la priorité au métamaillage des rues de la ville. À la grande joie de Will et Zara, ils étaient arrivés devant l’établissement en faisant hurler la sirène et tournoyer le gyrophare de la voiture. Les deux enfants furent d’ailleurs très déçus lorsque Sid les éteignit sur le chemin du retour.
— Pourquoi ? bougonna Will.
— Parce que je ne pense pas que les vaisseaux nous soient hostiles, expliqua Sid.
Il n’était pas tout à fait concentré sur la route, ce qui, du fait du nombre de gens conduisant mal pour rentrer chez eux ou aller récupérer les gens qu’ils aimaient, était particulièrement dangereux. Les rues étaient des torrents de feux arrière verts, et personne n’obéissait plus au métamaillage. L’attention de Sid était focalisée sur les images qui défilaient dans la grille de ses iris. L’imposant banc de vaisseaux avait pris position au-dessus et autour du portail ; ils étaient d’ailleurs les seuls objets statiques dans tout le quartier. Leur frais cybernétique grouillait sur et à l’intérieur du générateur. Le soleil se reflétait sur les mandibules chromées des robots qui se tortillaient sans cesse, s’attaquant aux soudures du mécanisme, les désossant telle une charogne technologique.
— Pourquoi, papa ?
— Parce qu’ils viennent de Jupiter. Enfin, je crois.
— Qu’est-ce que tu en sais ?
— J’ai déjà rencontré une personne qui a volé dans un de ces engins.
— Quand ? couina Zara, tout excitée. Hein, papa, quand ?
— La nuit où oncle Ian est mort.
— Et elle voulait faire sauter la bombe D, elle aussi ? demanda Will.
— Bon, vous deux, laissez un peu votre père tranquille, d’accord ? intervint fermement Jacinta.
— Mais maman…
— Ça va, ça va, reprit Sid. Non, les vaisseaux n’ont rien à voir avec la bombe D. Ils appartiennent à Constantine North. En revanche, ne me demandez pas pourquoi ils sont en train de démanteler le portail.
Comme d’habitude, je ne comprends rien à ce qui se passe.
Le bruit des réacteurs emplissait l’atmosphère. Les enfants passèrent le restant du trajet à essayer de voir les chasseurs qui tournaient autour du banc et protégeaient les habitants de Newcastle contre ces envahisseurs qui, au grand jour, privaient la ville de son plus grand atout. De temps à autre, Will et Zara pointaient du doigt avec un enthousiasme non dissimulé les deltas noirs qu’ils voyaient passer entre les toits des maisons.
De retour à la maison en un seul morceau, la famille Hurst s’installa devant le grand panneau mural du salon. Les hélicoptères des médias jouaient à un jeu dangereux, se rapprochant toujours plus près des vaisseaux spatiaux, comme pour les tester. Dans les rues du Dernier Mile, c’était la même chose ; les journalistes tentaient de se faufiler entre les agents de sécurité nerveux qui fermaient tous les accès au portail. Des transports de troupes de l’ADH défilaient sur Kingsway, débarquant des soldats et des officiers qui, en l’absence d’ordres clairs venus d’en haut, n’étaient pas certains de savoir quoi faire.
L’i-e de Sid l’informa que les appels prioritaires s’accumulaient dans son interface transnet. Le sixième étage de Market Street tout entier voulait lui parler. Mais il s’en moquait. Pendant des années, il avait fait les quatre volontés des riches et des puissants, jouant le jeu dans leur intérêt commun, car, en homme intelligent qu’il était, il savait que le monde fonctionnait ainsi.
En ce jour particulier, cependant, il avait décidé de rester avec les siens, comme tout père de famille qui se respectait. La défiance avait du bon, parfois.
Northumberland Interstellar publia un communiqué officiel soixante-dix minutes après le début de la crise. Depuis le QG du service marketing de la société, dans le centre-ville, un Alanzo North2 étonnamment serein annonça à la mêlée médiatique que le portail était démantelé pour éviter une catastrophe humanitaire. Une forme de vie intelligente avait été découverte sur St Libra, et l’on était en train d’organiser l’évacuation des Territoires indépendants.
Il insista bien sur le fait que les vaisseaux spatiaux appartenaient aux North et qu’ils ne représentaient pas une menace. Oui, ils étaient venus de Jupiter. Non, il n’avait rien à dire sur la présence éventuelle d’un de ces appareils au-dessus de l’entrepôt de Mountain High la nuit où l’officier Ian Lanagin avait perdu la vie.
— C’est vrai papa ? Ils ont trouvé des extraterrestres ? demanda Will.
— Oui, j’en ai vu un.
— Pour de vrai ?
— Oui. Il a tué oncle Ian.
Jacinta lui lança un regard noir et lui donna un coup de coude dans les côtes.
— Ils sont dangereux ?
— Très.
— Sid ! siffla Jacinta.
Il haussa les épaules.
Deux hélicoptères bourrés de journalistes avaient découvert le vaisseau posé devant la pyramide tronquée d’Augustine North, pas très loin d’Alnwick. Des engins armés avaient décollé pour les tenir à distance, mais les images haute résolution continuaient à affluer sur le transnet. Il y avait plusieurs North au pied du vaisseau, et des chariots motorisés chargés de caisses et de boîtes qui sortaient du manoir.
Le réalisateur bascula sur la flotte suspendue au-dessus du Dernier Mile. Un autre vaisseau en forme de goutte était en train de prendre de l’altitude. Des hélicoptères de l’ADH le suivaient tandis qu’il filait vers le nord en volant à deux cents mètres du sol. Les engins envoyés par les médias ne comptaient évidemment pas les laisser disparaître sans réagir.
— Il est au-dessus du fleuve, dit Will. Regardez, c’est la gare centrale.
— Papa, qu’est-ce qu’il fait ? demanda Zara.
— Je ne sais pas.
Mal à l’aise, Sid regarda le vaisseau survoler avec fluidité le complexe du Civic Centre. Cette trajectoire le mènerait tout près de…
— Il suit la ligne du métropolitain, remarqua Jacinta.
— On dirait, admit Sid.
— On va pouvoir le voir ! s’enthousiasma Will en bondissant sur ses pieds.
— Non ! rétorqua Sid en allongeant le bras pour tenter de rattraper son fils, qui s’en allait en courant avec l’exubérance de son âge.
Sid se lança à ses trousses, aussitôt suivi par Jacinta et Zara. Will ouvrit la porte, sortit dans le jardinet de devant et se figea. Sid le rejoignit et le saisit par les épaules.
Entouré d’un essaim d’appareils terriens circonspects, le vaisseau volait au-dessus de St George’s Terrace et perdait de l’altitude. Les voisins de Sid étaient sortis aussi, qui assistaient à ce spectacle avec une crainte mêlée de respect.
— Papa ! s’exclama Will, à la fois effrayé et ravi. Il vient ici.
Sid passa un bras autour de son fils émerveillé, et l’autre autour de sa femme et de sa fille. À vingt mètres de là, dans la rue calme d’un quartier pavillonnaire, venait de se poser en silence un vaisseau venu de Jupiter. Un disque, près de sa base, s’assombrit et disparut. Un North vêtu d’une chemise verte légèrement déboutonnée et d’un jean mit pied à terre. Il sourit à Sid tandis que les hélicoptères des médias et de l’ADH tournoyaient dans le ciel.
Voyant le North s’avancer jusqu’à leur portail, la petite Zara se cacha discrètement dans le dos de son père.
— Bonjour, Sid.
— Dites-moi qui vous êtes, parce que je refuse de me prononcer…
— Je comprends. C’est moi, Clayton. Pas de subterfuge, cette fois, patron, je vous dois bien ça. Je suis venu ici pour vous apporter des réponses.
— Sympa. Alors, vous avez identifié notre extraterrestre ?
— C’est un avatar envoyé par la forme de vie dominante de St Libra.
— C’est lui qui a tué notre North ?
— Oui.
— Et l’identité de la victime ? du type qu’on a sorti de la Tyne ?
— C’était Aldred. L’avatar a usurpé son identité.
Sid hocha faiblement la tête. Dire qu’il avait travaillé pendant des mois à côté d’un imposteur extraterrestre, qu’il lui avait parlé, qu’il avait pris le café avec lui, qu’il avait accepté son discours rassurant concernant son avenir professionnel. Désormais, il savait, mais il ne comprenait pas pour autant.
— Mais pourquoi ?
— Ce serait trop long à expliquer, répondit Clayton en faisant la grimace, et nous sommes pressés. Nous attendons juste que les robots aient terminé de démanteler le portail. Je vous enverrai le dossier complet, si vous voulez. C’est fascinant, vous verrez. Même s’il faut se replonger un peu dans notre histoire.
— Où est-ce que vous allez ? bredouilla Sid, incapable de détacher son regard du vaisseau.
Cette machine hantait ses rêves depuis une semaine. Constamment, il la revoyait filer vers les étoiles, le laissant enchaîné à la Terre et envieux. Envieux parce qu’il aurait voulu vivre une autre vie.
— Sirius. On va bâtir un nouveau monde, Sid, une nouvelle civilisation. Entre autres choses.
— Mais vous avez fermé le portail ; comment allez-vous vous y prendre ?
— Nous allons faire ça à l’ancienne, j’en ai peur. Heureusement, ajouta Clayton en désignant le vaisseau dans un sourire, ils sont très rapides, et Sirius n’est qu’à huit années-lumière et demie.
Sid sentit son cœur s’emballer. Comme il aurait aimé partir à l’aventure de cette façon… Il se tourna vers Jacinta. Son épouse partageait sa fascination.
— Emmenez-nous avec vous !
***
La salle de spectacle de l’école de Camilo était rapidement devenue leur salle de réunion après l’arrivée de la neige et du froid. Lorsque le blizzard le permettait, les habitants s’y retrouvaient pour partager de grands repas, faire la classe aux enfants, solutionner leurs problèmes, répartir les tâches et parler de l’avenir de la communauté. S’il n’avait su que les fermes étaient enfouies sous plusieurs mètres de neige et qu’il était exclu de faire pousser quoi que ce soit, Saul aurait pu apprécier ce climat. Toutefois, au fil des semaines, comme s’installait une certaine routine et que les expéditions succédaient aux blizzards, des rumeurs désagréables avaient commencé à circuler, infiltrant leur monde confortable ; on parlait de caches de nourriture, de gens gardant pour eux ce qu’ils avaient trouvé.
Ces chamailleries ridicules furent immédiatement reléguées au second plan quand leur parvint, dans la matinée, via ce qui restait du réseau d’Abellia, la nouvelle de la fermeture du portail de Highcastle. Les dernières images de Newcastle étaient stupéfiantes : des centaines de vaisseaux tombant du ciel, puis plus rien.
La Terre avait-elle été envahie ?
Les habitants de Camilo s’en moquaient. Spontanément, ils se retrouvèrent à l’école pour un genre de conseil municipal. Les échanges furent vifs, la tension palpable. Les villageois s’accordaient sur le fait qu’ils pourraient tenir encore deux mois, en dépit du fait qu’il fallait s’aventurer toujours plus loin pour trouver de la nourriture – et qu’ils n’étaient pas les seuls à visiter les maisons inoccupées. Jusque-là, les rencontres avec d’autres communautés s’étaient bien passées – il leur était même arrivé de collaborer. Cependant, le temps de l’entraide était terminé, et ils le savaient tous. Ils allaient devoir marquer leur territoire.
Otto se leva et proposa de construire des serres pour faire pousser des légumes. Les autres le huèrent, lui crièrent de la fermer. Brinkelle ne cultivait-elle pas de la nourriture dans des cuves ? Otto ne se laissa pas impressionner et leur conseilla d’être réalistes. Les fermes étaient ensevelies sous des mètres de neige, et on ne pouvait pas dire que Brinkelle se soit précipitée à leur secours. Si l’Institut était en mesure de produire de la nourriture, cela se saurait.
Le ton monta et le débat se fit acrimonieux. Isadora, Jevon et Clara écoutèrent sans rien dire et restèrent discrets. Saul se demanda s’il avait eu raison de les emmener. Ils méritaient de connaître la vérité, mais…
La détérioration des relations humaines était inévitable, supposait-il. Il se rappelait très bien la façon dont les citoyens de New Florida étaient devenus fous à l’arrivée du Zanth. Étrange – il n’avait pas pensé à David et Alkhed depuis des décennies, et voilà qu’il se demandait si les deux infirmiers avaient réussi à sauver leur peau.
Emily se pencha vers lui.
— Tu devrais dire quelque chose, murmura-t-elle.
— Personne n’écoute.
— Toi, ils t’écouteront.
C’était peut-être vrai, mais il ne savait pas quoi dire. Peut-être que, lorsque tout le monde se serait calmé, il irait voir ses voisins individuellement pour tenter de construire un consensus. C’était davantage son style que ces joutes verbales.
Soudain, son i-e l’informa qu’il venait de recevoir un appel. Et plus rien d’autre ne compta.
Saul se leva, plus serein que jamais. Otto et Gregor interrompirent leur échange d’insultes et le regardèrent avec étonnement, attendant qu’il prenne la parole.
Au lieu de quoi il sourit à ses enfants.
— Venez.
— Saul ? demanda nerveusement Emily.
— Tout va bien, répondit-il. Quelqu’un est arrivé.
Il entraîna ses enfants curieux et sa femme inquiète à l’extérieur, en s’assurant que les petits enfilent d’abord leurs gants et leur bonnet. Le reste du village les regarda partir dans un silence stupéfait.
— Saul ? appela Otto.
— Vous pouvez venir aussi ! Ça pourrait vous intéresser.
Ceux qui se trouvaient suffisamment près de lui virent qu’il avait les yeux humides.
Toute l’assemblée sortit donc de la salle de réunion à la suite de la famille Howard. Ils arrivèrent juste à temps pour voir un vaisseau spatial en forme de larme gris-vert transpercer les rubans colorés d’une aurore boréale pour se poser en douceur sur la glace et la neige fondue de la plage. Saul marcha vers l’engin sans hésiter. Isadora, Jevon et Clara restèrent accrochés à lui, impressionnés par cette étrange merveille tombée du ciel – et dont la présence ne semblait pas étonner leur père. Bouche bée, Emily accompagna également son mari.
Comme un sas s’ouvrait à la base de l’appareil, Saul se tourna vers elle.
— Je suis vraiment désolé. Je ne t’ai jamais parlé de tout ça. Je la croyais morte. J’ai refait ma vie.
Il n’était plus sûr de rien. Oui, Angela l’avait appelé, mais…
Deux femmes sortirent de l’appareil. Il y avait Angela, un bonnet de laine vissé sur la tête pour la protéger du vent marin glacial, ce qui n’empêchait pas sa chevelure de voleter autour de son visage. L’autre femme avait une chevelure presque identique, quoique plus foncée et plus longue. Et son visage lui était agréablement familier.
Saul se mit à pleurer abondamment et ouvrit les bras. Il tremblait tellement qu’il craignit de sentir ses jambes céder sous son poids. Alors, une Rebka émue, elle aussi, se pressa contre lui, collant son nez froid contre son visage.
— Salut, papa.
***
Il y avait du monde dans le salon du bungalow. Angela regarda Saul mettre deux bûches de sparpin dans le poêle situé au centre de la pièce. Bien que bricolé, celui-ci était extrêmement chaud et, vu le nombre de personnes présentes, ils n’auraient pas besoin d’une autre source de chaleur. Saul ne cessait de regarder Rebka, les yeux pleins d’adoration et d’émerveillement. Il ne savait pas quoi dire, mais n’avait manifestement pas l’intention d’être séparé de plus de deux mètres de sa fille retrouvée. Au moins avait-il cessé de pleurer.
Angela dut admettre que ses autres enfants étaient mignons aussi. Isadora, Jevon et Clara n’avaient pas été si heureux depuis l’apparition des taches solaires. Il y avait un vrai vaisseau spatial devant la maison, ils avaient une nouvelle grande sœur superdrôle et intéressante, et papa était rigolo, tellement il était heureux. Il y avait tout un tas de gens importants dans la maison, dont un monstre très effrayant. De quoi impressionner tous les copains du village, assurément. Angela sourit lorsque la petite Clara, toute timide, offrit une de ses peluches – un singe vert baptisé Banane – à Rebka. Celle-ci joua de bonne grâce avec le jouet, à la grande joie de la petite fille.
C’était le genre de scène que Saul et elle auraient pu vivre ensemble si la vie avait été différente. Très différente. Mais alors, il n’y aurait pas eu de Rebka, donc pas de regrets.
Coby North et Raul acceptèrent des mugs de thé proposés par Emily. Celle-ci n’avait pas dit grand-chose depuis l’arrivée du vaisseau. Angela était consciente d’être la cible de quelques regards intenses. Avant longtemps, toutes les deux allaient devoir avoir une bonne et longue conversation.
Emily hésita devant l’avatar de Barclay, se demandant si elle devait lui proposer du thé. La créature secoua imperceptiblement la tête, et Emily s’éloigna, soulagée.
Et puis il y avait Otto et Markos, qui se tenaient un peu à l’écart. Ils représentaient le village, mais ne savaient clairement pas quoi faire de leurs visiteurs inattendus. Les autres membres du convoi étaient dans les locaux de l’école, où on leur avait promis une douche et un lit. Angela imaginait qu’ils devaient être mitraillés de questions.
Paresh prit place dans le canapé, à côté d’elle, grimaçant lorsque son épaule bandée heurta l’accoudoir.
— Ça va ? demanda-t-elle.
— Ouais. Beaucoup mieux.
Angela savait qu’il se donnait beaucoup de mal pour ne pas dévisager l’avatar. Abandonner son fusil et son pistolet dans le canyon n’avait pas été facile pour lui.
— Tant mieux, murmura-t-elle. Apparemment, il y aurait quelques bungalows inoccupés dans le coin. On pourrait s’y installer. Il suffirait de dégager le toit et de remettre le chauffage en route.
— On pourrait s’y installer, voyez-vous ça…, se moqua-t-il.
Ce qui n’était pas du tout dans le style de son petit chiot.
— Rebka et moi, oui, en tout cas, le provoqua-t-elle. Mais je crois qu’il y a une chambre d’ami.
— Je me contenterai de ce qu’on me donnera.
— Bien. Au fait, reprit-elle d’une voix plus grave en lui serrant la cuisse, tu ferais mieux d’apporter des analgésiques pour tes côtes. Le dosage maximal. Tu sais depuis combien de temps on n’a pas fait l’amour, toi et moi ?
— Oh ! oui, je sais.
Il s’écarta un peu et sourit poliment lorsque Emily lui offrit un mug de thé. Isadora suivait sa mère avec une boîte de chocolats à l’orange et au bourbon, heureuse de faire plaisir.
Angela en prit deux et sourit à la petite fille curieuse.
— Si ça ne vous dérange pas, commença Coby North, je dois me rendre chez Brinkelle pour tout lui expliquer.
— Et nous ? demanda Otto.
— Tous les humains devront quitter St Libra, expliqua Coby.
— Quoi ? bafouilla Otto.
Coby se tourna vers l’avatar de Barclay, comme pour obtenir son autorisation de poursuivre.
— Nous sommes des intrus, ici. Ce n’est pas notre monde.
— Ce n’est peut-être pas le vôtre, mais c’est le mien. Mes enfants sont nés ici.
— Et les nôtres aussi, intervint Saul, mais ça ne change rien, Otto. Écoute ce qu’on te dit, écoute bien. Nous ne pouvons plus vivre ici. Nous n’avons aucun droit sur cette planète.
— Les taches solaires ne vous ont-elles pas convaincus ? demanda l’avatar de Barclay.
Otto le regarda du coin de l’œil, effrayé.
— Où va-t-on aller ? s’enquit Saul. Le portail est fermé.
— Sirius XIV, répondit l’avatar. C’est un peu plus loin que St Libra, mais largement dans la zone habitable. Une journée y dure vingt-trois heures et dix-neuf minutes, ce qui ne vous posera aucun problème d’adaptation. Et la pesanteur est de 0,9 standard terrestre. Il y a même du minerai de fer dans la croûte. Cette planète vous conviendra parfaitement.
— Je ne comprends pas, dit Emily. L’atmosphère de cette planète est pire que celle de Vénus. On ne peut pas vivre là-bas. Personne ne le peut.
— Elle est inhospitalière pour le moment, acquiesça l’avatar de Barclay, mais cela va changer. Tout change. J’ai accepté de la modifier pour vous. Tout ce dont vous aurez besoin, ce sont les semences pour créer votre propre biosphère.
— Semences que Constantine fera venir, ajouta Coby. Nous avons une banque génétique dans l’habitat de Jupiter – pour les cas comme celui-ci, justement. Enfin, pas tout à fait, mais cela ira.
— Le portail est fermé, leur objecta Otto. Personne ne peut plus nous rejoindre.
— La flotte de Jupiter volera jusqu’ici à travers l’espace interstellaire, expliqua Raul. La plupart des vaisseaux sont de toute façon trop gros pour emprunter le portail. D’ailleurs, elle va venir avec le portail démonté à Newcastle.
— Pourquoi ? demanda Paresh.
— Pour le réassembler sur Sirius XIV, répondit Coby. De cette façon, tous les habitants de St Libra pourront être évacués. C’est un bon compromis. Si nous n’évacuons pas, Sirius restera rouge jusqu’à ce que cette planète soit débarrassée de nous.
— Je me suis mis d’accord avec Constantine pour cesser d’agir sur Sirius. Les taches solaires vont disparaître au cours des deux prochains mois. L’hiver cessera. Vous profiterez des prochaines années pour vous remettre de cet épisode et vous préparer. Pour ma part, je vais poursuivre ma mission en tant que Zebediah afin de convaincre les habitants des Territoires indépendants de partir.
***
Ce soir-là, Saul et Emily installèrent Angela et Paresh dans leur chambre d’ami et Rebka dans celle de Clara. Ravie, la petite fille de six ans emménagea donc chez une Isadora moins enthousiaste.
— Ce bois sent vraiment fort, se plaignit Paresh en se glissant dans leur lit de fortune.
Ils avaient posé le matelas une place par terre et lui avaient accolé quelques coussins pris sur les canapés du salon, avant de le couvrir de quelques sacs de couchage zippés entre eux.
Angela émergea de la salle de bains, où le moindre carreau était moucheté de gel dentaire pour enfant. Elle embrassa du regard les murs de la chambre, le long desquels Saul avait empilé des centaines de bûches de sparpin pour les faire sécher avant de les brûler dans le poêle. Pour la première fois depuis l’apparition des taches solaires, elle retrouvait un parfum typique de St Libra. Une odeur plutôt acide.
— Ce n’est pas si terrible.
— Tu as eu le temps de parler à Emily ?
— Non. On verra ça demain. De toute façon, il vaut mieux qu’elle discute d’abord avec son mari.
— Ouais. Elle va le cuisiner, je ne te raconte pas !
— Il n’a pas grand-chose à se reprocher. En fait, il n’aura qu’à tout me mettre sur le dos.
— Eh ! protesta-t-il. Tu n’as rien fait de mal.
Angela le regarda en souriant.
— Chéri, la liste des conneries que j’ai faites est tellement longue que je ne saurais même pas par où commencer.
D’un mouvement d’épaule, elle se débarrassa de sa robe de chambre d’emprunt. Elle aurait bien aimé porter quelque chose d’ajouré et de transparent pour lui, mais, en dehors du salon, il ne faisait pas si chaud dans le bungalow, aussi s’était-elle résolue à porter un bas de pyjama prêté par Emily et un sweat-shirt mauve prêté par Saul.
— Je ne plaisantais pas à propos de mes côtes, dit-il, morose, comme elle se glissait sous les sacs de couchage à côté de lui. Elles me font toujours mal. Le doc m’a bien dit de ne pas faire trop d’efforts.
— Mmh…, tu me lances un défi ?
Paresh rit.
— Je ne te comprends toujours pas.
— Beaucoup d’autres ont essayé avant toi.
Elle s’allongea sur le côté pour pouvoir le regarder. Là où il n’y avait pas de croûtes, la peau de son visage pelait. Il paraissait fatigué, profondément las ; il lui faudrait très longtemps pour se remettre complètement. Elle se rendit compte qu’elle pouvait contempler ce visage longuement sans s’en lasser.
— Je veux que tu saches : je t’aime vraiment beaucoup. On ne va pas se marier ou un truc du genre, d’accord ? Mais je suis heureuse, et ça fait un bail que ça ne m’était pas arrivé. C’est en partie grâce à toi, alors continuons comme ça. Je ne veux pas être malheureuse.
— Pas de souci. Je comprends que tu sois heureuse. Rebka est une fille super.
— Je ne te le fais pas dire.
— Tu fais confiance à cet avatar ?
— Tu vois et tu juges l’avatar et non pas la vie qui l’anime. Quand tu le regardes, tu vois un humain, mais tu te trompes.
— Ça veut dire « oui », si je comprends bien.
Elle l’embrassa.
— Je crois que ça va bien se passer.
— Quand je pense à la situation dans laquelle on se trouvait hier à la même heure, je me dis que tu as raison.
— Paresh, merci de ne pas avoir douté, d’avoir cru en moi, là-bas, dans le canyon. Ces deux derniers mois ont beaucoup compté pour moi.
Il hocha la tête, sage.
— Ç’a vraiment été une journée bizarre, remarqua-t-il, mais je suis content de l’avoir vécue.
— Ç’a été une vie bizarre, le corrigea Angela. Jusqu’ici.